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Appel no AP-2018-058

D. Liu

c.

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Décision et motifs rendus
le vendredi 22 novembre 2019

 



EU ÉGARD À un appel entendu le 9 juillet 2019, en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 12 octobre 2018, concernant une demande de révision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

D. LIU

Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.




Susan D. Beaubien                 
Susan D. Beaubien
Membre présidant

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.
Lieu de l’audience :                                               Ottawa (Ontario)
Date de l’audience :                                               le 9 juillet 2019

Membre du Tribunal :                                            Susan D. Beaubien, membre présidant

Personnel de soutien :                                            Heidi Lee, conseillère juridique

PARTICIPANTS :

Appelante

 

D. Liu

 

Intimé

Conseiller/représentant

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Adrian Johnston

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario)  K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

SURVOL

1.                  M. D. Liu a acheté un couteau de modèle « Massdrop x Ferrum Forge Falcon Wing Edition » portant le numéro de série WZ0323 MDX-19597-3 (le couteau Massdrop). Le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a retenu le couteau Massdrop au moment de son importation au Canada en vue d’être livré à M. Liu[1].

2.                  Après avoir examiné le couteau Massdrop, l’ASFC a déterminé qu’il constituait une arme prohibée aux termes du Code criminel[2] et qu’il devait être classé dans le numéro tarifaire 9898.00.00 du Tarif des douanes[3]. Les marchandises classées dans le numéro tarifaire 9898.00.00 sont interdites d’importation au Canada.

3.                  Contestant la décision de l’ASFC, M. Liu a demandé une révision[4]. L’ASFC a confirmé le classement faisant l’objet de la contestation[5].

4.                  M. Liu interjette à présent appel devant le Tribunal aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes[6].

CONTEXTE

5.                  Le couteau Massdrop a été conçu par Ferrum Forge; il est fabriqué en Chine par WE Knife[7]. Il s’agit d’un couteau pliant constitué d’une lame en acier inoxydable et d’un manche en titane. Il mesure 3,9 po (9,9 cm) lorsqu’il est fermé et 6,8 po (17,3 cm) lorsqu’il est ouvert[8].

6.                  L’un des principaux points en litige dans le présent appel concerne le mécanisme permettant d’ouvrir le couteau Massdrop (le flipper ou « ergot » [traduction]). Selon l’ASFC, la nature de ce mécanisme d’ouverture fait du couteau Massdrop une arme prohibée. M. Liu conteste cette caractérisation et la conclusion de l’ASFC.

7.                  Le 30 juillet 2018, l’ASFC a retenu le couteau Massdrop après l’avoir examiné au Centre de traitement du courrier international Léo-Blanchette, conformément à l’article 101 de la Loi sur les douanes[9].

8.                  Un avis selon lequel l’ASFC avait déterminé que le couteau Massdrop est une arme prohibée a été envoyé à M. Liu le 30 juillet 2018[10].

9.                  Dans une lettre datée du 1er août 2018, M. Liu a contesté la saisie du couteau Massdrop et demandé une révision de la décision de l’ASFC[11].

10.              Selon M. Liu, le couteau ne s’ouvre pas par gravité ni force centrifuge, et il n’y a « aucun bouton, ressort ni autre dispositif incorporé ou attaché au manche »[12] [traduction]. Plus précisément, le manche du couteau est fait d’une seule pièce, en alliage de titane, et ne présente « aucune pièce mobile, aucun bouton, aucun mécanisme, aucun ressort ni aucun autre dispositif qui ferait du couteau une arme prohibée » [traduction]. À la différence d’un couteau à cran d’arrêt, sur le couteau Massdrop, le flipper fait partie de la lame et non du manche; par ailleurs, la force de maintien de la lame est « beaucoup trop grande » [traduction] pour permettre l’ouverture du couteau par gravité ou par force centrifuge. Par conséquent, M. Liu soutient que le couteau Massdrop n’est pas une arme prohibée; il a également déposé une photographie du couteau démonté publiée par le vendeur.

11.              Le 12 octobre 2018, l’ASFC a rendu une décision confirmant le classement du couteau Massdrop comme arme prohibée[13].

Décision de l’ASFC

12.              L’ASFC a examiné le couteau Massdrop et pris note de ses caractéristiques physiques, y compris son mode de fonctionnement. Une pression sur le flipper permettrait au couteau de s’ouvrir automatiquement « jusqu’à son ouverture complète » [traduction]. Selon l’ASFC, cela est assimilable à l’ouverture automatique du couteau « par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche » [traduction].

13.              L’ASFC a ensuite examiné les dispositions législatives pertinentes, soit le paragraphe 84(1) du Code criminel, l’article 136 du Tarif des douanes et le numéro tarifaire 9898.00.00.

14.              Prenant note que les marchandises doivent être évaluées selon leur état au moment de l’importation (et non pas démontées), l’ASFC a conclu que le flipper se situait sur le manche du couteau Massdrop. L’ASFC a également constaté qu’une pression sur le flipper permettait un déploiement « rapide et facile » [traduction] du couteau, la lame s’ouvrant sans difficulté grâce à un roulement à billes situé dans le pivot du couteau.

15.              Conformément à des décisions antérieures du Tribunal, l’ASFC a conclu que le couteau Massdrop est équipé d’un dispositif dont la fonction particulière est de permettre le déploiement rapide et facile de la lame. En conséquence, l’ASFC a considéré que le couteau Massdrop tombait sous la définition d’« arme prohibée » du Code criminel et devait être classé dans le numéro tarifaire 9898.00.00 à titre de marchandise dont l’importation au Canada est interdite.

16.              M. Liu a interjeté appel de la décision de l’ASFC le 19 décembre 2018[14].

Appel de M. Liu

17.              À l’appui de son appel, M. Liu a déposé un mémoire contenant des observations écrites[15] et des extraits de jurisprudence appuyant sa thèse.

18.              L’ASFC a répondu en déposant son propre mémoire, contenant des observations écrites[16], des extraits de jurisprudence appuyant sa thèse, des reproductions de l’avis de retenue[17] et des éléments de la correspondance de l’ASFC et de M. Liu avant la décision faisant l’objet du présent appel[18]. Le mémoire de l’ASFC contient également de la documentation sur le couteau Massdrop, apparemment trouvée sur Internet[19].

19.              Aucune des parties n’a déposé de témoignage d’expert.

20.              Conformément aux articles 25 et 25.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal a instruit l’appel sur la foi des pièces versées au dossier le 9 juillet 2019.

21.              À la demande du Tribunal, l’ASFC a remis le couteau Massdrop au Tribunal à l’audience pour lui permettre de l’inspecter. Le couteau Massdrop a par la suite été rendu à la garde de l’ASFC.

POSITIONS DES PARTIES À L’APPEL

M. Liu

22.              Selon M. Liu, le couteau Massdrop est de type « flipper »

23.              Un couteau de type « flipper » comporte un ergot sur la lame (le flipper). Une pression sur le flipper compense la tension qui maintient la lame repliée dans le manche et l’éjecte en position ouverte. Dans le cas du couteau Massdrop, ce mouvement est assisté par un système interne de roulement à billes dans le pivot du couteau. Ce système de roulement à billes facilite le déploiement de la lame et réduit l’usure des composantes du couteau.

24.              M. Liu explique que dans presque tous les couteaux pliants, une certaine résistance s’oppose à l’ouverture de la lame; il s’agit de la « force de maintien » [traduction] du couteau. Une fois la force de maintien surmontée, la résistance au déploiement diminue à mesure que la lame approche de son ouverture maximale, en position verrouillée. L’ouverture de n’importe quel couteau pliant exige une certaine pression manuelle, même si dans certains cas cette pression s’exerce sur un flipper ou un autre mécanisme, comme un ergot sur le côté de la lame ou un onglet, et doit être accompagnée d’une manipulation du couteau. Une fois la force de maintien compensée, un simple mouvement du poignet suffit à générer la force centrifuge nécessaire pour ouvrir complètement la lame et la verrouiller. Selon ce critère, M. Liu fait valoir que tous les couteaux pliants seraient considérés comme des armes prohibées.

25.              Dans le cas du couteau Massdrop, la force centrifuge d’un simple mouvement de poignet ne suffit pas à surmonter la force de maintien lorsque le couteau est fermé. M. Liu explique que ce modèle de couteau a une force de maintien particulièrement élevée qui empêche de l’ouvrir avec la force centrifuge d’un simple mouvement de poignet. M. Liu fait valoir que les couteaux prohibés « à ouverture assistée » [traduction] comportent un mécanisme dans le manche qui, une fois la force de maintien surmontée, pousse la lame en position ouverte ou verrouillée, et que la jurisprudence montre que ces mécanismes comportent un ou des ressorts, ou encore une barre de torsion.

26.              Il n’y a ni ressort ni barre de torsion dans le couteau Massdrop. Par ailleurs, M. Liu conteste la conclusion de l’ASFC selon laquelle le couteau Massdrop contient un système d’ouverture à roulement à billes qui permet le déploiement « rapide et facile » [traduction] de la lame. Selon lui, la fonction du roulement à billes est autre, soit réduire l’usure du pivot. M. Liu soutient qu’il est courant d’utiliser des rondelles de bronze phosphoreux pour réduire la friction exercée sur le pivot à l’ouverture d’un couteau, ce qui prévient l’usure et prolonge la vie utile du produit. Essentiellement, M. Liu soutient que le système de roulement à billes du couteau Massdrop est l’équivalent mécanique d’une rondelle favorisant le bon fonctionnement du couteau plutôt qu’un système permettant d’ouvrir et de verrouiller la lame rapidement.

27.              En résumé, M. Liu fait valoir que le couteau Massdrop se distingue, à la fois par sa fabrication, ses composantes et son mécanisme, des armes prohibées décrites dans les décisions antérieures auxquelles renvoie l’ASFC. On ouvre le couteau Massdrop en appuyant sur le flipper, qui fait partie de la lame, et non du manche. Le flipper ne permet pas d’ouvrir complètement le couteau. Une fois que la pression sur le flipper surmonte la force de maintien, aucun mécanisme interne, comme une barre de torsion ou un ressort, ne force l’ouverture de la lame.

ASFC

28.              Selon l’ASFC, M. Liu porte le fardeau de démontrer que le classement du couteau Massdrop comme arme prohibée par l’ASFC est incorrect. Elle soutient que M. Liu ne s’est pas acquitté de ce fardeau.

29.              L’ASFC résume le cadre législatif applicable et fait valoir que le couteau Massdrop tombe sous la définition d’une « arme prohibée » parce qu’il répond aux critères suivants :

a)   il s’agit d’un couteau, muni d’une lame;

b)   la lame du couteau « s’ouvre automatiquement par force centrifuge » [traduction];

c)   la lame s’ouvre automatiquement lorsqu’une pression manuelle est exercée sur un dispositif incorporé ou attaché au manche.

30.              L’ASFC insiste sur le fait que la définition d’une « arme prohibée » dans la loi ne fait aucunement référence à ses composantes ni à sa fabrication. Une arme qui s’ouvre automatiquement est une arme prohibée. Le mécanisme interne du couteau n’est pas pertinent.

31.              Selon l’ASFC, on considère qu’un couteau s’ouvre automatiquement dans la mesure où la force centrifuge produite par un mouvement rapide du poignet entraîne l’ouverture complète et le verrouillage de la lame. Cela s’applique même s’il est nécessaire d’effectuer une certaine manipulation préliminaire ou simultanée d’un ergot ou d’une autre partie de la lame.

32.              De plus, l’ASFC soutient qu’un couteau s’ouvre automatiquement s’il s’ouvre par pression manuelle sur un dispositif qui nécessite une manipulation minimale. L’ASFC fait valoir qu’il faut donner une interprétation large au mot « dispositif » [traduction], c’est-à-dire qu’un « dispositif » est un « objet destiné ou adapté à une fin particulière, surtout un appareil mécanique » [traduction]. Le flipper constitue un « dispositif », car il entraîne l’ouverture rapide du couteau Massdrop en activant le système de roulement à billes en cage.

33.              Selon l’ASFC, le couteau Massdrop satisfait à ces deux critères. Une légère pression sur le flipper entraîne « facilement » [traduction] l’ouverture complète et le verrouillage de la lame. Subsidiairement, l’ASFC soutient également que la lame atteint son ouverture complète et se verrouille lorsqu’une pression est exercée sur un dispositif, soit le flipper, et est accompagnée d’un mouvement rapide du poignet.

34.              En résumé, l’ASFC fait valoir que le couteau Massdrop est une arme prohibée car il peut être ouvert d’une seule main. En effet, le couteau Massdrop s’ouvre complètement et se verrouille, soit par un mouvement rapide du poignet, soit par une pression manuelle exercée sur un dispositif qui nécessite une manipulation minimale. Il doit donc être classé comme arme prohibée, peu importe son mécanisme ou sa fabrication.

ANALYSE

Cadre législatif

35.              La Loi sur les douanes et le Tarif des douanes régissent l’importation des marchandises au Canada. Les marchandises sont classées selon les instructions et les critères énoncés dans le Tarif des douanes et son annexe.

36.              Le Tarif des douanes est basé sur un système international, le Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (le Système harmonisé). Ce système se veut un moyen de rationaliser et d’harmoniser le classement des marchandises échangées dans le cadre du commerce international[20].

37.              Le Système harmonisé est un système à huit chiffres qui régit le classement des marchandises en vue de l’application du tarif douanier. Il figure en annexe au Tarif des douanes et procède du général au spécifique, soit des chapitres aux positions, sous-positions et numéros tarifaires.

38.              Dans le présent appel, il est question de déterminer si le classement du couteau Massdrop dans le numéro tarifaire 9898.00.00 par l’ASFC est correct.

39.              M. Liu interjette appel de la décision de l’ASFC aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes. Il ne fait aucun doute que M. Liu est une « personne qui s’estime lésée » par la décision de l’ASFC. Il revendique la propriété du couteau Massdrop et le droit de l’importer au Canada.

40.              Les Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur[21] prescrivent la procédure applicable aux appels interjetés conformément à l’article 67 de la Loi. En appel, l’appelant et l’intimé peuvent déposer de nouveaux documents, y compris des objets dont l’ASFC ne disposait pas en première instance. Les parties peuvent également présenter une preuve de fait ou appeler des experts à témoigner[22].

41.              Les appels devant le Tribunal sont instruits de novo, ce qui signifie que le Tribunal ne doit pas seulement examiner la décision de l’ASFC pour déterminer si elle est déraisonnable ou si elle présente des erreurs manifestes. Le Tribunal doit rendre sa propre décision sur le classement tarifaire approprié des marchandises. Pour ce faire, il lui est loisible de réexaminer le dossier, y compris de réévaluer les éléments de preuve dont disposait l’ASFC et de les apprécier à nouveau, ainsi que de prendre en considération les nouveaux éléments de preuve et les nouvelles observations déposées en appel, le cas échéant[23].

42.              Dans son analyse, le Tribunal doit déterminer, comme question de droit, le critère auquel doit satisfaire un article pour être classé dans le numéro tarifaire 9898.00.00. Le Tribunal doit ensuite déterminer, comme question de fait, si ce critère juridique est satisfait en fonction de la preuve.

43.              Aux termes de l’article 10 du Tarif des douanes, le classement des marchandises dans un numéro tarifaire est effectué, sauf indication contraire, en conformité avec les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé et les Règles canadiennes, lesquelles sont énoncées à l’annexe du Tarif des douanes. La règle générale 1 prévoit que le classement est d’abord déterminé seulement d’après les termes des positions et des notes de sections ou de chapitres.

44.              L’article 11 du Tarif des douanes donne des instructions pour le classement des marchandises, comme suit :

 Pour l’interprétation des positions et sous-positions, il est tenu compte du Recueil des Avis de classement du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises et des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises et de leurs modifications, publiés par le Conseil de coopération douanière (Organisation mondiale des douanes).

45.              Le Tribunal constate qu’aucune note de section ni de chapitre ne s’applique au classement tarifaire en cause. Il n’y a pas non plus de notes explicatives ni d’avis de classement pertinents de l’Organisation mondiale des douanes à prendre en considération.

46.              Le paragraphe 136(1) du Tarif des douanes interdit l’importation au Canada des marchandises classées dans le numéro tarifaire 9898.00.00, c’est-à-dire :

Armes à feu, armes prohibées, armes à autorisation restreinte, dispositifs prohibés, munitions prohibées et éléments ou pièces conçus exclusivement pour être utilisés dans la fabrication ou l’assemblage d’armes automatiques, désignés comme « marchandises prohibées » au présent numéro tarifaire [...]

47.              Le numéro tarifaire 9898.00.00 énonce aussi les dispositions suivantes :

Pour l’application du présent numéro tarifaire :

a) « arme » et « arme à feu » s’entendent au sens de l’article 2 du Code criminel;

b) « arme à autorisation restreinte », « arme à feu à autorisation restreinte », « arme à feu prohibée », « arme automatique », « arme prohibée », « dispositif prohibé », « munitions prohibées » et « permis » s’entendent au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel.

48.              Le Tarif des douanes renvoie donc le Tribunal aux dispositions de l’article 2 et du paragraphe 84(1) du Code criminel. Comme le tribunal doit procéder à une analyse de novo dans le présent appel, il doit déterminer lesquelles des définitions données à l’article 2 et au paragraphe 84(1) du Code criminel sont pertinentes.

49.              Comme le couteau Massdrop n’est manifestement pas une « arme à feu », la seule partie de l’article 2 du Code criminel qui pourrait être pertinente est la définition du terme « arme » :

arme Toute chose conçue, utilisée ou qu’une personne entend utiliser pour soit tuer ou blesser quelqu’un, soit le menacer ou l’intimider. Sont notamment visées par la présente définition les armes à feu et, pour l’application des articles 88, 267 et 272, toute chose conçue, utilisée ou qu’une personne entend utiliser pour attacher quelqu’un contre son gré. (weapon)

50.              En ce qui concerne le paragraphe 84(1) du Code criminel, le Tribunal constate que les définitions des termes « arme automatique », « permis », « munitions prohibées », « arme à feu prohibée » et « arme à feu à autorisation restreinte » ne sont pas pertinentes, car elles se rapportent toutes à des armes à feu. Restent comme termes potentiellement pertinents les suivants :

dispositif prohibé

a) Élément ou pièce d’une arme, ou accessoire destiné à être utilisé avec une arme, désignés comme tel par règlement;

b) canon d’une arme de poing, qui ne dépasse pas 105 mm de longueur, sauf celui désigné par règlement pour utilisation dans des compétitions sportives internationales régies par les règles de l’Union internationale de tir;

c) appareil ou dispositif propre ou destiné à amortir ou à étouffer le son ou la détonation d’une arme à feu;

d) chargeur désigné comme tel par règlement;

e) réplique. (prohibited device)

arme prohibée

a) Couteau dont la lame s’ouvre automatiquement par gravité ou force centrifuge ou par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche;

b) toute arme – qui n’est pas une arme à feu – désignée comme telle par règlement. (prohibited weapon)

arme à autorisation restreinte Toute arme – qui n’est pas une arme à feu – désignée comme telle par règlement. (restricted weapon)

51.              Chacun de ces termes renvoie, en partie, à des prescriptions désignant certaines armes ou certains articles comme « prohibés » ou « à autorisation restreinte ». Ces termes sont quant à eux décrits dans d’autres documents réglementaires ou législatifs, dont le Règlement désignant des armes à feu, armes, éléments ou pièces d’armes, accessoires, chargeurs, munitions et projectiles comme étant prohibés, à autorisation restreinte ou sans restriction (DORS/98-462).

52.              Toutefois, la première partie de la définition du terme « arme prohibée » est de toute évidence pertinente dans le cas du couteau Massdrop. De fait, il s’agit du fondement de la décision prise par l’ASFC de classer cet article dans le numéro tarifaire 9898.00.00.

53.              Par conséquent, le Tribunal déterminera en premier lieu si le couteau Massdrop constitue une « arme prohibée » aux termes de l’alinéa a) de la définition énoncée au paragraphe 84(1) du Code criminel. Si le couteau Massdrop répond à ces critères, il est correctement classé dans le numéro tarifaire 9898.00.00. Si le couteau ne répond pas à ces critères, le Tribunal devra déterminer si le couteau Massdrop constitue par ailleurs un « dispositif prohibé », une « arme prohibée » ou une « arme à autorisation restreinte », ce qui entraînerait son classement dans le numéro tarifaire 9898.00.00.

54.              Il est bien établi en droit qu’un couteau constitue une « arme prohibée » aux termes du paragraphe 84(1) du Code criminel si la lame du couteau s’ouvre automatiquement d’une ou l’autre des façons suivantes : 1) par gravité ou force centrifuge; 2) par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou un autre dispositif incorporé ou attaché au manche[24].

55.              Le paragraphe 84(1) ne donne pas de définition du terme « automatiquement ». Toutefois, selon la jurisprudence, l’intention derrière ce paragraphe du Code criminel est d’interdire la possession et l’utilisation de couteaux qui peuvent facilement servir d’arme en raison de leur ouverture rapide :

À notre avis, l’interdiction de posséder des couteaux dont la lame s’ouvre par force centrifuge vise à prévenir la possession de couteaux dont la lame, par pression sur un bouton ou par mouvement rapide, s’ouvre immédiatement, ce qui permet d’utiliser le couteau comme arme[25].

[Traduction]

56.              Dans le contexte du paragraphe 84(1), le Tribunal a précédemment considéré que le terme « automatiquement » signifie « de manière essentiellement ou entièrement involontaire ». Toutefois, il a aussi considéré que ce terme n’excluait pas une certaine intervention humaine :

46.   Le Tribunal accepte que dans le contexte du paragraphe 84(1) du Code criminel, le mot « automatiquement » signifie « de manière essentiellement ou entièrement involontaire », comme le suggère l’ASFC. Par conséquent, le Tribunal conclut que la nécessité d’un minimum de manipulations n’enlève pas forcément le caractère automatique de l’ouverture de la lame.

47.   D’ailleurs il est évident à la lecture de la disposition que le mot « automatiquement » ne peut signifier sans aucune intervention humaine. La disposition vise un couteau dont la lame s’ouvre « automatiquement » à la suite d’une pression manuelle. Cela nécessite forcément un degré d’intervention humaine.

48.   Cette conclusion est cohérente avec la décision de la Cour suprême du Canada dans R. c. Vaughan, qui étaye la position selon laquelle des manipulations supplémentaires n’empêcheront pas un couteau d’être une « arme prohibée ». Dans cette affaire, le Cour suprême a accepté qu’un couteau qui s’ouvrait par force centrifuge, mais qui nécessitait aussi que l’utilisateur enlève le cran de sécurité et modifie sa tenue du couteau avec une certaine dextérité, constituait une « arme prohibée » au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel.[26]

[Notes omises]

57.              Dans ces décisions, il a été établi de manière définitive qu’un mouvement rapide du poignet entraînant l’ouverture automatique du couteau correspond à la « force centrifuge ». Comme susmentionné, un couteau s’ouvre « automatiquement » lorsqu’une manipulation humaine minimale fait inévitablement en sorte, du fait de simples principes physiques, d’exposer la lame et de la rendre prête à l’utilisation. Un mouvement rapide du poignet n’est pas la seule manière d’ouvrir automatiquement un couteau par force centrifuge; n’importe quelle manipulation minimale produisant le même résultat répond à ce critère[27].

58.              Dans des décisions antérieures, le Tribunal a accueilli et adopté des définitions tirées de dictionnaires pour certains termes utilisés dans le paragraphe 84(1) :

Le Canadian Oxford Dictionary définit le mot « button » (bouton) comme une « protubérance sur une pièce mécanique ou électronique sur laquelle on appuie pour qu’elle exécute une fonction particulière » [traduction]. Il définit également le mot « spring » (ressort) comme un « dispositif élastique généralement en métal plié ou spiralé ayant la capacité de reprendre sa forme initiale lors du retrait de la force ou de la pression [...] » [traduction] et le mot « device » (dispositif) comme un « objet destiné ou adapté à une fin particulière, surtout un appareil mécanique » [traduction][28].

Selon le Merriam-Webster’s Collegiate Dictionary, « device » (dispositif) s’entend de ce qui suit : « f : pièce d’équipement ou mécanisme conçu à une fin déterminée ou pour remplir une fonction particulière » [traduction].

Selon le Canadian Oxford Dictionary, « device » (dispositif) s’entend d’un « objet fabriqué ou adapté à une fin particulière, en particulier un assemblage mécanique » [traduction].[29]

[Notes omises]

59.              Il convient de souligner que les critères pour l’interdiction de certains types de couteaux se rapportent uniquement aux caractéristiques du couteau en question; ils ne dépendent en rien des intentions ni de la bonne foi de la personne cherchant à l’importer. Dans la mesure où un couteau possède des caractéristiques ou un mode de fonctionnement visés au paragraphe 84(1) du Code criminel, il s’agit d’un article interdit d’importation au Canada[30], même si l’importateur agit de bonne foi et sans aucune intention criminelle.

60.              Compte tenu de ce qui précède, la question que doit trancher le Tribunal est de savoir si, selon la preuve, les caractéristiques et le fonctionnement du couteau Massdrop satisfont aux critères susmentionnés, ce qui en ferait légalement une « arme prohibée ».

61.              Comme aucune des parties n’a déposé de rapport d’expert ni d’élément de preuve illustrant le fonctionnement du couteau Massdrop, le Tribunal a procédé à son propre examen de l’objet.

62.              Le couteau Massdrop est un couteau pliant composé d’une lame et d’un manche. Un pivot sert d’articulation entre le manche et une extrémité de la lame. Lorsque le couteau est fermé, le tranchant de la lame est retenu dans une fente ménagée dans la partie inférieure du manche.

63.              Pour s’ouvrir, la lame tourne autour de l’axe du pivot. En position fermée, la lame est nichée dans le manche, tranchant vers le bas, et maintenue en place par une butée. La soie de la lame (partie non tranchante) comprend une indentation qui se termine par une saillie côtelée, le flipper. Une légère pression descendante de l’index sur le flipper libère la lame du manche. La lame s’ouvre ainsi en décrivant une rotation autour de l’axe du pivot, de sorte que la pointe parcourt un arc d’environ 180 degrés pour passer de la position fermée à la position d’ouverture complète.

64.              L’ouverture du couteau expose le tranchant de la lame, qui devient utilisable. Une fois la lame en position d’ouverture maximale, un mécanisme de verrouillage la tient fermement en place. Pour fermer le couteau, il faut exercer une pression pour faire tourner la lame autour de l’axe du pivot en direction de la fente du manche. Une fois le couteau replié, une légère pression latérale doit être exercée sur le dos de la lame pour engager la butée afin qu’elle maintienne la lame en place, entièrement et solidement emboîtée dans le manche.

65.              Le Tribunal a procédé à un certain nombre de tests afin de déterminer si le couteau Massdrop « s’ouvre automatiquement par gravité ou par force centrifuge ou par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche ». Le Tribunal n’a pas démonté le couteau pour ce faire. Il est bien établi en droit que les marchandises doivent, aux fins du classement tarifaire, être évaluées dans leur état au moment de l’importation[31].

66.              Le Tribunal conclut que le couteau Massdrop ne s’ouvre pas simplement par effet de gravité. Une certaine intervention humaine est nécessaire pour surmonter la force de maintien et entraîner l’ouverture de la lame lorsque cette dernière est en position verrouillée dans le manche du couteau replié. Par contre, le Tribunal constate que le couteau Massdrop s’ouvre par force centrifuge ou, subsidiairement, par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche.

67.              Dans un premier test, le couteau fermé est tenu dans une main, la lame (dans le manche) perpendiculaire à une table. Une pression du doigt sur le flipper ouvre la lame, qui se déploie vers le haut (contre la gravité) jusqu’à environ 75 % de son ouverture maximale (c’est-à-dire que la pointe de la lame parcourt un arc de 130 à 150 degrés environ). Un mouvement rapide et facile du poignet suffit à amener la lame en position d’ouverture maximale et à la verrouiller.

68.              Le deuxième test est une répétition du premier avec une légère variation de la position de départ. Le couteau est tenu dans une main, mais de telle façon que la lame fermée se situe à un angle d’environ 45 degrés par rapport à la table. Une fois la pression manuelle exercée sur le flipper, la lame quitte rapidement la position fermée et s’ouvre vers le haut jusqu’à environ 75 % de son ouverture maximale (c’est-à-dire que la pointe de la lame parcourt un arc d’environ 140 à 150 degrés). Il suffit d’une manipulation rapide et minimale (un mouvement rapide du poignet) pour que la lame atteigne la position d’ouverture maximale et se verrouille.

69.              Dans le troisième test, le couteau Massdrop est tenu dans une main, la lame repliée plus ou moins parallèle à la table. Après une pression sur le flipper, la lame s’ouvre rapidement jusqu’à sa position d’ouverture maximale et se verrouille. La répétition du test donne le même résultat dans quatre des cinq tentatives. L’unique fois où la lame ne décrit pas son arc maximal de 180 degrés, un simple mouvement du poignet suffit à la faire passer de sa position d’ouverture partielle (environ 140 à 150 degrés) à sa position d’ouverture maximale (180 degrés).

70.              Un quatrième test est effectué debout. Le couteau Massdrop est tenu dans une main, parallèlement au plancher, le côté où est repliée la lame vers l’utilisateur. La pression sur le flipper entraîne le relâchement rapide de la butée et la lame s’ouvre en parcourant un arc en direction opposée du corps de l’utilisateur, jusqu’à ce qu’elle s’ouvre complètement et se verrouille. Le même résultat est obtenu dans quatre de cinq tentatives. Comme dans les tests précédents, l’unique fois où la lame ne s’ouvre pas complètement, elle a déjà décrit une bonne partie de son arc et une manipulation minimale suffit pour lui faire compléter sa rotation. Le test est répété en changeant la position du couteau pour que la lame repliée soit placée du côté éloigné de l’utilisateur, avec les mêmes résultats : la lame atteint facilement son ouverture maximale et se verrouille dans quatre tentatives sur cinq, et une manipulation minime suffit à l’ouvrir complètement dans la tentative restante.

71.              Ainsi, dans chacun des tests, il était possible d’ouvrir le couteau Massdrop replié en n’exerçant qu’une légère pression sur le flipper et/ou en n’effectuant qu’une manipulation minimale pour compléter l’ouverture de la lame. Il semble que la résistance de la butée qui verrouille la lame en position repliée crée une tension ou de l’énergie potentielle mécanique[32]. Une fois cette tension relâchée par pression sur le flipper, elle est convertie en suffisamment d’énergie cinétique pour faire pivoter la lame autour de son axe et l’ouvrir complètement[33] ou partiellement[34].

72.              Au regard de ce qui précède, le Tribunal conclut que le couteau Massdrop s’ouvre « automatiquement » par force centrifuge. Selon la définition du dictionnaire Merriam-Webster, la « force centrifuge » [traduction] est « la force apparente subie par un objet en rotation qui l’entraîne vers l’extérieur du centre de rotation »[35] [traduction]. Cette définition correspond au mouvement de la lame du couteau Massdrop quand elle pivote de sa position fermée à sa position ouverte. Même si cette description pourrait aussi s’appliquer à un couteau pliant dont l’ouverture ne repose que sur la manipulation, c’est l’aspect automatique de l’ouverture qui distingue une arme prohibée. Une fois l’ouverture déclenchée par un mécanisme ou une manipulation simple, la lame d’un couteau prohibé s’ouvre rapidement et inévitablement. Par conséquent, c’est le mode de fonctionnement du couteau qui est déterminant, et non ses composantes, sa fabrication ou sa mécanique interne[36].

73.              Dans le cas du couteau Massdrop, la pression manuelle initiale sur le flipper déclenche l’ouverture complète de la lame, ou son ouverture substantielle, à partir de laquelle une manipulation simple et minimale (mouvement rapide du poignet) suffit à compléter l’ouverture de la lame et à la rendre utilisable. Cela satisfait au critère de l’ouverture automatique d’un couteau par force centrifuge[37].

74.              Subsidiairement, le Tribunal est aussi d’avis que le couteau Massdrop s’ouvre automatiquement par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche.

75.              M. Liu fait valoir que le flipper ne peut pas constituer un « bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche » puisqu’il fait partie de la lame et n’est donc pas « incorporé ou attaché au manche ».

76.              Dans son interprétation et son application de la définition légale du terme « arme prohibée », le Tribunal a toujours tenu compte du principe selon lequel il faut donner aux textes de loi une interprétation téléologique :

54.   [...] Selon la règle moderne d’interprétation des lois, « [...] il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur ». Selon la jurisprudence, le paragraphe 84(1) a pour objet d’interdire les couteaux qui peuvent être dissimulés facilement et déployés rapidement. [...][38]

[Notes omises]

77.              Ainsi, lorsqu’il s’agit de déterminer si un couteau comporte « un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche », la considération critique demeure de savoir si le couteau s’ouvre automatiquement ou non. Le raisonnement du Tribunal dans La Sagesse de l’Eau est pertinent :

51.   [...] [L]e Tribunal est convaincu que la pression sur les dispositifs incorporés au manche des couteaux libère rapidement la lame. Les manipulations que doit effectuer l’utilisateur pour activer le mécanisme d’ouverture assistée des couteaux en cause semblent minimales dans l’ensemble. Le Tribunal constate que lorsque l’utilisateur appuie sur le dispositif, la quasi-totalité du déplacement de la lame est effectuée par le mécanisme interne et non par pression manuelle. En outre, dans le cas des deux couteaux, une fois que la lame est mise en mouvement par la pression initiale, elle ne s’arrête pas avant d’être complètement ouverte; aucune autre manipulation n’est nécessaire de la part de l’utilisateur.

52.   En ce qui a trait à l’argument technique de SDL selon lequel l’ouverture de la lame des couteaux en cause ne peut être considérée comme « automatique » étant donné que la lame doit d’abord être dépliée manuellement jusqu’au point où elle dépasse sa tendance à demeurer fermée, le Tribunal constate que la législation ne prévoit rien au sujet de la mécanique interne du couteau. Comme indiqué précédemment, l’exigence relative au caractère automatique semble signifier que la lame du couteau s’ouvre au moyen d’une manipulation minimale qui résulte, en l’espèce, d’une pression manuelle sur un « dispositif ». Le sens du mot « dispositif » est large et, en autant que les manipulations requises demeurent minimales, la mécanique interne du couteau n’importe pas. Pour cette raison, le fait qu’une petite portion du parcours de la lame soit effectuée manuellement et le fait que les couteaux en cause aient initialement « tendance à demeurer fermés » ne sont pas pertinents.

78.              Une composante du couteau dont la fonction est de faciliter l’ouverture rapide du couteau peut être considérée comme « un bouton, un ressort ou autre dispositif » aux termes du paragraphe 84(1) même si elle agit, directement ou indirectement, en combinaison avec d’autres composantes pour ouvrir automatiquement le couteau[39].

79.              Dans le cas du couteau Massdrop, l’objet du flipper est de faciliter l’ouverture de la lame. Comme susmentionné, une fois une pression manuelle exercée sur le flipper, la butée relâche la lame et l’ouvre avec un effet de ressort. Il s’agit de l’équivalent fonctionnel d’un « bouton » et cela correspond à la définition du terme « bouton » déjà acceptée par le Tribunal[40].

80.              Subsidiairement, le Tribunal est d’avis que le flipper est un « dispositif » aux termes de l’alinéa 84(1)a) du Code criminel. Cette conclusion s’appuie sur l’interprétation téléologique large faite du terme « dispositif » dans des décisions antérieures[41].

81.              Selon M. Liu, le flipper ne peut pas constituer un « dispositif », car il n’est pas « incorporé ou attaché au manche ». Toutefois, le flipper interagit mécaniquement avec la butée, qui est située dans le manche. La butée sert à verrouiller la lame dans le manche en position fermée.

82.              Dans Knife & Key Corner, le Tribunal a conclu qu’une protubérance de la lame était nécessairement « attachée » au manche, car cette protubérance servait à déclencher un ressort ou une barre de torsion située dans le manche, entraînant l’ouverture automatique du couteau. Ce fonctionnement est semblable à celui du couteau Massdrop visé par le présent appel.

83.              Les décisions antérieures pertinentes ont ceci en commun[42] que les couteaux visés s’ouvrent automatiquement pour un déploiement rapide et facile avec une manipulation minimale. Nonobstant la qualité des arguments présentés par M. Liu, le couteau Massdrop ne peut se distinguer de ces autres couteaux uniquement par l’absence d’un ressort ou d’une barre de torsion à proprement parler. Le couteau Massdrop a recours à un équivalent mécanique qui fonctionne de la même façon que les couteaux en question dans Knife & Key Corner, La Sagesse de l’Eau, et Laplante. Ce n’est pas la fabrication du couteau, mais plutôt les caractéristiques fonctionnelles en résultant (l’ouverture automatique) qui permet de trancher, compte tenu du libellé explicite du paragraphe 84(1) et de l’intention sous-jacente.

Classement applicable

84.              Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclut que le couteau Massdrop est une « arme prohibée » aux termes du paragraphe 84(1) du Code criminel. Par conséquent, le Tribunal n’a pas à déterminer si le couteau Massdrop est aussi ou subsidiairement un dispositif prohibé, une arme prohibée ou une arme à utilisation restreinte au sens de la loi.

85.              En conséquence, le Tribunal conclut que le couteau Massdrop est correctement classé dans le numéro tarifaire 9898.00.00 du Tarif des douanes.

86.              Le libellé du numéro tarifaire 9898.00.00 prévoit certaines exemptions et exceptions. Les articles classés dans le numéro tarifaire 9898.00.00 peuvent néanmoins être importés sous certaines conditions, par exemple lorsque l’importateur est un fonctionnaire public, un policier ou un membre des Forces canadiennes dans le cadre de ses fonctions. Aucune des parties n’a mentionné qu’une exception ou une exemption prévue au numéro tarifaire s’appliquait, et rien dans le dossier devant le Tribunal ne laisse entendre qu’une exception ou une exemption s’appliquerait dans les circonstances.

DÉCISION

87.              L’appel est rejeté pour l’ensemble des motifs susmentionnés.




Susan D. Beaubien                 
Susan D. Beaubien
Membre présidant



 



[1]      Pièce AP-2018-058-08, p. 17, vol. 1.

[2]      L.R.C. 1985, ch. C-46.

[3]      L.C. 1997, ch. 36; mémoire de l’intimé, pièce 8, p. 17-18.

[4]      Pièce AP-2018-058-08, p. 19, vol. 1.

[5]      Pièce AP-2018-058-05, p. 5, vol. 1.

[6]      Pièce AP-2018-058-01, vol. 1.

[7]      Pièce AP-2018-058-05, p. 5, vol. 1.

[8]      Pièce AP-2018-058-08, p. 21, vol. 1.

[9]      Pièce AP-2018-058-08, p. 3, vol. 1.

[10]     Pièce AP-2018-058-08, p. 4, 17, vol. 1.

[11]     Pièce AP-2018-058-08, p. 19, vol. 1.

[12]     Pièce AP-2018-058-08, p. 19, vol. 1.

[13]     Pièce AP-2018-058-01, p. 3, vol. 1.

[14]     Pièce AP-2018-058-01, p. 1, vol. 1.

[15]     Pièce AP-2018-058-05, p. 1, vol. 1.

[16]     Pièce AP-2018-058-08, p. 1, vol. 1.

[17]     Pièce AP-2018-058-08, p. 17, vol. 1.

[18]     Pièce AP-2018-058-08, p. 19-23, vol. 1.

[19]     Un hyperlien (URL) figure au bas de chaque page. Voir pièce AP-2018-058-08, p. 24-34, vol. 1.

[20]     Canada (Procureur général) c. Suzuki Canada Inc., 2004 CAF 131, aux par. 4-5.

[21]     DORS/91-499 [Règles].

[22].    Partie II des Règles.

[23]     Danson Décor Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (6 septembre 2019), AP‑2018‑043 (TCCE), aux par. 82-93.

[24]     Par exemple Knife & Key Corner Ltd. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (14 septembre 2015), AP-2014-030 (TCCE) [Knife & Key Corner] au par. 20.

[25]     R. v. Archer, 1983 CanLII 3510 (ON CA), 6 C.C.C. (3d) 129 à la p. 132, tel que cité dans R. c. Vaughan 60 C.C.C. (3d) 87, 1990 CanLII 3059 (QC CA); confirmé [1991] 3 RCS 691 (CSC).

[26]     La Sagesse de l’Eau c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (13 novembre 2012), AP-2011-040 et AP-2011-041 (TCCE) [La Sagesse de l’Eau].

[27]     T. Laplante c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (16 novembre 2017), AP-2017-012 (TCCE) [Laplante] aux par. 25-28.

[28]     La Sagesse de l’Eau au par. 41.

[29]     Knife & Key Corner aux par. 30-31.

[30]     En conséquence du classement dans le numéro tarifaire 9898.00.00 et par application de l’article 136 de la Loi sur les douanes.

[31]     Tiffany Woodworth c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (11 septembre 2007), AP-2006-035 (TCCE) au par. 21.

[32]     Par ailleurs, la documentation se rapportant au couteau Massdrop vante les « propriétés élastiques » du titane et dit que celui-ci permet « un mécanisme frame lock sécuritaire et fiable, qu’il est presque impossible de déclencher accidentellement », voir pièce 8, p. 27.

[33]     C’est-à-dire que la pointe de la lame décrit son arc complet de 180 degrés pour passer de la position fermée à la position complètement ouverte et verrouillée.

[34]     C’est-à-dire que la pointe de la lame parcourt une bonne partie, mais pas la totalité, de l’arc de 180 degrés nécessaire pour s’ouvrir complètement et se verrouiller depuis la position fermée. La pointe de la lame s’arrête après une rotation de 130 à 150 degrés à partir de sa position de départ, lame fermée et verrouillée.

[35]     https://www.merriam-webster.com/dictionary/centrifugal%20force; les cours et les tribunaux ont loisir de prendre connaissance d’office de définitions pertinentes dans des dictionnaires publiés sous format électronique et accessibles en ligne. Voir R. c. Krymowski, 2005 CSC 7 aux par. 22-24; Envirodrive Inc. v. 836442 Alberta Ltd., 2005 ABQB 446 au par. 53.

[36]     La Sagesse de l’Eau au par. 52; Laplante aux par. 29-31.

[37]     Voir par exemple Digital Canoe Inc. c Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (12 juillet 2006), AP-2004-047 (TCCE).

[38]     La Sagesse de l’Eau au par. 54.

[39]     Par exemple Knife & Key Corner aux par. 38-31; La Sagesse de l’Eau aux par. 40-45.

[40]     Voir par. 58 plus haut.

[41]     Par exemple Knife & Key Corner aux par. 30-39; La Sagesse de l’Eau au par. 42.

[42]     C’est-à-dire Knife & Key Corner, La Sagesse de l’Eau, Laplante et les causes citées dans le présent exposé des motifs.

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