Appels en matière de douanes et d’accise

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Contenu de la décision

Appel no AP-2018-065

Casa Cubana (Spike Marks Inc.)

c.

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Décision rendue
le mercredi 19 février 2020

 

Motifs rendus
le mardi 10 mars 2020

 

 



EU ÉGARD À un appel entendu le 22 octobre 2019 aux termes de l’article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 17 janvier 2019 concernant une demande de révision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

CASA CUBANA (SPIKE MARKS INC.)

Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est accueilli.

Serge Fréchette

Serge Fréchette
Membre présidant

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.


 

Lieu de l’audience :

Ottawa, Ontario

Date de l’audience :

le 22 octobre 2019

Membre du Tribunal :

Serge Fréchette, membre présidant

Personnel de soutien :

Martin Goyette, conseiller juridique

Kalyn Eadie, conseillère juridique
Jessye Kilburn, stagiaire en droit

PARTICIPANTS :

Appelante

Conseillers/représentants

Casa Cubana (Spike Marks Inc.)

Paul Ryan
Félix St-Vincent-Gagné

Intimé

Conseillers/représentants

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

David Di Sante
Luc Vaillancourt

TÉMOINS :

Jacques Renaud
Vice-président, Directeur général
Casa Cubana (Spike Marks Inc.)

Abel Gonzalez Ortego
Spécialiste du cigare premium
Casa Cubana (Spike Marks Inc.)

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

INTRODUCTION

[1]  Le présent appel a été interjeté par Spike Marks Inc., faisant affaire sous le nom de Casa Cubana (ci-après « Casa Cubana ») auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes [1] contre une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) le 17 janvier 2019 aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi.

[2]  Les marchandises en cause sont des cigares cubains, importés entre décembre 2012 et avril 2014. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si certains versements effectués par Casa Cubana à des « intermédiaires » doivent être inclus dans la valeur en douane des marchandises en cause.

[3]  Ces intermédiaires devaient trouver des sources d’approvisionnement en cigares cubains pour Casa Cubana sur le « marché gris », hors des canaux de distribution autorisés par le gouvernement cubain. De plus, les intermédiaires devaient organiser la transaction et l’expédition des marchandises, lesquelles se faisaient par le biais de magasins hors taxes. Ils inspectaient aussi les marchandises avant leur expédition à Casa Cubana. En contrepartie de ces services, Casa Cubana versait à chaque intermédiaire une somme fixe mensuelle.

[4]  Pour les motifs ci-dessous, le Tribunal conclut que les versements de l’appelante aux intermédiaires ne doivent pas être inclus dans la valeur en douane. L’appel est donc accueilli.

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

[5]  Le 11 décembre 2014, l’ASFC a avisé l’appelante qu’elle avait été sélectionnée pour une vérification en vertu du paragraphe 42(2) et de l’article 42.01 de la Loi [2] . Le 25 août 2016, l’ASFC a rendu son rapport final de vérification [3] . Dans son rapport, l’ASFC soulevait plusieurs questions concernant la valeur en douane des marchandises en cause. La seule question pertinente aux fins du présent appel est celle de l’inclusion des versements aux intermédiaires. Sur ce point, l’ASFC concluait que les versements de Casa Cubana aux intermédiaires devaient être ajoutés au prix payé ou à payer ajusté des marchandises en application du sous-alinéa 48(5)a)(i) de la Loi [4] .

[6]  Le 6 juin 2017, Casa Cubana a demandé un réexamen en vertu du paragraphe 60(1) de la Loi.

[7]  Suite à la demande de réexamen de Casa Cubana, l’ASFC a confirmé le 17 janvier 2019 sa décision que les versements aux intermédiaires devaient être inclus dans la valeur en douane des cigares, car ils n’étaient pas exemptés à titre de frais payés par l’acheteur à son mandataire à l’étranger à l’occasion de la vente [5] .

[8]  L’ASFC a conclu que les quelques renseignements au dossier concernant les intermédiaires suggéraient que ceux-ci agissaient comme intermédiaires ou courtiers, et non pas comme des mandataires de Casa Cubana. Par conséquent, aux fins du calcul des droits de douane dû par l’appelante, l’ASFC a ajouté le montant total des versements aux intermédiaires pendant la période concernée à la valeur totale ajustée des importations pendant cette période.

[9]  Le 22 février 2019, Casa Cubana a interjeté le présent appel en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi.

[10]  Le Tribunal a tenu une audience le 22 octobre 2019. Deux employés de Casa Cubana, MM. Jacques Renaud et Abel Ortego, ont témoigné.

CADRE LÉGISLATIF

[11]  Aux termes de l’article 44 de la Loi, une valeur doit être attribuée aux marchandises importées au Canada afin de déterminer les droits d’importation applicables. L’article 46 de la Loi précise que la valeur en douane des marchandises importées est déterminée conformément aux articles 47 à 55 de la Loi.

[12]  La Loi prescrit différentes méthodes de calcul de la valeur en douane. Le paragraphe 47(1) de la Loi prévoit que la valeur transactionnelle doit être utilisée en premier lieu. Ce paragraphe stipule ce que suit :

 (1) La valeur en douane des marchandises est déterminée d’après leur valeur transactionnelle dans les conditions prévues à l’article 48.

 (1) The value for duty of goods shall be appraised on the basis of the transaction value of the goods in accordance with the conditions set out in section 48.

[13]  Le paragraphe 48(1), quant à lui, prévoit que « la valeur en douane des marchandises est leur valeur transactionnelle [...] si le prix payé ou à payer est déterminable », et le paragraphe 48(4) prévoit que « la valeur transactionnelle est le prix payé ou à payer, ajusté conformément au paragraphe (5) » :

Valeur transactionnelle servant de base principale d’appréciation

48 (1) Sous réserve des paragraphes (6) et (7), la valeur en douane des marchandises est leur valeur transactionnelle si elles sont vendues pour exportation au Canada à un acheteur au Canada, si le prix payé ou à payer est déterminable et si les conditions suivantes sont réunies [...]

[...]

Détermination de la valeur transactionnelle

(4) Dans le cas d’une vente de marchandises pour exportation au Canada, la valeur transactionnelle est le prix payé ou à payer, ajusté conformément au paragraphe (5).

Transaction value as primary basis of appraisal

48 (1) Subject to subsections (6) and (7), the value for duty of goods is the transaction value of the goods if the goods are sold for export to Canada to a purchaser in Canada and the price paid or payable for the goods can be determined and if . . . 

 . . . 

Determination of transaction value

(4) The transaction value of goods shall be determined by ascertaining the price paid or payable for the goods when the goods are sold for export to Canada and adjusting the price paid or payable in accordance with subsection (5).

[14]  Le « prix payé ou à payer » est, quant à lui, défini comme suit au paragraphe 45(1) de la Loi :

45 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article et aux articles 46 à 55 [...]

prix payé ou à payerEn cas de vente de marchandises pour exportation au Canada, la somme de tous les versements effectués ou à effectuer par l’acheteur directement ou indirectement au vendeur ou à son profit, en paiement des marchandises. (price paid or payable)

45 (1) In this section and sections 46 to 55 . . .

price paid or payable, in respect of the sale of goods for export to Canada, means the aggregate of all payments made or to be made, directly or indirectly, in respect of the goods by the purchaser to or for the benefit of the vendor; (prix payé ou à payer)

[15]  Le paragraphe 48(5) prévoit différents ajustements qui doivent être apportés au « prix payé ou à payer » afin de déterminer la valeur transactionnelle et, ainsi, la valeur en douane. Le présent appel ne concerne que l’ajustement prévu au sous-alinéa 48(5)a)(i), lequel stipule ce qui suit :

(5) Dans le cas d’une vente de marchandises pour exportation au Canada, le prix payé ou à payer est ajusté :

a) par addition, dans la mesure où ils n’y ont pas déjà été inclus, des montants représentant :

(i) les commissions et les frais de courtage relatifs aux marchandises et supportés par l’acheteur, à l’exclusion des honoraires versés ou à verser par celui-ci à son mandataire à l’étranger à l’occasion de la vente

(5) The price paid or payable in the sale of goods for export to Canada shall be adjusted

(a) by adding thereto amounts, to the extent that each such amount is not already included in the price paid or payable for the goods, equal to

(i) commissions and brokerage in respect of the goods incurred by the purchaser thereof, other than fees paid or payable by the purchaser to his agent for the service of representing the purchaser abroad in respect of the sale

POSITIONS DES PARTIES

[16]  L’appelante soumet que les versements aux intermédiaires doivent bénéficier de l’exception prévue au sous-alinéa 48(5)a)(i) de la Loi en tant qu’« honoraires versés ou à verser par [l’acheteur] à son mandataire à l’étranger à l’occasion de la vente ».

[17]  L’appelante plaide également que le sous-alinéa 48(5)a)(i) ne trouve pas application en l’espèce. Selon l’appelante, le sous-alinéa 48(5)a)(i) s’applique « vente par vente » plutôt que de s’appliquer de façon globale à toutes les importations faites par un importateur pendant une période donnée et un lien doit être établi entre les versements en question et une ou des ventes spécifiques. Comme en l’espèce l’appelante versait une somme forfaitaire mensuelle à chaque intermédiaire, les versements n’étaient pas associés à une ou des transactions spécifiques. Ils ne constituent donc pas des « commissions ou frais de courtage » au sens du sous-alinéa 48(5)a)(i) de la Loi [6] .

[18]  L’ASFC plaide que les intermédiaires remplissaient le rôle de courtiers entre l’appelante et les fournisseurs étrangers et que l’appelante ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve de démontrer que les intermédiaires agissaient comme ses mandataires. Par conséquent, soutient l’ASFC, les versements aux intermédiaires sont des « frais de courtage relatifs aux marchandises » qui doivent être ajoutés au prix payé ou à payer ajusté des marchandises conformément au sous-paragraphe 48(5)a)(i) de la Loi.

[19]  De façon subsidiaire, l’ASFC fait valoir que les versements aux intermédiaires doivent être inclus dans le prix payé ou à payer, tel que défini au paragraphe 45(1) de la Loi, en tant que versements indirectement au profit des vendeurs, puisqu’ils permettaient à ceux-ci d’écouler leurs inventaires excédentaires.

ANALYSE DU TRIBUNAL

Questions en litige

[20]  Le présent appel soulève deux questions :

(a)  Les versements effectués par Casa Cubana à certains « intermédiaires » doivent-ils être ajoutés au « prix payé ou à payer » ajusté par application du sous-alinéa 48(5)a)(i) de la Loi?

(b)  Les versements effectués par Casa Cubana aux « intermédiaires » font-ils partie du « prix payé ou à payer », tel que défini au paragraphe 45(1) de la Loi?

Faits pertinents

Le « marché gris » des cigares cubains

[21]  Pendant la période en question (entre décembre 2012 et avril 2014), l’activité principale de Casa Cubana était la distribution de cigares cubains.

[22]  Selon la preuve présentée par les parties, Habanos S.A. (« Habanos »), une entreprise détenue par le gouvernement cubain, détient (et détenait au moment des faits) un monopole sur la distribution des cigares cubains à travers le monde. Habanos distribue ses cigares au moyen d’un réseau de grossistes affiliés établis dans plusieurs pays et qui font affaire sous le nom de « Havana House ». Ces Havana House sont, selon la preuve, habituellement détenus en partie par Habanos et en partie par un partenaire local [7] . Les distributeurs locaux tels Casa Cubana [8] ne peuvent s’approvisionner en cigares cubains qu’auprès du Havana House établi dans leur pays, Habanos interdisant aux différents Havana House de vendre des cigares cubains à un acheteur se trouvant dans un autre pays, particulièrement un pays où un autre Havana House est présent [9] . Au Canada, le grossiste affilié à Habanos est Havana House Toronto.

[23]  La relation d’affaires entre Casa Cubana et Havana House Toronto s’est détériorée au fil des ans pour des raisons qui ne revêtent pas d’importance pour le présent appel. Havana House Toronto a cessé d’approvisionner Casa Cubana en cigares cubains en 2007 [10] . Les témoins de Casa Cubana ont expliqué que cet événement a finalement mené Casa Cubana, une fois qu’elle eut épuisé ses inventaires, à utiliser des intermédiaires afin de trouver d’autres sources de cigares cubains hors des canaux de distribution autorisés par le gouvernement cubain, sur le « marché gris » [11] .

[24]  Casa Cubana a retenu les services de ces intermédiaires pour faciliter l’achat des cigares sur ce marché gris de 2012 à 2014. Plus précisément, le rôle des intermédiaires était de trouver des Havana House à l’extérieur du Canada qui avaient des stocks de cigares excédentaires et étaient disposés à vendre ces stocks excédentaires à Casa Cubana. Les intermédiaires s’occupaient aussi d’organiser la transaction et la logistique pour l’expédition des marchandises à l’appelante [12] .

[25]  Les ventes devaient se faire discrètement du fait des risques auxquels s’exposaient les fournisseurs, les Havana House impliqués dans les transactions risquant de perdre leur licence de Habanos si cette dernière apprenait qu’ils contournaient son interdiction d’exporter des cigares vers d’autres marchés [13] . Pour cette raison, les intermédiaires ne divulguaient pas à Casa Cubana de quel Havana House les stocks de cigares achetés sur le marché gris provenaient, et la vente transitait par un magasin hors taxes afin de protéger l’identité des Havana House impliqués [14] .

[26]  M. Ortego, un employé de Casa Cubana, a témoigné que Casa Cubana a retenu les services des intermédiaires parce que les individus en question avaient la confiance des fournisseurs (Havana House étrangers) et parce qu’ils pouvaient rassurer ces fournisseurs que Casa Cubana était un acheteur sérieux. Selon M. Ortego, les intermédiaires s’exposaient aussi à des risques de représailles de la part du gouvernement cubain.

Rôle des intermédiaires et versements à ceux-ci

[27]  Dans un contexte commercial, la nature de la relation contractuelle entre deux parties peut souvent être déterminée par un examen de l’accord écrit qui existe entre celles-ci. La preuve démontre qu’en l’espèce, les relations entre Casa Cubana et les intermédiaires n’étaient pas consignées par écrit [15] .

[28]  L’ASFC fait valoir que le Tribunal doit interpréter l’absence de contrats écrits de façon défavorable à l’appelante [16] . Cependant, le fait que l’accord entre les parties ne soit pas consigné par écrit n’empêche nullement qu’un contrat en bonne et due forme existe entre elles. L’absence de contrats écrits est compréhensible dans les circonstances particulières décrites par le témoin de l’appelante.

[29]  En l’absence de contrats écrits, le Tribunal doit s’appuyer sur d’autres éléments de preuve pour déterminer la nature des relations entre les parties. En fait, même lorsqu’un contrat existe, le Tribunal ne limite pas son analyse à la terminologie utilisée par les parties dans celui-ci. Le Tribunal s’affaire plutôt à discerner les modalités exactes de la relation, par le biais d’une « analyse substantielle de la relation entre les parties à la lumière des faits pertinents évalués dans leur ensemble » [17] .

[30]  Les éléments de preuve pertinents ont été fournis principalement sous la forme du témoignage de M. Ortego à l’audience, avec une preuve documentaire à portée limitée à l’appui. M. Ortego, témoin de Casa Cubana, a expliqué avoir communiqué avec les intermédiaires parfois par courriel, mais d’abord et surtout par téléphone, ceci afin de cacher l’identité des intermédiaires et pour les protéger, eux et leurs familles, contre le risque de représailles par le gouvernement cubain [18] . Parfois, les intermédiaires se trouvaient dans des pays où ils ne voulaient pas prendre le risque d’envoyer des courriels [19] .

[31]  Le Tribunal considère le témoignage de M. Ortego comme très crédible dans les circonstances. Aucun élément de preuve n’a été présenté qui amènerait le Tribunal à remettre en question la crédibilité de M. Ortego ou sa description des relations entre l’appelante et les intermédiaires.

[32]  M. Ortego est spécialiste des cigares premium et est à l’emploi de Casa Cubana depuis 2005 [20] . Il avait précédemment travaillé pour Habanos et pour Havana House Toronto [21] . M. Ortego a décrit la relation entre Casa Cubana et les intermédiaires, qu’il connaissait et a lui-même recrutés [22] .

[33]  M. Ortego a décrit le rôle des intermédiaires et son interaction avec eux comme suit. M. Ortego donnait régulièrement aux intermédiaires une liste des cigares que Casa Cubana voulait acheter et le prix maximum que l’entreprise était prête à payer pour ces cigares [23] . Les intermédiaires tentaient ensuite de trouver les cigares recherchés par Casa Cubana.

[34]  Les intermédiaires informaient périodiquement Casa Cubana des stocks de cigares qu’ils trouvaient auprès de Havana House. M. Ortego sélectionnait alors les produits que Casa Cubana désirait acheter parmi ceux disponibles et en informait l’intermédiaire concerné. Il semble qu’une négociation quant aux prix pouvait dans certains cas s’ensuivre. L’intermédiaire s’engageait ensuite, au nom de Casa Cubana, à acheter les cigares, et finalisait leur achat.

[35]  L’intermédiaire identifiait un magasin hors taxes (situé ou non dans le même pays) pour acheter les cigares du Havana House et ensuite les revendre à Casa Cubana, ceci afin d’éviter qu’Habanos apprenne que le Havana House faisait des exportations non autorisées [24] .

[36]  L’intermédiaire s’occupait de la logistique de la transaction, y compris le transport et l’inspection des cigares jusqu’au magasin hors taxes puis vers le Canada. L’intermédiaire vérifiait l’authenticité des cigares ainsi que leur qualité et celle de leur emballage et apposait les autocollants des douanes et les avertissements requis en matière de santé [25] .

[37]  Casa Cubana payait les frais de transport vers le Canada et son agent en douane s’occupait des formalités douanières [26] .

[38]  M. Ortego a indiqué que les intermédiaires agissaient en tout temps sur ses instructions et qu’ils n’assumaient aucun risque financier lié à la transaction [27] .

[39]  M. Ortego a indiqué que Casa Cubana payait une somme fixe conforme au taux du marché à chacun des intermédiaires chaque mois, indépendamment du volume ou de la valeur de cigares localisés par l’intermédiaire et de la conclusion ou non de transactions [28] . Casa Cubana pouvait cependant mettre fin à la relation en tout temps si un intermédiaire échouait à trouver des sources d’approvisionnement en cigares [29] .

[40]  Le montant total des versements aux intermédiaires durant la période concernée s’approche de la valeur totale des cigares importés par Casa Cubana durant cette période [30] . Les témoins de Casa Cubana ont expliqué les montants élevés payés aux intermédiaires par le fait qu’il en allait de la survie de l’entreprise, et que les intermédiaires offraient la seule source d’approvisionnement en cigares cubains durant cette période. Ils ont aussi expliqué que ce modèle d’approvisionnement était au final peu avisé et qu’il avait en fin de compte été abandonné.

Les versements ne doivent pas être ajoutés au « prix payé ou à payer » en vertu du sous-alinéa 48(5)a)(i) de la Loi

Les versements ne sont pas des commissions ou frais de courtage relatifs aux marchandises au sens du sous-alinéa 48(5)a)(i)

[41]  Le Tribunal débute son analyse en examinant la question de savoir si les versements doivent être ajoutés au « prix payé ou à payer » en vertu du sous-alinéa 48(5)a)(i) de la Loi.

[42]  Le Tribunal a d’abord pour tâche d’interpréter le sous-alinéa 48(5)a)(i) de la Loi afin de déterminer s’il s’applique aux montants versés par l’appelante aux intermédiaires, c’est-à-dire si ceux-ci constituent des « commissions [ou] frais de courtage relatifs aux marchandises et supportés par l’acheteur » et si, le cas échéant, ils tombent sous l’exception prévue au sous-alinéa en tant qu’« honoraires versés ou à verser par [l’acheteur] à son mandataire à l’étranger à l’occasion de la vente ».

[43]  Le Tribunal débute donc son analyse par l’examen du champ d’application du sous-alinéa 48(5)a)(i) de la Loi. Pour ce faire, le Tribunal appliquera le « principe moderne » en matière d’interprétation des lois, selon lequel « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’[économie] de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » [31] .

[44]  Quant aux termes « commissions » et « frais de courtage » (« commissions and brokerage » en anglais), le Tribunal note que dans le contexte dans lequel il est utilisé au sous-alinéa 48(5)a)(i), le mot « commission » s’entend, dans son sens commun, d’un « pourcentage qu’un intermédiaire perçoit pour sa rémunération » [32] . En anglais, le mot « commission » est défini de façon similaire : « a percentage paid to the agent or sales representative from the profits of goods etc. sold, or business obtained » [33] .

[45]  En juxtaposant le sens commun des mots qui la compose, l’expression « frais de courtage » s’entend de la dépense reliée aux services d’une personne servant d’intermédiaire entre deux parties. Le mot « frais » est défini comme, entre autres, des « dépenses occasionnées par une opération quelconque » et « courtage » signifie « profession du courtier », un courtier étant la « personne qui sert d’intermédiaire entre deux parties contractantes ». [34] En anglais, le mot « brokerage » est défini, entre autres, comme : « a broker’s fee or commission » et « broker », quant à lui, défini comme « an agent who buys and sells for others; an intermediary » [35] .

[46]  Quant à l’expression « relatifs aux marchandises et supportés par l’acheteur », le Tribunal note que le sous-alinéa 48(5)a)(i) de la Loi fait partie du mécanisme qui a été adopté par le Parlement pour l’application des tarifs douaniers aux marchandises importées au Canada – articles 44 à 57 de la Loi – et doit s’interpréter dans son contexte législatif immédiat.

[47]  Ces dispositions prévoient qu’il faut d’abord déterminer le « prix payé ou à payer », tel que défini au paragraphe 45(1) de la Loi, avant de procéder à certains ajustements, le cas échéant, en vertu du paragraphe 48(5), afin d’en arriver à la détermination de la valeur transactionnelle, et ainsi de la valeur en douane [36] .

[48]  Le sous-alinéa 48(5)a)(i) de la Loi prévoit que l’une des circonstances où un ajustement au prix payé ou à payer doit être fait concerne – dans la mesure où ils ne sont pas déjà inclus dans le prix payé ou à payer – les « commissions et les frais de courtages relatifs aux marchandises et supportés par l’acheteur ». Ce sous-alinéa prévoit cependant une exception importante en ce qui concerne les « honoraires versés ou à verser par l’acheteur à son mandataire à l’étranger à l’occasion de la vente ».

[49]  La définition de « prix payé ou à payer » au paragraphe 45(1) de la Loi stipule qu’il s’agit de « la somme de tous les versements effectués ou à effectués par l’acheteur directement ou indirectement au vendeur ou à son profit, en paiement des marchandises » [nos italiques].

[50]  Le Tribunal est d’avis que cette définition met en contexte le texte du sous-alinéa 48(5)a)(i) de la Loi et en particulier l’expression « relatifs aux marchandises et supportés par l’acheteur » dans ce sous-alinéa. De l’avis du Tribunal, les commissions et frais de courtage « relatifs aux marchandises et supportés par l’acheteur » doivent avoir un lien suffisant avec ce qui est payé directement ou indirectement au vendeur ou à son profit pour les marchandises acquises.

[51]  De même, l’économie des paragraphes 47(1) et 48(4) et (5) de la Loi jette un éclairage sur l’interprétation qu’il faut donner au sous-alinéa 48(5)a)(i). Il ressort des paragraphes 47(1) et 48(4) et (5) que ceux-ci visent à déterminer le prix réel de la marchandise importée [37] .

[52]  À cet égard, les auteurs Sherman et Glashoff expliquent comme suit les raisons pour lesquelles en vertu de l’article 8.1(a)(i) de l’Accord sur l’évaluation en douane de l’OMC – que le sous-alinéa 48(5)a)(i) met en œuvre [38] – il faut inclure dans la valeur en douane les commissions et frais de courtage à l’exception des versements au mandataire de l’acheteur :

Ces dispositions portent sur la rémunération des intermédiaires. Une commission de vente est versée à un mandataire du vendeur chargé par le vendeur de trouver un acheteur ou de négocier une vente. En général, il est rémunéré par le vendeur, qui inclut cette commission dans le calcul du prix de vente. Si l’acheteur paie cette commission, séparément et indépendamment du prix convenu, il décharge en fait le vendeur d’une obligation, et le versement est effectué indirectement au vendeur et donc fait partie du prix [...].

Seuls les versements effectués par l’acheteur à son propre mandataire sont exclus. Il est évident que si l’acheteur se rend lui-même à l’étranger pour négocier l’achat, ou s’il envoie un employé salarié, leurs frais de déplacement et leur rémunération sont des coûts de l’acheteur et ne doivent pas être ajoutés au prix en tant que versement indirect pour les marchandises. Il n’y a pas plus de raison d’inclure le coût de l’embauche, à l’externe, d’un mandataire pour remplir la même fonction; d’où l’exclusion de la valeur en douane des commissions d’achat [39] .

[Nos italiques, traduction]

[53]  Par conséquent, le but et l’objet des paragraphes 47(1) et 48(4) et (5) de la Loi sont de déterminer le prix véritable payé au vendeur (directement ou indirectement) ou à son profit [40] .Il est clair de ce qui précède que le mécanisme prévu à ces paragraphes ne vise pas l’inclusion de toutes les dépenses engagées par l’acheteur pour acquérir les marchandises; il ne suffit pas qu’un versement soit vaguement associé à la transaction pour qu’automatiquement il doive être inclus dans la valeur en douanes des marchandises concernées. De l’avis du Tribunal, puisque le mécanisme prévu aux paragraphes 47(1) et 48(4) et (5) vise à déterminer le prix véritablement payé par l’acheteur au vendeur, cela implique de n’inclure dans la valeur en douane que les versements étant étroitement liés au prix, ou à la valeur, des marchandises.

[54]  À cet égard, afin de juger du lien entre le versement et le prix des marchandises, il convient de considérer que, dans un contexte d’opérations commerciales normales, le prix reflètera généralement trois considérations : les coûts de production ou d’acquisition du vendeur, ses frais généraux administratifs et de commercialisation, et une marge de profit [41] .

[55]  Ainsi, le Tribunal est d’avis que généralement, les versements ne seront inclus dans la valeur en douane que s’ils sont étroitement associés à l’une des composantes du prix de la marchandise dans un contexte commercial normal, c’est-à-dire un contexte dans lequel l’acheteur paie au vendeur un prix qui reflète les composantes normales du prix de vente, soit les coûts réels et le profit de ce dernier [42] .

[56]  Par conséquent, les versements qui doivent être ajoutés en vertu du sous-alinéa sont les commissions ou les frais de courtage que le vendeur aurait dû lui-même payer, en tout ou en partie, si l’acheteur ne les avait payés (donc ceux qui, normalement, sont reflétés dans le prix demandé pour une marchandise par le vendeur). La même logique explique que les honoraires versés par l’acheteur à son mandataire ne sont pas inclus aux termes du sous-paragraphe 48(5)a)(i) de la Loi.

[57]  Le Tribunal conclut de ce qui précède que les versements qui doivent être ajoutés au prix payé ou à payer en vertu du sous-alinéa 48(5)a)(i) sont les commissions et frais de courtage relatifs aux marchandises qui ont un lien suffisamment étroit avec les marchandises, c’est-à-dire qui auraient fait partie du prix en question dans un contexte commercial normal, en ce sens que ce sont des frais qui concernent les marchandises importées et qui étaient liés à la production ou la commercialisation de la marchandise par le vendeur. S’ils n’ont pas été inclus dans le prix payé ou à payer et qu’ils ont été par ailleurs assumés par l’acheteur, l’alinéa 48(5)a)(i) stipule que le prix payé ou à payer doit être ajusté en y ajoutant ces frais afin de déterminer la valeur réelle des marchandises importées.  

[58]  Concernant maintenant l’application de ce qui précède aux faits du présent appel, le Tribunal n’a pas de difficulté à conclure que les versements faits par Casa Cubana aux intermédiaires constituent, à tout le moins, des « frais de courtage ». Puisque les paiements en question sont de frais de courtage, le Tribunal ne se prononce pas quant à savoir s’ils constituent des « commissions ».

[59]  Dans le cas présent, les sommes et dépenses engagées généralement par l’acheteur en rapport avec l’acquisition des cigares, mais qui n’ont par ailleurs rien à voir avec les activités du vendeur reliées à la production, l’achat ou la mise en marché des marchandises, ne font pas partie de la valeur réelle des marchandises et ne devraient pas faire partie de leur valeur en douane.

[60]  Les versements au centre du présent appel ont été faits en contrepartie de services rendus par des intermédiaires ou agents chargés de certaines fonctions ayant rapport avec la recherche, l’achat et l’importation des marchandises. Le témoignage de M. Ortego, témoin de l’appelante, a établi que les intermédiaires avaient une relation contractuelle avec Casa Cubana et non avec les vendeurs. Aucune démonstration n’a été faite par l’ASFC de l’existence d’un lien entre ces intermédiaires et les vendeurs si ce n’est que pour l’établissement des bases de la transaction et au moment de la matérialisation de celle-ci.

[61]  La preuve démontre que les intermédiaires agissaient à tout moment pertinent sous la direction de M. Ortego pour le compte de Casa Cubana. Les versements aux intermédiaires sont des dépenses pour des services qui auraient tout aussi bien pu être faits par des employés de Casa Cubana, et les intermédiaires agissaient sur les instructions de M. Ortego.

[62]  Le Tribunal ne peut voir comment les versements faits par Casa Cubana aux intermédiaires peuvent de quelque façon être associés aux coûts de commercialisation qui auraient normalement dû être assumés par le vendeur, d’autant plus que ces versements correspondaient à la valeur des services offerts indépendamment de la conclusion ou non d’une transaction ou de la valeur ou du volume de biens acquis.

[63]  Pour ces raisons, les montants versés aux intermédiaires ne correspondent pas aux « frais de courtage relatifs aux marchandises supportés par l’acheteur » visés par le sous-alinéa 48(5)a)(i) et ne doivent pas faire l’objet d’un ajustement au prix payé ou à payer pour les marchandises importées.

À supposer qu’ils soient visés par le sous-alinéa 48(5)a)(i), les versements bénéficient de l’exception en tant qu’honoraires versés par l’acheteur à son mandataire

[64]  Nonobstant sa conclusion que les versements aux intermédiaires ne tombent pas dans le champ d’application du sous-alinéa 48(5)a)(i) de la Loi, le Tribunal considère utile d’examiner les arguments présentés par les parties sur la question de savoir si ces versements constituent des honoraires versés par l’appelante à ses mandataires et bénéficient ainsi de l’exception prévue au même sous-alinéa.

[65]  L’ASFC fait valoir que la preuve fournie par l’appelante ne satisfait pas aux diverses conditions dans la jurisprudence du Tribunal qui permettrait de conclure à l’existence d’une relation mandant-mandataire. Selon l’ASFC, les intermédiaires agissaient pour le compte à la fois de Casa Cubana et des Havana House fournisseurs. De plus, selon l’ASFC, la preuve fournie par l’appelante ne démontre pas que les fournisseurs remplissaient les rôles qui sont normalement ceux d’un « mandataire » de l’acheteur. Plus spécifiquement, selon l’ASFC, l’appelante n’a pas présenté de preuve selon laquelle les intermédiaires :

(a)  négociaient en son nom – la preuve démontre plutôt que les intermédiaires informaient simplement l’appelante des excédents d’inventaires que possédaient les fournisseurs et des prix demandés;

(b)  s’assuraient de l’authenticité des cigares achetés – c’est plutôt M. Ortego lui-même qui remplissait cette tâche;

(c)  étaient impliqués dans le traitement des paiements entre l’appelante et les fournisseurs étrangers et dans l’expédition des marchandises et la logistique y étant associée – les factures et documents d’importation portaient le nom et les coordonnées des magasins hors taxes par qui transitaient les marchandises, et la preuve démontre que l’appelante payait elle-même les magasins hors taxes et s’occupait du transport et de la logistique (incluant l’assurance) avec l’aide d’un agent en douane canadien.

[66]  L’ASFC présente également un argument concernant le traitement comptable des versements dans ses états financiers, ce qui indique selon l’ASFC que Casa Cubana elle-même considérait que les frais d’intermédiaires étaient directement liés au prix payé ou à payer.

[67]  L’ASFC reconnait que les décisions antérieures du Tribunal sur lesquelles son argumentaire s’appuie visaient principalement à déterminer si le mandataire allégué était, dans les faits, le vendeur des marchandises en cause. Cette question ne se pose pas en l’espèce, l’argument de l’ASFC étant que le mandataire allégué agissait dans les faits comme courtier. L’ASFC fait valoir que le raisonnement du Tribunal dans ces décisions antérieures est néanmoins utile, par analogie, à son examen de la relation entre les parties dans cet appel [43] .

[68]  De l’avis du Tribunal, l’ASFC tente d’appliquer de façon trop mécanique certains passages des motifs du Tribunal dans les décisions antérieures citées qui, encore une fois, portaient sur une question différente. Qui plus est, la preuve contredit la façon dont l’ASFC dépeint le rôle joué par les intermédiaires en l’espèce.

[69]  Il ressort des décisions antérieures que le critère principal appliqué par le Tribunal est celui du lien de subordination entre le mandant et le mandataire et du degré de contrôle exercé par le premier sur les activités du dernier [44] . Ce critère est aisément satisfait en l’espèce. L’appelante, par le biais de M. Ortego, contrôlait la relation et faisait le choix des produits à acheter. L’appelante avait le dernier mot quant aux achats à être effectués par les intermédiaires pour son compte [45] .

[70]  De plus, les gestes posés par les intermédiaires (trouver des fournisseurs, négocier la vente selon les besoins de Casa Cubana, organiser le transport des marchandises et inspecter celles-ci) sont pratiquement identiques à ceux décrits dans les décisions antérieures du Tribunal (faire le lien entre le mandant et le vendeur, traiter les commandes [46] inspecter les biens [47] , gérer le transport et la logistique de l’importation [48] ) ainsi que ceux décrits dans la Note explicative de l’Organisation mondiale des douanes concernant l’article 8 de l’Accord de l’OMC [49] .

[71]  Le Tribunal a indiqué qu’une « relation de mandataire existe seulement lorsqu’une personne, appelée le mandataire, a le pouvoir d’influer sur la situation juridique d’une autre personne, appelée le mandant, à l’égard de tierces parties » [50] . Dans le cadre des paramètres définis par M. Ortego, les intermédiaires avaient le pouvoir d’engager Casa Cubana à transiger avec les fournisseurs [51] .

[72]  L’ASFC soutient que les intermédiaires n’étaient pas les mandataires de Casa Cubana dû à leur manque de transparence quant à leurs possibles relations antérieures ou contemporaines avec les Havana House avec lesquels ils transigeaient, l’identité des Havana House impliqués dans les transactions et autres détails des transactions. Un manque de transparence du mandataire envers le mandant ne suffit pas en soi à établir qu’il n’y pas de relation mandant-mandataire [52] . Le Tribunal souligne aussi les circonstances factuelles de cet appel, notamment les risques auxquels s’exposaient les intermédiaires et M. Ortego et le fait que, compte tenu de ces risques, M. Ortego préférait ne pas connaître l’origine réelle des marchandises [53] .

[73]  Pour ces raisons, le manque de transparence de la part des intermédiaires quant à certains aspects des transactions ne convainc pas le Tribunal qu’ils n’agissaient pas comme mandataires de l’appelante.

[74]  De plus, l’ASFC plaide que pour qu’un intermédiaire soit un mandataire, il faut que celui-ci soit choisi librement par l’acheteur [54] . L’ASFC soutient que ce n’était pas le cas en l’espèce puisque l’appelante était obligée d’utiliser les services des intermédiaires puisque les fournisseurs étrangers n’auraient vendu de cigares sur le marché gris que par le biais d’intermédiaires en qui ils avaient confiance. Selon l’ASFC, ce facteur limitait le choix d’intermédiaires avec qui l’appelante pouvait transiger.

[75]  Selon le Tribunal, Casa Cubana avait besoin d’utiliser les services de quelqu’un pour trouver des cigares – comme n’importe quelle compagnie a besoin d’utiliser les services d’employés ou de mandataires dans le contexte de ses activités commerciales. Il n’en découle pas que Casa Cubana était obligée par les vendeurs d’utiliser les services de certains intermédiaires en particulier. Le choix d’intermédiaire « n’était pas imposé par le vendeur ou par les vendeurs » [55] .

[76]  De plus, selon son témoignage, M. Ortego avait le choix entre des dizaines de personnes qui auraient pu agir comme intermédiaires. [56] Qui plus est, M. Ortego a témoigné qu’il était en son pouvoir de mettre fin au contrat verbal entre l’appelante et un intermédiaire en tout temps.

[77]  Il ressort de ce qui précède que même s’il était admis que les versements faits par Casa Cubana aux intermédiaires tombent sous le champ d’application du sous-alinéa 48(5)a)(i) de la Loi, ils sont couverts par l’exception prévue au même sous-alinéa.

[78]  En somme, pour les motifs énoncés ci-dessus, le Tribunal est d’avis que les montants versés par Casa Cubana aux intermédiaires ne doivent pas être ajoutés au prix payé ou à payer des marchandises en cause et, par conséquent, ne doivent pas faire partie de leur valeur en douanes.

Les versements ne font pas partie du « prix payé ou à payer », tel que défini au paragraphe 45(1) de la Loi

[79]  L’argument subsidiaire de l’ASFC est que les versements aux intermédiaires font déjà partie du « prix payé ou à payer », tel que défini au paragraphe 45(1) de la Loi, puisque ces versements étaient effectués indirectement au profit des vendeurs. Selon l’ASFC, les versements étaient indirectement au profit du vendeur parce qu’ils rendaient possibles les ventes sur le marché gris et leur permettaient de vendre leurs stocks excédentaires de cigares. Par conséquent, plaide l’ASFC, ces versements doivent être inclus dans la valeur en douane ajustée, conformément aux paragraphes 48(1) et (4).

[80]  Le Tribunal a déjà constaté que bien que liés ou associés généralement à l’importation des marchandises, les versements ne faisaient pas partie de ce qui a été – ou aurait dû être – payé au vendeur au moment de l’achat. Par conséquent, les versements aux intermédiaires ne sont pas visés par la définition de « prix payé ou à payer ».

[81]  Plus fondamentalement, l’interprétation proposée par l’ASFC semble mener à la conclusion que tout versement, à qui que ce soit, par un acheteur, en lien avec son activité d’importation, doit être inclus dans la valeur transactionnelle déclarée lors de l’importation des marchandises. En effet, tout versement fait en lien à une vente profite indirectement au vendeur puisqu’il lui permet de faire la vente en question. Cette interprétation n’est pas supportée par le libellé du paragraphe 45(1) et a déjà été rejetée par la Cour d’appel fédérale [57] .

[82]  L’argument subsidiaire de l’ASFC selon lequel les versements auraient déjà dû être inclus dans le prix payé ou à payer conformément paragraphe 45(1) de la Loi est donc rejeté.

[83]  Finalement, l’ASFC semble suggérer que dans l’éventualité où le sous-alinéa 48(5)a)(i) ne trouverait pas application, une autre méthode d’évaluation devrait être utilisée afin que les versements puissent être inclus dans la valeur en douane [58] . Cependant, l’ASFC n’a pas démontré que la méthode de la valeur transactionnelle ne pouvait être utilisée en l’espèce. Cet argument est donc sans fondement.

DÉCISION

[84]  L’appel est accueilli.

Serge Fréchette

Serge Fréchette
Membre présidant

 



[1]   L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.) [Loi].

[2]   Pièce AP-2018-065-012A, vol. 1 à la p. 6.

[3]   Pièce AP-2018-065-012B (protégée), vol. 2 aux p. 48-67.

[4]   Ibid., aux p. 62-64.

[5]   Pièce AP-2018-065-01, vol. 1 aux p. 11-14.

[6]   Pièce AP-2018-065-03, vol. 1 aux p. 12-15.

[7]   Transcription de l’audience publique aux p. 17, 19, 46.

[8]   Les témoins de Casa Cubana l’ont décrite comme ayant essentiellement agi comme un sous-grossiste de Havana House Toronto pour les marchés du Québec et de l’Atlantique. Transcription de l’audience publique aux p. 17‑18.

[9]   Transcription de l’audience publique aux p. 57-58.

[10]   Transcription de l’audience publique aux p. 20, 23.

[11]   Transcription de l’audience publique aux p. 29-35, 56-57. Entre 2007 et 2010, Casa Cubana s’est approvisionnée chez un autre fournisseur de cigares cubains. Casa Cubana a ensuite écoulé ses inventaires jusqu’en 2012. Transcription de l’audience publique aux p. 34-37.

[12]   Transcription de l’audience publique aux p. 65, 67.

[13]   Transcription de l’audience publique aux p. 57-58, 86.

[14]   Transcription de l’audience publique aux p. 76, 85.

[15]   À l’audience, Casa Cubana a expliqué que des contrats écrits ont été conclus a posteriori et que ces contrats n’existaient pas au moment où les faits se sont déroulés. Transcription de l’audience publique aux p. 9-10.

[16]   Transcription de l’audience publique à la p. 167.

[17]   Clothes Line Apparel, Division of 2810221 Canada Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (14 juillet 2008), AP-2007-006 (TCCE) [Clothes Line Apparel] au par. 17.

[18]   Transcription de l’audience publique aux p. 61, 93.

[19]   Transcription de l’audience publique à la p. 83.

[20]   Transcription de l’audience publique à la p. 50.

[21]   Transcription de l’audience publique aux p. 18, 44-48.

[22]   Transcription de l’audience publique à la p. 31.

[23]   Transcription de l’audience publique aux p. 62-63, 73.

[24]   Transcription de l’audience publique aux p. 64-65.

[25]   Transcription de l’audience publique aux p. 66-67.

[26]   Transcription de l’audience publique aux p. 65, 89, 94.

[27]   Transcription de l’audience publique aux p. 66, 96-97.

[28]   Transcription de l’audience publique aux p. 60, 94-95. M. Ortego a expliqué que les intermédiaires devaient couvrir leurs divers frais (frais de déplacement, protection, etc.) avec le montant qui leur était payé. Transcription de l’audience publique à la p. 68.

[29]   Transcription de l’audience publique à la p. 60.

[30]   Pièce AP-2018-065-01, vol. 1 à la p. 13.

[31]   Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 RCS 27 au par. 21; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42 (CanLII), [2002] 2 RCS 559 au par. 26; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 (CanLII) au par. 117, citant tous trois E. Driedger, Construction of Statutes (2e éd., 1983) à la p. 87.

[32]   Le Nouveau Petit Robert de la langue française, éd. 2009.

[33]   Canadian Oxford Dictionary, 2e éd.

[34]   Le Nouveau Petit Robert de la langue française, éd. 2009.

[35]   Canadian Oxford Dictionary, 2e éd.

[36]   Canada (Sous-ministre du Revenu national) c. Mattel Canada Inc., 2001 SCC 36 (CanLII), [2001] 2 RCS 100 [Mattel] aux par. 2- 3.

[37]   Voir aussi l’article VII.2 du GATT de 1994 qui, dans ses parties pertinentes, prévoit que « [l]a valeur en douane des marchandises importées devrait être fondée sur la valeur réelle de la marchandise importée ». Dans son interprétation des dispositions de la Loi, le Tribunal doit s’appuyer sur le contexte externe que constituent les obligations internationales du Canada. Une loi canadienne est réputée conforme au droit international et est interprétée comme tel sauf lorsque le libellé de la loi commande clairement un autre résultat. Voir Résine de polyéthylène téréphtalate (16 mars 2018), NQ-2017-003 (TCCE) au par. 37, citant R. c. Hape, 2007 CSC 26 (CanLII), [2007] 2 RCS 292 au par. 53 et National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), 1990 CanLII 49 (CSC), [1990] 2 RCS 1324. Les articles 45, 47 et 48 de la Loi font partie du mécanisme de mise en œuvre des obligations du Canada en vertu de deux accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), l’Article VII du GATT de 1994 et l’Accord sur la mise en œuvre de l’Article VII de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 [Accord sur l’évaluation en douane]. Ces deux accords présentent donc un intérêt aux fins de l’interprétation des dispositions à l’étude.

[38]   Comme le sous-alinéa 48(5)a)(i), l’article 8 de l’Accord prévoit, entre autres, des ajustements au prix effectivement payé ou à payer, lorsque certains éléments spécifiques qui sont considérés comme faisant partie de la valeur en douane sont à la charge de l’acheteur mais ne sont pas inclus dans le prix effectivement payé ou à payer pour les marchandises importées.

[39]   Saul L. Sherman et Hinrich Glashoff, Customs Valuation: Commentary on the GATT Customs Valuation Code, Kluwer Law and Taxation Publishers, 1988 à la p. 109.

[40]   Voir Radio Shack, A Division of Intertan Canada Ltd. c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l’accise (16 septembre 1993), AP-92-193 et AP-92-215 (TCCE) [Radio Shack] à la p. 9 :

Exprimée simplement, la question portée devant le Tribunal consiste à déterminer si les frais payés par l’appelant à A & A doivent être ajoutés au prix payé ou payable pour les marchandises lors de la détermination de leur valeur en douane. Le texte de loi prévoit qu’ils ne doivent pas être ajoutés si A & A a agi à titre de responsable des achats pour l’appelant, puisque ces frais n’auraient normalement rien eu à voir avec le prix de la transaction des marchandises, c’est-à-dire le prix de vente véritable conclu entre l’acheteur et le vendeur. Cette disposition est conforme à l’Accord du GATT.

[Nos italiques] 

[41]   Voir, par analogie, l’article 6.1 de l’Accord sur l’évaluation en douane ainsi que le paragraphe 52(2) de la Loi. L’Accord reconnait, dans sa partie introductive, « que la valeur en douane devrait être établie selon des critères simples et équitables, compatibles avec la pratique commerciale ».

[42]   Il est tout à fait raisonnable de penser que les pratiques usuelles relatives à l’établissement du prix dans un contexte commercial normal font partie des considérations qui ont été prises en compte par le Parlement au moment de l’adoption des dispositions qui visent à établir la valeur transactionnelle. Selon Ruth Sullivan, « [l]e sens d’une loi doit être tiré de la lecture des termes dans leur contexte, ce qui inclut le contexte externe. Le contexte externe d’une disposition législative est le cadre dans lequel elle a été promulguée, son contexte historique et le milieu dans lequel elle opère périodiquement. » [traduction] (Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e édition, à la p. 643). De plus, « [l]e législateur est présumé savoir tout ce qui est nécessaire pour produire une législation rationnelle et efficace. » [traduction] (Id., p. 205) Le législateur est présumé non seulement connaître le droit, mais aussi les pratiques commerciales et le fonctionnement des institutions publiques. Il est aussi conscient des problèmes que la législation vise à régler. Bref, « le législateur est présumé connaître tous les faits pertinents pour la formulation et le fonctionnement de sa législation. » [traduction] (Id., p. 205).

 

 

 

[43]   De plus, l’ASFC reconnait que chacun des facteurs ou critères établis par le Tribunal dans ses décisions antérieures n’est pas, à lui seul, décisif. Transcription de l’audience publique à la p. 151.

[44]   Voir, entre autres, Clothes Line Apparel au par. 17; Chaussure Browns Inc. c. Le commissaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (11 février 2004), AP-2002-096 (TCCE).

[45]   Transcription de l’audience publique à la p. 96.

[46]   Sherson Marketing Corporation c. Le sous-ministre du Revenu national (27 juillet 2000), AP-98-098 (TCCE) [Sherson I].

[47]   Chaps-Ralph Lauren, Division de 131384 Canada Inc. et Modes Alto Regal c. Le sous-ministre du Revenu national c. Caulfeild Apparel Group Ltd.(1er novembre 1995), AP-94-190 et AP-94-191 (TCCE) [Chaps-Ralph Lauren].

[48]   Charley Originals Ltd., Division of Groupe Algo Inc. et Mr. Jump Inc., Division of Groupe Algo Inc. (29 avril 1997), AP-95-261 et AP-95-263 (TCCE).

[49]   La note explicative décrit le rôle des mandataires de l’acheteur comme étant « des personnes qui agissent pour le compte des acheteurs auxquels ils rendent des services pour la recherche des fournisseurs, la communication au vendeur des souhaits de l’acheteur, la recherche des échantillons, l’inspection des marchandises et éventuellement aussi pour l’assurance, le transport, le stockage et la livraison des marchandises ». Note explicative 2.1 du comité technique de l’évaluation en douane de l’Organisation mondiale des douanes (23 mars 1982), citée par le Tribunal dans Chaps-Ralph Lauren et Radio Shack. Le rôle des intermédiaires s’accorde aussi avec la description que font Sherman et Glashoff du rôle d’un mandataire de l’acheteur. Voir Saul L. Sherman et Hinrich Glashoff, Customs Valuation : Commentary on the GATT Customs Valuation Code, Kluwer Law and Taxation Publishers, 1988 aux p. 109-110.

[50]   Clothes Line Apparel au par. 17.

[51]   Ces éléments semblent peu pertinents dans une situation où il est prétendu que les mandataires allégués agissent en fait comme des courtiers, mais le Tribunal note tout de même que les intermédiaires ne couraient aucun risque commercial ni n’acquéraient le titre de propriété sur les marchandises. Transcription de l’audience publique à la p. 66.

[52]   Voir Utex Corp. c. Canada (Sous-Ministre du Revenu National), 2001 CAF 54 (CanLII) au par. 8. Dans cette affaire (Corporation Utex c. Le sous-ministre du Revenu national (27 octobre 1999) AP-98-085 (TCCE) à la p. 7), le Tribunal avait conclu que le mandataire allégué avait manqué à son obligation fiduciaire à l’égard de l’acheteur en omettant de l’informer de conflits d’intérêts potentiels. La cour d’appel fédérale a infirmé la décision du Tribunal, concluant qu’aucun élément de preuve n’établissait que le mandataire allégué aurait négligé d’agir dans l’intérêt de son mandant allégué et que même si c’était le cas, cela n’aurait pas en soi suffi à prouver que les honoraires versés au mandataire allégué n’étaient pas visés par l’exception prévue au sous-alinéa 48(5)a)(i) de la Loi.

[53]   Transcription de l’audience publique à la p. 76.

[54]   L’ASFC fait référence à Mexx Canada Inc. c. Le sous-ministre du Revenu national (16 février 1995), AP-94-035, AP-94-042 et AP-94-165 (TCCE).

[55]   Transcription de l’audience publique à la p. 136.

[56]   Transcription de l’audience publique à la p. 76.

[57]   Deputy Canada (Ministre du revenu national) c. Charley Originals Ltd., 2000 CanLII 15307 (CAF) aux par. 8-9. Voir aussi Mattel aux par. 65-66.

[58]   Pièce AP-2018-065-12A, vol. 1 au par. 54 des p. 18-19.

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