Appels en matière de douanes et d’accise

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Appel no EA-2019-001

Ferrostaal Metals GmbH

c.

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Décision rendue
le jeudi 2 juillet 2020

Motifs rendus
le lundi 17 août 2020

 



EU ÉGARD À un appel entendu le 3 mars 2020, en vertu du paragraphe 61(1) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, L.R.C. (1985), ch. S-15;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 17 mai 2019, concernant une demande de réexamen aux termes de l’article 59 de la Loi sur les mesures spéciales d’importation.

ENTRE

FERROSTAAL METALS GMBH

Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.

Serge Fréchette

Serge Fréchette
Membre présidant

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.

Lieu de l’audience :

Ottawa (Ontario)

Date de l’audience :

le 3 mars 2020

Membre du Tribunal :

Serge Fréchette, membre présidant

Personnel de soutien :

Alain Xatruch, conseiller juridique
Kalyn Eadie, conseillère juridique

PARTICIPANTS :

Appelante

Conseillers/représentants

Ferrostaal Metals GmbH

Jesse Goldman
Erica Lindberg
Sam Levy

Intimé

Conseillers/représentants

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Kevin Palframan
Taylor Andreas

Parties intervenantes

Conseillers/représentants

ArcelorMittal Long Products Canada G.P.

Paul Conlin
Anne-Marie Oatway

Gerdau Ameristeel Corporation

Gerry Stobo
Christopher J. Kent
Christopher J. Cochlin
Andrew Lanouette
Michael Milne
Marc McLaren-Caux
Cynthia Wallace
Andrew Paterson
Melisa Celebican
Alexander Hobbs

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario)  K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

INTRODUCTION

[1]  Le présent appel a été interjeté par Ferrostaal Metals GmbH (Ferrostaal) le 12 août 2019, en vertu du paragraphe 61(1) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation [1] , à la suite d’un réexamen effectué par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) le 17 mai 2019, aux termes de l’article 59 de la LMSI, concernant l’importation de certaines barres d’armature pour béton (barres d’armature) du Bélarus par Ferrostaal (les marchandises importées).

[2]  Il s’agit pour le Tribunal de déterminer si les valeurs normales applicables aux marchandises importées devraient être celles établies au cours du réexamen de l’enquête de l’ASFC, qui s’est terminée le 4 mai 2018, comme l’a déterminé le président de l’ASFC, ou celles établies au cours de l’enquête initiale de l’ASFC, qui s’est terminée le 3 avril 2017, comme le soutient Ferrostaal.

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

[3]  Le 3 avril 2017, le président de l’ASFC a rendu une décision définitive de dumping à l’égard de certaines barres d’armature originaires ou exportées du Bélarus, du Taipei chinois, de Hong Kong, du Japon, du Portugal et de l’Espagne (les marchandises en cause). Au cours de l’enquête ayant mené à cette décision, l’ASFC a constaté qu’Open Joint-Stock Company Byelorussian Steel Works (BMZ) est un producteur et un exportateur des marchandises en cause situé au Bélarus et que, pendant la période d’enquête (du 1er juin 2015 au 31 mai 2016), toutes ses exportations vendues au Canada l’ont été par une société liée, Bel-Kap Steel LLC (Bel-Kap) [2] . Bel-Kap est une coentreprise appartenant à BMZ et à Pisec Group GmbH (Pisec) [3] . L’ASFC a également établi des valeurs normales pour chacun des exportateurs coopératifs, dont BMZ [4] .

[4]  Le 3 mai 2017, le Tribunal a rendu ses conclusions que le dumping des marchandises en cause a causé un dommage à la branche de production nationale (c’est-à-dire les producteurs nationaux des barres d’armature de même description que les marchandises en cause) [5] . Par conséquent, les marchandises en cause importées au Canada à des prix inférieurs aux valeurs normales déterminées par l’ASFC dans son enquête [6] ont été assujetties à des droits antidumping. Les importations de marchandises en cause provenant d’exportateurs n’ayant pas coopéré lors de l’enquête de l’ASFC ont été assujetties à des droits antidumping de 108,5 % sur le prix à l’exportation [7] .

[5]  Le 4 décembre 2017, dans le cadre de son application des conclusions de dommage rendues par le Tribunal le 3 mai 2017, l’ASFC a lancé un réexamen de l’enquête afin de mettre à jour les valeurs normales et les prix à l’exportation des marchandises en cause. Le réexamen visait la période du 1er mai 2016 au 31 octobre 2017.

[6]  Le 4 mai 2018, l’ASFC a terminé le réexamen de l’enquête et établi de nouvelles valeurs normales pour les exportateurs coopératifs, y compris BMZ. L’avis de conclusion du réexamen transmis par l’ASFC comprenait l’énoncé suivant (l’« énoncé de l’avis de conclusion ») :

Les valeurs normales [...] seront imposé[e]s sur les marchandises en cause dédouanées par l’ASFC à compter du 4 mai 2018 et seront en vigueur jusqu’à ce que l’ASFC mette à jour les valeurs normales [...] ou que le TCCE annule ses conclusions. Toutes les valeurs normales [...] antérieurement en vigueur expirent à cette date. De plus, les valeurs normales [...] déterminé[e]s en fonction du présent réexamen seront appliqués à toutes les entrées de marchandises en cause faisant l’objet d’un appel qui n’ont pas encore été révisées au moment de la conclusion du présent réexamen [8] .

[7]  Ferrostaal, qui importe et distribue certains produits de l’acier au Canada, avait conclu le 17 novembre 2017 un contrat de vente des marchandises importées avec Pisec. Selon les documents douaniers préparés par le courtier en douane de Ferrostaal, les marchandises ont été produites au Bélarus, exportées depuis un autre pays, expédiées au Canada de Klaipeda (Lituanie) le 8 avril 2018 et dédouanées le 25 avril 2018 [9] .

[8]  Les documents douaniers précisaient que Pisec était le vendeur des marchandises importées, et ne mentionnaient pas que les marchandises étaient assujetties aux conclusions du Tribunal (c’est-à-dire qu’aucun code de la LMSI n’était inscrit). Or, l’inscription de ce code est obligatoire même lorsqu’aucun droit antidumping n’est exigible. Aucun droit antidumping n’a été payé sur les marchandises importées, et une décision quant à l’assujettissement des marchandises aux conclusions du Tribunal, à leur valeur normale et à leur prix à l’exportation est réputée avoir été rendue le trentième jour suivant la déclaration en détail des marchandises, conformément aux représentations faites par le courtier en douane de Ferrostaal, en application du paragraphe 56(2) de la LMSI.

[9]  L’ASFC a examiné la transaction impliquant les marchandises importées dans le cadre de ses activités normales d’application de la loi. Comme les marchandises importées étaient assujetties aux conclusions du Tribunal et que Pisec n’était pas un des exportateurs pour lesquels des valeurs normales avaient été fixées par l’ASFC, les valeurs normales des marchandises importées ont été révisées conformément à la prescription ministérielle, en majorant le prix à l’exportation de 108,5 %. Un avis de cotisation correspondant a été envoyé à Ferrostaal le 10 septembre 2018, conformément à l’alinéa 57b) de la LMSI [10] .

[10]  Ferrostaal a ensuite communiqué avec l’ASFC pour tenter de faire annuler la décision rendue à l’issue de la révision menée conformément à l’alinéa 57b) de la LMSI. Selon elle, son courtier en douane avait indiqué le mauvais exportateur et le mauvais pays d’exportation en raison d’une erreur sur le certificat d’origine, où Pisec était désigné comme expéditeur alors que cela aurait dû être « BMZ pour le compte de Pisec » [11] [traduction]. Ferrostaal a également présenté deux demandes d’ajustement à l’ASFC, accompagnées des certificats d’origine corrigés, afin de remplacer l’information des documents comptables originaux et d’indiquer BMZ comme exportateur et le Bélarus comme pays d’exportation [12] .

[11]  L’ASFC a avisé Ferrostaal qu’elle n’annulerait pas le calcul des droits antidumping effectué conformément à l’alinéa 57b) de la LMSI et que les demandes d’ajustement de Ferrostaal ne pourraient être traitées qu’une fois les droits payés et toute la documentation à l’appui exigée reçue [13] . Elle incitait finalement Ferrostaal à se prévaloir de son droit d’appel aux termes du paragraphe 58(1.1) de la LMSI en présentant une (nouvelle) demande de réexamen [14] .

[12]  Le 30 novembre 2018, Ferrostaal a déposé une demande de réexamen aux termes du paragraphe 58(1.1) de la LMSI au motif que les marchandises importées avaient été exportées par BMZ (un exportateur pour lequel des valeurs normales avaient été établies) et qu’il n’y avait donc pas de droits antidumping à payer sur les marchandises [15] . Ferrostaal a inclus dans sa demande la preuve qu’elle avait payée les droits antidumping imposés sur les marchandises importées, comme l’exige le paragraphe 58(1.1).

[13]  Le 17 mai 2019, le président de l’ASFC a rendu, conformément à l’article 59 de la LMSI, une décision selon laquelle BMZ était l’exportateur aux fins de la LMSI, les valeurs normales établies par l’ASFC pour BMZ dans le cadre du réexamen qui s’est terminé le 4 mai 2018 s’appliquaient aux marchandises importées et les prix à l’exportation des marchandises importées correspondaient aux prix de vente de l’exportateur moins les frais d’exportation [16] . Comme les valeurs normales en question étaient supérieures à celles établies dans le cadre de l’enquête initiale de l’ASFC et que les prix à l’exportation étaient inférieurs aux prix de vente initialement déclarés, il y avait toujours lieu de payer des droits antidumping. Ferrostaal n’a donc reçu qu’un remboursement partiel des droits payés.

[14]  Suite à l’émission de la décision du président dans le cadre du réexamen aux termes de l’article 59, un agent de l’ASFC a avisé oralement les conseillers juridiques de Ferrostaal que les valeurs normales établies dans le cadre du réexamen de l’enquête qui s’est terminé le 4 mai 2018 avaient été appliquées aux marchandises importées sur la foi de l’énoncé de l’avis de conclusion [17] .

[15]  Le 12 août 2019, Ferrostaal a déposé auprès du Tribunal un avis d’appel conformément au paragraphe 61(1) de la LMSI. Ferrostaal cherche essentiellement à obtenir une conclusion selon laquelle les valeurs normales établies pour BMZ dans le cadre de l’enquête initiale de l’ASFC (c’est-à-dire les valeurs normales connues au moment du dédouanement des marchandises importées) s’appliquent aux marchandises importées, de même qu’une ordonnance exigeant que le président de l’ASFC rembourse les droits antidumping qui demeuraient exigibles à la suite du réexamen aux termes de l’article 59.

[16]  ArcelorMittal Long Products Canada G.P. (AMLPC) et Gerdau Ameristeel Corporation (Gerdau) ont demandé le statut de partie intervenante à l’instance, respectivement les 14 et 15 novembre 2019. AMLPC et Gerdau sont des producteurs nationaux de barres d’armature bénéficiant des protections découlant des conclusions de dommage rendues par le Tribunal à l’égard des marchandises en cause.

[17]  Le 21 novembre 2019, Ferrostaal a demandé au Tribunal de refuser le statut d’intervenante aux deux parties au motif que ni l’une ni l’autre n’avait montré en quoi son intervention était utile pour trancher l’appel. Advenant que le Tribunal décide d’accorder le statut d’intervenante à l’une ou l’autre, Ferrostaal lui demandait d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour limiter leurs interventions. Le 22 novembre 2019, l’ASFC a informé le Tribunal qu’elle ne s’opposait pas à l’intervention d’AMLPC et de Gerdau. Le 29 novembre 2019, AMLPC et Gerdau ont déposé des observations en réponse aux observations de Ferrostaal s’opposant à leur intervention.

[18]  Le 5 décembre 2019, le Tribunal a accordé le statut de partie intervenante à l’instance à AMLPC et à Gerdau, étant convaincu qu’elles avaient un intérêt direct dans l’appel qui ne serait pas nécessairement bien représenté par l’ASFC autrement. Cependant, le Tribunal a donné à AMLPC et à Gerdau la directive de limiter leurs observations et leur preuve à ce qui était pertinent et d’éviter d’élargir la portée de l’appel au-delà de celle découlant de l’avis d’appel et du mémoire de Ferrostaal.

[19]  Le 3 mars 2020, le Tribunal a instruit l’appel sur la foi des pièces versées au dossier, conformément à la règle 25.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur.

APERÇU DES POSITIONS DES PARTIES

Ferrostaal

[20]  Ferrostaal présente une argumentation à cinq volets dans le présent appel. Premièrement, elle fait valoir que la décision de l’ASFC consistant à déterminer à nouveau, rétrospectivement, les droits exigibles sur les marchandises importées en utilisant les valeurs normales établies pour BMZ dans le réexamen de l’enquête qui s’est terminé le 4 mai 2018 constituait une décision non sollicitée, qui n’avait pas été abordée par Ferrostaal dans sa demande de réexamen. Elle soutient que le motif de sa demande était de corriger l’identité de l’exportateur et qu’elle n’avait jamais remis en question le calcul ni la détermination des valeurs normales.

[21]  Deuxièmement, Ferrostaal soutient que l’application de l’énoncé de l’avis de conclusion aux marchandises importées constitue une décision de procéder à une nouvelle détermination rétroactive des droits antidumping qui est injustifiée et n’est pas conforme aux politiques publiées par l’ASFC elle-même en matière de déterminations rétroactives, et qu’elle va clairement à l’encontre du régime prospectif canadien d’application des droits bien établi. Elle fait également valoir que l’énoncé a été appliqué de façon erronée, puisqu’en fait aucun appel concernant les marchandises importées n’existait au moment du réexamen de l’enquête.

[22]  Troisièmement, elle soutient que la détermination rétroactive de l’ASFC résulte d’un déni de justice naturelle et d’équité procédurale à l’endroit de Ferrostaal. Ferrostaal fait valoir qu’elle n’a pas eu la possibilité de présenter des observations à l’ASFC sur l’application aux marchandises importées des valeurs normales établies pour BMZ lors du réexamen de l’enquête.

[23]  Quatrièmement, Ferrostaal soutient que l’ASFC a abusé de son pouvoir discrétionnaire en omettant de tenir compte de toute l’information pertinente sur les marchandises importées, en produisant un résultat inéquitable et déraisonnable et en appliquant une interprétation erronée des lois et politiques pertinentes dans sa décision aux termes de l’article 59 de la LMSI.

[24]  Enfin, Ferrostaal soutient que la détermination rétroactive de l’ASFC a violé ses attentes légitimes à savoir que dans le régime prospectif canadien d’application des droits, les droits antidumping ne seraient déterminés rétroactivement que dans les circonstances exceptionnelles et précises énoncées par l’ASFC, lesquelles n’existaient pas en l’espèce selon elle.

ASFC

[25]  L’ASFC fait valoir que l’appel devrait être rejeté, les arguments de Ferrostaal selon lesquels l’ASFC aurait dû utiliser des valeurs normales obsolètes (c’est-à-dire les valeurs normales connues au moment du dédouanement des marchandises importées), et la portée du réexamen du président devrait être limitée au contenu de la demande de l’importateur, ayant été rejetés par le Tribunal dans La Société Canadian Tire Limitée c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada [18] .

[26]  L’ASFC explique que l’utilisation par le président des valeurs normales correspondant à la réalité commerciale au moment de la transaction est conforme au mandat confié à l’ASFC par la loi, à savoir percevoir des droits antidumping « d’un montant égal » à la marge de dumping, ainsi qu’à la pratique en cours à l’ASFC en cas de demande de réexamen. Elle soutient également que l’article 59 de la LMSI autorise le président à réexaminer toute décision ou révision prévue aux articles 55, 56 et 57 se rapportant à quelque marchandise importée que ce soit.

[27]  L’ASFC fait également valoir que les questions d’équité procédurales soulevées par Ferrostaal ne sont pas pertinentes à l’égard des questions que doit trancher le Tribunal dans le présent appel.

Parties intervenantes

[28]  AMLPC et Gerdau ont toutes deux exprimé leur accord avec les observations de l’ASFC et présenté des observations additionnelles, lesquelles seront abordées plus en détail ci-dessous lorsqu’elles sont jugées pertinentes pour trancher l’appel [19] .

ANALYSE

[29]  Les parties s’entendent sur le fait que les marchandises importées étaient assujetties aux conclusions rendues par le Tribunal dans l’enquête no NQ-2016-003 et que l’exportateur de ces marchandises aux fins de la LMSI était BMZ. Il n’y a pas non plus de désaccord quant aux méthodes employées par l’ASFC pour calculer les valeurs normales de BMZ dans l’enquête initiale et dans le réexamen de l’enquête, aux méthodes employées pour calculer les prix à l’exportation des marchandises importées ni aux résultats de ces deux calculs.

[30]  Le présent appel soulève une seule et unique question, à savoir si les valeurs normales applicables aux marchandises importées doivent être celles établies pour BMZ lors du réexamen de l’enquête de l’ASFC, comme l’a déterminé le président de l’ASFC, ou celles déterminées lors de l’enquête initiale de l’ASFC, comme le soutient Ferrostaal.

[31]  Le Tribunal constate qu’en l’espèce, c’est Ferrostaal qui porte initialement le fardeau d’établir, de prime abord, que le réexamen des valeurs normales fait par le président aux termes de l’article 59 de la LMSI est invalide ou infondé [20] . Ferrostaal n’a pas réussi à s’acquitter de ce fardeau, pour les motifs énoncés ci-dessous.

La demande présentée par Ferrostaal aux termes du paragraphe 58(1.1) de la LMSI visait le réexamen des valeurs normales applicables aux marchandises importées

[32]  Selon Ferrostaal, elle n’a jamais remis en question le calcul ni la détermination des valeurs normales dans sa demande de réexamen présentée aux termes du paragraphe 58(1.1) de la LMSI. Elle fait valoir que la demande portait sur l’identité de l’exportateur et l’itinéraire de la cargaison de marchandises importées, et qu’elle n’était donc qu’incidemment liée aux valeurs normales applicables à ces marchandises. Selon Ferrostaal, l’ASFC s’est donné elle-même le pouvoir de rendre une décision de sa propre initiative.

[33]  Quant à elle, AMLPC fait valoir qu’au contraire la demande de réexamen de Ferrostaal portait nécessairement sur les valeurs normales, puisque de telles demandes peuvent seulement porter sur cinq éléments, dont un réexamen des valeurs normales, mais non de l’identité de l’exportateur. Dans la même lignée, Gerdau soutient que l’affirmation de Ferrostaal selon laquelle l’identité de l’exportateur serait de quelque façon distincte de la détermination des valeurs normales et des droits antidumping applicables en fin de compte fait abstraction du paragraphe 56(1) de la LMSI, selon laquelle une décision doit porter soit sur l’assujettissement, soit sur les valeurs normales, soit encore sur les prix à l’exportation. Selon elle, en l’espèce, le réexamen aux termes de l’article 59 résultait simplement de l’application par le président des bonnes valeurs normales établies pour l’exportateur des marchandises importées.

[34]  L’ASFC, AMLPC et Gerdau font également valoir que le Tribunal a déterminé dans Canadian Tire que le président n’est pas contraint de se limiter aux questions soulevées dans une demande de réexamen aux termes du paragraphe 58(1.1) de la LMSI, mais peut tenir compte d’autres aspects associés aux droits antidumping exigibles, y compris l’exactitude des valeurs normales applicables à une transaction.

[35]  De l’avis du Tribunal, les paragraphes 56(1) et 56(2) de la LMSI prévoient explicitement et clairement que les décisions et décisions réputées dont il est question peuvent porter sur cinq éléments, à savoir l’assujettissement, la valeur normale et le prix à l’exportation des marchandises importées, ainsi que le montant de la subvention octroyée ou le montant de la subvention à l’exportation octroyée pour ces marchandises, le cas échéant. Il s’ensuit logiquement que les demandes de révision ou de réexamen, et les révisions et réexamens effectués, aux termes des articles 56 à 59 doivent nécessairement porter sur un ou plusieurs de ces cinq éléments. Le Tribunal l’a reconnu dans Canadian Tire [21] .

[36]  En l’espèce, malgré l’affirmation de Ferrostaal selon laquelle la demande présentée aux termes du paragraphe 58(1.1) de la LMSI ne visait qu’à corriger une erreur de fait (c’est-à-dire à remplacer Pisec par BMZ comme exportateur des marchandises importées), et que cette question n’était qu’incidemment liée aux valeurs normales, en réalité sa demande était principalement et fondamentalement une demande de réexamen des valeurs normales applicables aux marchandises importées. De fait, l’ASFC avait déjà déterminé, dans le cadre de sa révision aux termes de l’alinéa 57b), que les valeurs normales applicables aux marchandises importées étaient le prix à l’exportation majoré de 108,5 %, et Ferrostaal cherchait maintenant à faire appliquer aux marchandises importées les valeurs normales établies pour BMZ dans le cadre de l’enquête initiale de l’ASFC. Autrement dit, la seule raison pour laquelle l’identité de l’exportateur était importante aux yeux de Ferrostaal était son incidence sur les valeurs normales applicables aux marchandises importées et, en fin de compte, la marge de dumping et les droits antidumping exigibles en conséquence.

[37]  Par conséquent, dans son traitement de la demande de réexamen de Ferrostaal, le président de l’ASFC devait en premier lieu déterminer si BMZ était bien l’exportateur des marchandises importées, comme le soutenait Ferrostaal. Le président s’est bel et bien rangé à la conclusion que BMZ était l’exportateur, mais cela ne constituait pas une fin en soi. Le président devait ensuite se pencher sur la question de quelles valeurs normales devaient s’appliquer : celles qui avait été établies pour BMZ dans le cadre de l’enquête initiale de l’ASFC ou celles établies dans le cadre du réexamen de l’enquête. Il était impossible pour le président d’ignorer cette question.

[38]  Même dans l’hypothèse où le Tribunal aurait estimé que ce qui précède ne suffisait pas à établir que la demande de réexamen de Ferrostaal portait sur les valeurs normales, il arriverait tout de même à la conclusion, conformément à sa décision dans Canadian Tire, qu’en plus d’examiner la question soulevée dans la demande de Ferrostaal (c’est-à-dire celle de l’identité de l’exportateur), le président avait le pouvoir discrétionnaire de réexaminer les valeurs normales applicables aux marchandises importées [22] .

L’application des valeurs normales mises à jour aux marchandises importées par le président était conforme à la LMSI et aux politiques de l’ASFC

[39]  Ferrostaal fait valoir que, dans le cadre du régime prospectif canadien d’application des droits, une valeur normale déterminée à la suite d’un réexamen d’enquête s’applique aux importations à partir de la date de sa détermination, sous réserve d’exceptions bien précises permettant leur application rétroactive. Elle soutient que les politiques de l’ASFC en matière de réexamens d’enquête, telles que reflétées dans le mémorandum D14-1-8 [23] , décrivent les exceptions en fonction desquelles peuvent être exigées des cotisations rétroactives, et qu’elles ne prévoient que les cas où l’exportateur n’a pas avisé comme il se doit l’ASFC de changements des prix intérieurs, des coûts, des conditions du marché ou des modalités de vente.

[40]  Par ailleurs, Ferrostaal soutient que, si les lignes directrices de l’ASFC sur les révisions et réexamens énoncées dans le mémorandum D14-1-3 [24] prévoient qu’une révision ou un réexamen portant sur les valeurs normales ou les prix à l’exportation se fonde sur les renseignements qui datent de la même période que la date de vente au Canada des marchandises qui sont importées, ou sur les renseignements les plus récents disponibles avant cette période, elles ne font pas mention des révisions et des réexamens résultant de demandes qui ne portent pas sur les valeurs normales ou les prix à l’exportation, comme c’est le cas en l’espèce.

[41]  Quant à l’énoncé de l’avis de conclusion, Ferrostaal fait valoir qu’il ne s’applique pas aux marchandises importées, car les marchandises ne faisaient l’objet d’aucun appel au moment où le réexamen de l’enquête s’est terminé, sa demande de réexamen ayant été présentée près de sept mois plus tard. Elle soutient que pour qu’il y ait un « appel » portant sur des entrées « qui n’ont pas encore été révisées » comme le prévoit l’énoncé, il faut qu’un appel soit en cours (c’est-à-dire qu’il ait été interjeté en bonne et due forme), et que l’ASFC ne doit pas encore avoir terminé son réexamen au moment où la nouvelle enquête se termine.

[42]  L’ASFC fait valoir que le Tribunal a souligné dans Canadian Tire que le régime prospectif canadien d’application des droits comprend certains éléments de rétroactivité, qu’il a conclu que la LMSI autorisait l’application des valeurs normales mises à jour dans le cadre d’un réexamen aux termes de l’article 59 et que le tout était conforme à la pratique établie énoncée dans les politiques de l’ASFC. Elle fait valoir que, dans le présent appel comme dans Canadian Tire, l’utilisation de valeurs normales mises à jour est conforme à la pratique énoncée dans le mémorandum D14-1-3.

[43]  L’ASFC soutient par ailleurs que l’énoncé de l’avis de conclusion s’applique tant aux appels en cours qu’aux appels à venir, et qu’il serait illogique et contraire aux exigences de la LMSI que l’ASFC applique des valeurs normales obsolètes dans le cadre d’un réexamen aux termes de l’article 59 simplement en raison du moment où l’appel a été déposé. Elle fait valoir que lorsque des valeurs normales reflétant les conditions du marché sont connues, comme en l’espèce, elles sont appliquées aux marchandises faisant l’objet de l’appel, peu importe le moment où l’appel a été déposé. L’ASFC ajoute que, comme l’a énoncé le Tribunal dans Canadian Tire, l’utilisation de valeurs normales mises à jour est conforme aux exigences de l’article 3 de la LMSI selon laquelle les droits antidumping doivent être d’un montant égal à la marge de dumping des marchandises qui sont importées.

[44]  AMLPC soutient que les énoncés de politique et les avis de l’ASFC ne sont pas des sources de droit conférant à l’ASFC le pouvoir de réexaminer des valeurs normales aux termes de l’article 59 de la LMSI ni définissant cette autorité. Selon elle, cette position est appuyée par des décisions de la Cour d’appel fédérale et du Tribunal sur la question [25] . Subsidiairement, elle est du même avis que l’ASFC, à savoir que l’énoncé de l’avis de conclusion s’applique à la fois aux appels en cours et aux appels qui pourraient être interjetés après qu’un réexamen d’enquête soit terminé. AMLPC et Gerdau sont toutes deux d’accord avec l’ASFC sur le fait que l’utilisation des valeurs normales mise à jour en l’espèce était conforme à la LMSI, aux politiques de l’ASFC et à la jurisprudence pertinente.

[45]  En réponse, Ferrostaal fait valoir que l’argument de l’ASFC selon lequel l’énoncé de l’avis de conclusion s’applique à la fois aux appels en cours et aux appels à venir est invalide, car la simple lecture de l’avis n’appuie pas cette interprétation.

[46]  Selon Ferrostaal, si l’on accepte la thèse de l’ASFC (et la décision du Tribunal dans Canadian Tire) selon laquelle l’application des valeurs normales mises à jour est conforme aux dispositions sur les droits exigibles de la LMSI, toutes les importations feraient l’objet de calculs rétroactifs visant à calculer la marge de dumping pour chaque vente des marchandises en cause, ce qui renierait le choix fait par le Parlement d’instaurer un régime prospectif d’application des droits.

[47]  Ferrostaal ajoute que d’exiger que les importateurs composent avec un système arbitraire dans lequel le dépôt d’une demande de réexamen revient à un jet de dés et ouvre la possibilité d’un calcul rétroactif même lorsqu’il n’y a aucun soupçon de faute est contraire à l’objectif déclaré d’un système prospectif, c’est-à-dire assurer une quelconque certitude et une certaine prévisibilité. Dans ce cas, les importateurs auraient selon elle tout intérêt à éviter de corriger des erreurs, aussi mineures ou machinales soient-elles, afin d’éviter pareille détermination rétroactive.

[48]  Enfin, Ferrostaal fait valoir que comme la date de vente des marchandises importées ne se situe pas dans la période visée par le réexamen de l’enquête, l’ASFC ne disposait pas dans les faits de renseignements datant de la même période que la date de vente. Elle soutient qu’il est injuste de se fonder sur « les renseignements les plus récents disponibles », comme le prévoit le mémorandum D14-1-3, lorsque ces renseignements n’ont aucun lien avec la date de vente. Il s’agit selon elle d’un exercice arbitraire du pouvoir discrétionnaire de l’ASFC qui fait subir à Ferrostaal des conséquences négatives disproportionnées.

[49]  Aux termes de la LMSI, il y a dumping lorsque le prix de vente de certaines marchandises qui sont importées au Canada (c’est-à-dire leur prix à l’exportation) est inférieur aux valeurs normales de ces marchandises. La valeur normale des marchandises qui sont importées par un exportateur correspond habituellement au prix auquel des marchandises similaires (c’est-à-dire des marchandises identiques ou similaires aux marchandises qui sont importées) sont vendues par cet exportateur dans son propre pays. Elle peut aussi correspondre à la somme du coût de production des marchandises qui sont importées, d’un montant raisonnable pour les frais, notamment les frais administratifs et les frais de vente, et d’un montant raisonnable pour les bénéfices, calculé en fonction des ventes de marchandises similaires de l’exportateur sur son marché national [26] . Dans les cas où les renseignements fournis ou accessibles ne suffisent pas à déterminer les valeurs normales, l’article 29 prévoit la possibilité de déterminer les valeurs normales selon les modalités fixées par le ministre. Ces valeurs normales sont généralement exprimées sous la forme d’une majoration du prix à l’exportation. Il est fréquent d’avoir recours à la prescription ministérielle lorsque des exportateurs refusent de coopérer avec l’ASFC dans le cadre d’une enquête ou d’un réexamen d’une enquête, avec un résultat généralement moins avantageux.

[50]  La LMSI et l’accord international sur lequel elle s’appuie, l’Accord sur la Mise en Œuvre de l’Article VI de l’Accord Général sur les Tarifs Douaniers et le Commerce de 1994 [27] (l’« Accord antidumping »), exigent qu’il y ait une comparaison équitable entre la valeur normale et le prix à l’exportation. Il s’agit de dire que les ventes utilisées dans la comparaison doivent permettre autant que possible de comparer « des pommes avec des pommes ». L’article 2.4 de l’Accord antidumping, notamment, prévoit que la comparaison entre la valeur normale et le prix à l’exportation « sera faite au même niveau commercial, qui sera normalement le stade sortie usine, et pour des ventes effectuées à des dates aussi voisines que possible ». La LMSI rend compte de l’obligation de comparaison équitable dans ses dispositions régissant le calcul des valeurs normales, lesquelles exigent globalement que les ventes utilisées pour calculer les valeurs normales se situent à une date raisonnablement proche de la date de vente pour exportation au Canada [28] .

[51]  Dans le contexte du calcul des droits, comme l’a souligné le Tribunal dans Canadian Tire, l’article 3 de la LMSI prévoit que les droits antidumping doivent être « d’un montant égal » à la marge de dumping des marchandises qui sont importées au Canada. Comme la « marge de dumping » correspond à l’excédent de la valeur normale des marchandises sur leur prix à l’exportation [29] , au premier abord, cette disposition semble exiger qu’une valeur normale soit établie et comparée au prix à l’exportation pour chaque vente des marchandises en cause au Canada. Afin d’assurer la conformité à l’obligation de comparaison équitable, la ou les ventes servant à établir la valeur normale devraient être situées à une date proche de la date de vente des marchandises en cause.

[52]  Toutefois, dans le cadre du régime prospectif canadien d’application des droits, les valeurs normales fondées sur les renseignements concernant les ventes et les coûts pendant l’année de la période d’enquête de l’ASFC sont déterminées par cette dernière et communiquées aux exportateurs à la fin de l’enquête. Les marchandises en cause dont le prix est égal ou supérieur à leurs valeurs normales ne sont assujetties à aucun droit antidumping lorsqu’elles sont importées au Canada [30] . Autrement dit, il est possible de prévenir l’imposition de droits antidumping en augmentant le prix de vente des marchandises (c’est-à-dire leur prix à l’exportation) à un niveau égal ou supérieur aux valeurs normales précédemment établies par l’ASFC (c’est-à-dire les valeurs normales prospectives). On estime que ce système protège efficacement les producteurs canadiens contre le dommage causé par les marchandises sous-évaluées, et qu’il permet aux exportateurs étrangers et aux importateurs canadiens de savoir exactement à quoi s’attendre en ce qui concerne les droits antidumping exigibles [31] .

[53]  L’évolution des conditions du marché peut faire en sorte que les valeurs normales établies lors de l’enquête ne soient plus en phase avec les prix (et les coûts) des marchandises dans le marché national de l’exportateur. Cela peut signifier que les ventes à l’exportation au Canada ne font plus l’objet de dumping ou, à l’inverse, que la marge de dumping des marchandises en cause est encore plus grande que lors de l’enquête initiale.

[54]  Afin de tenir les valeurs normales prospectives à jour et de refléter les conditions actuelles du marché, l’ASFC procède périodiquement à des réexamens d’enquête [32] . Les valeurs normales communiquées aux exportateurs une fois ce réexamen terminé, qui se fondent normalement sur des renseignements couvrant la période d’un an précédant le lancement d’un réexamen, sont ensuite appliquées aux importations subséquentes des marchandises en cause [33] .

[55]  Cela dit, bien que le régime prospectif canadien d’application des droits soit bien établi et semble permettre aux exportateurs étrangers et aux importateurs canadiens de savoir à quoi s’attendre dans une certaine mesure, sa mise en œuvre n’en demeure pas moins entièrement régie par des politiques et des procédures administratives. De fait, il n’y a aucune mention de valeurs normales prospectives – ni, d’ailleurs, de réexamens d’enquête – dans la LMSI, son règlement ni quelque autre loi se rapportant aux questions douanières [34] .

[56]  De fait, lorsque des marchandises en cause sont importées, le paragraphe 56(1) de la LMSI prévoit qu’un agent désigné par l’ASFC peut déterminer leur valeur normale. Cet élément cadre avec l’exigence susmentionnée prévue à l’article 3, à savoir que les droits perçus doivent être « d’un montant égal » à la marge de dumping des marchandises qui sont importées au Canada, dans la mesure où il permet à l’agent de déterminer la valeur normale et le prix à l’exportation pour chaque occasion où des marchandises en cause sont importées. Lorsque cette détermination n’a pas été effectuée dans les 30 jours suivant la déclaration en détail des marchandises aux termes de la Loi sur les douanes, le paragraphe 56(2) prévoit qu’une décision est réputée avoir été rendue conformément aux représentations faites lors de la déclaration en détail par son auteur.

[57]  Logiquement, donc, une révision des valeurs normales effectuée par un agent désigné de l’ASFC aux termes de l’article 57 de la LMSI ou un réexamen effectué par le président aux termes de l’article 59 doivent également porter sur les marchandises réellement importées. Comme l’a souligné le Tribunal dans Canadian Tire, le cadre de mécanismes administratifs séquentiels qui permettent de trancher, de réviser et de réexaminer des questions, comme les valeurs normales, comporte des éléments rétrospectifs [35] .

[58]  Nonobstant ce qui précède, le régime prospectif d’application des droits semble fonctionner comme il se doit pour ce que le Tribunal estime être deux principales raisons. Premièrement, les renseignements nécessaires au calcul des valeurs normales des marchandises réellement importées ne sont pas accessibles au moment de l’importation (ces renseignements sont habituellement recueillis dans le cadre de réexamens d’enquête se déroulant sur plusieurs mois). Deuxièmement, l’ASFC ne rend généralement pas de décisions aux termes du paragraphe 56(1) [36] , ce qui donne lieu à des décisions réputées avoir été rendues, conformément au paragraphe 56(2), lesquelles sont fondées sur les valeurs normales prospectives indiquées par l’importateur dans la déclaration en détail. L’ASFC réexamine couramment ces décisions réputées dans le cadre de ses activités normales d’application du régime, comme en l’occurrence pour les marchandises importées par Ferrostaal, mais à moins que la décision ne soit fondée sur des renseignements erronés, comme en l’espèce [37] , les importateurs n’ont pas à craindre que l’ASFC procède à une révision ou un réexamen [38] .

[59]  Toutefois, lorsque l’ASFC procède de fait à une révision ou un réexamen, que ce soit par sa propre initiative, parce qu’elle estime qu’une décision réputée était fondée sur des renseignements erronés lors de la déclaration en détail, ou en réponse à la demande d’un importateur, elle a généralement à sa disposition des valeurs normales établies plus récemment, dans la mesure où la révision ou le réexamen se produit un certain temps après l’importation des marchandises, tout particulièrement dans les cas d’un réexamen aux termes de l’article 59 de la LMSI [39] . Il est probable que ces nouvelles valeurs normales aient été déterminées en fonction de renseignements relevant de la même période que celle où les marchandises ont été vendues à l’importateur canadien ou, à tout le moins, en fonction de renseignements plus récents que ceux ayant servi à établir les valeurs normales utilisées au moment de l’importation. De l’avis du Tribunal, si elle choisissait d’appliquer les vieilles valeurs normales plutôt que les nouvelles, l’ASFC se trouverait à ignorer les dispositions abondamment claires de la LMSI à l’égard des droits exigibles, de la valeur normale et des révisions et réexamens [40] .

[60]  En l’espèce, Ferrostaal a conclu un contrat de vente visant les marchandises importées le 17 novembre 2017, et les valeurs normales établies par l’ASFC lors de son réexamen de l’enquête l’ont été en fonction de renseignements portant sur la période du 1er mai 2016 au 31 octobre 2017. Quant à elles, les valeurs normales établies lors de l’enquête initiale de l’ASFC, qui devraient s’appliquer selon Ferrostaal, l’ont été en fonction de renseignements portant sur la période du 1er juin 2015 au 31 mai 2016. Le Tribunal juge donc que le président a dûment appliqué les valeurs normales les plus récentes aux marchandises importées lors de son réexamen aux termes de l’article 59.

[61]  Le Tribunal constate que ce jugement est conforme à la pratique établie de l’ASFC, comme le montrent l’énoncé de l’avis de conclusion et les mémorandums D14-1-8 et D14‑1‑3, qui décrivent les circonstances dans lesquelles les valeurs normales sont appliquées rétroactivement. Ferrostaal soutient que l’application rétroactive des valeurs normales en l’absence d’une faute de la part des importateurs ou des exportateurs est contraire à l’intention explicite du régime prospectif canadien d’application des droits, à savoir offrir une quelconque certitude et une certaine prévisibilité. Toutefois, elle n’a présenté aucune preuve montrant que l’intention du système est d’offrir une certitude et une prévisibilité absolues. Quoi qu’il en soit, étant donné le cadre législatif de la LMSI, il est impossible d’atteindre un tel degré de certitude et de prévisibilité, et les importateurs devraient donc procéder à la déclaration en détail des marchandises avec grand soin au moment de leur importation.

[62]  L’extrait de l’énoncé de l’avis de conclusion dont les parties ont des interprétations divergentes se lit comme suit : « De plus, les valeurs normales [...] déterminé[e]s en fonction du présent réexamen seront appliqué[e]s à toutes les entrées de marchandises en cause faisant l’objet d’un appel qui n’ont pas encore été révisées au moment de la conclusion du présent réexamen ». Il apparaît au Tribunal que ce passage vise la seule situation dans laquelle pourrait survenir un doute sur la façon dont l’ASFC devrait procéder, à savoir lorsqu’une demande de révision est présentée avant la fin d’un réexamen d’enquête, mais que la révision est complétée après celle-ci. De fait, il serait absurde de donner à l’énoncé une interprétation selon laquelle dans la situation susdécrite, les nouvelles valeurs normales s’appliqueraient, mais où ce sont les anciennes valeurs normales qui s’appliqueraient dans l’éventualité où une demande de révision était présentée après la conclusion d’un réexamen d’enquête. Ainsi, de l’avis du Tribunal, la seule interprétation rationnelle de l’énoncé de l’avis de conclusion est celle voulant que toutes les révisions ou réexamens effectués par l’ASFC après qu’un réexamen d’enquête soit terminé doivent se fonder sur les nouvelles valeurs normales, peu importe le moment où la demande de révision ou de réexamen a été déposée [41] .

[63]  Cette interprétation cadre également avec les mémorandums D de l’ASFC. Selon le mémorandum D14-1-8, les renseignements obtenus dans le cadre d’un réexamen d’enquête peuvent servir à déterminer des valeurs normales pour des demandes de révision ou de réexamen n’ayant pas encore été traitées, ce qui peut entraîner une hausse des droits exigibles. Il se lit comme suit :

26. Les renseignements fournis au cours du réexamen de l’enquête ou de la révision des valeurs normales peuvent servir à déterminer les valeurs dans le cadre d’une demande de révision ou de réexamen qui n’a pas été traitée par l’ASFC à la date de clôture du réexamen de l’enquête ou de la révision des valeurs normales. D’autres droits pourraient être imposés ou des droits pourraient être remboursés selon la situation particulière. Consultez le Mémorandum D14-1-3 pour des renseignements sur les révisions, les réexamens et les procédures pour interjeter appel.

[64]  Le mémorandum D14-1-3 est encore plus clair; il prévoit que les révisions et réexamens doivent être fondés sur les valeurs normales qui datent de la même période que la date de vente au Canada des marchandises qui sont importées ou sur les valeurs normales les plus récentes qui sont disponibles. Il rappelle aussi aux importateurs qu’une demande de révision ou de réexamen peut entraîner une cotisation additionnelle de droits. Il se lit comme suit :

27. Quand une demande de révision ou de réexamen lui a été présentée comme il se doit, l’ASFC examine les renseignements, les preuves, les faits et les arguments. Dans le cas des droits antidumping, la révision ou le réexamen est effectué en fonction des valeurs normales et des prix à l’exportation, calculés selon des renseignements qui datent de la même période que la date de vente au Canada des marchandises importées, ou selon les renseignements les plus récents qui sont disponibles avant cette période. [...]

28. Les importateurs ne doivent pas oublier que le fait de présenter une demande de révision ou de réexamen ne donnera pas nécessairement lieu à un remboursement de droits et pourra même entraîner une cotisation additionnelle de droits.

[65]  À la lumière de ce qui précède, le Tribunal ne peut que conclure que l’application des nouvelles valeurs normales aux marchandises importées par le président était conforme à la LMSI et à la pratique établie de l’ASFC, comme le montrent ses politiques publiées.

Le degré d’équité procédurale accordé à Ferrostaal par le président n’est pas pertinent en l’espèce

[66]  Ferrostaal fait valoir que l’ASFC lui a refusé l’équité procédurale à laquelle elle avait droit en exigeant qu’elle soumette une demande de réexamen officielle afin de corriger l’erreur commise sur l’identité de l’exportateur, ce qui a obligé à Ferrostaal à payer des droits antidumping sur les marchandises importées, alors que l’erreur aurait pu être corrigée raisonnablement et efficacement si l’ASFC avait simplement annulé la décision rendue aux termes de l’alinéa 57b) de la LMSI, comme l’avait demandé Ferrostaal.

[67]  Ferrostaal fait aussi valoir que l’ASFC lui a refusé l’équité procédurale à laquelle elle avait droit en appliquant indûment sa politique administrative à son réexamen aux termes de l’article 59, de son propre chef (c’est-à-dire sans que Ferrostaal ne demande à l’ASFC de réexaminer les valeurs normales), en omettant d’aviser Ferrostaal de cette intention et en s’abstenant d’accorder à Ferrostaal une véritable occasion de présenter ses arguments avant d’appliquer le calcul rétroactif.

[68]  L’ASFC et AMLPC soulignent que Ferrostaal a reconnu que le Tribunal a toujours affirmé qu’il n’avait pas compétence sur les questions d’équité procédurale comme motifs d’appel [42] . L’ASFC indique également que, nonobstant le fait que les questions d’équité procédurale soulevées par Ferrostaal n’ont aucune pertinence dans le présent appel, elle n’est toujours pas d’accord avec l’affirmation selon laquelle la procédure s’étant soldée par la révision aux termes de l’alinéa 57b), ou l’application des valeurs normales mises à jour, étaient inéquitables.

[69]  Comme l’ont observé toutes les parties, le Tribunal a affirmé à maintes reprises qu’il n’avait pas compétence sur les questions d’équité procédurale comme motif d’appel distinct. Dans Toyota Tsusho, par exemple, le Tribunal mentionnait qu’il « n’a pas compétence pour étudier, dans le cadre d’appels aux termes de l’article 61 de la LMSI, des questions de justice naturelle et d’équité procédurale au sujet de la façon dont l’ASFC est parvenu à sa décision » [43] .

[70]  Le raisonnement du Tribunal était que dans la mesure où les appels dont il est saisi sont des procédures de novo et où son propre processus respecte l’équité procédurale, le résultat d’un appel est au bout du compte une nouvelle décision rendue selon une procédure équitable et transparente [44] . Il avait donc décidé que les questions se rapportant au degré d’équité procédurale accordé à l’appelante par l’ASFC dans ce cas n’étaient pas pertinentes aux fins de l’appel interjeté auprès du Tribunal [45] . Le Tribunal est d’avis que le même raisonnement s’applique dans le présent appel. Au bout du compte, ce n’est pas le rôle du Tribunal de commenter sur la teneur de l’obligation d’équité procédurale de l’ASFC à l’endroit de Ferrostaal.

[71]  Le Tribunal souligne que, dans la décision Robertson, il soutenait que « les questions de procédure ou d’équité du traitement accordé par l’ASFC peuvent parfois entrer dans l’évaluation du bien-fondé d’une décision de l’ASFC au sujet d’une question relevant de la compétence du Tribunal » [46] . Il expliquait que « les procédures suivies par l’ASFC, si elles ne constituent pas en elles‑mêmes des motifs d’appel, peuvent faire partie des faits ayant une certaine incidence sur la décision définitive qui sera rendue de novo à l’issue de l’appel » [47] . De l’avis du Tribunal, ce n’est pas le cas dans le présent appel, car les prétendus défauts d’équité procédurale soulevés par Ferrostaal n’ont aucune incidence sur la question de savoir quelles valeurs normales doivent être appliquées aux marchandises importées. Comme l’a déjà déterminé le Tribunal, il s’agit des nouvelles valeurs normales appliquées par le président.

Contrairement à ce qu’allègue Ferrostaal, l’ASFC n’a pas abusé de son pouvoir discrétionnaire

[72]  Ferrostaal soutient que l’ASFC a abusé de son pouvoir discrétionnaire de trois façons. Premièrement, selon elle, l’ASFC a omis de tenir compte, tant avant de rendre sa nouvelle décision aux termes de l’alinéa 57b) de la LMSI qu’après, de renseignements pertinents figurant déjà au dossier ainsi que de renseignements soumis par Ferrostaal, lesquels lui auraient permis soit de conclure que les valeurs normales établies pour BMZ devaient s’appliquer, ce qui aurait évité la révision, soit de corriger administrativement l’erreur de fait sur l’identité de l’exportateur et d’annuler la révision. Elle ajoute que ces omissions persistantes et cumulatives de tenir compte de renseignements pertinents ont entraîné une cotisation relative aux marchandises importées différant arbitrairement de la cotisation sur des marchandises en cause identiques achetées au même moment et selon les mêmes modalités.

[73]  Deuxièmement, Ferrostaal fait valoir que le calcul rétroactif des droits antidumping par l’ASFC en l’espèce a produit un résultat inéquitable, déraisonnable et, par conséquent, irrégulier. Elle soutient que dans un régime prospectif d’application des droits, il n’existe pas de motif raisonnable de calculer rétroactivement les droits antidumping lorsqu’il n’y a pas faute de la part de l’importateur ou de l’exportateur. Selon elle, en l’espèce, elle a exercé son droit d’appel prévu par la LMSI afin de corriger une erreur, mais s’est vue imposer un calcul rétroactif punitif de droits antidumping.

[74]  Troisièmement, Ferrostaal fait valoir que l’ASFC a abusé de son pouvoir discrétionnaire en faisant un calcul rétroactif des droits antidumping fondé sur une interprétation erronée de la LMSI et de ses propres politiques. En particulier, Ferrostaal soutient que l’application par l’ASFC de la politique énoncée dans le mémorandum D14-1-3 à un appel portant sur une question autre que les valeurs normales, et dans lequel aucunes observations portant sur les valeurs normales n’ont été faites, est irrégulière et viole l’intention de la politique et de la loi qu’elle vise à mettre en œuvre.

[75]  L’ASFC soutient que les questions soulevées par Ferrostaal ne sont pas pertinentes en ce qui a trait au présent appel. Néanmoins, elle fait valoir qu’elle avait des motifs valables de procéder à une révision aux termes de l’alinéa 57b) de la LMSI puisque Pisec était nommée comme exportatrice sur les documents douaniers et que l’ASFC ne connaissait pas à l’époque son existence ni son rôle relativement à BMZ. L’ASFC ajoute qu’elle ne pouvait pas procéder à une correction administrative et annuler le calcul des cotisations, car l’erreur commise par le courtier en douane de Ferrostaal ne constituait pas une erreur de transcription corrigible aux termes du paragraphe 12(2) de la LMSI.

[76]  La question dont le Tribunal est saisi dans le présent appel est l’exactitude de la décision du président aux termes de l’article 59 de la LMSI. Par conséquent, les mesures prises par l’ASFC avant et après qu’elle ait procédé à la révision aux termes de l’alinéa 57b) n’ont aucune pertinence quant à savoir quelles valeurs normales devaient s’appliquer aux marchandises importées. Par ailleurs, même si les marchandises importées ont été évaluées d’une autre façon que les marchandises visées par une transaction d’importation similaire, cela ne constitue pas selon le Tribunal une preuve que l’ASFC a abusé de son pouvoir discrétionnaire. En l’espèce, il s’agit plutôt d’une indication que chacune des transactions a été évaluée conformément au cadre législatif de la LMSI et aux politiques de l’ASFC. La transaction dans laquelle une erreur avait été commise a fait l’objet d’un réexamen, ce qui n’a pas été le cas de l’autre transaction [48] .

[77]  En fin de compte, au regard de la conclusion susmentionnée du Tribunal voulant que la demande de réexamen de Ferrostaal constituait principalement et fondamentalement une demande de réexamen des valeurs normales applicables aux marchandises importées et que l’application par le président des valeurs normales mises à jour aux marchandises importées était conforme à la LMSI, de même qu’aux politiques de l’ASFC énoncées dans les mémorandums D14‑1-8 et D14-1-3, les allégations d’abus de pouvoir discrétionnaire faites par Ferrostaal sont sans objet.

L’application par le président des valeurs normales mises à jour aux marchandises importées ne contrevenait pas aux attentes légitimes de Ferrostaal

[78]  Ferrostaal soutient que, par des actions cohérentes, l’ASFC a créé une attente légitime selon laquelle elle n’appliquerait des droits antidumping de façon rétroactive que dans des circonstances exceptionnelles, lorsqu’elle n’a pas été avisée en temps opportun de changements dans les conditions du marché, ce qui selon Ferrostaal n’est pas le cas en l’espèce. Selon elle, dans ces circonstances, l’ASFC devait s’acquitter d’un fardeau additionnel sur le plan de la procédure pour appliquer des droits antidumping de façon rétroactive [49] .

[79]  Le Tribunal souligne que dans Agraira, un arrêt auquel renvoie Ferrostaal, la Cour suprême du Canada a établi que la théorie de l’attente légitime ne constitue pas une source de droits matériels, mais ne peut que donner droit à une réparation procédurale convenable [50] . Par conséquent, même selon l’hypothèse que l’ASFC avait créé une attente légitime voulant qu’elle n’imposerait des droits antidumping rétroactifs qu’en cas de faute de la part de l’importateur ou de l’exportateur, cela aurait pour seul effet de l’obliger à accorder à Ferrostaal un plus grand degré d’équité procédurale. Toutefois, comme susmentionné, le Tribunal n’a pas compétence pour examiner, dans le cadre d’appels aux termes de l’article 61 de la LMSI, les questions d’équité procédurale se rapportant à la méthode utilisée par l’ASFC pour rendre sa décision.

[80]  Quoi qu’il en soit, étant donné la conclusion du Tribunal selon laquelle l’application par le président des valeurs normales mises à jour aux marchandises importées était conforme à la LMSI et aux politiques de l’ASFC, l’argument de Ferrostaal voulant que l’ASFC avait créé une attente légitime que des droits antidumping rétroactifs ne seraient imposés qu’en cas de faute n’a aucun fondement.

Les observations finales du Tribunal dans Canadian Tire sont incidentes et ne changent pas l’issue du présent appel

[81]  Ferrostaal fait valoir que l’ASFC et les parties intervenantes ont omis de faire mention des observations finales du Tribunal dans Canadian Tire, lesquelles évoquent sa préoccupation par rapport au fait que l’ASFC a essentiellement privé les importateurs de leur droit de corriger des erreurs de transcription et des erreurs arithmétiques mineures aux termes du paragraphe 12(2), sans qu’il soit nécessaire de se soumettre à un processus complexe et exigeant de révision ou de réexamen. Ferrostaal ajoute qu’un tel processus de révision ou de réexamen se traduit souvent par l’imposition punitive de droits antidumping rétroactifs. Elle soutient que c’est exactement la situation dans laquelle elle se trouve.

[82]  L’ASFC fait valoir qu’il n’était pas du tout clair qu’elle avait un motif d’annuler sa décision aux termes de l’alinéa 57b) de la LMSI, dans la mesure où l’erreur commise par le courtier en douane de Ferrostaal ne constituait pas une erreur de transcription corrigible aux termes du paragraphe 12(2). Elle soutient donc que Ferrostaal devait avoir recours aux dispositions d’appel de l’article 58.

[83]  Le paragraphe 12(2) de la LMSI stipule ce qui suit :

(2) Le président rembourse à l’importateur ou au propriétaire de marchandises tout montant, s’il est convaincu que celui-ci a été payé à tort ou en trop, en raison d’une erreur de transcription ou de calcul, dans les droits qu’ils ont payés ou qui ont été payés en leur nom sur les marchandises.

(2) If the President is satisfied that, because of a clerical or arithmetical error, an amount has been paid as duty in respect of goods that was not properly payable, the President shall return that amount to the importer or owner of the goods by or on whose behalf it was paid.

[84]  Dans Canadian Tire, le Tribunal a signalé incidemment qu’il était sensible à la situation de l’appelante, dans la mesure où sa demande visant à modifier la date de vente relative aux transactions en question dans cet appel a donné lieu à l’imposition imprévue de nouveaux droits antidumping d’un montant considérable [51] . Le Tribunal ajoutait que même si le paragraphe 12(2) de la LMSI ne pouvait s’appliquer dans les circonstances particulières du dossier, il s’inquiétait du défaut apparent de l’ASFC d’avoir rendu opérationnelle cette disposition permettant la correction d’erreurs de transcription ou de calcul, entraînant par défaut le recours aux dispositions relatives aux révisions et aux réexamens, généralement plus complexes et plus exigeantes en termes de ressources [52] .

[85]  De même façon, le Tribunal n’est pas insensible à la situation de Ferrostaal dans le présent appel, car l’erreur commise par son courtier en douane a donné lieu en fin de compte à des droits antidumping d’un montant substantiel. Toutefois, ces droits sont le résultat du respect du cadre législatif de la LMSI par le président et de son application correcte des valeurs normales mises à jour aux marchandises importées.

[86]  En ce qui concerne le paragraphe 12(2) de la LMSI, la question de savoir s’il aurait pu constituer une solution pour Ferrostaal, ou même si l’ASFC a pris des mesures pour le rendre opérationnel, n’est pas pertinente pour la question devant le Tribunal dans le présent appel. Le Tribunal ne peut pas examiner la révision de l’ASFC aux termes de l’alinéa 57b) ni sa décision de procéder à cette révision au lieu d’exercer son pouvoir discrétionnaire de recourir au paragraphe 12(2). Ferrostaal a par la suite déposé une demande valide de réexamen conformément au paragraphe 58(1.1), et il était par conséquent entièrement approprié pour le président de procéder à un réexamen aux termes du paragraphe 59. Le présent appel porte sur le bien-fondé de la décision du président. Le Tribunal a déjà conclu que la décision était conforme à la LMSI et aux politiques de l’ASFC, et donc bien fondé.

DÉCISION

[87]  L’appel est rejeté.

Serge Fréchette

Serge Fréchette
Membre présidant

 



[1]   L.R.C. (1985), ch. S-15 [LMSI].

[2]   Voir le paragraphe 96 de l’énoncé des motifs de l’ASFC concernant sa décision définitive de dumping, qui peut être consulté à l’adresse suivante : https://www.cbsa-asfc.gc.ca/sima-lmsi/i-e/rb22016/rb22016-fd-fra.html.

[3]   Pièce EA-2019-001-04 au par. 10, vol. 1.

[4]   Les valeurs normales déterminées pour BMZ ont été calculées d’après le sous-alinéa 20(1)c)(i) de la LMSI (voir le paragraphe 98 de l’énoncé des motifs de l’ASFC concernant sa décision définitive de dumping).

[5]   Barres d’armature pour béton (3 mai 2017), NQ-2016-003 (TCCE).

[6]   L’article 3 de la LMSI prévoit que les droits antidumping doivent être prélevés d’un montant égal à la « marge de dumping », qui est définie au paragraphe 2(1) comme l’excédent de la valeur normale des marchandises sur leur prix à l’exportation. Comme il sera expliqué par la suite, dans le cadre du régime prospectif canadien d’application des droits, la responsabilité du paiement des droits antidumping peut être annulée en augmentant le prix de vente des marchandises (c’est-à-dire le prix à l’exportation des marchandises) à un niveau qui est égal ou supérieur aux valeurs normales précédemment établies par l’ASFC.

[7]   L’ASFC a établi des valeurs normales pour tous les exportateurs n’ayant pas coopéré, mais celles-ci ont été déterminées par une prescription ministérielle en vertu du paragraphe 29(1) de la LMSI, en fonction du prix à l’exportation des marchandises majoré d’un montant égal à 108,5 % de ce prix à l’exportation (voir les paragraphes 149 et 151 de l’énoncé des motifs de l’ASFC concernant sa décision définitive de dumping). En l’espèce, la responsabilité du paiement des droits antidumping ne peut être annulée en augmentant le prix de vente des marchandises.

[8]   Pièce EA-2019-001-04 au par. 27, vol. 1. La lettre envoyée par l’ASFC à BMZ à la fin du réexamen de l’enquête contenait un commentaire similaire. Voir pièce EA-2019-001-17A (protégée) à la p. 23, vol. 2.

[9]   Pièce EA-2019-001-17A (protégée) aux p. 29-32, vol. 2.

[10]   Pièce EA-2019-001-04C (protégée) à l’onglet D, vol. 2.

[11]   Pièce EA-2019-001-04 aux par. 16, 19, vol. 1.

[12]   Pièce EA-2019-001-04C (protégée) aux p. 40, 46, 52, 58, vol. 2. Les demandes de rajustement ont été déposées en vertu de l’article 58 de la LMSI et du paragraphe 32.2(2) de la Loi sur les douanes.

[13]   Pièce EA-2019-001-04C (protégée) aux p. 36, 79, vol. 2.

[14]   Ibid. aux p. 69, 79.

[15]   Pièce EA-2019-001-04C (protégée) à l’onglet G, vol. 2.

[16]   Pièce EA-2019-001-04C (protégée) à l’onglet A, vol. 2.

[17]   Pièce EA-2019-001-04C (protégée) à la p. 222, vol. 2.

[18]   (29 octobre 2014), AP-2012-035 (TCCE) [Canadian Tire].

[19]   Le Tribunal souligne que les parties intervenantes ont présenté diverses observations qui ne sont pas pertinentes pour l’appel et qui visent à élargir indûment la portée de l’appel contrairement aux instructions du Tribunal. Le Tribunal partage l’avis de Ferrostaal selon lequel ces observations ne devraient pas être prises en compte. En particulier, le Tribunal n’a pas tenu compte des observations présentées par AMLPC aux paragraphes 32 à 37, 61 et 70 de son mémoire et des observations présentées par Gerdau aux paragraphes 12 à 15 de son mémoire.

[20]   Voir Canadian Tire aux par. 37, 39; Sugi Canada Ltée c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l’accise (17 décembre 1992), AP-92-013 (TCCE) à la p. 3; United Wood Frames Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (7 juin 2012), AP‑2011-039 (TCCE) au par. 10.

[21]   Canadian Tire au par. 45.

[22]   Voir Canadian Tire au par. 68, où le Tribunal a conclu que « l’alinéa 59(1)e) de la LMSI confère au président un grand pouvoir discrétionnaire quant aux situations dans lesquelles il peut procéder à un réexamen, puisque rien ailleurs dans la LMSI ne restreint la portée d’un réexamen effectué par le président aux termes dudit alinéa, sauf, bien entendu, les conditions préalables particulières énoncées à l’article 59 ». La décision du Tribunal à ce sujet a ensuite été confirmée par la Cour d’appel fédérale, qui s’est montrée en grande partie d’accord avec l’analyse et les conclusions du Tribunal. Voir Société Canadian Tire Limitée c. Canada (Agence des services frontaliers), 2016 CAF 20 au par. 6.

[23]   (19 juillet 2019), « Politique sur les réexamens de l’enquête et les révisions des valeurs normales – Loi sur les mesures spéciales d’importation (LMSI) ». Pièce EA-2019-001-17 à l’onglet 4, vol. 1.

[24]   (23 novembre 2018), « Révisions, réexamens et appels en vertu de la Loi sur les mesures spéciales d’importation ». Pièce EA-2019-001-17 à l’onglet 5, vol. 1.

[25]   Canada (Revenu national) c. JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250 aux par. 107-108; Digital Canoe Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (22 août 2016), AP-2015-026 (TCCE) au par. 25.

[26]   Voir les articles 15 et 19 de la LMSI et les articles 11 et 13 du Règlement sur les mesures spéciales d’importation. Dans certaines circonstances, qui sont définies aux alinéas 20(1)a) et b) de la LMSI, les valeurs normales peuvent être établies selon le prix ou les coûts de marchandises similaires dans un pays autre que le pays d’exportation.

[27]   En ligne à l’adresse suivante : https://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/19-adp_01_f.htm.

[28]   Comme les valeurs normales calculées en fonction du coût de production se fondent sur les coûts réels attribuables aux marchandises exportées, aucune « comparaison » n’est nécessaire ici.

[29]   Voir paragraphe 2(1) de la LMSI.

[30]   Canadian Tire au par. 75.

[31]   Rapport sur la Loi sur les mesures spéciales d’importation du Sous-comité de l’examen de la Loi sur les mesures spéciales d’importation du Comité permanent des finances et du Sous-comité sur les différends commerciaux du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international, Chambre des communes, Ottawa, décembre 1996 (en ligne : https://www.noscommunes.ca/Content/archives/committee/352/fore/reports/04_1996-12/chap4-f.html) [Examen de la LMSI de 1996].

[32]   Ces réexamens d’enquête sont également menés pour mettre à jour les prix à l’exportation et, le cas échéant, les montants de subvention. Voir le Mémorandum D14-1-8.

[33]   Canadian Tire à la note de bas de page 4.

[34]   Voir Robertson Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (25 janvier 2016), EA-2014-002 et EA‑2014-003 (TCCE) [Robertson] au par. 46, où le Tribunal a souligné que les réexamens d’enquête ne sont pas prévus par la LMSI.

[35]   Canadian Tire au par. 76.

[36]   Comme l’a fait remarquer le Parlement dans le cadre de l’Examen de la LMSI de 1996, le volume important des importations qui entrent au Canada et la nécessité d’accélérer les formalités douanières rendent impossible l’examen de chaque transaction au moment de l’importation.

[37]   Comme indiqué ci-dessus, le courtier en douane de Ferrostaal a identifié à tort l’exportateur comme étant Pisec, un exportateur qui n’avait pas reçu de valeurs normales de l’ASFC.

[38]   Voir le Mémorandum D14-1-3 au par. 36.

[39]   Dans la plupart des dossiers, un réexamen effectué par le président en vertu de l’article 59 de la LMSI constituera le deuxième niveau de réexamen après une révision effectuée par un agent désigné en vertu de l’article 57, qui est le premier niveau de révision.

[40]   Voir Canadian Tire au par. 72, où le Tribunal a laissé entendre que l’utilisation de renseignements mis à jour concernant les valeurs normales des transactions en question qui reflètent plus exactement les conditions commerciales au moment où elles ont eu lieu était nécessaire pour que l’ASFC exerce son pouvoir discrétionnaire conformément aux dispositions de la LMSI en matière de responsabilité des droits et à son mandat législatif de percevoir des droits antidumping « égaux » à la marge de dumping.

[41]   Cela veut essentiellement dire qu’une fois établies, les valeurs normales mises à jour doivent être utilisées en toutes circonstances, que ce soit par les importateurs qui font une déclaration en détail des marchandises ou par l’ASFC qui procède à des révisions ou à des réexamens.

[42]   Voir pièce EA-2019-001-04 au par. 58, vol. 1.

[43]   Toyota Tsusho America Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (27 avril 2011), AP-2010-063 (TCCE) [Toyota Tsusho] au par. 6. Voir aussi Robertson au par. 12.

[44]   Toyota Tsusho au par. 8.

[45]   Toyota Tsusho au par. 9.

[46]   Robertson au par. 13.

[47]   Ibid.

[48]   Bien que la décision réputée concernant les marchandises importées ait été fondée sur des renseignements inexacts (Pisec a été identifié comme l’exportateur) et ait donc fait l’objet d’une révision par l’ASFC, on suppose que l’autre transaction n’a pas été fondée sur des renseignements inexacts et que c’est la raison pour laquelle elle n’a pas fait l’objet d’une révision. Voir le Mémorandum D14-1-3 au par. 36.

[49]   Ferrostaal a cité une décision de la Cour suprême du Canada selon laquelle, si des observations ont été faites relativement à l’issue formelle d’une affaire, des procédures plus rigoureuses doivent être suivies avant de rendre une décision contraire. Voir Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 (CanLII) [Agraira] au par. 94.

[50]   Agraira au par. 97.

[51]   Canadian Tire au par. 113.

[52]   Ibid. au par. 114.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.