Appels en matière de douanes et d’accise

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Appel no AP-2019-003

Ronsco Inc.

c.

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Décision rendue
le mardi 17 mars 2020

Motifs rendus
le mercredi 1er avril 2020

 



EU ÉGARD À un appel entendu le 24 octobre 2019, aux termes de l’article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 18 janvier 2019, concernant une demande de révision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

RONSCO INC.

Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.

Cheryl Beckett

Cheryl Beckett
Membre présidant

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.


 

Lieu de l’audience :

Ottawa (Ontario)

Date de l’audience :

le 24 octobre 2019

Membre du Tribunal :

Cheryl Beckett, membre présidant

Personnel de soutien :

Heidi Lee, conseillère juridique

PARTICIPANTS :

Appelante

Conseillers/représentants

Ronsco Inc.

Peter Clark
Colin S. Baxter
David Taylor
Alyssa Edwards

Intimé

Conseiller/représentant

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Charles Maher

TÉMOINS :

Kent D. Montgomery
Vice-président exécutif et directeur des opérations
Ronsco Inc.

Peter (Pietro) Lepore
Ingénieur mécanique

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

APERÇU

[1]  Le présent appel est interjeté par Ronsco Inc. aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douances [1] contre une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi.

[2]  Il s’agit pour le Tribunal de déterminer si les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 8607.19.29 à titre d’« autres roues, avec ou sans essieux », comme l’a déterminé l’ASFC, ou si elles doivent être classées dans le numéro tarifaire 8607.19.30 à titre de « parties de roues », comme le soutient Ronsco.

[3]  Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que les marchandises en cause sont des roues qui relèvent du numéro tarifaire 8607.19.29.

MARCHANDISES EN CAUSE

[4]  Les marchandises en cause sont des roues H36, de classe C, qui seront utilisées sur du matériel roulant de fret. Ces roues sont constituées d’une seule pièce d’acier forgé et, au moment de l’importation, comprennent un alésage taillé grossièrement. En raison de cet alésage, les marchandises ne peuvent être fixées à des essieux.

[5]  Après l’importation, la finition de l’alésage taillé grossièrement est effectuée afin que les marchandises puissent être fixées à des essieux. Deux roues finies sont montées sur un seul essieu et sont fixées en place à l’aide de roulements afin de former un ensemble de roues [2] .

[6]  Les parties conviennent que les marchandises sont correctement classées dans la subdivision à deux tirets de la sous-position no 8607.19 : « Bogies, bissels, essieux et roues, et leurs parties ».

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

[7]  En 2015, Ronsco a importé les marchandises en cause dans le cadre de cinq transactions et les a classées dans le numéro tarifaire 8607.19.21 à titre d’« ébauches devant servir à la fabrication d’ensembles de roues et d’essieux ».

[8]  En 2017, l’ASFC a entamé une vérification de l’observation des programmes commerciaux concernant ces transactions et, le 27 août 2018, elle a rendu des décisions dans lesquelles elle a classé les marchandises dans le numéro tarifaire 8607.19.29 à titre de « roues avec ou sans essieux ».

[9]  Ronsco a demandé un réexamen des décisions, conformément au paragraphe 60(1) de la Loi.

[10]  Le 18 janvier 2019, l’ASFC a réaffirmé sa décision antérieure, confirmant le classement des marchandises dans le numéro tarifaire 8607.19.29.

[11]  Ronsco a interjeté appel le 15 avril 2019.

[12]  Le Tribunal a tenu une audience publique le 24 octobre 2019, à Ottawa (Ontario).

[13]  Ronsco s’est appuyée sur le témoignage, à titre de témoin de faits, de M. Kent Montgomery, vice-président exécutif et directeur des opérations chez Ronsco, et sur celui de M. Peter (Pietro) Lepore, un expert-conseil en génie mécanique, à titre de témoin expert. L’ASFC n’a convoqué aucun autre témoin et n’a soulevé aucune objection quant aux qualifications d’expert de M. Lepore.

[14]  Compte tenu des études et de l’expérience de M. Lepore, le Tribunal a reconnu ce dernier à titre de témoin expert dans les domaines suivants : les activités ferroviaires, les normes techniques relatives au matériel roulant, les wagons de marchandises et les locomotives, les composants et les activités de la chaîne d’approvisionnement dans le secteur du matériel roulant, les procédés de fabrication, y compris les composants comme les essieux montés, et le système intégré de maintenance ferroviaire en Amérique du Nord [3] .

[15]  Après l’audience, les parties ont déposé d’autres observations à la demande du Tribunal. Les parties ont déposé des répliques le 19 novembre 2019. Le dossier a été clos la même journée.

CADRE LÉGISLATIF

[16]  La nomenclature tarifaire est énoncée en détail dans l’annexe du Tarif des douanes, qui est conforme au Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (le Système harmonisé) élaboré par l’Organisation mondiale des douanes (OMD) [4] . L’annexe est divisée en sections et en chapitres et chaque chapitre de l’annexe contient une liste de marchandises classées dans des positions, des sous-positions et des numéros tarifaires.

[17]  Le paragraphe 10(1) du Tarif des douanes prévoit que le classement des marchandises importées est effectué, sauf indication contraire, en conformité avec les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé [5] et les Règles canadiennes [6] énoncées dans l’annexe.

[18]  Les Règles générales sont composées de six règles. Le classement commence par la règle 1, qui prévoit que le classement doit être déterminé d’après les termes des positions et des notes de section ou de chapitre et, lorsqu’elles ne sont pas contraires aux termes desdites positions et notes, d’après les autres règles.

[19]  L’article 11 du Tarif des douanes prévoit que, pour l’interprétation des positions et des sous‑positions, le Tribunal doit tenir compte du Recueil des Avis de classement du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises [7] et des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises [8] publiés par l’OMD. Bien que les avis de classement et les notes explicatives n’aient pas force exécutoire pour le Tribunal, le Tribunal les applique à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire [9] .

[20]  Par conséquent, le Tribunal doit d’abord déterminer si les marchandises en cause peuvent être classées au niveau de la position conformément à la règle 1 des Règles générales, selon les termes de la position et les notes de section ou de chapitre pertinentes du Tarif des douanes, compte tenu des notes explicatives et des avis de classement applicables. Comme l’a indiqué la Cour suprême du Canada dans l’affaire Igloo Vikski, ce n’est « seulement lorsque la Règle 1 ne permet pas d’arrêter de manière concluante le classement d’une marchandise qu’il faudra recourir aux autres Règles générales » [10] .

[21]  Une fois que le Tribunal a utilisé cette méthode pour déterminer la position dans laquelle les marchandises en cause doivent être classées, l’étape suivante consiste à utiliser une méthode similaire pour déterminer la sous-position appropriée [11] . L’étape finale consiste à déterminer le numéro tarifaire approprié [12] .

[22]  Les dispositions pertinentes du Tarif des douanes sont les suivantes :

Chapitre 86

VÉHICULES ET MATÉRIEL POUR VOIES FERRÉES OU SIMILAIRES
ET LEURS PARTIES; APPAREILS MÉCANIQUES (Y COMPRIS
ÉLECTROMÉCANIQUES) DE SIGNALISATION
POUR VOIES DE COMMUNICATIONS

86.07  Parties de véhicules pour voies ferrées ou similaires

  -Bogies, bissels, essieux et roues, et leurs parties :

8607.19  - -Autres

  - -Roues, avec ou sans essieux :

8607.19.29  - - - -Autres

8607.19.30  - - -Parties d’essieux ou de roues

[23]  Il y a également plusieurs notes se rapportant au chapitre et des notes explicatives.

[24]  La partie pertinente de la note 2 du chapitre 86 prévoit ce qui suit :

Relèvent notamment du n° 86.07 :

(a) les essieux, roues, essieux montés (trains de roulement), bandages, frettes, centres et autres parties de roue;

[25]  Les notes explicatives pertinentes de la position 86.07 prévoient ce qui suit :

La présente position couvre l’ensemble des parties de véhicules pour voies ferrées ou similaires, sous réserve, toutefois qu’elles satisfassent aux deux conditions suivantes:

(1)  Être reconnaissables comme étant exclusivement ou principalement destinées aux véhicules de l’espèce;

(11)  Ne pas être exclues par les Notes de la Section XVII.

Parmi ces parties de véhicules pour voies ferrées ou similaires, on peut citer :

(3) Les roues et leurs parties (corps de roues, bandages, frettes, centres, etc.).

POSITION DES PARTIES

Ronsco

[26]  Ronsco fait valoir que les marchandises en cause sont des « corps de roue » et qu’elles sont correctement classées à titre de « parties de roues » dans le numéro tarifaire 8607.19.30.

[27]  Selon Ronsco, au moment de leur importation, les marchandises ne peuvent remplir la fonction essentielle d’une roue. Ce n’est qu’après l’importation, c’est-à-dire après que l’alésage des roues est effectué, que les marchandises peuvent être fixées sur des essieux et être installées sur un véhicule pour être utilisées. 

[28]  Ronsco reconnaît que les marchandises en cause sont souvent appelées « wheels » (roues) dans l’industrie ferroviaire, mais Ronsco affirme néanmoins que les marchandises ne peuvent être utilisées comme des roues.

ASFC

[29]  L’ASFC soutient que les marchandises en cause sont des « roues » classées dans le numéro tarifaire 8607.19.29, conformément à la règle 1.

[30]  Selon l’ASFC, au moment de leur importation, les marchandises en cause présentent les caractéristiques et les fonctions d’une roue selon les normes de l’industrie. L’ASFC affirme également que les marchandises en cause sont communément appelées « wheels » (roues) dans l’industrie, y compris par Ronsco, le fabricant des marchandises, et l’Association of American Railroads (AAR) (association des chemins de fer américains).

[31]  De plus, l’ASFC soutient que ni le Tarif des douanes ni l’AAR ne définit les « roues » comme prêtes à être installées au moyen d’essieux adaptés. Par conséquent, selon l’ASFC, le fait que les marchandises comprennent un alésage taillé grossièrement plutôt que des alésages adaptés n’est pas pertinent pour ce qui est de la définition aux fins du classement tarifaire. 

[32]  L’ASFC affirme que les marchandises en cause ne peuvent être classées comme des « parties de roues », car elles ne sont pas assemblées à une autre partie pour former une roue entière ou complète. Selon l’ASFC, la façon dont sont fabriquées les marchandises fait en sorte qu’elles présentent les principales fonctions et caractéristiques des roues.

ANALYSE DU TRIBUNAL

[33]  Il s’agit pour le Tribunal de déterminer si les marchandises en cause sont des « roues » ou des « parties de roues ».

Preuve relative aux marchandises en cause

[34]  De manière générale, l’ASFC accepte la preuve relative aux marchandises en cause présentée par Ronsco, laquelle s’appuie en grande partie sur les témoignages du témoin de fait, M. Montgomery, et du témoin expert, M. Lepore. Les deux témoins étaient crédibles et ont présenté des témoignages utiles à l’examen du Tribunal en l’espèce.

Finition après l’importation

[35]  Comme mentionné ci-dessus, au moment de leur importation, les marchandises en cause comprennent un alésage taillé grossièrement. Dans cet état, les marchandises ne peuvent être montées sur les essieux « quels que soient les efforts déployés » [13] [traduction]. Comme les marchandises, en étant importées ainsi, ne peuvent être utilisées aux fins prévues, c’est-à-dire comme des roues fixées sous un véhicule, Ronsco soutient qu’elles sont en fait des parties d’une roue, selon la définition du numéro tarifaire 8607.19.30.

[36]  Après l’importation, Ronsco s’occupe de rendre aux marchandises en cause leur forme définitive dans son atelier. Le processus d’alésage des roues est effectué, ce qui permet de donner à l’alésage une forme adaptée à un essieu spécifique [14] . Il s’agit d’un processus très précis, car la marge de manœuvre est aussi mince qu’une feuille de papier [15] . Selon Ronsco, ce n’est qu’à cette étape que les marchandises en cause peuvent être considérées comme une roue, selon la définition du numéro tarifaire 8607.19.29.

[37]  La roue dans sa forme définitive est montée sur l’essieu. La roue et l’essieu sont maintenus ensemble par la friction des deux parties et sans aucun autre procédé de fixation, comme la soudure ou le boulonnage, et c’est pourquoi le processus d’alésage de la roue doit être aussi précis.

[38]  Bien que, en théorie, il soit possible d’effectuer l’alésage de la roue et de la fixer en place plus tard sur un essieu (c’est-à-dire des heures ou des mois plus tard), M. Lepore affirme qu’il n’est tout simplement pas pratique de procéder ainsi, car il faut un endroit pour entreposer les roues finies et que les roues finies et leurs essieux correspondants risquent d’être mélangés [16] . L’alésage et le montage sont habituellement effectués l’un après l’autre.

[39]  Pour ces motifs, M. Lepore a expliqué qu’il n’est pas réaliste ou pratique d’acheter des roues sans alésage [17] . Par conséquent, les roues de train importées au Canada comprennent toutes un alésage taillé grossièrement [18] .

Production des marchandises en cause

[40]  Le Tribunal se penche brièvement sur la production des marchandises en cause. La fabrication des roues de train en Amérique du Nord est régie par l’AAR [19] . La conformité à l’AAR permet de faire en sorte que les marchandises puissent être utilisées dans l’ensemble du réseau ferroviaire nord-américain (c’est-à-dire les services inter-réseaux).

[41]  La section G du Manual of Standards and Recommended Practices (manuel des normes et des pratiques recommandées) de l’AAR (le manuel de l’AAR) établit les normes de l’industrie concernant les roues et les essieux [20] . Ronsco a déposé un résumé des 18 étapes de la production des marchandises en cause, lesquelles, selon M. Lepore, sont conformes à la section G du manuel de l’AAR [21] . 

[42]  Comme le souligne l’ASFC, le manuel de l’AAR exige que la fabrication des roues comprenne un alésage taillé grossièrement [22] :

16.0 FINITION

16.1 Les roues doivent comprendre un alésage taillé grossièrement et sans taches noires.

[Traduction]

[43]  Ces exigences figurent également dans le résumé des 18 étapes de Ronsco. L’étape 14 prévoit que « le diamètre de l’alésage est laissé à l’état brut et le demeure jusqu’à ce que la marchandise ait été exportée » [23] [traduction].

[44]  Le Tribunal souligne également que, lorsque l’étape 6 est achevée, la marchandise « n’est plus une ébauche » [traduction]. M. Lepore convient que, à cette étape-là, la marchandise prend sa forme définitive, soit une roue H36 [24] . Le produit final, c’est-à-dire la marchandise en cause au moment de l’importation, possède les fonctions requises d’une roue, plus précisément une table de roulement, un boudin, une toile, un moyeu, une jante et un alésage [25] .

Terminologie de l’industrie

[45]  Selon les témoins, dans l’industrie ferroviaire nord-américaine, les marchandises en cause sont communément appelées « wheel blanks » (ébauches), « wheel plates » (toiles de roue) et « wheel bodies » (corps de roue) [26] . En outre, M. Lepore affirme que les marchandises sont aussi tout simplement appelées « wheel » (roue) [27] . Ces termes désignent tous un produit devant faire l’objet d’une finition ultérieure [28] .

[46]  Bien que d’autres termes soient utilisés pour désigner les marchandises en cause, l’ASFC soutient que, dans l’ensemble de l’industrie, elles sont généralement appelées « wheels ». L’ASFC souligne que le manuel de l’AAR emploie d’un bout à l’autre le terme « wheel » pour désigner les marchandises en cause. Ronsco achète, commercialise et vend les marchandises en cause comme des roues [29] . Ronsco se présente sur le marché comme un fournisseur de roues [30] . Le fabricant des marchandises en cause se présente lui comme un fabricant de roues de train, et il est certifié par l’AAR pour la vente de « roues en acier de forge » (forged wheels) [31] . À cet égard, M. Lepore convient que les marchandises en cause sont souvent commercialisées comme des roues par les fabricants [32] .

[47]  Dans l’ensemble, le Tribunal estime que, malgré les différents termes utilisés par l’industrie pour désigner les marchandises en cause, il ne fait aucun doute qu’ils désignent une roue comprenant un alésage taillé grossièrement.

[48]  Dans ses observations, Ronsco désigne les marchandises en cause comme des « corps de roues ». Pour justifier le choix de ce terme, Ronsco s’appuie sur la version française des notes explicatives de la position no 86.07, qui prévoient ce qui suit : « Parmi ces parties de véhicules pour voies ferrées ou similaires, on peut citer : […] roues et leurs parties (corps de roues, bandages, frettes, centres, etc.) » [nos italiques]. Ronsco fait valoir que les marchandises en cause sont des « corps de roues », terme que Ronsco traduit par « wheel bodies » [33] . L’ASFC ne partage pas l’avis de Ronsco pour ce qui est de l’utilisation de ce terme.

[49]  Les versions anglaise et française des notes explicatives de la position no 86.07 ne sont pas identiques. Si la version française renferme quatre exemples de parties de roues (« corps de roues, bandages, frettes, centres, etc. »), il n’y en a que deux dans la version anglaise (« wheel centres, metal tyres, etc. »).

[50]  Selon l’ASFC, le terme « corps de roues » dans la version française est équivalent au terme « wheel centres », car ils sont tous les deux le premier exemple de parties de roues. Ronsco soutient que le terme « wheel centre » dans la version anglaise est équivalent à « centres » dans la version française.

[51]  L’ASFC affirme que sa traduction est étayée par la note 2 du chapitre 86, dont les versions anglaise et française sont équivalentes. Dans la version anglaise, la note mentionne que la position no 86.07 s’applique aux éléments suivants : « axles, wheels, wheel sets (running gear), metal tires, hoops and hubs and other parts of wheels ». La version française énumère les éléments suivants : « les essieux, roues, essieux montés (trains de roulement), bandages, frettes, centres et autres parties de roues ». Compte tenu de ce qui précède, l’ASFC soutient que le terme « centres » dans la version française est équivalent à « hubs » dans la version anglaise.

[52]  À la lumière de ce qui précède, le Tribunal estime que le terme « corps de roues » dans la version française est l’équivalent de « wheel centres » dans la version anglaise. Par souci d’exhaustivité, le Tribunal souligne que rien n’indique que les marchandises en cause puissent être des « corps de roues ». Le seul élément de preuve au dossier à ce sujet indique qu’un corps de roue est une partie d’un type de roue de train qui est différente des marchandises en cause, tant par sa fabrication que par sa composition, et qu’il n’est pas utilisé en Amérique du Nord [34] .

Analyse

Les marchandises en cause sont des roues

[53]  Après un examen approfondi de la preuve, reproduite ci-dessus, le Tribunal est d’avis que les marchandises en cause sont des roues comprenant un alésage taillé grossièrement. Au moment de leur importation, les marchandises en cause sont des roues de train fabriquées selon les normes de l’industrie, lesquelles, comme le constate le Tribunal, doivent comprendre un alésage taillé grossièrement. Même si les marchandises doivent faire l’objet d’une finition supplémentaire pour être montées sur un essieu, les marchandises en cause sont des roues de train complètes.

[54]  Le Tribunal tient à rappeler que selon Ronsco les marchandises en cause ne sont pas des « roues » au sens du numéro tarifaire 8607.19.29, car elles ne peuvent pas être employées comme des roues. Autrement dit, Ronsco fait valoir que le numéro tarifaire 8607.19.29 ne s’applique qu’aux roues qui peuvent être montées sur des essieux, c’est-à-dire des essieux finis.

[55]  Rien ne permet au Tribunal de conclure que le numéro tarifaire 8607.19.29 est limité de cette façon. Les termes employés dans la subdivision à trois tirets du numéro tarifaire comprennent les « roues, avec ou sans essieux ». Selon le Tribunal, le sens ordinaire de cette disposition n’appuie pas les arguments de Ronsco à cet égard.

[56]  Par conséquent, le Tribunal estime que le fait que les marchandises comprennent un alésage taillé grossièrement n’empêche pas leur classement dans le numéro tarifaire 8607.19.29. Selon le Tribunal, les marchandises peuvent être classées dans le numéro tarifaire 8607.19.29 à titre d’autres roues sans essieux, conformément à la règle 1 [35] .

Les marchandises ne sont pas des parties de roues

[57]  Le Tribunal examine brièvement les raisons pour lesquelles les marchandises ne sont pas des parties de roues.

[58]  Le Tribunal a affirmé par le passé que bien qu’il n’existe pas de critère universel pour déterminer si un produit constitue une « partie », il a toutefois indiqué que les critères généraux suivants sont utiles pour savoir si tel est le cas :

  • si le produit est essentiel au fonctionnement des autres marchandises;

  • si le produit est une composante nécessaire et valide des autres marchandises;

  • si le produit est installé sur d’autres marchandises au cours de la fabrication;

  • les pratiques et usages commerciaux courants [36] .

[59]  L’ASFC soutient que les marchandises en cause ne sont pas assemblées avec un autre composant pour former une roue complète, et que l’alésage de la roue ne vise pas à transformer les marchandises en des roues, mais à adapter l’alésage taillé grossièrement à un essieu précis. De l’avis de l’ASFC, ce fait ne change pas la nature fondamentale de la roue ni ne transforme les marchandises en les faisant passer d’une partie de la roue en une roue.

[60]  Le Tribunal partage l’avis de l’ASFC. Bien que les marchandises en cause doivent faire l’objet d’une finition supplémentaire, le processus d’alésage de la roue ne transforme pas les marchandises en les faisant passer de parties de roue en des roues complètes. Elles ne peuvent tout simplement pas être considérées comme des parties. Au moment de l’importation, les marchandises constituent, en soi, la roue entière – il n’y a pas d’autre élément à assembler pour former une roue. Ronsco n’a présenté aucun élément de preuve pour convaincre le Tribunal du contraire.

La décision anticipée de l’ASFC

[61]  Enfin, le Tribunal prend acte que Ronsco a soulevé l’existence d’une décision anticipée de l’ASFC (la décision anticipée) rendue à l’égard de son concurrent en 2005 et qui avait trait notamment à des roues H36 comprenant un alésage taillé grossièrement. Dans la décision anticipée, les marchandises ont été classées dans le numéro tarifaire 8607.19.21 à titre d’ébauches pour les voitures de passagers [37] . La décision anticipée a permis de faire en sorte que le concurrent a pu importer les mêmes marchandises que les marchandises en cause en franchise de droits pendant environ 13 ans [38] . Ronsco s’est fondé sur cette décision anticipée pour importer les marchandises en cause en franchise de droits en utilisant le même numéro tarifaire 8607.19.21. Le conseiller juridique de Ronsco a soulevé la pertinence de la décision anticipée dans sa plaidoirie, affirmant que le changement d’avis de l’ASFC quant à la décision anticipée aurait une incidence financière concrète sur Ronsco, c’est-à-dire que le concurrent de Ronsco a pu importer des marchandises semblables en franchise de droits en 2015 en se fondant sur la décision anticipée, tandis que Ronsco, qui s’est fondée sur la même décision anticipée, serait désormais assujettie à un tarif de 9,5 % pour l’importation des mêmes marchandises [39] .

[62]  Le Tribunal reconnaît que l’imposition de droits historiques aux marchandises en cause, importées en 2015, représente un fardeau financier pour Ronsco, en particulier compte tenu du fait qu’elle mène des activités à faible marge [40] . Bien que le Tribunal comprenne la position de Ronsco à cet égard, il est bien établi, malheureusement, que les considérations d’équité n’ont pas d’importance dans le cadre du classement tarifaire [41] .

[63]  Des décisions comme celle en l’espèce représentent un risque inhérent lorsque est invoquée une décision anticipée rendue à l’égard d’un tiers. Les décisions anticipées rendues à l’égard d’un tiers, même si elles portent sur le même type de marchandises, ne doivent pas être prises en considération dans le cadre de l’exercice de classement tarifaire entrepris par le Tribunal. Il est bien établi que le Tribunal n’est pas lié par les décisions antérieures et que celles-ci n’ont aucune valeur probante pour ce qui est du classement tarifaire, car les appels devant le Tribunal sont entendus de nouveau [42] . Le mandat du Tribunal dans le cadre d’un appel consiste simplement à déterminer le classement tarifaire approprié des marchandises en cause. Il n’a pas le pouvoir de déterminer comment le classement tarifaire peut en définitive avoir une incidence sur l’appelant en ce qui concerne les droits imposés ni de quelle façon la décision anticipée sur laquelle s’appuie Ronsco devrait influencer les décisions de l’ASFC sur ces questions.

Conclusion

[64]  Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut que les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 8607.19.29 à titre de roues, conformément à la règle 1.

DÉCISION

[65]  L’appel est rejeté.

Cheryl Beckett

Cheryl Beckett
Membre présidant

 



[1]   L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.) [Loi].

[2]   Pièce AP-2019-003-03A au par. 3, vol. 1.

[3]   Transcription de l’audience publique, p. 105-106. Voir le rapport de M. Lepore, témoin expert, pièce AP-2019-003-17A, vol. 1.

[4]   Le Canada est l’un des pays signataires de la Convention internationale sur le Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises, qui régit le Système harmonisé.

[5] .  L.C. 1997, ch. 36, annexe [Règles générales].

[6] .  L.C. 1997, ch. 36, annexe.

[7] .  Organisation mondiale des douanes, 4e éd., Bruxelles, 2017.

[8] .  Organisation mondiale des douanes, 6e éd., Bruxelles, 2017.

[9] .  Voir Canada (Procureur général) c. Suzuki Canada Inc., 2004 CAF 131 (CanLII), aux par. 13, 17, et Canada (Procureur général) c. Best Buy Canada Inc., 2019 CAF 20 (CanLII), au par. 4.

[10] .  Canada (Procureur général) c. Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38 (CanLII), au par. 21.

[11] .  Selon la règle 6 des Règles générales, « [l]e classement des marchandises dans les sous-positions d’une même position est déterminé légalement d’après les termes de ces sous-positions et des Notes de sous-positions ainsi que, mutatis mutandis, d’après les règles [1 à 5] […] » et « les Notes de Sections et de Chapitres sont également applicables sauf dispositions contraires ».

[12] .  La règle 1 des Règles canadiennes stipule que « [l]e classement des marchandises dans les numéros tarifaires d’une sous-position ou d’une position est déterminé légalement d’après les termes de ces numéros tarifaires et des Notes supplémentaires ainsi que, mutatis mutandis, d’après les [Règles générales] […] » et que « les Notes de Sections, de Chapitres et de sous-positions sont également applicables sauf dispositions contraires ». Les avis de classement et les notes explicatives ne s’appliquent pas au classement au niveau du numéro tarifaire.

[13]   Transcription de l’audience publique, p. 31.

[14]   Transcription de l’audience publique, p. 31. Voir aussi la section G II du Manual of Standards and Recommended Practices de l’AAR, pièce AP-2019-003-03A, onglet 10, p. 141, vol. 1, et pièce AP-2019-003-03A, onglet 12, p. 150, vol. 1.

[15]   Transcription de l’audience publique, p. 45, 117.

[16]   Transcription de l’audience publique, p. 171-172.

[17]   Transcription de l’audience publique, p. 146-147.

[18]   Transcription de l’audience publique, p. 60.

[19]   Transcription de l’audience publique, p. 37.

[20]   Pièce AP-2019-003-11A, onglet 15, p. 98, vol. 1.

[21]   Transcription de l’audience publique, p. 138.

[22]   Transcription de l’audience publique, p. 142, et pièce AP-2019-003-03A, onglet 8, p. 104, vol. 1.

[23]   Pièce AP-2019-003-03A, onglet 3, p. 31, vol. 1.

[24]   Transcription de l’audience publique, p. 134.

[25]   Transcription de l’audience publique, p. 157.

[26]   Transcription de l’audience publique, p. 17.

[27]   Transcription de l’audience publique, p. 109. Selon M. Lepore, le terme « wheel » est généralement employé dans l’atelier de fabrication de roue. En dehors de l’atelier, c’est-à-dire dans le contexte des activités, le terme « wheel » n’est utilisé que dans des circonstances précises, notamment pour désigner une roue défectueuse parmi un ensemble de roues. Plus couramment, dans le contexte des activités, le pluriel « wheels » désigne un ensemble de roues (voir la Transcription de l’audience publique, p. 110, 128-129). En se fondant sur la preuve de l’ASFC, le Tribunal conclut, comme indiqué dans les présents motifs, que le terme « wheel » est utilisé dans l’industrie pour désigner les marchandises en cause en dehors des ateliers de fabrication.

[28]   Transcription de l’audience publique, p. 17, 26.

[29]   Pièce confidentielle AP-2019-003-03C, onglets 3, 19 et 20, vol. 2.

[30]   Transcription de l’audience publique, p. 51, pièce AP-2019-003-11A, onglet 10, p. 81, vol. 1.

[31]   Transcription de l’audience publique, p. 65-66; pièce AP-2019-003-11A, onglet 11, vol. 1.

[32]   Transcription de l’audience publique, p. 130.

[33]   Pièce AP-2019-003-03A aux par. 34-35, vol. 1; Transcription de l’audience publique, p. 86-87.

[34]   Pièce AP-2019-003-11A, onglet 13, p. 93, vol. 1; Transcription de l’audience publique, p. 165.

[35]   Bien que les marchandises soient décrites par les parties comme étant « inachevées » parce que des travaux supplémentaires sont requis, le Tribunal ne considère pas qu’elles ne sont pas inachevées, ce qui fait en sorte que l’on doive recourir à la règle 2. Le Tribunal constate également que les deux parties font valoir que le classement des marchandises peut être déterminé uniquement par la règle 1.

[36]   Alliance Mercantile Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (3 novembre 2017), AP‑2016-038 (TCCE) au par. 56.

[37]   Dans son intégralité, le numéro tarifaire 8607.19.21 comprend les « [é]bauches devant servir à la fabrication d’ensembles de roues et d’essieux pour les voitures à voyageurs de chemins de fer et de tramways (y compris les voitures de métro); Pour les véhicules pour voies ferrées autopropulsés pour le transport des passagers, des bagages, de la poste ou des messageries; Devant servir à la réparation des tramways (à l’exclusion des voitures de métro) avec sabots-freins électromagnétiques glissant sur le rail ». Les parties conviennent que le classement dans le numéro tarifaire 8607.19.21 n’est pas approprié en l’espèce, car les marchandises doivent être utilisées pour les voitures de passagers (et non pour les wagons de marchandises).

[38]   La décision anticipée a été modifiée en 2018 de sorte que ces marchandises ont été classées dans le numéro tarifaire 8607.19.29 à titre de roue. Dans sa déclaration écrite sous serment, le concurrent de Ronsco a confirmé avoir commencé à importer des marchandises semblables en 2019 en vertu du numéro tarifaire 8607.19.29, conformément à la décision anticipée modifiée (voir la pièce AP-2019-003-31, vol. 1).

[39]   Transcription de l’audience publique, p. 231.

[40]   Transcription de l’audience publique, p. 44.

[41]   Artcraft Company Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (8 mars 2018), AP-2017-016 (TCCE) aux par. 44-46.

[42]   Voir Helly Hansen Leisure Canada Inc. c. Canada (Agence des services frontaliers du Canada), 2009 CAF 345, au par. 16.

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