Appels en matière de douanes et d’accise

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Appel no AP-2019-044

Costco Wholesale Canada Ltd.

c.

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Décision rendue
le mercredi 3 février 2021

Motifs rendus
le vendredi 19 mars 2021

 



EU ÉGARD À un appel entendu les 6 et 7 octobre 2020 aux termes de l’article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 14 novembre 2019 concernant une demande de révision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

COSTCO WHOLESALE CANADA LTD.

Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est accueilli.

Susan D. Beaubien

Susan D. Beaubien
Membre présidant

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.

Lieu de l’audience :

Par vidéoconférence

Dates de l’audience :

Les 6 et 7 octobre 2020

Membre du Tribunal :

Susan D. Beaubien, membre présidant

Personnel de soutien :

Zackery Shaver, conseiller juridique

PARTICIPANTS :

Appelante

Conseillers/représentants

Costco Wholesale Canada Ltd.

Michael Sherbo
Andrew Simkins

Intimé

Conseillère/représentante

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Carolyn Phan

TÉMOINS :

David Moore
Propriétaire
Cardboard Memories Inc.

Mark Dizon
Joueur du championnat du monde de Pokémon JCC

Veuillez adresser toutes les communications à :

La greffière adjointe
Téléphone : 613-993-3595
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

[1] L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a établi qu’un produit correspondant à la description « Ensemble de 3 boîtes de cartes à collectionner Pokémon » peut‑être classé à titre de « cartes à jouer » dans le numéro tarifaire 9504.40.00 en vertu du Tarif des douanes [1] .

[2] Costco Wholesale Canada Ltd. (Costco) n’est pas d’accord et soutient que ces marchandises devraient plutôt être classées dans le numéro tarifaire 9504.90.00 à titre d’« [a]utres [...] articles pour jeux de société » [2] .

[3] Costco avait d’abord sollicité une décision anticipée auprès de l’ASFC conformément à l’article 43.1 de la Loi sur les douanes [3] . Dans sa décision anticipée, l’ASFC a conclu que les marchandises sont des « cartes à jouer » et que le numéro tarifaire 9504.40.00 s’applique [4] . Costco a demandé une révision auprès de la Direction des recours de l’ASFC [5] , qui a maintenu la décision selon laquelle les marchandises sont classées à juste titre en tant que « cartes à jouer » [6] .

[4] Costco interjette maintenant appel de la décision devant le Tribunal sur le fondement du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes [7] .

CONTEXTE FACTUEL

[5] PokémonMC est une franchise médiatique japonaise qui a été créée autour de 1995. Le nom « Pokémon » est un diminutif ou une contraction de l’expression anglaise « pocket monsters » (monstres de poche), qui désigne des créatures de fiction vivant à l’état sauvage au sein de l’univers Pokémon. Les créatures ont différentes formes et tailles et possèdent des aptitudes variées et des compétences spéciales. Chaque créature Pokémon est classée selon un type ou une catégorie particulière en fonction des pouvoirs et des compétences qu’elle possède, notamment le type « Feu », le type « Psy » et le type « Dragon », entre autres.

[6] Dans l’univers fictionnel des Pokémon, les êtres humains cherchent à acquérir ou à capturer des créatures Pokémon pour les dresser et s’en occuper. Au fur et à mesure que les Pokémon passent du temps avec leur propriétaire humain (appelés « dresseurs »), ils grandissent et prennent des forces. Ils peuvent même évoluer en des versions améliorées d’eux-mêmes, ce qui leur permet d’acquérir des capacités et des pouvoirs accrus et plus puissants. Les Pokémon s’adonnent à des sports de combat sous le commandement de leurs dresseurs.

[7] La franchise médiatique Pokémon a été commercialisée sous la forme de jeux vidéo, d’émissions de télévision, de films et de produits dérivés, y compris des jouets et des jeux de cartes à collectionner.

[8] Les marchandises en cause dans le présent appel sont des boîtes emballées contenant des cartes du jeu de cartes à collectionner (JCC) Pokémon. L’ASFC a décrit les marchandises de la façon suivante :

Les marchandises en cause consistent en trois boîtes décoratives du jeu de cartes à collectionner Pokémon. Chaque boîte contient :

  • 1 carte spéciale brillante Pokémon-EX;

  • 4 emballages d’extension du jeu de cartes à collectionner Pokémon;

  • Une carte à code servant à déverrouiller un paquet virtuel du jeu de cartes à collectionner [8] .

[Traduction]

[9] Les cartes Pokémon‑EX sont des cartes promotionnelles spéciales [9] .

[10] Chacun des emballages d’extension contenus dans une boîte comprend 10 cartes du JCC Pokémon. Sur chacune des cartes est imprimé le logo de Pokémon, la photo et le nom de la créature Pokémon, ainsi que d’autres images et du texte, y compris des instructions sur la façon d’utiliser la carte dans le contexte du JCC Pokémon [10] .

[11] Pour jouer au JCC Pokémon, chaque joueur doit posséder un paquet de 60 cartes. Les règles du jeu stipulent qu’un joueur doit posséder un paquet composé d’exactement 60 cartes. Les joueurs « assemblent » [traduction] leur propre paquet en achetant et en sélectionnant des cartes du JCC Pokémon. Par conséquent, chaque paquet est unique [11] .

[12] Chaque carte du JCC Pokémon appartient à l’une des trois catégories suivantes : carte Pokémon de personnage, carte Énergie et carte Dresseur [12] .

[13] Les cartes Pokémon de personnage décrivent et illustrent une créature Pokémon en particulier [13] . Ces cartes sont utilisées pour combattre d’autres créatures en cours de partie [14] .

[14] Les cartes Énergie alimentent les cartes Pokémon de personnage pour « attaquer » [traduction] le Pokémon adverse [15] .

[15] Les cartes Dresseur permettent de progresser dans la partie et présentent des options aux personnages Pokémon du joueur en fonction des attributs des cartes Pokémon de personnage qu’il détient [16] .

[16] Bien que les cartes du JCC Pokémon soient utilisées pour jouer au JCC Pokémon, elles peuvent aussi être collectionnées et échangées. Certaines cartes ont été affichées auprès de collectionneurs et vendues à des prix variant entre 1 250 $ et 90 000 $ [17] .

Décision de l’ASFC

[17] La décision de l’ASFC a été rendue le 14 novembre 2019 conformément au paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes [18] .

[18] En décidant de classer les marchandises dans le numéro tarifaire 9504.40.00, l’ASFC a désigné la position tarifaire no 9504 à titre de disposition législative pertinente.

[19] Par la suite, l’ASFC a examiné les définitions de l’expression « cartes à jouer » figurant dans les dictionnaires [19] . Elle a estimé que la définition de « cartes à jouer » s’étendait aux cartes de styles variés utilisées pour jouer à différents jeux et qu’elle n’était pas limitée à des paquets de 52 cartes.

[20] En se fondant sur des articles publiés dans Wikipédia, l’ASFC a conclu qu’un « paquet » peut être fabriqué sur mesure pour des casinos et des magiciens, ou à d’autres fins ou utilisations, comme des articles promotionnels, des souvenirs, des outils éducatifs, des accessoires de marque, des jeux de cartes à échanger ou des objets de collection. L’ASFC a également souligné que différents types de jeux de cartes existent dans différentes parties du monde.

[21] L’ASFC a ensuite examiné une définition de l’expression « jeu de cartes à collectionner » [traduction], c’est‑à‑dire un « jeu de cartes stratégique » constitué d’« ensembles de cartes à jouer spécialement conçus » utilisant des illustrations ou des images exclusives pour représenter diverses thématiques, notamment la science‑fiction, les genres d’horreur, les dessins animés ou les sports. L’ASFC a également mentionné la description, tirée d’un article Wikipédia, de la façon dont se jouent les jeux de cartes à collectionner et des prérequis pour jouer au JCC Pokémon.

[22] Compte tenu de ces observations, et en appliquant les Règles générales pour l’interprétation (RGI) 1 et 6, l’ASFC a conclu ce qui suit :

Puisque les cartes à collectionner Pokémon forment un jeu de cartes complet avec des règles à suivre, elles correspondent à la définition de l’expression « cartes à jouer ». Comme il ne s’agit pas de paquets individuels, le suffixe statistique 90 s’applique [20] .

[23] Costco a déposé un avis d’appel auprès du Tribunal le 10 février 2020 [21] .

Éléments de preuve supplémentaires en appel

[24] À l’appui de son appel, Costco a déposé un mémoire composé du dossier dont l’ASFC disposait et d’une argumentation écrite [22] .

[25] Costco a également présenté un échantillon des marchandises en cause afin que le Tribunal puisse l’inspecter [23] , et elle a signifié qu’elle appellerait M. Dave Moore, propriétaire de l’entreprise Cardboard Memories Inc., à titre de témoin des faits lors de l’instruction de l’appel [24] .

[26] L’ASFC a présenté un mémoire comprenant la demande de décision anticipée de Costco et des pièces justificatives [25] , plusieurs articles portant sur les jeux de carte à collectionner [26] , des descriptions du JCC Pokémon [27] , des renseignements sur l’évaluation, la collection et l’échange de cartes du JCC Pokémon [28] , ainsi que des indications et des stratégies pour assembler un paquet de cartes du JCC Pokémon [29] et pour jouer au JCC Pokémon [30] .

[27] Le mémoire déposé par l’ASFC incluait également des définitions provenant de dictionnaires et trouvées en ligne des mots jeu et jouets [31] ainsi que des expressions « 2-Player Starter Set (TCG) » [32] (paquet de départ pour deux joueurs (JCC)), « Booster Pack » [33] (emballage d’extension), « Card Games » [34] (jeux de cartes), « Playing Card » [35] (carte à jouer), « Playing Cards » [36] (cartes à jouer), « Pokémon » [37] et « Tarot Game » [38] (jeu de Tarot).

[28] Les deux parties ont également déposé des copies des lois et de la jurisprudence pertinentes sur lesquelles elles se sont fondées.

[29] Avant l’audience, l’ASFC a déposé le rapport de Mark Dizon [39] , qui a été appelé à titre de témoin expert de la pratique et de l’enseignement du JCC Pokémon et de la collection des cartes du JCC Pokémon.

[30] L’ASFC a fait savoir que, dans son témoignage, M. Dizon proposait d’expliquer le fonctionnement du JCC Pokémon durant l’audience au moyen d’un portail en ligne hébergé à l’adresse www.Pokémon.com [40] . Costco s’est opposée à cette façon de procéder. Elle a fait valoir que sa capacité à préparer le contre‑interrogatoire de M. Dizon pourrait être compromise puisque la démonstration du jeu au moyen du portail n’était pas prévue dans le rapport d’expert de M. Dizon et qu’elle serait présentée pour la première fois à l’audience [41] . La question a été réglée avant l’audience, puisque l’ASFC a fourni à Costco des documents (c.‑à‑d. des captures d’écran et un enregistrement) représentant les aspects visuels du JCC Pokémon et correspondant aux aspects du jeu que M. Dizon démontrerait durant son témoignage [42] .

Audience

[31] Une audience en personne a été fixée, mais elle a été annulée du fait des mesures de sécurité imposées à cause de la pandémie de COVID‑19 [43] . À la suite de discussions avec les parties [44] , l’audience a été reportée [45] et une audience virtuelle sur deux jours a eu lieu les 6 et 7 octobre 2020 par l’entremise de la plateforme WebEx. Les deux parties étaient représentées.

David (Dave) Moore

[32] À l’audience, Costco a appelé M. Moore à titre de témoin.

[33] M. Moore est propriétaire d’un magasin de cartes situé à Brampton, en Ontario, qu’il exploite depuis 1991. Il vend des cartes de sports, des albums de bande dessinée, des jeux de cartes à collectionner et des jouets [46] . Il vend également des cartes du JCC Pokémon depuis environ 1998‑1999, date de leur apparition sur le marché nord-américain.

[34] M. Moore affirme que son magasin vend des cartes du JCC Pokémon dans divers formats, à savoir en format individuel, en paquets de départ, en paquets ou en boîtes emballées [47] . M. Moore affirme que la clientèle qui achète des cartes du JCC Pokémon est répartie en quatre catégories principales.

[35] La première catégorie est composée d’adultes (parents, grands‑parents, tantes, oncles), qui achètent des cadeaux pour un enfant. Selon M. Moore, ces acheteurs ne connaissent pas bien les subtilités de la franchise Pokémon. Ils cherchent principalement à acheter de beaux cadeaux qui plairont à leur destinataire. En règle générale, ce type de client a besoin d’aide ou en demande lors de l’achat [48] .

[36] La deuxième catégorie d’acheteurs est constituée d’enfants ou de jeunes adultes qui dépensent en général de l’argent qu’ils ont reçu en cadeau ou de l’argent de poche. Selon M. Moore, ces clients attachent de l’importance au prix et à la valeur de ce qu’ils achètent et ont tendance à acheter des cartes du JCC Pokémon vendues dans des emballages individuels [49] .

[37] Les joueurs compétitifs constituent la troisième catégorie d’acheteurs. Dans son témoignage, M. Moore a affirmé que ces clients possèdent généralement une vaste collection de cartes et qu’ils sont peu susceptibles de faire des achats importants. Les joueurs s’échangent des cartes entre eux. Par conséquent, on peut déduire du témoignage de M. Moore que ceux‑ci cherchent uniquement à acheter des cartes ciblées qui manquent à leur collection et qu’ils ne peuvent obtenir au moyen d’échanges [50] .

[38] M. Moore qualifie le quatrième type d’acheteurs de « collectionneurs » [traduction]. Souvent d’anciens joueurs du JCC Pokémon durant leur enfance, ces clients achètent de grandes quantités de produits dans le but de les conserver dans leur emballage jusqu’à ce que les cartes prennent de la valeur. Les articles peuvent également être mis aux enchères ou vendus sur divers sites Web. M. Moore a décrit ce type de clients comme des acheteurs « avertis » [traduction] qui cherchent à acheter des produits particuliers pour ensuite les revendre dans le contexte d’une « micro‑entreprise » [51] [traduction].

[39] Dans son magasin, M. Moore vend également des accessoires conçus spécifiquement pour les cartes du JCC Pokémon, y compris des classeurs, des feuilles pour classeurs, des étuis, des pochettes souples, des protecteurs pour les paquets ainsi que des sacs utilisés pour protéger et conserver les cartes et les paquets de façon sécuritaire. Ces accessoires sont utilisés sans égard au fait que les cartes soient collectionnées, échangées ou utilisées pour jouer. Des tapis de jeux sont également vendus et utilisés pour protéger les cartes contre les égratignures ou autres dommages pouvant survenir dans une partie du JCC Pokémon [52] .

[40] En contre‑interrogatoire, M. Moore a affirmé que son magasin organise et accueille des événements en lien avec le JCC Pokémon, ainsi que des tournois compétitifs du JCC Pokémon. M. Moore a reconnu que son magasin fait la promotion des cartes du JCC Pokémon comme étant des cartes pouvant servir au jeu, mais qu’elles sont également commercialisées à titre de cartes à collectionner [53] .

Mark Dizon

[41] L’ASFC a appelé Mark Dizon à titre de témoin expert de la pratique et de l’enseignement du JCC Pokémon et de la collection des cartes du JCC Pokémon [54] .

[42] M. Dizon est un joueur compétitif du JCC Pokémon et est commandité. Selon son témoignage, il collectionne, achète, vend et échange des cartes du JCC Pokémon. Il collectionne les cartes depuis environ 22 ans et sa collection personnelle comprend plus de 20 000 unités [55] . Il achète, vend et échange des cartes Pokémon quotidiennement [56] .

[43] Dans son rapport d’expert, M. Dizon fournit des détails relatifs à sa carrière de joueur compétitif du JCC Pokémon. Il est un membre actif de la communauté du JCC Pokémon depuis décembre 2016 et il joue à des jeux de cartes à collectionner depuis 16 ans [57] .

[44] M. Dizon a participé aux championnats du monde de 2018 à Nashville, au Tennessee, ainsi qu’aux championnats du monde de 2019 à Washington D.C. De plus, il s’est classé parmi les seize premiers lors des championnats internationaux nord-américains en 2018, le tournoi le plus prestigieux après les championnats du monde. En 2018 et en 2019, il s’est également classé parmi les cinq premiers lors de compétitions réservées aux meilleurs joueurs canadiens [58] .

[45] En plus de participer à des tournois du JCC Pokémon, M. Dizon forme et entraîne d’autres joueurs compétitifs qui ont fait bonne figure lors de tournois internationaux. Il gère également le site Web 60cards.net, consacré aux Pokémon, dans lequel il écrit notamment des articles portant sur le jeu et les stratégies à adopter [59] .

[46] Dans une année moyenne, M. Dizon joue au JCC Pokémon à raison de 40 fins de semaine sur 52. De plus, il joue dans des tournois locaux, où il entraîne aussi d’autres joueurs, une à deux fois par semaine. Plusieurs boutiques spécialisées commanditent ses activités à titre de joueur compétitif et d’entraîneur [60] .

[47] Dans son témoignage, M. Dizon a affirmé qu’à titre d’entraîneur du JCC Pokémon, il forme les joueurs quant à la dimension psychologique du jeu, y compris la préparation aux tournois, l’attitude à adopter et la concentration durant une partie, ainsi que sur les aspects stratégiques liés à l’utilisation des cartes, au choix des coups et à la façon de se remettre de ses erreurs [61] .

[48] M. Dizon crée également du contenu en lien avec le JCC Pokémon pour le site de diffusion en continu Twitch en agissant à titre de commentateur et en faisant la démonstration du jeu compétitif du JCC Pokémon pour un public en direct et interactif [62] . De nombreux groupes Facebook portant sur le JCC Pokémon reconnaissent M. Dizon à titre de joueur compétitif [63] et il est organisateur de la Ligue Pokémon. Les ligues Pokémon sont généralement accueillies par des boutiques spécialisées où les nouveaux joueurs peuvent apprendre le jeu et se préparer en vue de participer à des tournois [64] .

[49] M. Dizon a aussi témoigné concernant la collection et l’évaluation des cartes du JCC Pokémon. Il a affirmé qu’il estime quotidiennement la valeur de ses cartes en surveillant les ventes et les prix affichés sur les marchés en ligne comme eBay, www.TrollandToad.com et www.TCGplayer.com [65] .

[50] Lorsqu’il a été contre‑interrogé au sujet de ses compétences, M. Dizon a reconnu n’avoir jamais travaillé pour une entreprise qui fabrique des cartes du JCC Pokémon [66] .

[51] Les parties étaient en désaccord sur un aspect relatif à l’expérience et à l’expertise de M. Dizon. Costco fait valoir que M. Dizon ne peut être considéré comme un expert au sujet de la conception de cartes du JCC Pokémon, puisque c’est le fabricant qui conçoit les cartes et prévoit leur utilisation. Cette objection est fondée sur certaines opinions exprimées par M. Dizon dans son rapport d’expert. Autrement, Costco ne s’est pas opposée aux compétences de M. Dizon à titre d’expert de la pratique du JCC Pokémon, de la collection des cartes, ainsi que de l’enseignement et de la formation destinés à d’autres joueurs.

[52] Le Tribunal a reconnu M. Dizon à titre de témoin expert en ce qui a trait à la pratique du JCC Pokémon, à la collection des cartes du JCC Pokémon, ainsi qu’à l’enseignement et à la formation destinés à d’autres joueurs. Le Tribunal a signalé qu’il est nécessaire de comprendre comment les cartes sont conçues et présentées pour jouer au JCC Pokémon. À cet égard, il faut savoir interpréter les renseignements imprimés et présentés sur la carte en cours de partie. Cependant, ces connaissances ne constituent pas une expertise en matière de théorie ou de conception de jeux du point de vue d’un concepteur employé par un fabricant. Costco semblait craindre que la preuve de M. Dizon aille dans cette direction. À la fin du témoignage principal de M. Dizon, le Tribunal a indiqué qu’il traiterait de telles questions ou objections au cas par cas si elles se présentaient [67] .

[53] Dans son rapport d’expert et dans son témoignage, M. Dizon a expliqué la nature du JCC Pokémon et la façon dont on y joue. Devant le Tribunal, il a fait la démonstration d’une partie en ligne du JCC Pokémon [68] .

[54] Le thème sous‑jacent du JCC Pokémon consiste à présenter les leçons de vie apprises symboliquement par les créatures Pokémon alors qu’elles combattent au sein du jeu et évoluent en des versions améliorées d’elles-mêmes [69] .

[55] On joue au JCC Pokémon en suivant un ensemble de règles que tous les joueurs peuvent consulter en ligne [70] . Il s’agit d’un jeu qui allie aptitudes et chance [71] . On peut y jouer à l’aide de cartes physiques ou virtuelles [72] .

[56] Il n’y a pas de plateau de jeu en tant que tel [73] . Il est possible de jouer sur n’importe quelle surface, mais il existe une règle quant à la disposition des cartes au fur et à mesure que la partie progresse [74] .

[57] En particulier, M. Dizon a expliqué comment identifier les différents types de cartes du JCC Pokémon et il a décrit leurs caractéristiques et leurs propriétés.

[58] Les cartes Pokémon de personnage présentent des images des créatures. Chaque carte Pokémon de personnage fournit le nom et l’image d’un personnage Pokémon en particulier et définit ses caractéristiques, ses capacités et ses pouvoirs. Ces cartes sont utilisées ou jouées pour simuler un combat entre Pokémons. La carte contient également des renseignements sur chaque stade de l’évolution du personnage, ses forces et son rang par rapport aux autres créatures. Chaque personnage a également un type d’énergie qui renvoie à des éléments comme la plante, le feu, l’eau, le psy et le combat [75] .

[59] Lorsqu’il se bat contre d’autres personnages, un Pokémon peut infliger des blessures à son adversaire et encaisser des coups, qui sont mesurés en soustrayant des « points de vie » [76] . Les « points de vie » d’un personnage sont notés sur la carte. Les cartes Pokémon de personnage sont jouées conjointement avec les cartes Énergie.

[60] En cours de partie, le joueur comptabilise l’énergie perdue par une créature Pokémon, qui est mesurée en soustrayant ses « points de vie» [77] . Des dés ou d’autres articles peuvent être utilisés pour compter les points de vie perdus [78] . Quand une créature Pokémon perd tous ses points de vie, elle est retirée de la partie. Il est possible de « rétablir » le Pokémon pour qu’il recouvre ses points de vie puis retourne dans la partie [79] .

[61] Les cartes Énergie sont associées à un thème en particulier et sont jouées sous les cartes Pokémon de personnage pour simuler l’énergie dont un Pokémon a besoin pour attaquer. Différents types d’énergie peuvent présenter des avantages compétitifs par rapport à d’autres [80] .

[62] Les cartes Dresseur font progresser la partie conformément aux règles imprimées sur celles‑ci [81] . Elles fournissent des instructions et des directives aux joueurs [82] et forment en général entre 40 et 50 p. 100 des cartes dans le paquet d’un joueur [83] .

[63] Selon M. Dizon, les caractéristiques des cartes du JCC Pokémon sont comparables aux couleurs d’un paquet régulier de 52 cartes. Chaque carte du JCC Pokémon a son propre « élément », qui accordera à la carte une priorité ou une dominance relative par rapport à une autre carte. M. Dizon explique cette règle de la façon suivante : « Les cartes de type Feu seront plus faibles face aux cartes de type Eau, alors que les cartes de type Plante sont plus sensibles aux cartes Feu [...] » [84] [traduction].

[64] Chaque carte du JCC Pokémon a également une valeur de récompense. En début de partie, chaque joueur sélectionne dans son paquet un ensemble de cartes qui formeront ses cartes récompense [85] . Si un joueur retire un personnage Pokémon opposé, il peut choisir une carte récompense [86] .

[65] Chaque partie du JCC Pokémon est différente puisque l’assortiment de cartes récompense, sélectionnées par les joueurs à partir de leurs paquets individuels personnalisés, est différent à chaque fois [87] .

[66] Un joueur gagne la partie lorsqu’il obtient toutes les cartes récompense ou retire tous les personnages Pokémon adverses ou lorsque son adversaire n’a plus de cartes [88] .

[67] M. Dizon a aussi expliqué de quelle façon un paquet de JCC Pokémon est assemblé en vue de jouer de façon compétitive, ainsi que les objectifs stratégiques sous-jacents à l’assemblage du paquet et à son utilisation dans un contexte de jeu compétitif, y compris jusqu’à des compétitions de haut niveau comme le Championnat du monde [89] .

[68] L’objectif du joueur est de construire r un paquet optimal en utilisant les meilleures cartes qui sont disponibles et d’adapter ce paquet à sa stratégie de jeu [90] . Les permutations et combinaisons de cartes qui composent un paquet sont proportionnelles au nombre de cartes disponibles aux joueurs. Les cartes peuvent être tirées de la collection personnelle du joueur, acquises par l’achat d’emballages d’extension ou de cartes individuelles (au choix). Les cartes peuvent aussi être empruntées à d’autres joueurs [91] .

[69] Au fur et à mesure que de nouvelles cartes sont mises sur le marché, d’autres cartes en sont retirées. Les joueurs du JCC Pokémon révisent continuellement les stratégies de jeu optimales, ce qui implique d’assembler de nouveaux paquets en retirant et en ajoutant de nouvelles cartes assorties de différents attributs et caractéristiques [92] .

[70] Seules les cartes parues au cours des deux dernières années sont valides dans un contexte de jeu compétitif [93] . Les marchandises en cause sont parues en 2016, vers la fin de leur durée de vie [94] , et elles ne peuvent plus être utilisées lors de compétitions de haut niveau comme les tournois [95] .

[71] En prévision d’une partie, les joueurs peuvent apporter plusieurs paquets et décider ensuite, en fonction des parties jouées par les autres, le paquet qu’ils souhaitent sélectionner et utiliser [96] . Les joueurs peuvent conserver leurs cartes dans des pochettes protectrices afin d’éviter les déchirures et autres dommages qui pourraient résulter du brassage et de la manipulation des cartes [97] .

[72] M. Dizon a affirmé dans son témoignage que le jeu se renouvelle grâce à la parution et l’ajout de nouvelles cartes, ce qui incite aussi les joueurs à continuer à en acheter [98] .

[73] Les cartes peuvent être vendues, acquises ou achetées dans divers formats, que ce soit individuellement ou dans des emballages d’extension, des coffrets ou des boîtes (comme c’est le cas pour les marchandises en cause) [99] .

[74] L’achat d’emballages d’extension peut générer des doubles ou des cartes qui ne sont d’aucun intérêt pour l’acheteur. Les joueurs expérimentés peuvent acheter des ensembles de cartes nouvellement parues en grande quantité (jusqu’à une valeur de 1 000 $) dans le but d’acquérir les meilleures cartes pour leur collection. Les cartes restantes sont vendues ou échangées à d’autres personnes [100] .

[75] Certaines cartes du JCC Pokémon sortent à titre promotionnel. Les personnages représentés sur ces cartes ainsi que ses attributs sont les mêmes que ceux figurant sur les cartes régulières, mais les cartes promotionnelles ne sont pas contenues dans les emballages d’extension. Elles peuvent être vendues dans le cadre d’autres présentations de vente, y compris dans les boîtes des marchandises en cause [101] .

[76] M. Dizon a en outre expliqué que chaque carte du JCC Pokémon est classée et marquée selon sa rareté. Les cartes marquées d’un cercle sont communes alors que les cartes marquées d’un diamant sont peu fréquentes et que celles marquées d’une étoile sont rares [102] . Le degré de « rareté » des cartes qui composent un paquet peut constituer un choix stratégique au moment d’assembler ou d’utiliser le paquet dans une partie donnée [103] . Cependant, un joueur pourrait décider de conserver ou de collectionner les cartes peu fréquentes ou rares plutôt que de les utiliser dans le cadre de compétitions [104] .

[77] Les cartes du JCC Pokémon peuvent aussi être achetées, échangées et vendues dans le but de réaliser un profit [105] . Certaines cartes ont une grande valeur [106] et sont collectionnées au même titre qu’une œuvre d’art [107] . Certaines cartes promotionnelles peuvent avoir une valeur accrue en tant qu’objet de collection [108] . La valeur d’une carte peut varier avec le temps et peut être estimée, à tout moment, en consultant des boutiques en ligne [109] .

[78] Selon M. Dizon, les cartes vendues dans le format des marchandises en cause ont peu de chances d’avoir une grande valeur ou de constituer des pièces de collection [110] . Il est d’avis que les cartes du JCC Pokémon issues des marchandises en cause sont conçues pour être jouées et que leur valeur potentielle à titre d’objet de collection est secondaire [111] .

[79] M. Dizon établit une distinction entre les cartes du JCC Pokémon des marchandises en cause et une série de cartes Pokémon à collectionner lancée par l’entreprise Topps Company autour de 1999. Les cartes Pokémon à collectionner de Topps n’étaient associées à aucun jeu et faisaient plutôt référence à un film et à des émissions de télévision portant sur les Pokémon [112] .

[80] En ce qui a trait aux marchandises en cause, le personnage illustré sur les boîtes indique au joueur/à l’acheteur qu’une carte du JCC Pokémon à l’effigie de ce personnage se trouve à l’intérieur [113] . Il s’agit généralement d’un Pokémon puissant qui sera utile dans un contexte compétitif, contrairement aux cartes faisant partie d’un emballage d’extension, qui sont acquises par pur hasard. En effet, ces emballages contiennent un assortiment de cartes choisies aléatoirement [114] . L’achat d’emballages d’extension contenant des cartes choisies de façon aléatoire comporte le risque que les cartes aient un « faible niveau de puissance » et qu’elles aient peu ou pas de valeur en contexte de jeu.

[81] La carte à code inclue dans chacun des emballages d’extension que contient la boîte est un article de type « cadeau avec achat » qui peut être échangé contre un emballage d’extension en ligne contenant des cartes virtuelles utilisées pour jouer en ligne [115] . Les codes peuvent aussi être vendus, échangés ou troqués entre joueurs et peuvent donc être utilisés comme une sorte de monnaie virtuelle [116] .

[82] Les cartes à code fournissent un accès pour jouer en ligne et servent donc d’accessoire aux cartes physiques [117] . Pour jouer au JCC Pokémon en ligne, un joueur doit assembler un paquet en ligne de cartes virtuelles. Les paquets en ligne sont assemblés à partir de la collection de cartes virtuelles du joueur en suivant les mêmes objectifs stratégiques qui s’appliquent lorsqu’il s’agit d’assembler un paquet physique. M. Dizon a affirmé qu’il possède 76 paquets individuels de cartes virtuelles [118] .

[83] La seule façon d’acquérir des cartes virtuelles est par l’intermédiaire des cartes à code qui se trouvent dans les emballages d’extension contenant des cartes physiques. Par conséquent, un joueur souhaitant rassembler des cartes virtuelles doit acheter des emballages d’extension ou acquérir des cartes à code contenues dans ces derniers.

[84] Les boîtes peuvent servir d’accessoire pour entreposer des cartes ou des paquets [119] .

[85] Au cours de son témoignage en ligne, M. Dizon a fait la démonstration d’accessoires supplémentaires, y compris des pochettes protectrices pour les cartes du JCC Pokémon, des cartes rares du JCC Pokémon, ainsi que des tapis de jeu pour le JCC Pokémon. À la suite de l’audience, l’ASFC a présenté des exemplaires de ces accessoires pour compléter le dossier [120] .

[86] Le Tribunal a conclu que M. Moore et M. Dizon étaient des témoins honnêtes qui ont essayé de se montrer utiles. Durant son témoignage, M. Dizon a comparé certains aspects des cartes du JCC Pokémon aux couleurs des cartes dans un jeu moderne. M. Dizon n’était pas reconnu à titre d’expert concernant les jeux qui se jouent à l’aide d’un paquet régulier ou moderne de 52 cartes, ou en ce qui a trait à d’autres types de cartes. Son expertise se restreint aux cartes du JCC Pokémon et au JCC Pokémon. Le Tribunal a accordé peu de poids aux éléments de son témoignage qui débordaient de ce cadre.

[87] À la suite des témoignages de M. Moore et de M. Dizon lors de l’audience, les deux parties ont présenté des observations orales au Tribunal.

POSITIONS DES PARTIES EN APPEL

Costco

[88] Costco soutient que l’analyse du classement doit commencer par la sous‑position no 9504.40 – « Cartes à jouer » et la question de savoir si les cartes du JCC Pokémon sont des « cartes à jouer ». En se fondant sur des entrées du Cambridge English Dictionary, du Oxford Dictionary et du Merriam-Webster Dictionary, Costco fait valoir que la caractéristique commune universelle à toutes les « cartes à jouer » est qu’elles sont numérotées et divisées par couleur.

[89] Costco soutient que cette interprétation correspond à l’expression « cartes à jouer » prévue dans les dispositions de l’ancienne Loi sur l’accise.

[90] Puisque les cartes du JCC Pokémon ne sont pas numérotées ni divisées par couleur, Costco soutient qu’elles ne sont pas visées par la définition de « cartes à jouer ». Costco fait valoir que l’exclusion de la sous‑position no 9504.40 est renforcée par le fait que les cartes du JCC Pokémon sont commercialisées, vendues et utilisées en tant que cartes à échanger qui, dans certains cas, ont une très grande valeur comme objet de collection.

[91] Costco affirme que l’ASFC, en classant les marchandises sous l’appellation « cartes à jouer », a commis une erreur en interprétant la sous‑position no 9504.40 de façon trop large. Essentiellement, l’ASFC a interprété la sous‑position 9504.40 comme se rapportant aux « jeux de cartes de toutes sortes » ou aux « cartes de toutes sortes » plutôt que comme des « cartes à jouer ». Costco soutient que, ce faisant, l’ASFC a appliqué de façon erronée les principes d’interprétation législative.

[92] Par conséquent, Costco soutient qu’étant donné que la sous‑position no 9504.40 ne s’applique pas, les marchandises sont correctement classées dans la sous‑position no 9504.90 : « Autres - Consoles et machines de jeux vidéo, articles pour jeux de société, y compris les jeux à moteur ou à mouvement, les billards, les tables spéciales pour jeux de casino et les jeux de quilles automatiques ».

ASFC

[93] L’ASFC a résumé le cadre juridique permettant d’établir le classement tarifaire, en commençant par l’article 10 de la Loi sur les douanes et l’exigence selon laquelle le classement des marchandises importées doit être établi conformément aux RGI et aux Règles canadiennes.

[94] La question à trancher en l’espèce consiste à déterminer la sous‑position applicable dans la position no 9504. L’ASFC souligne que les deux parties conviennent que la position no 9504 s’applique aux marchandises, mais qu’elles ne s’entendent pas quant à savoir laquelle des sous‑positions no 9504.40 ou no 9504.90 est appropriée.

[95] Étant donné que l’expression « cartes à jouer » n’est pas expressément définie dans la Loi sur les douanes, l’ASFC examine les Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises [121] et fait remarquer que la note 11 englobe « [l]es jeux de cartes de toutes sortes et de toutes dimensions (bridge, tarot, lexicon, etc.) ».

[96] L’ASFC soutient qu’afin d’être classées dans la sous‑position no 9504.40, les marchandises doivent être des « cartes à jouer » pour des « jeux de cartes de toutes sortes », et que ces deux conditions sont réunies en l’espèce. L’ASFC soutient en outre que la sous‑position no 9504.90 est résiduelle et qu’elle n’a pas à être examinée davantage une fois qu’il est établi que les marchandises relèvent de la sous‑position no 9504.40.

[97] L’ASFC cite les définitions des expressions « cartes à jouer » et « carte à jouer » tirées des ouvrages suivants, et elle se fonde sur celles‑ci : Oxford English Dictionary, Oxford Pocket Dictionary of Current English, Collins English Dictionary, MacMillan Dictionary, The American Heritage Dictionary, The Chambers Dictionary, Encyclopedia Britannica, Columbia Encyclopedia et Encyclopedia.com.

[98] L’ASFC fait valoir que toutes les « cartes à jouer » ont en commun les caractéristiques suivantes : (1) elles font partie d’un ensemble ou d’un paquet de cartes; (2) elles consistent en une pièce de carton mince; (3) elles sont utilisées pour jouer à des jeux. Selon l’ASFC, les cartes du JCC Pokémon possèdent chacune de ces caractéristiques.

[99] La note explicative de la position no 95.04 renvoie aux « jeux de cartes de toutes sortes » et dresse une liste non exhaustive d’exemples. Compte tenu des définitions exhaustives de l’expression « jeux de cartes » dans les dictionnaires, l’ASFC soutient que les « jeux de cartes » ne se limitent pas aux jeux faisant appel à un jeu de 52 cartes « moderne » ou standard. Bien que le bridge soit joué è l’aide d’un paquet standard de 52 cartes, d’autres jeux de cartes énoncés en exemple dans la note 11 utilisent des paquets différents, comme le tarot, qui utilise des paquets formés de 54 à 78 cartes, ainsi que le jeu de mots lexicon, auquel on joue à l’aide d’un paquet de 52 cartes associées à des valeurs alphanumériques. Selon l’ASFC, l’expression « jeux de cartes » doit par conséquent être interprétée de façon large et s’étend aux « jeux de cartes à collectionner ».

[100] Le JCC Pokémon se joue à l’aide d’un paquet de 60 cartes composé de cartes personnages et d’autres cartes. L’ASFC fait valoir que ces cartes sont mélangées, tirées et passées entre les joueurs dans un jeu qui fait appel au hasard et à l’adresse. L’ASFC soutient que l’évolution, la création et les différences entre les paquets, qui ont cours au fur et à mesure qu’un joueur acquiert de l’expérience, correspondent aux jeux de cartes « de toutes sortes ». Bien qu’il soit possible, et peut‑être même encouragé, d’échanger des cartes, un joueur peut assembler un paquet et jouer au JCC Pokémon sans utiliser de cartes préalablement échangées.

[101] L’ASFC soutient que la conception, les caractéristiques, la commercialisation et le prix des marchandises appuient également sa conclusion selon laquelle ces dernières sont destinées à être utilisées pour jouer à un jeu de cartes. Malgré le fait que les marchandises incluent des boîtes de rangement et des codes d’accès électroniques pour jouer en ligne, l’ASFC affirme qu’elles sont principalement constituées d’un assortiment de cartes Pokémon de personnage et d’autres cartes vendues dans des enveloppes scellées. Il convient de souligner que les marchandises contiennent 123 cartes malgré le fait que le JCC Pokémon nécessite un paquet composé d’exactement 60 cartes, ni plus ni moins.

[102] L’ASFC soutient en outre qu’ouvrir des emballages d’extension pour découvrir de nouvelles créatures Pokémon fait ressortir l’élément de hasard du JCC Pokémon, ce qui correspond à la façon dont le jeu a été conçu. Le recours aux termes « jeu de cartes » [traduction] et « cartes de jeu » [traduction] sur l’emballage des produits vient souligner que les marchandises sont conçues pour être utilisées en contexte de jeu.

[103] De plus, l’ASFC soutient que le prix des marchandises ne correspond pas au prix élevé d’un objet de collection. Puisque n’importe quel article peut prendre de la valeur avec le temps, le fait que certaines cartes du JCC Pokémon soient collectionnées ne change pas la nature des marchandises aux fins du classement tarifaire.

[104] L’ASFC soutient que Costco propose une interprétation indûment restrictive de l’expression « cartes à jouer ». En outre, le fait que les cartes du JCC Pokémon puissent être collectionnées ou échangées ne suffit pas à modifier leur classement dans la sous‑position no 9504.40. L’ASFC soutient que si c’était le cas, toute carte à jouer (y compris les éditions spéciales) inclue dans un paquet moderne collectionné par des amateurs ne pourrait être classée dans la sous‑position no 9504.40.

[105] Par conséquent, l’ASFC soutient que la sous-position résiduelle no 9504.90 ne s’applique pas.

ANALYSE

[106] Costco a interjeté appel sur le fondement du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, qui prévoit que « [t]oute personne qui s’estime lésée » par une décision de l’ASFC peut en interjeter appel devant le Tribunal en déposant un avis d’appel dans les délais prescrits. Nul ne conteste que Costco est une « personne qui s’estime lésée » [122] au sens du paragraphe 67(1).

[107] Les articles 10 et 11 du Tarif des douanes énoncent l’approche analytique que le Tribunal doit adopter au moment d’établir le classement des marchandises :

(1) Sous réserve du paragraphe (2), le classement des marchandises importées dans un numéro tarifaire est effectué, sauf indication contraire, en conformité avec les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé et les Règles canadiennes énoncées à l’annexe.

(2) Des marchandises ne peuvent être classées dans un numéro tarifaire comportant la mention « dans les limites de l’engagement d’accès » que dans le cas où leur importation procède d’une licence délivrée en vertu de l’article 8.3 de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation et en respecte les conditions.

11 Pour l’interprétation des positions et sous-positions, il est tenu compte du Recueil des Avis de classement du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises et des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises et de leurs modifications, publiés par le Conseil de coopération douanière (Organisation mondiale des douanes).

[108] Les Règles générales sont destinées à être appliquées suivant une analyse séquentielle et hiérarchique des marchandises, telle que l’a décrite la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Igloo Vikski Inc. [123]

[109] Conformément à l’article 11, le Tribunal qui effectue cette analyse doit également tenir compte des Notes explicatives pertinentes et applicables aux marchandises en cause. Le Tribunal devrait respecter les directives énoncées dans les Notes explicatives à moins qu’il existe un motif valable de ne pas le faire [124] .

[110] Le Tribunal n’a pas à faire preuve de retenue à l’égard de la décision rendue par l’ASFC en première instance. Les appels interjetés devant le Tribunal sont instruits de nouveau, même si une des parties ou les deux peuvent choisir de reprendre la totalité ou une partie du dossier de première instance ou de compléter ce dossier par de nouveaux éléments de preuve. Le Tribunal doit rendre sa propre décision relativement au classement tarifaire approprié pour les marchandises en se fondant sur le dossier d’appel. Ce faisant, il est loisible au Tribunal d’évaluer le dossier dont il dispose, notamment d’apprécier de nouveau les éléments de preuve qui ont été présentés à l’ASFC et d’examiner tout nouvel élément de preuve présenté en appel [125] .

[111] En l’espèce, la question à trancher est très restreinte. Les parties s’entendent pour dire que les marchandises en cause se classent dans la position no 9504 – « Consoles et machines de jeux vidéo, articles pour jeux de société, y compris les jeux à moteur ou à mouvement, les billards, les tables spéciales pour jeux de casino et les jeux de quilles automatiques (bowlings, par exemple) » [126] du chapitre 95 – « Jouets, jeux articles pour divertissements ou pour sports, leurs parties et accessoires » [127] . Le litige se situe au niveau de la sous‑position. Si les marchandises en cause sont des « cartes à jouer », elles sont correctement classées dans la sous‑position no 9504.40. Si elles ne le sont pas, la sous‑position résiduelle no 9504.90 s’appliquera.

[112] Les dispositions pertinentes du Tarif des douanes et des Notes explicatives sont les suivantes :

SECTION XX: MISCELLANEOUS MANUFACTURED ARTICLES

SECTION XX : MARCHANDISES ET PRODUITS DIVERS

CHAPTER 95

TOYS, GAMES AND SPORTS REQUISITES; PARTS AND ACCESSORIES THEREOF

CHAPITRE 95

JOUETS, JEUX, ARTICLES POUR DIVERTISSEMENTS OU POUR SPORTS, LEURS PARTIES ET ACCESSOIRES

95.04 Video game consoles and machines, articles for funfair, table or parlour games, including pintables, billiards, special tables for casino games and automatic bowling alley equipment.

. . .

95.04 Consoles et machines de jeux vidéo, articles pour jeux de société, y compris les jeux à moteur ou à mouvement, les billards, les tables spéciales pour jeux de casino et les jeux de quilles automatiques (bowlings, par exemple).

[...]

9504.40.00 - -Playing cards

9504.40.00 -Cartes à jouer

 

[113] Les Notes explicatives de la position no 95.04 sont les suivantes :

95.04- Video game consoles and machines, articles for funfair, table or parlour games, including pintables, billiards, special tables for casino games and automatic bowling alley equipment.

 

This heading includes:

 

(11) Card games of all kinds (bridge, tarot, “lexicon,” etc.).

95.04: Consoles et machines de jeux vidéo, articles pour jeux de société, y compris les jeux à moteur ou à mouvement, les billards, les tables spéciales pour jeux de casino et les jeux de quilles automatiques (bowlings, par exemple).

 

Parmi les articles repris dans la présente position, on peut citer :

 

(11) Les jeux de cartes de toutes sortes et de toutes dimensions (bridge, tarot, lexicon, etc.).

 

[114] Le classement tarifaire proposé par Costco est le suivant :

95.04 Video game consoles and machines, articles for funfair, table or parlour games, including pintables, billiards, special tables for casino games and automatic bowling alley equipment.

. . .

95.04 Consoles et machines de jeux vidéo, articles pour jeux de société, y compris les jeux à moteur ou à mouvement, les billards, les tables spéciales pour jeux de casino et les jeux de quilles automatiques (bowlings, par exemple).

[...]

9504.40.00 - -Playing cards

9504.40.00 -Cartes à jouer

 

[115] Des définitions tirées de plusieurs dictionnaires ont été déposées en preuve par les deux parties dans le cadre du présent appel. Ces définitions se rapportent aux expressions « carte à jouer » et « cartes à jouer ». Cependant, il existe une distinction importante entre les définitions de « carte à jouer » (au singulier) et de « cartes à jouer » (au pluriel).

[116] Bien que les définitions ne coïncident pas totalement d’un dictionnaire à l’autre, le sens général est commun et uniforme. L’expression « carte à jouer » fait référence à une carte unique (généralement fabriquée à partir d’un mince morceau de carton) qui fait partie d’un ensemble, à savoir un ensemble ou un paquet de cartes utilisé pour jouer à des jeux.

[117] Le Tribunal conclut que la principale caractéristique sous‑jacente à la définition de l’expression « cartes à jouer » prévue dans les dictionnaires est qu’elle renvoie à un ensemble ou à un paquet formé d’une série de cartes pouvant être utilisées pour jouer à un jeu.

[118] La sous‑position tarifaire en litige est « cartes à jouer » et non « carte à jouer ».

[119] Le concept de « jouabilité » est inhérent à la définition de « cartes à jouer ». Par conséquent, un paquet de cartes à jouer est caractérisé par le fait qu’il peut être utilisé dans un contexte de jeu, et ce, dès le moment de l’achat. Il s’agit des marchandises que l’acheteur se procure.

[120] Ainsi, c’est dans la nature même d’un paquet de « cartes à jouer » d’avoir une composition uniforme en ce qui a trait à ses cartes, ainsi qu’à la taille, le marquage et la présentation de ces dernières. Un paquet de cartes emballé choisi dans l’étalage d’un magasin sera identique au suivant [128] . Le nombre de cartes et leur marquage seront les mêmes d’un paquet à un autre. Cette réalité ne se limite pas au paquet moderne ou régulier composé de 52 cartes; elle s’applique à d’autres jeux comme le tarot, etc.

[121] Un paquet de cartes (comme un paquet moderne de 52 cartes) peut être utilisé pour jouer à plusieurs jeux, y compris le bridge, le poker, le rummy, le whist, etc. Les règles varient d’un jeu à l’autre, mais les cartes restent les mêmes et la composition du paquet ne change pas. Elle varie seulement en fonction des règles du jeu en question.

[122] Ce n’est pas le cas pour le JCC Pokémon, dans lequel il n’existe pas de paquet uniforme utilisé par l’ensemble des joueurs. Chaque joueur du JCC Pokémon possède plutôt son propre paquet personnalisé qui est composé de cartes stratégiquement sélectionnées à fin de créer une stratégie de jeu. Par définition, les paquets sont personnalisés, uniques et varient d’un joueur à l’autre. Les joueurs n’utilisent pas un paquet commun de « cartes à jouer » de composition uniforme. Par conséquent, les cartes qui composent un paquet du JCC Pokémon sont des « cartes de jeu », mais pas des « cartes à jouer » au sens de l’expression telle qu’elle a été établie préalablement.

[123] Le JCC Pokémon n’est pas un « jeu de cartes » dans le sens strict du terme. Il s’agit plutôt d’un jeu de stratégie, laquelle se manifeste à au moins deux niveaux, c’est‑à‑dire que le joueur assemble d’abord un paquet pouvant servir au jeu à partir des cartes qu’il possède, a achetées ou acquises d’une façon ou d’une autre, et qu’il joue ensuite en suivant les règles à l’aide du ou des paquets qu’il a assemblés.

[124] M. Dizon a affirmé que les joueurs du JCC Pokémon peuvent posséder quelques paquets ou même un grand nombre de paquets, qui peuvent être sélectionnés de façon stratégique en fonction de la partie ou de la compétition. En se fondant sur la preuve présentée par M. Dizon, le Tribunal conclut que cette pratique est commune et qu’elle ne se limite pas aux joueurs possédant le niveau d’expérience et des compétences de M. Dizon. Il s’agit d’une question de niveau; certains joueurs possèdent davantage de paquets pouvant servir au jeu que d’autres ou y ont accès plus facilement, mais l’objectif de créer une bibliothèque ou une collection de paquets pouvant servir au jeu et qui sont prêts à être joués est uniforme. Le fait d’avoir une importante collection de paquets augmente la compétitivité du joueur, puisqu’il disposera d’un plus grand choix pour sélectionner stratégiquement le paquet le mieux adapté pour répondre aux défis que présente une partie en particulier, ainsi que ses adversaires, qui apporteront leurs propres paquets personnalisés.

[125] Le JCC Pokémon est donc comparable à un sport de compétition où une équipe mettra de l’avant sa formation de joueurs dont le talent et les compétences sont les mieux adaptés pour contrer les forces des joueurs de l’équipe adverse ou pour tirer parti de leurs faiblesses. La formation de départ d’une équipe peut parfois changer selon la composition prévue de celle de l’autre équipe.

[126] Un propriétaire de cartes du JCC Pokémon utilisées en contexte de jeu n’est pas sans rappeler un propriétaire d’équipes sportives, qui peut acquérir ou échanger des joueurs pour renforcer son équipe. Dans le JCC Pokémon, les « joueurs » sont des cartes représentant des personnages de fiction ainsi que des outils (cartes Énergie et cartes Dresseur) qui visent à améliorer la capacité des personnages à rivaliser (ou combattre) dans le contexte du jeu. À la différence du propriétaire d’une équipe sportive ou d’une franchise comprenant une seule équipe, les « propriétaires d’une équipe » du JCC Pokémon possèdent plusieurs « équipes » qui prennent la forme de paquets pouvant servir au jeu composés de cartes du JCC Pokémon qu’ils ont achetées ou acquises, et qui servent essentiellement d’éléments constitutifs.

[127] Il est de droit constant que le Tribunal doit évaluer les marchandises, aux fins du classement, en fonction de la date à laquelle elles ont été importées au Canada [129] . Dans cet exercice, le Tribunal doit examiner les marchandises dans leur entièreté en tant que produit utilisable. Le Tribunal ne peut démonter le produit et le classer en s’appuyant seulement sur les parties qui le composent [130] .

[128] Du moment de leur importation jusqu’à leur achat, les marchandises sont composées d’un assortiment aléatoire de cartes du JCC Pokémon que l’acheteur découvre lorsqu’il les déballe de leur emballage en aluminium, d’un code d’accès numérique pouvant être utilisé pour déverrouiller une version en ligne du jeu, d’une carte représentant une créature Pokémon puissante ayant une grande valeur dans le jeu, ainsi que d’une boîte à l’effigie de la créature en question.

[129] Par conséquent, le consommateur des marchandises en cause n’achète pas un « paquet » de cartes à jouer. Il achète plutôt un ensemble de composantes ou d’éléments constitutifs qui lui permettront d’assembler un paquet pouvant être utilisé en situation de jeu, ainsi que des accessoires qui pourraient être utiles dans un contexte de jeu compétitif.

[130] La boîte contiendra suffisamment de cartes (sinon un surplus) pour assembler un paquet de la taille requise pour jouer au JCC Pokémon, mais cela n’est pas ce qui définit un paquet prêt à l’emploi en jeu, ce qui est inhérent à la définition de « cartes à jouer ». Bien qu’une seule boîte contienne plus de 120 cartes, la répartition des cartes est entièrement aléatoire. La boîte peut (ou non) contenir un nombre suffisant de cartes ayant une valeur de jeu suffisamment élevée pour assembler un paquet qui réponde aux critères et aux objectifs du joueur.

[131] Par conséquent, les marchandises en cause ne sont pas des « cartes à jouer », car elles ne contiennent pas de cartes « pouvant servir au jeu ». Dans la forme où elles sont achetées, les cartes ne peuvent être utilisées pour jouer au JCC Pokémon, qui nécessite la création d’un paquet. Le paquet prend forme lorsque le joueur, par ses compétences et son jugement, sélectionne les cartes achetées pour en faire un paquet. Les cartes doivent être rassemblées en un paquet de façon stratégique, ce qui nécessitera au moins une étape après l’achat, et probablement davantage. Cet exercice peut nécessiter l’utilisation ou l’acquisition d’autres cartes qui ne sont même pas incluses dans la boîte achetée.

[132] Contrairement à un paquet de cartes à jouer conventionnel, dont la composition est uniforme au moment de l’achat et qui peut donc immédiatement être utilisé pour jouer, l’acheteur des marchandises en cause n’est pas assuré de se procurer un paquet pouvant servir au jeu. La boîte peut inclure des doublons, trop de cartes « faibles » ou un nombre insuffisant de cartes assez « puissantes » pour faire partie d’un paquet pouvant servir au jeu.

[133] De plus, rien ne donne à penser, et encore moins ne démontre, que les cartes du JCC Pokémon peuvent être utilisées pour jouer à d’autres jeux.

[134] Le Tribunal a inspecté et ouvert l’un des emballages d’extension contenus dans l’échantillon de marchandises présenté par Costco. La mention « cartes de jeux » [traduction] était imprimée sur l’emballage d’aluminium contenant les cartes. À l’intérieur du paquet se trouvaient six cartes Pokémon de personnage portant la mention « Base » [traduction] [131] , deux cartes Dresseur [132] , une carte Pokémon de base portant la mention « Niveau 1 » [traduction] [133] , ainsi qu’une carte Pokémon de base en papier d’aluminium gaufré portant la mention « Méga » [traduction] [134] . Une carte portant l’inscription « Une récompense en ligne vous attend – Améliorez votre jeu, Jouez en ligne! » [traduction] accompagnée d’un code à échanger sur le site www.Pokémon.com/tcgo se trouvait également à l’intérieur.

[135] Cette inspection permet de renforcer la conclusion selon laquelle le joueur n’achète pas des « cartes à jouer ». Dans l’échantillon qui a été examiné, une catégorie de cartes (Énergie) nécessaire pour jouer était manquante, alors que le nombre de cartes Dresseur contenues dans l’emballage d’extension était disproportionnellement faible par rapport à la quantité de cartes nécessaires au bon fonctionnement du jeu [135] .

[136] Bien que la valeur perçue de la boîte et du code d’accès numérique puisse être secondaire par rapport au but premier derrière l’achat de cartes, ces articles font tout de même partie des marchandises en cause. Le Tribunal doit tenir compte des marchandises telles qu’elles sont au moment de l’importation. En pratique, les marchandises en cause sont identiques au moment de l’importation et au point de vente au consommateur.

[137] Le code d’accès numérique ne peut être qualifié de « carte à jouer ». Il s’agit plutôt d’un certificat ou d’un billet donnant accès à la version en ligne du jeu une fois que le code est utilisé. M. Dizon a affirmé que le jeu en ligne peut être utilisé pour se pratiquer, que ce soit pour « mettre à l’essai » [traduction] un paquet assemblé par un joueur ou pour participer à une compétition [136] .

[138] Les composantes des marchandises sont emballées dans une boîte. Le Tribunal conclut que, contrairement à la plupart des emballages destinés à être jetés après l’achat, la boîte joue une fonction d’accessoire de jeu. Elle serait utilisée par les joueurs pour ranger et trier leurs cartes ou pour abriter une collection de cartes du JCC Pokémon.

[139] Par conséquent, le consommateur n’a pas acheté des « cartes à jouer » et cette expression ne décrit pas les marchandises en cause, puisque celles‑ci constituent un ensemble d’articles individuels qui pourraient s’avérer utiles aux joueurs du JCC Pokémon. Pour parvenir à cette conclusion, le Tribunal a tenu compte de la note explicative pertinente.

[140] Même si le Tribunal examinait uniquement les cartes du JCC Pokémon contenues et emballées dans la boîte, les marchandises ne pourraient toujours pas être classées en tant que « cartes à jouer » dans le numéro tarifaire 9504.40.00.90.

[141] Le Tribunal est d’accord avec l’ASFC pour dire que l’expression « cartes à jouer » ne se limite pas nécessairement au paquet régulier ou moderne. Il existe différents types de « cartes à jouer » et divers « jeux de cartes » auxquels on peut jouer avec ces dernières. Bien que le Tribunal soit d’accord pour dire que les « cartes à jouer » peuvent être utilisées pour jouer à des « jeux de cartes » [137] , cela ne veut pas dire que tous les « jeux de cartes » sont des « cartes à jouer » et que toutes les cartes utilisées dans des jeux sont des « cartes à jouer ». Bon nombre de jeux, notamment les jeux de plateau, utilisent des cartes ou des « cartes de jeu ». Cela ne signifierait pas que de tels jeux sont nécessairement des « cartes à jouer » compte tenu des autres aspects et caractéristiques du jeu.

[142] L’expression « cartes à jouer » ne décrit pas les marchandises en cause. Les emballages d’extension contenus dans les marchandises sont étiquetés comme des « cartes de jeu ». En ce qui a trait à la preuve relative à la nature du JCC Pokémon, à la façon dont on y joue, ainsi qu’à l’utilisation globale et au rôle contextuel des cartes, le Tribunal conclut que l’expression « cartes de jeu » décrit avec justesse les cartes du JCC Pokémon, du moins dans le format auquel les marchandises en cause sont commercialisées.

[143] Pour arriver à la conclusion préconisée par l’ASFC, le Tribunal devrait conclure que l’expression « cartes à jouer », telle qu’elle est utilisée dans le Tarif des douanes, est synonyme de l’expression « jeux de cartes » utilisée dans les Notes explicatives et que ces expressions sont interchangeables. Les Notes explicatives constituent un guide pour l’interprétation de la terminologie utilisée dans le Tarif des douanes. Cependant, le libellé des Notes explicatives ne saurait prévaloir sur la terminologie utilisée dans le Tarif des douanes ni la reformuler.

[144] Pour les motifs qui précèdent, les marchandises en cause ne sont pas des « cartes à jouer ». Conclure l’inverse reviendrait à attribuer à l’expression « cartes à jouer » un sens excessivement large que ces mots ne peuvent justifier à l’issue d’une interprétation téléologique.

[145] Les cartes du JCC Pokémon peuvent être commercialisées et vendues dans d’autres formats, y compris en « paquets de départ » [traduction] [138] . Ces marchandises pourraient ou non être classées différemment dans le cadre du Tarif des douanes, mais le Tribunal n’est pas saisi de cette question.

[146] Par conséquent, les marchandises en cause ne peuvent être classées dans la sous‑position no 9504.40 en tant que « cartes à jouer ». Dans les circonstances, il convient de les classer dans la sous‑position résiduelle no 9504.90.

[147] La Loi sur les douanes prévoit qu’il incombe à l’appelant d’établir que les marchandises n’ont pas été classées correctement aux termes du Tarif des douanes [139] . Pour s’acquitter du fardeau de preuve qui lui incombe, la partie visée doit démontrer à la cour ou au tribunal qu’il y a plus de chances que le résultat qu’elle souhaite soit juste que le contraire (prépondérance des probabilités), selon l’évaluation de l’ensemble de la preuve disponible [140] .

[148] Pour les motifs qui précèdent, Costco s’est acquittée de ce fardeau. L’appel est accueilli.

Susan D. Beaubien

Susan D. Beaubien
Membre présidant

 



[1] L.C. 1997, c. 36.

[2] Pièce AP-2019-044-01.

[3] L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.).

[4] Pièce AP-2019-044-03 à la p. 23.

[5] Ibid. à la p. 10.

[6] Ibid. à la p. 30; pièce AP-2019-044-01 à la p. 9.

[7] Pièce AP-2019-044-01.

[8] Ibid. à la p. 9.

[9] Pièce AP-2019-044-14A à la p. 8.

[10] Pièce AP-2019-044-01 à la p. 9.

[11] Ibid. aux p. 9, 11.

[12] Pièce AP-2019-044-14A à la p. 6.

[13] Les créatures Pokémon sont aussi désignées comme des « personnages ».

[14] Pièce AP-2019-044-14A à la p. 6.

[15] Ibid.

[16] Ibid.

[17] Pièce AP-2019-044-03 à la p. 18.

[18] Pièce AP-2019-044-01 à la p. 9.

[19] Le Funk and Wagnalls Standard College Dictionary, le Merriam-Webster Dictionary et le Collins Dictionary : pièce AP-2019-044-01 aux p. 10-11.

[20] Pièce AP-2019-044-01 à la p. 11.

[21] Pièce AP-2019-044-01.

[22] Pièce AP-2019-044-03.

[23] Pièce AP-2019-044-A-01.

[24] Pièce AP-2019-044-16.

[25] Pièce AP-2019-044-05B (protégée).

[26] Pièce AP-2019-044-05C aux p. 17, 23, 97, 146.

[27] Ibid. aux p. 95, 140.

[28] Ibid. aux p. 5, 42, 49, 111, 121, 130, 135.

[29] Ibid. aux p. 33, 137.

[30] Ibid. aux p. 9, 69, 74, 143.

[31] Ibid. à la p. 91.

[32] Ibid. à la p. 148.

[33] Ibid. à la p. 152.

[34] Ibid. à la p. 155.

[35] Ibid. aux p. 160, 164, 169, 170, 190.

[36] Ibid. aux p. 173, 179, 183, 186.

[37] Ibid. à la p. 194.

[38] Ibid. à la p. 196.

[39] Pièce AP-2019-044-14A.

[40] Pièce AP-2019-044-14.

[41] Pièce AP-2019-044-15.

[42] Pièce AP-2019-044-17; pièce AP-2019-044-17A; Transcription de l’audience publique aux p. 3-4.

[43] Pièce AP-2019-044-06; pièce AP-2019-044-08.

[44] Pièce AP-2019-044-07; pièce AP-2019-044-09; pièce AP-2019-044-10.

[45] Pièce AP-2019-044-11; pièce AP-2019-044-12.

[46] Transcription de l’audience publique de l’audience publique aux p. 8-9.

[47] Ibid. à la p. 13.

[48] Ibid. aux p. 21-22, 24.

[49] Ibid. à la p. 22. Les emballages individuels sont aussi appelés « booster packs » (emballages d’extension).

[51] Ibid. aux p. 18, 23-25.

[52] Ibid. aux p. 30-33.

[53] Ibid. aux p. 45-47.

[54] Pièce AP-2019-044-14A.

[55] Ibid. à la p. 14; Transcription de l’audience publique aux p. 60-61.

[56] Transcription de l’audience publique aux p. 60-61.

[57] Pièce AP-2019-044-14A à la p. 3.

[58] Ibid. aux p. 3-4; Transcription de l’audience publique à la p. 53.

[59] Pièce AP-2019-044-14A aux p. 3-4; Transcription de l’audience publique aux p. 57-58.

[60] Transcription de l’audience publique à la p. 54.

[61] Ibid. aux p. 55-57.

[62] Pièce AP-2019-044-14A à la p. 4; Transcription de l’audience publique aux p. 58-59.

[63] Pièce AP-2019-044-14B (Protected) à la p. 12; Transcription de l’audience publique aux p. 52, 54-55.

[64] Transcription de l’audience publique aux p. 59-60.

[65] Ibid. aux p. 65-66.

[66] Ibid. à la p. 72.

[67] Ibid. aux p. 75-78.

[68] Ibid. à la p. 155 et seq.

[69] Transcription de l’audience publique aux p. 85-88.

[70] Ibid. aux p. 126-128.

[71] Ibid. aux p. 129-130.

[72] Ibid. aux p. 149-153.

[73] Les plateaux de jeu de types variés sont optionnels. Voir Transcription de l’audience publique aux p. 135-136.

[74] Transcription de l’audience publique aux p. 115, 124-125.

[75] Ibid. aux p. 93-94, 196-198.

[76] Ibid. aux p. 168-169.

[77] Ibid.

[78] Ibid. aux p. 251-252.

[79] Ibid. à la p. 92.

[80] Ibid. à la p. 195.

[81] Ibid. aux p. 84-85.

[82] Y compris, par exemple, permettre la restauration ou le “rétablissement” d’une carte représentant un personnage qui a perdu tous ses points de dommage.

[83] Transcription de l’audience publique à la p. 100.

[84] Pièce AP-2019-044-14A.

[85] Transcription de l’audience publique aux p. 125-126.

[86] Ibid. aux p. 169-170.

[87] Ibid. aux p. 174-176.

[88] Ibid. aux p. 128-129.

[89] Ibid. aux p. 103-107.

[90] Ibid. aux p. 103, 250.

[91] Ibid. aux p. 105-106.

[92] Pièce AP-2019-044-14A aux p. 7-8.

[93] Transcription de l’audience publique à la p. 108.

[94] Ibid. aux p. 213-214.

[95] Ibid. aux p. 201-203.

[96] Ibid. aux p. 244-245.

[97] Ibid. à la p. 127.

[98] Ibid. à la p. 107.

[99] Ibid. aux p. 140-142.

[100] Ibid. aux p. 203-204.

[101] Ibid. aux p. 207-208.

[102] Pièce AP-2019-044-14A à la p. 7.

[103] Ibid.

[104] Transcription de l’audience publique aux p. 204-206.

[105] Ibid. aux p. 232, 242.

[106] Dans un cas au moins, la carte est évaluée à 90 000 $.

[107] Transcription de l’audience publique aux p. 215-218.

[108] Ibid. aux p. 238-241.

[109] Ibid. aux p. 209-210.

[110] Ibid. aux p. 222-227.

[111] Ibid.; pièce AP-2019-044-14A à la p. 8.

[112] Pièce AP-2019-044-14A aux p. 6-7.

[113] En ce qui concerne les marchandises en cause, le personnage figurant sur la boîte se nommait Zygarde EX. Voir Transcription de l’audience publique à la p. 139.

[114] Transcription de l’audience publique à la p. 140.

[115] Ibid. aux p. 143-144.

[116] Ibid. aux p. 158-160.

[117] Ibid. à la p. 154.

[118] Ibid. à la p. 172.

[119] Ibid. à la p. 143.

[120] Pièce AP-2019-044-21; pièce AP-2019-044-22; pièce AP-2019-044-23.

[121] Conseil de coopération douanière, 2e éd., Bruxelles, 1996 [Notes explicatives].

[122] Danson Décor Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (25 septembre 2019), AP 2018‑043 (TCCE) [Danson Décor], aux par. 75-79.

[123] 2016 SCC 38, [Igloo Vikski] aux par. 4-8.

[124] Canada (Procureur général) c. Suzuki Canada Inc., 2004 CAF 131.

[125] Danson Décor aux par. 75-79.

[126] Tarif des douanes.

[127] Ibid.

[128] Tenant pour acquis, bien entendu, que les deux paquets proviennent du même manufacturier et appartiennent à la même gamme de produits.

[129] Komatsu International (Canada) Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (10 avril 2012), AP‑2010-006 (TCCE) au par. 22; Rona Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (5 novembre 2019), AP-2018-053 (TCCE) au par. 81 [Rona].

[130] Tiffany Woodworth c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (11 septembre 2007), AP‑2006‑035 (TCCE) au par. 21; Rona au par. 81.

[131] Les personnages se nommaient Seel, Charmander, Diglett, Drowzee, Caterpie et Farfetch’d. La carte Farfetch’d était recouverte d’une couche additionnelle de papier d’aluminium gaufré.

[132] Portant les étiquettes « Slobro Spirit Link » et « Super Potion ».

[133] Le personnage se nomme Charmeleon.

[134] Le personnage se nomme Charizard.

[135] De 40 à 50 p. 100 selon M. Dizon.

[136] Transcription de l’audience publique à la p. 137; pièce AP-2019-044-17A aux p. 10-17.

[137] Parmi d’autres usages tels que l’exécution de tours de magie.

[138] Transcription de l’audience publique aux p. 13-15.

[139] Loi sur les douanes, art. 152.

[140] F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, aux par. 40-49; Morrison c. la Reine, 2018 CCI 220, aux par. 65-89.

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