Appels en matière de douanes et d’accise

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Contenu de la décision

Appel no AP-2018-044

AMD Medicom Inc.

c.

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Décision rendue
le vendredi 12 février 2021

Motifs rendus
le lundi 22 février 2021

 



EU ÉGARD À un appel entendu le 15 octobre 2020 aux termes de l’article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 17 août 2018 concernant une demande de révision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

AMD MEDICOM INC.

Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.

Cheryl Beckett

Cheryl Beckett
Membre présidant

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.


 

Lieu de l’audience :

Ottawa (Ontario)

Date de l’audience :

le 15 octobre 2020

Membre du Tribunal :

Cheryl Beckett, membre présidant

Personnel de soutien :

Heidi Lee, conseillère juridique

PARTICIPANTS :

Appelante

Conseiller/représentant

AMD Medicom Inc.

Michael R. Smith

Intimé

Conseiller/représentant

Président de l’Agence des services frontaliers du canada

Taylor Andreas

TÉMOINS

 

Stéphanie Peika
Directrice, Gestion du cycle de vie des produits
AMD Medicom Inc.

Judy McCarten
McCarten Infection Prevention Consulting

Veuillez adresser toutes les communications à :

La greffière adjointe
Téléphone : 613-993-3595
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

APERÇU

[1] Le présent appel est interjeté par AMD Medicom Inc. (AMD) aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes [1] , d’une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi.

[2] Il s’agit pour le Tribunal de déterminer si les gants d’examen médical en nitrile (les marchandises en cause) sont correctement classés dans le numéro tarifaire 4015.19.90 à titre d’autres gants pour tous usages, comme l’a déterminé l’ASFC, ou si elles doivent être classées dans le numéro tarifaire 4015.19.10 à titre de gants de protection, devant être utilisés avec scaphandres de protection dans l’air empoisonné, comme le soutient AMD [2] .

[3] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que les marchandises en cause sont d’autres gants pour tous usages du numéro tarifaire 4015.19.90, comme l’a déterminé l’ASFC.

MARCHANDISES EN CAUSE

[4] Les marchandises en cause sont des gants d’examen médical en nitrile à usage unique de marque Kirkland Signature fabriqués et vendus en trois tailles. Ils sont ambidextres, ne contiennent aucun latex ni aucune poudre, sont non stériles et ont le bout des doigts texturés.

[5] Ces marchandises appartiennent à la classe II des instruments médicaux homologués par Santé Canada [3] .

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

[6] AMD a importé les marchandises en cause entre le mois d’octobre 2011 et le mois de janvier 2018.

[7] Entre le mois de décembre 2016 et le mois de février 2018, AMD a déposé deux demandes de remboursement aux termes des articles 60 et 74 de la Loi au motif que ces marchandises étaient classées dans le numéro tarifaire 4015.90.10. L’ASFC a rejeté ces demandes.

[8] Le 17 août 2018, l’ASFC a confirmé ses décisions, réaffirmant que les marchandises en cause étaient classées dans le numéro tarifaire 4015.19.90.

[9] Le 13 novembre 2018, AMD a interjeté appel aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi.

[10] Le 11 janvier 2019, l’appel a été mis en suspens à la demande des parties [4] . Le 6 novembre 2019, l’appel a été prorogé à la demande d’AMD.

[11] Les circonstances entourant la pandémie de COVID-19 ont fait en sorte que l’audience qui avait été prévue dans le cadre de l’espèce a été repoussée à plusieurs reprises et a connu plusieurs autres retards [5] .

[12] Finalement, l’audience a eu lieu par vidéoconférence le 15 octobre 2020.

RECONNAISSANCE DE LA COMPÉTENCE DU TÉMOIN EXPERT

[13] Au cours de l’audience, AMD a convoqué Mme Judy McCarten afin qu’elle soit reconnue à titre de témoin expert.

[14] Mme McCarten est une professionnelle œuvrant dans le domaine de la prévention et du contrôle des infections et a déjà travaillé comme infirmière dans une unité de soins intensifs. Elle possède plus de dix ans d’expérience dans le domaine de la prévention et du contrôle des infections et plus de vingt ans d’expérience dans le domaine des soins de santé.

[15] Puisque l’ASFC ne s’était pas opposée à la comparution de Mme McCarten, et ayant examiné son curriculum vitae et son expérience, le Tribunal n’a pas eu recours à un processus de reconnaissance de la compétence durant l’audience [6] . Le Tribunal a accepté d’entendre Mme McCarten à titre d’expert dans le domaine de la prévention et du contrôle des infections dans le milieu des soins de santé, y compris en ce qui concerne les besoins d’équipement de protection individuelle (EPI) dans les hôpitaux.

[16] De façon générale, le Tribunal a conclu que Mme McCarten s’était avérée un témoin utile et crédible.

CADRE LÉGISLATIF

[17] La nomenclature tarifaire est énoncée en détail dans l’annexe du Tarif des douanes [7] , qui est conforme au Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (le Système harmonisé) élaboré par l’Organisation mondiale des douanes. L’annexe est divisée en sections et en chapitres et chaque chapitre de l’annexe contient une liste de marchandises classées dans des positions, sous-positions et numéros tarifaires.

[18] Le paragraphe 10(1) du Tarif des douanes prévoit que, sous réserve du paragraphe 10(2), le classement des marchandises importées est effectué, sauf indication contraire, en conformité avec les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé [8] et les Règles canadiennes [9] énoncées à l’annexe.

[19] Les Règles générales sont composées de six règles. Le classement commence par la règle 1, qui prévoit que le classement doit être déterminé d’après les termes des positions et des notes de section ou de chapitre et, lorsqu’elles ne sont pas contraires aux termes desdites positions et notes, d’après les autres règles.

[20] L’article 11 du Tarif des douanes prévoit que, pour l’interprétation des positions et des souspositions, le Tribunal doit tenir compte du Recueil des Avis de classement du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises [10] et des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises [11] , publiés par l’OMD. Bien que les avis de classement et les notes explicatives n’aient pas force exécutoire pour le Tribunal, le Tribunal les applique à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire [12] .

[21] Par conséquent, le Tribunal doit d’abord déterminer si les marchandises en cause peuvent être classées conformément à la règle 1 des Règles générales, selon les termes de la position et les notes de section ou de chapitre pertinentes du Tarif des douanes, compte tenu des notes explicatives et des avis de classement pertinents. Ce n’est que lorsque la règle 1 ne permet pas d’arrêter de manière concluante le classement d’une marchandise qu’il faudra recourir aux autres règles générales [13] .

[22] Une fois que le Tribunal a utilisé cette méthode pour déterminer la position dans laquelle les marchandises en cause doivent être classées, l’étape suivante consiste à utiliser une méthode similaire pour déterminer la sous-position appropriée [14] . La dernière étape consiste à déterminer le numéro tarifaire approprié [15] .

[23] Les dispositions pertinentes du Tarif des douanes sont les suivantes :

Section VII : Matières plastiques ou ouvrages en ces matières; Caoutchouc et ouvrages en caoutchouc

Section VII: Plastics and Articles Thereof; Rubber and Articles Thereof

Chapitre 40

CAOUTCHOUC ET OUVRAGES EN CAOUTCHOUC

Chapter 40

RUBBER AND ARTICLES THEREOF

40.15 Vêtements et accessoires du vêtement (y compris les gants, mitaines et moufles) en caoutchouc vulcanisé non durci, pour tous usages.

-Gants, mitaines et moufles :

40.15 Articles of apparel and clothing accessories (including gloves, mittens and mitts), for all purposes, of vulcanized rubber other than hard rubber.

-Gloves, mittens and mitts:

4015.11.00 - -Pour chirurgie

4015.11.00 - -Surgical

4015.19 - -Autres

4015.19 - -Other

40.15.19.10 - - -Gants de protection, devant être utilisés avec scaphandres de protection dans l’air empoisonné

40.15.19.10 - - -Protective gloves to be employed with protective suits in a noxious atmosphere

40.15.19.90 - - -Autres

40.15.19.90 - - -Other

[24] Il n’y a pas de notes légales ou de notes explicatives pertinentes.

POSITIONS DES PARTIES

AMD

[25] AMD soutient que les marchandises en cause sont classées dans le numéro tarifaire 4015.19.10 à titre de gants de protection, devant être utilisés avec scaphandres de protection dans l’air empoisonné. AMD allègue que les marchandises classées dans ce numéro tarifaire doivent faire l’objet d’un examen de leur utilisation prévue, le seul critère qui s’applique, et qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les éléments de preuve concernant leur utilisation effective. En appliquant ce raisonnement, AMD a fait valoir que les marchandises en cause étaient destinées (c.-à-d. fabriquées et homologuées) à être portées de pair avec d’autres EPI afin de protéger la personne qui les porte contre la contamination et les infections dans l’air empoisonné.

ASFC

[26] L’ASFC soutient que les marchandises en cause sont classées dans le numéro tarifaire 4015.19.90 à titre d’autres gants de caoutchouc.

[27] Bien que l’ASFC accepte que ces marchandises soient des gants de protection, elle soutient qu’elles sont des gants « devant être utilisés avec scaphandres de protection dans l’air empoisonné ». À cet égard, l’ASFC soutient qu’il ne suffit pas que les marchandises soient destinées à être utilisées avec scaphandres de protection dans l’air empoisonné pour satisfaire aux exigences du numéro tarifaire 4015.19.10. De l’avis de l’ASFC, les marchandises en cause doivent être utilisées dans les faits. L’ASFC soutient qu’AMD ne satisfait pas à ce critère.

ANALYSE DU TRIBUNAL

[28] La question concerne le numéro tarifaire.

[29] Le numéro tarifaire proposé par l’ASFC est résiduel. Il est bien établi que « des marchandises ne peuvent être classées de prime abord dans une sous-position résiduelle à moins que le Tribunal soit convaincu que les marchandises ne peuvent être classées dans une autre sous-position décrivant convenablement les marchandises » [16] . Le Tribunal commencera donc par déterminer si les marchandises en cause sont classées dans le numéro tarifaire 4015.19.10. Le Tribunal n’examinera la question de l’application du numéro tarifaire 4015.19.90 que si les marchandises en question ne peuvent être classées dans le numéro tarifaire 4015.19.10.

Numéro tarifaire 4015.19.10

[30] Les parties conviennent et le Tribunal conclut que pour être classées dans le numéro tarifaire 4015.19.10, les marchandises doivent être des (1) gants de protection (2) devant être utilisés avec scaphandres de protection dans l’air empoisonné.

[31] Dans le présent appel, les parties conviennent que les marchandises en cause sont des gants de protection. Il s’agit seulement de déterminer si ces marchandises sont des gants « devant être utilisés avec scaphandres de protection dans l’air empoisonné ».

Sens de l’expression « devant être utilisés »

[32] Les parties ne s’entendent pas sur le critère approprié pour évaluer l’expression « devant être utilisés ».

[33] AMD soutient que l’expression « devant être utilisés » laisse entendre qu’il faut examiner le critère de l’utilisation prévue. AMD a fait référence à la décision du Tribunal dans AMD Ritmed, dans laquelle le Tribunal examine la question de savoir si les blouses de protection à usage unique sont des « scaphandres de protection, devant être utilisés dans l’air empoisonné » [nos italiques] classées dans le numéro tarifaire 6210.10.10 [17] . Après avoir conclu que les blouses de protection étaient classées dans ce numéro, le Tribunal a indiqué ce qui suit :

[...] comme les éléments de preuve confirment que les marchandises en cause sont destinées à être utilisées dans les hôpitaux (donc dans l’air empoisonné), elles sont conformes à la description du numéro tarifaire 6210.10.10 (« devant être utilisés dans l’air empoisonné ») [18] .

[Nos italiques]

[34] Pour sa part, l’ASFC soutient que le numéro tarifaire 4015.19.10 comporte deux conditions précises à l’égard de l’utilisation, ce qui suggère à son avis que les marchandises doivent satisfaire au critère de l’utilisation effective pour être classées dans ce numéro tarifaire. L’ASFC s’appuie sur la décision rendue par le Tribunal dans Cardinal Health dans laquelle le Tribunal a énoncé ce qui suit :

[...] si le législateur avait eu l’intention d’imposer une condition relative à l’utilisation finale, il l’aurait fait ou il aurait pu le faire explicitement, comme c’est le cas ailleurs dans la position no 40.15, en particulier le numéro tarifaire no 4015.19.10 [...]. Le numéro tarifaire no 4015.19.10 énonce, de manière très explicite et sans termes équivoques, deux conditions relatives à l’utilisation, à savoir « devant être utilisés [1] avec scaphandres de protection [2] dans l’air empoisonné » [19] .

[Nos italiques]

[35] L’ASFC soutient que, en utilisant l’expression « destinées à », le Tribunal était favorable au critère de l’utilisation effective [20] .

[36] L’expression « devant être utilisées » n’est pas définie dans le Tarif des douanes. Selon la règle moderne d’interprétation des lois, « [...] il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » [21] .

[37] Le Tribunal constate que le « sens ordinaire » d’une disposition renvoie « à la première impression du lecteur, c’est-à-dire au sens qui lui vient spontanément à l’esprit lorsqu’il lit les termes dans leur contexte immédiat » [22] [traduction]. Cette expression a aussi déjà été décrite comme « le sens naturel qui se dégage de la simple lecture de la disposition dans son ensemble » [23] .

[38] Pour déterminer le sens ordinaire de cette expression, le Tribunal a consulté certains dictionnaires afin d’examiner les définitions pertinentes du mot « employ » (utiliser) dont les deux suivantes [24] :

Le dictionnaire Merriam-Webster : « to make use of (someone or something inactive) » (utiliser quelqu’un ou quelque chose d’inactif) [25] ;

Le dictionnaire Cambridge : « to use something » (utiliser quelque chose) ou « to use something for a particular purpose » (utiliser quelque chose à une fin spécifique) [26] .

[39] De l’avis du Tribunal, les définitions des dictionnaires de langue anglaise montrent que « to employ » signifie « to use ». La version française du numéro tarifaire dans laquelle figure l’énoncé « gants de protection, devant être utilisés avec scaphandres de protection dans l’air empoisonné » [nos italiques] appuie aussi cette conclusion. Dans la version française du Tarif des douanes, on utilise l’expression « utiliser » (en anglais, « to use ») qui est, selon le dictionnaire français Larousse, une expression française synonyme d’« employer » (en anglais, « to employ ») [27] . Le Tribunal est donc convaincu que l’expression « to be employed » signifie « to be used ».

[40] Quand le numéro tarifaire 4015.19.10 est interprété en suivant son sens grammatical et ordinaire, comme il est mentionné plus haut, le Tribunal conclut que le sens qui est rendu est celui de l’utilisation effective, notamment, que les gants de protection qui seront utilisés avec des scaphandres de protection dans l’air empoisonné sont classés dans ce numéro tarifaire. Le Tribunal conclut donc qu’il est approprié d’adopter le raisonnement utilisé dans Cardinal Health, c.-à-d. que le numéro tarifaire 4015.19.10 comporte une condition relative à l’utilisation finale. Ainsi, le Tribunal conclut que le numéro tarifaire comporte un critère qui s’apparente au critère relatif à l’utilisation effective et qu’une certaine preuve de l’utilisation effective du produit avec des scaphandres de protection dans l’air empoisonné est nécessaire pour que les marchandises soient classées dans le numéro tarifaire 4015.19.10. Le Tribunal considère que pour classer un produit dans ce numéro tarifaire, il doit exister, à tout le moins, certains éléments de preuve démontrant qui sont les utilisateurs des marchandises et comment elles sont utilisées en pratique.

[41] Le Tribunal ne considère pas que cette conclusion soit incompatible avec AMD Ritmed. Dans AMD Ritmed, il n’était pas question de déterminer si les marchandises en cause pouvaient être utilisées, ou seraient utilisées, dans l’air empoisonné. Même si les parties dans cet appel ne s’entendaient pas sur le sens de l’expression « air empoisonné », elles s’entendaient sur le sens de l’expression « devant être utilisés ». Les marchandises étaient décrites expressément comme étant des scaphandres de protection conçus et mis en marché à l’intention particulière des hôpitaux (c.‑à‑d. où l’air est empoisonné) [28] .

[42] Enfin, le Tribunal remarque qu’AMD a souligné l’obligation du Tribunal de considérer l’intention délibérée du numéro tarifaire 9979.00.00, selon lequel les marchandises doivent être « conçues spécifiquement pour alléger les effets spécifiquement d’une invalidité ». AMD a invoqué la décision rendue par le Tribunal dans Wolseley, selon laquelle le fait qu’une marchandise puisse être utilisée universellement (c.-à-d. être de conception universelle) n’empêche pas que celle-ci puisse être « conçue spécifiquement » pour alléger les effets d’une invalidité [29] . L’ASFC a répliqué que les dispositions du numéro tarifaire 9979.00.00 ne sont pas pertinentes au numéro tarifaire dont il est question, et le Tribunal est d’accord.

[43] Ayant conclu que le classement dans le numéro tarifaire 4015.19.10 requiert qu’il y ait un certain nombre d’éléments de preuve montrant qu’il y a utilisation effective avec des scaphandres de protection dans l’air empoisonné, le Tribunal étudiera maintenant la question de savoir si AMD a répondu à ce critère.

Les marchandises ne doivent pas être utilisées avec des scaphandres de protection dans l’air empoisonné

[44] AMD soutient que les marchandises en cause conviennent à l’utilisation en tant qu’EPI avec des scaphandres de protection dans l’air empoisonné. L’ASFC ne conteste pas que la qualité des marchandises convient à leur utilisation en tant qu’EPI mais fait valoir que les éléments de preuve ne montrent pas que les marchandises seraient effectivement utilisées en application des dispositions du numéro tarifaire.

[45] Bien que ni l’expression « scaphandre de protection » ni l’expression « air empoisonné » ne soient définies dans le Tarif des douanes, le Tribunal a évalué le sens attribué à chacune de ces deux expressions dans AMD Ritmed. Comme il est mentionné plus haut, le Tribunal a déterminé dans cet appel que les blouses de protection à usage unique conçues pour la protection des patients et des fournisseurs de soins de santé, et destinées à être utilisées dans le milieu hospitalier, étaient des « scaphandres de protection devant être utilisés dans l’air empoisonné ». Ainsi, le Tribunal a conclu que les hôpitaux étaient des milieux où l’air est empoisonné puisque les infections peuvent être transmises par voie aérienne et peuvent mettre en danger la vie ou la santé [30] .

[46] Dans le présent appel, le Tribunal a aussi bénéficié du témoignage d’expert incontesté de Mme McCarten concernant l’utilisation des EPI dans les milieux de soins de santé, y compris les hôpitaux.

[47] Mme McCarten a décrit les EPI comme étant des articles servant de barrière de protection afin de se protéger des maladies infectieuses [31] . Elle a ajouté qu’un ensemble complet d’EPI comprend des gants, une blouse, une blouse de protection, un masque chirurgical ou de procédure, un masque N95, un écran facial, des lunettes et, si nécessaire, des bottes protectrices et un couvre‑chef [32] . Elle a aussi mentionné que les scaphandres de protection utilisés dans les hôpitaux devaient toujours se porter avec des gants [33] .

[48] De plus, Mme McCarten a affirmé, au sujet des gants de protection, que les gants d’examen médical, en tant que dispositifs médicaux autorisés de classe II (tels que les marchandises en cause), offrent le niveau de protection minimal dans les milieux des soins de santé [34] . À son avis, les marchandises en cause seraient donc correctement décrites comme étant des « marchandises pour utilisation dans le domaine de la santé » et seraient utilisées de façon appropriée en tant qu’EPI dans un milieu de soins de santé pour protéger contre les infections et les prévenir [35] .

[49] AMD a aussi présenté une feuille de données techniques à l’intention de ses clients sur laquelle sont résumées les spécifications des marchandises en cause [36] . Selon cette feuille de données, les marchandises « sont destinées à prévenir la transmission d’une grande variété de maladies. Ces gants sont destinés à agir comme une barrière entre le fournisseur de soins de santé et les patients pour empêcher une contamination entre le patient et le soignant » [37] .

[50] À la lumière de ces éléments de preuve, le Tribunal est convaincu que les marchandises peuvent être utilisées avec des scaphandres de protection dans l’air empoisonné.

[51] Toutefois, comme il est mentionné précédemment, l’appelante doit aussi fournir certains éléments de preuve montrant que les marchandises en cause seront, dans l’ensemble, utilisées avec des scaphandres de protection dans l’air empoisonné. En l’espèce, le Tribunal n’est pas convaincu que ce critère soit respecté.

[52] Le seul élément de preuve présenté par AMD à cet égard était un contrat de vente avec Costco Wholesale Canada Ltd. visant des gants d’examen médical en nitrile blancs, c.-à-d. les marchandises en cause [38] . Les marchandises étaient mises en marché par Costco en tant qu’« article pouvant être utilisé dans les domaines de la santé, des soins dentaires, de la restauration, du nettoyage, du jardinage, de l’automobile ainsi qu’à la maison » [39] .

[53] Le Tribunal souligne que Mme Peika a affirmé que les gants vendus à Costco sont presque identiques aux gants d’examen médical vendus par AMD à des groupes du milieu hospitalier. Elle a déclaré qu’ils sont fabriqués dans les mêmes manufactures, en appliquant les mêmes normes, et sont tous des gants d’examen médical homologués par Santé Canada [40] .

[54] Même si le Tribunal accepte que les mêmes marchandises en cause puissent se vendre aussi bien à Costco qu’à des hôpitaux, en l’espèce, le seul élément de preuve est celui de la vente à Costco. Costco est un grossiste qui vend à des membres, lesquels sont soit des particuliers, soit des entreprises. Les éléments de preuve ne démontrent pas que Costco est aussi un fournisseur pour des professionnels de la santé ou d’autres clients qui utiliseraient les marchandises avec des scaphandres dans l’air empoisonné. Le seul fait qu’un professionnel de la santé ou une entreprise pourrait acheter les marchandises en cause auprès de Costco, au même titre que tout autre membre de Costco, ne suffit pas pour satisfaire aux critères du numéro tarifaire.

[55] En outre, Mme Peika a confirmé, en contre-interrogatoire, que l’homologation accordée par Santé Canada concerne seulement l’utilisation prévue du produit [41] . Mme Peika a aussi confirmé que le processus par lequel Santé Canada vérifie la conformité continue n’oblige pas AMD à fournir des renseignements au sujet de son utilisation effective des marchandises [42] .

[56] Dans l’ensemble, les éléments de preuve à la disposition du Tribunal ne lui permettent pas de conclure que les marchandises en cause, tout compte fait, seront utilisées avec des scaphandres de protection dans l’air empoisonné.

Conclusion

[57] Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut que les marchandises en cause ne sont pas classées dans le numéro tarifaire 4015.19.10.

[58] Le Tribunal conclut donc que les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire résiduel 4015.19.90.

Cheryl Beckett

Cheryl Beckett
Membre présidant

DÉCISION

[59] L’appel est rejeté.

 



[1] L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1 [Loi].

[2] La décision du président qui fait l’objet du présent appel concerne deux marchandises distinctes, soit les gants d’examen en nitrile de marque Kirkland Signature, qui sont présentement en cause en l’espèce, et les gants chirurgicaux stériles en latex de marque Vital Touch (pièce AP-2018-004-01). Le 9 décembre 2019, avant que les parties ne déposent leur mémoire, AMD a demandé au Tribunal de scinder l’appel en deux parties, c.-à-d. de demander un ensemble d’observations relativement à chacune des deux marchandises et de fixer une date d’audience distincte pour chacune (pièce AP-2018-044-10). AMD a fait valoir que les deux types de gants donnaient lieu à des questions différentes en termes de présentation des faits et d’application de la loi, et que la séparation de la procédure permettrait de procéder de façon plus efficace. L’ASFC s’est opposée à la demande, faisant valoir que la séparation n’aurait aucune incidence sur l’efficacité de la procédure et soutenant que le Tribunal devait trancher l’affaire au moyen d’une seule décision afin de maintenir sa compétence aux termes de l’article 67 concernant la décision du président aux termes de l’article 60 (pièce AP-2018-044-12). N’ayant pas encore reçu les mémoires des parties, le Tribunal a jugé que les renseignements au dossier étaient insuffisants pour lui permettre d’examiner l’affaire et a décidé de mettre la décision en délibéré jusqu’à ce que les deux parties aient déposé leurs mémoires (pièce AP-2018-044-13). AMD a déposé le mémoire de l’appelante le 14 janvier 2020, dans lequel elle indiquait qu’elle n’irait pas de l’avant avec l’appel concernant les gants de marque Vital Touch (pièce AP-2018-044-14 au par. 26; voir aussi sa confirmation par courriel, pièce AP‑2018-044-17). Ainsi, la portée du présent appel se limitait à la question de la classification tarifaire des gants de marque Kirkland Signature. L’ASFC a déposé son mémoire de l’intimé en conséquence.

[3] Pièce AP-2018-044-14A aux p. 86-93.

[4] Le 11 janvier 2019, après avoir obtenu le consentement d’AMD, le Tribunal a fait droit à une demande de l’ASFC de suspendre le présent appel en attendant l’issue d’un autre appel dont le Tribunal était saisi. Le 6 novembre 2019, AMD a informé le Tribunal qu’elle souhaitait poursuivre la procédure d’appel.

[5] Le 16 mars 2020, AMD a demandé, avec l’accord de l’ASFC, que l’audience en personne qui devait se tenir le 21 avril 2020 soit repoussée étant donné les effets de la pandémie de COVID-19. AMD a expliqué que les témoins qu’elle prévoyait appeler étaient des professionnels de la santé et des employés d’agences de santé publique qui ne pourraient probablement pas se rendre à Ottawa par transport aérien étant donné les mesures de santé publique en place. Le Tribunal a fait droit à la demande et a annulé l’audience. À peu près au même moment (c.‑à-d. en mars 2020), le Tribunal a suspendu toutes ses audiences en personne étant donné les circonstances liées à la pandémie de COVID-19. Le Tribunal a demandé aux parties de lui faire une mise à jour de la situation au plus tard le 30 avril 2020. Le 30 avril 2020, les parties ont demandé que l’audience soit mise en suspens jusqu’à ce que le Tribunal adopte à nouveau son processus d’audience en personne. Le Tribunal a fait droit à cette demande. Par la suite, le Tribunal a sondé les parties afin de connaître leur disponibilité pour la tenue de futures audiences en personne et a fixé la date du 15 octobre 2020 pour la tenue de l’audience en l’espèce. Entre-temps, le Tribunal a rendu opérationnel son système de vidéoconférence pour les audiences et a suspendu toutes les audiences en personne jusqu’au 31 décembre 2020. Le 24 juillet 2020, le Tribunal a donc informé les parties que l’audience prévue pour le 15 octobre 2020 serait tenue par vidéoconférence, mais a invité les parties à faire connaître leurs préoccupations, le cas échéant. Puisque les parties n’ont signalé aucune préoccupation à cet égard, l’audience a eu lieu par vidéoconférence à la date prévue.

[6] Transcription de l’audience publique [Transcription] aux p. 53-55. Voir le rapport de témoin expert de Mme McCarten à la pièce AP-2018-044-33.

[7] L.C. 1997, ch. 36.

[8] L.C. 1997, ch. 36, annexe [Règles générales].

[9] L.C. 1997, ch. 36, annexe.

[10] Organisation mondiale des douanes, 4e éd., Bruxelles, 2017.

[11] Organisation mondiale des douanes, 6e éd., Bruxelles, 2017.

[12] Voir Canada (Procureur général) c. Suzuki Canada Inc., 2004 CAF 131 aux par. 13, 17; Canada (Procureur général) c. Best Buy Canada Inc., 2019 CAF 20 au par. 4.

[13] Canada (Procureur général) c. Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38 (CanLII) au par. 21.

[14] Les règles 1 à 5 des Règles générales s’appliquent au classement au niveau de la position. La règle 6 des Règles générales prévoit que « [l]e classement des marchandises dans les sous-positions d’une même position est déterminé légalement d’après les termes de ces sous-positions et des Notes de sous-positions ainsi que, mutatis mutandis, d’après les Règles [1 à 5] [...] » et que « les Notes de Sections et de Chapitres sont également applicables sauf dispositions contraires ».

[15] La règle 1 des Règles canadiennes prévoit que « [l]e classement des marchandises dans les numéros tarifaires d’une sous-position ou d’une position est déterminé légalement d’après les termes de ces numéros tarifaires et des Notes supplémentaires ainsi que, mutatis mutandis, d’après les [Règles générales] [...] » et que « les Notes de Sections, de Chapitres et de sous-positions sont également applicables sauf dispositions contraires ». Les avis de classement et les notes explicatives ne sont pas applicables au classement au niveau du numéro tarifaire.

[16] Danby Products Limited c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (16 février 2018), AP‑2017‑009 (TCCE) au par. 35; Philips Electronics Ltd. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (9 octobre 2019), AP-2018-037 (TCCE) à la p. 40; Ratana International Ltd. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (18 mars 2020), AP-2019-006 (TCCE) à la p. 19; Noble Drilling Services (Canada) Corporation c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (14 mai 2019), AP-2018-004 (TCCE) au par. 31.

[17] AMD Ritmed Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (24 septembre 2015), AP-2014-013 et AP-2014-015 (TCCE) [AMD Ritmed].

[18] AMD Ritmed au par. 52.

[19] Cardinal Health Canada Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (8 juillet 2019), AP-2018-038 (TCCE) [Cardinal Health] au par. 36.

[20] L’ASFC soutient aussi que l’expression « devant servir à » est définie au paragraphe 2(1) du Tarif des douanes et s’appuie sur la décision rendue par la Cour fédérale dans Entrelec Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national) 2000 CanLII 16268 (CAF), dans laquelle la Cour maintient que la définition statutaire doit démontrer « l’existence d’un lien concret, par opposition à un lien envisagé, entre les composants importés et les marchandises auxquelles ils servent ». Le Tribunal n’est pas d’avis qu’il soit nécessaire d’avoir recours à la définition statutaire de l’expression « devant servir à » ou à la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Entrelec, comme le suggère l’ASFC. Le paragraphe 2(1) du Tarif des douanes prescrit que l’expression « devant servir à » est une « [m]ention dans un numéro tarifaire, applicable aux marchandises qui y sont classées ». Puisque cette expression n’apparaît pas dans les dispositions du numéro tarifaire 4015.19.10, le Tribunal n’est pas convaincu que sa définition, ou que l’explication juridique de sa définition, doit servir à cerner le sens de l’expression « devant être utilisés ».

[21] Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27, 1998 CanLII 837 au par. 21.

[22] R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd. à la p. 30.

[23] Lignes aériennes Canadien Pacifique Ltée c. Association canadienne des pilotes de lignes aériennes, [1993] 3 RCS 724, 1993 CanLII 31 (CSC) à la p. 735 (juge Gonthier); voir aussi Pharmascience Inc. c. Binet, [2006] 2 RCS 513, 2006 CSC 48 (CanLII) au par. 30.

[24] Les cours et les tribunaux peuvent prendre connaissance d’office des définitions de dictionnaires qui sont publiées en format électronique et accessibles en ligne. Voir R. c. Krymowski, 2005 SCC 7 aux par. 22-24; Envirodrive Inc. c. 836442 Alberta Ltd., 2005 ABQB 446 au par. 53.

[25] En ligne : <https://www.merriam-webster.com/dictionary/employ>.

[26] En ligne : <https://dictionary.cambridge.org/dictionary/english/employ>.

[27] En ligne : <https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/utiliser/80815>.

[28] AMD Ritmed au par. 49.

[29] Wolseley Canada Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (11 décembre 2013), AP-2012-066 (TCCE) [Wolseley].

[30] AMD Ritmed au par. 52.

[31] Pièce AP-2018-044-33 aux p. 10 et 20.

[32] Transcription à la p. 62.

[33] Transcription aux p. 69-70.

[34] Transcription aux p. 69, 73-74, 80.

[35] Pièce AP-2018-044-33 à la p. 16; Transcription aux p. 75-76.

[36] Pièce AP-2018-044-36 à la p. 20; Transcription aux p. 24-25.

[37] Pièce AP-2018-044-36 à la p. 20.

[38] Pièce AP-2018-044-36 aux p. 2-8; Transcription aux p 19-22.

[39] Pièce AP-2018-044-20 à la p. 25. Mme Peika a confirmé que le contrat avec Costco ne comportait aucune obligation envers Costco concernant les ventes ou la mise en marché; Costco n’était pas tenue de vendre les gants en parallèle avec toute autre marchandise (p. ex. des scaphandres de protection). Le contrat comportait aussi la condition que Costco devait fournir les illustrations devant apparaître sur l’emballage des marchandises (voir Transcription aux p. 19-20). Somme toute, AMD a affirmé qu’elle ne participait d’aucune façon à la vente et à la mise en marché des marchandises en cause au-delà de leur vente à Costco (voir Transcription aux p. 43-45).

[40] Transcription à la p. 34.

[41] Transcription aux p. 39-41.

[42] Transcription aux p. 41-42.

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