Appels en matière de douanes et d’accise

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Appel no AP-2019-047

Pier 1 Imports (U.S.), Inc.

c.

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Décision et motifs rendus
le jeudi 2 septembre 2021

 



EU ÉGARD À un appel entendu les 15, 17, 18 et 19 mars 2021, aux termes de l’article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada rendue le 27 décembre 2019, concernant une demande de révision aux termes du paragraphe 59(2) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

PIER 1 IMPORTS (U.S.), INC.

Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est accueilli.

Les parties auront 60 jours pour présenter des observations supplémentaires relatives aux montants des bénéfices et frais généraux qui serviront au calcul du pourcentage de majoration. Le Tribunal se réserve le droit de modifier le pourcentage de majoration définitif figurant dans les présents motifs.

Dans l’éventualité d’une telle modification par le Tribunal, la question sera renvoyée à l’intimé pour qu’il effectue une nouvelle évaluation de la valeur en douane des marchandises en cause en application des motifs de la présente décision.

Serge Fréchette

Serge Fréchette
Membre présidant


 

Lieu de l’audience :

par vidéoconférence

Dates de l’audience :

les 15, 17, 18 et 19 mars 2021

Membre du Tribunal :

Serge Fréchette, membre présidant

Personnel de soutien :

Martin Goyette, conseiller juridique
Peter Jarosz, conseiller juridique
Zackery Shaver, conseiller juridique

PARTICIPANTS :

Appelante

Conseillers/représentants

Pier 1 Imports (U.S.), Inc.

Joel Scheuerman
Lauzanne Bernard Normand
Adèle Desgagné

Intimé

Conseillers/représentants

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Louis Sébastien
Annie Laflamme

TÉMOINS :

Carrie Egan
Directeur, Services d’approvisionnement internationaux (avril 2011 à avril 2016) et vice‑président, Services internationaux (mai 2016 à mars 2019) Pier 1 Imports (U.S.), Inc.

Bruno A. de Camargo
Partenaire
Deloitte LLP

Jean-François Bédard
Gestionnaire, Direction commerciale
Agence des services frontaliers du Canada

Marie-Pier Simard
Vérificateur principal, Direction commerciale
Agence des services frontaliers du Canada

Veuillez adresser toutes les communications à :

La greffière adjointe
Téléphone : 613-993-3595
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

[1] Le présent appel a été interjeté le 26 mars 2020 par Pier 1 Imports (U.S.), Inc. (Pier 1) auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes [1] . Le présent appel concerne une décision du président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), rendue le 27 décembre 2019 aux termes du paragraphe 60(4), à l’égard de la valeur en douane (VED) d’ameublement de maison et accessoires décoratifs importés par Pier 1 et décrits dans sept relevés détaillés de rajustement (RDR) délivrés par l’ASFC entre le 1er mars 2014 et le 26 août 2017 [2] .

[2] La première question en l’espèce est de déterminer quelle méthode convient pour fixer la valeur en douane des importations susmentionnées et si l’ASFC a correctement appliqué cette méthode. L’ASFC a suggéré que la méthode de la valeur de référence ou une application souple de la méthode de la valeur de référence devrait être privilégiée. Pier 1 propose alternativement que l’application souple de la méthode de la valeur reconstituée soit privilégiée.

[3] La seconde question en l’espèce consiste à examiner la possibilité d’appliquer une entente conclue en 2003 entre Pier 1 et l’Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC), le prédécesseur de l’ASFC, qui réglait un appel antérieur interjeté auprès du Tribunal et présentait l’intention des parties de favoriser l’application de la méthode de la valeur reconstituée plutôt que de la méthode de la valeur de référence, dans la mesure du possible.

HISTORIQUE DES PROCÉDURES

[4] Pier 1 était un détaillant d’articles d’ameublement et d’accessoires décoratifs qui exploitait des magasins aux États‑Unis et au Canada [3] . Pier 1 exploitait les magasins du Canada en tant que succursales non constituées en personnes morales. Aux États‑Unis, avant les exercices financiers 2006 et 2007, Pier 1 exploitait des magasins détenus en propriété exclusive et des magasins franchisés.

[5] Le 24 octobre 2003, Pier 1 a conclu une entente de règlement avec l’ADRC, le prédécesseur de l’ASFC, afin de régler un appel interjeté par Pier 1 auprès du Tribunal (AP‑2003‑003). Cette entente prévoyait que l’ADRC effectuerait une nouvelle vérification douanière en consultation avec Pier 1. Elle mentionnait également que les parties souhaitaient trouver une autre méthode d’appréciation que celle de la valeur de référence, de préférence la méthode de la valeur reconstituée, pour déterminer la VED des marchandises importées par Pier 1 à partir de l’exercice financier 2002 [4] .

[6] À l’issue de la vérification qui a suivi (le rapport de vérification de 2004), l’ASFC a conclu que la valeur des marchandises importées par Pier 1 serait déterminée en appliquant avec souplesse la méthode de la valeur reconstituée, soit la dernière méthode d’appréciation aux termes de l’article 53 de la Loi fondée sur la méthode de la valeur reconstituée décrite à l’article 52. Le rapport de vérification de 2004 indiquait que la valeur des marchandises visées importées par Pier 1 serait déterminée en additionnant, comme indicateur des coûts de production, le prix rendu des marchandises stockées dans les entrepôts américains de Pier 1 et, comme indicateur des bénéfices et des frais généraux, une majoration de 18,75 p. 100. Cette majoration avait été calculée par l’ASFC en fonction de la redevance de franchisage de 8 p. 100 qu’imposait Pier 1 à ses franchisés américains à cette époque‑là, qui était considérée comme un indicateur raisonnable des bénéfices dans une transaction entre parties sans lien de dépendance, ainsi qu’en fonction des frais de traitement des centres de distribution, des frais de transport, des remboursements de douane et d’un ajustement de réserve tenant compte des marchandises endommagées et disponibles en faible quantité, lesquels éléments de coût avaient été utilisés pour déterminer les frais généraux liés aux ventes de marchandises destinées à l’exportation au Canada selon l’article 52 [5] . Le rapport de vérification de 2004 exigeait également que Pier 1 avise l’ASFC de toute modification importante de ses activités ayant une incidence sur l’entente [6] .

[7] Une vérification menée en 2015 à l’égard des marchandises importées entre le 1er mars 2014 et le 28 février 2015 a permis de constater que Pier 1 avait éliminé progressivement sa structure de franchise aux États‑Unis au cours de l’exercice 2007‑2008 et utilisait depuis un calcul des « frais de courtier d’exportation » et des « droits d’exportation » pour établir la VED de ses marchandises, lequel calcul visait à remplacer approximativement la redevance de franchisage de 8 p. 100 [7] . L’ASFC considérait que l’élimination progressive des franchises de Pier 1 constituait une modification importante visée par l’entente et que Pier 1 aurait dû porter cette modification à son attention rapidement. Comme l’ASFC ne pouvait pas s’appuyer sur une transaction entre parties sans lien de dépendance pour déterminer la valeur des marchandises, elle a conclu qu’il était justifié qu’elle n’utilise plus dorénavant la méthode d’appréciation décrite dans son rapport de vérification de 2004 [8] . L’ASFC a procédé par la suite à un examen de suivi des autorajustements qui avaient été déclarés par Pier 1 et qui étaient présentés dans son rapport final [9] .

[8] Les résultats de la vérification de l’ASFC, tels qu’ils ont été résumés dans le rapport final de vérification de l’observation commerciale du 10 juillet 2017 de l’ASFC (le rapport final), étaient joints aux sept RDR. Dans le rapport final, l’ASFC a conclu que, pour toutes les années pertinentes précédant le 10 juillet 2017, Pier 1 aurait dû inclure, dans le calcul de la majoration qui devait être ajoutée au prix rendu des marchandises stockées, tous les frais pertinents liés à la production et à la vente des marchandises destinées à l’exportation, ainsi que les frais de commercialisation de Pier 1 aux États‑Unis et ses pertes de change et bénéfices nets figurant dans son état des résultats [10] . En ce qui concerne les marchandises importées après le 10 juillet 2017, l’ASFC était d’avis que Pier 1 possédait suffisamment de renseignements pour utiliser la méthode de la valeur de référence, décrite à l’article 51 de la Loi [11] . Dans son mémoire, l’ASFC soutient également que Pier 1 peut appliquer rigoureusement la méthode de la valeur de référence, mais affirme, à titre subsidiaire, que si le Tribunal conclut que le modèle d’affaires de Pier 1 ne permet pas une telle application de cette méthode d’appréciation parce que les marchandises ne sont pas vendues dans les délais établis au paragraphe 51(2), Pier 1 devrait plutôt appliquer avec souplesse la méthode de la valeur de référence, en assouplissant les délais, car cette méthode nécessiterait moins d’adaptations que l’application avec souplesse de la méthode de la valeur reconstituée proposée par Pier 1 [12] .

[9] Le 30 octobre 2017, Pier 1 a déposé une demande de contrôle judiciaire et de jugement déclaratoire auprès de la Cour fédérale du Canada en vue de faire appliquer l’entente de règlement et d’obtenir l’annulation des conclusions énoncées dans le rapport final.

[10] Le 18 décembre 2017, l’ASFC a informé Pier 1 qu’elle avait examiné ses autorajustements après la publication de son rapport final et qu’elle considérait que Pier 1 ne s’était pas conformée à la décision à laquelle elle était parvenue dans son rapport final. L’ASFC a par la suite délivré sept RDR visant les marchandises qui avaient été importées en périodes successives entre le 1er mars 2014 et le 27 août 2017 [13] .

[11] Le 16 mars 2018, Pier 1 a demandé la révision de la VED indiquée dans les sept RDR conformément au paragraphe 60(1) de la Loi.

[12] Le 28 septembre 2018, la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire de Pier 1 après avoir conclu que la question sur laquelle portait cette demande relevait plutôt de la compétence du Tribunal et a renvoyé la requête en suspension des procédures à la Cour d’appel fédérale (CAF), car elle n’avait pas compétence en la matière.

[13] Le 5 octobre 2018, Pier 1 a interjeté appel de la décision de la Cour fédérale auprès de la CAF.

[14] Le 18 octobre 2019, la CAF a rejeté l’appel de Pier 1 après avoir conclu que la Cour fédérale n’avait pas commis d’erreur, car les questions soumises à la CAF relevaient plutôt de la compétence du Tribunal. La CAF a également rejeté la requête en suspension des procédures de Pier 1 puisque cette dernière n’avait pas encore interjeté appel auprès du Tribunal.

[15] Le 27 décembre 2019, l’ASFC a rendu sa décision définitive à l’égard de la révision demandée, conformément au paragraphe 60(4) de la Loi, et a confirmé ses conclusions antérieures quant à la VED ainsi que la validité des RDR en question.

[16] Le 26 mars 2020, Pier 1 a déposé le présent appel aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi.

[17] Le Tribunal a entendu les témoignages et les arguments des parties par vidéoconférence pendant quatre jours, soit les 15, 17, 18 et 19 mai 2021.

CADRE LÉGISLATIF

[18] L’article 46 de la Loi prévoit que la VED est déterminée conformément aux articles 47 à 55, qui énoncent quatre méthodes de détermination de la VED de marchandises importées et une autre méthode selon laquelle l’une des quatre méthodes est appliquée de façon flexible. Le paragraphe 47(2) prévoit que les méthodes doivent être prises en compte dans l’ordre dans lequel elles apparaissent dans la Loi.

[19] Les articles 47 et 48 de la Loi indiquent que la méthode de la valeur transactionnelle (MVT) est la première à prendre en compte pour déterminer la valeur en douane de marchandises importées. Les parties s’entendent pour dire que ni la MVT ni les deux méthodes qui suivent, fondées sur la MVT et utilisant des marchandises identiques ou substituables, s’appliquent à l’importation des marchandises en cause.

[20] Les prochaines méthodes énoncées dans la Loi sont la méthode de la valeur de référence à l’article 51 et la méthode de la valeur reconstituée à l’article 52. Le paragraphe 47(3) dispose que l’ordre d’applicabilité de ces deux méthodes peut être inversé à la demande écrite d’un importateur.

[21] La méthode de la valeur de référence consiste à déduire certains coûts et frais (comme les commissions, les bénéfices et, le cas échéant, les frais de transport, les taxes et les coûts d’assemblage ou de transformation) du prix de marchandises vendues au Canada à des personnes sans lien de dépendance, à la suite de leur importation. Cette méthode permet d’estimer la valeur des marchandises au moment de leur importation en déduisant tous les coûts et les frais engagés pour leur revente. Selon l’article 51 de la Loi, la valeur de référence est utilisée de la façon suivante pour déterminer la VED :

Valeur en douane fondée sur la valeur de référence

(1) Sous réserve des paragraphes (5) et 47(3), la valeur en douane des marchandises est, dans les cas où elle n’est pas déterminée par application des articles 48 à 50, leur valeur de référence, si elle est déterminable.

Détermination de la valeur de référence

(2) La valeur de référence des marchandises à apprécier est un prix unitaire, déterminé conformément au paragraphe (3), ajusté conformément au paragraphe (4), choisi selon les modalités suivantes :

a) lorsque, au moment de l’importation des marchandises à apprécier ou à peu près à ce moment, ces marchandises, des marchandises identiques ou semblables sont vendues au Canada dans l’état où elles ont été importées, c’est le prix unitaire de vente du plus grand nombre de marchandises des trois catégories au moment sus-indiqué qui est retenu;

b) lorsque les marchandises à apprécier, des marchandises identiques ou semblables sont vendues au Canada, non dans les situations visées à l’alinéa a), mais dans l’état où elles ont été importées dans les quatre-vingt-dix jours suivant l’importation des marchandises à apprécier, c’est le prix unitaire de vente du plus grand nombre de marchandises des trois catégories à la date la plus proche de l’importation des marchandises à apprécier qui est retenu;

c) lorsque les marchandises à apprécier, des marchandises identiques ou semblables ne sont pas vendues au Canada dans les situations visées aux alinéas a) ou b), que les marchandises à apprécier, après assemblage, emballage ou transformation complémentaire, y sont vendues dans les cent quatre-vingts jours suivant leur importation et que l’importateur des marchandises à apprécier demande l’application du présent alinéa à la détermination de leur valeur en douane, c’est le prix unitaire de vente du plus grand nombre des marchandises à apprécier qui est retenu.

Prix unitaire

(3) Pour l’application du paragraphe (2), le prix unitaire des marchandises à apprécier, de marchandises identiques ou de marchandises semblables désigne le prix unitaire auquel ces marchandises sont vendues, au premier niveau commercial après leur importation, à des personnes qui, à la fois :

a) ne sont pas liées, au moment de la vente, aux vendeurs des marchandises en question;

b) n’ont fourni, directement ou indirectement, sans frais ou à coût réduit, aucune des marchandises ou aucun des services visés au sous-alinéa 48(5)a)(iii) pour être utilisés lors de la production et de la vente à l’exportation des marchandises en question.

Le prix unitaire retenu à cet égard est le prix unitaire de vente du plus grand nombre de ces marchandises lorsque, selon le ministre ou son délégué, ce nombre est suffisamment important pour permettre la détermination de ce prix.

Ajustement du prix unitaire

(4) Pour l’application du paragraphe (2), le prix unitaire qui y est visé est ajusté en en retranchant la somme des montants suivants :

a) le montant, déterminé de la manière réglementaire, représentant, dans le cadre de la vente au Canada de marchandises de même nature ou de même espèce que les marchandises en question :

(i) soit le montant de la commission normale payée sur une base unitaire,

(ii) soit le montant pour les bénéfices et frais généraux, considérés comme un tout et comprenant tous les frais de commercialisation, normalement inclus dans le prix unitaire;

b) les coûts et frais de transport et d’assurance des marchandises à l’intérieur du Canada, y compris les coûts et frais connexes, généralement supportés lors de la vente au Canada des marchandises à apprécier, des marchandises identiques ou des marchandises semblables, dans la mesure où ils ne sont pas déduits avec les frais généraux visés à l’alinéa a);

c) les coûts et frais supportés afférents aux marchandises en question et visés au sous-alinéa 48(5)b)(i), dans la mesure où ils ne sont pas déduits avec les frais généraux visés à l’alinéa a);

d) les droits et taxes visés à la division 48(5)b)(ii)(B), dans la mesure où ils ne sont pas déduits avec les frais généraux visés à l’alinéa a);

e) dans le cas visé à l’alinéa (2)c), la valeur ajoutée aux marchandises en question par suite de leur assemblage, emballage ou transformation complémentaire au Canada.

Rejet de la valeur de référence

(5) Si, en l’absence de renseignements suffisants, la valeur visée à l’alinéa (4)e) n’est pas déterminable, la valeur en douane des marchandises à apprécier ne doit pas se fonder sur l’alinéa (2)c).

Date d’importation

(6) Dans le présent article, la date de l’importation des marchandises est, selon le cas :

a) à l’égard de marchandises autres que celles visées à l’alinéa 32(2)b), la date à laquelle leur dédouanement est autorisé en application de la présente loi par un agent ou selon les modalités réglementaires;

b) à l’égard de marchandises visées à l’alinéa 32(2)b), la date de réception de celles-ci à l’établissement de l’importateur, du propriétaire ou du destinataire.

[22] Aux termes de l’article 52 de la Loi [14] , la valeur reconstituée est la somme des coûts de production et du montant de l’ensemble des bénéfices et frais généraux qui sont supportés dans les ventes des marchandises de même nature ou de même espèce que les marchandises à apprécier, effectuées pour l’exportation au Canada. Généralement, la méthode de la valeur reconstituée serait utilisée dans les cas où un producteur importe des marchandises. Les paragraphes 52(1) et (2) sont ainsi libellés :

Valeur imposable fondée sur la valeur reconstituée

52 (1) Sous réserve du paragraphe 47(3), la valeur en douane des marchandises, dans le cas où elle n’est pas déterminée par application des articles 48 à 51, est leur valeur reconstituée, si elle peut être déterminée.

Détermination de la valeur reconstituée

(2) La valeur reconstituée des marchandises à évaluer est la somme des éléments suivants :

a) les coûts et frais supportés à l’égard ou la valeur — déterminés de manière réglementaire :

(i) des matières utilisées dans la production des marchandises à apprécier d’une part,

(ii) des opérations de production ou de transformation des marchandises à apprécier d’autre part;

b) le montant, déterminé de manière réglementaire, de l’ensemble des bénéfices et frais généraux, généralement supportés dans les ventes de marchandises de même nature ou de même espèce que les marchandises à apprécier, effectuées pour l’exportation au Canada par des producteurs qui se trouvent dans le pays d’exportation.

[23] De plus, l’article 6 du Règlement sur la détermination de la valeur en douane énonce ce qui suit au sujet des renseignements qui sont nécessaires pour appliquer la méthode de la valeur reconstituée prévue à l’article 52 de la Loi :

6 (1) Pour l’application de l’alinéa 52(2)a) de la Loi, en matière d’appréciation de marchandises, les coûts et frais supportés, ou la valeur, qui y sont visés sont déterminés à partir des comptes ou renseignements suivants, fournis par le producteur des marchandises ou en son nom et établis conformément aux principes de comptabilité généralement acceptés dans le pays de production des marchandises à apprécier :

a) soit les comptes commerciaux du producteur des marchandises à apprécier;

b) soit d’autres renseignements suffisants sur la production des marchandises à apprécier.

(2) Pour l’application de l’alinéa 52(2)b) de la Loi, en matière d’appréciation de marchandises, le montant de l’ensemble des bénéfices et frais généraux qui y est visé est un pourcentage calculé à partir de renseignements suffisants établis conformément aux principes de comptabilité généralement acceptés dans le pays de production des marchandises à apprécier et, sous réserve du paragraphe (3), fournis par le producteur des marchandises à apprécier ou en son nom.

(3) Dans le cas où le montant déterminé d’après les renseignements suffisants fournis par un producteur visé au paragraphe (2) ou en son nom ne correspond pas au montant généralement supporté par les ventes effectuées pour l’exportation au Canada par des producteurs de marchandises de même nature ou de même espèce qui traitent avec leurs importateurs au même titre que des personnes non liées, les renseignements suffisants sont fondés sur l’examen des ventes pour l’exportation au Canada :

a) de marchandises d’un groupe le plus restreint possible ou d’une gamme la plus restreinte possible qui sont de même nature ou de même espèce que les marchandises à apprécier, y inclus les marchandises à apprécier;

b) effectuées par des producteurs qui traitent avec leurs importateurs au même titre que des personnes non liées;

c) sur lesquelles des renseignements suffisants peuvent être obtenus.

[24] Enfin, la dernière méthode d’appréciation des marchandises est présentée à l’article 53 de la Loi, qui prévoit qu’on peut appliquer l’une des méthodes prévues aux articles 48 à 52 avec souplesse et que la méthode à privilégier est celle qui s’écarte le moins de la méthode prévue par la Loi et qui est fondée sur les données accessibles au Canada :

53 Lorsqu’elle n’est pas déterminée conformément aux articles 48 à 52, la valeur en douane des marchandises se fonde sur les deux éléments suivants :

a) une valeur obtenue en utilisant celle des méthodes d’appréciation prévues aux articles 48 à 52 qui, appliquée avec suffisamment de souplesse pour permettre de déterminer une valeur en douane pour les marchandises, comporte plus de règles adaptables au cas que chacune des autres méthodes;

b) les données accessibles au Canada.

POSITION DES PARTIES

[25] Pier 1 soutient que la méthode de la valeur de référence ne s’applique pas en l’espèce, car la majorité des marchandises qu’elle offre en vente dans ses magasins sont vendues plus de 90 jours après leur importation et, le plus souvent, à un prix inférieur au prix de vente au détail suggéré. Par conséquent, ces importations ne satisfont pas aux exigences de l’article 51. Pier 1 affirme en outre que les différents systèmes qu’elle employait pour gérer sa comptabilité et ses inventaires n’avaient pas été conçus pour compiler les renseignements nécessaires à l’application de la méthode de la valeur de référence [15] .

[26] En ce qui a trait aux conditions de l’entente de règlement, Pier 1 a indiqué que, durant la période visée, aucune modification importante méritant d’être signalée à l’ASFC n’avait été apportée à ses activités au Canada [16] . De même, Pier 1 croit que l’esprit de l’entente de règlement devrait continuer de s’appliquer, et ce, quelle que soit la valeur exacte utilisée pour établir la majoration du prix rendu des marchandises stockées [17] . Pier 1 soutient que l’application souple de la méthode de la valeur reconstituée, qui était utilisée jusqu’à maintenant, permet d’avoir une bonne estimation de la VED des marchandises en cause au moment de leur importation [18] .

[27] L’ASFC fait valoir, pour sa part, que la méthode de la valeur reconstituée n’est pas une méthode fiable pour déterminer la valeur des marchandises en cause, car Pier 1 ne produit pas ces marchandises et n’aurait pas accès aux données pertinentes sur leurs coûts de production ou de traitement [19] . L’ASFC propose que Pier 1 recueille les données nécessaires pour appliquer la méthode de la valeur de référence de manière rigoureuse ou, à tout le moins, de manière souple, en utilisant son prix de vente au détail pour déterminer la valeur des marchandises et en demandant des rajustements après la vente des marchandises importées [20] . L’ASFC affirme en outre que l’application souple de la méthode de la valeur de référence s’écarterait moins de la Loi que l’application souple de la méthode de la valeur reconstituée et devrait donc être la méthode privilégiée.

ANALYSE

Application de l’article 53 de la Loi et entente entre Pier 1 et l’ADRC

[28] Contrairement à certaines des affirmations de l’ASFC, le Tribunal conclut que la preuve contenue dans l’exposé conjoint des faits ne permet pas, du propre aveu de l’ASFC, d’appliquer rigoureusement la méthode de la valeur de référence ou la méthode de la valeur reconstituée aux marchandises en cause [21] . Selon la preuve que Pier 1 a présentée au Tribunal, et qui n’a pas été contestée par l’ASFC, entre 7 000 et 10 000 produits importés uniques ont été offerts en vente dans les magasins de Pier 1 durant la période visée, et, d’après un échantillonnage de produits, il a fallu au moins entre 112 et 143 jours pour vendre les produits, qui, le plus souvent, ont été vendus à un prix inférieur au prix de vente au détail suggéré [22] .

[29] Comme Pier 1 ne produit pas les marchandises en cause, il serait impossible d’appliquer rigoureusement la méthode de la valeur reconstituée dans les circonstances. De même, étant donné que les marchandises sont uniques, que leur VED n’est pas déterminée au moment de leur importation au Canada et qu’elles ne sont généralement pas vendues dans les 90 jours suivant leur importation, il n’y aurait également pas lieu d’appliquer la méthode de la valeur de référence de manière rigoureuse.

[30] Compte tenu du fait que ni la méthode de la valeur reconstituée ni la méthode de la valeur de référence décrites dans la Loi ne peuvent être appliquées dans les circonstances, la dernière méthode d’appréciation prévue à l’article 53 doit donc être utilisée. Comme il a été mentionné précédemment, la dernière méthode d’appréciation exige que la détermination de la valeur en douane des marchandises se fonde sur les deux éléments suivants :

a) une valeur obtenue en utilisant celle des méthodes d’appréciation prévues aux articles 48 à 52 qui, appliquée avec suffisamment de souplesse pour permettre de déterminer une valeur en douane pour les marchandises, comporte plus de règles adaptables au cas que chacune des autres méthodes;

b) les données accessibles au Canada [23] .

[31] Après avoir pris en considération la méthode d’appréciation, le Tribunal doit également tenir compte de l’entente conclue entre Pier 1 et l’ADRC. Dans le cadre du présent appel, il incombe au Tribunal de déterminer la VED des marchandises en cause ainsi que la méthode d’appréciation qu’il convient d’utiliser pour déterminer cette valeur. Bien que l’entente indique clairement que les parties jugent préférable d’utiliser la méthode de la valeur reconstituée plutôt que la méthode de la valeur de référence, la Loi ne confère pas au Tribunal le pouvoir de surimposer la prise en compte de ces facteurs extrinsèques, car ceux‑ci ne font pas partie des éléments à considérer lors de l’application de la méthode d’appréciation des marchandises choisie selon la Loi. La Loi permet certes aux importateurs d’inverser l’ordre d’applicabilité de la méthode de la valeur de référence et de la méthode de la valeur reconstituée, mais il est impossible de changer l’ordre d’applicabilité de la dernière méthode d’appréciation prévue à l’article 53, qui a été décrite ci‑dessus.

[32] Comme il a été mentionné dans la décision John Draganiuk, « [...] cette dernière base d’appréciation prévoit l’application avec souplesse de la méthode, quelle qu’elle soit, prévue aux articles 48 à 52 qui comporte plus de règles adaptables au cas à l’étude que chacune des autres méthodes [24] ». Par conséquent, le Tribunal doit déterminer si c’est l’application souple de la méthode de la valeur reconstituée ou de la méthode de la valeur de référence qui comporte le plus de règles adaptables à l’espèce, compte tenu des faits à l’étude.

Application souple de la méthode de la valeur de référence aux marchandises en cause

[33] Dans ses observations, l’ASFC a laissé entendre qu’il est possible d’appliquer rigoureusement la méthode de la valeur de référence et, subsidiairement, elle a fait valoir que l’application souple de la méthode de la valeur de référence satisferait le mieux à la règle établie à l’article 53 de la Loi si le Tribunal conclut que la dernière méthode d’appréciation doit être utilisée.

[34] En résumé, la méthode de la valeur de référence se fonde sur un prix unitaire qui : i) est déterminé après l’appréciation des marchandises au moment de leur importation; ii) correspond au prix unitaire de vente des marchandises [25] , à condition que les marchandises soient vendues dans les 90 jours suivant l’importation; ou iii) correspond au prix unitaire de vente des marchandises, à condition que les marchandises soient vendues dans les 180 jours suivant l’importation à la demande écrite de l’importateur. Il est toutefois possible d’ajuster ce prix unitaire de vente en y retranchant certains frais énumérés, comme les commissions, les bénéfices et frais généraux, les frais de transport, les frais d’emballage, les droits ou les frais de courtage [26] .

[35] Dans son mémoire et son témoignage, l’ASFC a soutenu que Pier 1 possède tous les renseignements pertinents pour calculer la VED. Pour commencer, l’ASFC a proposé que Pier 1 utilise son prix de vente au détail suggéré comme indicateur de la valeur estimative des marchandises au moment de leur importation et qu’elle déduise ensuite certains frais de cette valeur. Par la suite, Pier 1 pourrait ajuster cette valeur lorsque les marchandises sont vendues, une fois qu’un prix unitaire plus exact aura été établi [27] . L’ASFC a ajouté que l’utilisation de cette méthode est envisagée dans les commentaires du Mémorandum D13‑9‑1 – Méthode de la dernière base de l’appréciation, où il est précisé que le délai de 90 jours peut être porté à 100 jours afin de donner plus de temps pour la vente des marchandises.

[36] À l’appui de sa position, l’ASFC a présenté des extraits des décisions Bluestein [28] , Tootsie Roll [29] et Armstrong [30] , où le prix de catalogue et la liste de prix de vente ont été utilisés pour fixer la VED des marchandises en utilisant la méthode de la valeur de référence. Il convient de souligner que trois méthodes différentes ont été employées dans ces affaires. Dans l’affaire Bluestein, le prix unitaire a été établi en fonction des prix de vente qui figuraient sur les listes de prix utilisées par l’entreprise aux États‑Unis. Dans l’affaire Tootsie Roll, le prix unitaire était le prix de vente du plus grand nombre de marchandises, moins les déductions pertinentes. Dans l’affaire Armstrong, le prix unitaire était le prix de catalogue de l’appelant moins les remises courantes de distributeur de 50 p. 100 et de 10 p. 100 qui ont été appliquées, au besoin, aux commandes.

[37] Comme il a été mentionné précédemment, Pier 1 conteste la logique de cette approche étant donné le grand nombre de produits uniques qu’elle tient en stock, la variabilité de son modèle d’établissement des prix et le temps qu’il a fallu pour vendre les marchandises une fois qu’elles sont arrivées sur les tablettes de ses magasins au Canada. Pier 1 a certes reconnu que certaines de ses marchandises sont des produits saisonniers qui se vendent habituellement au cours de périodes données (par exemple, les arbres de Noël sont généralement vendus bien avant la fête de Noël), mais ces facteurs ne sont pas importants si l’on tient compte du fait que les marchandises en cause constituent la majorité des marchandises importées par Pier 1 durant la période visée.

[38] La complexité relative de l’application souple de la méthode de la valeur de référence illustre peut‑être mieux le raisonnement sur lequel se fonde Pier 1 pour contester cette méthode. Si la méthode que propose l’ASFC était appliquée, Pier 1 paierait systématiquement trop de taxes et de droits sur ses marchandises et devrait ensuite demander des remboursements à une date ultérieure lorsqu’un nombre donné de marchandises aura été vendu ou qu’une valeur unitaire aura été établie. Comme l’a laissé entendre le témoin de Pier 1, bien que l’entreprise dispose de ces données sous une forme ou une autre, elle devrait consacrer des ressources importantes à la contre‑vérification des données sur les ventes et les prix par rapport aux taxes et aux droits qui ont été payés [31] . Étant donné que la plupart des produits vendus par Pier 1 sont uniques et visent de nombreux segments de marché, aucune économie d’échelle ne serait réalisée si cette méthode était appliquée, sauf si Pier 1 élaborait des systèmes pour faire le suivi de tous les renseignements nécessaires.

Application souple de la méthode de la valeur reconstituée aux marchandises en cause

[39] Comme il a été mentionné précédemment, Pier 1 ne produit pas les marchandises qu’elle vend. Pier 1 soutient toutefois qu’elle a recours à un grand nombre d’acheteurs et à des employés responsables de la gestion de la chaîne d’approvisionnement de partout dans le monde pour acquérir les marchandises qu’elle vend. Pier 1 connaissait bien les coûts et la logistique liés à l’importation de toutes ses marchandises, ce qui constituait l’une de ses forces alors qu’elle cherchait à offrir des produits hautement différenciés dans ses magasins de type bazar. Pier 1 a maintenu catégoriquement que l’application souple de la méthode de la valeur reconstituée est une méthode d’appréciation des marchandises bien plus simple et prévisible que l’application souple de la méthode de la valeur de référence proposée par l’ASFC, car la valeur des marchandises peut être vérifiée au moment de l’importation et ne serait pas modifiée continuellement comme elle devrait l’être si la méthode que propose l’ASFC était utilisée.

[40] Fait important, dans leur exposé conjoint des faits, l’ASFC et Pier 1 ont également approuvé plusieurs composantes de l’application souple de la méthode de la valeur reconstituée, dont le prix rendu des marchandises stockées en cause, qui est un indicateur de leurs coûts de production, les frais généraux directement imputables aux centres de distribution américains aux fins du calcul de la majoration applicable aux importations de Pier 1, ainsi que les frais généraux indirectement imputables aux centres de distribution, tels que les frais de l’établissement principal et les frais liés aux technologies de l’information et aux fonctions de ressources humaines [32] .

[41] Comme il en a déjà été question, Pier 1 et l’ADRC avaient négocié une entente de règlement qui énonçait la manière dont elles calculeraient la majoration applicable au prix rendu des marchandises stockées de Pier 1 [33] . Ce calcul était fondé sur des ensembles de données similaires, mais les bénéfices et les dépenses administratives avaient plutôt été remplacés par la redevance de franchisage de 8 p. 100 qu’avait imposée Pier 1 à ses franchisés restants aux États‑Unis, lorsque l’entente a été conclue et que la vérification subséquente de la VED a été achevée [34] . D’après le témoignage de Pier 1, il était difficile de déterminer avec exactitude le pourcentage de la redevance de franchisage qui avait été utilisé pour contrebalancer les dépenses administratives et le pourcentage qui représentait les bénéfices, mais il a été conclu que ce montant semblait approprié dans les circonstances et Pier 1 a continué d’utiliser des montants similaires lorsqu’elle calculait sa majoration [35] . Après l’élimination progressive des franchises en 2007‑2008, ce montant a été réparti dans un compte de droits d’exportation et de frais de courtier d’exportation qui représentait les droits et les frais de courtage versés par Pier 1. Le témoin de Pier 1 a également confirmé qu’aucun bénéfice n’avait été inclus dans ces comptes [36] .

[42] Par ses observations et celles de son témoin expert, M. de Camargo, Pier 1 a tenté de déterminer quelle serait la majoration « raisonnable » pour les bénéfices et les frais généraux dans le cadre de transactions entre parties sans lien de dépendance. En s’appuyant sur l’analyse comparative effectuée par M. de Camargo, Pier 1 a affirmé qu’une majoration se situant entre ‑0,27 p. 100 et 2,65 p. 100 serait raisonnable pour une entreprise qui agit à titre de centre de distribution de Pier 1 [37] . Durant la période visée, la majoration totale obtenue à la suite de cette analyse se situait entre 13,60 p. 100 et 20,24 p. 100, compte tenu des montants maximum et minimum attribués aux bénéfices et aux frais généraux au cours de la période visée [38] .

[43] Pour sa part, l’ASFC n’était pas de cet avis. Elle a fait valoir qu’elle n’était pas pleinement convaincue de l’exactitude des bénéfices et frais généraux fournis par Pier 1, car elle ne pouvait pas s’appuyer sur une transaction entre parties sans lien de dépendance pour déterminer la valeur des marchandises [39] . L’ASFC a ajouté que les frais de change de Pier 1, ainsi que les différents frais engagés par l’entreprise aux États‑Unis pour commercialiser ses produits sur le marché canadien, n’avaient pas été inclus dans le calcul des frais généraux de Pier 1 [40] . L’ASFC a également laissé entendre que, faute de meilleures données, les bénéfices nets indiqués dans l’état des résultats de Pier 1 au Canada donneraient une idée de la valeur des marchandises importées au Canada en fonction des données accessibles au Canada [41] .

L’application souple de la méthode de la valeur reconstituée est la méthode d’appréciation la plus appropriée

[44] Pier 1 et l’ASFC ont fourni de longs témoignages et fait l’objet de contre‑interrogatoires approfondis en ce qui a trait aux rouages des activités de Pier 1, aux faits liés à l’entente de règlement et au processus utilisé par l’ASFC pour déterminer la façon d’appliquer les différentes méthodes d’appréciation dans le contexte de la dernière méthode d’appréciation. Ces témoignages ont été particulièrement utiles pour comprendre les processus à valeur ajoutée entrepris avant l’importation des marchandises de Pier 1 au Canada.

[45] En ce qui concerne la méthode qui reproduit adéquatement la valeur établie par Pier 1 lors de l’importation de sa gamme de marchandises uniques, le Tribunal conclut que l’application souple de la méthode de la valeur reconstituée est la méthode la plus appropriée pour déterminer la valeur des marchandises de Pier 1, car elle nécessite le moins d’adaptations par rapport à l’application rigoureuse de la méthode de la valeur reconstituée et qu’elle permettra d’établir plus rapidement et plus exactement la valeur des marchandises de Pier 1.

[46] Dans leur exposé conjoint des faits, Pier 1 et l’ASFC ont convenu que « le prix au débarquement des marchandises de Pier 1 représente le montant total versé par Pier 1 pour l’achat de ses marchandises, leur importation et leur transport vers ses centres de distribution aux États‑Unis [42] » [traduction]. Même si Pier 1 n’a peut‑être pas attribué directement un contrat pour la production de ses marchandises, comme c’était le cas dans l’affaire Patagonia [43] , Pier 1 exerce un très grand contrôle sur les marchandises qu’elle importe de l’étranger. En effet, à bien des égards, Pier 1 fonctionne de la même manière qu’un fabricant en sous-traitance de marchandises dans le but de créer l’environnement de magasinage unique qu’elle cherche à offrir dans ses magasins. Par conséquent, le Tribunal conclut que le prix rendu des marchandises stockées est une valeur précise du coût d’achat des marchandises (qui, en l’espèce, est un indicateur de leur coût de production) à laquelle d’autres valeurs composant la VED sont ajoutées.

[47] Pier 1 devrait affecter à cette valeur un montant proportionnel des frais qu’elle débourse pour l’importation de ses marchandises au Canada en vue de les offrir à la vente dans ses magasins. Comme Pier 1 l’a mentionné dans son témoignage, elle n’est pas simplement une entreprise de distribution. De plus, le Tribunal conclut que les coûts liés aux activités à valeur ajoutée qui se sont déroulées avant l’importation devraient être inclus dans la VED des marchandises. Ces coûts comprendraient les coûts liés à l’achat, à la logistique mondiale, à la planification de l’inventaire et à la répartition des produits, ainsi que les frais de change et les frais de commercialisation connexes qui ont été engagés avant l’envoi des marchandises dans les magasins. Le Tribunal estime que ces coûts reflètent la valeur générée par Pier 1 au moment de l’importation [44] . Les autres frais de l’établissement principal qui ont été affectés aux centres de distribution dans l’analyse de M. de Camargo semblent raisonnables [45] .

[48] En ce qui concerne l’attribution des bénéfices proposée par Pier 1, le Tribunal est d’avis que les comparateurs présentés ne permettent pas de dresser un portrait exact des bénéfices que réalisera probablement Pier 1. Quatre des six comparateurs sont des entreprises œuvrant dans le marché de la vente de matériaux de construction et, selon le Tribunal, leur gamme de produits et leur réalité commerciale sont différentes de celles de Pier 1. De même, les deux autres comparateurs – Hooker Furniture Corporation et Nova Lifestyle, Inc. – sont principalement des distributeurs de mobilier, alors que Pier 1 vend principalement des articles d’ameublement.

[49] Par contre, l’ASFC n’a présenté aucune analyse comparative pour contester l’analyse du témoin expert de Pier 1. Lorsqu’elle a parlé de son contre‑rapport d’expert et des commentaires de son expert, l’ASFC a également admis que les données financières dont elle disposait étaient loin d’être parfaites et ne tenaient pas compte des activités commerciales de Pier 1 aux États‑Unis [46] .

[50] Comme le portrait dressé par les parties était relativement incomplet, le Tribunal accepte l’analyse de Pier 1, qui portait sur les bénéfices et les dépenses des centres de distribution de Pier 1. Dans le tableau ci‑dessous, le Tribunal a présenté les valeurs qui constituent le pourcentage total de majoration pour les exercices financiers en question. Le Tribunal demande aux parties de fournir les bénéfices et frais généraux susmentionnés qui n’ont pas déjà été inclus dans le calcul du pourcentage de majoration dans les 60 jours suivant la présente décision.

Exercice financier

Frais généraux*

Bénéfices

Pourcentage total de majoration

Centres de distribution

Autres activités à valeur ajoutée

2015

12,61 %

1,25 %

 

13,86 %+

2016

17,77 %

1,59 %

 

19,36 %+

2017

15,85 %

0,73 %

 

16,58 %+

2018

15,75 %

1,46 %

 

17,21 %+

*Comme il a été mentionné précédemment, les frais généraux devraient inclure les coûts liés aux activités à valeur ajoutée qui se sont déroulées avant l’importation des marchandises en cause.

[51] Après avoir examiné les éléments qui composent ces bénéfices supplémentaires, le Tribunal attirerait l’attention des parties sur le rapport d’expert de M. de Camargo qui indique ce qui suit :

135. Comme on s’attend généralement à ce que ces grossistes réalisent davantage de bénéfices que le centre de distribution en raison de leurs fonctions améliorées, de leurs actifs et de leurs risques, tel qu’il a été mentionné dans les sections précédentes, il ne serait pas approprié de viser un point qui est supérieur au quartile inférieur de l’échelle établie en fonction de ce rendement [...] [47] .

[Note omise, traduction]

[52] Le Tribunal ne se prononcera pas sur le montant exact des frais additionnels et des bénéfices qui doivent être inclus, mais il pourrait être approprié d’effectuer une analyse comparative qui tient compte des fonctions de « grossiste » qu’exerce Pier 1.

[53] Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut que la VED des marchandises en cause devrait être calculée en appliquant avec souplesse la méthode de la valeur reconstituée et en utilisant comme prix de base le prix rendu des marchandises stockées de Pier 1, auquel la majoration décrite ci‑dessus serait appliquée.

DÉCISION

[54] L’appel est accueilli.

[55] Les parties auront 60 jours pour présenter des observations supplémentaires relatives aux montants des bénéfices et frais généraux qui serviront au calcul du pourcentage de majoration. Le Tribunal se réserve le droit de modifier le pourcentage de majoration définitif figurant dans les présents motifs.

[56] Dans l’éventualité d’une telle modification par le Tribunal, la question sera renvoyée à l’intimé pour qu’il effectue une nouvelle évaluation de la VED des marchandises en cause en application des motifs de la présente décision.

Serge Fréchette

Serge Fréchette
Membre présidant

 



[1] L.R.C. (1985), ch.1 (2e suppl.) [Loi].

[2] Pièce AP-2019-047-18 aux p. 91-116.

[3] Pier 1 et ses filiales entament présentement une procédure de faillite aux États-Unis.

[4] Pièce AP-2019-047-07 aux p. 94-96.

[5] Ibid. aux p. 109-110.

[6] Ibid. à la p. 112.

[7] Pièce AP-2019-047-18 à la p. 71.

[8] Ibid. aux p. 71-74.

[9] Ibid. à la p. 91.

[10] Ibid. aux p. 73-74.

[11] Ibid. à la p. 77.

[12] Ibid. à la p. 29.

[13] Dans son avis d’appel, Pier 1 indique avoir déposé auprès de l’ASFC d’autres demandes en vue d’un réexamen en vertu de l’article 60 de la Loi, qui visent six RDR visant des importations effectuées entre le 27 août 2017 et le 1er décembre 2018 (RDR faisant l’objet d’une révision). Pier 1 allègue que les RDR faisant l’objet d’une révision soulèvent les mêmes questions que le RDR faisant l’objet d’un appel et constate que le président de l’ASFC n’a pas encore rendu sa décision à l’égard du RDR faisant l’objet d’une révision; pièce AP-2019-047-01 à la p. 20.

[14] Ainsi que le paragraphe 6(1) du Règlement concernant la détermination de la valeur en douane, DORS/86-792.

[15] Pier 1 explique qu’ayant « [...] toujours utilisé la dernière méthode, c.-à-d. de la valeur reconstituée, fondée sur le rapport de 2004, son système des TI n’avait pas la capacité de recevoir et de cumuler des données pour les fins de retrouver le prix suggéré initialement pour les marchandises au moment de leur importation au Canada » [traduction]. Pièce AP-2019-047-07 au par. 36.

[16] Transcription de l’audience publique aux p. 80-82.

[17] Ibid. aux p. 512-513.

[18] Ibid. aux p. 513-515.

[19] Pièce AP-2019-047-18 au par. 49.

[20] Transcription de l’audience publique aux p. 566-569.

[21] Pièce AP-2019-047-38.

[22] Pièce AP-2019-047-07 aux par. 58-62.

[23] Article 53 de la Loi.

[24] John Draganiuk c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (27 septembre 2006), AP-2005-040 (TCCE) [John Draganiuk] au par. 18.

[25] L’alinéa 51(2)b) de la Loi prévoit que le prix de vente unitaire est le prix unitaire de vente du plus grand nombre de marchandises des trois catégories.

[26] Paragraphe 51(4) de la Loi.

[27] Pièce AP-2019-047-18 aux par. 60-76.

[28] Bluestein Enterprises Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (31 mars 2014), AP‑2013‑028 (TCCE) [Bluestein] au par. 16.

[29] Tootsie Roll of Canada Ltd. c. Canada (Revenu national) (16 septembre 1997), AP-96-114 (TCCE) [Tootsie Roll].

[30] Armstrong Bros. Tool Co. c. Canada (Revenu national) (15 août 1997), AP-96-105 (TCCE) [Armstrong].

[31] Transcription de l’audience publique aux p. 95-96. Bien que ce fait ne soit peut-être pas directement pertinent à la décision devant le Tribunal, il n’en demeure pas moins que Pier 1 n’est plus une société viable, ayant fermé ses magasins au Canada et demandé la protection en vertu de la Loi sur la faillite le 17 février 2020. L’information disponible et les solutions possibles pourraient donc être plus limitées que si Pier 1 était toujours en affaires. Pièce AP-2019-047-38 à la note de bas de page 1.

[32] Pièce AP-2019-047-38 aux par. 71-75.

[33] Pièce AP-2019-047-07 aux p. 94-96.

[34] Ibid. aux p. 94-96, 104-112.

[35] Transcription de l’audience publique aux p. 112-113.

[36] Ibid. aux p. 116-118.

[37] Pièce AP-2019-047-22 aux p. 41-42.

[38] Ibid.

[39] Pièce AP-2019-047-18 au par. 105.

[40] Ibid. au par. 54.

[41] Ibid. à la p. 53.

[42] Pièce AP-2019-047-38 aux par. 71-75.

[43] Patagonia International, Inc. c. Le sous-ministre du Revenu national (28 septembre 2000), AP-99-014 (TCCE) [Patagonia] à la p. 9.

[44] Plus précisément, les pertes de change relatives à la couverture de devises seraient incluses dans ce montant.

[45] Pièce AP-2019-047-22 aux par. 96-99.

[46] Transcription de l’audience publique aux p. 437-439.

[47] Pièce AP-2019-047-22 au par. 135.

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