Appels en matière de douanes et d’accise

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Contenu de la décision

Appel no AP-2020-020

Canadian Tire Corporation Limited

c.

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Décision et motifs rendus
le mardi 9 novembre 2021

 



EU ÉGARD À un appel entendu le 4 mai 2021 en vertu de l’article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 7 août 2020 concernant une demande de révision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

CANADIAN TIRE CORPORATION LIMITED

Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.

Susan D. Beaubien

Susan D. Beaubien
Membre présidant


 

Lieu de l’audience :

par vidéoconférence

Date de l’audience :

le 4 mai 2021

Membre du Tribunal :

Susan D. Beaubien, membre présidant

Personnel du Secrétariat du Tribunal :

Michael Carfagnini, conseiller juridique
Sarah Shinder, conseillère juridique
Nadja Momcilovic, étudiante en droit
Kim Gagnon-Lalonde, agente du greffe

PARTICIPANTS :

Appelante

Conseillers/représentants

Canadian Tire Corporation Limited

Michael Sherbo
Andrew Simkins

Intimé

Conseiller/représentant

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Adrian Johnston

TÉMOIN :

Jean-Francois Favreau
Chef de marché/Développement de produits/Approvisionnement mondial
UAP Inc.

 

Jean-Francois Favreau
Chef de marché/Développement de produits/Approvisionnement mondial
UAP Inc.

Veuillez adresser toutes les communications à :

La greffière adjointe
Téléphone : 613-993-3595
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

APERÇU

[1] La Société Canadian Tire Ltée (Canadian Tire) interjette appel d’une décision de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) concernant le classement dans le Tarif des douanes [1] de marchandises décrites comme des « sangles de treuil pour bateau » [traduction].

[2] Les sangles de treuil pour bateau sont destinées à être utilisées avec des treuils manuels pour tirer ou sécuriser une charge (comme un bateau) sur une remorque ou une autre plateforme. Les treuils et les sangles de treuil sont vendus séparément.

[3] L’ASFC a classé les sangles de treuil pour bateau dans la position 63.07 comme « [a]utres articles confectionnés, y compris les patrons de vêtements ». Canadian Tire soutient que la position 59.11, à savoir « [p]roduits et articles textiles pour usages techniques, visés à la Note 7 du présent Chapitre », est le classement approprié [2] .

CONTEXTE FACTUEL

[4] Le 29 décembre 2019, Canadian Tire a demandé à l’ASFC de rendre une décision anticipée, conformément à l’article 43.1 de la Loi sur les douanes (Loi). Ce faisant, elle faisait valoir que les sangles de treuil pour bateau devraient être classées dans le numéro tarifaire 5911.90.00 à titre de « [p]roduits et articles textiles pour usages techniques, visés à la Note 7 du présent Chapitre – Autres ».

[5] L’ASFC a rendu sa décision anticipée [3] le 25 février 2020, dans laquelle elle a conclu que les marchandises devaient plutôt être classées dans le numéro tarifaire 6307.90.99. Canadian Tire a alors demandé la révision de la décision anticipée, comme elle était autorisée à le faire en vertu du paragraphe 60(2) de la Loi.

[6] À la suite de son examen de la décision anticipée, l’ASFC a rendu une décision le 7 août 2020, dans laquelle elle a confirmé sa conclusion précédente selon laquelle les sangles de treuil pour bateau devaient être classées dans le numéro tarifaire 6307.90.99.

[7] Le 29 octobre 2020, Canadian Tire a fait appel de la décision de l’ASFC devant le Tribunal [4] .

Décision de l’ASFC

[8] Après avoir reproduit les dispositions pertinentes du Tarif des douanes et résumé les objections de Canadian Tire à l’égard de la décision anticipée, l’ASFC a souligné que la portée de la position 63.07 est beaucoup plus large que celle de la position 59.11.

[9] L’ASFC a également fait référence aux décisions du Tribunal dans les affaires Rui Royal International Corp. c. Agence des services frontaliers du Canada [5] et Kinedyne Canada Limited c. Agence des services frontaliers du Canada [6] . L’ASFC a fait remarquer que dans ces décisions, des marchandises semblables à celles en cause avaient été jugées comme pouvant être classées dans la position 63.07. L’ASFC a déclaré qu’en tant qu’instance décisionnelle administrative, elle est tenue de suivre les décisions antérieures du Tribunal.

[10] L’ASFC a ensuite résumé le cadre juridique et les principes de classement des marchandises aux termes du Tarif des douanes. Elle a commencé son analyse en examinant les critères de classement dans la position 59.11, y compris les notes de section et de chapitre et les notes explicatives pertinentes.

[11] Pour que la sangle de treuil pour bateau soit classée dans la position 59.11, l’ASFC a souligné que deux critères doivent être remplis. Les marchandises doivent être 1) des articles textiles, 2) à usages techniques.

[12] L’ASFC a conclu que la sangle de treuil pour bateau est composée d’une toile (webbing) qui peut supporter en toute sécurité une charge de 454 kg et qui offre une résistance à la rupture de 1361 kg. Étant donné qu’elle est également conçue pour être utilisée en combinaison avec un treuil manuel, la sangle de treuil pour bateau est donc « à usages techniques ». Toutefois, l’article doit avoir, dans l’ensemble, le « caractère d’un article de matière textile » [traduction] pour pouvoir être classé dans la position 59.11.

[13] La sangle de treuil pour bateau est composée d’une sangle en textile (toile) et d’un crochet en métal forgé qui se trouve à une extrémité de la sangle. Le crochet sert à fixer la sangle à la charge qui doit être déplacée au moyen du treuil. L’ASFC a conclu que le crochet était robuste et essentiel à l’utilisation des marchandises. Pour pouvoir tirer une charge, la sangle doit être munie d’un dispositif de fixation aussi solide que la sangle peut supporter. Sans pareil dispositif de fixation, la sangle de treuil pour bateau ne peut être utilisée aux fins prévues.

[14] L’ASFC a donc conclu que la sangle de treuil pour bateau est une marchandise faite d’un mélange de matières et qu’elle n’a donc pas, dans l’ensemble, le « caractère d’un article de matière textile », condition pour pouvoir être classée dans la position 59.11.

[15] Selon l’ASFC, la sangle de treuil pour bateau répond à la définition de l’expression « articles confectionnés » figurant à la note 7 de la section XI. De plus, elle souligne que suivant la note 8 de la section XI, les « articles confectionnés » ne relèvent pas du chapitre 59.

[16] Par ailleurs, après avoir examiné le chapitre 63, l’ASFC a fait remarquer que les positions nos 63.01 à 63.07, qui comprennent « des articles en tous textiles », ne s’appliquent qu’aux « articles confectionnés ». Après avoir examiné les notes de section et de chapitre et les notes explicatives pertinentes, l’ASFC a analysé les exigences relatives au classement dans la position 63.07, à savoir « Autres articles confectionnés, y compris les patrons de vêtements ».

[17] L’ASFC a souligné que pour pouvoir être classée dans la position 63.07, une marchandise doit être 1) un article « confectionné » 2) en tous textiles, 3) une sangle pour porte-bagages ou article similaire, et 4) ne doit pas être reprise plus précisément dans d’autres positions de la nomenclature.

[18] L’ASFC a fait remarquer que la sangle de treuil pour bateau est un « article confectionné » et qu’elle est faite de textile, à savoir un tissu de polyester, bien qu’elle soit combinée à un crochet. S’appuyant sur le raisonnement du Tribunal dans les affaires Rui Royal et Kinedyne, l’ASFC a conclu que la sangle de treuil pour bateau et la sangle pour porte-bagages sont des « articles similaires ». Comme la marchandise n’est pas particulièrement mentionnée ailleurs dans le Tarif des douanes, l’ASFC a conclu que la sangle de treuil pour bateau pouvait être classée dans la position 63.07.

Dépôt de nouveaux éléments de preuve en appel

[19] À l’appui de son appel, Canadian Tire a déposé une copie de la décision anticipée du 25 février 2020, une copie de la décision du président du 7 août 2020 et des photographies représentatives de la sangle de treuil pour bateau en cause [7] .

[20] Canadian Tire a également fait part de son intention de convoquer Jean-Francois Favreau en tant que témoin lors de l’instruction de l’appel.

[21] En guise de mémoire de l’intimée, l’ASFC a déposé un imprimé du site Web de Canadian Tire concernant la sangle de treuil pour bateau, une fiche technique du produit qui lui a été fournie par Canadian Tire et la correspondance connexe.

[22] Les deux parties ont également présenté des prétentions écrites, ainsi que des copies des dispositions législatives et de la jurisprudence pertinentes sur lesquels elles s’appuient.

Audience

[23] L’audience a eu lieu le 4 mai 2021 par vidéoconférence. Les deux parties étaient représentées pendant toute l’audience et ont présenté des observations au Tribunal.

Jean-François Favreau

[24] Canadian Tire a appelé Jean-François Favreau à témoigner. M. Favreau est directeur principal de marché pour UAP Inc. (UAP), une entreprise de pièces automobiles, notamment de produits pour camions, camions de gros tonnage et remorques [8] .

[25] Dans le cadre de ses fonctions, M. Favreau est chargé de la supervision du développement de produits et de la fabrication de certains des produits de UAP [9] . Cette gamme de produits comprend des sangles de treuil, mais pas les sangles de treuil particulières en cause dans le cadre du présent appel [10] .

[26] Bien que M. Favreau ait été présenté comme un témoin ordinaire, il a admis qu’il n’avait pas d’expérience personnelle approfondie relativement aux marchandises en cause ou aux sangles de treuil pour bateau. Il a affirmé, toutefois, avoir de l’expérience professionnelle en lien avec les sangles de treuil en général [11] .

[27] L’ASFC a souligné que M. Favreau n’avait pas été reconnu en tant que témoin expert et a insisté pour que toute pertinence ou tout poids accordé à son témoignage soit limité aux sangles de treuil en général, conformément à l’expérience personnelle de M. Favreau. De plus, l’ASFC s’est opposée à ce qu’un poids quelconque soit accordé à tout témoignage de M. Favreau dans la mesure où il se rapporte à des caractéristiques spécifiques des marchandises en cause.

[28] Le Tribunal a jugé que M. Favreau était un témoin coopératif. Toutefois, son témoignage consistait essentiellement à confirmer la preuve documentaire déjà déposée par les parties relativement à la description de la composition des marchandises. Sauf indication contraire, le Tribunal accorde relativement peu de poids au témoignage de M. Favreau.

[29] L’ASFC n’a fait comparaître aucun témoin.

[30] À la suite du témoignage de M. Favreau à l’audience, les deux parties ont présenté des observations au Tribunal.

POSITIONS DES PARTIES EN APPEL

Canadian Tire

[31] Dans ses observations écrites, Canadian Tire fait valoir que seulement deux conditions doivent être remplies pour qu’une marchandise puisse être classée dans la position 59.11, à savoir qu’elle soit :

1. un article textile;

2. à usages techniques [12] .

[32] Selon Canadian Tire, ces deux conditions sont remplies en l’espèce. Canadian Tire s’est appuyée sur des décisions antérieures du Tribunal concernant les critères qui doivent être remplis pour qu’une marchandise soit un « article » et sur l’admission par l’ASFC selon laquelle il s’agit de marchandises « à usages techniques ».

[33] Selon Canadian Tire, tous les articles textiles « à usages techniques » doivent être classés dans le chapitre 59, compte tenu des notes explicatives relatives à ce chapitre. Canadian Tire conteste la conclusion de l’ASFC selon laquelle les articles « confectionnés » sont nécessairement exclus de la position 59.11. Canadian Tire soutient également que des exceptions contextuelles sont possibles suivant le libellé des notes explicatives, et que puisque ces exceptions s’appliquent aux marchandises en cause, celles-ci peuvent être classées dans la position 59.11.

[34] À l’audience, Canadian Tire a également signalé une troisième exigence pour le classement dans la position 59.11, à savoir que les marchandises doivent être mentionnées à la note 7 du chapitre 59 [13] .

ASFC

[35] L’ASFC convient que les marchandises doivent être 1) des « articles textiles » et 2) à usages techniques, afin d’être classées dans la position 59.11. Toutefois, elle soutient que compte tenu du libellé des notes de section et de chapitre et des notes explicatives pertinentes, les marchandises sont exclues de la position 59.11.

[36] Selon l’ASFC, les sangles de treuil pour bateau sont des marchandises faites d’un mélange de matières en raison des aspects fonctionnels du crochet métallique. Par conséquent, les sangles de treuil pour bateau n’ont pas, dans l’ensemble, le « caractère d’un article de matière textile », comme l’exige le classement dans la position 59.11 à la lumière de la note explicative B) se rapportant à cette position [14] .

[37] L’ASFC s’appuie dans une large mesure sur les décisions antérieures du Tribunal dans lesquelles il a été statué que les sangles de treuil sont correctement classées dans la position 63.07.

ANALYSE

[38] Le paragraphe 67(1) de la Loi prévoit que toute « personne qui s’estime lésée » par une décision de l’ASFC peut en interjeter appel devant le Tribunal en déposant un avis d’appel dans le délai prescrit. Nul ne conteste que ces exigences ont été respectées et que Canadian Tire est une « personne qui s’estime lésée » [15] .

[39] En appel devant le Tribunal, l’appelant a la charge de prouver que le classement tarifaire établi par l’ASFC est inexact [16] .

[40] Le Tribunal n’a pas à faire preuve de retenue à l’égard de la décision de l’ASFC [17] . Les appels interjetés devant le Tribunal sont instruits de novo, même si une des parties ou les deux peuvent choisir de reprendre la totalité ou une partie du dossier de première instance, de compléter ce dossier par de nouveaux éléments de preuve ou de créer un nouveau dossier. Le Tribunal doit rendre sa propre décision relativement au classement tarifaire approprié pour les marchandises. Ce faisant, il est loisible au Tribunal d’évaluer le dossier dont il dispose, notamment d’apprécier de nouveau les éléments de preuve qui ont été présentés à l’ASFC et d’examiner tout nouvel élément de preuve présenté en appel.

Cadre législatif

[41] Les articles 10 et 11 du Tarif des douanes prévoient la méthode d’analyse suivante que doit suivre le Tribunal pour déterminer le classement des marchandises :

10 (1) Sous réserve du paragraphe (2), le classement des marchandises importées dans un numéro tarifaire est effectué, sauf indication contraire, en conformité avec les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé et les Règles canadiennes énoncées à l’annexe.

(2) Des marchandises ne peuvent être classées dans un numéro tarifaire comportant la mention « dans les limites de l’engagement d’accès » que dans le cas où leur importation procède d’une licence délivrée en vertu de l’article 8.3 de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation et en respecte les conditions.

11 Pour l’interprétation des positions et sous-positions, il est tenu compte du Recueil des Avis de classement du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises et des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises et de leurs modifications, publiés par le Conseil de coopération douanière (Organisation mondiale des douanes).

[42] Les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé [18] (les Règles générales) mentionnées au paragraphe 10(1) du Tarif des douanes doivent être appliquées selon une analyse linéaire et hiérarchique des marchandises, comme l’a décrit la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Igloo Vikski [19] .

[43] Les Règles générales sont composées de six règles. Le classement commence par la règle 1, qui prévoit que le classement doit être déterminé d’après les termes des positions et des notes de section ou de chapitre et, lorsqu’elles ne sont pas contraires aux termes desdites positions et notes, d’après les autres règles.

[44] La première étape de l’analyse consiste à déterminer si les marchandises paraissent relever de la portée des termes utilisés dans une position en particulier. Ensuite, le Tribunal doit déterminer s’il existe des notes de chapitre ou de section qui empêchent l’application de la position aux marchandises.

[45] Le Tribunal examinera ensuite le Recueil des avis de classement du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises [20] et les Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises [21] , publiés par l’Organisation mondiale des douanes, pour obtenir des indications supplémentaires sur le classement approprié. Le Tribunal doit respecter les directives données dans des notes explicatives, à moins qu’il existe une raison valable d’y déroger [22] .

[46] Une fois que le Tribunal a appliqué cette méthode pour déterminer la position dans laquelle les marchandises en cause doivent être classées, l’étape suivante consiste à utiliser une méthode similaire pour déterminer la sous-position appropriée [23] . La dernière étape consiste à déterminer le numéro tarifaire approprié [24] .

[47] Les conditions pertinentes du Tarif des douanes sont les suivantes :

Section XI

MATIÈRES TEXTILES ET OUVRAGES EN CES MATIÈRES

[...]

Chapitre 59

TISSUS IMPRÉGNÉS, ENDUITS, RECOUVERTS OU STRATIFIÉS;

ARTICLES TECHNIQUES EN MATIÈRES TEXTILES

[...]

59.11 Produits et articles textiles pour usages techniques, visés à la Note 7 du présent Chapitre.

[...]

5911.90.00 -Autres

[...]

Chapitre 63

AUTRES ARTICLES TEXTILES CONFECTIONNÉS; ASSORTIMENTS;

FRIPERIE ET CHIFFONS

[...]

63.07 Autres articles confectionnés, y compris les patrons de vêtements.

[...]

6307.90 -Autres

[...]

---Autres :

[...]

6307.90.99 ----D’autres matières textiles

[48] Les parties ne contestent pas la nature, la composition, ni l’utilisation prévue des sangles de treuil pour bateau. Les marchandises sont décrites de la manière suivante : « [S]angle en polyester noir munie d’un mousqueton en acier à une extrémité. La sangle, faite de textile tissé (toile), a une longueur de 20 pieds (6,1 m) et une largeur de 2 pouces (~5,5 cm). Elle est conçue pour être utilisée avec des treuils manuels (vendus séparément) pour tirer ou fixer une charge (par exemple un bateau) sur une remorque ou une autre plateforme [25] » [traduction].

[49] La seule question à trancher est celle de savoir si les marchandises en cause doivent être classées dans la position 59.11 ou dans la position 63.07. Une fois les marchandises classées dans la position appropriée, les parties ne contestent pas la sous-position ou le numéro tarifaire spécifique applicable.

[50] Les parties conviennent également que l’analyse doit commencer par l’examen de la question de savoir si les marchandises en cause relèvent de la position 59.11 en tant que « Produits et articles textiles pour usages techniques, visés à la Note 7 du présent Chapitre ».

[51] L’extrait pertinent de la note 7 du chapitre 59 prévoit ce qui suit :

7. Le no 59.11 comprend les produits suivants, qui sont considérés comme ne relevant pas d’autres positions de la Section XI :

a) les produits textiles en pièces, coupés de longueur ou simplement découpés de forme carrée ou rectangulaire, énumérés limitativement ci-après (à l’exclusion de ceux ayant le caractère de produits des nos 59.08 à 59.10) :

(i) les tissus, feutres ou tissus doublés de feutre, combinés avec une ou plusieurs couches de caoutchouc, de cuir ou d’autres matières, des types utilisés pour la fabrication de garnitures de cardes, et les produits analogues pour d’autres usages techniques, y compris les rubans de velours, imprégnés de caoutchouc, pour le recouvrement des ensouples;

(ii) les gazes et toiles à bluter;

(iii) les étreindelles et tissus épais des types utilisés pour les presses d’huilerie ou pour des usages techniques analogues, y compris ceux en cheveux;

(iv) les tissus, feutrés ou non, même imprégnés ou enduits, pour usages techniques, tissés à plat, à chaînes ou à trames multiples;

(v) les tissus armés de métal, des types utilisés pour des usages techniques;

(vi) les cordons lubrifiants et les tresses, cordes et produits textiles similaires de bourrage industriel, même imprégnés, enduits ou armés;

b) les articles textiles à usages techniques (autres que ceux des nos 59.08 à 59.10) (tissus et feutres sans fin ou munis de moyens de jonction, des types utilisés sur les machines à papier ou sur des machines similaires (à pâté, à amiante-ciment, par exemple), disques à polir, joints, rondelles et autres parties de machines ou d’appareils, par exemple).

[Nos italiques]

[52] Selon le libellé de la note 7, seules les marchandises relevant de la note 7a) ou de la note 7b) peuvent être classées dans la position 59.11. La sangle de treuil pour bateau n’est pas mentionnée ou décrite autrement dans la note 7a).

[53] Le Tribunal souligne que la note 7a)(v) vise les « tissus armés de métal ». La sangle de treuil pour bateau est constituée d’une sangle de polyester munie d’un crochet métallique à une extrémité. Toutefois, le crochet métallique sert d’attache pour relier une extrémité de la sangle à l’équipement à être déplacé tandis que l’autre extrémité de la sangle est fixée au treuil. Le crochet métallique est un composant de la marchandise. Il n’a pas pour fonction de renforcer le composant textile, par exemple en incorporant des tiges ou des fibres métalliques dans l’armure ou la toile du composant textile, dans le but d’accroître la résistance à la traction.

[54] Il reste donc à examiner l’application de la note 7b) aux marchandises en cause.

[55] Selon Canadian Tire, deux caractéristiques doivent être présentes afin de classer les sangles de treuil pour bateau dans la position 59.11, compte tenu du libellé de la note 7. Les marchandises doivent être à la fois des « articles textiles » et être « à usages techniques » technical purposes » dans la version anglaise de la note 7). L’expression utilisée dans le libellé de la version anglaise de la position 59.11 est « technical uses », tandis que la partie pertinente de la version anglaise de la note de chapitre 7, à savoir la note 7b), emploie l’expression « technical purposes » (la version française emploie la même expression aux deux endroits, à savoir « à usages techniques »). Le Tribunal conclut, dans le contexte du présent appel, que la distinction de sens entre les mots « purposes » et « uses » en anglais est sans importance.

[56] Autrement, les parties conviennent que la sangle de treuil pour bateau est un « article » et qu’elle est à usages techniques (que ce soit « technical uses » ou « technical purposes »). Selon Canadian Tire, ce point est déterminant.

[57] Toutefois, l’ASFC soutient que suivant les directives fournies par les notes explicatives de la position 59.11, les marchandises doivent conserver, dans l’ensemble, le « caractère d’un article de matière textile » essentially articles of textile » dans la version anglaise), afin d’être visées par la portée de la position 59.11. La partie pertinente des notes explicatives est rédigée en ces termes :

Il est entendu que les articles à usages techniques de la présente position peuvent comporter des parties en matières non textiles, à condition que ces parties ne constituent que des accessoires ne faisant pas perdre à l’ensemble son caractère d’articles de matière textile.

[58] En conséquence, la question est de savoir si les produits peuvent être décrits comme ayant, dans l’ensemble, le « caractère d’un article de matière textile », compte tenu du fait qu’une sangle de treuil pour bateau est composée d’un élément textile (sangle de toile) et d’un élément non textile (crochet métallique).

[59] Canadian Tire qualifie le crochet métallique de simple accessoire de la sangle. Elle soutient qu’en tant qu’accessoire, le crochet n’est qu’un élément auxiliaire de la marchandise et ne fait pas perdre à l’ensemble son « caractère » d’articles de matière textile.

[60] La fonction de la sangle de treuil pour bateau et la manière de l’utiliser ne sont pas contestées. Le crochet métallique est utilisé pour attacher la sangle de treuil au bateau. L’autre extrémité de la sangle est introduite dans le treuil manuel. Lorsque la manivelle du treuil est tournée, la sangle est enroulée dans le treuil (et en est retirée) et le bateau peut être monté sur une remorque (et en être déchargé). Ce résultat pratique ne peut être obtenu sans un moyen de fixer solidement la sangle au bateau. Bien que d’autres types de dispositifs de fixation puissent être utilisés, ils ne sont pas interchangeables avec le crochet qui est un composant des marchandises en cause. Toutes les parties ont admis que le crochet est fixé de façon permanente, par couture, à la sangle de toile qui compose le produit. Le crochet ne peut être enlevé et remplacé par un autre type de fixation.

[61] Pour ces motifs, le Tribunal conclut que la sangle de treuil pour bateau est une marchandise qui est faite d’un mélange de matières et qui est formée de deux composants essentiels, à savoir la sangle de toile et le crochet métallique. Ces composants forment une combinaison opérationnelle qui fonctionne en synergie pour produire un résultat qui ne pourrait être obtenu par un composant en l’absence de l’autre. Par conséquent, le Tribunal est d’accord avec l’argument présenté par l’ASFC selon lequel la sangle de treuil pour bateau n’a pas, dans l’ensemble, le « caractère » d’un article de matière textile.

[62] Pour que les marchandises aient, dans l’ensemble, le « caractère » d’articles de matière textile, il faudrait que le crochet métallique soit facultatif ou auxiliaire ou un simple accessoire des marchandises. Le Tribunal a déjà examiné la nature d’un « accessoire » comme suit :

Le sens ordinaire du mot « accessory » (accessoire) est « objet additionnel ou supplémentaire [...], petite adjonction ou installation » [traduction]. Dans sa jurisprudence, le Tribunal a ajouté qu’il n’est pas obligatoire qu’un accessoire soit une partie nécessaire au fonctionnement du produit avec lequel il est en corrélation, mais qu’il doit assurer un service particulier en corrélation avec la fonction principale de l’objet; un accessoire est une chose qui contribue d’une manière subordonnée à un résultat ou effet général [26] .

[Notes omises]

[63] Comme il a été mentionné précédemment, le crochet ne contribue pas d’une manière subordonnée à la fonction des marchandises en cause. Le crochet métallique n’est ni accessoire ni secondaire à l’utilisation prévue des marchandises. Au contraire, il est essentiel à la fonctionnalité de la sangle de treuil pour bateau. Bien que la sangle puisse, en théorie, remplir la même fonction au moyen d’un autre type de fixation, la marchandise n’est pas conçue de manière à prévoir pareille solution de rechange.

[64] Certains produits peuvent être conçus pour permettre l’utilisation de pièces et de raccords interchangeables. Or, ce n’est pas le cas en l’espèce. D’ailleurs, cela a été confirmé par M. Favreau en contre-interrogatoire [27] .

[65] Pour retirer le crochet et le remplacer par une autre pièce de fixation, il faudrait couper la boucle de toile cousue qui fixe solidement le crochet à la sangle et fixer une nouvelle attache pour joindre une autre pièce de fixation à la sangle. Essentiellement, le consommateur devrait briser l’article et en construire un nouveau.

[66] Ce type de manipulation n’est clairement pas envisagé par le produit tel qu’il est commercialisé et, en fait, compromettrait probablement l’intégrité structurelle globale de l’article dans tous les cas. Il est incontestable que la sangle doit avoir une résilience et une résistance à la rupture suffisantes pour supporter la charge déplacée par le fonctionnement du treuil. Une sangle de treuil pour bateau qui a été adaptée pour être utilisée avec une fixation différente ou de remplacement serait un tout autre article.

[67] Il est bien établi que le Tribunal doit considérer les marchandises telles qu’elles existent au moment de l’importation [28] . Pour en arriver à la conclusion que le crochet est un accessoire de la sangle comme le réclame Canadian Tire, le Tribunal serait amené à émettre des hypothèses et à examiner un article ayant des composantes ou des caractéristiques différentes de celles des marchandises qui ont réellement été importées.

[68] Comme les marchandises n’ont pas, dans l’ensemble, le « caractère d’articles de matière textile », elles ne relèvent donc pas de la position 59.11, compte tenu du libellé des notes explicatives. Comme l’a conclu le Tribunal dans l’affaire Suzuki, le législateur veut que les notes explicatives soient un guide d’interprétation du classement tarifaire. Le Tribunal est donc tenu de respecter les notes explicatives, à moins qu’il n’existe un « motif valable » de déroger aux directives qui y sont données [29] . Ce faisant, le Tribunal n’est pas autorisé à rédiger de nouveau ou à laisser de côté ces notes.

[69] La Cour d’appel fédérale a indiqué que dans certains cas, la preuve d’expert peut établir l’existence d’un motif valable de déroger aux directives qui sont données dans les notes explicatives [30] . Or, aucune des parties n’a présenté de preuve d’expert dans cette affaire. Le seul témoin, M. Favreau, s’est exprimé sur sa compréhension de la sangle de treuil pour bateau ainsi que sur la construction et l’usage fonctionnel de pareille sangle. Il n’a toutefois pas été présenté comme un témoin expert et n’a pas été reconnu en cette qualité. De plus, dans la mesure où le témoignage de M. Favreau est pertinent, il ne fait que corroborer la preuve qui est déjà au dossier.

[70] Selon le Tribunal, il n’y a aucun élément de preuve probant en l’espèce qui pourrait justifier de déroger aux directives fournies par les notes explicatives. Pour les raisons susmentionnées, les marchandises en cause n’ont pas, dans l’ensemble, le « caractère d’un article de matière textile », compte tenu de leur composition, de leur construction et de leur fonction. Conclure le contraire reviendrait pour le Tribunal à interpréter les termes des notes explicatives en leur donnant un sens qu’ils ne peuvent raisonnablement avoir.

[71] Canadian Tire fait également valoir que le libellé de la note 7b) du chapitre 59 appuie le classement dans la position 59.11 puisque les articles textiles munis de moyens de jonction sont mentionnés dans le libellé de cette position. Étant donné que le crochet métallique sert à relier ou à « joindre » [traduction] la sangle au bateau, Canadian Tire soutient que cela fait de la sangle de treuil pour bateau un « article textile à usages techniques muni d’un moyen de jonction » [traduction], aux fins du classement dans la position 59.11.

[72] Toutefois, en examinant de plus près le libellé de la note 7b), cette dernière ne permet pas de soutenir pareille interprétation. En effet, pour que le libellé de la note s’applique, il faut non seulement que l’article soit à usages techniques et qu’il soit muni d’un moyen de jonction, mais aussi qu’il soit « des types utilisés sur les machines à papier ou sur des machines similaires » [nos italiques] :

[...] les articles textiles à usages techniques (autres que ceux des nos 59.08 à 59.10) (tissus et feutres sans fin ou munis de moyens de jonction, des types utilisés sur les machines à papier ou sur des machines similaires (à pâté, à amiante-ciment, par exemple), disques à polir, joints, rondelles et autres parties de machines ou d’appareils, par exemple).

[73] Les sangles de treuil pour bateau ne sont pas « des types » utilisés avec les machines à papier. Le Tribunal ne dispose pas non plus d’éléments de preuve qui permettraient d’établir que le treuil manuel qui est utilisé conjointement avec les marchandises et une machine à papier sont des « machines similaires ».

[74] Comme condition pour pouvoir être classées ou même pour paraître devoir être classées dans la position 59.11, les termes pertinents des notes explicatives exigent, même à première vue, que les marchandises en cause aient, dans l’ensemble, le « caractère d’un article de matière textile ». Cette condition n’étant pas remplie, le Tribunal conclut que la sangle de treuil pour bateau ne peut être classée dans la position 59.11.

[75] Le Tribunal passe maintenant à l’examen de la position 63.07, qui vise les « [a]utres articles confectionnés, y compris les patrons de vêtements ».

[76] Selon les notes du chapitre 63, les positions nos 63.01 à 63.07, « qui compren[nent] des articles en tous textiles, ne s’applique[nt] qu’aux articles confectionnés ».

[77] Les notes explicatives du chapitre 63 précisent en outre que les marchandises visées par la portée de ce chapitre ne doivent pas être « compris[es] dans des positions plus spécifiques de la Section XI ou dans d’autres Chapitres de la Nomenclature »

[78] En conséquence, pour que la sangle de treuil pour bateau puisse être classée dans la position 63.07, trois conditions doivent être remplies. Elle doit être :

a) un article « confectionn[é] »;

b) en tous textiles;

c) qui n’est pas compris ou décrit dans des positions plus spécifiques ailleurs dans le Tarif des douanes [31] .

[79] De plus, la note explicative 15 de la position n° 63.07 indique que les marchandises répondant à la définition de « sangles pour porte-bagages et articles similaires » sont correctement classées dans cette position.

[80] Les critères pour qu’un produit soit considéré comme un « articl[e] confectionn[é] » sont remplis si les marchandises répondent à une ou plusieurs des conditions prescrites par la note 7 de la section XI. L’extrait pertinent de la note 7 est rédigé en ces termes :

Dans la présente Section, on entend par confectionnés :

[...]

f) les articles assemblés par couture, par collage ou autrement (à l’exclusion des pièces du même textile réunies aux extrémités de façon à former une pièce de plus grande longueur, ainsi que des pièces constituées par deux ou plusieurs textiles superposés sur toute leur surface et assemblés ainsi entre eux, même avec intercalation d’une matière de rembourrage;

[81] Nul ne conteste que les marchandises sont visées par cette description. La sangle de treuil pour bateau est assemblée par la couture d’une bande de textile tissée en polyester enduite de résine qui sert à fixer un crochet métallique à une extrémité de la sangle de textile. Les marchandises sont donc des articles « confectionnés ».

[82] L’extrait de la note 8 de la section XI est rédigé en ces termes :

8. Pour l’application des Chapitres 50 à 60 :

a) ne relèvent pas des Chapitres 50 à 55 et 60 et, sauf dispositions contraires, des Chapitres 56 à 59 les articles confectionnés au sens de la Note 7 ci-dessus; [...]

[83] Étant donné que les marchandises sont des « articles confectionnés » au sens de la note 7, les termes de la note 8 paraissent donc exclure les marchandises du chapitre 59, et donc de leur classement dans la position 59.11. Or, Canadian Tire soutient que cette exclusion ne s’applique pas puisque suivant la note explicative B) de la position 59.11, tous les articles textiles à usages techniques doivent être classés dans la position 59.11, sauf ceux qui sont visés par les dispositions des positions nos 59.08 à 59.10, lesquelles ne sont pas applicables aux marchandises en cause. Selon Canadian Tire, la conclusion selon laquelle les marchandises sont des articles textiles à usages techniques est suffisante pour trancher la question du classement.

[84] De plus, Canadian Tire soutient que la note de section 8 ne s’applique pas à la position 59.11 puisqu’il existe des « dispositions contraires ». Le Tribunal ne dispose d’aucun élément de preuve probant concernant l’existence de dispositions contraires quelconques qui auraient pour effet de soustraire les marchandises en cause à l’application de la note de section 8 ou qui la rendraient non pertinente aux fins de l’analyse relative au classement.

[85] En ce qui concerne la deuxième condition à respecter pour le classement dans la position 63.07, Canadian Tire affirme que les marchandises ne sont pas faites de « textiles » en raison de la présence du crochet métallique.

[86] Dans les affaires Rui Royal et Kinedyne, le Tribunal a précédemment conclu que la présence d’un composant métallique n’empêche pas une marchandise qui est faite d’un mélange de matières, notamment de textiles, d’être classée dans la position 63.07 :

67. Dans Rui Royal International Corp. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, le Tribunal a exprimé l’opinion selon laquelle les Notes explicatives du chapitre 63 ne prévoient pas l’exclusion des marchandises en cause du classement dans le chapitre 63 (et donc dans la position 63.07) lorsque des matières non textiles jouent un rôle plus important que celui de simples garnitures ou accessoires. Les Notes explicatives du chapitre 63 prévoient plutôt que, dans de tels cas, le classement des marchandises doit être déterminé « [...] conformément aux Notes y afférentes des Sections, des Chapitres (Règle générale interprétative 1) ou, à défaut, conformément aux autres Règles générales interprétatives ». Le Tribunal a adopté une approche semblable dans des affaires antérieures.

68. Le Tribunal a examiné les notes de la section XI et du chapitre 63 et considère qu’aucune note de la position 63.07 n’empêche qu’un article textile comportant une composante en métal soit classé dans cette position.

69. Le Tribunal a également examiné les termes de la position 63.07, qui prévoit le classement d’« [a]utres articles confectionnés, y compris les patrons de vêtements ». Le Tribunal remarque que les Notes explicatives de la position 63.07 comprennent expressément, dans cette position, notamment « les sangles pour porte-bagages et les articles similaires ». Le Tribunal conclut qu’il doit déterminer si les marchandises en cause sont des sangles pour porte-bagages et articles similaires, puisque ces marchandises sont expressément visées par les Notes explicatives de cette position. Par conséquent, si les marchandises en cause s’avèrent être des sangles pour porte-bagages et articles similaires, elles peuvent être classées dans la position 63.07, aux termes de la Règle 1 des Règles générales, sans égard aux composantes en métal [32] .

[Notes omises]

[87] Canadian Tire soutient également que Kinedyne se distingue de l’espèce puisque dans cette affaire, le Tribunal n’avait pas examiné le classement dans la position 53.11. Toutefois, cet argument n’est aucunement valable une fois qu’une analyse de la position 59.11 est effectuée et que les marchandises sont exclues de la portée de cette position, comme il a été conclu précédemment.

[88] De plus, Canadian Tire soutient que le raisonnement dans Kinedyne a été supplanté par celui de l’arrêt Igloo Vikski rendu par la Cour suprême du Canada.

[89] Contrairement aux circonstances du présent appel, la situation dans Igloo Vikski ne concernait pas l’exclusion générale de certains types de marchandises de l’un des chapitres examinés. Dans l’arrêt Igloo Vikski, les juges majoritaires de la Cour suprême ont conclu que le Tribunal avait raisonnablement déterminé que les marchandises ne relevaient pas de la position 39.26 (en cause dans cette affaire) au motif que ces dernières n’étaient pas visées par les exemples spécifiques énumérés dans les notes explicatives de cette position. En l’espèce, les notes prévoient expressément que les marchandises confectionnées ne relèvent pas du chapitre 59, « sauf dispositions contraires ». Le litige dans le présent appel porte sur une question juridique intrinsèquement distincte de celle examinée dans l’arrêt Igloo Vikski, où la Cour a dû déterminer si le seul fait qu’un article donné n’était pas inclus dans une liste non exhaustive d’exemples figurant dans une note explicative était suffisant pour empêcher de conclure que les marchandises paraissaient devoir être classées dans la position connexe. Or, cet argument n’aide pas Canadian Tire.

[90] Canadian Tire soutient que l’ASFC présente des définitions intrinsèquement contradictoires pour les articles en matières textiles aux fins des positions nos 59.11 et 63.07. Cet argument semble reposer sur le fait que la sangle de treuil pour bateau est exclue de la portée de la position 59.11 en raison du crochet métallique, mais qu’elle peut rester classée dans la position 63.07, alors que les deux positions se rapportent à des articles textiles.

[91] Toutefois, pareil argument ne tient pas compte du fait que l’exclusion de la position 59.11 repose sur la question de savoir si l’article a, dans l’ensemble, le caractère d’un article de matière textile plutôt que de savoir s’il s’agit d’un article textile. Un composant non textile (comme le crochet métallique) peut, en raison de la composition, de la construction ou de la fonctionnalité de l’article, mener à la conclusion que l’article est plus qu’un article textile ou n’est pas simplement un article textile – c’est-à-dire qu’il n’a pas, dans l’ensemble, « le caractère » d’un article textile, mais qu’il est autre chose, comme une marchandise faite d’un mélange de matières.

[92] D’autre part, la position 63.07 n’impose pas le qualificatif relatif au « caractère » de l’article en ce qui concerne l’analyse visant à déterminer si un article est (ou n’est pas) un article textile. La présence d’un certain contenu non métallique n’est pas nécessairement significative ou transformatrice si elle n’a pas d’incidence matérielle sur la composition ou la fonctionnalité d’une marchandise. Pour les raisons susmentionnées, le crochet métallique n’est pas une « simpl[e] garnitur[e] ou [un simple] accessoir[e] ». Au contraire, il est essentiel, et non accessoire, à la nature inhérente et à l’usage fonctionnel de l’article.

[93] Nul ne conteste que les marchandises comportent des matières textiles, à savoir une sangle de polyester enduite de résine. Le Tribunal conclut donc que les marchandises sont faites de « textiles ».

[94] L’arrêt Kinedyne portait sur le classement de marchandises décrites comme des « sangles de treuil ». Le Tribunal a conclu que ces marchandises étaient semblables aux sangles pour porte-bagages et qu’elles devaient donc être classées dans la position 63.07. Le Tribunal ne dispose d’aucun élément de preuve indiquant que les sangles de treuil pour bateau en cause dans la présente affaire sont suffisamment différentes des sangles de treuil dans l’arrêt Kinedyne. En l’absence de différences factuelles qui permettraient de distinguer les principes appliqués dans Kinedyne, le Tribunal, qui est lié par le principe de la courtoisie judiciaire, est tenu de suivre ses propres précédents [33] .

[95] Pour en arriver à cette conclusion, le Tribunal adopte les définitions énoncées dans les arrêts Rui Royal [34] et Kinedyne [35] relativement aux sangles pour porte-bagages et aux articles similaires, qui sont rédigées en ces termes :

[...] le Tribunal conclut que les marchandises en cause ont assez de caractéristiques en commun avec les sangles pour porte-bagages sur le plan de leur fabrication et de leur fonction pour leur permettre d’être classées dans la position 63.07. Les marchandises en cause ressemblent de près à des sangles pour porte-bagages en ce que les deux produits sont faits de tissu étroit, solide et tissé serré et peuvent résister à une tension. De plus, les marchandises en cause et les sangles pour porte-bagages remplissent des fonctions similaires, comme le Tribunal l’a mentionné ci-dessus.

[Notes omises]

[96] En conséquence, le Tribunal conclut qu’une sangle de treuil pour bateau et une sangle pour porte-bagages sont des articles similaires. Ce critère de classement dans la position 63.07 est donc rempli.

[97] Il n’est pas contesté que les marchandises en cause sont décrites plus précisément ailleurs dans le Tarif des douanes. La seule question est de savoir si les marchandises peuvent être classées dans la position 59.11 ou dans la position 63.07. Comme le Tribunal a conclu que la position 59.11 ne s’applique pas, la troisième exigence de classement dans la position 63.07 est également remplie.

[98] À l’audience, chaque partie a confirmé qu’elle ne contestait pas les arguments de la partie adverse à cet égard. Le Tribunal accepte cette position en ce qui concerne le classement dans la position tarifaire [36] . Par conséquent, le Tribunal conclut que les sangles de treuil pour bateau doivent être classées dans le numéro tarifaire 6307.90.99.90.

DÉCISION

[99] Pour les motifs qui précèdent, l’appel est rejeté.

Susan D. Beaubien

Susan D. Beaubien
Membre présidant

 



[1] L.C. 1997, ch. 36.

[2] Pièce AP-2020-020-03 au par. 3.

[3] Ibid. aux p. 24-26; décision anticipée no C-2019-008509, TRS no 284426.

[4] Pièce AP-2020-020-01.

[5] Rui Royal International Corp. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (30 mars 2011), AP‑2010‑003 (TCCE) [Rui Royal].

[6] Kinedyne Canada Limited c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (5 juillet 2011), AP‑2010‑027 (TCCE) [Kinedyne].

[7] Pièce AP-2020-020-03 aux p. 13-14.

[8] Transcription de l’audience publique à la p. 8.

[9] Ibid.

[10] Ibid. aux p. 8-9.

[11] Ibid. aux p. 9, 15-16.

[12] Pièce AP-2020-020-03 à la p. 6.

[13] Transcription de l’audience publique aux p. 37, 43.

[14] AP-2020-020-09 à la p. 70.

[15] Danson Décor Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (25 septembre 2019), AP‑2018‑043 (TCCE) [Danson Décor] aux par. 75-79.

[16] Article 152 de la Loi.

[17] Danson Décor aux par. 82-93.

[18] L.C. 1997, ch. 36, annexe [Règles générales].

[19] Canada (Procureur général) c. Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38, [Igloo Vikski] aux par. 19-29.

[20] OMD, 4e éd., Bruxelles, 2017.

[21] OMD, 6e éd., Bruxelles, 2017.

[22] Canada (Procureur général) c. Suzuki Canada Inc., 2004 CAF 131 [Suzuki].

[23] Les règles 1 à 5 des Règles générales s’appliquent au classement au niveau de la position. La règle 6 des Règles générales prévoit que « [l]e classement des marchandises dans les sous-positions d’une même position est déterminé légalement d’après les termes de ces sous-positions et des Notes de sous-positions ainsi que, mutatis mutandis, d’après les règles [1 à 5] [...] » et que « les Notes de Sections et de Chapitres sont également applicables sauf dispositions contraires ».

[24] La règle 1 des Règles canadiennes prévoit que « [l]e classement des marchandises dans les numéros tarifaires d’une sous-position ou d’une position est déterminé légalement d’après les termes de ces numéros tarifaires et des Notes supplémentaires ainsi que, mutatis mutandis, d’après les [Règles générales] [...] » et que « les Notes de Sections, de Chapitres et de sous-positions sont également applicables sauf dispositions contraires ». Les avis de classement et les notes explicatives ne sont pas applicables au classement au niveau du numéro tarifaire.

[25] Pièce AP-2020-020-01 à la p. 9.

[26] Accessoires SportRacks Inc. de Thule Canada Inc c. Agence des services frontaliers du Canada (13 janvier 2012), AP‑2010-036 (TCCE) au par. 28.

[27] Transcription de l’audience publique à la p. 19.

[28] Tri-Ed Ltd. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (27 février 2017), AP-2014-041 (TCCE) au par. 69.

[29] Suzuki au par. 13.

[30] Ibid. au par. 17.

[31] Kinedyne au par. 54.

[32] Kinedyne aux par. 67-69.

[33] Canada (Procureur général) c. Bri-Chem Supply Ltd., 2016 CAF 257 aux par. 42-45; X(Re), 2016 CanLII 151453 (CA CIR) aux par. 29-31; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 au par. 19.

[34] Rui Royal au par. 83.

[35] Kinedyne au par. 78.

[36] Transcription de l’audience publique aux p. 69, 114.

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