Appels en matière de douanes et d’accise

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EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

[1] Il s’agit d’un appel interjeté par M. N. Reshetnyak auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur, aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes[1] (la Loi), contre une décision par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) rendue le 4 octobre 2021 aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi.

[2] La question en litige consiste à déterminer si le couteau pliant « Almazka » (la marchandise en cause) importé par M. Reshetnyak est correctement classé dans le numéro tarifaire 9898.00.00 de l’annexe du Tarif des douanes[2] à titre d’arme prohibée aux termes du paragraphe 84(1) du Code criminel[3], dont l’importation au Canada est par conséquent interdite aux termes du paragraphe 136(1) du Tarif des douanes.

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

[3] Le ou vers le 8 juillet 2021, la marchandise en cause est arrivée au Canada par courrier et a été retenue par l’ASFC[4].

[4] Le 8 juillet 2021, l’ASFC a déterminé que la marchandise était une arme prohibée au sens du numéro tarifaire 9898.00.00 et a refusé son importation au Canada[5].

[5] Le 28 juillet 2021, M. Reshetnyak a demandé le réexamen de la décision aux termes du paragraphe 60(1) de la Loi[6].

[6] Le 4 octobre 2021, l’ASFC a maintenu sa décision initiale et a rejeté la demande aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi[7].

[7] Le 4 janvier 2022, M. Reshetnyak a interjeté le présent appel aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi[8].

[8] Le 5 juillet 2022, le Tribunal a tenu une audience sur pièces, conformément aux articles 25 et 25.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur[9].

DESCRIPTION DE LA MARCHANDISE EN CAUSE

[9] La marchandise en cause est un couteau pliant « Almazka ». Le couteau a une longueur de 12,5 pouces (environ 32 centimètres) lorsqu’il est ouvert et de 7,5 pouces (environ 19 centimètres) lorsqu’il est plié[10].

[10] La marchandise comporte une protubérance ou un ergot qui est fixé au dos de la lame. Lorsque la lame est en position fermée, l’application d’une pression sur l’ergot et un mouvement brusque du poignet entraînent le déploiement de la lame du couteau en position entièrement ouverte et verrouillée[11].

CADRE LÉGISLATIF

[11] Le paragraphe 136(1) du Tarif des douanes prévoit ce qui suit :

L’importation des marchandises des nos tarifaires 9897.00.00, 9898.00.00 ou 9899.00.00 est interdite.

[12] Les dispositions pertinentes du numéro tarifaire 9898.00.00 sont les suivantes :

Armes à feu, armes prohibées, armes à autorisation restreinte, dispositifs prohibés, munitions prohibées et éléments ou pièces conçus exclusivement pour être utilisés dans la fabrication ou l’assemblage d’armes automatiques, désignés comme « marchandises prohibées » au présent numéro tarifaire […]

Pour l’application du présent numéro tarifaire :

[…]

b) « arme à autorisation restreinte », « arme à feu à autorisation restreinte », « arme à feu prohibée », « arme automatique », « arme prohibée », « dispositif prohibé », « munitions prohibées » et « permis » s’entendent au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel; […]

[13] Lorsqu’il est question du classement de marchandises dans le numéro tarifaire 9898.00.00, le paragraphe 136(2) du Tarif des douanes prévoit que les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé[12] ne s’appliquent pas. De plus, la note 1 du chapitre 98 de l’annexe du Tarif des douanes prévoit que « [l]es marchandises qui sont décrites dans une disposition du présent Chapitre peuvent être classées dans ladite disposition si les conditions et les exigences de celle-ci et de tout autre règlement applicable sont respectées ».

[14] Selon le Tarif des douanes, une « arme prohibée » comprend tout article défini comme une « arme prohibée » au paragraphe 84(1) du Code criminel.

[15] Le paragraphe 84(1) du Code criminel prévoit ce qui suit :

arme prohibée

a) Couteau dont la lame s’ouvre automatiquement par gravité ou force centrifuge ou par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche; […]

[16] Afin de déterminer si la marchandise en cause est correctement classée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 à titre d’arme prohibée et, par conséquent, à titre de marchandise dont l’importation est interdite au Canada, le Tribunal doit déterminer si elle correspond à la définition ci‑dessus de l’alinéa 84(1)a) du Code criminel.

POSITIONS DES PARTIES

N. Reshetnyak

[17] M. Reshetnyak soutient que le couteau ne s’ouvre pas par force centrifuge ou par pression manuelle appliquée à un dispositif fixé au couteau. Il fait plutôt valoir que la marchandise en cause utilise un mécanisme de verrouillage linéaire pour verrouiller la lame en position ouverte et n’aide pas à l’ouverture automatique de la lame[13].

[18] M. Reshetnyak fait également valoir que des marchandises dotées de mécanismes de verrouillage semblables peuvent être achetées au Canada[14].

ASFC

[19] L’ASFC soutient que M. Reshetnyak ne s’est pas acquitté de son fardeau de preuve de démontrer que l’ASFC avait tort de classer la marchandise en cause à titre d’arme prohibée et que l’appel pourrait être rejeté pour ce seul motif[15]. L’ASFC soutient également que M. Reshetnyak n’a déposé aucun élément de preuve et n’a invoqué aucun motif permettant au Tribunal de conclure que la classification de l’ASFC était incorrecte.

[20] Selon l’ASFC, la marchandise en cause est un couteau muni d’une lame qui s’ouvre automatiquement par force centrifuge[16]. En effet, l’ASFC a conclu, en se fondant sur les conclusions du Tribunal dans l’affaire T. Laplante c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, qu’un couteau qui s’ouvre rapidement lorsqu’un « mouvement brusque du poignet est accompagné de manipulations minimales du flipper » [traduction, italiques dans l’original] s’ouvre automatiquement par force centrifuge[17].

[21] L’ASFC a également indiqué que le mécanisme de verrouillage linéaire ne verrouille la lame qu’une fois que le couteau a été déployé et qu’il n’a aucune incidence sur l’ouverture du couteau[18].

[22] L’ASFC fait enfin valoir que, bien que M. Reshetnyak ait déclaré que des marchandises semblables sont vendues dans divers magasins canadiens, cette considération n’est pas pertinente pour déterminer si la marchandise a été correctement classée à titre d’arme[19].

ANALYSE

Charge de la preuve

[23] Le paragraphe 152(3) de la Loi impose à M. Reshetnyak le fardeau de preuve de démontrer que la marchandise en cause est incorrectement classée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 à titre d’arme prohibée[20].

[24] Dans des appels interjetés en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi, le Tribunal a appliqué le critère dans l’affaire Hickman Motors Ltd. c. Canada[21], où la Cour suprême du Canada prévoyait qu’un appelant pouvait s’acquitter de cette charge initiale en présentant une preuve prima facie[22]. Le Tribunal a conclu que, lorsque l’appelant n’a pas accès à l’article parce qu’il a été saisi et retenu par l’ASFC, une description écrite de la façon dont le couteau s’ouvre est suffisante pour établir une preuve prima facie[23].

[25] Les observations de M. Reshetnyak portaient sur les caractéristiques du couteau et fournissaient une brève description de la façon dont le couteau s’ouvre et fonctionne. À ce titre, le Tribunal conclut que M. Reshetnyak a établi une preuve prima facie et, par extension, s’est acquitté de la charge de preuve requise.

Déterminer si la marchandise en cause est une arme prohibée

[26] Pour déterminer si la marchandise en cause est correctement classée à titre d’arme prohibée dans le numéro tarifaire 9898.00.00, la définition qui nous occupe est celle énoncée à l’alinéa 84(1)a) du Code criminel. Par conséquent, la marchandise en cause est une arme prohibée si la lame du couteau s’ouvre automatiquement selon l’une des deux façons suivantes : 1) par gravité ou force centrifuge; 2) par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou un autre dispositif incorporé ou attaché au manche du couteau.

[27] Le Tribunal a conclu qu’un couteau est considéré comme s’ouvrant automatiquement si la lame s’ouvre avec une manipulation minimale de l’ergot ou par un mouvement brusque du poignet vers l’extérieur[24]. De même, le Tribunal a conclu que « automatiquement », dans le contexte de l’alinéa 84(1)a) du Code criminel, signifie « de manière essentiellement ou entièrement involontaire » et que la manipulation minimale n’annule pas l’automatisation du déploiement de la lame[25]. En d’autres termes, « automatiquement » ne signifie pas sans aucune intervention humaine.

[28] Le Tribunal a également conclu qu’un couteau sera considéré comme s’ouvrant automatiquement par force centrifuge lorsqu’il s’ouvre par un « mouvement brusque du poignet […] accompagné d’une manipulation minimale du flipper ou d’autres parties non tranchantes de la lame »[26] et qu’un couteau « peut s’ouvrir automatiquement par force centrifuge même s’il requiert une certaine manipulation préliminaire ou simultanée d’un flipper ou d’une partie de la lame »[27].

[29] En l’espèce, les éléments de preuve soumis par l’ASFC démontrent clairement que le couteau s’ouvre rapidement et se verrouille en position ouverte après l’application d’une pression manuelle sur l’ergot et un mouvement brusque du poignet de la main tenant le couteau vers l’extérieur[28]. De plus, le Tribunal conclut que le mécanisme de verrouillage linéaire n’a aucune incidence sur l’ouverture du couteau, puisqu’il ne verrouille la lame qu’une fois que le couteau a été déployé.

[30] Comme l’a fait remarquer l’ASFC, la marchandise en cause est semblable au couteau dans l’affaire T. Brown, où le Tribunal a conclu qu’un couteau s’ouvrait automatiquement lorsque la manipulation d’un ergot fixé sur la lame était accompagnée d’un mouvement brusque du poignet[29]. Dans cette affaire, le Tribunal a conclu que cela indiquait que le couteau s’ouvrait automatiquement par force centrifuge[30].

[31] Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal est d’avis que la marchandise en cause est correctement classée à titre d’arme prohibée dans le numéro tarifaire 9898.00.00.

Autres considérations

[32] Le Tribunal a toujours soutenu que la vente, la disponibilité ou la présence de marchandises semblables au Canada n’a aucune incidence sur la question de savoir si les marchandises sont des armes prohibées dont l’importation est interdite au Canada[31]. Par conséquent, l’argument de M. Reshetnyak selon lequel des marchandises dotées de mécanismes semblables peuvent être achetées au Canada n’est pas pertinent aux fins du classement de la marchandise en cause dans le numéro tarifaire 9898.00.00[32].

DÉCISION

[33] Compte tenu des motifs susmentionnés, l’appel est rejeté.

 



[21] Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336.

[30] T. Brown au par. 26.

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