Appels en matière de douanes et d’accise

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Appel AP-2020-025

Thai Indochine Trading Inc.

c.

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Décision et motifs rendus
le mardi 29 mars 2022

 



EU ÉGARD À un appel entendu le 30 novembre 2021 en vertu de l’article 67 de la Loi sur les douanes;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 25 novembre 2020 concernant une demande de réexamen aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

THAI INDOCHINE TRADING INC.

Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.

Frédéric Seppey

Frédéric Seppey
Membre présidant


 

Lieu de l’audience :

par vidéoconférence

Date de l’audience :

le 30 novembre 2021

Membre du Tribunal :

Frédéric Seppey, membre présidant

Personnel du Secrétariat du Tribunal :

Zackery Shaver, conseiller juridique
Nadja Momcilovic, conseillère juridique
Morgan Oda, agente du greffe
Stephanie Blondeau, agente du greffe

PARTICIPANTS :

Appelante

Conseiller/représentant

Thai Indochine Trading Inc.

Robert MacDonald

Intimé

Conseiller/représentant

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Nathan Joyal

Veuillez adresser toutes les communications à :

La greffière adjointe
Téléphone : 613-993-3595
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

APERÇU

[1] Le présent appel a été interjeté le 7 janvier 2021 par Thai Indochine Trading Inc. (Thai Indochine) auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur, aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes (Loi) [1] , à l’égard d’une décision rendue le 25 novembre 2020 par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), aux termes du paragraphe 60(4), concernant une demande de réexamen du classement tarifaire.

[2] La question en litige dans le présent appel est de savoir si diverses marques de lait et de crème de coco (les marchandises en cause) sont correctement classées à titre de « Fruits et autres parties comestibles de plantes, autrement préparés ou conservés avec ou sans addition de sucre ou d’autres édulcorants ou d’alcool, non dénommés ni compris ailleurs; Fruits à coques, arachides et autres graines, même mélangés entre eux; Autres, y compris les mélanges; Autres » (fruits à coques, autrement préparés ou conservés, non dénommés ni compris ailleurs) dans le numéro tarifaire 2008.19.90 comme l’avait initialement déterminé l’ASFC, à titre de « Jus de fruit (y compris les moûts de raisin) ou de légumes, non fermentés, sans addition d’alcool, avec ou sans addition de sucre ou d’autres édulcorants; Jus de tout autre fruit ou légume; Autres; D’un fruit » (autre jus de tout autre fruit) dans le numéro tarifaire 2009.89.10 comme l’a soutenu Thai Indochine, ou à titre de « Préparations alimentaires non dénommées ni comprises ailleurs; Autres; Autres; Autres » (autres préparations alimentaires non dénommées ni comprises ailleurs) dans le numéro tarifaire 2106.90.99 comme l’a ensuite fait valoir l’ASFC.

[3] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que les marchandises en cause doivent être classées dans le numéro tarifaire 2106.90.99 à titre d’autres préparations alimentaires non dénommées ni comprises ailleurs.

MARCHANDISES EN CAUSE

[4] Le présent appel vise quatre marchandises en cause, soit les suivantes [2] :

 

Nom du produit

Description

Produit 1

Lait de coco Aroy-D (carton)

Ingrédients étiquetés ainsi : « lait de coco à 100 % »

Produit 2

Crème de coco Aroy-D (carton)

Ingrédients étiquetés ainsi : « crème de coco à 100 % »

Produit 3

Lait de coco Aroy-D (boîte)

Ingrédients étiquetés ainsi : « extrait de noix de coco à 60 %, eau »

Produit 4

Crème de coco Savoy

Ingrédients étiquetés ainsi : « lait de coco (70 %), eau, métabisulfite de potassium (agent de conservation) »

[5] Le lait et la crème de coco sont dérivés de la transformation de la pulpe blanche de noix de coco dont le liquide a été extrait. Le résultat ainsi obtenu est une émulsion crémeuse d’huile ou d’un corps gras dans l’eau [3] .

[6] Une vidéo démontrant le processus de fabrication du lait de coco a été déposée par Thai Indochine à l’appui de son mémoire [4] .

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

[7] Entre le 26 juin et le 15 septembre 2015, et entre le 5 mai et le 21 novembre 2017, Thai Indochine a importé les marchandises en cause et les a classées dans le numéro tarifaire 2008.19.90 à titre de fruits à coques, autrement préparés ou conservés, non dénommés ni compris ailleurs [5] .

[8] Le 25 juin et le 16 août 2019, et les 10 et 31 juillet 2020, Thai Indochine a présenté une demande de remboursement des droits en vertu de l’alinéa 74(1)e) de la Loi au motif que les droits payés résultaient d’une erreur de classement tarifaire des marchandises en cause. Elle a soutenu que les marchandises devraient être classées dans le numéro tarifaire 2009.89.10 à titre d’autre jus de tout autre fruit [6] .

[9] Les 19 et 28 août 2019 et le 7 octobre 2020, l’ASFC a rejeté les demandes de remboursement des droits payés sur les marchandises en cause de Thai Indochine. Conformément au paragraphe 74(4) de la Loi, le rejet des demandes a été assimilé à la révision prévue à l’alinéa 59(1)a) et les marchandises sont restées classées dans le numéro tarifaire 2008.19.90 [7] .

[10] Le 16 septembre 2019, Thai Indochine a déposé une demande de réexamen du classement tarifaire des marchandises en cause en vertu du paragraphe 60(1) de la Loi. Elle a à nouveau demandé que les marchandises soient classées dans le numéro tarifaire 2009.89.10 [8] .

[11] Le 25 novembre 2020, le président de l’ASFC a procédé au réexamen du classement tarifaire des marchandises en application du paragraphe 60(4) de la Loi. Les marchandises en cause sont demeurées classées dans le numéro tarifaire 2008.19.90 [9] .

[12] Le 7 janvier 2021, Thai Indochine a interjeté le présent appel auprès du Tribunal en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi [10] .

[13] Le 18 mars 2021, Thai Indochine a déposé son mémoire auprès du Tribunal.

[14] Le 16 juin 2021, l’ASFC a déposé auprès du Tribunal un mémoire dans lequel elle soutenait que, même si elle avait initialement classé les marchandises dans la position 20.08, elle avait conclu que les marchandises devaient plutôt être classées dans la position 21.06 [11] .

[15] Le 21 octobre 2021, l’ASFC a déposé des sources juridiques faisant autorité et d’autres documents [12] .

[16] Le 10 novembre 2021, Thai Indochine a déposé un mémoire supplémentaire, affirmant qu’elle voulait répondre aux nouveaux arguments soulevés par l’ASFC dans son mémoire concernant le classement des marchandises en cause à la position 21.06 [13] .

[17] Le 12 novembre 2021, l’ASFC a demandé au Tribunal de refuser le mémoire supplémentaire de Thai Indochine parce qu’il contenait de nouveaux arguments en plus de nouveaux documents et de nouveaux précédents jurisprudentiels. En outre, l’ASFC a fait valoir que les observations supplémentaires n’avaient pas été présentées en temps opportun [14] .

[18] Le 16 novembre 2021, le Tribunal a exceptionnellement accepté le mémoire supplémentaire de Thai Indochine, l’autorisant à présenter par écrit ses arguments concernant le nouveau classement proposé par l’ASFC pour les marchandises en cause [15] . Le Tribunal a également autorisé l’ASFC à déposer un mémoire en réponse.

[19] Le 23 novembre 2021, l’ASFC a déposé un mémoire en réponse au mémoire supplémentaire de Thai Indochine [16] .

[20] L’audience a eu lieu le 30 novembre 2021 par vidéoconférence. Les parties n’ont appelé aucun témoin à comparaître.

CADRE LÉGISLATIF

[21] La nomenclature tarifaire est énoncée en détail dans l’annexe du Tarif des douanes [17] , qui est conforme au Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (le Système harmonisé) élaboré par l’Organisation mondiale des douanes (OMD) [18] . L’annexe est divisée en sections et en chapitres et chaque chapitre de l’annexe contient une liste de marchandises classées dans des positions, sous-positions et numéros tarifaires.

[22] Le paragraphe 10(1) du Tarif des douanes prévoit que le classement des marchandises importées est effectué, sauf indication contraire, en conformité avec les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé [19] (Règles générales) et les Règles canadiennes [20] énoncées à l’annexe.

[23] Les Règles générales sont composées de six règles. Le classement commence par la règle 1, qui prévoit que le classement doit être déterminé d’après les termes des positions et des notes de section ou de chapitre et, lorsqu’elles ne sont pas contraires aux termes desdites positions et notes, d’après les autres règles.

[24] L’article 11 du Tarif des douanes prévoit que, pour l’interprétation des positions et des sous‑positions, le Tribunal doit tenir compte du Recueil des Avis de classement du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises [21] (Avis de classement) et des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises [22] (Notes explicatives), publiés par l’OMD. Bien que les Avis de classement et les Notes explicatives n’aient pas force exécutoire, le Tribunal les applique à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire [23] .

[25] Par conséquent, le Tribunal doit d’abord déterminer si les marchandises en cause peuvent être classées conformément à la règle 1 des Règles générales, selon les termes de la position et les notes de section ou de chapitre pertinentes du Tarif des douanes, compte tenu des notes explicatives et des avis de classement pertinents. C’est seulement lorsque la Règle 1 ne permet pas d’arrêter de manière concluante le classement d’une marchandise qu’il faudra recourir aux autres Règles générales [24] .

[26] Après que le Tribunal a utilisé cette méthode pour déterminer la position dans laquelle les marchandises en cause doivent être classées, l’étape suivante consiste à utiliser une méthode similaire pour déterminer la sous-position appropriée [25] . La dernière étape consiste à déterminer le numéro tarifaire approprié [26] .

[27] Les dispositions pertinentes du Tarif des douanes sont les suivantes :

 

Section IV

PRODUITS DES INDUSTRIES ALIMENTAIRES; BOISSONS, LIQUIDES ALCOOLIQUES ET VINAIGRES; TABACS ET SUCCÉDANÉS DE TABAC FABRIQUÉS

 

Chapitre 20

PRÉPARATIONS DE LÉGUMES, DE FRUITS OU D’AUTRES PARTIES DE PLANTES

Section IV

PREPARED FOODSTUFFS; BEVERAGES, SPIRITS AND VINEGAR; TOBACCO AND MANUFACTURED TOBACCO SUBSTITUTES

 

Chapter 20

PREPARATIONS OF VEGETABLES, FRUIT, NUTS OR OTHER PARTS OF PLANTS

20.08

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2008.19

 

 

 

2008.19.90

Fruits et autres parties comestibles de plantes, autrement préparés ou conservés avec ou sans addition de sucre ou d’autres édulcorants ou d’alcool, non dénommés ni compris ailleurs.

 

 

 

-Fruits à coques, arachides et autres graines, même mélangés entre eux :

[...]

 

- -Autres, y compris les mélanges

[...]

 

- - -Autres

Fruit, nuts and other edible parts of plants, otherwise prepared or preserved, whether or not containing added sugar or other sweetening matter or spirit, not elsewhere specified or included.

 

-Nuts, ground-nuts and other seeds, whether or not mixed together:

. . .

 

- -Other, including mixtures

. . .

 

- - -Other

20.09

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2009.89

 

2009.89.10

Jus de fruits (y compris les moûts de raisin) ou de légumes, non fermentés, sans addition d’alcool, avec ou sans addition de sucre ou d’autres édulcorants.

 

 

[...]

 

-Jus de tout autre fruit ou légume :

[...]

 

 

- -Autres

 

- - -D’un fruit

Fruit juices (including grape must) and vegetable juices, unfermented and not containing added spirit, whether or not containing added sugar or other sweetening matter.

 

. . .

 

-Juice of any other single fruit or

vegetable:

. . .

 

- -Other

 

- - -Of a fruit

 

 

Chapitre 21

PRÉPARATIONS ALIMENTAIRES DIVERSES

 

Chapter 21

MISCELLANEOUS EDIBLE PREPARATIONS

 

21.06

 

 

 

 

2106.90

 

 

 

 

 

 

2106.90.99

Préparations alimentaires non dénommées ni comprises ailleurs.

[...]

-Autres

[...]

- - -Autres :

[...]

- - - -Autres

Food preparations not elsewhere specified or included.

. . .

-Other

. . .

---Other:

. . .

- - - -Other

POSITION DES PARTIES

Thai Indochine

[28] Thai Indochine soutient que les marchandises en cause devraient être classées dans le numéro tarifaire 2009.89.10 à titre d’autre jus de tout autre fruit [27] .

[29] Après avoir présenté des définitions de dictionnaire pour certains termes [28] , Thai Indochine s’appuie sur une note explicative à la position 20.09 [29] pour conclure que parce que « l’eau de coco » est classée comme un jus de fruits, le lait de coco devrait également l’être étant donné que le processus de fabrication des deux produits est similaire [30] .

[30] De plus, Thai Indochine fait valoir que les marchandises en cause ne peuvent être classées à la position 20.08 que s’il est déterminé qu’elles ne sont pas dénommées ni comprises ailleurs. Puisque Thai Indochine est d’avis que les marchandises correspondent à la position 20.09, elles ne devraient pas être classées à la position 20.08 [31] .

[31] Enfin, Thai Indochine avance que, même si l’OMD a publié un avis de classement selon lequel une préparation désignée comme « lait de coco » correspond à la position 21.06, les marchandises ne sont pas des « préparations alimentaires » et le Tribunal devrait donc s’écarter de cet avis de classement [32] .

ASFC

[32] L’ASFC soutient que les marchandises en cause devraient être classées dans le numéro tarifaire 2106.90.99 à titre d’autres préparations alimentaires non dénommées ni comprises ailleurs [33] .

[33] L’ASFC se fonde sur une note explicative à la position 20.09 pour soutenir que, puisque les marchandises en cause ne sont pas de l’eau de coco, elles ne peuvent être classées comme un jus de fruit [34] .

[34] Étant donné qu’un avis de classement sur la sous‑position 2106.90 fait mention d’une préparation appelée « lait de coco », l’ASFC soutient que les marchandises en cause sont visées par la position 21.06 [35] .

[35] Selon l’ASFC, cet avis de classement, adopté après la décision du Tribunal dans Intersave West [36] , permet au Tribunal de s’écarter de la décision antérieure de classer le lait de coco à la position 20.08 [37] .

[36] Comme la crème de coco est semblable au lait de coco, l’ASFC avance qu’elle devrait être classée à la même position [38] .

ANALYSE

[37] Le différend entre les parties concerne la position. Le Tribunal doit donc se demander si les marchandises en cause doivent être classées à la position 20.09, 20.08 ou 21.06.

[38] Dans l’affaire J. Cheese, le Tribunal a indiqué que la position 21.06 était résiduelle en raison de l’expression « non dénommées ni comprises ailleurs [39] ». Comme cette expression figure aussi à la position 20.08, cela laisse entendre que la position 20.08 est elle aussi résiduelle, bien qu’elle soit un peu plus précise que la position 21.06. Par conséquent, avant de déterminer si les marchandises en cause sont des préparations visées par la position 21.06, le Tribunal doit d’abord écarter la possibilité qu’elles soient visées ailleurs dans le Tarif des douanes. Le Tribunal commencera donc son analyse par la position 20.09.

[39] Par ailleurs, il est établi que lorsqu’une note d’exclusion empêche le classement, à première vue, des marchandises dans deux positions concurrentes, le Tribunal doit commencer son analyse par la position mentionnée dans cette note explicative [40] . En l’espèce, une note explicative à la position 20.06 exclut les articles de la position 20.08. Le Tribunal poursuivra donc son analyse avec la position 20.08 avant de passer à la position 21.06.

Qu’est-ce que du « lait de coco » et de la « crème de coco »?

[40] Le point de départ de l’analyse du classement des marchandises en cause est la définition de « lait de coco » et de « crème de coco ».

[41] Les parties s’entendent sur les caractéristiques de base des marchandises en cause. Elles reconnaissent toutes deux que la définition du Coconut Handbook donne une description exacte des marchandises. La description est la suivante :

Le lait et la crème de coco sont produits à partir de noix de coco mûres de 10 à 13 mois, lorsque le noyau est dur et épais. Il s’agit d’émulsions aqueuses naturelles extraites du noyau des noix de coco mûres.

[...]

La différence entre le lait et la crème de coco est la quantité de gras dans le produit. Il est important de catégoriser les produits de lait de coco en fonction de la teneur en gras. Le document intitulé Norme pour les produits aqueux à base de noix de coco mentionne que le lait de coco devrait contenir au moins 10 % de matières grasses, 2,7 % d’extraits secs dégraissés et entre 12,7 et 25,3 % d’extraits secs, alors que la crème de coco devrait contenir au moins 20 % de matières grasses, 5,4 % d’extraits secs dégraissés et entre 25,4 et 37,3 % d’extraits secs (Tableau 6.1) [41] .

[Traduction]

[42] Thai Indochine soutient également que la définition du lait de coco qui se trouve dans le Canadian Oxford Dictionary étaye son argument. Cette définition est la suivante :

1 the white milky liquid found inside the coconut. (substance laiteuse blanche que l’on trouve à l’intérieur de la noix de coco.) 2 a coconut-flavoured liquid obtained by soaking grated coconut in water. (Liquide à saveur de noix de coco obtenu en faisant tremper de la noix de coco râpée dans de l’eau) [42] .

[43] Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si de l’eau est ajoutée au procédé de fabrication des marchandises en cause. En effet, Thai Indochine soutient qu’aucune eau n’est ajoutée pendant ou après le procédé de fabrication du lait ou de la crème de coco Aroy‑D en carton [43] , mais qu’il est possible que de l’eau chaude fasse partie du processus d’extraction du lait de coco en boîte Aroy‑D et Savoy [44] . Elle insiste sur le fait que l’eau est seulement ajoutée comme élément du processus.

[44] Pour sa part, l’ASFC est d’avis que l’eau est ajoutée « à diverses étapes du processus [45] » [traduction].

[45] D’après les définitions qui précèdent, le Tribunal évalue que la crème de coco est généralement différente du lait de coco en raison de sa teneur en matières grasses [46] . Le Tribunal estime par ailleurs que le lait et la crème de coco sont des émulsions crémeuses d’huile ou de gras dans l’eau, extraites des noyaux de noix de coco mûres [47] .

[46] Au‑delà de cette définition générale, le Tribunal ne peut pas, dès le départ, définir ce qui distingue vraiment chacune des marchandises en cause. Les produits 1 et 4 font mention de « lait de coco » comme ingrédient principal, le produit 2, de « crème de coco » (comme ingrédient principal exclusif ou dominant) et le produit 3, d’« extrait de noix de coco ». Ces différences seront examinées plus en détail ci-dessous.

Classement des marchandises à la position 20.09 à titre d’autre jus de tout autre fruit

[47] Thai Indochine soutient que les marchandises en cause devaient être classées dans le numéro tarifaire 2009.89.10 à titre d’autre jus de tout autre fruit [48] .

[48] Étant donné que le terme « jus » n’est pas défini dans le Tarif des douanes ou les notes explicatives, le Tribunal se tourne vers le sens ordinaire tiré du Canadian Oxford Dictionary :

1 the extractable liquid part of a vegetable or fruit, commonly containing its characteristic flavour . . . (liquide pouvant être extrait d’un légume ou d’un fruit, contenant habituellement la saveur caractéristique de ce légume ou de ce fruit [...]) [49]

[49] Le Tribunal prend note aussi des définitions françaises :

Le Petit Robert de la langue française

jus 1 Liquide contenu dans une substance végétale et extrait par pression, décoction [50]

décoction 1 Action de faire bouillir dans l’eau (une substance) pour en extraire les principes solubles Liquide ainsi obtenu [51]

Multidictionnaire de la langue française

jus Liquide contenu dans une substance végétale [52]

[50] De l’avis du Tribunal, les définitions citées ci‑dessus ne semblent pas exclure a priori le lait ou la crème de coco de la définition d’un jus. Par conséquent, il examinera si les marchandises en cause sont visées par les notes explicatives de la position 20.09.

[51] Thai Indochine soutient que le premier élément des notes explicatives de la position 20.09, reproduites ci‑dessous, s’applique aux marchandises en cause, et fait valoir qu’« il faut respecter les Notes explicatives, à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire [53] » [traduction].

Les jus de fruits ou de légumes de la présente position sont, en règle générale, obtenus par ouverture mécanique ou pression de fruits ou de légumes frais, sains et mûrs, que cette pression consiste - comme c’est le cas pour les agrumes - en une extraction à l’aide de machines dites extracteurs fonctionnant d’après le principe du presse‑citron ménager, ou en pressurage précédé ou non, soit d’un foulage ou d’un broyage (pour les pommes notamment), soit d’un traitement à l’eau froide, à l’eau chaude ou à la vapeur (c’est le cas, en particulier, des tomates, du cassis ou de certains légumes comme la carotte ou le céleri). Les jus de cette position comprennent également l’eau de la noix de coco.

[52] Thai Indochine dépose également à l’intention du Tribunal une vidéo expliquant le procédé de fabrication du lait de coco, affirmant que le processus qui y est montré illustre la note explicative ci‑dessus [54] .

[53] Le Tribunal souscrit à l’argument de Thai Indochine selon lequel les marchandises en cause pourraient correspondre à la définition établie par les éléments susmentionnés des notes explicatives de la position 20.09. Cependant, il juge qu’il est important de prendre note du libellé au quatrième paragraphe :

Grâce à ces divers traitements [c.‑à‑d. clarification, filtration, désaération, homogénéisation et stérilisation], les jus de fruits ou de légumes se présentent sous la forme de liquides d’apparence limpide, non fermentés. Il arrive cependant que certains jus - ceux tirés notamment de fruits pulpeux (abricot, pêche, tomate, par exemple) - contiennent encore, en suspension ou sous forme de dépôt, une partie de la pulpe à l’état finement divisé.

[Nos italiques]

[54] Comme le montrent les photos fournies par Thai Indochine [55] , le lait et la crème de coco ne se présentent pas sous forme de « liquides d’apparence limpide ». Il s’agit d’émulsions aqueuses, comme il a été mentionné, et elles prennent souvent la forme d’une matière solide blanche contenant seulement une quantité minime d’eau vu leur teneur élevée en matières grasses. Bien que la note explicative susmentionnée conçoive que certains jus peuvent ne pas être des liquides d’apparence limpide, le contexte montre clairement que l’autre forme possible est un liquide qui contient encore, « en suspension ou sous forme de dépôt, une partie de la pulpe à l’état finement divisé ». Ce n’est pas le cas des marchandises en cause, qui ne contiennent aucune pulpe. Par conséquent, les marchandises en cause ne semblent pas correspondre à cet élément précis des notes explicatives.

[55] Le cinquième paragraphe des notes explicatives de la position 20.09 fournit aussi des indications utiles sur la question de savoir si les marchandises en cause peuvent être qualifiées de jus :

La présente position couvre également des jus, d’ailleurs peu courants, obtenus à partir de fruits séchés qui, à l’état frais, renferment du jus. Tel est le cas, par exemple, du produit dit jus de pruneaux aux extraits de pruneaux secs traités à l’eau chaude, pendant plusieurs heures, dans une batterie de diffuseurs. En sont, par contre, exclus les produits plus ou moins liquides résultant du traitement par la chaleur, en présence d’eau, de fruits frais ou secs (tels que baies de genévrier ou fruits de l’églantier), ne possédant pour ainsi dire pas de jus; ces produits relèvent généralement du no 2106.

[Nos italiques]

[56] La dernière partie de ce paragraphe semble s’appliquer au lait de coco du genre montré dans la vidéo déposée en preuve par Thai Indochine sur la fabrication du produit [56] . Dans la vidéo, l’animatrice explique comment le lait de coco est produit dans une usine de fabrication typique [57] . Les morceaux d’albumen blanc sont d’abord « blanchis dans l’eau chaude » [traduction] afin de les ramollir et de faciliter le déchiquetage. On ajoute ensuite de l’eau à la pulpe ainsi créée, et « on en extrait simplement le lait en la pressant » [traduction]. Au début de la même vidéo, l’animatrice explique comment le lait de coco est produit « à l’ancienne » [traduction], en grattant l’intérieur d’une noix de coco mûre pour obtenir de la noix de coco râpée. On presse ensuite cette pulpe dans un linge pour obtenir du lait [58] . Comme on peut le voir dans la vidéo, la pulpe de la noix de coco en soi ne contient pas beaucoup de « jus », ce qui nous pousse à nous demander si les marchandises en cause devaient être classées dans la position 20.09.

[57] Se rapportant au onzième paragraphe des notes explicatives de la position 20.09, l’ASFC souligne que l’ajout d’eau est permis dans les jus visés à la position 20.09, mais seulement dans la mesure où elle est nécessaire pour leur rendre leur composition dans leur état naturel [59] . Ce paragraphe des notes explicatives indique ce qui suit :

Par contre, l’adjonction d’eau à un jus de fruit ou de légume de composition normale ou l’adjonction, à un jus préalablement concentré, d’eau dans une proportion supérieure à celle qui est nécessaire pour rendre à ce concentré la composition du jus dans son état naturel, confère aux produits obtenus le caractère de dilutions revêtant le caractère des boissons du no 2202. Les jus de fruits ou de légumes contenant une proportion d’anhydride carbonique excédant celle contenue normalement dans les jus traités à l’aide de ce produit (jus gazéifiés) et, a fortiori, les limonades et eaux gazéifiées aromatisées à l’aide de jus de fruits sont également exclus (no 2202) [60] .

[Caractères gras dans l’original]

[58] Dans l’affaire Intersave West, le Tribunal a conclu que le lait de coco Aroy‑D n’était pas un jus de fruits parce que de l’eau est ajoutée durant le processus de production et a déclaré ceci :

Bien que [...] le processus utilisé pour produire du lait de coco soit similaire au processus utilisé pour produire des jus de fruits, le Tribunal fait observer qu’il existe une différence importante du fait que de l’eau est ajoutée au lait de coco durant le processus de production.

Conformément aux Notes explicatives de la position 20.09, l’adjonction d’eau n’est permise que dans le cas d’un jus concentré, mais dans une proportion qui n’est pas supérieure à celle qui est nécessaire pour rendre à ce concentré la composition du jus dans son état naturel.

[...]

Les éléments de preuve indiquent que le lait de coco n’est pas un jus concentré, et qu’on ne peut le boire comme boisson. Étant donné que le produit en cause contient de l’eau ajoutée, même si le Tribunal devait considérer le lait de coco comme un jus de fruits de composition normale, le lait de coco ne répondrait pas aux exigences des Notes explicatives de la position 20.09. De ce fait, le produit en cause ne peut être classé dans la position 20.09 [61] .

[59] Par conséquent, l’ASFC affirme que les marchandises dans l’affaire Intersave West et les marchandises en cause en l’espèce ont été « obtenues par le même processus, ou du moins par un processus comparable [...] et qu’il a été conclu qu’elles n’étaient pas des [jus de fruits] [62] » [traduction], alors que les « notes explicatives applicables à la position 20.09 utilisent un libellé que le Tribunal a précédemment jugé déterminant [63] » [traduction].

[60] En ce qui concerne le raisonnement du Tribunal dans l’affaire Intersave West, Thai Indochine convient que le Tribunal a abordé la classification de « produits de lait de coco similaires [64] » [traduction], mais qu’il a commis une erreur en excluant le lait de coco des jus de fruits. Premièrement, Thai Indochine soutient que les notes explicatives de la position 20.09, que le Tribunal a consultées [65] , ne peuvent pas viser le lait de coco, car les marchandises ne possèdent pas les caractéristiques d’une boisson. Deuxièmement, elle affirme que l’eau n’est pas « ajoutée au lait de coco durant le processus de production » [traduction], mais plutôt avant que le lait de coco soit extrait de la pulpe de noix de coco râpée [66] .

[61] Après un réexamen approfondi de l’analyse effectuée par le Tribunal dans l’affaire Intersave West il y a plus de vingt ans, le soussigné doit respectueusement exprimer un désaccord avec son analyse de cet élément des notes explicatives. L’opinion actuelle du Tribunal est que le paragraphe mentionne l’adjonction d’eau à un jus de fruit ou de légume de composition normale. Dans le processus de fabrication montré dans la vidéo présentée par Thai Indochine, l’eau semble être ajoutée à de la pulpe de noix de coco râpée, ce qui donne un liquide; elle ne semble pas être ajoutée au jus en tant que tel. De la noix de coco râpée n’est pas en soi un « jus de fruits à composition normale ». Dans ce contexte, le Tribunal ne peut pas suivre le raisonnement de son prédécesseur dans l’affaire Intersave West et considérer le onzième paragraphe des notes explicatives déterminantes quant au fait que le lait de coco ne peut être classé dans la position 20.09.

[62] Thai Indochine est d’avis que si l’eau de coco doit être considérée comme un jus de fruits, une noix de coco est donc un fruit et le lait de coco devrait être considéré comme un jus de fruits aussi, puisqu’il respecte le « processus de fabrication de la position 20.09 [et] les définitions contenues dans les dictionnaires communs [67] » [traduction]. L’ASFC fait valoir que les marchandises en cause ne peuvent être assimilées à de l’eau de coco « en raison de leur source, du processus par lequel elles sont obtenues et de leur composition [68] » [traduction].

[63] Le Tribunal est d’accord avec l’ASFC sur ce point précis. L’eau et le lait de coco sont des produits très différents sur les plans de l’apparence, de la composition et des processus de collecte et de fabrication. En outre, comme le montre la vidéo explicative déposée par Thai Indochine, l’eau et le lait de coco sont généralement produits à partir de différentes variétés de noix de coco (jeunes et mûres, respectivement). Alors que l’eau de coco est facilement extraite dans sa forme liquide, ce n’est pas le cas du lait de coco, qui nécessite que l’on râpe l’albumen blanc d’une noix de coco mûre avant de produire le liquide final.

[64] À la lumière de cette analyse et prenant en considération le libellé de la position 20.09 ainsi que toute section et note de chapitre pertinente, le Tribunal ne croit pas que les marchandises en cause devraient être classées dans la position 20.09. Bien que les marchandises en cause soient conformes à certains des éléments des notes explicatives de la position 20.09, un certain nombre de leurs caractéristiques (p. ex., émulsions aqueuses ne donnant pas de « liquides d’apparence limpide, non fermentés », fruit frais—c.-à-d. albumen blanc—ne contenant pratiquement pas de jus) ne satisfont pas aux conditions énoncées dans la position.

Classement des marchandises à la position 20.08 à titre de fruits à coques, autrement préparés ou conservés, non dénommés ni compris ailleurs

[65] L’exclusion a) dans les notes explicatives de la position 21.06 prévoit ce qui suit :

La présente position ne comprend pas :

a) Les préparations de fruits ou d’autres parties comestibles de plantes du no 2008, pour autant que le caractère essentiel de ces préparations leur soit conféré par ces fruits ou autres parties comestibles de plantes (no 2008).

[Caractères gras dans l’original]

[66] L’ASFC est d’avis que cette note explicative ne s’applique pas aux marchandises en cause. Elle fait valoir que les marchandises sont des « extraits liquides qui ne contiennent pas la pulpe réelle de la noix de coco [69] » [traduction] et qu’il s’agit d’ingrédients utilisés à des fins culinaires plutôt que d’un produit prêt pour consommation immédiate [70] . Cet argument est étayé par la note explicative A) de la position 21.06, qui indique que la position comprend « [l]es préparations destinées à être utilisées, soit en l’état, soit après traitement (cuisson, dissolution ou ébullition dans l’eau ou le lait, etc.), dans l’alimentation humaine [71] ».

[67] L’ASFC prétend que le raisonnement adopté par le Tribunal dans l’affaire Intersave West concernant la classification dans la position 20.08 a été écarté par un avis de classement qui tend à indiquer un classement des marchandises en cause dans la position 21.06 [72] .

[68] En 2009, l’OMD a ajouté le « lait de coco » aux avis de classement pour la sous‑position 2106.90 [73] , reproduit ci‑dessous :

25. Préparation dénommée « lait de coco » constituée d’extrait de pulpe de noix de coco (57 %) et d’eau (43 %), utilisée à des fins culinaires. Le produit est conditionné pour la vente au détail dans des boîtes.

Application des RGI 1 et 6. Adoption : 2009

[69] Le Tribunal a examiné attentivement le rapport des discussions tenues au sein de l’OMD et qui ont mené à l’adoption des avis de classement susmentionnés [74] . Des points de vue opposés semblent s’être cristallisés concernant les deux questions principales suivantes :

(i) Le produit peut-il être classé au chapitre 20 selon la note 1a) du chapitre 20? Si ce n’est pas le cas, le produit peut seulement être classé à la position 21.06 selon l’analyse de certaines des administrations douanières présentes;

(ii) L’exclusion prévue à l’alinéa a) de la note explicative de la position 21.06 s’applique-t-elle au produit? Dans l’affirmative, le produit devrait être classé à la position 20.08 selon l’analyse de certaines des administrations douanières présentes.

[70] S’agissant du premier point, le Tribunal ne croit pas que la note explicative 1a) au chapitre 20 s’applique aux marchandises en cause en l’espèce. Cette note prévoit ceci :

Le présent Chapitre ne comprend pas :

a) les légumes et fruits préparés ou conservés par les procédés énumérés aux Chapitres 7, 8 ou 11 [...]

[71] Comme il a été mentionné précédemment, le lait de coco est extrait de la noix de coco râpée (c.‑à‑d. la noix de coco sous une forme « préparé[e] [...] par les procédés énumérés [au chapitre 8] »). Toutefois, cela ne suffit pas pour conclure que le liquide résultant de la noix de coco râpée (c.‑à‑d. le lait de coco) se qualifie de marchandise préparée par le procédé énuméré au chapitre 8. En conséquence, le Tribunal rejette l’argument selon lequel, du seul fait de la note 1a) du chapitre 20, les marchandises en cause ne peuvent pas être classées dans la position 20.08.

[72] S’agissant du deuxième point, le Tribunal est d’avis que l’exclusion a) dans les notes explicatives de la position 21.06 ne s’applique pas aux marchandises en cause.

[73] Le Tribunal interprète cette exclusion comme s’appliquant aux produits dont le caractère essentiel est tiré d’un fruit, d’un fruit à coques ou d’autres parties comestibles de plantes visés à la position 20.08, seulement dans la mesure où ces produits satisfont autrement aux conditions énoncées à cette position. Selon le Tribunal, les marchandises en cause ne satisfont pas à ces conditions. Aucun des exemples fournis dans les notes explicatives de la position 20.08 ne concerne les liquides extraits de fruits, de légumes ou de fruits à coques. Contrairement à ce qui est indiqué à l’alinéa 2c) de la décision du Comité du Système harmonisé [75] , le Tribunal ne peut identifier une description précise des marchandises en cause à la position 20.08.

[74] Le Tribunal examinera maintenant le premier paragraphe des notes explicatives de la position 20.08, qui est libellé ainsi :

Cette position couvre les fruits et autres parties comestibles de plantes, y compris les mélanges de ces produits entiers, en morceaux ou écrasés, préparés ou conservés autrement que par l’un des procédés spécifiés dans d’autres Chapitres ou dans les positions précédentes du présent Chapitre.

[75] Le Tribunal note que le libellé concernant la forme définitive des marchandises visées par la note explicative n’est pas déterminant. Bien que rien n’exclut a priori les marchandises en cause, le Tribunal n’est pas convaincu qu’elles devraient être classées dans cette position.

[76] Le Tribunal, dans l’affaire Intersave West [76] , et le Comité du Système harmonisé de l’OMD font tous deux remarquer que la forme définitive des marchandises en cause n’est pas une condition de classement à la position 20.08 et qu’en conséquence, les marchandises devraient être classées à la position 20.08 [77] . Cette opinion est logique et défendable; cependant, la position actuelle du Tribunal est que les autres éléments des notes explicatives de la position 20.08 ainsi que les exemples qui y sont énumérés ne tendent pas vers un classement du lait ou de la crème de coco dans cette position.

[77] Enfin, lorsque le Tribunal examine la question de savoir si les marchandises en cause devraient être classées au numéro tarifaire 2008.19.90, comme l’ASFC l’avait initialement fait, il conclut que la preuve présentée par les parties donne à penser que la noix de coco est un fruit du genre de la drupe [78] . Si la noix de coco était un fruit, elle ne pourrait pas être classée au numéro tarifaire 2008.19.90 à titre de fruit à coques, autrement préparé ou conservé, non dénommé ni compris ailleurs.

Classement des marchandises à la position 21.06 à titre de préparations alimentaires non dénommées ni comprises ailleurs

[78] L’analyse précédente conduit le Tribunal à se demander si les marchandises en cause devraient être classées à la position 21.06 à titre de préparations alimentaires non dénommées ni comprises ailleurs.

[79] Comme il a été mentionné, l’ASFC prétend que le classement initial des marchandises en cause à la position 20.08 a été remplacé par un avis de classement qui tend maintenant à indiquer un classement des marchandises en cause dans la position 21.06 [79] .

[80] À l’appui de cet argument, l’ASFC soutient que dans des décisions antérieures, le Tribunal a déclaré que « des distinctions factuelles constituent une bonne raison de s’écarter d’une décision antérieure » [traduction] et que « les avis de classement devraient être appliqués, à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire [80] » [traduction].

[81] Lorsqu’il a examiné si les marchandises en cause sont « semblables » à du lait de coco, le Tribunal s’est appuyé sur la décision qu’il a rendue dans l’affaire Canadian Tire, où il s’est penché sur le sens de l’expression « articles similaires » :

Plus récemment, le Tribunal a eu l’occasion d’examiner la question d’articles similaires dans Rui Royal International Corp. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada. Dans cette cause, le Tribunal, après avoir examiné la jurisprudence, a convenu que « [...] le critère servant à établir si un article est un “article similaire” n’est pas strict », que, bien que « des marchandises semblables [doivent] avoir en commun d’importantes caractéristiques, [...] “similar” (semblable) ne signifiait pas “identical” (identique) » et que des marchandises similaires doivent posséder « les mêmes attributs généraux », avec des caractéristiques en commun sur le plan de leur « [...] fabrication et de leur fonction [...] ». Ces observations, bien que pertinentes, ont été faites dans un contexte sensiblement différent du contexte actuel [81] .

[Notes de bas de page omises]

[82] Le Tribunal souligne également que l’examen de la similitude des articles constitue une analyse contextuelle qui est fondée sur les conditions des dispositions pertinentes du Tarif des douanes [82] .

[83] Thai Indochine n’est pas en accord avec le classement, par l’OMD, des marchandises en cause dans la position 21.06 à titre de « préparations alimentaires » vu la façon dont le Tribunal a précédemment interprété le mot « préparations [83] ». Elle prétend que le Tribunal a établi que le mot « préparation » voulait dire un mélange, à savoir des marchandises où plusieurs ingrédients sont mélangés ensemble [84] .

[84] Selon Thai Indochine, les marchandises en cause ne sont pas un mélange de divers ingrédients. Elle affirme que la crème de coco Aroy‑D ne contient pas d’eau ajoutée et qu’elle est « produite entièrement à partir du liquide extrait de la pulpe de noix de coco [85] » [traduction]. De plus, elle fait valoir que, vu que les marchandises en cause « ne correspondent pas aux normes canadiennes relatives aux “préparations” » [traduction], le Tribunal a un « motif valable de s’écarter » [traduction] des avis de classement de l’OMD [86] .

[85] Le Tribunal doit donc déterminer s’il y a un motif valable de s’écarter des avis de classement de l’OMD.

Motif valable de ne pas appliquer un avis de classement

[86] Dans l’arrêt Suzuki, la Cour d’appel fédérale a déclaré que « [d]ans certains cas, la preuve d’expert peut établir l’existence [d’un motif valable de ne pas appliquer les notes explicatives] [87] ». Dans les affaires Best Buy TCCE et Mattel, le Tribunal a conclu que « le même principe s’applique aux avis de classement [88] ».

[87] Dans l’affaire Best Buy TCCE, le Tribunal a jugé qu’il n’y avait pas de motif valable pour appliquer « des avis de classement [qui] ne sont pas convaincants pour ce qui est du classement approprié des marchandises en cause [89] ». Dans cet appel, il a plus précisément conclu que les marchandises visées par les avis de classement et les marchandises en cause avaient « une forme et une fonction différentes » et que ces distinctions étaient suffisamment importantes pour ne pas appliquer les avis de classement [90] .

[88] En l’espèce, le Tribunal juge qu’il n’y a pas de motif valable pour s’écarter de l’avis de classement pour les motifs qui suivent :

(i) La description des marchandises visées par l’avis de classement est très semblable à celle de quelques‑unes des marchandises en cause. Les marchandises visées par l’avis de classement sont composées d’extrait de pulpe de noix de coco (57 %) et d’eau (43 %). Cette composition est presque identique à celle du produit 2, selon la liste des ingrédients;

(ii) Les marchandises visées par l’avis de classement sont des marchandises « conditionnées pour la vente au détail dans des boîtes ». Les produits 2 et 3 sont des marchandises en boîte;

(iii) Les marchandises visées par l’avis de classement sont un produit « utilisé à des fins culinaires ». Les deux parties conviennent que les marchandises en cause sont utilisées à des fins culinaires [91] .

[89] Après avoir examiné d’autres éléments abordés par le Comité du Système harmonisé lors de sa délibération ayant mené à l’adoption de l’avis de classement à la sous‑position 2106.90, le Tribunal juge que les points suivants, adoptés par les administrations douanières à l’appui d’un classement à la position 21.06, s’appliquent aux marchandises en cause :

(i) Alinéa 3a) : Les marchandises en cause ne pouvaient pas être considérées comme des « fruits à coques préparés ou conservés », car elles ne contiennent que le liquide extrait du fruit et non la chair de ce fruit. Comme il a été mentionné, les notes explicatives de la position 20.08 ne mentionnent pas les extraits de fruit ou de fruits à coques.

(ii) Alinéa 3c) : les marchandises en cause sont principalement utilisées comme ingrédient dans la préparation d’autres produits d’alimentation, une caractéristique mentionnée à l’élément A) des notes explicatives de la position 21.06.

[90] Étant donné ces considérations, le Tribunal juge qu’il n’y a pas de motif valable pour s’écarter de l’avis de classement. Les marchandises en cause sont donc correctement classées à la position 21.06.

[91] Le Tribunal note que les deux parties affirment que les quatre marchandises en cause devraient être classées dans la même position. Le Tribunal est d’accord. Bien que les étiquettes d’ingrédients puissent différer légèrement, le rapport de laboratoire de l’ASFC déposé par Thai Indochine indique que les produits 1 et 3 ont une composition quasi identique, soit de l’eau, des matières grasses et des protéines. La seule chose qui différencie les produits 2 et 4 des autres produits est leur teneur plus élevée en matières grasses. Dans les circonstances, les quatre produits devraient être classés à la position 21.06.

CLASSEMENT À LA SOUS‑POSITION ET AU NUMÉRO TARIFAIRE

[92] Le Tribunal conclut que la sous‑position qui correspond le mieux aux marchandises en cause est la sous‑position résiduelle 2106.90, qui vise les autres préparations alimentaires, car elles ne sont pas décrites dans la seule autre sous‑position de la position 21.06.

[93] La sous‑position 2106.90 est divisée en six éléments à trois tirets. Comme les marchandises en cause ne sont pas décrites aux cinq premières sous‑positions à trois tirets, elles doivent être classées à la dernière, qui vise les autres préparations alimentaires.

[94] La sous‑position 2106.90 est également divisée en neuf éléments à quatre tirets. Comme les marchandises en cause ne sont pas décrites aux huit premières sous‑positions à quatre tirets, elles doivent être classées à la dernière, qui s’intitule « Autres ». Par conséquent, les marchandises en cause doivent être classées au numéro tarifaire 2106.90.99.

CONCLUSION

[95] Pour les motifs susmentionnés, les marchandises en cause devraient être classées au numéro tarifaire 2106.90.99 à titre de « préparations alimentaires non dénommées ni comprises ailleurs; autres; autres; autres ».

DÉCISION

[96] L’appel est rejeté.

Frédéric Seppey

Frédéric Seppey
Membre présidant

 



[1] L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.).

[2] Pièce AP-2020-025-06 aux p. 24–31. L’appel visait au départ six produits (voir la pièce AP-2020-025-01 à la p. 9), mais Thai Indochine n’a ensuite mentionné que trois produits dans son mémoire (voir la pièce AP‑2020-025-06 au par. 2). L’ASFC, dans son mémoire, fait référence à quatre produits (voir la pièce AP-2020-025-11 au par. 6). À l’audience, toutefois, Thai Indochine a fait référence aux quatre mêmes produits; le Tribunal appliquera la portée des marchandises en cause dont ont convenu les parties (voir Transcription de l’audience publique aux p. 6, 8).

[3] Pièce AP-2020-025-06 à la p. 57.

[4] En ligne : <https://www.youtube.com/watch?v=y8pfMn9ci4c>, citée à la pièce AP-2020-025-06 au par. 33.

[5] Pièce AP-2020-025-11 au par. 10.

[6] Ibid. au par. 11.

[7] Ibid. au par. 12.

[8] Ibid. au par. 13.

[9] Ibid. au par. 14.

[10] Pièce AP-2020-025-01.

[11] Pièce AP-2020-025-11 au par. 2.

[12] Pièce AP-2020-025-28.A.

[13] Pièce AP-2020-025-35 au par. 2.

[14] Pièce AP-2020-025-38.

[15] Pièce AP-2021-025-42.

[16] Pièce AP-2021-025-43.

[17] L.C. 1997, ch. 36.

[18] Le Canada est signataire de la Convention internationale sur le Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises, qui régit le Système harmonisé.

[19] L.C. 1997, ch. 36, annexe.

[20] L.C. 1997, ch. 36, annexe.

[21] Organisation mondiale des douanes, 4e éd., Bruxelles, 2017.

[22] Organisation mondiale des douanes, 6e éd., Bruxelles, 2017.

[23] Voir Canada (Procureur général) c. Suzuki Canada Inc., 2004 CAF 131 (CanLII) [Suzuki] aux par. 13, 17; Canada (Procureur général) c. Best Buy Canada Ltd., 2019 CAF 20 (CanLII) [Best Buy] au par. 4.

[24] Canada (Procureur général) c. Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38 (CanLII) [Igloo Vikski] au par. 21. Les règles 1 à 5 des Règles générales s’appliquent au classement au niveau de la position.

[25] La règle 6 des Règles générales prévoit que « [l]e classement des marchandises dans les sous-positions d’une même position est déterminé légalement d’après les termes de ces sous-positions et des Notes de sous-positions ainsi que, mutatis mutandis, d’après les Règles [1 à 5] [...] » et que « les Notes de Sections et de Chapitres sont également applicables sauf dispositions contraires ».

[26] La règle 1 des Règles canadiennes prévoit que « [l]e classement des marchandises dans les numéros tarifaires d’une sous-position ou d’une position est déterminé légalement d’après les termes de ces numéros tarifaires et des Notes supplémentaires ainsi que, mutatis mutandis, d’après les [Règles générales] [...] » et que « les Notes de Sections, de Chapitres et de sous-positions sont également applicables sauf dispositions contraires ». Les avis de classement et les notes explicatives ne sont pas applicables au classement au niveau du numéro tarifaire.

[27] Pièce AP-2020-025-06 au par. 3.

[28] Ibid. aux par. 15–21.

[29] Ibid. au par. 48.

[30] Ibid. au par. 49.

[31] Ibid. aux par. 11–12.

[32] Pièce AP-2020-025-35 aux par. 4–6, 8–11.

[33] Pièce AP-2020-025-11 au par. 25.

[34] Ibid. aux par. 26–29.

[35] Ibid. au par. 33.

[36] Intersave West Buying and Merchandising Services c. Commissaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (7 janvier 2002), AP-2000-057 (TCCE) [Intersave West].

[37] Pièce AP-2020-025-11 aux par. 45–52.

[38] Transcription de l’audience publique à la p. 47.

[39] J. Cheese Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (13 septembre 2016), AP-2015-011 (TCCE) au par. 66 [J. Cheese].

[40] Voir, par exemple, HBC Imports a/s Zellers Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (6 avril 2011), AP-2010-005 (TCCE) [HBC Imports] au par. 42.

[41] Pièce AP-2020-025-06 à la p. 57. Le Tribunal fait remarquer qu’il semble y avoir une erreur de frappe dans le Coconut Handbook, dans le texte qui apparaît au-dessus du tableau 6.1, où on indique deux fois la teneur en gras de la crème de noix de coco.

[42] Ibid. à la p. 51. Le Tribunal constate que la première définition, tirée du Canadian Oxford Dictionary, semble décrire ce qui est souvent désigné sous le nom d’« eau de noix de coco ». Toutefois, les deux parties s’entendent pour dire que la seconde définition décrit correctement les marchandises en cause en l’espèce.

[43] Transcription de l’audience publique à la p. 8.

[44] Ibid.

[45] Pièce AP-2020-025-11 au par. 40.

[46] Pièce AP-2020-025-06 au par. 24; pièce AP-2020-025-11 au par. 8.

[47] Pièce AP-2020-025-06 au par. 25; pièce AP-2020-025-11 au par. 7.

[48] Pièce AP-2020-025-06 au par. 3.

[49] Ibid. à la p. 48.

[50] Édition 2017 à la p. 1404.

[51] Ibid. à la p. 635.

[52] Édition 2021 à la p. 1020.

[53] Pièce AP-2020-025-06 aux par. 32–33, citant Suzuki aux par. 13, 17; Best Buy au par. 4.

[54] En ligne : <https://www.youtube.com/watch?v=y8pfMn9ci4c>, citée à la pièce AP-2020-025-06 au par. 33.

[55] Pièce AP-2020-025-35 aux p. 27, 31, 33.

[56] En ligne : <https://www.youtube.com/watch?v=y8pfMn9ci4c>, citée à la pièce AP-2020-025-06 au par. 33.

[57] Ibid. aux p. 11:05–11:50.

[58] Ibid. au par. 33.

[59] Pièce AP-2020-025-11 au par. 39.

[60] Le Tribunal fait remarquer que les parties ne se sont pas opposées au classement dans la position 22.02. En effet, les deux parties ont, sans équivoque, exprimé leur opinion selon laquelle les marchandises en cause ne sont pas des breuvages classés dans la position 22.02 ou destinés à être bus (voir Transcription de l’audience publique aux p. 99, 100). En outre, puisque les marchandises en cause servent à des fins culinaires, il semble qu’en vertu de la note 1a) du chapitre 22, elles ne doivent pas être classées dans le chapitre 22. La note prévoit ce qui suit : « Le présent Chapitre ne comprend pas les produits de ce Chapitre (autres que ceux du no 22.09) préparés à des fins culinaires, rendus ainsi impropres à la consommation en tant que boissons [...] ».

[61] Intersave West à la p. 5.

[62] Pièce AP-2020-025-11 au par. 40.

[63] Ibid.

[64] Pièce AP-2020-025-06 au par. 39.

[65] Ibid. au par. 42, citant la note explicative de la position 20.09 : « [...] l’adjonction d’eau à un jus de fruit, de noix ou de légume de composition normale ou l’adjonction à un jus préalablement concentré, d’eau dans une proportion supérieure à celle qui est nécessaire pour rendre à ce concentré la composition du jus dans son état naturel, confère aux produits obtenus le caractère de dilutions revêtant le caractère des boissons du no 22.02. [...] » [caractères gras dans l’original].

[66] Pièce AP-2020-025-06 au par. 44.

[67] Ibid. au par. 49.

[68] Pièce AP-2020-025-11 au par. 29.

[69] Ibid. au par. 51.

[70] Ibid. aux par. 51–52.

[71] Ibid. au par. 51.

[72] Ibid. au par. 44.

[73] Ibid. au par. 45.

[74] Pièce AP-2020-025-28.A aux p. 115–116.

[76] Intersave West à la p. 6.

[77] Pièce AP-2020-025-28.A à la p. 115.

[78] Pièce AP-2020-025-06 aux par. 15, 17, 18, 22; pièce AP-2020-025-11 aux par. 85–86, à la p. 88.

[79] Pièce AP-2020-025-11 au par. 44.

[80] Ibid. au par. 47, citant R. S. Abrams c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (21 décembre 2016) AP-2016-004 (TCCE) au par. 21; Igloo Vikski au par. 8; Sonos Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (24 octobre 2017), AP-2016-020 (TCCE) au par. 22; Best Buy au par. 4.

[81] La Société Canadian Tire Limitée c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (23 novembre 2011) AP‑2010‑069 (TCCE) [Canadian Tire] au par. 55. Voir aussi HBC Imports aux par. 74–76.

[82] Canadian Tire au par. 56.

[83] Pièce AP-2020-025-35 aux par. 4–6, 8–11.

[84] Ibid. au par. 5, citant Anderson Watts Ltd. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (20 mars 2019) AP-2018-003 (TCCE) au par. 37.

[85] Pièce AP-2020-025-35 au par. 9.

[86] Ibid. au par. 26.

[87] Suzuki aux par. 13, 17.

[88] Mattel Canada Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (19 juin 2019), AP-2018-005 (TCCE) [Mattel] au par. 49; voir aussi Best Buy Canada Ltd. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (4 juillet 2019), AP-2016-027R (TCCE) [Best Buy TCCE] au par. 13.

[89] Best Buy TCCE au par. 13.

[90] Ibid. au par. 14.

[91] Transcription de l’audience publique aux p. 69, 74.

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