Appels en matière de douanes et d’accise

Informations sur la décision

Contenu de la décision




EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

[1] Dans sa décision du 2 septembre 2021, le Tribunal a conclu qu’une version modifiée de la méthode de la valeur reconstituée s’appliquait aux marchandises de Pier 1 Imports (U.S.), Inc. (Pier 1) pour la période visée, et a demandé aux parties de présenter des observations supplémentaires concernant les frais pertinents que le Tribunal avait jugés insuffisants dans l’étude de comparabilité de Pier 1.

[2] Le 5 octobre 2021, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a demandé au Tribunal d’autoriser les deux parties à présenter de nouveaux rapports d’experts sur la comparabilité afin de tenir compte des frais pertinents d’entreprises comparables qui vendent des marchandises en gros sur le marché canadien. L’ASFC a demandé un délai supplémentaire de 60 jours à compter de la date à laquelle la demande a été accueillie et un délai indéterminé pour fournir des commentaires pertinents sur ses propres observations et les nouvelles observations de Pier 1.

[3] Le 6 octobre 2021, le Tribunal a invité les parties à lui faire part de leurs commentaires au sujet de la demande de l’ASFC.

[4] Le 8 octobre 2021, Pier 1 a fait part de son opposition à la présentation de nouveaux éléments de preuve en l’espèce et au caractère tardif de l’enquête de l’ASFC. Selon Pier 1, le dossier contenait tous les renseignements pertinents requis pour permettre aux parties de fournir un pourcentage de majoration approprié pour ses marchandises, et la demande de l’ASFC était interdite aux termes des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur [1] (les Règles du TCCE) et violait les principes fondamentaux de la justice naturelle.

[5] Le 13 octobre 2021, l’ASFC a fait remarquer que les éléments de preuve qu’elle proposait de présenter étaient nécessaires, qu’ils étaient prévus dans les Règles du TCCE, qu’ils étaient envisagés comme conséquence directe de la décision du Tribunal et que les deux parties auraient la même possibilité de déposer de nouveaux éléments de preuve en l’espèce.

[6] Le 19 octobre 2021, dans une lettre aux parties, le Tribunal a indiqué qu’il autoriserait Pier 1, et l’ASFC si elle choisissait de le faire, à présenter des observations concernant le pourcentage de majoration des bénéfices et des frais généraux de Pier 1 au plus tard le 1er novembre 2021, ainsi qu’à formuler des commentaires à l’encontre de ces observations au plus tard le 16 novembre 2021. Dans l’éventualité où les renseignements fournis seraient insuffisants, le Tribunal a réservé la possibilité d’accepter d’autres témoignages d’experts sur les bénéfices et frais généraux probables de Pier 1.

[7] Pier 1 a déposé ses observations le 1er novembre 2021.

[8] L’ASFC a déposé ses commentaires le 16 novembre 2021.

POSITIONS DES PARTIES

Pier 1

[9] Dans ses observations, Pier 1 identifie et répartit les différentes catégories de frais cernées par le Tribunal dans sa décision du 2 septembre 2021, en appliquant la même méthode que celle utilisée dans son rapport d’expert pour calculer ce qu’elle considère comme un pourcentage de majoration approprié. Pier 1 a cerné les activités supplémentaires suivantes, indiquées par le Tribunal dans sa décision, qui doivent être incluses dans la majoration :

[10] Parmi les frais énumérés, Pier 1 a indiqué que tous les frais liés à l’achat, à la planification de l’inventaire et à la répartition des produits avaient été inclus dans le prix rendu des marchandises stockées qui ont été vendues ou avaient été attribués à titre de frais pertinents du siège social. Par la suite, Pier 1 a ajouté le montant total des frais de change au prix rendu des marchandises stockées importées. En ce qui concerne la logistique mondiale et les frais de commercialisation connexes, Pier 1 a cerné d’autres comptes pertinents et a ajouté les frais correspondants en fonction de la formule utilisée pour attribuer les autres frais du siège social de Pier 1.

[11] Pier 1 a suggéré que les bénéfices probables d’un grossiste offrant des services similaires à ceux de Pier 1 seraient légèrement plus élevés que ceux suggérés dans son rapport d’expert, mais demeureraient relativement élevés par rapport au « quartile inférieur des marges bénéficiaires des grossistes comparables [3] » [traduction]. Les marges bénéficiaires et bénéfices révisés suivants, en pourcentage du prix rendu des marchandises stockées, ont été suggérés :

 

[12] Pier 1 a indiqué les montants révisés suivants en ce qui a trait à ses frais généraux et aux bénéfices probables et le pourcentage de majoration subséquent à ajouter à son prix rendu des marchandises stockées :

Année

Frais généraux

Bénéfices

Majoration totale

 

 

Centre de distribution

Autres activités à valeur ajoutée

 

2015

13,39 %

1,25 %

0,62 %

15,26 %

2016

19,12 %

1,59 %

1,32 %

22,03 %

2017

16,89 %

0,73 %

1,31 %

18,94 %

2018

16,94 %

1,46 %

1,61 %

20,01 %

ASFC

[13] Les commentaires de l’ASFC au sujet des observations de Pier 1 sont de nature générale et portent surtout sur la façon dont le pourcentage de majoration à calculer devrait inclure les bénéfices et les frais généraux qui sont « généralement supportés dans les ventes de marchandises de même nature ou de même espèce que les marchandises à apprécier, effectuées pour l’exportation au Canada par des producteurs qui se trouvent dans le pays d’exportation », comme le prévoit le paragraphe 52(2) de la Loi sur les douanes [4] . Étant donné que Pier 1 n’est pas un grossiste qui exporte sur le marché canadien, l’ASFC soutient qu’une analyse de comparabilité est nécessaire pour tenir compte de l’éventail des bénéfices et des frais qui découleraient du niveau commercial approprié [5] .

[14] De plus, l’ASFC ne considère pas les frais réels de Pier 1 comme étant pertinents, puisqu’ils ne représentent pas des marchandises qui ont été vendues au niveau commercial approprié et, à son avis, les éléments de preuve au dossier ne sont pas suffisamment clairs quant à la nature de ces frais pour savoir s’ils sont particulièrement pertinents en ce qui a trait aux marchandises exportées au Canada [6] .

[15] L’ASFC a conclu son argument en suggérant que, conformément à l’alinéa 52(2)b) de la Loi sur les douanes, il était impossible pour le Tribunal de déterminer les « autres activités à valeur ajoutée » pertinentes pour déterminer la valeur en douane des marchandises de Pier 1 parce que cette dernière ne vend pas de marchandises destinées à l’exportation au Canada et qu’aucun comparateur n’a été fourni [7] . Par conséquent, l’ASFC a recommandé que le Tribunal permette la présentation de nouveaux rapports comparatifs afin de s’acquitter pleinement de sa responsabilité de déterminer la valeur en douane.

ANALYSE

[16] Dans ses motifs du 2 septembre 2021, le Tribunal a conclu qu’une application souple de la méthode de la valeur reconstituée représentait la méthode la plus appropriée pour évaluer les marchandises de Pier 1. Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que la méthode proposée par Pier 1 pour calculer ses bénéfices et ses frais généraux probables est raisonnable et adhère fidèlement aux instructions du Tribunal pour en arriver à un pourcentage de majoration approprié et quantifiable.

[17] Comme le décrit l’ASFC, « toutes les méthodes d’appréciation visent à obtenir la valeur transactionnelle des marchandises importées » [traduction] [8] . Cela n’est toutefois qu’en partie vrai, car toutes les méthodes d’appréciation, à l’exception de la méthode de la valeur transactionnelle, visent à obtenir une estimation d’une transaction entre deux parties sans lien de dépendance. Le législateur, conscient des compromis évidents de chacune de ces méthodes, a adopté une approche hiérarchique à l’égard de la méthode, comme en témoigne l’article 47 de la Loi sur les douanes, dont le principal fondement de l’évaluation est la valeur transactionnelle des marchandises.

[18] L’ASFC a eu l’occasion de fournir son propre rapport d’expert et sa propre analyse après la présentation tardive de l’étude sur les prix de transfert de M. Bruno A. de Camargo. Toutefois, elle a présenté un contre-rapport d’expert qui montrait que dans son rapport d’expert, Pier 1 avait omis des activités à valeur ajoutée pertinentes, mais n’avait fourni aucune analyse quantitative ou qualitative concernant une valeur en douane plausible [9] . Le Tribunal est convaincu que les deux parties ont eu amplement l’occasion, entre le dépôt de l’avis d’appel, le 26 mars 2020, et la publication de la décision définitive, le 2 septembre 2021, de fournir les éléments de preuve dont elles avaient besoin pour faire valoir ses arguments. Le Tribunal a activement sollicité les points de vue des parties à chaque étape de la procédure et ne voit aucune raison d’admettre de nouveaux témoignages d’experts, alors que les éléments de preuve reçus ont été acceptés par les deux parties, qui en ont fait l’objet d’un examen approfondi et d’un contre-interrogatoire.

[19] Le Tribunal est d’accord avec l’ASFC que la question de la présentation de nouveaux arguments et rapports d’experts ne soulève pas nécessairement une question d’équité procédurale; toutefois, la question soulève des questions quant au caractère définitif de la décision du Tribunal et à l’objectif du Tribunal en vertu de la loi qui consiste à mener les procédures « de la façon qui lui paraît la plus efficace, la plus équitable et la plus expéditive dans les circonstances [10] ». Le Tribunal accorde souvent aux parties une certaine latitude pour présenter des observations écrites, des commentaires et des précisions supplémentaires. Cela étant dit, à un moment donné, pour que le Tribunal rende une décision définitive, le dossier doit être clos, et les éléments de preuve et les arguments doivent être tranchés sur le fond.

[20] Les observations supplémentaires de Pier 1 semblent raisonnables et fournissent une comptabilité détaillée des frais engagés pour mettre ses produits sur le marché. Le Tribunal a accepté le rapport d’expert et le témoignage de M. de Camargo, tel qu’ils étaient énoncés dans ses motifs. Le fait que le Tribunal ait qualifié Pier 1 de plus qu’une simple entreprise d’entreposage a été repris par le témoin expert de l’ASFC [11] et ne devrait pas être interprété comme invalidant l’analyse effectuée dans le rapport d’expert de Pier 1. Au contraire, il déplace simplement le profil de fonctions, de risques et d’actifs des activités de Pier 1 vers un autre endroit entre ce qui a été classé comme un « fournisseur de services avec fonds de roulement » [traduction] et un « distributeur en gros » [traduction] [12] .

[21] Comme il a été mentionné ci-dessus, Pier 1 a soutenu que tous ses frais liés à l’achat, à la planification de l’inventaire et à la répartition des produits avaient déjà été pris en compte dans son calcul des frais généraux. En ce qui concerne les frais de change de Pier 1, le montant total de ce compte a été affecté au prix rendu des marchandises stockées de Pier 1. En ce qui concerne les frais liés à la logistique mondiale et à la commercialisation, Pier 1 a examiné les frais en cause, y compris ceux liés à l’espèce, puis a utilisé la même clé d’attribution qui a été utilisée pour les autres frais du siège social. Les frais liés à la logistique mondiale étaient de minimis, ajoutant des centièmes de pour cent au calcul des frais généraux, tandis que les frais de commercialisation étaient beaucoup plus importants, ajoutant entre 0,61 p. 100 et 1,19 p. 100 aux frais généraux.

[22] Pier 1 a fourni le résumé suivant des ajouts aux frais généraux :

Année

Logistique mondiale

Frais de change

Commercialisation

Autres frais généraux inclus

2015

0,02 %

0,14 %

0,61 %

0,78 %

2016

0,04 %

0,13 %

1,19 %

1,35 %

2017

0,04 %

-0,05 %

1,06 %

1,04 %

2018

0,03 %

0,01 %

1,15 %

1,19 %

 

[23] Comme il est décrit ci-dessus, le Tribunal est d’avis que ces valeurs sont justes et, compte tenu de l’absence de commentaires contraires, le Tribunal accepte les observations de Pier 1 au sujet des pourcentages de majoration pertinents.

[24] Comme il est indiqué ci-dessus, les pourcentages de majoration sont les suivants :

Année

Pourcentage de majoration

2015

15,26 %

2016

22,03 %

2017

18,94 %

2018

20,01 %

 

 



[3] Ibid. au par. 35.

[10] Article 35, Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.