Appels en matière de douanes et d’accise

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Appel no AP-2019-027

Coalision Inc.

c.

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Décision et motifs rendus
le jeudi 18 novembre 2021

 



EU ÉGARD À un appel entendu le 24 novembre 2020, en vertu de l’article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par l’Agence des services frontaliers du Canada le 19 mars 2019, concernant une demande de révision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

COALISION INC.

Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.

Georges Bujold

Georges Bujold
Membre présidant


 

Lieu de l’audience :

Ottawa (Ontario)

Date de l’audience :

le 24 novembre 2020

Membre du Tribunal :

Georges Bujold, membre présidant

Personnel du Secrétariat du Tribunal :

Sarah Perlman, conseillère juridique
Jessye Kilburn, conseillère juridique
Geneviève Bruneau, agente du greffe

PARTICIPANTS :

Appelante

Conseiller/représentant

Coalision Inc.

Jean-Marc Clément

Intimé

Conseillers/représentants

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Luc Vaillancourt
David Di Sante

Veuillez adresser toutes les communications à :

La greffière adjointe
Téléphone : 613-993-3595
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

APERÇU

[1] Le présent appel est interjeté par Coalision Inc. (Coalision) aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes [1] à l’égard d’une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) le 19 mars 2019, aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi.

[2] Les marchandises en cause sont des vêtements de loisir et de sport féminins importés entre 2013 et 2016 [2] .

[3] Il s’agit pour le Tribunal de déterminer si des versements effectués par Coalision à des fabricants de vêtements pour l’acquisition de tissu excédentaire doivent être inclus dans la valeur en douane des marchandises en cause.

[4] L’ASFC soutient que ces versements font partie du « prix payé ou à payer » des marchandises en cause aux termes de la définition au paragraphe 45(1) de la Loi et ont donc été correctement inclus dans la valeur en douane de ces marchandises suivant les dispositions législatives pertinentes. Coalision soutient au contraire que les versements n’étaient pas effectués « en paiement des marchandises » et ne répondent donc pas à la définition du « prix payé ou à payer ». Ainsi, selon Coalision, ces versements ne peuvent pas être pris en compte dans la détermination de la valeur transactionnelle des marchandises en cause et, par conséquent, ne devraient pas être inclus dans leur valeur en douane.

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

[5] Le 22 mars 2016, l’ASFC a informé Coalision qu’elle avait été sélectionnée pour une vérification de l’observation commerciale relativement à la valeur en douane des marchandises en cause importées en 2015.

[6] Le 5 avril 2017, l’ASFC a transmis à Coalision un rapport final de la vérification de l’observation commerciale, indiquant que les versements effectués aux fabricants de vêtements par Coalision pour l’acquisition de tissu excédentaire auraient dû être ajoutés à ceux effectués pour l’acquisition des marchandises en cause aux fins de l’établissement de la valeur en douane de ces marchandises. À la demande de l’ASFC, Coalision a ensuite effectué des corrections pour les années 2013 à 2016 conformément au paragraphe 32.2(2) de la Loi.

[7] Le 26 juillet et le 4 août 2017, l’ASFC a rendu des avis de révision conformément au paragraphe 59(2) de la Loi.

[8] Le 19 octobre 2017, Coalision a déposé une demande de réexamen en vertu du paragraphe 60(1) de la Loi. Le 19 mars 2019, l’ASFC a rendu sa décision aux termes du paragraphe 60(4), confirmant que les versements effectués pour l’acquisition de tissu excédentaire devaient être inclus dans la valeur en douane des marchandises en cause.

[9] Le 24 juin 2019, Coalision a demandé la prorogation du délai pour interjeter appel auprès du Tribunal en vertu du paragraphe 67.1(1) de la Loi, puisque la date limite pour déposer son appel, soit le 17 juin 2019, était déjà passée. Le Tribunal a accordé cette demande le 18 septembre 2019 et a ainsi considéré que l’appel avait été déposé le même jour.

[10] Le 19 novembre 2019, Coalision a déposé son mémoire auprès du Tribunal.

[11] Le 20 décembre 2019, l’ASFC a demandé au Tribunal d’ordonner à Coalision de produire certains documents et de fournir des précisions quant à certaines observations contenues dans le mémoire de l’appelante [3] . Le même jour, Coalision s’est opposée à la demande de l’ASFC, soutenant que les documents pertinents étaient déjà en la possession de celle-ci et que le mémoire de l’appelante expliquait adéquatement sa position. Le 24 décembre 2019, l’ASFC a déposé sa réplique, indiquant qu’elle n’était en possession que de certains documents comptables et que les informations dans le mémoire de l’appelante étaient insuffisantes pour répondre aux arguments de Coalision.

[12] Dans son ordonnance du 7 janvier 2020, le Tribunal a rejeté la demande de l’ASFC, mais a demandé à Coalision de confirmer que les écritures comptables pour les années 2013, 2014 et 2016 reflétaient celles de 2015 qui étaient déjà en la possession de l’ASFC.

[13] Le 9 janvier 2020, Coalision a confirmé que les versements en litige effectués pour l’acquisition de tissu excédentaire avaient toujours été traités de la même façon aux fins comptables, c’est-à-dire à titre de versements effectués pour l’acquisition d’un bien d’actif distinct de celui des vêtements [4] .

[14] Le 30 janvier 2020, l’ASFC a déposé son mémoire auprès du Tribunal.

[15] Le 17 mars 2020, en raison de la pandémie de COVID-19, le Tribunal a annulé l’audience prévue pour le 14 avril 2020.

[16] Le 25 juin 2020, le Tribunal a informé les parties qu’en raison de l’évolution de la situation relative à la pandémie de COVID-19, toutes les audiences en personne avaient été annulées et seraient remises au calendrier à une date future. Le Tribunal a au même moment informé les parties que les appels pouvaient être instruits sur la foi des pièces versées au dossier, par téléconférence ou par vidéoconférence, selon les ressources disponibles et tout autre élément que le Tribunal pouvait juger pertinent. Le Tribunal a donc demandé aux parties de partager leurs observations quant au type d’audience voulu dans le cadre du présent appel.

[17] Le 29 juin 2020, l’ASFC a indiqué qu’instruire l’appel sur la foi des pièces déjà versées au dossier serait équitable et efficace en l’espèce. L’ASFC a par contre indiqué que, si Coalision souhaitait déposer de nouveaux éléments de preuve, ou si le Tribunal décidait de tenir une audience en personne, l’ASFC avait l’intention de faire entendre un témoin. L’ASFC a de plus demandé la permission de déposer des observations additionnelles à la lumière de la décision rendue par le Tribunal dans l’affaire Casa Cubana [5] .

[18] Le 10 juillet 2020, Coalision a indiqué qu’une instruction de l’appel sur la foi des pièces versées au dossier (audience sur pièces) pourrait la satisfaire en l’espèce, étant donné la nature confidentielle de ces dernières. Coalision a de plus demandé la permission de déposer une déclaration sous serment de son témoin afin de corroborer certaines affirmations dans son mémoire. Coalision a en outre indiqué qu’elle ne s’opposait pas à la demande de l’ASFC de déposer des observations additionnelles relativement à l’affaire Casa Cubana, mais demandait qu’on lui accorde la même opportunité et la possibilité de fournir, par écrit, les commentaires qu’elle aurait formulés à l’audience quant à la version française du texte de l’Accord sur la mise en œuvre de l’article VII de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (Accord sur l’évaluation en douane) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), comme indiqué dans son mémoire.

[19] Le 13 juillet 2020, l’ASFC a indiqué qu’elle préférait une audience en personne étant donné la demande de Coalision de déposer de nouveaux éléments de preuve testimoniaux. L’ASFC a de même indiqué qu’elle ne s’opposait pas à la demande de Coalision de déposer des observations additionnelles quant à l’affaire Casa Cubana et quant à la version française du texte de l’OMC, mais a demandé la permission d’y répondre.

[20] Le 14 juillet 2020, Coalision a répondu que, dans le contexte d’une audience sur pièces, il était raisonnable qu’elle dépose une déclaration sous serment contenant les affirmations ne pouvant être faites de vive voix et qu’au besoin, le Tribunal pourrait interroger le signataire de ce document, M. Nicolas Beetz, au sujet de sa déclaration lors d’un appel téléphonique. Coalision a de plus proposé de produire un énoncé conjoint des faits non contestés.

[21] Le 16 juillet 2020, le Tribunal a indiqué qu’il entendait procéder à une audience sur pièces et que les parties pourraient présenter leurs observations sur l’affaire Casa Cubana, ainsi que déposer toute déclaration de témoin et tout énoncé conjoint des faits non contestés.

[22] Le 5 août 2020, Coalision a déposé ses observations additionnelles ainsi qu’une déclaration de M. Beetz, chef des opérations chez Coalision.

[23] Le 18 août 2020, l’ASFC a fait remarquer que Coalision avait récemment fait cession de ses biens et qu’un syndic de faillite avait été nommé. L’ASFC a demandé au Tribunal de suspendre l’appel et que le syndic informe le Tribunal de ses intentions quant à la suite de l’instruction de l’appel. Le lendemain, Coalision a répliqué qu’aucune confirmation n’était nécessaire dans les circonstances.

[24] Le 20 août 2020, le Tribunal a demandé à l’avocat de Coalision de confirmer qu’il agissait sous les instructions du responsable dûment autorisé chez Coalision ou du syndic de faillite. Le même jour, le syndic de faillite de Coalision a fait parvenir une lettre au Tribunal dans laquelle il confirmait que Coalision souhaitait toujours poursuivre ses démarches auprès du Tribunal et que l’avocat au dossier demeurait en place.

[25] Le 25 août 2020, le Tribunal a accusé réception de la lettre du syndic et a ainsi refusé de suspendre le dossier comme demandé par l’ASFC. L’ASFC a le même jour fourni ses observations en réponse. Elle a de plus fourni une copie complète du rapport final de la vérification de l’observation commerciale et a noté qu’elle avait envoyé à Coalision, le 4 août 2020, ses commentaires quant à l’énoncé conjoint des faits non contestés, mais qu’elle n’avait depuis reçu aucune réponse de la part de Coalision à ce sujet.

[26] Le 8 septembre 2020, Coalision a déposé ses commentaires en réplique aux observations de l’ASFC.

[27] Le 23 septembre 2020, le Tribunal a avisé les parties qu’il procéderait à l’instruction de l’appel sur la foi des pièces versées au dossier le 24 novembre 2020, en l’absence des parties.

[28] Le 2 mars 2021, le Tribunal a demandé à Coalision de déposer son guide à l’intention des fournisseurs (Coalision’s vendor guide) [6] et a demandé aux parties de fournir des précisions quant à certains éléments de preuve.

[29] Le 9 mars 2021, Coalision et l’ASFC ont fourni leurs réponses aux questions du Tribunal. Coalision a aussi fourni son guide à l’intention des fournisseurs, comme demandé. L’ASFC a par contre soutenu qu’il serait préjudiciable d’admettre de nouveaux éléments de preuve ou des observations supplémentaires à cette étape [7] . Le 16 mars 2021, les parties ont déposé leurs répliques aux observations additionnelles.

[30] Le 24 juin 2021, le Tribunal a demandé aux parties de fournir leurs observations quant à l’arrêt Skechers CAF [8] de la Cour d’appel fédérale. Le Tribunal a également demandé aux parties de fournir leurs observations sur des questions relatives à la méthode de la valeur transactionnelle et sur la question de savoir si les montants à verser en paiement de tissu excédentaire étaient déterminables.

[31] Le 30 juin 2021, l’ASFC a fourni ses observations en réponse aux questions du Tribunal. Au même moment, l’ASFC a demandé la prorogation du délai pour déposer sa réplique aux observations de Coalision.

[32] Le 2 juillet 2021, Coalision a indiqué que, selon elle, les questions posées par le Tribunal n’étaient pas pertinentes en l’espèce, mais elle a tout de même répondu à celles-ci.

[33] Le 6 juillet 2021, le Tribunal a accusé réception des exposés sur la position des parties, leur accordant une prorogation du délai pour déposer leurs réponses.

[34] Le 19 juillet 2021, Coalision a déposé sa réponse aux observations de l’ASFC. L’ASFC a quant à elle indiqué qu’elle n’entendait pas fournir d’observations additionnelles. Le Tribunal a donc clos le dossier le même jour.

CADRE LÉGISLATIF

[35] Parmi les différentes méthodes de calcul de la valeur en douane prescrites dans la Loi, le paragraphe 47(1) prévoit que la valeur transactionnelle doit être utilisée en premier lieu et stipule ce qui suit :

La valeur en douane des marchandises est déterminée d’après leur valeur transactionnelle dans les conditions prévues à l’article 48.

[36] Le paragraphe 48(1), quant à lui, prévoit que « la valeur en douane des marchandises est leur valeur transactionnelle [...] si le prix payé ou à payer est déterminable » et si certaines conditions sont réunies [9] . Le paragraphe 48(4) prévoit pour sa part que « la valeur transactionnelle est le prix payé ou à payer, ajusté conformément au paragraphe (5) » [10] .

[37] Le paragraphe 45(1) de la Loi prévoit que le « prix payé ou à payer » est défini ainsi dans le contexte des articles 46 à 55 :

En cas de vente de marchandises pour exportation au Canada, la somme de tous les versements effectués ou à effectuer par l’acheteur directement ou indirectement au vendeur ou à son profit, en paiement des marchandises.

POSITION DES PARTIES

[38] Les parties semblent convenir que Coalision avait des ententes avec les fabricants des marchandises en cause selon lesquelles les quantités et les prix des vêtements achetés par Coalision étaient prédéterminés et les fabricants devaient se procurer le tissu nécessaire [11] .

[39] Les parties conviennent aussi que les fabricants se retrouvent parfois avec du tissu excédentaire pour les deux raisons suivantes : soit que les commandes de vêtements de Coalision sont inférieures aux prévisions ou que les fournisseurs de tissu exigent qu’une quantité minimale soit achetée qui va au-delà des besoins de Coalision [12] .

[40] Quant au cadre législatif, les parties soutiennent et le Tribunal convient qu’en l’espèce, la méthode d’appréciation applicable pour la valeur en douane des marchandises est celle de la valeur transactionnelle [13] .

[41] Les parties conviennent en outre qu’il n’y a qu’une question en litige, à savoir si les versements pour l’acquisition de tissu excédentaire étaient effectués « en paiement des marchandises » aux termes de la définition du « prix payé ou à payer » au paragraphe 45(1) de la Loi.

[42] Les parties constatent qu’il y a cinq critères pour que des versements soient proprement inclus dans le « prix payé ou à payer » conformément au paragraphe 45(1) de la Loi. Ces versements doivent être : (1) effectués ou à effectuer; (2) par l’acheteur; (3) directement ou indirectement; (4) au vendeur ou à son profit; et (5) effectués en paiement des marchandises (en anglais, « in respect of the goods »; parfois traduit dans la jurisprudence par « relatifs aux marchandises ») [14] .

[43] Les parties conviennent que, parmi ces cinq critères, seul le cinquième critère fait l’objet du litige en l’espèce.

[44] Coalision soutient que de réunir le prix payé pour du tissu excédentaire et le prix convenu pour acquérir des vêtements a pour effet de pervertir la valeur transactionnelle réelle de ces vêtements en leur substituant un prix qui n’avait pas été convenu entre les parties et qui n’est pas effectivement celui payé pour ces marchandises. Coalision soutient de plus que le prix du tissu était distinct et indépendant de celui payé pour acquérir les vêtements, que la vente des vêtements n’était pas conditionnelle à l’acquisition de tissu excédentaire, et que le prix des vêtements était convenu d’avance et ne faisait pas l’objet d’une modification en fonction de la quantité de tissu ultimement excédentaire [15] . En payant les factures pour les marchandises en cause, Coalision fait valoir qu’elle s’acquittait entièrement de son obligation de payer ces marchandises.

[45] Selon Coalision, le tissu excédentaire n’était pas nécessaire à la fabrication des vêtements importés et était comptabilisé à titre d’actif. Elle soutient qu’elle a volontairement fait le choix d’acquérir le tissu pour son propre compte parce que celui-ci pourrait subséquemment être nécessaire à la production de vêtements additionnels. Elle pouvait en outre tenir le tissu excédentaire en stock pour un certain temps avant de le vendre, de le détruire, ou de le rapatrier au Canada.

[46] Selon l’ASFC, les versements en question étaient effectués « en paiement des marchandises » puisqu’il existe un lien suffisant entre ces versements et les vêtements importés. L’ASFC soutient que le tissu excédentaire était nécessaire à la fabrication des vêtements importés, que la vente de ces vêtements était conditionnelle à l’achat de tissu excédentaire, et que le tissu excédentaire était comptabilisé à titre de dépense et non d’actif.

ANALYSE DU TRIBUNAL

[47] Comme indiqué par le Tribunal dans l’affaire Skechers, seuls les paiements effectués par l’acheteur au vendeur ou à son profit pour les marchandises importées sont inclus dans le prix des marchandises [16] .

[48] Le Tribunal a de plus reconnu que le sens de l’expression « en paiement des marchandises » ou « relatifs aux marchandises » (en anglais, « in respect of the goods ») qui figure au paragraphe 45(1) de la Loi est passablement large [17] . Il a toutefois fait remarquer qu’elle n’est pas non plus sans limites. Il a interprété l’expression comme signifiant que le paiement ne doit pas être un paiement général indépendant des marchandises particulières qui sont importées, et a conclu que son sens n’est pas large au point d’inclure des frais se rapportant à une certaine valeur qui « se situe au-delà de la valeur d’achat des marchandises comme telles » [18] .

[49] Pour déterminer si un versement est « en paiement des marchandises », le critère énoncé par le Tribunal dans l’affaire Skechers et affirmé par la Cour d’appel fédérale prévoit qu’il « faut principalement établir s’il existe un lien suffisant entre le paiement et les marchandises » [19] . La question à trancher en est donc une dont la résolution est largement fonction des faits [20] . Afin de faire cette détermination, le Tribunal a, par exemple, considéré comme pertinente la question de savoir si les versements étaient nécessaires à la fabrication des marchandises ou si l’achat des marchandises importées était conditionnel au versement des sommes en question [21] .

[50] Les parties ont de plus fourni leurs commentaires sur la décision du Tribunal dans l’affaire Casa Cubana, dont les motifs ont été publiés le 10 mars 2020, alors que la présente affaire était en cours. Il était question dans l’affaire Casa Cubana de déterminer si certains versements effectués à des « intermédiaires » dans le cadre de l’importation de cigares cubains devaient être inclus dans la valeur en douane de ces marchandises. L’appel concernait donc l’ajustement prévu au sous-alinéa 48(5)a)(i) de la Loi, lequel stipule que le prix payé ou à payer doit être ajusté par addition des montants représentant les commissions et frais de courtage relatifs aux marchandises pris en charge par l’acheteur, à l’exclusion des honoraires versés au mandataire à l’étranger à l’occasion de la vente [22] .

[51] Dans l’affaire Casa Cubana, le Tribunal a indiqué que « les commissions et frais de courtage » relatifs aux marchandises et supportés par l’acheteur « doivent avoir un lien suffisant avec ce qui est payé directement ou indirectement au vendeur ou à son profit pour les marchandises acquises » [23] . Selon le Tribunal dans cette affaire, il n’est pas question aux paragraphes 47(1), 48(4) et 48(5) de la Loi d’inclure toutes les dépenses engagées par l’acheteur pour acquérir les marchandises simplement parce qu’elles sont vaguement associées à la transaction en cause. Le Tribunal a alors indiqué la chose suivante : « À cet égard, afin de juger du lien entre le versement et le prix des marchandises, il convient de considérer que, dans un contexte d’opérations commerciales normales, le prix reflètera généralement trois considérations : les coûts de production ou d’acquisition du vendeur, ses frais généraux administratifs et de commercialisation, et une marge de profit [24] . »

[52] Le Tribunal a donc conclu que, en vertu du sous-alinéa 48(5)a)(i) de la Loi, les versements qui doivent être ajoutés au prix payé ou à payer quant aux commissions et frais de courtage relatifs aux marchandises doivent avoir un « lien suffisamment étroit » avec les marchandises [25] .

[53] Comme énoncé précédemment, le Tribunal convient avec Coalision que la notion de ce qui est « en paiement des marchandises » ou « relatifs aux marchandises » a ses limites. Coalision soutient en outre que la notion de « lien suffisant » est trop large et supporte ainsi la notion de « lien suffisamment étroit » énoncée dans l’affaire Casa Cubana. L’ASFC suggère au contraire que, dans cette affaire, le Tribunal a interprété l’expression « relatifs aux marchandises » de même que la définition de « prix payé ou à payer » de manière trop restrictive, contraire à la jurisprudence.

[54] Le Tribunal rappelle que la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Skechers CAF, a affirmé que l’expression anglaise « in respect of » (« en paiement des marchandises » ou « relatifs aux marchandises » en français) a une large portée. À cet égard, la Cour a indiqué qu’il était justifié pour le Tribunal de se fonder sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Nowegijick c. La Reine [26] pour appuyer la thèse selon laquelle cette expression doit être interprétée d’une manière large. Le Tribunal est d’avis qu’en l’espèce, afin de déterminer si les versements étaient effectués « en paiement des marchandises » aux termes de la définition du « prix payé ou à payer » au paragraphe 45(1) de la Loi, il doit s’en tenir à l’interprétation de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Skechers CAF et appliquer le critère du « lien suffisant ».

[55] En outre, le Tribunal n’est pas convaincu que le critère du « lien suffisant » aux fins de la définition du « prix payé ou à payer » du paragraphe 45(1) de la Loi a été écarté dans l’affaire Casa Cubana. Comme mentionné précédemment, ce critère est explicitement mentionné dans cette décision. Par ailleurs, il n’y a aucune mention, et donc aucune remise en question expresse, dans l’affaire Casa Cubana, de l’interprétation du critère applicable par le Tribunal dans l’affaire Skechers, dont le bien-fondé a été confirmé par la Cour d’appel fédérale. Selon le Tribunal, cela sous-entend que l’expression « lien suffisamment étroit » pourrait n’être qu’une autre façon d’exprimer le critère du « lien suffisant », sans en restreindre véritablement la portée [27] . De toute façon, dans la mesure où l’affaire Casa Cubana pourrait être interprétée comme remettant en cause l’application du critère du « lien suffisant », le Tribunal n’est pas lié par une telle interprétation et, pour les motifs susmentionnés, s’en remet plutôt à l’interprétation du critère juridique applicable entérinée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Skechers CAF. Le Tribunal considère que cette interprétation est celle qui fait autorité aux fins du présent appel [28] .

Les versements pour le tissu excédentaire étaient effectués « en paiement des marchandises »

[56] Coalision a le fardeau de prouver que les versements en question ne sont pas effectués « en paiement des marchandises » [29] . En d’autres termes, Coalision doit prouver qu’il n’y a pas de « lien suffisant » entre ces versements et les marchandises en cause, contrairement à la conclusion de l’ASFC dans la décision qui fait l’objet de l’appel. En outre, la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Miner a indiqué que l’appelante ne satisfera pas au fardeau de la preuve qui lui incombe si la preuve est « non concluante » quant aux exigences de la Loi [30] .

[57] Coalision distingue l’affaire Skechers du présent appel, soutenant que le tissu excédentaire n’était d’aucune utilité pour la production proprement dite des vêtements, contrairement aux prototypes et aux échantillons de l’affaire Skechers, sans lesquels les chaussures importées n’auraient pu exister. Coalision soutient de plus que les frais de recherche et développement dans l’affaire Skechers ne sont pas des marchandises et ne peuvent avoir leur propre prix payé en vertu de l’article 45 de la Loi, contrairement au tissu excédentaire.

[58] Coalision soutient que l’achat du tissu n’est pas requis par les fabricants, et que la vente des vêtements n’était donc pas conditionnelle à l’acquisition de celui-ci. Coalision soutient qu’elle a voulu acquérir le tissu parce qu’il pouvait subséquemment être nécessaire à la production de quantités additionnelles de vêtements. En achetant le tissu excédentaire, Coalision explique qu’elle voulait garantir la disponibilité et la proximité de ce tissu [31] . Coalision soutient de plus que les fabricants auraient pu se procurer la quantité exacte de tissu qui était nécessaire à la fabrication des vêtements commandés.

[59] Coalision soutient en outre que, selon ses besoins, elle peut utiliser, vendre, détruire ou importer le tissu excédentaire au Canada. Elle précise que, lors d’un rapatriement de tissu au Canada, la valeur en douane du tissu est calculée selon leur propre prix payé ou à payer.

[60] Coalision soutient aussi que, si elle n’achète pas le tissu excédentaire, le fabricant peut l’utiliser pour confectionner d’autres vêtements, le vendre à un tiers, ou absorber son coût.

[61] L’ASFC soutient que le tissu excédentaire était nécessaire à la fabrication des vêtements parce que ni Coalision, ni les fabricants ne pouvaient savoir si ces derniers se retrouveraient avec trop de tissu après la fabrication des vêtements. Selon l’ASFC, les fabricants n’auraient pu fabriquer les vêtements importés sans l’achat de tissu ultimement excédentaire.

[62] S’appuyant sur les décisions du Tribunal dans Mexx [32] , Double J [33] et Simms Sigal [34] , l’ASFC soutient en outre qu’il y a un lien suffisant entre l’achat des vêtements et l’achat du tissu excédentaire pour conclure que l’un était conditionnel à l’autre. L’ASFC fait remarquer que, dans sa demande de révision en vertu du paragraphe 60(1) de la Loi, Coalision indique ce qui suit :

Coalision convient d’emblée avec ses fabricants de vêtements qu’elle leur achètera les matières excédentaires, le cas échéant. Ainsi les fabricants ne tiennent pas compte de ces matières excédentaires dans leurs coûts de fabrication et, par conséquent fixent les prix unitaires convenus avec Coalision pour chaque style de vêtement sans tenir compte de la valeur de ces matières excédentaires [35] .

[63] L’ASFC souligne de plus que les notes de débit relatives au tissu excédentaire font référence aux vêtements en question [36] . Selon l’ASFC, cela permet de conclure que les paiements en question étaient faits pour indemniser le fabricant pour les dépenses engagées dans la production des marchandises en cause.

[64] Coalision distingue le présent appel des décisions citées par l’ASFC. Elle soutient qu’il s’agit en l’espèce de deux transactions distinctes, soit l’achat de vêtements et l’achat de tissu excédentaire, et que ses fabricants ne révisent pas rétroactivement les prix des vêtements, contrairement à Mexx [37] .

[65] Coalision distingue aussi le présent appel de Double J, soutenant que la vente de tissu excédentaire ne faisait pas l’objet d’un contrat et n’avait aucune incidence sur le prix des vêtements. Selon Coalision, les prix des vêtements étaient « établis en fonction de l’offre et de la demande sur le marché et autres facteurs relatifs à la concurrence dans l’industrie du vêtement » [38] , alors que le prix du tissu était déjà convenu entre les parties avant et indépendamment de l’achat du tissu excédentaire.

[66] Quant à sa déclaration selon laquelle elle « convient d’emblée avec ses fabricants de vêtements qu’elle leur achètera les matières excédentaires », Coalision soutient qu’elle n’était pas juste et qu’il ne faut pas en retenir une admission de sa part, d’autant plus qu’elle aurait été faite, par erreur, par son avocat [39] .

[67] Comme indiqué ci-dessus, le fardeau de la preuve incombe à Coalision. Ayant considéré les observations et la preuve au dossier, le Tribunal est d’avis qu’elle ne s’est pas acquittée de son fardeau dans le cas présent.

[68] Contrairement à ce que semble suggérer Coalision, afin que les versements pour le tissu excédentaire soient inclus dans la valeur transactionnelle des marchandises en cause, il n’est pas absolument nécessaire que la vente des vêtements soit contractuellement conditionnelle à l’achat de ce tissu. En effet, bien que la jurisprudence du Tribunal soutienne le point de vue selon lequel des paiements effectués ou à effectuer, comme condition de la vente des marchandises importées, devraient être inclus dans le prix payé ou à payer pour ces marchandises [40] , ce fait est pertinent, mais n’est pas déterminant en soi. Bref, sa démonstration n’est pas absolument nécessaire pour conclure à l’existence d’un lien suffisant entre des versements et les marchandises particulières importées.

[69] Il ressort des paragraphes 45(1), 47(1), 48(4) et 48(5) de la Loi que ceux-ci visent à déterminer le prix réel payé ou à payer pour les marchandises importées. La détermination du prix véritable payé ou à payer au vendeur ou à son profit implique qu’il est nécessaire d’inclure dans la valeur en douane tous les versements qui sont suffisamment liés à la production, au prix, ou à la valeur des marchandises, qu’il soit établi ou non que ces versements constituent une condition formelle de la vente.

[70] En l’espèce, le Tribunal est d’avis que les éléments de preuve sont contradictoires au sujet de la question de savoir si les versements en cause étaient effectués comme condition de la vente des vêtements, et n’est pas convaincu dans un sens ou dans l’autre quant à la question des conditions liées à la vente des vêtements. En l’absence d’un contrat écrit établissant clairement les conditions pour la vente des vêtements ou du tissu excédentaire par les fabricants à Coalision, il est difficile pour le Tribunal de trancher définitivement la question de savoir si les versements pour le tissu excédentaire étaient formellement exigés par les fabricants en tant que condition de la vente des marchandises en cause.

[71] Le Tribunal n’a toutefois pas à faire cette détermination car, tout comme dans l’affaire Skechers, il est convaincu de la nécessité des versements en litige pour la fabrication ou la production des marchandises en cause. Selon le Tribunal, les fabricants n’auraient pas pu fabriquer les vêtements et les vendre à Coalision sans d’abord faire l’achat, à cette fin et pour le compte de Coalision, de quantités de tissu qui pouvaient donner lieu à un excédent. À cet égard, Coalision a reconnu que c’est elle qui indiquait aux fabricants quelles matières utiliser ainsi que le nom des fournisseurs auprès desquels ils devaient s’approvisionner. Elle a aussi admis que, dans certains cas, ces fournisseurs exigeaient que les fabricants achètent des quantités minimales de tissu. Ainsi, il ressort nettement des éléments de preuve que le coût du tissu excédentaire était une dépense engagée par les fabricants pour la production des marchandises en cause, qui était ensuite compensée par Coalision lors de l’achat de ces matières inutilisées.

[72] Sur ce point, Coalision ne conteste pas non plus que son intention d’acheter le tissu excédentaire était bel et bien réelle et généralement connue des fournisseurs. Le Tribunal conclut que ces faits expliquent pourquoi les fabricants ne tenaient pas compte du tissu excédentaire pour l’établissement du prix unitaire des vêtements. Ils savaient qu’ils seraient ultérieurement compensés par Coalision pour ces coûts de production qui sont manifestement étroitement liés à la fabrication des marchandises en cause. De plus, leurs attentes à cet égard étaient, semble-t-il, invariablement satisfaites. Par conséquent, le Tribunal voit mal comment il pourrait exclure du prix réel ou véritable payé pour les marchandises en cause le montant versé par Coalision aux vendeurs pour l’acquisition de ce tissu.

[73] Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal ne peut accepter l’argument de Coalision selon lequel le tissu excédentaire n’était d’aucune utilité pour la production proprement dite des vêtements, contrairement aux prototypes et aux échantillons de l’affaire Skechers. Au contraire, selon le Tribunal, la situation en l’espèce est généralement similaire. Tout comme les frais de recherche, de conception et de développement des styles de chaussures, y compris de celles qui n’avaient pas été importées au Canada, étaient nécessaires à la fabrication des chaussures importées dans l’affaire Skechers, n’eut été l’achat de l’ensemble du tissu, y compris le tissu rendu ultimement excédentaire, les fabricants n’auraient pas pu fabriquer les vêtements importés. [41] Comme le fait remarquer l’ASFC, le tissu excédentaire, bien qu’il n’ait pas été incorporé dans les vêtements importés, était nécessaire au processus de fabrication. Les fabricants devaient avoir suffisamment de tissu pour fabriquer les vêtements commandés par Coalision [42] .

[74] Ainsi, le Tribunal est convaincu que l’achat du tissu excédentaire par Coalision était nécessaire à la fabrication des vêtements et qu’il y a donc un lien suffisant entre ce tissu et les marchandises en cause. On ne saurait donc dire que les versements en litige constituaient des paiements généraux indépendants des marchandises particulières importées par Coalision. Les éléments de preuve suivants appuient encore davantage cette conclusion.

[75] D’abord, comme l’indique l’ASFC, les notes de débit envoyées à Coalision par les fabricants des vêtements importés à l’égard de tissu excédentaire semblent faire référence aux vêtements importés auxquels ce tissu se rapporte. En effet, les fabricants identifient les versements pour ce tissu comme des « frais excédentaires » [traduction] (en anglais, « surcharge ») liés aux modèles des vêtements importés [43] . Ils utilisent également des expressions telles que « coût pour le tissu commandé en trop » [traduction] (en anglais, « overbooked fabric cost ») qui établissent un lien manifeste entre ces notes de débit et les versements effectués par la suite par Coalision pour les acquitter et les vêtements destinés à être importés qui avaient été préalablement fabriqués pour son compte.

[76] Ensuite, bien que Coalision ait répété qu’elle n’avait pas l’obligation d’acheter le tissu excédentaire, le Tribunal est d’avis que les éléments de preuve n’étayent pas cette prétention. Le Tribunal ne trouve pas crédibles les allégations de Coalision et les éléments de preuve présentés par cette dernière selon lesquels elle achetait le tissu excédentaire pour son propre compte, sans égard au fait qu’il était destiné à confectionner les vêtements qu’elle entendait importer par la suite et que cette décision d’achat était une transaction distincte de celle visant la production et l’importation de ces vêtements.

[77] En outre, la déclaration sous serment de M. Beetz indique que, lorsqu’il y a un excédent de tissu, Coalision doit informer le fournisseur de son intention d’acheter celui-ci et doit s’entendre avec lui sur les prix et autres modalités d’acquisition [44] . Coalision n’a par contre déposé aucune correspondance ou aucun autre document au soutien de cette déclaration. L’absence de documents venant corroborer cette affirmation fait en sorte que le Tribunal ne peut lui accorder une grande valeur probante. Les inscriptions sur les notes de débits des fabricants laissent plutôt entendre que les fabricants facturaient automatiquement Coalision pour le tissu excédentaire qui se présentait dans le cours normal de leur relation d’affaires.

[78] Le Tribunal est donc d’avis que la preuve démontre plutôt qu’il y avait une entente tacite entre Coalision et les fabricants en vertu de laquelle ces derniers se procuraient la quantité de tissu estimée nécessaire à la fabrication des vêtements commandés par Coalision et seraient remboursés par celle-ci s’il s’avérait qu’une quantité de ce tissu demeurait inutilisée [45] . Coalision a elle-même indiqué qu’il y avait généralement deux raisons pour lesquelles les fabricants se retrouvaient avec des excédents de tissu : soit Coalision révisait à la baisse ses prévisions de vente, soit les fournisseurs de tissu choisis par Coalision exigeaient l’achat d’une quantité minimale de tissu [46] . Le Tribunal peut difficilement accepter, sans preuve du contraire, qu’un fabricant accepte d’absorber le coût du tissu excédentaire, particulièrement si cet excédent semble être le résultat direct d’un choix de Coalision et de ses directives quant aux matières à se procurer pour la confection des vêtements.

[79] Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclut que la preuve prépondérante indique que les fabricants ne tenaient pas compte du prix du tissu excédentaire dans le prix de vente des vêtements parce que Coalision garantissait, au moins tacitement, de les compenser et c’est ce qu’elle faisait en pratique. En réalité, Coalision payait donc plus que le montant des factures pour les vêtements importés.

[80] En définitive, que ceci représente ou non une « condition de vente », le Tribunal est d’avis qu’au final, les versements pour le tissu excédentaire étaient effectués en paiement des marchandises en cause.

[81] Selon le Tribunal, l’argument de Coalision selon lequel il est question de deux transactions séparées représente une distinction artificielle. Par exemple, le Tribunal a indiqué dans l’affaire Skechers que le moment où sont faits les paiements n’est pas déterminant en soi, puisque le « prix payé ou à payer » vise tous les versements « effectués ou à effectuer » [47] . Le Tribunal est d’avis en l’espèce qu’il importe peu que les montants soient séparés sur deux factures; lorsqu’un paiement est nécessaire à la fabrication des vêtements et est payé au vendeur, il faut l’inscrire au « prix payé ou à payer ». En effet, il n’y a rien dans la Loi qui indique qu’il faille se limiter à ce qui se trouve sur une seule facture. Il faut plutôt examiner les circonstances de chaque cause pour déterminer si un lien suffisant peut être établi entre le versement et les marchandises en cause.

[82] Bref, dans la mesure où, selon la preuve prépondérante, l’achat de tissu excédentaire était nécessaire à la fabrication des vêtements, l’existence du « lien suffisant » est ici démontrée.

Les situations hypothétiques soulevées par Coalision ne sont pas pertinentes

[83] Coalision soulève en défense certaines absurdités potentielles relevant du traitement du tissu excédentaire comme faisant partie du « prix payé ou à payer » des vêtements importés.

[84] Le Tribunal n’est pas convaincu par l’argument selon lequel Coalision procède parfois à vendre le tissu excédentaire, ce qui pourrait faire diminuer le « prix payé ou à payer » pour les marchandises en cause après leur importation. D’abord, selon la preuve prépondérante, Coalision ne fait généralement pas affaire dans la vente du tissu, mais bien dans la vente de vêtements. De plus, le seul élément de preuve à l’appui d’une telle situation fourni par Coalision relève de 2018, hors de la période des importations en cause [48] . En outre, le vérificateur de l’ASFC n’avait trouvé aucune trace de revente ou d’utilisation ultérieure du tissu excédentaire dans les états de compte de Coalision [49] .

[85] Le Tribunal n’est également pas convaincu par l’argument de Coalision selon lequel elle peut rapatrier le tissu excédentaire au Canada, ce qui pourrait mener à une double comptabilisation de ce tissu. Même si Coalision a offert un exemple d’un tel rapatriement, celui-ci est encore une fois lié à une période ultérieure, soit 2017, et cette situation semble être une exception [50] . À l’instar de l’ASFC, le Tribunal est d’avis que les documents présentés ne permettent pas d’établir que ce tissu importé était réellement de la matière excédentaire issue de la production des marchandises en cause importées entre 2013 et 2016.

[86] Comme le soulève l’ASFC, la valeur en douane des marchandises en cause se détermine sur la base du « prix payé ou à payer » de celles-ci et non sur de simples hypothèses. En l’absence de preuves à l’appui contemporaines, le Tribunal est d’avis que les arguments de Coalision ci-dessus ne sont pas vraiment pertinents et sont certainement peu convaincants. En outre, comme le note l’ASFC, si de telles situations se produisaient, Coalision pourrait demander un redressement, tel qu’une réduction de la valeur en douane, auprès de l’ASFC en conformité avec la Loi.

Les éléments de preuve comptables sont non concluants

[87] Le Tribunal a établi qu’il peut tenir compte des livres et registres comptables aux fins de l’évaluation en douane, puisque « [...] les renseignements indiqués dans les livres et registres de [l’appelante] et déclarés à l’Agence du revenu du Canada reflètent son coût réel et le prix réel qu’elle a payé » [...] [51] . Le Tribunal peut donc considérer le traitement comptable des versements en question dans la mesure où il reflète la « réalité commerciale » de la transaction [52] .

[88] La décision du Tribunal en l’espèce ne repose pas sur les éléments de preuve comptables. Les parties ne s’entendent pas sur le traitement comptable des versements en question et, en particulier, si les versements ont été comptabilisés à titre d’actif ou de dépense.

[89] L’ASFC soutient que Coalision a comptabilisé les paiements à titre de dépenses et fait remarquer que, lors de sa vérification pour l’année 2015 [53] , le vérificateur de l’ASFC n’avait trouvé aucun poste d’actif visant le tissu excédentaire dans les états financiers de Coalision. Le vérificateur a plutôt constaté que les versements effectués pour le tissu excédentaire étaient comptabilisés à titre de « coût des marchandises vendues », ce qui selon l’ASFC confirmerait que le tissu excédentaire n’a pas de valeur intrinsèque et indépendante des marchandises importées [54] . Coalision soutient par contre que « les paiements de tissu sont traités par l’appelant comme une dépense d’acquisition de biens tangibles, une acquisition faisant l’objet d’une comptabilisation dans les comptes d’actif en stock d’inventaires détenu à l’étranger [55] ».

[90] Le Tribunal fait remarquer néanmoins que les éléments de preuve, en particulier le rapport du vérificateur de l’ASFC, qui n’a pas été discrédité par les éléments de preuve et les observations de Coalision de l’avis du Tribunal, tendent à démontrer que les versements pour le tissu excédentaire sont comptabilisés au coût des marchandises vendues, ce qui indique encore ici un lien entre les versements pour le tissu excédentaire et les vêtements importés vendus par Coalision dans l’exploitation de son entreprise.

L’arrêt Charley Originals n’est pas applicable

[91] L’affaire Charley Originals [56] concernait en partie des paiements pour du tissu excédentaire qui, selon les éléments de preuve, avait été acheté aux fins de la confection d’échantillons de vêtements, et il ne s’agissait donc pas de retailles de tissu. Le Tribunal avait conclu que les sommes payées pour du tissu inutilisé ne tombaient pas sous le coup de la division 48(5)a)(iii)(C) de la Loi, selon laquelle les matières consommées dans la production des marchandises importées doivent être incluses dans le prix payé ou à payer des marchandises, puisque ce tissu n’avait pas été consommé dans la production des marchandises importées ni incorporé dans les vêtements importés. Le Tribunal avait aussi fait remarquer que le tissu inutilisé était revendu par les fabricants, et que les appelants étaient alors crédités des montants reçus de ces ventes.

[92] La Cour d’appel fédérale a conclu que cette décision était bien fondée, ajoutant que les paiements pour le tissu excédentaire n’étaient pas effectués « au vendeur ou à son profit » et ne devaient donc pas être inclus dans le prix payé ou à payer aux termes du paragraphe 45(1) de la Loi. Selon la Cour d’appel fédérale, « en incluant le coût du tissu inutilisé dans le prix des marchandises en cause, on ferait fi du libellé du sous-alinéa 48(5)a)(ii), dans lequel le législateur fédéral s’est expressément penché sur le traitement des matières fournies par l’acheteur pour la production de marchandises destinées à l’exportation [57] ».

[93] Coalision fait valoir que cette décision est pertinente au présent appel, même si elle a trait au quatrième critère de la définition du prix payé ou à payer (« au vendeur ou à son profit »), et non au cinquième (« en paiement des marchandises ») tel qu’en l’espèce. Selon Coalision, la Cour d’appel fédérale a écarté le coût du tissu inutilisé de l’article 45 de la Loi dans le cadre de cette décision.

[94] Pour sa part, l’ASFC fait valoir que l’arrêt Charley Originals CAF ne s’applique pas au présent appel parce qu’il traite de la portée de l’expression « au vendeur ou à son profit » et non « en paiement des marchandises ». L’ASFC s’appuie sur l’arrêt Skechers CAF, dans lequel la Cour d’appel fédérale a distingué l’affaire Skechers de l’arrêt Charley Originals CAF parce que ce dernier portait sur l’applicabilité de la disposition concernant les aides (c.-à-d. les marchandises et services fournis directement et indirectement par l’acheteur des marchandises, sans frais ou à coût réduit, et utilisés lors de la production et de la vente pour exportation des marchandises importées) aux termes du sous-alinéa 48(5)a)(iii) et sur l’interprétation du terme « profit » dans la définition de « prix payé ou à payer ». La Cour a donc conclu que l’appelant ne pouvait pas invoquer l’arrêt Charley Originals CAF pour faire valoir que les versements en question n’étaient pas « en paiement des marchandises » [58] .

[95] Le Tribunal est en accord avec la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Skechers CAF et est d’avis que l’arrêt Charley Originals CAF n’est pas applicable à la présente cause pour les mêmes motifs.

Il n’y a aucune incohérence ou ambiguïté entre les versions française et anglaise de l’expression « en paiement des marchandises en cause »

[96] Coalision soutient que la jurisprudence à l’égard de la définition du « prix payé ou à payer » a été préparée, plaidée et rédigée en anglais, et qu’il est fort possible que seule la version anglaise fût prise en considération par les parties et les instances qui ont tranché les litiges à ce sujet.

[97] Elle note que la version anglaise utilise l’expression « in respect of » à deux reprises à l’intérieur de la même phrase, ce qui lui semble curieux étant donné qu’elle traduit deux expressions différentes, soit « en cas de » (vente) et « en paiement » (des marchandises). La version française lui paraît plus précise puisque l’expression « en cas de vente » indique que, pour qu’un prix existe, il faut tout d’abord qu’il y ait une vente. De plus, « en paiement des marchandises » indique que les versements effectués doivent servir à s’acquitter du prix convenu. Ainsi, il s’agirait selon Coalision de définir ce qu’est un « prix » « en cas de vente » (c.-à-d. dans le cadre d’une vente).

[98] Coalision soutient que c’est le contrat de vente des marchandises qui détermine le prix, et non pas la présence de liens suffisants avec d’autres versements. La notion de « lien suffisant » s’écarte donc du critère objectif de l’entente contractuelle entre le vendeur et l’acheteur, qui selon Coalision est à la base de l’article VII de l’Accord sur l’évaluation en douane, particulièrement de la valeur transactionnelle [59] . Coalision soutient d’ailleurs que, selon l’article VII, la valeur en douane ne peut être fondée sur des valeurs « arbitraires ou fictives », dont il est question en cherchant à établir des « liens suffisants » avec d’autres versements [60] .

[99] L’ASFC fait valoir que les expressions « versements [...] en paiement des marchandises » et « payments [...] in respect of the goods » de la définition du « prix payé ou à payer » ont un sens commun et ne contiennent aucune incohérence ou ambiguïté [61] . L’ASFC fait remarquer que la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Skechers CAF, a employé l’expression « relatif aux » marchandises lorsqu’elle renvoie à la version française du critère, ce qui suggère un sens commun avec la version anglaise [62] .

[100] L’ASFC soutient aussi que les décisions du Tribunal sont publiées dans les deux langues [63] et qu’aucune des deux versions n’a une valeur juridique supérieure à l’autre. Par conséquent, selon l’ASFC, le Tribunal est lié par la jurisprudence antérieure, peu importe la langue originale de rédaction.

[101] Le Tribunal est d’avis que les versions française et anglaise de la définition de l’expression « prix payé ou à payer » ont la même signification.

[102] Selon les principes d’interprétation des lois bilingues, les divergences entre deux versions officielles d’une même disposition sont habituellement résolues en dégageant le sens qui est commun aux deux versions; il en est de même lorsque l’une des deux versions est ambiguë alors que l’autre est claire et sans équivoque [64] . En outre, lorsque l’une des deux versions possède un sens plus large que l’autre, c’est le sens le plus restreint ou limité qui est favorisé [65] .

[103] Cela dit, selon Ruth Sullivan et la Cour suprême, « les considérations linguistiques ne doivent pas élever un argument sur le texte au-dessus du contexte pertinent et de l’objet du régime législatif [66] ».

[104] Le Tribunal est d’avis que Coalision fait cette erreur en l’espèce. Le fait que la définition du « prix payé ou à payer » soit abordée pour la première fois en français par une partie devant le Tribunal n’élève pas pour autant la question de l’interprétation bilingue au-dessus de toute autre considération. Il semble que Coalision tente de démontrer une distinction entre les deux versions qui n’existe pas.

[105] D’abord, l’expression « en cas de vente de marchandises » ne s’écarte pas de la version anglaise « in respect of the sale of goods ». Dans un cas comme dans l’autre, le contexte établi pour le calcul du « prix payé ou à payer » est celui de la vente des marchandises. De même, l’expression « en paiement des marchandises » est équivalente à l’anglais « payments [...] in respect of the goods ». Le Tribunal ne voit ainsi aucune incohérence ou ambiguïté qui nécessiterait un examen plus approfondi des versions française et anglaise.

[106] Que Coalision extrapole de son interprétation de la définition française du « prix payé ou à payer » que seuls les versements effectués dans le cadre d’un contrat puissent en faire partie est erroné. Si le législateur ou l’OMC avaient voulu restreindre le sens de la Loi et de l’article VII de l’Accord sur l’évaluation en douane à l’interprétation offerte par Coalision, ils auraient pu le faire. Le Tribunal est d’avis que les termes utilisés ont un sens plus large et permettent à certains versements, autres que le prix des marchandises, d’être inclus dans la valeur en douane dans la mesure où ils ont un lien suffisant avec ces marchandises.

La note relative à l’article premier de l’Accord sur l’évaluation en douane n’est pas pertinente

[107] Coalision fait valoir que la note relative à l’article premier de l’Accord sur l’évaluation en douane soutient sa position parce qu’elle exclut du prix payé ou à payer « les activités entreprises par l’acheteur pour son propre compte ». La note stipule ce qui suit :

1. Le prix effectivement payé ou à payer est le paiement total effectué ou à effectuer par l’acheteur au vendeur, ou au bénéfice de celui-ci, pour les marchandises importées. [...]

2. Les activités entreprises par l’acheteur pour son propre compte, autres que celles pour lesquelles un ajustement est prévu à l’article 8, ne sont pas considérées comme un paiement indirect au vendeur, même si l’on peut considérer que le vendeur en bénéficie. Il en résulte que, pour la détermination de la valeur en douane, le coût de ces activités ne sera pas ajouté au prix effectivement payé ou à payer [67] .

[Nos italiques]

[108] Selon Coalision, cette note devrait avoir préséance et ainsi écarter toute considération de « lien suffisant » pour ce qui est de paiements faits par un acheteur « pour son propre compte ». Comme souligné précédemment, Coalision soutient qu’elle se procure le tissu excédentaire « pour son propre compte », c’est-à-dire afin de s’en assurer la disponibilité et la proximité au cas où elle souhaiterait procéder à une production ultérieure de vêtements additionnels.

[109] L’ASFC souligne que le paragraphe 2 de la note relative à l’article premier limite la portée d’un « paiement indirect au vendeur » et n’est donc pas pertinente à la question de savoir si un versement est « en paiement des marchandises ». L’ASFC soutient de plus que ce paragraphe n’est pas applicable puisque les versements pour le tissu excédentaire sont effectués directement par Coalision aux fabricants. En outre, l’ASFC soutient que les exemples de frais visés par la note relative à l’article premier fournis dans le commentaire 16.1 et à l’article premier de l’article VII de l’Accord sur l’évaluation en douane ne sont pas similaires aux versements en l’espèce [68] .

[110] Le Tribunal est d’avis que la note relative à l’article premier n’est pas pertinente en l’espèce. Il est question dans le cas présent d’un paiement direct au fabricant pour l’achat de tissu dans le cadre de la fabrication des vêtements : les versements pour le tissu excédentaire n’existent que parce que l’achat du tissu est nécessaire à la fabrication des vêtements, et tout versement en ce sens est donc un paiement direct au vendeur devant être ajouté au « prix payé ou à payer ». Il ressort ainsi de la preuve que Coalision n’achetait pas le tissu excédentaire pour son propre compte, mais indemnisait en fait directement les fabricants de vêtements pour le tissu excédentaire issu de la production des vêtements. Ainsi, puisque ces versements n’étaient pas « pour son propre compte », le paragraphe 2 de la note relative à l’article premier n’est pas applicable.

CONCLUSION

[111] Les versements pour le tissu excédentaire étaient effectués « en paiement des marchandises » aux termes de la définition du « prix payé ou à payer » au paragraphe 45(1) de la Loi, et ces versements doivent donc être inclus dans la valeur en douane des marchandises en cause.

DÉCISION

[112] L’appel est rejeté.

Georges Bujold

Georges Bujold
Membre présidant

 



[1] L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.) [Loi].

[2] Coalision indique dans son mémoire que la question en litige dans cet appel ne se limite pas seulement à ces importations, mais s’applique en fait à toutes celles qu’elle a effectuées depuis 2013, de même que toutes celles à venir. Aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi, un appel ne peut être interjeté auprès du Tribunal que s’il concerne une décision du président de l’ASFC rendue conformément aux articles 60 et 61. La décision du Tribunal dans le cas présent ne s’applique donc qu’aux importations visées par la décision du président dont Coalision interjette appel en l’espèce. Il reviendra au président de décider si la valeur en douane d’importations subséquentes de vêtements effectuées par Coalision devrait également être révisée. Dans cette éventualité, il sera loisible à Coalision de se prévaloir du mécanisme de recours prévu par la Loi, ce qui pourrait donner lieu à une décision du président aux termes des articles 60 ou 61.

[3] Les documents demandés par l’ASFC comprenaient les documents comptables relatifs à l’achat de tissu excédentaire pour les années 2013, 2014 et 2016, ainsi que les ententes d’achat en vigueur de 2013 à 2016 entre Coalision et ses fournisseurs.

[4] Pièce AP-2019-027-11 à la p. 1; pièce AP-2019-027-12 à la p. 163.

[5] Casa Cubana (Spike Marks Inc.) c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (19 février 2020), AP-2018-065 (TCCE) [Casa Cubana].

[6] Pièce AP-2019-027-03A (protégée); pièce AP-2019-027-036.

[7] Le Tribunal a ultérieurement décidé qu’il ne serait pas préjudiciable d’admettre ce document pertinent en preuve, puisque l’ASFC aurait l’occasion de présenter des observations quant à son contenu. De toute façon, le Tribunal a, en définitive, accordé peu de poids à cet élément de preuve documentaire dans le cadre de son analyse.

[8] Skechers USA Canada Inc. c. Canada (Agence des services frontaliers), 2015 CAF 58 (CanLII) [Skechers CAF].

[9] Ces conditions ne sont pas en litige en l’espèce.

[10] Ces ajustements ne sont pas en litige en l’espèce.

[11] Voir pièce AP-2019-027-12A (protégée) à la p. 141.

[12] Ibid. à la p. 142.

[13] Voir la note interprétative relative au paragraphe 1(b) de l’Accord sur l’évaluation en douane, selon laquelle la valeur transactionnelle n’est pas acceptable à des fins douanières si la vente ou le prix sont subordonnés à des conditions ou prestations dont la valeur, dans le cas des marchandises à évaluer, ne peut pas être déterminée. Voir aussi Skechers CAF aux par. 51-52 et 70-71 où la Cour d’appel fédérale indique qu’une des conditions pour l’inclusion de montants dans la valeur transactionnelle de marchandises importées est que ces montants soient déterminables au moment de l’importation. Compte tenu des réponses fournies par les parties aux questions qui leur ont été transmises le 24 juin 2021 au sujet de la pertinence de cette méthode d’appréciation en l’espèce, le Tribunal est satisfait que la preuve au dossier indique que la valeur transactionnelle est la méthode applicable tant à la position de Coalision qu’à celle de l’ASFC. En effet, selon la preuve au dossier, tant la valeur des vêtements que celle du tissu excédentaire étaient déterminables en l’espèce avant même que les marchandises en cause ne soient importées; voir pièce AP-2019-027-03A (protégée) aux p. 17-21. D’ailleurs, le Tribunal fait remarquer que Coalision n’a pas contesté cet élément de preuve. Par conséquent, le Tribunal conclut que cette condition d’application de la méthode fondée sur la valeur transactionnelle est remplie en l’espèce.

[14] Voir par exemple Skechers USA Canada Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (13 décembre 2013), AP-2012-073 (TCCE) [Skechers] au par. 62; Groupe de Mode Double J inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (27 mai 2014), AP-2013-017 (TCCE) [Double J.] au par. 18.

[15] Voir pièce AP-2019-027-26A à la p. 13. Autrement dit, Coalision soutient que même dans l’éventualité d’un excédent de tissu, le prix convenu pour les marchandises en cause ne changeait pas.

[16] Skechers au par. 60; Simms Sigal & Co. Ltd. c. Le commissaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (27 mai 2003), AP-2001-016 (TCCE) à la p. 5 [Simms Sigal].

[17] Skechers au par. 61, affirmé dans Skechers CAF au par. 61; Simms Sigal à la p. 5; voir aussi R. c. Nowegijick, [1983] 1 R.C.S. 29 (C.S.C.).

[18] Skechers au par. 62; voir Chaps Ralph Lauren, a division of 131384 Canada Inc. et Modes Alto-Regal, Inc. c. Le sous-ministre du Revenu national c. GFT Mode Canada Inc. (22 décembre 1997), AP-94-212 et AP-94-213 (TCCE) à la p. 14; Simms Sigal à la p. 6.

[19] Skechers au par. 62, affirmé dans Skechers CAF au par. 69.

[20] Dans l’arrêt Skechers CAF, la Cour d’appel fédérale a indiqué ce qui suit au par. 45 : « La question de savoir si un versement donné satisfait au critère juridique, que l’expression “en paiement des marchandises” figurant dans la Loi fait entrer en jeu, constitue une question mélangée de droit et de fait, qui est largement fonction des faits. »

[21] Dans l’affaire Skechers, le Tribunal a conclu que les versements en question – soit des frais de recherche, de conception et de développement de styles de chaussures – étaient nécessaires à la fabrication des chaussures importées et qu’un lien suffisant était établi entre ces versements et les marchandises en cause. Par conséquent, ces versements étaient effectués « en paiement des marchandises », même si une partie de ces versements était liée à des chaussures qui n’avaient pas été importées au Canada. Voir aussi Mexx Canada Inc. c. Le sous-ministre du Revenu national (16 février 1995), AP-94-035, AP-94-042 et AP-94-165 (TCCE) [Mexx]; Double J; Simms Sigal.

[22] Casa Cubana aux par. 2, 15.

[23] Ibid. au par. 50.

[24] Ibid. au par. 54.

[25] Ibid. au par. 57.

[26] [1983] 1 R.C.S. 29. Dans cette affaire portant sur l’interprétation d’une disposition de la Loi sur les Indiens, la Cour suprême a indiqué que l’expression « in respect of » a la portée la plus large possible parmi toutes les expressions qui servent à exprimer un lien quelconque entre deux sujets connexes. À la lumière de ce précédent et des observations de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Skechers CAF, le Tribunal conclut qu’il ne serait pas approprié de restreindre la portée du critère juridique, que l’expression « en paiement des marchandises » figurant dans la Loi commande, et de l’interpréter comme exigeant la démonstration de l’existence d’un lien « étroit » entre des versements et les marchandises importées.

[27] En effet, puisque l’arrêt Skechers CAF, la décision la plus récente de la Cour d’appel fédérale concernant la signification de l’expression « en paiement des marchandises », n’est même pas mentionnée dans Casa Cubana, le Tribunal ne peut conclure qu’une intention manifeste de circonscrire ou de mettre des balises quant au critère du « lien suffisant » ressort nettement de sa décision dans Casa Cubana.

[28] Cette interprétation plutôt large du critère juridique applicable est d’ailleurs celle qui est essentiellement adoptée par le Tribunal dans d’autres appels, à savoir Mexx, Double J et Simms Sigal.

[29] Paragraphe 152(3) de la Loi. Voir aussi l’arrêt Skechers CAF au par. 43. La Cour d’appel fédérale y indique que le Tribunal a, à juste titre, affirmé sur cette question que l’importateur est tenu de prouver que les paiements en cause ne sont pas des paiements relatifs aux marchandises. De la même façon, en l’espèce, si Coalision réussit à déposer suffisamment d’éléments de preuve pour faire cette démonstration, elle établira nécessairement que la thèse opposée de l’ASFC, soit que les versements en litige sont effectivement des paiements relatifs aux marchandises, est erronée.

[30] Canada (Agence des services frontaliers) c. Miner, 2012 CAF 81 (CanLII) [Miner]; voir aussi Jockey Canada Company c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (20 décembre 2012), AP-2011-008 (TCCE) [Jockey] aux par. 68-71.

[31] Pièce AP-2019-027-26A à la p. 13.

[32] Le Tribunal a conclu dans cette affaire que les versements pour l’acquisition du tissu excédentaire étaient effectués « en paiement des marchandises » parce que l’appelant avait accepté, comme condition d’achat des vêtements importés, de compenser la perte éprouvée par le fabricant relativement au tissu excédentaire.

[33] Dans Double J, le Tribunal a conclu que des paiements effectués au fournisseur pour des frais de distribution relativement à l’importation de vêtements facturés séparément, et dont le montant représentait un pourcentage du prix de ces vêtements, étaient « inextricablement liés » puisque le contrat joignait l’obligation d’acquérir des vêtements avec celle de verser des sommes pour des services.

[34] Dans Simms Sigal, le Tribunal a déterminé que des paiements afin d’avoir le droit exclusif de distribuer des marchandises fabriquées par Anne Klein n’étaient pas versés en paiement des marchandises en partie parce que le prix des marchandises avait été établi séparément du coût des services.

[35] Pièce AP-2019-027-12A (protégée) à la p. 142.

[36] Ibid. aux p. 165-170.

[37] Mexx à la p. 11.

[38] Pièce AP-2019-027-03A (protégée) à la p. 6; pièce AP-2019-027-26A à la p. 13.

[39] Pièce AP-2019-027-26A aux p. 3, 13.

[40] Voir par exemple Mexx et Double J. La note interprétative relative à la question du prix payé ou à payer de l’Accord sur l’évaluation en douane prévoit également que ce prix comprend notamment tous les paiements effectués ou à effectuer, comme condition de la vente des marchandises importées, par l’acheteur au vendeur.

[42] Le Tribunal fait aussi remarquer que les éléments de preuve n’établissent pas qu’il aurait été possible pour les fabricants des vêtements de se procurer la quantité exacte requise de tissu pour produire et vendre les marchandises en cause à Coalision.

[43] Pièce AP-2019-027-03A (protégée) aux p. 21, 33; pièce AP-2019-027-12A (protégée) aux p. 165-170.

[44] Pièce AP-2019-027-26A aux p. 3 et 13.

[45] Voir par exemple pièce AP-2019-027-12A (protégée) aux p. 141-142; pièce AP-2019-027-26A aux p. 13-14. Le Tribunal note entre autres la déclaration de Coalision selon laquelle elle convenait d’emblée avec les fabricants des vêtements qu’elle leur achèterait le tissu excédentaire. Bien que Coalision souhaite mettre de côté cette déclaration, le Tribunal est d’avis que son explication à ce sujet n’est pas convaincante. Comme le souligne l’ASFC, cette déclaration a été faite le 19 octobre 2017, lors de sa demande de réexamen, et presque trois ans se sont écoulés avant que Coalision ne tente de la retirer, alors que le dossier était lui-même saisi par le Tribunal depuis environ un an.

[46] Pièce AP-2019-027-12A (protégée) aux p. 141-142.

[47] Skechers au par. 87, affirmé dans Skechers CAF aux par. 29, 52.

[48] Voir pièce AP-2019-027-03A (protégée) à la p. 27.

[49] Pièce AP-2019-027-01 à la p. 7; pièce AP-2019-027-12A (protégée) à la p. 45. De plus, la décision qui fait l’objet de l’appel précise ce qui suit : « [...] il est déterminé que les montants versés par Coalision Inc. aux fabricants/vendeurs pour l’acquisition de matières excédentaires qui ne sont pas réutilisées dans une production ultérieure sont fait en paiement des marchandises en cause et doivent être ajoutés au prix payé ou à payer conformément à la définition du paragraphe 45(1) de la Loi sur les douanes » [italiques dans l’original, nos caractères gras]. Cela suggère que seuls les versements pour le tissu non réutilisé doivent être inclus dans la valeur en douane des marchandises en cause.

[50] Pièce AP-2019-027-01 aux p. 7-8; pièce AP-2019-027-03A (protégée) à la p. 28; pièce AP-2019-027-26A à la p. 14. M. Beetz reconnaît notamment que le rapatriement du tissu n’était pas dans les habitudes de Coalision. Somme toute, malgré qu’il soit possible que ce rapatriement soit lié aux marchandises en cause, ceci n’est pas évident à la lumière des éléments de preuve déposés par Coalision.

[51] Jockey aux par. 160-164.

[52] Ibid. au par. 160.

[53] Bien que la vérification de l’ASFC ne s’applique qu’à l’année 2015, Coalision a confirmé qu’elle a toujours traité les paiements en question de la même façon d’un point de vue comptable; pièce AP-2019-027-11 à la p. 1.

[54] Pièce AP-2019-027-12A (protégée) aux p. 12, 44-45, 59-62, 65, 82-88; pièce AP-2019-027-33B (protégée) aux p. 60-61.

[55] Pièce AP-2019-027-06 à la p. 1; pièce AP-2019-027-12A (protégée) à la p. 143. Voir aussi pièce AP-2019-027-26A à la p. 14.

[56] Charley Originals Ltd., division du Groupe Algo inc. et Mr. Jump Inc., division du Groupe Algo inc. c. Le sous-ministre du Revenu national (29 avril 1997) AP-95-261, AP-95-263 (TCCE) [Charley Originals], affirmé dans Deputy Canada (Ministre du revenu national) c. Charley Originals Ltd., 2000 CanLII 15307 (CAF) [Charley Originals CAF].

[57] Charley Originals CAF au par. 17.

[58] Skechers CAF au par. 47.

[59] Le paragraphe 1(1) de l’article VII indique ce qui suit : « La valeur en douane des marchandises importées sera la valeur transactionnelle, c’est-à-dire le prix effectivement payé ou à payer pour les marchandises lorsqu’elles sont vendues pour l’exportation à destination du pays d’importation [...]. »

[60] Le texte en introduction de l’article VII reconnaît « la nécessité d’un système équitable, uniforme et neutre d’évaluation en douane des marchandises, qui exclut l’utilisation de valeurs en douane arbitraires ou fictives ».

[61] Voir Montréal (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), 2008 CSC 48 au par. 53.

[62] Skechers CAF au par. 7.

[63] Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985, ch. 31 (4e suppl.).

[64] Voir par exemple Unitool Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, (4 décembre 2014), AP-2013-060 (TCCE) au par. 62, citant R. c. Daoust, [2004] 1 R.C.S. 217, 2004 CSC 6 (CanLII) [Daoust] au par. 26, citant le professeur Côté dans son ouvrage Interprétation des lois (3e éd., 1999) à la p. 410; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339, 2009 CSC 12 (CanLII) [Khosa] au par. 39.

[65] Daoust au par. 26.

[66] Khosa au par. 39.

[67] Pièce AP-2019-027-12A (protégée) à la p. 190.

[68] Pièce AP-2019-027-12 à la p. 243. L’ASFC note par exemple que le commentaire 16.1 indique à titre d’exemple les frais engagés par des experts de l’acheteur, ainsi que les frais relatifs à une campagne publicitaire relative aux marchandises importées.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.