Appels en matière de douanes et d’accise

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Appel no AP-2020-022

B. Shaw

c.

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Décision et motifs rendus
le mardi 7 septembre 2021

 



EU ÉGARD À un appel entendu le 8 juin 2021, en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada, concernant une demande de révision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

B. SHAW

Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.

Randolph W. Heggart

Randolph W. Heggart
Membre présidant


 

Lieu de l’audience :

Ottawa (Ontario)

Date de l’audience :

le 8 juin 2021

Membre du Tribunal :

Randolph W. Heggart, membre présidant

Personnel du Secrétariat du Tribunal :

Isaac Turner, conseiller juridique
Nadja Momcilovic, stagiaire en droit

PARTICIPANTS :

Appelante

Conseiller/représentant

B. Shaw

Bernie Shaw

Intimé

Conseiller/représentant

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Marshall Jeske

Veuillez adresser toutes les communications à :

La greffière adjointe
Téléphone : 613-993-3595
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

[1] Le présent appel est interjeté par M. Bernie Shaw auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes [1] relativement à une décision rendue le 28 octobre 2020 par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi.

[2] Il s’agit de déterminer si un couteau muni d’un ergot (flipper) permettant son ouverture et appartenant à la série Todd Begg Steelcraft (la marchandise en cause), importé par M. Shaw, est correctement classé dans le numéro tarifaire 9898.00.00 de l’annexe du Tarif des douanes [2] à titre d’arme prohibée aux termes du paragraphe 84(1) du Code criminel [3] et, par conséquent, dont l’importation est interdite au Canada aux termes du paragraphe 136(1) du Tarif des douanes.

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

[3] Le 1er septembre 2020, l’ASFC a saisi la marchandise en cause [4] .

[4] Le 2 septembre 2020, l’ASFC a déterminé que la marchandise en cause était une arme prohibée au sens du numéro tarifaire 9898.00.00 et a interdit son importation au Canada [5] .

[5] Le 7 octobre 2020, l’ASFC a reçu la demande de révision de M. Shaw aux termes du paragraphe 60(1) de la Loi.

[6] Le 28 octobre 2020, l’ASFC a rendu une décision selon laquelle elle maintenait le classement tarifaire de la marchandise en cause à titre d’arme prohibée aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi [6] .

[7] Le 30 novembre 2020, M. Shaw a interjeté appel auprès du Tribunal aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi [7] .

[8] Le 8 juin 2020, le Tribunal a tenu une audience sur pièces aux termes des articles 25 et 25.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur [8] .

DESCRIPTION DE LA MARCHANDISE EN CAUSE

[9] La marchandise en cause est un couteau appartenant à la série Todd Begg Steelcraft, muni d’un ergot permettant son ouverture. Le couteau est d’une longueur de neuf pouces lorsqu’il est ouvert et de cinq pouces lorsqu’il est fermé.

[10] Le couteau est muni d’une protubérance ou d’un ergot sur la lame. Quand la lame est en position fermée, elle s’ouvre au moyen d’une pression manuelle pour se fixer en position entièrement ouverte et verrouillée.

CADRE LÉGISLATIF

[11] Le paragraphe 136(1) du Tarif des douanes prévoit ce qui suit :

L’importation des marchandises des nos tarifaires 9897.00.00, 9898.00.00 ou 9899.00.00 est interdite.

[12] Les dispositions pertinentes du numéro tarifaire 9898.00.00 sont les suivantes :

Armes à feu, armes prohibées, armes à autorisation restreinte, dispositifs prohibés, munitions prohibées et éléments ou pièces conçus exclusivement pour être utilisés dans la fabrication ou l’assemblage d’armes automatiques, désignés comme « marchandises prohibées » au présent numéro tarifaire [...].

Pour l’application du présent numéro tarifaire : [...] b) « arme à autorisation restreinte », « arme à feu à autorisation restreinte », « arme à feu prohibée », « arme automatique », « arme prohibée », « dispositif prohibé », « munitions prohibées » et « permis » s’entendent au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel; [...]

[13] Lorsqu’il est question du classement de marchandises dans le numéro tarifaire 9898.00.00, le paragraphe 136(2) du Tarif des douanes prévoit que les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé [9] ne s’appliquent pas. De plus, la note 1 du chapitre 98 de l’annexe du Tarif des douanes prévoit que « [l]es marchandises qui sont décrites dans une disposition du présent Chapitre peuvent être classées dans ladite disposition si les conditions et les exigences de celle-ci et de tout autre règlement applicable sont respectées ».

[14] La question de savoir si la marchandise en cause est correctement classée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 doit donc être déterminée en fonction des dispositions de ce numéro tarifaire ainsi que des exigences et conditions applicables du Code criminel.

[15] Le numéro tarifaire 9898.00.00 prévoit que le terme « arme prohibée » a la même signification que celle donnée au paragraphe 84(1) du Code criminel, qui définit « arme prohibée » de la façon suivante :

arme prohibée

a) Couteau dont la lame s’ouvre automatiquement par gravité ou force centrifuge ou par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche;

b) toute arme — qui n’est pas une arme à feu — désignée comme telle par règlement. (prohibited weapon)

[16] Afin de déterminer si la marchandise en cause est correctement classée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 à titre d’arme prohibée et, par conséquent, à titre de marchandise dont l’importation est interdite au Canada, le Tribunal doit déterminer si elle correspond à la définition ci‑dessus de l’alinéa 84(1)a) du Code criminel.

POSITIONS DES PARTIES

B. Shaw

[17] M. Shaw soutient qu’il ne savait pas que la marchandise en cause pouvait s’ouvrir d’une main et qu’il avait acheté le couteau en raison de la réputation de l’artisan. M. Shaw affirme qu’il n’était pas possible de retourner le couteau puisqu’il avait été fabriqué en partie sur mesure et que, même si cela était possible, les frais associés au renvoi du couteau via un transporteur cautionné seraient trop élevés.

[18] M. Shaw soutient que la décision de classer la marchandise en cause à titre d’arme prohibée n’est pas juste. Selon lui, il n’est pas objectif de citer le Code criminel et d’affirmer que ses arguments sont non fondés. M. Shaw indique qu’il ne comprend pas comment une personne ayant des problèmes liés à l’accessibilité peut constituer une menace pour la société en se servant d’un couteau qui s’ouvre d’une main. Il a aussi manifesté ses préoccupations concernant une atteinte à ses droits civils.

ASFC

[19] L’ASFC soutient que M. Shaw n’a pas réussi à prouver que l’ASFC a commis une erreur lorsqu’elle a classé la marchandise en cause à titre d’arme prohibée. Le rejet de l’appel se justifie par ce seul motif. Selon l’ASFC, M. Shaw n’a pas déposé d’éléments de preuve ou de mémoire, et n’a pas traité des caractéristiques de la marchandise en cause dans ses courtes observations figurant dans sa lettre du 10 novembre 2020. L’ASFC soutient que ces observations ne constituent pas un fondement valable qui permettrait au Tribunal de déterminer que le classement de l’ASFC est incorrect. L’ASFC ajoute que même si M. Shaw affirme qu’il ne savait pas que le couteau pouvait s’ouvrir d’une main et que les frais associés au renvoi du couteau via un transporteur cautionné seraient trop élevés, ces considérations n’ont rien à voir avec le classement du couteau à titre d’arme prohibée.

[20] L’ASFC soutient en outre que, quoi qu’il en soit, le classement de la marchandise en cause à titre d’arme prohibée s’est fait en conformité avec le cadre législatif pertinent et la jurisprudence du Tribunal. Plus précisément, elle soutient que dans l’affaire M. Abbas, le Tribunal avait conclu qu’un couteau muni d’un ergot très similaire avait été correctement classé à titre d’arme prohibée [10] . Selon l’ASFC, la marchandise en cause est un couteau muni d’une lame qui s’ouvre automatiquement au moyen d’une pression manuelle exercée sur un dispositif incorporé ou attaché au manche. L’ASFC a présenté trois arguments à l’égard de cet argument. Premièrement, l’utilisateur du couteau n’a qu’à appliquer une pression minimale sur l’ergot pour ouvrir la lame, lequel dépasse du manche quand la lame est fermée. Deuxièmement, il est évident que la fonction de l’ergot est d’ouvrir la lame et qu’ainsi, l’ergot entre dans la définition du Tribunal du terme « dispositif ». Troisièmement, l’ergot se trouve à l’intérieur de la fente du manche et traverse ce dernier.

ANALYSE

Charge de la preuve

[21] Selon le paragraphe 152(3) de la Loi, la charge de la preuve incombe à M. Shaw d’établir que la marchandise en cause est correctement classée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 à titre d’arme prohibée [11] .

[22] Dans le cadre d’appels interjetés en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi, le Tribunal a appliqué [12] le critère énoncé dans l’affaire Hickman, dans lequel la Cour suprême du Canada a indiqué que l’appelante peut s’acquitter de sa charge initiale de la preuve lorsqu’elle présente au moins une preuve prima facie [13] . Le Tribunal a établi que si l’appelante n’a pas accès à un article parce qu’il a été saisi ou détenu par l’ASFC, une description écrite du mécanisme d’ouverture du couteau est suffisante pour lui permettre de s’acquitter de la charge de la preuve prima facie [14] .

[23] Dans ses observations, M. Shaw ne décrivait pas les caractéristiques du couteau ni son mécanisme de fonctionnement. Ainsi, le Tribunal est d’avis que M. Shaw n’a pas présenté de preuve prima facie et, par surcroît, ne s’est pas acquitté de la charge de la preuve susmentionnée.

La question de savoir si la marchandise en cause est une arme prohibée

[24] La définition à l’alinéa 84(1)a) du Code criminel permet de déterminer si la marchandise en cause est correctement classée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 à titre d’arme prohibée. Par conséquent, la marchandise en cause est une arme prohibée si la lame s’ouvre automatiquement de l’une des deux façons suivantes : (1) par gravité ou force centrifuge ou (2) par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche.

[25] Le Tribunal a déjà établi qu’un couteau s’ouvre automatiquement si la lame du couteau s’ouvre par pression manuelle sur un dispositif nécessitant une manipulation minimale [15] . De façon similaire, le Tribunal a déjà établi que le terme « automatiquement », dans le contexte de l’alinéa 84(1)a) du Code criminel, signifie « de manière essentiellement ou entièrement involontaire » et qu’un minimum de manipulations n’enlève pas le caractère automatique de l’ouverture de la lame [16] . En d’autres mots, le terme « automatiquement » ne signifie pas sans aucune intervention humaine.

[26] Pour ce qui est de la question de savoir si un couteau est muni d’« un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche », un dispositif est défini largement dans la jurisprudence du Tribunal à titre d’« objet destiné ou adapté à une fin particulière » ou de « pièce d’équipement ou mécanisme conçu à une fin déterminée ou pour remplir une fonction particulière » [17] .

[27] En l’espèce, les éléments de preuve présentés par l’ASFC montrent clairement que l’application d’une pression minimale sur l’ergot de la marchandise en cause permet à la lame de s’ouvrir pour se fixer en position entièrement ouverte et verrouillée. Les éléments de preuve montrent aussi clairement que la fonction de l’ergot est d’ouvrir le couteau et que l’ergot est incorporé au manche ou attaché au manche du couteau [18] .

[28] Comme l’a fait remarquer l’ASFC, la marchandise en cause ressemble au couteau dans l’affaire M. Abbas, où le Tribunal a jugé qu’un couteau s’ouvrait automatiquement parce qu’une fois l’ouverture de la lame déclenchée par pression manuelle ou pression du doigt, l’ergot se déplaçait sur une courte distance, mais la lame dans son ensemble était éjectée rapidement, parcourait un arc de 180 degrés et se verrouillait en position ouverte [19] . Dans cette affaire, le Tribunal a aussi conclu que l’ergot constituait un dispositif incorporé ou attaché au manche du couteau [20] .

[29] Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal est d’avis que, sans tenir compte de la conclusion que la charge de la preuve n’a pas été acquittée, la marchandise en cause est correctement classée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 à titre d’arme prohibée.

Autres considérations

[30] Le Tribunal a déjà établi que les critères à l’égard de l’interdiction de certains types de couteaux se rapportent aux caractéristiques du couteau en question seulement et ne dépendent en rien des intentions ni de la bonne foi de la personne voulant importer le couteau [21] . Par conséquent, les arguments de M. Shaw selon lesquels il ne savait pas que le couteau pouvait s’ouvrir d’une main et que les frais associés au retour du couteau seraient élevés ne sont pas pertinents.

DÉCISION

[31] Pour les motifs qui précèdent, l’appel est rejeté.

Randolph W. Heggart

Randolph W. Heggart
Membre présidant

 



[1] L.R.C. (1985), ch.1 (2e suppl.) [Loi].

[2] L.C. 1997, ch. 36.

[3] L.R.C. (1985), ch. C-46.

[4] Pièce AP-2020-022-11 à la p. 12.

[5] Ibid. aux p. 14-15.

[6] Ibid. aux p. 17-19.

[7] Pièce AP-2020-022-01.

[8] DORS/91-499.

[9] L.C. 1997, ch. 36, annexe.

[10] M. Abbas (29 novembre 2019), AP-2018-060 (TCCE) [M. Abbas].

[11] J. Humber (13 décembre 2019), AP-2018-062 (TCCE) [J. Humber] au par. 83 (citant Digital Canoe Inc. [22 août 2016], AP-2015-026 [TCCE] au par. 15 et Canada [Agence des services frontaliers] c. Miner, 2012 CAF 81 aux par. 7, 21).

[12] Voir, par exemple, Schlumberger Canada Limited (21 juin 2017), AP-2015-022 (TCCE) au par. 34; BSH Home Appliance Ltd. (27 octobre 2014), AP-2013-057 (TCCE) au par. 29.

[13] Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336 [Hickman].

[14] J. Humber au par. 89.

[15] M. Abbas au par. 54, citant T. Laplante c. Président de l’Agence des services frontaliers (16 novembre 2017), AP‑2017‑012 (TCCE) aux par. 25-28.

[16] Ibid. au par. 53, citant La Sagesse de l’Eau (13 novembre 2012), AP-2011-040 et AP-2011-041 (TCCE) [La Sagesse de l’Eau] aux par. 46-48.

[17] Ibid. au par. 55 (citant La Sagesse de l’Eau aux par. 41-42; Knife & Key Corner Ltd. [14 septembre 2015], AP-2014-030 [TCCE] au par. 30).

[18] Pièce AP-2020-022-11 aux p. 3-4; pièce AP-2020-022-11A.

[19] M. Abbas aux par. 70-73.

[20] Ibid. aux par. 82-83.

[21] Ibid. au par. 56.

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