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Appel EA-2019-009

Hyundai Heavy Industries (Canada) s/n Remington Sales Co.

c.

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Décision et motifs rendus
le jeudi 12 mai 2022

 



EU ÉGARD À un appel entendu les 25 et 26 novembre 2020, en vertu de l’article 61 de la Loi sur les mesures spéciales d’importation;

ET EU ÉGARD À des décisions rendues par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 5 novembre 2019, concernant des réexamens aux termes de l’article 59 de la Loi sur les mesures spéciales d’importation.

ENTRE

HYUNDAI HEAVY INDUSTRIES (CANADA) S/N REMINGTON SALES CO.

Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est accueilli en partie. Le Tribunal canadien du commerce extérieur renvoie les décisions du président à l’Agence des services frontaliers du Canada pour réexamen.

Serge Fréchette

Serge Fréchette
Membre présidant


 

Lieu de l’audience :

Ottawa (Ontario)

Dates de l’audience :

Les 25 et 26 novembre 2020

Membre du Tribunal :

Serge Fréchette, membre présidant

Personnel du Secrétariat du Tribunal :

Peter Jarosz, conseiller juridique
Kalyn Eadie, conseillère juridique
Isaac Turner, conseiller juridique
Stephanie Blondeau, agente du greffe

PARTICIPANTS :

Appelante

Conseillers/représentants

Hyundai Heavy Industries (Canada) s/n Remington Sales Co.

Darrel Pearson
George Reid
Ethan Gordon

 

Intimé

Conseillers/représentants

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Jennifer Bond
Marshall Jeske
Peter Nostbakken

Intervenante

Conseillers/représentants

ABB Power Grids Canada Inc.

Christopher J. Kent
Christopher J. Cochlin
Marc McLaren-Caux
Andrew M. Lanouette
Gerry Stobo
Andrew Paterson
Susana May Yon Lee
Alexander Hobbs

Veuillez adresser toutes les communications à :

La greffière adjointe
Téléphone : 613-993-3595
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

RÉSUMÉ

[1] Remington Sales Co. s/n Hyundai Heavy Industries (Canada) (Remington)[1] interjette appel de réexamens de droits antidumping par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Cet appel a été instruit de façon simultanée avec deux appels connexes déposés par Hyundai Canada Inc. (Hyundai Canada)[2].

[2] Remington importe des transformateurs de puissance produits en République de Corée (la Corée) par une partie liée, Hyundai Electric & Energy Systems (Hyundai Electric), afin de les revendre à des acheteurs non liés au Canada. Une évaluation des droits antidumping au titre de la Loi sur les mesures spéciales d’importation (LMSI) a été effectuée à l’égard de ces importations, en fonction d’une comparaison des prix à l’exportation et des valeurs normales. Remington conteste les réexamens par l’ASFC des prix à l’exportation des importations en cause.

[3] Hyundai Canada interjette appel au motif que le président de l’ASFC a commis une erreur dans ses réexamens des prix à l’exportation au titre des articles 24 et 25 de la LMSI, précisément au sujet de ce qui suit :

a) la fiabilité des prix à l’exportation établis au titre de l’article 24;

b) les déductions appliquées en réexaminant des prix à l’exportation au titre des articles 24 et 25.

[4] Pour les motifs exposés ci-dessous, le Tribunal conclut que le président de l’ASFC a commis une erreur dans ses réexamens des prix à l’exportation et renvoie les décisions du président à l’ASFC pour réexamen.

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

[5] Le 22 octobre 2012, le président de l’ASFC a rendu une décision définitive de dumping aux termes de l’alinéa 41(1)a) de la LMSI concernant les transformateurs à liquide diélectrique (transformateurs de puissance) avec une puissance admissible maximale égale ou supérieure à 60 000 kilovolts-ampères (60 mégavolts-ampères), assemblés ou non, complets ou incomplets, originaires ou exportés de la Corée.

[6] Le 20 novembre 2012, le Tribunal a conclu que le dumping avait causé un dommage à la branche de production nationale[3].

[7] Le 15 novembre 2018, l’ASFC a lancé une révision des valeurs normales et des prix à l’exportation des transformateurs de puissance que Hyundai Electric exportait au Canada de la Corée afin de mettre ces valeurs à jour. La période visée par l’enquête s’étendait du 1er novembre 2016 au 31 octobre 2018[4].

[8] Le 25 juillet 2019, l’ASFC a conclu la révision des valeurs normales et des prix à l’exportation. Dans le cadre de cette révision, l’ASFC a déterminé que Remington était liée à Hyundai Electric, conformément à la définition de « liée » donnée au paragraphe 2(3) de la LMSI, et que les deux entreprises étaient ainsi des personnes associées au sens de l’alinéa 25(1)b). L’ASFC a ensuite effectué un « test de fiabilité » et conclu que les prix des transformateurs de puissance exportés de Hyundai Electric à Remington étaient sujets à caution. Par conséquent, Remington a été informée que tous les prix à l’exportation des transformateurs de puissance en cause importés à l’avenir seraient établis conformément à l’alinéa 25(1)d). L’ASFC a précisé que ces paramètres révisés s’appliquaient aux marchandises dédouanées à compter du 25 juillet 2019[5].

[9] Le 7 août 2019, l’ASFC a informé Remington qu’elle avait terminé de calculer les droits rétroactifs applicables et que les cotisations rétroactives de droits antidumping s’appliqueraient aux ventes de marchandises sous-évaluées réalisées au cours des deux années précédentes (c.-à-d. à compter du 25 juillet 2017)[6].

[10] Le 5 novembre 2019, conformément à l’article 59 de la LMSI, le président de l’ASFC a procédé à une cotisation rétroactive des droits antidumping exigibles sur les transformateurs de puissance importés par Remington à compter du 25 juillet 2017[7].

[11] Le 13 janvier 2020, Remington a interjeté appel auprès du Tribunal, comme le prévoit l’article 61 de la LMSI[8].

[12] Le 14 janvier 2020, les parties ont demandé que l’audition de l’appel ait lieu en même temps que l’audience relative à l’appel EA-2019-008, puisque la nature des marchandises en cause et les grandes questions soulevées étaient essentiellement les mêmes. La demande a été accueillie le 17 janvier 2020[9].

[13] Le 23 mars 2020, ABB Power Grids Canada Inc. (ABB) a demandé à participer à titre d’intervenante[10]. Le 26 mars 2020, l’ASFC a informé le Tribunal qu’elle était d’accord à ce que ABB soit accordée le statut de partie intervenante à l’instance[11]. Le 30 mars 2020, Remington a demandé au Tribunal de ne pas accéder à la demande d’ABB au motif qu’elle n’était pas suffisamment précise pour que le Tribunal puisse déterminer si l’intervention d’ABB satisfaisait aux exigences énoncées à l’article 40.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur. Elle a aussi demandé au Tribunal, s’il choisissait d’accorder le statut de partie intervenante à ABB, de limiter les droits d’intervention au seul dépôt d’un mémoire écrit[12]. Le 2 avril 2020, le Tribunal a accordé à ABB le statut de partie intervenante à l’instance, étant convaincu qu’elle avait un intérêt direct et substantiel dans l’appel. Le Tribunal a cependant donné à ABB la directive de limiter ses observations et ses éléments de preuve à ceux qui étaient pertinents et d’éviter d’élargir la portée de l’appel au-delà de celle exposée par Remington dans l’avis d’appel[13].

[14] Le 2 juin 2020, le Tribunal a informé les parties qu’en raison de la COVID-19, l’audience, qui devait avoir lieu le 22 juillet 2020, était annulée et serait remise à une date ultérieure[14].

[15] Le 3 juin 2020, le Tribunal a demandé aux parties de présenter des observations supplémentaires sur ce que seraient les bons prix à l’exportation pour les importations en cause et la méthode à suivre pour établir ces prix[15]. Les observations ont été reçues le 3 juillet 2020 et les observations en réponse, le 24 août 2020.

[16] Le 31 août 2020, le Tribunal a informé les parties que l’audience aurait lieu par vidéoconférence et leur a demandé de choisir une date qui leur conviendrait.[16].

[17] Le Tribunal a tenu une audience publique par vidéoconférence et une audience à huis clos par téléconférence les 25 et 26 novembre 2020.

CADRE LÉGISLATIF ET STRATÉGIQUE

[18] Les droits antidumping sont établis en comparant la valeur normale (le prix de vente sur le marché de l’exportateur ou un prix de vente profitable reconstitué) et le prix à l’exportation des marchandises en cause. Si le prix à l’exportation est inférieur à la valeur normale, les marchandises sont sous-évaluées et la différence entre les deux représente le montant des droits à payer.

[19] Les prix à l’exportation peuvent être déterminés au titre de l’article 24 ou, dans certains cas, de l’article 25 de la LMSI.

[20] S’il est établi d’après l’article 24, le prix à l’exportation est simplement le prix convenu par l’importateur et l’exportateur, rectifié par déduction de montants liés à l’exportation et à l’importation. Voici le libellé de l’article 24 :

24 Le prix à l’exportation de marchandises vendues à un importateur se trouvant au Canada est, malgré toute facture ou affidavit incompatible, égal au moindre des deux montants suivants :

a) le prix auquel l’exportateur a vendu les marchandises et rectifié par déduction des montants suivants :

(i) les frais entraînés par la préparation des marchandises en vue de leur expédition vers le Canada et venant en sus de ceux habituellement entraînés par des ventes de marchandises similaires pour consommation dans le pays d’exportation,

(ii) les droits et taxes imposés en vertu d’une loi fédérale ou provinciale et payés par l’exportateur, en son nom ou à sa demande,

(iii) tous les autres frais découlant de l’exportation des marchandises ou découlant de leur expédition, depuis le lieu désigné à l’alinéa 15e) ou le lieu qui lui a été substitué en vertu de l’alinéa 16(1)a);

b) le prix auquel l’importateur a acheté ou s’est engagé à acheter les marchandises et rectifié par déduction des montants visés aux sous-alinéas a)(i) à (iii).

[Nos italiques]

[21] Cependant, il arrive parfois que le prix à l’exportation soit établi selon l’article 25. Le cas échéant, il est basé sur le prix auquel l’importateur a vendu la marchandise à un acheteur non lié au Canada, et les mêmes déductions que celles prévues à l’article 24 s’appliquent. De plus, les coûts engagés par l’importateur en lien avec la vente des marchandises et un montant pour les bénéfices sont aussi déduits du prix. Voici le libellé de l’article 25 :

25 (1) Si, pour des marchandises vendues à un importateur se trouvant au Canada, selon le cas :

a) il n’y a pas de prix auquel l’exportateur a vendu les marchandises ou de prix auquel l’importateur se trouvant au Canada les a achetées ou s’est engagé à les acheter;

b) le président est d’avis que le prix à l’exportation des marchandises importées, établi selon l’article 24, est sujet à caution parce que, selon le cas :

(i) la vente des marchandises en vue de leur exportation vers le Canada a eu lieu entre personnes associées,

(ii) un arrangement de nature compensatoire, d’une part, a eu lieu entre au moins deux des personnes suivantes : le fabricant, le producteur, le vendeur, l’exportateur, l’importateur se trouvant au Canada, l’acheteur subséquent et toute autre personne, et, d’autre part, a un effet ou porte sur, selon le cas :

(A) le prix des marchandises,

(B) la vente des marchandises,

(C) le profit net réalisé par le fabricant, le producteur, le vendeur ou l’exportateur des marchandises,

(D) le coût net des marchandises pour l’importateur,

le prix à l’exportation des marchandises est, selon le cas :

c) si les marchandises ont été vendues par l’importateur dans le même état que lors de leur importation effective ou future et à une personne à laquelle il n’était pas associé au moment de la vente, leur prix de vente moins un montant égal à la somme des montants suivants :

(i) tous les frais, notamment les droits imposés en vertu de la présente loi ou du Tarif des douanes, et les taxes :

(A) soit engagés lors de l’importation des marchandises ou par la suite et lors de leur vente par l’importateur ou avant cette vente,

(B) soit découlant de leur vente par l’importateur,

(ii) un montant pour les bénéfices réalisés par l’importateur sur la vente,

(iii) les frais que la préparation des marchandises en vue de leur expédition vers le Canada a entraînés, entre autres pour l’exportateur ou l’importateur, et venant en sus de ceux habituellement entraînés par des ventes de marchandises similaires pour consommation dans le pays d’exportation,

(iv) tous les autres frais engagés, entre autres par l’exportateur ou l’importateur, et découlant de l’exportation des marchandises importées ou découlant de leur expédition depuis le lieu désigné à l’alinéa 15e) ou le lieu qui lui a été substitué en vertu de l’alinéa 16(1)a);

d) si les marchandises sont importées pour une étape ultérieure de fabrication, pour montage ou pour conditionnement au Canada ou comme biens entrant dans la fabrication ou la production au Canada d’autres marchandises, leur prix de vente après ces opérations, ou le prix de vente des marchandises dans la fabrication desquelles elles ont été incorporées, à une personne à laquelle le vendeur n’est pas associé au moment de la vente, moins un montant égal à la somme des montants suivants :

(i) un montant pour les bénéfices réalisés sur la vente,

(ii) les frais, notamment les frais administratifs et les frais de vente,

(iii) tous les autres frais entraînés par les opérations en cause ou par la fabrication ou production des marchandises dans la fabrication desquelles elles ont été incorporées,

(iv) les frais engagés, notamment par l’exportateur ou l’importateur, pour la préparation des marchandises en vue de leur expédition vers le Canada et venant en sus de ceux habituellement entraînés par la vente de marchandises similaires pour consommation dans le pays d’exportation,

(v) tous les autres frais, y compris les droits imposés en vertu de la présente loi ou du Tarif des douanes, et les taxes :

(A) soit découlant de l’exportation des marchandises importées ou découlant de leur expédition vers le Canada depuis le lieu désigné à l’alinéa 15e) ou le lieu qui lui a été substitué en vertu de l’alinéa 16(1)a) et engagés, notamment par l’exportateur ou l’importateur,

(B) soit engagés lors de l’importation des marchandises ou par la suite et lors de la vente des marchandises ayant subi ces opérations ou des marchandises dans lesquelles les marchandises importées ont été incorporées ou avant cette vente;

e) dans les cas que ne prévoient pas les alinéas c) et d), le prix établi conformément aux modalités que fixe le ministre.

(2) Aucune déduction ne peut être faite au titre des droits imposés en vertu de la présente loi en vertu du sous-alinéa (1)c)(i), dans le cas d’un prix à l’exportation déterminé en vertu de l’alinéa (1)c), ou en vertu du sous-alinéa (1)d)(v), dans le cas d’un prix à l’exportation déterminé en vertu de l’alinéa (1)d), si, de l’avis du président, la détermination du prix à l’exportation faite en vertu de l’un ou l’autre de ces alinéas, compte non tenu de cette déduction, donne un résultat qui n’est pas inférieur à la valeur normale des marchandises.

[Nos italiques]

[22] En l’instance, le scénario applicable est celui selon lequel le prix à l’exportation peut être déterminé selon l’article 25 (prix à l’exportation établi selon l’article 25) puisque le président de l’ASFC est d’avis que le prix à l’exportation établi au titre de l’article 24 (prix à l’exportation établi selon l’article 24) est « sujet à caution » au motif que la vente des marchandises en vue de leur exportation vers le Canada a eu lieu entre personnes associées.

[23] La LMSI ne définit pas l’expression « sujet à caution ». L’ASFC a adopté une procédure appelée « test de fiabilité », qui est décrite dans le Guide LMSI comme étant l’« "instrument" habituel qui aide le président à savoir si des prix à l’exportation établis selon l’article 24 sont sujets à caution, au sens de la LMSI[17] ». Pour effectuer le test de fiabilité, l’ASFC prélève un échantillon représentatif d’opérations et calcule le prix à l’exportation à l’aide des méthodes décrites aux articles 24 et 25, puis compare les deux résultats. Si le prix à l’exportation établi selon l’article 25 est égal ou supérieur, en termes de volume ou de valeur, à celui établi selon l’article 24 dans au moins 80 p. 100 des opérations sélectionnées, alors le prix à l’exportation établi selon l’article 24 sera généralement considéré comme étant fiable. À l’inverse, si le prix à l’exportation établi selon l’article 25 est inférieur à celui établi selon l’article 24 dans plus de 20 p. 100 des opérations sélectionnées, alors le prix à l’exportation établi selon l’article 24 sera généralement considéré comme sujet à caution, et c’est le prix à l’exportation établi selon l’article 25 qui servira à déterminer les prix à l’exportation pour l’exportateur concerné. Le Guide LMSI donne par ailleurs certaines exceptions, dont il sera question plus loin.

[24] Le recours à ces deux méthodes de calcul a pour objectif d’établir le prix à la sortie d’usine des marchandises. Ainsi, l’article 24 énonce que les frais associés à la vente des marchandises à un importateur au Canada doivent être déduits du prix que l’exportateur facture à cet importateur. En application de l’article 25, tous les autres frais associés à la revente, ainsi que le montant pour les bénéfices, sont aussi déduits. Toutefois, selon les articles 20 à 22 du Règlement sur les mesures spéciales d’importation (Règlement), le montant pour les bénéfices qui doit être déduit du prix de revente de l’importateur, conformément à l’article 25 de la LMSI, ne correspond pas aux bénéfices réalisés par l’importateur lors de la vente, mais plutôt à un montant égal aux bénéfices moyens de l’industrie au Canada. En définitive, le test de fiabilité permet de déterminer si l’importateur a obtenu en fait un montant pour les bénéfices inférieur à la moyenne de l’industrie dans plus de 20 p. 100 des ventes de l’échantillon. L’ASFC décrit une telle situation comme étant un dumping occulte ou secondaire. Selon l’ASFC :

L’article 25 de la Loi cherche surtout à faire en sorte que la protection devant être accordée par une mesure antidumping ne soit pas menacée du fait que son incidence est atténuée en quelque sorte, intentionnellement ou non, par les liens entre les exportateurs et les importateurs. En pareil cas, l’article 25 garantit que le prix de revente au Canada du produit importé augmente de manière à éliminer l’effet dommageable sur les producteurs nationaux[18].

[25] Il convient de noter que l’application de l’article 25 peut entraîner d’autres conséquences que le seul changement du montant des prix à l’exportation. Le prix à l’exportation établi selon l’article 25 peut être supérieur, inférieur ou égal au prix à l’exportation établi selon l’article 24, mais il y a d’autres conséquences importantes. Elles sont décrites comme suit dans le Guide LMSI :

Il importe de noter que, abstraction faite du paragraphe précédent, le paragraphe 25(2) de la LMSI stipule qu’aucune déduction des droits LMSI ne peut être faite lorsque, de l’avis du président, le prix à l’exportation établi selon l’alinéa 25(1)c) ou d) sans une telle déduction est égal ou supérieur à la valeur normale des marchandises. Donc, après le test de fiabilité, s’il est déterminé que les prix à l’exportation doivent être établis selon l’article 25, pareil prix doit être comparé à la valeur normale pour voir s’il y a dumping avant la déduction des droits LMSI. S’il n’y en a pas, la démarche prend alors fin. Toutefois, si un dumping est constaté, les droits antidumping payés ou à payer sont déduits. Le prix à l’exportation inférieur selon l’article 25 qui en résulte est comparé à la valeur normale pour déterminer la marge de dumping et le montant définitif des droits LMSI à payer.

Comme il a été mentionné précédemment, les droits LMSI ne sont jamais déduits lors du test de fiabilité[19].

[Nos italiques]

[26] Par conséquent, la question de savoir lequel de l’article 24 ou 25 sera appliqué pour établir les prix à l’exportation peut avoir des répercussions allant bien au-delà des montants, et le choix de l’article à appliquer doit être fait soigneusement même s’il n’y a aucune différence entre les prix à l’exportation établis selon l’un ou l’autre article.

POSITIONS DES PARTIES

Remington

[27] Remington prétend que le président de l’ASFC a commis une erreur dans le réexamen des droits antidumping en concluant que les prix à l’exportation de Remington établis selon l’article 24 de la LMSI étaient sujets à caution.

[28] Remington soutient que le test dont l’ASFC s’est servi pour déterminer la fiabilité du prix entrave le président dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et confond le résultat d’une conclusion portant sur la fiabilité et le degré de fiabilité.

[29] Remington soutient que le test, tel qu’il a été appliqué, mesure les bénéfices que réalise un importateur sur la revente de marchandises par rapport au montant pour les bénéfices calculé selon le sous-alinéa 25(1)d)(i) plutôt que la fiabilité des prix à l’exportation établis selon l’article 24. Remington affirme que ce test est basé sur des facteurs non pertinents ou qui dépassent le mandat du président et que ce dernier a par conséquent formulé un avis qui n’est ni juste ni impartial.

[30] Remington fait également valoir que, si le Tribunal devait accepter le test de fiabilité tel que le président l’a appliqué, alors ce dernier a conclu à tort que les prix à l’exportation de Remington ont échoué au test. Elle ajoute que l’ASFC aurait dû évaluer la différence entre les prix à l’exportation établis selon les articles 24 et 25 au regard de la valeur totale des opérations de l’échantillon, plutôt qu’au regard du volume, et qu’une évaluation de la valeur aurait produit un résultat « diamétralement opposé » [traduction]. Remington soutient qu’en l’espèce, il convenait de s’appuyer sur la valeur pour déterminer la fiabilité, parce que les transformateurs de puissance sont des marchandises faites sur mesure dont les prix de vente varient en fonction de la gamme de caractéristiques sur mesure que l’acheteur peut choisir.

[31] Remington affirme également que le président a appliqué des déductions incorrectes lorsqu’il a réexaminé les prix à l’exportation établis selon l’article 25 de la LMSI. À ce propos, Remington a présenté plusieurs arguments.

[32] Premièrement, Remington soutient qu’il ne fallait pas déduire les revenus de services, parce que l’alinéa 25(1)d) exige la déduction d’un montant pour les bénéfices et les frais engagés par l’importateur (c.-à-d. les frais directs et les frais de vente indirects) pour vendre une marchandise assemblée et non pas la déduction des revenus.

[33] Deuxièmement, Remington prétend (mais sans contester en soi le montant utilisé par l’ASFC pour les bénéfices) qu’il y a un « décalage manifeste » [traduction] lorsque les revenus de services sont déduits dans le calcul effectué selon l’alinéa 25(1)d), mais que le montant pour les bénéfices est calculé en fonction des bénéfices de fabrication, qui comprennent les revenus de services.

  • [34]Troisièmement, Remington soutient que l’ASFC a pour politique injuste de déduire le montant le plus élevé entre les frais et les revenus de service (la règle du plus élevé) afin de faire baisser les prix à l’exportation établis selon l’article 25.

  • [35]Quatrièmement, Remington fait valoir que les frais déduits devraient être ceux engagés par l’importateur et non pas les frais de tiers, parce que le calcul effectué selon l’alinéa 25(1)d) vise à donner une estimation de ce que l’importateur aurait payé pour les marchandises.

[36] Cinquièmement, Remington prétend qu’au même titre qu’elle déduit le montant le plus élevé entre les frais et les revenus de services, l’ASFC adopte aussi une politique injuste selon laquelle elle déduit le montant le plus élevé entre les frais et les revenus de tiers.

[37] Sixièmement, Remington soutient qu’une dépense imprévue et étrangère à la question n’aurait pas dû être déduite lors du calcul des prix à l’exportation établis selon l’article 25.

[38] Remington prétend que si toutes ces erreurs étaient corrigées, on en viendrait à conclure que ses prix à l’exportation établis selon l’article 24 étaient fiables.

[39] De plus, Remington prétend que la déduction des revenus de services était inéquitable sur le plan de la procédure et des faits, et contraire à la justice naturelle, parce que l’ASFC l’avait informée, à l’occasion d’une instance précédente, que le président avait déduit, et déduirait, les frais du prix à l’exportation selon l’alinéa 25(1)d). Ces erreurs de procédure n’ont pas été soulevées à titre de motifs d’appel distincts, mais ont plutôt été présentées comme étant pertinentes dans la mesure où elles sont liées à des erreurs de droit substantielles.

ASFC

[40] Pour sa part, l’ASFC soutient que le président a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire pour conclure que les prix à l’exportation établis selon l’article 24 étaient sujets à caution. L’ASFC prétend que la LMSI ne définit pas explicitement ni ne limite ce que signifie « sujet à caution » et que le Parlement a expressément accordé au président un vaste pouvoir discrétionnaire pour déterminer la fiabilité des prix à l’exportation établis selon l’article 24. De plus, l’ASFC affirme que le test de fiabilité donne aux importateurs la possibilité de montrer que leurs prix à l’exportation établis selon l’article 24 sont fiables, malgré le fait que la vente a lieu entre personnes associées, et qu’il garantit que l’avis du président s’appuie sur des faits, en plus d’être transparent et cohérent.

[41] L’ASFC soutient que la fiabilité des prix à l’exportation établis selon l’article 24 ne peut être établie que lorsque les prix à l’exportation selon les articles 24 et 25 sont comparés, car le méfait que l’enquête sur la fiabilité vise à exposer (dumping occulte ou secondaire) ne pourra être connu que si l’on examine le prix auquel l’importateur revend les marchandises au Canada. De plus, en réponse à l’argument de Remington selon lequel l’échantillon aurait dû être évalué en fonction de la différence de valeur totale, l’ASFC prétend que le test de fiabilité ne fonctionne pas de cette façon. Elle ajoute que le test de fiabilité ne permet pas de dire à quel point les prix à l’exportation établis selon l’article 25 sont inférieurs à ceux établis selon l’article 24, mais plutôt à quelle fréquence les premiers sont plus bas que les deuxièmes.

[42] L’ASFC soutient aussi que le président n’a pas commis d’erreur en excluant les revenus de services non en cause du calcul des prix à l’exportation établis selon l’article 25. Elle prétend que l’argument de Remington selon lequel il aurait fallu déduire les frais plutôt que les revenus démontre que l’entreprise a mal compris les calculs du président. En effet, le président n’a pas déduit les revenus ou les frais des services non en cause : il a plutôt éliminé les montants facturés pour ces services du prix de vente calculé, de sorte que le point de départ du calcul selon l’article 25 soit le véritable prix de vente des transformateurs.

[43] L’ASFC ajoute que le président n’a pas commis d’erreur en déduisant les dépenses de tiers lors du calcul des prix à l’exportation selon les articles 24 et 25. En ce qui concerne le calcul selon l’article 24, l’ASFC soutient, d’une part, que la raison d’être des déductions est de soustraire les coûts associés au transport et à l’exportation des marchandises en cause pour parvenir à un prix de vente à la sortie d’usine comparable aux valeurs normales et, d’autre part, que le libellé de la LMSI ne limite pas les déductions aux frais engagés par l’importateur. Au sujet du calcul selon l’article 25, l’ASFC prétend que l’affirmation de Remington selon laquelle la référence explicite à « entre autres l’exportateur ou l’importateur » ne devrait pas s’appliquer et que seuls les frais engagés directement par l’importateur devraient être déduits est sans fondement. À ce propos, l’ASFC ajoute qu’étant donné que les trois parties sont associées, le président devait tenir compte des frais engagés par chacune d’elles pour garantir qu’elles ne contournaient pas les mesures antidumping par le truchement d’opérations entre parties apparentées.

[44] Concernant les allégations de Remington selon lesquelles la déduction des revenus de services était inéquitable sur le plan de la procédure et des faits, l’ASFC soutient qu’elles ne sont pas fondées et que, de toute façon, il est de jurisprudence constante que le Tribunal n’a pas compétence pour entendre des appels portant sur des questions d’équité procédurale ou de justice naturelle.

ABB

[45] ABB soutient que la disposition de la LMSI pertinente pour ce qui est d’établir les prix à l’exportation en l’espèce est l’alinéa 25(1)c) plutôt que l’alinéa 25(1)d), parce que les marchandises ont été vendues « dans le même état que lors de leur importation effective ou future » (c.-à-d. non montées) plutôt que « pour montage ». ABB reconnaît que le calcul prévu à cette disposition mènerait aux mêmes prix à l’exportation ainsi qu’aux mêmes conclusions sur la fiabilité auxquelles l’ASFC est parvenue et qu’il reflète essentiellement déjà l’approche de cette dernière.

[46] ABB soutient que la LMSI confère au président un grand pouvoir discrétionnaire lorsqu’il s’agit de déterminer la fiabilité et que ni la LMSI ni le Règlement ne précisent de quelle manière il doit s’y prendre pour forger son opinion. ABB soutient qu’il n’y a aucune raison de principe d’accepter le « test de valeur » proposé par Hyundai Canada et qu’il était raisonnable pour l’ASFC d’appliquer le test fondé sur le volume. En ce qui concerne la conclusion de non-fiabilité comme telle, ABB soutient que la seule existence d’une association suffit à conclure que le prix à l’exportation établi selon l’article 24 de la LMSI est sujet à caution.

[47] Au sujet de la déduction des revenus de services, ABB soutient que l’ASFC a eu raison d’examiner les marchandises et les services non en cause pour établir le prix des marchandises plutôt que de s’appuyer sur les frais liés à ces marchandises et à ces services. ABB prétend que l’argument de Remington au sujet de la différence entre les revenus et les coûts est un faux-fuyant et que le nœud du litige est plutôt la mauvaise compréhension, par Remington, des calculs de l’ASFC. ABB soutient aussi que Remington a tort d’affirmer que l’ASFC a déduit en double les profits, puisque ni les frais ni les revenus associés aux sources de revenus non visées n’ont été inclus dans les valeurs normales ou les prix à l’exportation dans l’approche de l’ASFC.

[48] En ce qui concerne l’argument sur la déduction des frais engagés par des tiers, ABB soutient que les arguments de Remington, comme ceux qu’elle a faits au sujet de la déduction des revenus de services, sont sans fondement. ABB soutient qu’aux termes de la LMSI, l’ASFC doit déduire les frais engagés par l’exportateur, l’importateur ou autre pour parvenir au prix de vente à la sortie d’usine et que le fait de ne pas effectuer ces déductions empêcherait une comparaison juste des valeurs normales et des prix à l’exportation.

ANALYSE

[49] Pour les mêmes motifs que ceux exposés dans les décisions EA-2019-008 et EA-2019-010, le Tribunal conclut que les directives et la politique qui figurent dans le Guide LMSI constituent une interprétation erronée des articles 24 et 25 de la LMSI, dans la mesure où elles réduisent le test de fiabilité à une simple comparaison des prix à l’exportation établis selon l’article 24 aux prix à l’exportation construits selon l’article 25.

[50] Par ailleurs, toujours pour les mêmes motifs que ceux exposés dans les décisions EA-2019-008 et EA-2019-010, le Tribunal tire plusieurs conclusions concernant les déductions faites lors du réexamen des prix à l’exportation selon les articles 24 et 25 de la LMSI :

  • a)Le Tribunal conclut que les déductions des revenus de services ne constituent pas des déductions faites aux prix à l’exportation établis selon l’article 25. Il est d’avis qu’elles représentent plutôt la valeur des services qui avait à juste titre été exclue du calcul selon l’article 25 dès le départ, au motif qu’elle ne concernait pas la valeur ou le prix des marchandises en cause.

  • b)Le Tribunal conclut qu’étant donné que le montant des bénéfices n’est pas contesté, la déduction de ce montant ne peut être remise en question, peu importe que des montants relatifs aux bénéfices réalisés sur les services aient servi ou non au calcul des bénéfices.

  • c)Le Tribunal n’est pas convaincu que la preuve démontre que l’ASFC a sélectionné le montant le plus élevé entre les dépenses et les revenus de services, afin de réduire les prix à l’exportation établis selon l’article 25.

  • d)Le Tribunal conclut que l’ASFC a déduit à juste titre les dépenses de tiers dans le but d’établir le prix de vente à la sortie d’usine.

  • e)Pour des motifs d’économie des ressources judiciaires, le Tribunal ne tranchera pas la question de savoir s’il faudrait appliquer l’alinéa 25(1)c) plutôt que l’alinéa 25(1)d). En effet, dans le contexte de la présente instance, rien ne dépend de la réponse à cette question.

[51] En plus de ce qui précède, relativement à l’affirmation de Remington selon laquelle une dépense imprévue est étrangère à la question et n’aurait pas dû être déduite du prix calculé selon l’article 25, le Tribunal conclut que rien dans la LMSI n’étaye cette affirmation[20]. La prévisibilité des dépenses n’est pas pertinente pour établir un prix assez comparable dans le cadre d’une opération. Toute dépense engagée relativement aux marchandises en cause doit être déduite, peu importe qu’il s’agisse d’une dépense prévue ou non.

DÉCISION

[52] L’appel est accueilli en partie. Le Tribunal renvoie les décisions du président à l’ASFC pour réexamen compte tenu des motifs exposés ci-dessus.

Serge Fréchette

Serge Fréchette
Membre présidant

 



[1] Remington a fait remarquer lors de l’audience que sa dénomination exacte est Remington Sales Co. s/n Hyundai Heavy Industries (Canada). Voir Transcription de l’audience publique (25 novembre 2020) à la p. 4.

[2] Voir EA-2019-008 et EA-2019-010.

[3] Voir Transformateurs à liquide diélectrique (20 novembre 2012), NQ-2012-001 (TCCE). Le 21 novembre 2012, une demande de contrôle judiciaire de la décision définitive de dumping de l’ASFC a été présentée à la Cour d’appel fédérale (CAF) par Hyundai Heavy Industries. Le 6 décembre 2013, la CAF a annulé la décision définitive de l’ASFC et a renvoyé l’affaire au président de l’ASFC pour un réexamen selon les motifs de la CAF. Le 6 mars 2014, le président a rendu une nouvelle décision définitive aux termes de l’alinéa 41.1(1)a) de la LMSI. Le 31 mai 2016, le Tribunal a décidé, dans le contexte de la tenue d’un réexamen intermédiaire visant à déterminer si ses conclusions antérieures étaient touchées par la nouvelle décision définitive de dumping, de maintenir sans modification ses conclusions selon lesquelles le dumping avait causé un dommage à la branche de production nationale.

[4] Pièce EA-2019-009-06 aux p. 5, 81.

[5] Pièce EA-2019-009-06A (protégé) aux p. 4637–4638, 4643–4646.

[6] Ibid. aux p. 4651–4652.

[7] Ibid. aux p. 4670–4732.

[8] Pièce EA-2019-009-01.

[9] Pièce EA-2019-009-04.

[10] Pièce EA-2019-009-08.

[11] Pièce EA-2019-009-10.

[12] Pièce EA-2019-009-11.

[13] Pièce EA-2019-009-12.

[14] Pièce EA-2019-009-21.

[15] Pièce EA-2019-009-22.

[16] Pièce EA-2019-009-42.

[17] Pièce EA-2019-009-07 à la p. 1378.

[18] Ibid.

[19] Ibid. à la p. 1389.

[20] La nature de l’imprévu étant confidentielle, le Tribunal ne peut donner plus de détails dans les présents motifs.

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