Appels en matière de douanes et d’accise

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EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

[1] Le présent appel est interjeté par M. J. Scherrer auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes (la Loi)[1] relativement à une décision rendue le 15 novembre 2021 par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi.

[2] La question en litige consiste à déterminer si dix (10) couteaux, comprenant divers modèles de couteaux pliants MTech et Tac-Force (les marchandises en cause), importés par M. Scherrer sont correctement classés dans le numéro tarifaire 9898.00.00 de l’annexe du Tarif des douanes[2] à titre d’armes prohibées, dont l’importation au Canada est donc interdite aux termes du paragraphe 136(1) du Tarif des douanes.

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

[3] Le 23 juillet 2021 ou vers cette date, les marchandises en cause sont arrivées au Canada par courrier et ont été retenues par l’ASFC[3].

[4] La même journée, l’ASFC a déterminé que les marchandises en cause étaient des armes prohibées au sens du numéro tarifaire 9898.00.00 et a refusé leur importation au Canada[4].

[5] Le 20 août 2021, l’ASFC a reçu une demande de révision de M. Scherrer aux termes du paragraphe 60(1) de la Loi[5].

[6] Le 15 novembre 2021, l’ASFC a rendu une autre décision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi, maintenant sa décision initiale selon laquelle les marchandises en cause avaient été correctement classées dans le numéro tarifaire 9898.00.00 à titre d’armes prohibées[6].

[7] Le 9 février 2022, M. Scherrer a interjeté le présent appel aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi[7].

[8] Le 16 août 2022, le Tribunal a tenu une audience sur pièces, conformément aux articles 25 et 25.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur[8]. Les marchandises en cause ont été mises à la disposition du Tribunal, qui les a examinées au cours de l’audience sur pièces[9].

DESCRIPTION DES MARCHANDISES EN CAUSE

[9] Les marchandises en cause comprennent divers modèles de couteaux pliants de deux marques différentes, à savoir des couteaux à lame pliante MTech (modèle TF-428) et des couteaux pliants à ressort Tac-Force (modèle MT-A906)[10].

[10] La taille et la couleur des marchandises en cause varient, mais ces dernières sont similaires à tous les égards pertinents. Plus important encore, elles comportent toutes une protubérance ou un ergot. Quand leur lame est en position fermée, l’application d’une pression manuelle ou pression du doigt sur l’ergot entraîne le déploiement de la lame en position entièrement ouverte et verrouillée[11].

CADRE LÉGISLATIF

[11] Le paragraphe 136(1) du Tarif des douanes prévoit ce qui suit : « L’importation des marchandises de nos tarifaires 9897.00.00, 9898.00.00 ou 9899.00.00 est interdite. »

[12] Les dispositions pertinentes du numéro tarifaire 9898.00.00 sont les suivantes :

Armes à feu, armes prohibées, armes à autorisation restreinte, dispositifs prohibés, munitions prohibées et éléments ou pièces conçus exclusivement pour être utilisés dans la fabrication ou l’assemblage d’armes automatiques, désignés comme « marchandises prohibées » au présent numéro tarifaire […]

Pour l’application du présent numéro tarifaire :

b) « arme à autorisation restreinte », « arme à feu à autorisation restreinte », « arme à feu prohibée », « arme automatique », « arme prohibée », « dispositif prohibé », « munitions prohibées » et « permis » s’entendent au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel; […]

[13] Lorsqu’il est question du classement de marchandises dans le numéro tarifaire 9898.00.00, le paragraphe 136(2) du Tarif des douanes prévoit que les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé[12] ne s’appliquent pas. De plus, la note 1 du chapitre 98 de l’annexe du Tarif des douanes prévoit que « [l]es marchandises qui sont décrites dans une disposition du présent Chapitre peuvent être classées dans ladite disposition si les conditions et les exigences de celle-ci et de tout autre règlement applicable sont respectées ».

[14] La question de savoir si les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 9898.00.00 doit donc être déterminée en fonction des dispositions de ce numéro tarifaire ainsi que des exigences et conditions applicables du Code criminel.

[15] Le Tarif des douanes prévoit que le terme « arme prohibée » a la même signification que celle donnée au paragraphe 84(1) du Code criminel, lequel définit « arme prohibée » de la façon suivante :

arme prohibée

a) Couteau dont la lame s’ouvre automatiquement par gravité ou force centrifuge ou par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche;

b) toute arme — qui n’est pas une arme à feu — désignée comme telle par règlement. (prohibited weapon)

[16] En résumé, afin de déterminer si les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 9898.00.00 à titre d’arme prohibée et, par conséquent, à titre de marchandises dont l’importation est interdite au Canada, le Tribunal doit déterminer si elles correspondent à la définition ci‑dessus de l’alinéa 84(1)a) du Code criminel.

POSITIONS DES PARTIES

J. Scherrer

[17] M. Scherrer a soutenu que des couteaux identiques ou similaires aux marchandises en cause sont vendus en ligne et dans des magasins de détail canadiens. M. Scherrer a souligné que, bien que des détaillants canadiens aient été autorisés à importer ces couteaux à des fins de vente, il n’a pas été autorisé à faire de même[13].

[18] M. Scherrer a ajouté que les marchandises en cause n’étaient pas destinées à être vendues, mais plutôt à être reçues comme cadeau de Noël[14].

[19] Enfin, M. Scherrer a affirmé que les organismes d’application de la loi ne considèrent pas ces types de couteaux comme des armes prohibées, puisqu’il leur aurait incombé de saisir les couteaux et de déposer des accusations pour toute vente ou distribution de ces armes[15]. M. Scherrer a également allégué que l’ASFC « agit seule pour déterminer que ces couteaux sont des armes prohibées aux termes du Code criminel » [traduction][16].

ASFC

[20] L’ASFC a soutenu que M. Scherrer ne s’était pas acquitté de son fardeau de preuve. À cet égard, l’ASFC a fait valoir, entre autres, que M. Scherrer n’avait invoqué aucun motif permettant au Tribunal de conclure que le classement de l’ASFC était incorrect et que, par conséquent, il n’avait pas, à première vue, établi une preuve suffisante[17].

[21] À titre subsidiaire, l’ASFC a soutenu que le classement des marchandises en cause est conforme au cadre législatif applicable, ainsi qu’à la jurisprudence du Tribunal. Plus précisément, l’ASFC a fait valoir que les marchandises en cause correspondent à la définition d’« arme prohibée », parce que les couteaux ont des lames qui s’ouvrent « automatiquement » par pression manuelle sur un « dispositif incorporé ou attaché au manche »[18].

[22] À l’appui de sa position, l’ASFC a présenté deux arguments principaux. Premièrement, elle a allégué que les marchandises en cause ont des lames qui s’ouvrent « automatiquement » [traduction], conformément à la jurisprudence du Tribunal. En particulier, elle a soutenu qu’en exerçant une pression manuelle sur l’ergot à l’aide de l’index, la lame se déploie rapidement et inévitablement, et s’ouvre en position entièrement ouverte et verrouillée. Elle a également soutenu que l’ouverture de la lame implique une manipulation facile, permettant ainsi un déploiement rapide, et que la lame du couteau s’ouvre d’une main et ne nécessite aucune séquence d’étapes. Deuxièmement, l’ASFC s’appuie sur la décision du Tribunal dans l’affaire M. Abbas[19] pour avancer que le Tribunal avait conclu que des couteaux similaires avec une protubérance ou un ergot en forme de languette, intégré au reste de la lame, correspondaient à la deuxième partie de la définition d’« arme prohibée »[20].

[23] L’ASFC a également soutenu que le Tribunal a toujours conclu que les considérations relatives à la vente de marchandises similaires au Canada ne sont pas pertinentes aux fins du classement dans le numéro tarifaire 9898.00.00. De même, l’ASFC a soutenu que le fait qu’elle ait ou non saisi des couteaux similaires ou identiques n’est pas pertinent aux fins du classement[21].

[24] Enfin, l’ASFC a soutenu que le Tribunal a toujours conclu que l’utilisation prévue des marchandises n’a aucune incidence sur la détermination du classement correcte de couteaux dans le numéro tarifaire 9898.00.00 à titre d’armes prohibées, et que cette détermination est strictement limitée à une évaluation des caractéristiques physiques des couteaux au moment de leur importation au Canada[22].

ANALYSE

Les marchandises en cause sont des armes prohibées

[25] Le paragraphe 152(3) de la Loi impose à M. Scherrer le fardeau de preuve de démontrer que les marchandises en cause sont incorrectement classées dans le numéro tarifaire 9898.00.00 à titre d’armes prohibées[23]. Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que M. Scherrer ne s’est pas acquitté de ce fardeau.

[26] Pour déterminer si les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 9898.00.00 à titre d’armes prohibées, le Tribunal doit tenir compte des caractéristiques, des propriétés et du fonctionnement des marchandises afin de déterminer, selon les faits, si les marchandises en cause correspondent à la définition d’« arme prohibée » énoncée à l’alinéa 84(1)a) du Code criminel. En d’autres termes, le Tribunal doit déterminer si les marchandises en cause ont des lames qui s’ouvrent « automatiquement » de l’une des deux façons suivantes : (1) par gravité ou force centrifuge; ou (2) par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche du couteau.

[27] En ce qui concerne l’automatisation, le Tribunal a conclu que « automatiquement », dans le contexte de l’alinéa 84(1)a) du Code criminel, signifie « de manière essentiellement ou entièrement involontaire », et que la manipulation minimale n’annule pas l’automatisation du déploiement de la lame[24]. En d’autres termes, « automatiquement » ne signifie pas sans aucune intervention humaine. Le Tribunal a également conclu que, « [s]i l’ouverture du couteau est déclenchée par un mécanisme simple ou une manipulation minimale entraînant une ouverture rapide et inévitable de la lame et son verrouillage, le couteau s’ouvre automatiquement »[25].

[28] En ce qui concerne la question de savoir si une lame de couteau s’ouvre « par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche », le terme « dispositif » a été défini largement dans la jurisprudence du Tribunal[26]. Le Tribunal a également déjà affirmé que les considérations liées à l’automatisation d’un couteau demeurent essentielles pour déterminer si un couteau comporte un « un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche »[27].

[29] En l’espèce, après avoir examiné l’ensemble de la preuve au dossier, le Tribunal est d’avis que M. Scherrer n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour le convaincre que le classement de l’ASFC était incorrect. En fait, les éléments de preuve dont était saisi le Tribunal démontrent, selon la prépondérance des probabilités, que les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 9898.00.00 à titre d’armes prohibées, comme l’a déterminé l’ASFC.

[30] Le Tribunal a eu l’occasion d’examiner attentivement les marchandises en cause au cours de l’audience sur pièces et est convaincu qu’elles correspondent à la définition d’« arme prohibée » énoncée dans le Code criminel.

[31] L’examen des marchandises en cause effectué par le Tribunal et les éléments de preuve versés au dossier[28] révèlent que l’application d’une pression manuelle minimale ou d’une pression minimale du doigt sur l’ergot des marchandises en cause entraîne l’ouverture rapide de la lame en position entièrement déployée et verrouillée. Au cours de l’examen du Tribunal, le soussigné a manipulé les marchandises en cause et a constaté qu’une fois que l’ouverture de la lame est amorcée par l’application d’une pression manuelle minimale ou d’une pression minimale du doigt, les couteaux en cause ne permettraient pas à l’utilisateur de contrôler le déploiement et la vitesse à laquelle la lame se déploie rapidement en position ouverte et verrouillée.

[32] Comme l’a fait remarquer l’ASFC, selon la jurisprudence, l’objet de l’alinéa 84(1)a) du Code criminel est d’interdire l’utilisation de couteaux qui peuvent être facilement dissimulés et ouverts rapidement, comme ceux en cause, les rendant facilement utilisables comme arme[29]. Le Tribunal est donc convaincu que les marchandises en cause s’ouvrent « automatiquement ».

[33] Le Tribunal est également convaincu, conformément aux précédents du Tribunal[30], que les marchandises en cause ont des lames qui s’ouvrent « par pression manuelle sur un […] dispositif incorporé ou attaché au manche ». Comme l’a fait remarquer l’ASFC, les marchandises en cause sont similaires au couteau en cause dans l’affaire M. Abbas, où le Tribunal a conclu que le couteau s’ouvrait automatiquement par l’application d’une pression manuelle appliquée sur un bouton, un ressort ou un autre dispositif. Dans cette affaire, le Tribunal a conclu que la protubérance ou l’ergot en forme de languette constituait un dispositif incorporé ou attaché au manche du couteau[31].

[34] De plus, l’examen et la manipulation des marchandises en cause par le Tribunal démontrent clairement que l’objet de l’ergot des couteaux est de permettre l’ouverture rapide et automatique de leur lame. Comme il est mentionné précédemment, une fois une pression exercée sur l’ergot, la lame est libérée et s’ouvre automatiquement.

[35] À la lumière de ce qui précède, le Tribunal conclut que les marchandises en cause sont des armes prohibées au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel. Par conséquent, les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 9898.00.00 à titre d’armes prohibées.

Les arguments présentés par M. Scherrer ne sont pas pertinents aux fins du classement

[36] Compte tenu des exigences de la Loi et des précédents du Tribunal, les arguments soulevés par M. Scherrer dans le cadre du présent appel ne peuvent pas être accueillis.

[37] Le Tribunal a toujours conclu que la vente, la disponibilité ou la présence de marchandises ou couteaux similaires au Canada n’a aucune incidence sur sa détermination de la question de savoir si les marchandises sont des armes prohibées dont l’importation est interdite au Canada[32]. De même, le Tribunal a toujours conclu que les critères d’interdiction de certains types de couteaux se rapportent aux caractéristiques du couteau en cause et ne dépendent en rien des intentions ou de la bonne foi de la personne qui cherche à importer le couteau[33].

[38] Par conséquent, les considérations soulevées par M. Scherrer concernant la mise en vente de couteaux similaires partout au Canada ou le fait que les marchandises en cause visaient à être reçues comme cadeau de Noël n’ont aucune incidence et ne sont pas pertinentes aux fins de classement aux termes du Tarif des douanes.

[39] Enfin, bien que M. Scherrer affirme que les organismes d’application de la loi ne considèrent pas les marchandises en cause comme des armes prohibées, puisqu’il leur aurait incombé de saisir les couteaux et de déposer des accusations pour toute vente ou distribution de ces armes, le Tribunal conclut également que de telles considérations n’ont aucune incidence et ne sont pas pertinentes aux fins du classement.

[40] Le Tribunal a conclu que l’action ou l’inaction administrative de l’ASFC ne modifie pas la loi[34]. Il a également conclu que le fait que des expéditions n’aient pas été saisies ou interceptées par l’ASFC n’est pas pertinent aux fins du classement[35]. De même, le Tribunal conclut que l’action ou l’inaction d’organismes d’application de la loi autres que l’ASFC, comme la police, ou les activités d’application de la loi en tant que telles, n’a aucune incidence et n’est pas pertinente aux fins du classement des marchandises importées aux termes du Tarif des douanes.

DÉCISION

[41] Compte tenu des motifs susmentionnés, l’appel est rejeté.

 



[18] Ibid. aux par. 27–28.

[21] Ibid. aux par. 37–39.

[22] Ibid. aux par. 40–41.

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