Appels en matière de douanes et d’accise

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Appel AP-2022-009

Stanley Black & Decker Canada Corporation

c.

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Décision et motifs rendus
le mercredi 1er mars 2023

 



EU ÉGARD À un appel instruit le 29 novembre 2022 en vertu de l’article 67 de la Loi sur les douanes;

ET EU ÉGARD À une décision rendue le 18 mars 2022 par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

STANLEY BLACK & DECKER CANADA CORPORATION

Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est accueilli.

Eric Wildhaber

Eric Wildhaber
Membre présidant


 

Lieu de l’audience :

Vidéoconférence

Date de l’audience :

le 29 novembre 2022

Membre du Tribunal :

Eric Wildhaber, membre présidant

Personnel du Secrétariat du Tribunal :

Isaac Turner, conseiller juridique
Sarah Sharp-Smith, agente du greffe
Morgan Oda, agente du greffe

PARTICIPANTS :

Appelante

Conseillers/représentants

Stanley Black & Decker Canada Corporation

Michael Sherbo
Andrew Simkins

Intimé

Conseiller/représentant

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Narin Sdieq

TÉMOINS :

Steve Whidden
Directeur de la commercialisation
Stanley Black & Decker Canada

 

 

 

Veuillez adresser toutes les communications à :

La greffière adjointe
Téléphone : 613-993-3595
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

APERÇU

[1] Stanley Black & Decker Canada Corporation (Stanley Black & Decker) a déposé le présent appel auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur le 26 mai 2002, aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes (Loi)[1], à l’encontre d’une décision rendue le 18 mars 2022 par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) aux termes du paragraphe 60(4), concernant une demande de réexamen d’un classement tarifaire.

[2] Il s’agit pour le Tribunal de déterminer, en l’espèce, si les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 8513.10.90 en tant qu’« autres lampes », comme l’a établi l’ASFC, ou si elles devraient être classées dans le numéro tarifaire 8513.10.10 en tant que « lampes de poche », comme le fait valoir Stanley Black & Decker.

[3] Comme il est expliqué ci-après, le Tribunal conclut que les marchandises en cause sont des « lampes de poche » classées dans le numéro tarifaire 8513.10.10.

MARCHANDISES EN CAUSE

[4] Les marchandises en cause sont huit modèles de lampes électriques portatives. Elles fonctionnent à piles et sont munies d’ampoules à diodes électroluminescentes (DEL). Elles ont toutes une poignée et une tête pivotante.

[5] Les modèles en cause sont les suivants : Porter‑Cable lampe de poche sans fil à DEL 20 V MAX (PCC700B); Craftsman lampe de travail à DEL V20 (CMCL020B); Craftsman lampe de travail à DEL V20 (CMCL050B); DeWalt lampe de travail à DEL 20 V MAX (DCL040); DeWalt projecteur de chantier à DEL 20V MAX (DCL043); DeWalt lampe de travail à DEL 20 V MAX (DCL044); DeWalt lampe de chantier à DEL 20 V MAX (DCL050); DeWalt lampe de travail à DEL 12 V MAX (DCL510).[2]

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

[6] Entre mai 2019 et octobre 2021, Stanley Black & Decker a importé les marchandises en cause lors de multiples transactions et les a inscrites dans le numéro tarifaire 8513.10.10 en tant que « lampes de poche » dans sa déclaration en détail.

[7] Le 4 décembre 2020, l’ASFC a informé Stanley Black & Decker qu’elle avait été choisie pour faire l’objet d’une vérification de l’observation commerciale du classement tarifaire des marchandises déclarées en tant que « lampes de poche et lampes de sûreté pour mineurs » au cours de la période allant du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2019, conformément aux articles 42 et 42.01 de la Loi[3].

[8] Le 22 juin 2021, l’ASFC a publié le rapport provisoire de sa vérification de l’observation commerciale. L’ASFC y faisait savoir que certaines marchandises étaient erronément classées dans le numéro tarifaire 8513.10.10 en tant que « lampes de poche », et qu’elles étaient correctement classées dans le numéro tarifaire 8513.10.90 en tant qu’« autres lampes »[4].

[9] Le 4 août 2021, après avoir reçu les observations de Stanley Black & Decker au sujet du rapport provisoire, le 22 juillet 2022, l’ASFC a publié son rapport final de vérification de l’observation commerciale. L’ASFC y maintenait la classification des marchandises dans le numéro tarifaire 8513.10.90 en tant qu’« autres lampes »[5].

[10] Conformément au rapport final de l’ASFC et au paragraphe 32.2(2) de la Loi, Stanley Black & Decker a apporté des corrections à ses déclarations concernant le classement tarifaire des marchandises en cause, y compris celles qui n’étaient pas visées par la vérification de l’observation commerciale de l’ASFC[6]. Aux fins de l’application de la Loi, ces corrections sont traitées comme s’il s’agissait de révisions en vertu de l’alinéa 59(1)a)[7].

[11] Le 20 septembre 2021 et le 23 novembre 2021, Stanley Black & Decker a demandé un réexamen aux termes du paragraphe 60(1) de la Loi. Stanley Black & Decker a fait valoir que les marchandises devraient être classées dans le numéro tarifaire 8513.10.10 en tant que « lampes de poche »[8].

[12] Le 2 décembre 2021, l’ASFC a rendu une décision provisoire dans laquelle elle concluait que les marchandises en cause sont classées dans le numéro tarifaire 8513.10.90 en tant qu’« autres lampes[9] ».

[13] Le18 mars 2022, conformément au paragraphe 60(4) de la Loi, l’ASFC a rendu une décision définitive confirmant que les marchandises en cause sont classées dans le numéro tarifaire 8513.10.90 en tant qu’« autres lampes[10] ».

[14] Stanley Black & Decker a déposé le présent appel le 26 mai 2022[11].

[15] Le Tribunal a tenu une audience par vidéoconférence le 29 novembre 2022.

[16] Steven Whidden, directeur de la commercialisation des produits chez Stanley Black & Decker, a témoigné à l’audience. L’ASFC n’a pas appelé de témoins.

CADRE LÉGISLATIF

[17] La nomenclature tarifaire est énoncée en détail dans l’annexe du Tarif des douanes[12], qui est conforme au Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (le Système harmonisé) élaboré par l’Organisation mondiale des douanes (OMD)[13]. L’annexe est divisée en sections et en chapitres et chaque chapitre de l’annexe contient une liste de marchandises classées dans des positions, sous-positions et numéros tarifaires.

[18] Le paragraphe 10(1) du Tarif des douanes prévoit que le classement des marchandises importées est effectué, sauf indication contraire, en conformité avec les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé[14] (Règles générales) et les Règles canadiennes[15] énoncées à l’annexe.

[19] Les Règles générales sont composées de six règles. Le classement commence par la règle 1, qui prévoit que le classement doit être déterminé d’après les termes des positions et des notes de section ou de chapitre et, lorsqu’elles ne sont pas contraires aux termes desdites positions et notes, d’après les autres règles.

[20] L’article 11 du Tarif des douanes prévoit que, pour l’interprétation des positions et des sous‑positions, le Tribunal doit tenir compte du Recueil des Avis de classement du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[16] (Avis de classement) et des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises[17] (Notes explicatives), publiés par l’OMD. Bien que les Avis de classement et les Notes explicatives n’aient pas force exécutoire, le Tribunal les applique à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire[18].

[21] Par conséquent, le Tribunal doit d’abord déterminer si les marchandises en cause peuvent être classées conformément à la règle 1 des Règles générales, selon les termes de la position et les notes de section ou de chapitre pertinentes du Tarif des douanes, compte tenu des notes explicatives et des avis de classement pertinents. C’est seulement lorsque la Règle 1 ne permet pas d’arrêter de manière concluante le classement d’une marchandise qu’il faudra recourir aux autres règles générales[19].

[22] Une fois que le Tribunal a utilisé cette méthode pour déterminer la position dans laquelle les marchandises en cause doivent être classées, l’étape suivante consiste à utiliser une méthode similaire pour déterminer la sous-position appropriée[20]. La dernière étape consiste à déterminer le numéro tarifaire approprié[21].

[23] Les dispositions pertinentes du Tarif des douanes sont les suivantes :

Section XVI : Machines et appareils, matériel électrique et leurs parties; Appareils d’enregistrement ou de reproduction du son, appareils d’enregistrement ou de reproduction des images et du son en télévision, et parties et accessoires de ces appareils

Section XVI: Machinery and Mechanical Appliances; Electrical Equipment; Parts Thereof; Sound Recorders and Reproducers, Television Image and Sound Recorders and Reproducers, and Parts and Accessories of Such Articles

 

Chapitre 85

MACHINES, APPAREILS ET MATÉRIELS ÉLECTRIQUES ET LEURS PARTIES; APPAREILS D’ENREGISTREMENT OU DE REPRODUCTION DU SON, APPAREILS D’ENREGISTREMENT OU DE REPRODUCTION DES IMAGES ET DU SON EN TÉLÉVISION, ET PARTIES ET ACCESSOIRES DE CES APPAREILS

Chapter 85

ELECTRICAL MACHINERY AND EQUIPMENT AND PARTS THEREOF; SOUND RECORDERS AND REPRODUCERS, TELEVISION IMAGE AND SOUND RECORDERS AND REPRODUCERS, AND PARTS AND ACCESSORIES OF SUCH ARTICLES

 

85.13 Lampes électriques portatives, destinées à fonctionner au moyen de leur propre source d’énergie (à piles, à accumulateurs, électromagnétiques, par exemple), autres que les appareils d’éclairage du no 85.12.

85.13 Portable electric lamps designed to function by their own source of energy (for example, dry batteries, accumulators, magnetos), other than lighting equipment of heading 85.12.

 

8513.10 -Lampes

8513.10.10 - - -Lampes de poche;

Lampes de sûreté pour mineurs

8513.10.90 - - -Autres

8513.10 -Lamps

8513.10.10 - - -Flashlights;

Miners’ safety lamps

8513.10.90 - - -Other

 

[24] Il n’existe pas de notes légales ou d’avis de classement pertinents.

[25] Les notes explicatives de la position 85.13 prévoient ce qui suit[22] :

La présente position a trait aux lampes électriques portatives destinées à fonctionner au moyen d’une source d’énergie autonome, telle que pile, accumulateur, dispositif électromagnétique.

Généralement, les deux éléments, c’est-à-dire la lampe proprement dite et la source d’énergie, sont assemblés en connexion directe, le plus souvent dans un boîtier commun. Toutefois, dans certains types, ils sont séparés et reliés l’un à l’autre par des fils conducteurs.

Les termes lampes portatives désignent seulement les lampes (dispositif d’éclairage et source d’énergie) qui sont conçues pour être utilisées à la main ou sur la personne, ou encore pour être fixées sur un article ou un objet portatifs. Elles sont généralement pourvues d’une poignée ou d’un dispositif d’attache et sont reconnaissables grâce à leur forme particulière et à leur faible poids. Ne répondent pas à cette définition, par exemple, l’appareillage pour l’éclairage des automobiles ou des cycles ( 85.12), ainsi que les appareils d’éclairage, que l’on branche sur une installation fixe ( 94.05).

Parmi les lampes reprises ici, on peut citer :

1) Les lampes de poche, dont certaines, dites lampes-dynamos, sont alimentées au moyen d’un dispositif magnéto-électrique actionné à la main par l’intermédiaire d’un levier à ressort.

2) Les autres lampes à main, telles que les lampes dites torches ou projecteurs, dont certaines sont à faisceau réglable. Assez fréquemment, ces lampes comportent un dispositif simple pour les accrocher momentanément à une paroi quelconque. Parfois aussi, elles sont conçues pour être posées, à même le sol par exemple.

3) Lampes, torches ou lampes de poche sous la forme de stylos, souvent équipées d’un système de fixation (« clip ») permettant de maintenir l’appareil sur la poche de l’utilisateur quand ce dernier ne l’utilise pas.

4) Les lampes portatives équipées pour l’émission de signaux lumineux.

5) Les lampes de sûreté pour mineurs, dont le dispositif d’éclairage s’adapte au casque, tandis que la source d’énergie (accumulateur) s’accroche généralement à la ceinture.

6) Sous réserve qu’il s’agisse de lampes destinées à fonctionner au moyen de leur propre source de courant (au moyen d’une pile placée dans la poche de l’utilisateur, par exemple), les lampes frontales à dispositif serre-tête d’un type d’emploi général utilisées par les bijoutiers, horlogers, médecins, etc., à l’exclusion des lampes spécialement conçues pour le diagnostic des affections de la gorge, des oreilles, par exemple ( 90.18).

7) Les lampes portatives, dites de fantaisie, affectant la forme de cigares, de pistolets, de stylos, etc. et, pour autant que la fonction principale soit l’éclairage, les articles consistant en l’association ou la combinaison d’une lampe et d’un stylo, d’une lampe et d’un porte-clés, d’une lampe et d’un tournevis, etc.

8) Lampes de lecture équipées d’un système permettant d’être fixées à un livre ou à un magazine.

[Caractères gras dans l’original]

POSITIONS DES PARTIES

[26] Les parties s’entendent pour dire que les marchandises en cause sont correctement classées dans la position 85.13 en tant que « lampes électriques portatives » et dans la sous-position 8513.10 en tant que « lampes[23] ». Le litige porte sur le numéro tarifaire.

[27] Les parties conviennent par ailleurs que, puisque le numéro tarifaire 8513.10.90 est un numéro tarifaire résiduel, il convient en premier lieu de se demander si les marchandises sont classées dans le numéro tarifaire 8513.10.10 en tant que « lampes de poche ».

Stanley Black & Decker

[28] Stanley Black & Decker soutient que les marchandises en cause devraient être classées dans le numéro tarifaire 8513.10.10 en tant que « lampes de poche », parce que les lampes de poche sont des lampes électriques portatives de petite taille et que les marchandises en cause correspondent à cette définition. À l’appui de cette position, Stanley Black & Decker s’en remet à deux définitions du mot anglais « flashlight »[24] (lampe de poche) trouvées dans les dictionnaires, que le Tribunal a citées dans la décision Supertek Canada Inc. c. Le commissaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada[25].

[29] Stanley Black & Decker fait valoir que les marchandises en cause sont conçues, commercialisées et vendues en tant que « lampes de poche », malgré qu’elle utilise aussi d’autres termes de façon interchangeable à des fins de promotion.

[30] Stanley Black & Decker soutient aussi que les marchandises remplissent les critères faisant d’elles des « lampes de poche », tels qu’ils ont été énoncés précédemment par l’ASFC dans son rapport de vérification de l’observation commerciale[26]. Stanley Black & Decker affirme que les marchandises 1) sont conçues pour être utilisées à la main et 2) produisent un seul faisceau directionnel lumineux sur un espace étroit.

[31] Enfin, Stanley Black & Decker soutient que l’ASFC n’a fourni aucun fondement justifiant les critères additionnels[27] que l’ASFC demande au Tribunal d’adopter pour qu’une marchandise soit classée en tant que lampe de poche.

L’ASFC

[32] L’ASFC soutient que les marchandises en cause devraient être classées dans le numéro tarifaire 8513.10.90 en tant qu’« autres lampes », parce qu’elles sont des lampes de travail.

[33] Selon l’ASFC, les fabricants des marchandises en cause font expressément une distinction entre les lampes de travail et les lampes de poche dans leurs sites Web. L’ASFC soutient par ailleurs que les marchandises sont normalement vendues seulement dans les quincailleries, et que les piles qui les alimentent coûtent plus cher que celles utilisées dans les « lampes de poche habituelles[28] » [traduction], sont les mêmes que celles utilisées dans des outils électriques et sont généralement vendues uniquement dans les magasins et sites Web qui proposent ces mêmes outils électriques.

[34] L’ASFC fait valoir que les marchandises sont à double usage, comme en témoignent leurs caractéristiques. L’ASFC soutient que, bien qu’elles puissent fonctionner comme des lampes de poche permettant de s’orienter dans l’obscurité, l’usage prévu est celui d’une lampe de travail. Elles sont conçues de telle sorte que l’utilisateur peut la poser sur le sol ou l’accrocher quelque part pendant qu’il travaille. L’ASFC soutient que, dans la décision La Compagnie Globe Électrique inc. c. Le président de l’Agence des services frontaliers du Canada, le Tribunal a reconnu que les lampes de poche ont normalement une conception et des caractéristiques précises[29]. L’ASFC fait valoir que les marchandises, en raison de leurs caractéristiques particulières, se distinguent des lampes de poche conçues pour être utilisées à la main.

[35] De façon similaire, l’ASFC soutient que les marchandises sont plus que des lampes de poche. Selon l’ASFC, les marchandises sont faites de matériaux solides et sont couvertes par une garantie du fabricant de trois ans, sans exception, ce qui témoigne d’une volonté de fabriquer des produits qui répondent aux besoins et aux normes des chantiers, ce qui va au-delà d’une utilisation dans la vie de tous les jours. L’ASFC soutient également que les marchandises elles-mêmes sont vendues sans piles et qu’elles sont souvent décrites comme étant des « outils seulement[30] ».

[36] L’ASFC soutient que les notes explicatives de la position 85.13 font une distinction entre les « autres lampes portatives » et les « lampes de poche ». L’ASFC affirme que la description des « autres lampes portatives » fait état de caractéristiques que l’on retrouve chez les marchandises en cause. Elle fait valoir que le recours au terme « lampes de poche » dans le numéro tarifaire 8513.10.10 n’est pas une erreur de la part du législateur. L’ASFC soutient en outre que les lampes portatives qui sont conçues pour pouvoir être accrochées ou déposées au sol et dont le faisceau est ajustable sont distinctes et ne peuvent être classées en tant que « lampes de poche ».

[37] En outre, l’ASFC a présenté plusieurs observations en réponse à celles de Stanley Black & Decker. Dans celles-ci, elle affirme notamment que la démarche retenue par Stanley Black & Decker pour classer les marchandises en cause est trop générale. L’ASFC soutient que la définition du terme « lampe de poche » est muette sur la nature des marchandises, et qu’il faut mener un exercice fondé sur les faits quant à la conception, à la commercialisation et au prix des marchandises. L’ASFC fait valoir qu’il n’est pas nécessaire de s’en remettre à la définition courante donnée par les dictionnaires, étant donné que les notes explicatives de la position 85.13 donnent une définition générale similaire des « lampes électriques portatives ». L’ASFC affirme que si la position de Stanley Black & Decker était retenue, cela signifierait que toutes les lampes portatives de la position 85.13 seraient classées soit en tant que « lampes de poche » soit en tant que « lampes de sûreté pour mineurs », et qu’il est inconcevable que telle était l’intention du législateur.

[38] L’ASFC affirme également ne pas maintenir sa position précédente selon laquelle une « lampe de poche » doit remplir les deux critères suivants : 1) être conçue pour être utilisée à la main et 2) produire un seul faisceau directionnel lumineux sur un espace étroit. L’ASFC soutient que, bien qu’elle soit elle-même parvenue à ces critères et que ceux-ci puissent être utiles pour repérer certaines caractéristiques propres aux lampes de poche, une telle position est trop générale et englobante.

ANALYSE

[39] Le Tribunal conclut qu’il est manifeste que les marchandises en cause sont des lampes de poche au sens ordinaire de ce terme et qu’elles sont par conséquent classées dans le numéro tarifaire 8513.10.10.

[40] Steve Whidden a témoigné de manière franche et directe, et le témoignage qu’il a livré étaye la conclusion du Tribunal. Fait important, l’ASFC a fourni peu d’éléments de preuve, voire aucun, pour appuyer ses arguments selon lesquels le Tribunal devrait voir les choses autrement. De fait, comme il a été mentionné précédemment, l’ASFC n’a pas appelé de témoins et les seuls éléments de preuve qu’elle a fournis étaient tirés de sites Web montrant que les marchandises sont commercialisées comme des « appareils d’éclairage de lieux de travail[31] » [traduction], qu’elles sont alimentées avec les mêmes piles que celles utilisées avec les outils électriques et que ces piles sont généralement vendues aux mêmes endroits que les outils électriques[32], que les marchandises sont assorties d’une garantie de trois ans[33], qu’elles sont vendues sans piles[34] et que les piles qui les alimentent sont vendues à tel ou tel prix[35].

[41] Lors de son témoignage, Steve Whidden a mentionné que Stanley Black & Decker conçoit des produits destinés à des usages précis en utilisant une « plateforme » [traduction] commune afin de réduire la complexité et le nombre de composants dont les consommateurs ont besoin. Une plateforme est un ensemble d’appareils d’un même fabricant conçus pour fonctionner au moyen d’un même bloc-piles. En l’espèce, les marchandises en cause sont conçues pour fonctionner avec le même bloc-piles rechargeable qui sert à alimenter les perceuses, scies, tournevis à percussion et autres appareils faisant partie de la même ligne d’outils. Les blocs-piles se glissent ou s’enclenchent à la base de chaque appareil[36].

[42] Steve Whidden a expliqué que six des huit lampes en cause sont munies d’une poignée-pistolet et d’une gâchette ergonomiques[37]. Deux des lampes en cause n’en sont pas munies, mais sont néanmoins conçues pour être utilisées à la main; la pile forme une partie de la poignée dans leur cas[38]. Les lampes ont aussi pour autres caractéristiques d’être compactes, légères, faciles à utiliser et à entreposer. Toutes les marchandises en cause sont munies d’une tête pivotante permettant de diriger le faisceau lumineux.

[43] Selon Steve Whidden, toutes les marchandises en cause sont connues dans l’industrie comme étant des lampes de poche, et elles sont commercialisées comme telles, même si elles n’ont pas toute la même taille ou les mêmes caractéristiques, la même tension de pile, le même nombre de lumens ou les mêmes paramètres de luminosité[39]. Dans son témoignage, il a expliqué que toutes les marchandises en cause ont une autonomie de fonctionnement relativement longue et sont conçues pour les besoins de l’utilisateur professionnel, mais qu’elles conviennent à une utilisation grand public, ce qui comprend les bricoleurs[40].

[44] Toutes les marchandises en cause peuvent être utilisées à la main. Elles peuvent aussi être utilisées sans être portées à la main, c’est-à-dire être déposées sur le sol ou sur une surface plane, reposant alors sur le bloc-piles ou sur une béquille. Dans certains cas, les marchandises en cause peuvent être accrochées à un mousqueton, être accrochées à une ceinture de travail ou à une poche au moyen d’une attache ou encore être fixées à une surface appropriée lorsqu’elles sont munies d’un aimant[41]. De l’avis du Tribunal, le fait que les marchandises en cause peuvent être utilisées sans être portées à la main (que ce soit parce que leur conception intégrale leur permet de tenir sur le sol ou parce qu’elles peuvent autrement être fixées, par exemple avec un crochet ou un aimant) ne les transforme pas en quelque chose d’autre que des « lampes de poche ».

[45] Selon les éléments de preuve dont dispose le Tribunal, les marchandises en cause sont des lampes portatives de petite taille qui fonctionnent à piles et qui émettent un faisceau lumineux. De l’avis du Tribunal, et en termes très simples, les marchandises en cause ressemblent à des lampes de poche et fonctionnent comme des lampes de poche. Dans la décision Supertek Canada, comme il est mentionné précédemment, le Tribunal a fait référence à différentes définitions que donnent les dictionnaires du mot anglais « flashlight » (lampe de poche)[42]. Chacune de ces définitions décrit parfaitement les marchandises en cause.

[46] L’ASFC a demandé au Tribunal de faire une distinction fondée sur le prix, mais elle n’a pas présenté d’éléments de preuve ou de fondement juridique pour expliquer la raison pour laquelle cette distinction s’impose. Il est entendu que les marchandises en cause semblent plutôt sophistiquées et qu’elles sont vraisemblablement de gamme supérieure par rapport à d’autres lampes de poche, à en juger par leurs caractéristiques et par leur prix, mais elles demeurent néanmoins des lampes de poche. En effet, le fait que les lampes de poche elles-mêmes ou les piles qui les alimentent se vendent plus cher que d’autres modèles offerts sur le marché est sans importance. Le Tarif des douanes ne fait pas de distinction entre des lampes de poche plus chères ou moins chères. Ainsi, le Tribunal n’est pas convaincu par la position de l’ASFC.

[47] L’ASFC a également demandé au Tribunal de ne pas classer les marchandises en cause en tant que lampes de poche, parce qu’elles sont parfois désignées en anglais en tant que « task lights » ou « work lights » (lampes de travail).

[48] Selon Steve Whidden, les termes anglais « flashlight » (lampe de poche) et « task light » ou « work light » (lampe de travail) sont des synonymes et peuvent être employés de façon interchangeable dans le commerce pour désigner les marchandises en cause[43]. Il a déclaré que Stanley Black & Decker vend aussi d’autres appareils qui ne sont pas des lampes de poche. Ceux-ci sont de plus grande taille que les marchandises en cause et ils ne sont pas conçus pour être utilisés à la main principalement[44].

[49] À la lumière de ce témoignage et du sens courant donné au terme, le Tribunal est convaincu que les marchandises en cause sont des « lampes de poche », même si elles sont parfois désignées comme étant des lampes de travail. D’autres appareils vendus par Stanley Black & Decker, comme les « lampes de chantier », ont une conception différente de celle des marchandises en cause et ils ne sont pas principalement utilisés à la main. Ces appareils ne sont pas des lampes de poche, comme l’a elle-même reconnu Stanley Black & Decker[45]. Aucune des marchandises en cause ne présente les mêmes caractéristiques que ces autres appareils mentionnés dans le cadre de la procédure, en particulier les appareils qui ne sont pas alimentés à piles et qui sont munis d’un cordon devant être branché dans une prise électrique[46].

[50] En bref, les arguments de l’ASFC concernant la conception, la commercialisation et le prix des marchandises en cause n’étaient pas persuasifs, n’étaient pas étayés par des éléments de preuve, ou encore ils l’étaient insuffisamment. Essentiellement, les marchandises en cause sont le résultat d’une évolution des lampes de poche de base que l’on trouve couramment, et dont le prix est peu élevé, vers des produits plus sophistiqués et polyvalents, qui se vendent plus cher. Dans le Tarif des douanes, le terme « lampe de poche » est suffisamment général pour laisser place à cette évolution et est donc représentatif des marchandises en cause.

[51] Le Tribunal souligne que l’ASFC s’est fondée sur différentes notes explicatives pour défendre sa position. Aucune de ces notes explicatives n’a été utile pour classer les marchandises en cause, étant donné que les notes explicatives ont trait à des niveaux de classement autres que celui du numéro tarifaire à huit chiffres[47]. En outre, aucun des cas de jurisprudence mentionnés par l’ASFC ne s’appliquait dans le cadre de la présente instance. En particulier, le Tribunal a conclu que les marchandises examinées dans l’affaire La Compagnie Globe Electric inc. avaient principalement des caractéristiques n’étant pas associées aux lampes de poche. Essentiellement, la question centrale dans cette affaire était celle de savoir si les marchandises en cause étaient classées dans la position 85.13 ou dans la position 94.05[48]. Rien dans l’argumentation de l’ASFC n’appuie le classement des marchandises en cause dans le numéro tarifaire résiduel, étant donné que ces marchandises paraissent devoir être classées, conformément à la règle 1 des Règles générales et aux Règles canadiennes, en tant que « lampes de poche » dans le numéro tarifaire 8513.10.10.

DÉCISION

[52] L’appel est accueilli.

Eric Wildhaber

Eric Wildhaber
Membre présidant

 



[1] L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.).

[2] Pièce AP-2022-009-13 aux p. 3, 31–38. Voir aussi la pièce AP-2022-009-03.A aux p. 1–8.

[3] Pièce AP-2022-009-05 aux p. 46–48.

[4] Ibid. aux p. 99–104.

[5] Pièce AP-2022-009-03 aux p. 44–50; pièce AP-2022-009-05 aux p. 50–56.

[6] Le paragraphe 32.2(2) de la Loi prévoit que l’importateur qui a des « motifs de croire » que sa déclaration est incorrecte doit y effectuer une correction et payer les droits et intérêts dus à la suite de cette correction. En l’espèce, le rapport final de l’ASFC a donné à Stanley Black & Decker des « motifs de croire » que ses déclarations de classement tarifaire pour les marchandises en cause étaient incorrectes.

[7] Voir le paragraphe 32.2(3) de la Loi.

[8] Pièce AP-2022-009-05 aux p. 58–67. La date du 23 novembre 2021 est mentionnée dans l’avis de décision de l’ASFC du 18 mars 2022. Il n’y a pas de documents au dossier se rapportant à cette date.

[9] Pièce AP-2022-009-05 aux p. 95–97.

[10] Pièce AP-2022-009-03 aux p. 25–43; pièce AP-2022-009-05 aux p. 69–87.

[11] Pièce AP-2022-009-01.

[22] Pièce AP-2022-009-03 aux p. 52–53; pièce AP-2022-009-05 aux p. 92–93.

[23] La seule autre sous-position de la position 85.13 est « parties ».

[24] Stanley Black & Decker a indiqué dans son mémoire que le terme « flashlight » (lampe de poche) est défini dans le dictionnaire Merriam-Webster comme « a small battery-operated portable electric light » (petite lampe électrique portable fonctionnant avec des piles) et dans le dictionnaire Cambridge comme « a small electric light you can carry in your hand » (petite lampe électrique que l’on peut porter à la main). Voir la pièce AP-2022-009-03 à la p. 6.

[25] (21 mai 2003), AP-2001-095 (TCCE) [Supertek Canada] à la note 9: « […] [A] small battery-operated portable electric lamp”, dans le Webster’s New Collegiate Dictionary, s.v.flashlight”. Il est défini comme étant “A small, portable lamp usually powered by batteries”, dans le The American Heritage Dictionary of the English Language, 1996, s.v.flashlight”. Il est aussi défini comme étant “A small, portable device that emits a beam of light, consisting typically of a cylinder housing a tiny bulb powered by dry batteries”, dans le Standard College Dictionary, 1978, s.v.flashlight”. L’expression française “lampe de poche” est définie comme étant un “boîtier plat ou cylindrique équipé d’une pile et d’une ampoule” dans le Dictionnaire des noms communs en couleurs, s.v.lampe” ».

[26] Voir la pièce AP-2022-009-03 à la p. 46; pièce AP-2022-009-05 à la p. 52. Dans ses observations écrites, Stanley Black & Decker soutient également que ces critères sont arbitraires.

[27] Voir Transcription de l’audience publique aux p. 95–96.

[28] Pièce AP-2022-009-05 à la p. 19.

[29] La Compagnie Globe Électrique inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (16 avril 2010), AP-2008-022 (TCCE) [La Compagnie Globe Électrique inc.] au par. 26.

[30] Pièce AP-2022-009-05 à la p. 21.

[31] Ibid. aux p. 17–18.

[32] Ibid. à la p. 19.

[33] Ibid. à la p. 21.

[34] Ibid.

[35] Ibid. à la p. 24.

[36] Transcription de l’audience publique aux p. 9–11.

[37] Modèles PCC700B, DCL040, CMCL020B, DCL043, DCL050 et CMCL050B. Transcription de l’audience publique aux p. 13–20, 23–25. Voir aussi la pièce AP-2022-009-13 aux p. 37, 33, 31, 34, 35, 32; pièce AP-2022-009-03A aux p. 8, 3, 2, 4, 6, 1.

[38] Modèles DCL044 et DCL510. Transcription de l’audience publique aux p. 20–23. Voir aussi la pièce AP-2022-009-13 aux p. 38, 36; pièce AP-2022-009-03A aux p. 5, 7.

[39] Transcription de l’audience publique aux p. 12–13.

[40] Transcription de l’audience publique aux p. 40, 43–44.

[41] Transcription de l’audience publique aux p. 43, 54–55.

[42] Supertek Canada à la note 9.

[43] Transcription de l’audience publique aux p. 25–26.

[44] Transcription de l’audience publique aux p. 56–58, 67–68, 71–74, 76–80.

[45] Transcription de l’audience publique à la p. 99.

[46] Transcription de l’audience publique aux p. 56–58, 67–68, 71–74, 76–80.

[47] Puisque ce litige a trait au niveau du numéro tarifaire, il est entendu que les Règles canadiennes d’interprétation s’appliquent, ce qui signifie que les avis de classement et les notes explicatives ne s’appliquent pas. Voir, par exemple, Motovan Corporation c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (3 juin 2019), AP-2017-028 (TCCE) à la note 22.

[48] La Compagnie Globe Électrique inc.

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