Appels en matière de douanes et d’accise

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Contenu de la décision

Appels AP-2022-004 et AP‑2022‑017

Medline Canada Corporation

c.

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Décision et motifs rendus
le lundi 29 janvier 2024

 



EU ÉGARD À des appels instruits le 5 avril 2023 en vertu de l’article 67 de la Loi sur les douanes;

ET EU ÉGARD À des décisions rendues par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes, le 4 février 2022 et le 11 juillet 2022 concernant des demandes de révision.

ENTRE

MEDLINE CANADA CORPORATION

Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

Les appels sont admis.

Bree Jamieson-Holloway

Bree Jamieson-Holloway
Membre présidant


 

Lieu de l’audience :

Par vidéoconférence

Date de l’audience :

Le 5 avril 2023

Membre du Tribunal :

Bree Jamieson Holloway, membre présidant

Personnel du Secrétariat du Tribunal :

Yannick Trudel, conseiller juridique
Anja Grabundzija, conseillère juridique
Jennifer Mulligan, parajuriste experte
Sarah Sharp-Smith, agente du greffe
Lindsay Vincelli, agente principale du greffe

PARTICIPANTS :

Appelante

Conseillers/représentants

Medline Canada Corporation

Riyaz Dattu
Mudabbir Tariq

Intimé

Conseillers/représentants

Président de l’Agence des services frontaliers du Canada

Blake Van Santen

TÉMOINS :

Ruby Hartsell
Directrice nationale principale, Services cliniques et formation
Medline Canada Corporation

Khristinn Kellie Leitch
Professeure agrégée, Faculté de médecine, Département de pédiatrie
Centre médical de l’Université du Mississippi

Veuillez adresser toutes les communications à :

La greffière adjointe
Téléphone : 613-993-3595
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

APERÇU

[1] Medline Canada Corporation (Medline) a déposé les présents appels le 26 avril 2022 et le 3 août 2022, aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes[1], à l’encontre de décisions rendues le 4 février 2022 et le 11 juillet 2022 par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), au titre du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes, concernant des demandes de réexamen d’un classement tarifaire.

[2] La question en litige dans les présents appels consiste à déterminer si des gants de chirurgie stériles en caoutchouc importés par Medline (les marchandises en cause), en plus d’être classés dans le numéro tarifaire 4015.11.00, peuvent aussi être classés dans le numéro tarifaire 9977.00.00 en tant qu’« articles devant servir dans des instruments et appareils pour la médecine, la chirurgie, l’art dentaire ou l’art vétérinaire », comme le prétend Medline.

DESCRIPTION DES MARCHANDISES EN CAUSE

[3] Les marchandises en cause consistent en divers modèles de gants de chirurgie stériles, emballés par paire (main gauche et main droite), généralement d’une longueur de 12 po et d’une épaisseur de 8 à 13 mm. Ils sont faits de polyisoprène, de néoprène ou de latex et sont conçus pour être portés pendant une intervention chirurgicale[2]. Les gants sont ajustés et munis de manchettes allongées qui couvrent l’avant-bras de la personne qui les porte[3].

[4] Les éléments de preuve indiquent que les marchandises en cause sont fabriquées conformément aux exigences et destinées à être utilisées dans des environnements nécessitant un champ stérile (c.-à-d. dans les salles d’opération). Pour prévenir les infections du site opératoire, le port de gants de chirurgie stériles est primordial et constitue une exigence standard. Les gants font office de barrière protectrice pour prévenir la transmission des maladies et des bactéries entre les patients et les professionnels de la santé pendant les interventions chirurgicales.

[5] Au Canada, les marchandises en cause sont également visées par le Règlement sur les instruments médicaux[4]. Elles sont réglementées par le ministère de la Santé en tant qu’instruments médicaux de classe II et peuvent uniquement être importées au Canada par des personnes qui sont titulaires d’une homologation à l’égard de ces instruments. Étant titulaire d’une homologation délivrée par le ministère de la Santé, Medline Canada est autorisée à importer et à commercialiser des instruments médicaux de classe II.

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

[6] Medline a importé les marchandises en cause de novembre 2015 à mars 2018 en tant que gants de chirurgie relevant du numéro tarifaire 4015.11.00. À l’époque, Medline n’a pas demandé que les marchandises soient admises en franchise de droits[5].

[7] De novembre 2019 à juillet 2021, Medline a présenté 395 demandes de remboursement aux termes de l’article 74 de la Loi sur les douanes au motif que les marchandises étaient admissibles à une exonération conditionnelle des droits de douane en tant qu’« articles devant servir dans […] des instruments et appareils pour la médecine, la chirurgie, l’art dentaire ou l’art vétérinaire » relevant du numéro tarifaire 9977.00.00[6].

[8] Entre le 22 septembre 2021 et le 12 octobre 2021, l’ASFC a procédé à des révisions aux termes de l’alinéa 59(1)a) de la Loi sur les douanes. L’ASFC a rejeté les demandes de remboursement de Medline au motif que les marchandises ne répondaient pas aux exigences pour être considérées comme des articles « devant servir dans » les instruments et appareils mentionnés dans le numéro tarifaire 9977.00.00[7].

[9] Le 28 janvier 2022, Medline a sollicité le réexamen de cette décision au titre du paragraphe 60(1) de la Loi sur les douanes, soutenant que les marchandises satisfaisaient au critère imposé par l’expression « devant servir dans ». Plus précisément, Medline a fait valoir que les marchandises étaient « fixées » [traduction], c’est-à-dire physiquement reliées et fonctionnellement unies, aux instruments et appareils concernés[8].

[10] Le 4 février 2022 et le 11 juillet 2022, dans deux réexamens effectués aux termes de l’alinéa 60(4)b) de la Loi sur les douanes, l’ASFC a confirmé sa décision antérieure selon laquelle les marchandises ne pouvaient être classées dans le numéro tarifaire 9977.00.00 parce qu’elles ne répondaient pas au critère « devant servir dans »[9].

[11] Le 26 avril 2022 et le 3 août 2022, Medline a déposé les présents appels auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes[10]. Au moment de déposer son deuxième appel, Medline a demandé que les deux appels soient joints[11].

[12] Le 8 août 2022, le Tribunal a fait droit à la demande de Medline et a joint les appels[12].

[13] Le 14 novembre 2022, Medline a déposé son mémoire de l’appelante[13].

[14] Le 13 janvier 2023, l’ASFC a déposé son mémoire de l’intimée[14].

[15] Le 6 mars 2023, Medline a déposé un rapport d’expert préparé par la Dre Khristinn Kellie Leitch au sujet de l’utilisation des gants de chirurgie stériles[15].

[16] Le 24 mars 2023, l’ASFC a déposé une version publique et une version confidentielle révisées de son mémoire de l’intimée dans le but de modifier certaines désignations de confidentialité[16].

[17] L’audience s’est tenue par vidéoconférence le 5 avril 2023. Medline a convoqué deux témoins, dont un qu’elle souhaitait faire reconnaître en tant qu’expert par le Tribunal. L’ASFC n’a pas fait entendre de témoins.

Dre Khristinn Kellie Leitch, témoin expert

[18] Le témoin expert que proposait Medline, la Dre Khristinn Kellie Leitch, est une chirurgienne qualifiée. Medline a demandé au Tribunal de la reconnaître en tant qu’experte dans le domaine de la chirurgie et de reconnaître son expertise pour témoigner sur l’histoire, la conception, la composition, les principes d’ingénierie et la mécanique des gants de chirurgie, sur l’utilisation de ces gants dans le contexte des interventions chirurgicales, sur les mesures de sécurité appliquées dans les salles d’opération, et sur l’utilisation d’instruments chirurgicaux quand la personne qui les manipule porte des gants de chirurgie[17].

[19] À l’audience, l’ASFC a indiqué qu’elle ne comptait pas contester la qualification de la Dre Leitch en tant que témoin expert dans le domaine de la chirurgie, mais qu’elle contestait sa qualification relativement aux domaines précis liés à l’histoire, à la mécanique, aux principes d’ingénierie, à la conception et à la fabrication des gants de chirurgie[18].

[20] Après avoir pris connaissance du curriculum vitae de la Dre Leitch et des observations présentées par les deux parties à l’audience sur la question de sa qualification en tant que témoin expert, le Tribunal a accepté la qualification du Dre Leitch en tant que témoin expert dans le domaine de la chirurgie et de l’utilisation des gants de chirurgie dans une salle d’opération[19].

CADRE LÉGISLATIF

[21] La nomenclature tarifaire est énoncée en détail dans l’annexe du Tarif des douanes[20], qui est conforme au Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (le Système harmonisé) conçu par l’Organisation mondiale des douanes[21]. L’annexe est divisée en sections et en chapitres, chaque chapitre contenant une liste de marchandises classées dans des positions, sous‑positions et numéros tarifaires.

[22] Le paragraphe 10(1) du Tarif des douanes prévoit que le classement des marchandises importées est effectué, sauf indication contraire, en conformité avec les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé[22] (Règles générales) et les Règles canadiennes[23] énoncées à l’annexe.

[23] Les Règles générales sont composées de six règles. Le classement commence par la règle 1, qui prévoit que le classement est déterminé d’après les termes des positions et des notes de section ou de chapitre et, lorsqu’elles ne sont pas contraires aux termes desdites positions et notes, d’après les autres règles.

[24] Après que le Tribunal a utilisé cette méthode pour déterminer la position dans laquelle les marchandises en cause doivent être classées, l’étape suivante consiste à utiliser une méthode similaire pour déterminer la sous-position qui convient[24]. La dernière étape consiste à déterminer le numéro tarifaire approprié[25].

[25] Comme mentionné ci-dessus, les parties aux présents appels conviennent que les marchandises en cause peuvent être classées dans le numéro tarifaire 4015.11.00 en tant que gants de chirurgie en caoutchouc. La seule question à trancher en l’espèce consiste à déterminer si les marchandises en cause peuvent aussi être classées dans le numéro tarifaire 9977.00.00 et ainsi bénéficier d’un traitement en franchise de droits.

[26] Les dispositions de classement tarifaire pertinentes sont les suivantes :

Chapitre 99

DISPOSITIONS DE CLASSIFICATION SPÉCIALE - COMMERCIALES

[…]

9977.00.00 Articles devant servir dans ce qui suit :

[…]

Instruments et appareils pour la médecine, la chirurgie, l’art dentaire ou l’art vétérinaire, y compris les appareils de scintigraphie et autres appareils électromédicaux ainsi que les appareils pour tests visuels pour tests visuels;

[…]

Chapter 99

SPECIAL CLASSIFICATION PROVISIONS - COMMERCIAL

9977.00.00 Articles for use in the following:

Instruments and appliances used in medical, surgical, dental or veterinary sciences, including scintigraphic apparatus, other electro-medical apparatus and sight-testing instruments;

[27] Le chapitre 99, qui comprend le numéro tarifaire 9977.00.00, prévoit des dispositions de classement spécial qui permettent généralement l’importation au Canada de certaines marchandises en franchise de droits. Les dispositions de ce chapitre ne sont pas normalisées à l’échelle internationale.

[28] Comme aucune des positions du chapitre 99 n’est subdivisée en sous-positions ou en numéros tarifaires, le Tribunal, selon les circonstances, n’a à tenir compte que des règles 1 à 5 des Règles générales pour déterminer si les marchandises peuvent être classées dans ce chapitre. De plus, comme le chapitre 99 du Système harmonisé est réservé aux classements spéciaux (à l’usage exclusif de chaque pays), il n’y a pas d’avis de classement ni de notes explicatives à prendre en considération.

[29] Les notes 3 et 4 du chapitre 99 sont pertinentes pour les présents appels. Elles prévoient ce qui suit :

3. Les marchandises peuvent être classées dans un numéro tarifaire du présent [c]hapitre et peuvent bénéficier des taux de droits de douane du tarif de la nation la plus favorisée ou du tarif de préférence prévus au présent [c]hapitre qui s’appliquent à ces marchandises selon le traitement tarifaire applicable selon le pays d’origine, mais ce classement est subordonné au classement préalable de celles-ci dans un numéro tarifaire des [c]hapitres 1 à 97 et à l’observation des conditions prévues par les textes d’application qui leur sont applicables.

4. Les termes utilisés dans ce [c]hapitre et dans les [c]hapitres 1 à 97 s’entendent au sens de ces derniers [c]hapitres.

[30] Suivant le paragraphe 2(1) du Tarif des douanes, l’expression « devant servir dans », qui figure dans le libellé du numéro tarifaire 9977.00.00, est ainsi définie :

devant servir dansou devant servir à Mention dans un numéro tarifaire, applicable aux marchandises qui y sont classées et qui doivent entrer dans la composition d’autres marchandises mentionnées dans ce numéro tarifaire par voie d’ouvraison, de fixation ou d’incorporation.

[31] La version anglaise de la définition est rédigée en ces termes :

for use in, wherever it appears in a tariff item, in respect of goods classified in the tariff item, means that the goods must be wrought or incorporated into, or attached to, other goods referred to in that tariff item.

[32] Dans le contexte de la présente affaire, pour établir si les marchandises en cause peuvent être classées dans le numéro tarifaire 9977.00.00, le Tribunal doit déterminer s’il s’agit 1) d’articles; 2) devant servir dans; 3) des instruments et appareils pour la médecine, la chirurgie, l’art dentaire ou l’art vétérinaire.

POSITIONS DES PARTIES

Medline Canada Corporation

[33] Medline soutient que les marchandises en cause peuvent être classées dans le numéro tarifaire 9977.00.00 puisqu’il s’agit d’articles « devant servir dans » des instruments et appareils pour la médecine, la chirurgie, l’art dentaire ou l’art vétérinaire, comme les scalpels. La position de Medline s’articule autour de deux critères énoncés dans la jurisprudence du Tribunal qui doivent être remplis pour que les marchandises puissent être considérées comme entrant dans la composition d’autres marchandises (ou marchandises hôtes) « par voie de fixation » : les marchandises doivent être « physiquement reliées » et « fonctionnellement unies » aux marchandises hôtes.

[34] Medline soutient que les marchandises en cause sont expressément conçues et fabriquées pour les chirurgiens qui doivent porter des gants de caoutchouc particuliers qui sont stériles, conformes aux normes de l’industrie canadienne et qui leur permettent de conserver une grande sensibilité lorsque les gants couvrent les récepteurs sensoriels de leurs mains. Medline fait valoir par ailleurs que bon nombre d’instruments chirurgicaux, comme les scalpels, ne peuvent être utilisés adéquatement si la personne qui les manipule ne porte pas de gants de chirurgie et, par conséquent, que les marchandises en cause sont fonctionnellement liées aux instruments chirurgicaux. Selon Medline, puisque les chirurgiens ont absolument besoin des marchandises en cause pour utiliser des instruments comme les scalpels, celles-ci satisfont aux exigences selon lesquelles elles doivent être « physiquement reliées » et « fonctionnellement unies » aux scalpels.

[35] Medline fait en outre valoir que les marchandises en cause et les instruments chirurgicaux sont physiquement reliés lorsqu’ils sont tenus dans la main d’un chirurgien et utilisés par lui.

Agence des services frontaliers du Canada

[36] L’ASFC fait valoir que les marchandises en cause ne relèvent pas du numéro tarifaire 9977.00.00, car elles ne sont ni « physiquement reliées » ni « fonctionnellement unies » aux marchandises hôtes dont il est question dans ce numéro tarifaire.

[37] Dans un premier temps, l’ASFC soutient que le lien physique entre les gants de chirurgie et les instruments scientifiques comme les scalpels consiste en un simple contact superficiel plutôt qu’une connexion. Selon l’ASFC, les marchandises doivent être fixées aux marchandises hôtes ou insérées dans celles-ci pour qu’on puisse affirmer qu’elles sont physiquement reliées[26].

[38] Dans un deuxième temps, l’ASFC fait valoir que les gants de chirurgie ne sont pas nécessaires pour que les scalpels puissent accomplir leur fonction, soit l’incision de la chair, pas plus que les gants de caoutchouc ne confèrent aux scalpels des fonctions additionnelles au-delà de celle d’inciser. Par conséquent, les marchandises en cause ne sont pas fonctionnellement unies aux marchandises hôtes.

ANALYSE

[39] Les parties s’entendent pour dire que les marchandises en cause sont à juste titre classées dans le numéro tarifaire 4015.11.00 en tant que gants de chirurgie en caoutchouc vulcanisé non durci[27]. Le Tribunal ne voit aucune raison de tirer une autre conclusion.

[40] La question à trancher dans le présent appel consiste donc à déterminer si les marchandises en cause peuvent aussi être classées dans le numéro tarifaire 9977.00.00 à titre d’articles devant servir dans des instruments et appareils pour la chirurgie.

[41] Comme mentionné précédemment, pour que les marchandises en cause puissent être classées dans le numéro tarifaire 9977.00.00 et ainsi bénéficier d’un traitement en franchise de droits, il doit s’agir 1) d’« articles »; 2) « devant servir dans »; 3) les marchandises mentionnées dans ce numéro tarifaire (c.-à-d. des « instruments et appareils pour la médecine, la chirurgie, l’art dentaire ou l’art vétérinaire »).

[42] La première et la troisième condition ne sont pas en cause dans la présente affaire. Aucune partie ne conteste que les marchandises en cause sont des « articles »[28]. Les parties conviennent également que les marchandises hôtes (p. ex. les instruments chirurgicaux comme les scalpels) « dans » lesquelles, selon Medline, les marchandises en cause « doivent servir » sont des marchandises hôtes au sens du numéro tarifaire 9977.00.00.

[43] Le Tribunal se penchera maintenant sur la deuxième condition.

La question de savoir si les marchandises en cause « doivent servir dans » les marchandises hôtes

[44] Comme il a été expliqué précédemment, l’expression « devant servir dans » est ainsi définie au paragraphe 2(1) du Tarif des douanes : « [m]ention dans un numéro tarifaire, applicable aux marchandises qui y sont classées et qui doivent entrer dans la composition d’autres marchandises mentionnées dans ce numéro tarifaire par voie d’ouvraison, de fixation ou d’incorporation » [nos italiques].

[45] Les parties s’entendent pour dire que les marchandises en cause n’entrent pas dans la composition d’instruments chirurgicaux, comme les scalpels, par voie d’« ouvraison » ou d’« incorporation ». Le Tribunal est donc appelé à déterminer si les marchandises en cause entrent dans la composition d’instruments chirurgicaux par voie de « fixation ».

[46] Le Tribunal applique depuis longtemps un critère à deux volets pour déterminer si des marchandises entrent dans la composition d’autres marchandises par voie de « fixation »[29]. Premièrement, les marchandises en cause doivent être « physiquement reliées » aux marchandises hôtes et deuxièmement, les marchandises en cause doivent être « fonctionnellement unies » aux marchandises hôtes[30].

[47] Le Tribunal procédera ci-dessous à l’analyse des deux volets du critère.

Les marchandises en cause sont fonctionnellement unies aux marchandises hôtes

[48] Dans un premier temps, le Tribunal examinera si les marchandises en cause sont « fonctionnellement unies » aux marchandises hôtes. Cette condition a généralement été comprise dans le sens que les marchandises en cause doivent améliorer ou compléter la fonction des marchandises hôtes, en aidant les marchandises hôtes à exécuter leur fonction ou en leur permettant d’acquérir des capacités supplémentaires[31].

[49] En l’espèce, les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si les marchandises en cause améliorent ou complètent les marchandises hôtes concernées (qui, dans la présente affaire, comprennent les scalpels). À la lumière des éléments de preuve au dossier, le Tribunal conclut que les marchandises en cause sont fonctionnellement unies aux scalpels.

[50] À l’audience, les deux témoins ont affirmé que, malgré les similitudes qu’ils présentent avec les gants de caoutchouc ordinaires, les gants de caoutchouc stériles comme ceux en cause en l’espèce sont conçus et fabriqués de manière à intégrer des caractéristiques particulières en vue de leur utilisation dans les salles d’opération et dans le contexte d’une chirurgie[32].

[51] Il ressort de la preuve au dossier que les gants de chirurgie en caoutchouc améliorent de trois manières différentes l’utilisation des instruments chirurgicaux, comme les scalpels.

[52] D’abord, le témoin expert, la Dre Leitch, a expliqué que les marchandises en cause permettent d’agripper fermement les marchandises hôtes (p. ex. les scalpels)[33]. Les éléments de preuve indiquent que, sans les gants de chirurgie, le chirurgien aurait de la difficulté à tenir fermement les instruments chirurgicaux pendant une chirurgie[34].

[53] Mme Ruby Hartsell, directrice nationale principale, Services cliniques et formation, à Medline[35], qui produit les marchandises en cause, a affirmé dans son témoignage que les gants de chirurgie sont conçus pour assurer une meilleure prise des instruments chirurgicaux et permettre la manipulation de ces instruments pendant la chirurgie même si le sang et les autres fluides corporels peuvent les rendre glissants[36].

[54] Mme Hartsell a ensuite mentionné que les gants de chirurgie sont fabriqués conformément aux normes de stérilisation, notamment celles établies par l’Association des infirmières et infirmiers de salle d’opération du Canada, par le ministère de la Santé, par l’Association canadienne de normalisation, par l’Association for the Advancement of Medical Instruments et par le College of Physicians and Surgeons[37]. Mme Hartsell et la Dre Leitch ont toutes deux affirmé que le port de gants de chirurgie est nécessaire pour manipuler des instruments chirurgicaux dans le cadre d’une chirurgie afin d’éviter les risques d’infection bactérienne[38]. Elles ont également affirmé que, même s’il est possible de pratiquer une incision à l’aide d’un scalpel sans porter de gants de chirurgie, comme le laisse entendre l’ASFC, le fait d’utiliser un tel instrument dans le cadre d’une chirurgie sans porter de gants de chirurgie stériles pose un grand risque d’infection pour le patient comme pour le chirurgien[39]. La Dre Leitch a poursuivi son témoignage en mentionnant que le port des gants de chirurgie fait partie du protocole obligatoire et qu’un médecin qui ne se conformerait pas à cette exigence au moment d’opérer un patient se verrait retirer ses privilèges de pratique[40].

[55] Enfin, les éléments de preuve indiquent que les gants de chirurgie en cause dans les présents appels sont conçus de manière à interférer le moins possible avec les sensations tactiles. Le rapport d’expert et le témoignage de la Dre Leitch confirment que les gants de chirurgie offrent un haut niveau de sensibilité en ce sens qu’ils permettent les interactions entre la main et les instruments chirurgicaux pendant l’intervention tout en assurant une interférence minimale[41]. Les gants de chirurgie permettent aux récepteurs sensoriels de la main de recevoir l’information sensorielle en provenance des instruments et de l’environnement immédiat, ce qui permet au chirurgien d’opérer en portant deux couches de gants, une pratique courante qui vise à diminuer le risque d’infection dans l’éventualité d’une perforation ou d’une déchirure de la première couche au cours de l’intervention chirurgicale[42].

[56] En somme, selon la preuve offerte par les témoins, la fonction des marchandises hôtes (p. ex. les scalpels) consiste à aider le chirurgien pendant la chirurgie en lui permettant, par exemple, de pratiquer une incision dans le corps humain de manière précise[43]. Les gants de chirurgie améliorent quant à eux la fonction des marchandises hôtes dans la salle d’opération en prévenant la transmission des bactéries et des maladies tout en préservant les sensations tactiles nécessaires à l’utilisation avec précision des instruments chirurgicaux.

[57] Par conséquent, à la lumière des éléments de preuve, et comme le fait valoir Medline, le Tribunal estime que les marchandises en cause améliorent la fonction des instruments chirurgicaux en offrant une couche nécessaire entre l’instrument chirurgical et la main du chirurgien pour assurer une prise plus ferme, diminuer le risque que l’instrument glisse des mains du médecin et augmenter la précision grâce à de meilleures sensations tactiles. Le gant de chirurgie agit également à titre de barrière stérile qui protège autant le chirurgien que le patient des infections. Le Tribunal juge que les marchandises en cause offrent une amélioration importante de la fonction des instruments chirurgicaux, car elles permettent leur fonctionnement adéquat et optimal dans la salle d’opération.

[58] Par conséquent, le Tribunal conclut que les marchandises en cause sont fonctionnellement unies aux instruments et appareils pour la médecine ou la chirurgie.

[59] Cette conclusion va dans le sens des conclusions antérieures du Tribunal. Dans Canadian Tire Corporation Ltd. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (Canadian Tire), le Tribunal a conclu qu’une chaise, au moyen de ses haut-parleurs intégrés, améliorait la fonction des marchandises hôtes en permettant à celles-ci (p. ex. un ordinateur, un lecteur DVD ou une console de jeux vidéo) de rendre les fichiers audio audibles pour l’oreille et d’une manière qui vient améliorer l’expérience sensorielle de l’utilisateur[44].

[60] De l’avis du Tribunal, il ne fait aucun doute que la diminution du risque d’infection à la fois pour l’utilisateur et pour le patient ainsi que l’amélioration de la prise et des sensations tactiles permettant d’accroître la précision du chirurgien pendant la chirurgie constituent une amélioration importante de la fonction des instruments chirurgicaux.

Les marchandises en cause sont physiquement reliées aux marchandises hôtes

[61] Ayant conclu que les marchandises sont fonctionnellement unies aux marchandises hôtes, le Tribunal procédera maintenant à l’analyse du deuxième volet du critère permettant de déterminer si les marchandises en cause entrent dans la composition des marchandises hôtes « par voie de fixation » au sens de l’expression « devant servir dans » définie au paragraphe 2(1) du Tarif des douanes. Ainsi, conformément au critère à deux volets, le Tribunal se penchera ci-dessous sur la question de savoir si les marchandises en cause sont physiquement reliées aux marchandises hôtes.

[62] En l’espèce, Medline soutient que, lorsque les gants sont portés par un chirurgien dans une salle d’opération, ceux-ci sont physiquement reliés aux instruments chirurgicaux manipulés par le médecin pendant l’intervention. Medline fait valoir plus particulièrement que rien dans le libellé des dispositions législatives n’exige que les marchandises s’adaptent d’une quelconque façon aux marchandises hôtes pour qu’elles entrent dans leur composition par voie de fixation. Selon Medline, en affirmant que la connexion physique dont il est question dans le critère de « fixation » exige que la marchandise soit, dans une certaine mesure, insérée dans la marchandise hôte, l’ASFC confond le critère de « fixation » de la définition de l’expression « devant servir dans » avec le critère d’« incorporation » et ajoute des restrictions qui ne figurent pas dans le libellé des dispositions législatives. Medline prend appui sur la décision rendue par le Tribunal dans l’affaire Sonos Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (Sonos) pour affirmer que, pour que les marchandises entrent dans la composition des marchandises hôtes « par voie de fixation », il suffit d’« un certain niveau de connexion, [d’]une certaine fixation » [traduction] (en plus d’une amélioration de la fonction)[45]. Medline soutient que, dans sa décision dans l’affaire Sonos, le Tribunal laisse entendre que la connexion ne doit pas nécessairement être physique et qu’elle peut être numérique, bien que, dans la présente affaire, les observations de Medline font état d’un lien physique évident entre les gants et les marchandises hôtes[46]. Medline se fonde également sur la décision rendue par le Tribunal dans l’affaire Sony du Canada Ltée c. Le sous-ministre du Revenu national (Sony I), soulignant l’importance du critère qui y est énoncé et auquel il doit être satisfait pour qu’on puisse considérer que des marchandises entrent dans la composition d’autres marchandises « par voie de fixation ». Medline soutient que, dans Sony I, le Tribunal a établi qu’il doit y avoir un lien physique et une relation fonctionnelle entre l’article et les marchandises hôtes, que la fixation ne doit pas nécessairement être permanente et qu’il ne faut pas non plus absolument qu’une marchandise soit insérée ou incorporée dans l’autre[47].

[63] L’ASFC soutient que la connexion entre les gants de chirurgie et les instruments chirurgicaux consiste en un simple contact superficiel qui ne satisfait pas au critère des marchandises « physiquement reliées »[48]. Elle avance que, même s’il peut y avoir un contact entre le gant que porte le chirurgien et le scalpel qu’il tient dans sa main, le gant et le scalpel ne sont pas fixés l’un à l’autre pas plus qu’ils ne sont insérés l’un dans l’autre, comme c’était le cas dans d’autres affaires dont le Tribunal a été saisi antérieurement[49]. Ainsi, selon l’ASFC, la connexion physique entre les marchandises en cause et les marchandises hôtes ne correspond pas au niveau de fixation prévu par le Tarif des douanes.

[64] Le Tribunal doit donc déterminer si le fait qu’une personne tienne un scalpel dans une main tout en portant les gants de chirurgie donne lieu au type de connexion envisagée par l’expression « devant servir dans » qui figure dans le Tarif des douanes.

[65] Le Tribunal partage l’avis de l’appelante.

[66] Le Tribunal prend acte du fait que, depuis qu’il a élaboré le critère à deux volets dans le contexte de la décision Sony I[50], la plupart des affaires dans lesquelles il a été appelé à appliquer le critère ont concerné la question de la relation fonctionnelle[51]. En conséquence, si le Tribunal a eu la possibilité de définir clairement les exigences auxquelles doivent satisfaire les marchandises pour être considérées « fonctionnellement unies » aux marchandises hôtes, il a eu moins d’occasions d’établir les exigences auxquelles doivent satisfaire les marchandises pour être considérées « physiquement reliées » aux marchandises hôtes. Le Tribunal estime donc utile d’examiner brièvement certaines affaires antérieures dans le cadre desquelles il a conclu que les marchandises étaient physiquement reliées.

[67] Dans Sony I, le Tribunal devait se pencher sur la question de savoir si certaines cartouches magnétiques étaient des articles devant servir dans les unités de bande magnétique. Le Tribunal a mentionné que, pour stocker de l’information au moyen d’une cartouche magnétique, il faut insérer cette dernière dans l’unité de bande magnétique. La mesure dans laquelle les cartouches de bande magnétique deviennent physiquement connectées et fonctionnellement unies aux unités de bande magnétique a convaincu le Tribunal que les cartouches entraient dans la composition des unités de bande magnétique « par voie de fixation », au sens de la définition de l’expression « devant servir dans » ou « devant servir à » applicable à l’époque. Pour parvenir à cette conclusion, le Tribunal a examiné les expressions « devant servir dans » et « devant servir à » comme définies à l’époque à l’article 4 du Tarif des douanes[52]. Le Tribunal a rejeté l’argument selon lequel la version anglaise de l’article 4 était ambiguë ou que la version française rendait plus clairement la signification de l’article 4. Selon le Tribunal, les deux versions véhiculaient une même signification quant aux expressions « devant servir dans » et « devant servir à », à savoir que l’intégration des marchandises à d’autres marchandises devait se faire par voie d’ouvraison, de fixation ou d’incorporation. Le Tribunal n’était pas d’avis que les marchandises devaient nécessairement entrer dans la composition des autres marchandises pour répondre à la définition de « devant servir dans » et « devant servir à ».

[68] Dans PHD Canada Distributing Ltd. c. Le commissaire des Douanes et du Revenu, le Tribunal a jugé que les CD placés sur un axe de disque dans le lecteur de CD-ROM (marchandise hôte) où ils sont retenus en place pour être passés étaient physiquement connectés au lecteur de CD‑ROM, que cette connexion physique soit temporaire ou non[53].

[69] Dans Sony du Canada Ltée c. Le commissaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada[54], le Tribunal a conclu que certains modèles d’enregistreur à circuit intégré et d’enregistreur portatif à minidisques étaient physiquement connectés aux marchandises hôtes (c.-à-d. les ordinateurs) par l’intermédiaire de câbles, même si la connexion physique n’était pas permanente. En revanche, le Tribunal a estimé que certains modèles de marchandises, qui utilisent une carte mémoire plutôt qu’un câble pour exécuter les fonctions d’interface dans l’ordinateur, n’étaient pas physiquement connectés aux marchandises hôtes. De l’avis du Tribunal, ces modèles n’étaient pas « fixé[s] » à un ordinateur puisqu’il n’y avait pas de connexion physique à celui-ci, que ce soit de façon temporaire ou directement par l’intermédiaire d’un câble.

[70] Dans Agri-Pack c. Commissaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada[55], le Tribunal a jugé que certains sacs à oignons étaient physiquement reliés aux machines à ensacher étant donné qu’ils sont maintenus en place de façon sécuritaire jusqu’à ce qu’ils soient remplis et retirés. La Cour d’appel fédérale (CAF) a confirmé la décision du Tribunal concernant cet aspect[56]. Devant la CAF, l’appelante a fait valoir que l’expression « attached to » (entrer dans la composition par voie de fixation), sur laquelle le Tribunal s’était appuyé, devait être lue avec les mots qui la précèdent, lesquels exigent que les articles entrent dans la composition des machines admissibles par voie d’« ouvraison » ou d’« incorporation » (wrought or incorporated into). L’appelante a également soutenu que le critère exigeant une certaine forme d’incorporation était encore plus évident dans la version française, où il est précisé que l’article doit faire partie intégrante de la machine. Devant la CAF, l’appelante a fait valoir que le Tribunal avait omis de lire les mots dans leur contexte lorsqu’il a affirmé que les sacs étaient attachés aux machines simplement parce qu’ils étaient enserrés dans les machines au cours du processus d’ensachage. La CAF a toutefois jugé que le Tribunal avait lu les mots « attached to » dans leur contexte et qu’il avait souligné qu’il n’était pas suffisant d’établir un simple lien physique. La CAF s’est exprimée ainsi :

[30] […] Le TCCE a compris que les mots « attached to » doivent être lus dans leur contexte et qu’il n’est pas suffisant d’établir un simple lien physique. Le Tribunal s’exprime comme suit, au paragraphe 31 de ses motifs :

Étant donné la définition citée plus haut de l’expression « devant servir dans », le Tribunal doit déterminer si les marchandises entrent dans la composition d’autres marchandises mentionnées dans le numéro tarifaire ci-dessus « par voie d’ouvraison ou d’incorporation » (ce qui n’est pas le cas) ou « par voie de fixation ». Dans des causes précédentes, le Tribunal a réduit la signification de l’expression « par voie de fixation » et cette expression signifie que les marchandises doivent être physiquement reliées et fonctionnellement unies aux marchandises énumérées dans le numéro tarifaire. La condition « fonctionnellement uni » provient d’une longue série de causes dans lesquelles le Tribunal a observé que l’expression « par voie de fixation » porte davantage que sa signification grammaticale ordinaire. En effet, étant donné le contexte législatif dans lequel cette expression apparaît, elle suggère également une relation fonctionnelle. [Non souligné dans l’original.]

[31] Appliquant ce critère, le TCCE a conclu que les sacs à oignons (à l’exception des sacs principaux) sont reliés à la fois physiquement et fonctionnellement à la machine à ensacher (motifs de la décision, paragraphe 32). À mon avis, on ne peut pas dire que le TCCE a lu l’expression « par voie de fixation » sans tenir compte des mots qui la précèdent et de l’harmonie de la disposition dans son ensemble.

[32] Ceci dit, la conclusion du TCCE voulant que les sacs et les machines soit [sic] physiquement et fonctionnellement reliés est étayée par la preuve au dossier. Les machines ne peuvent pas fonctionner sans que des sacs y soient fixés et il existe une interaction évidente entre les sacs et les machines au cours du processus d’ensachage.

[Soulignement ajouté par la CAF]

[71] Dans Curve Distribution Services Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada[57], le Tribunal a conclu que les étuis spécialement conçus et aménagés pour des téléphones cellulaires étaient physiquement reliés à ceux-ci (les marchandises hôtes) puisqu’ils les recouvraient et étaient en contact direct avec eux.

[72] Dans Sonos, les marchandises en cause (c.-à-d. des haut-parleurs sans fil) pouvaient utiliser des câbles Ethernet ou la technologie sans fil pour se brancher à un ordinateur, à un téléphone ou à un autre appareil numérique ou pour se brancher entre elles. Convaincu que les marchandises étaient physiquement reliées aux marchandises hôtes, le Tribunal a mentionné que « [q]uoique invisible, cette connexion numérique est une connexion véritable et efficace ». Le Tribunal a ajouté que les marchandises en cause ont un port Ethernet qui peut servir à brancher un routeur directement[58].

[73] Dans Canadian Tire, dont il a été question précédemment, le Tribunal a conclu qu’une chaise munie de haut-parleurs intégrés était physiquement reliée aux marchandises hôtes (p. ex. à un ordinateur, à un lecteur DVD ou à une console de jeux vidéo) au moyen d’une connexion Bluetooth ou de câbles[59].

[74] Enfin, dans Les Industries Jam Ltée c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, décision sur laquelle l’ASFC prend appui en l’espèce[60], le Tribunal a fait remarquer que « la version française de la définition de “devant servir dans” indique clairement que les marchandises en cause doivent entrer dans la composition des marchandises hôtes[61] », mais il a aussi estimé que cela exigeait que les marchandises en cause présentent une relation particulière avec les marchandises hôtes, en ce sens que les marchandises « devant servir dans » ou « devant servir à » les marchandises hôtes apportent un complément à la fonction des marchandises hôtes[62]. Le Tribunal a conclu que les marchandises en cause n’apportaient pas de complément aux fonctions d’un ordinateur (marchandise hôte) lorsqu’elles y sont connectées, et il n’a pas traité du volet du critère qui concerne la connexion physique[63]. La CAF a jugé cette décision raisonnable[64].

[75] La jurisprudence du Tribunal a fait ressortir la nécessité de se pencher sur les mots qui figurent dans le Tarif des douanes eu égard au contexte dans lequel ils sont interprétés. Des décisions plus récentes démontrent que, pour qu’il soit satisfait au volet du critère qui concerne la connexion physique, la connexion peut prendre la forme d’un contact direct. Toutefois, dans certains cas, il n’est pas nécessaire que le lien soit de nature purement physique. À titre d’exemple, une connexion sans fil suffirait si elle est à la fois véritable et efficace, l’accent étant mis sur la nécessité d’une relation de nature fonctionnelle[65]. En outre, il est bien établi dans la jurisprudence du Tribunal qu’à moins d’indication contraire dans un numéro tarifaire, la définition de l’expression « devant servir dans » ou « devant servir à » n’exige pas que les marchandises soient destinées à être utilisées uniquement ou exclusivement dans les marchandises hôtes[66] et rien n’oblige non plus à ce que la fixation soit permanente[67]. Autrement dit, une fixation temporaire suffirait.

[76] En résumé, le Tribunal retient de la jurisprudence que pour qu’une marchandise soit « physiquement reliée » à la marchandise hôte, les éléments de preuve doivent faire état d’une « connexion véritable et efficace[68] » dans les circonstances entre la marchandise en question et la marchandise hôte. Le cas échéant, il est satisfait au critère. Autrement, on ne peut conclure que la marchandise est physiquement reliée à la marchandise hôte. De plus, une relation fonctionnelle doit être clairement établie entre la marchandise en cause et la marchandise hôte.

[77] Dans le cas qui nous occupe, il existe une relation fonctionnelle clairement établie entre le gant de chirurgie et le scalpel, notamment un risque d’infection moindre, une meilleure prise (connexion) et des sensations tactiles accentuées.

[78] Qui plus est, le contact direct entre le gant de chirurgie et le scalpel, même s’il est temporaire, et la relation particulière et impérative qui existe entre les deux tout au long de l’intervention chirurgicale témoignent d’une connexion véritable et efficace. Par conséquent, le Tribunal estime qu’il a été satisfait à l’exigence en ce qui concerne le critère de la connexion physique. Le Tribunal est d’avis qu’en l’espèce, la connexion physique suffit pour atteindre le seuil envisagé par le législateur.

CONCLUSION

[79] Pour les motifs susmentionnés, le Tribunal conclut que les marchandises en cause sont à juste titre classées dans le numéro tarifaire 4015.11.00 en tant que « vêtements et accessoires du vêtement (y compris les gants, mitaines et moufles) en caoutchouc vulcanisé non durci, pour tous usages; gants, mitaines et moufles; pour chirurgie ».

[80] En outre, les marchandises en cause sont des articles devant servir dans des instruments et appareils pour la médecine, la chirurgie, l’art dentaire ou l’art vétérinaire et elles sont admissibles à une exonération de droits au titre du numéro tarifaire 9977.00.00.

DÉCISION

[81] Les appels sont admis.

Bree Jamieson-Holloway

Bree Jamieson-Holloway
Membre présidant

 



[1] L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.).

[2] Pièce AP-2022-004-10 à la p. 264; pièce AP-2022-004-10 au par. 28; pièce AP-2022-004-12.C (protégée) au par. 8.

[3] Pièce AP-2022-004-12.B au par. 2.

[4] D.O.R.S./98-282.

[5] Pièce AP-2022-004-12.B au par. 10, à la note 6. Les marchandises qui font l’objet de l’appel AP-2022-004 ont été importées et déclarées entre le 27 novembre 2015 et le 12 août 2017, et les marchandises qui font l’objet de l’appel AP-2022-017 (désormais regroupé avec l’appel AP-2022-004) ont été importées et déclarées entre juin 2016 et mars 2018.

[6] Pièce AP-2022-004-12.C (protégée) aux p. 45-52; pièce AP-2022-004-12.B au par. 11.

[7] Pièce AP-2022-004-12.B au par. 12.

[8] Ibid. au par. 13.

[9] Ibid. au par. 14.

[10] Pièce AP-2022-004-01; pièce AP-2022-017-01; pièce AP-2022-004-12.B au par. 15.

[11] Pièce AP-2022-004-12.B au par. 15.

[12] Pièce AP-2022-017-02.

[13] Pièce AP-2022-004-10; pièce AP-2022-004-10.A (protégée).

[14] Pièce AP-2022-004-12; pièce AP-2022-004-12.A (protégée).

[15] Pièce AP-2022-004-20; pièce AP-2022-004-20.A.

[16] Pièce AP-2022-004-12.B; pièce AP-2022-004-12.C (protégée).

[17] Pièce AP-2022-004-20 à la p. 2; pièce AP-2022-004-20.A à la p. 8; transcription de l’audience publique aux p. 70-71.

[18] Transcription de l’audience publique aux p. 75-76.

[19] Transcription de l’audience publique à la p. 84.

[20] L.C. (1997), ch. 36.

[21] Le Canada est un des pays signataires de la Convention internationale sur le Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises, qui régit le Système harmonisé.

[22] L.C. (1997), ch. 36, annexe.

[23] Ibid.

[24] Selon la règle 6 des Règles générales, « [l]e classement des marchandises dans les sous-positions d’une même position est déterminé […] d’après les termes de ces sous-positions et des Notes de sous-positions ainsi que, mutatis mutandis, d’après les règles ci-dessus [c.-à-d. les règles 1 à 5] […] » et « […] les Notes de sections et de chapitres sont également applicables sauf dispositions contraires ».

[25] D’après la règle 1 des Règles canadiennes, « [l]e classement des marchandises dans les numéros tarifaires d’une sous-position ou d’une position est déterminé […] d’après les termes de ces numéros tarifaires et des Notes supplémentaires ainsi que, mutatis mutandis, d’après les [Règles générales] […] » et « […] les Notes de [s]ections, de [c]hapitres et de sous-positions sont également applicables sauf dispositions contraires ». Les avis de classement et les notes explicatives ne s’appliquent pas au classement effectué au niveau du numéro tarifaire.

[26] Transcription de l’audience publique aux p. 150-151.

[27] Pièce AP-2022-004-10 au par. 3; pièce AP-2022-004-12.B au par. 3.

[28] Pièce AP-2022-004-10 au par. 20; pièce AP-2022-004-12.B au par. 26.

[29] Voir Best Buy Canada Ltd., P & F USA Inc. et LG Electronics Canada Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (27 février 2017), AP-2015-034, AP-2015-036 et AP-2016-001 (TCCE) [Best Buy] au par. 77; Kverneland Group North America Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (30 avril 2010), AP-2009-013 (TCCE) [Kverneland Group] au par. 40; Andritz Hydro Canada Inc. et VA Tech Hydro Canada Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (21 juin 2013), AP-2012-022 (TCCE) [Andritz Hydro] au par. 36; Contech Holdings Canada Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (17 mai 2012), AP-2010-033 et AP-2010-042 (TCCE) au par. 43; Sonos Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers (24 octobre 2017), AP-2016-020 (TCCE) [Sonos] au par. 63; Curve Distribution Services Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (15 juin 2012), AP‑2011‑023 (TCCE) au par. 65; Ubisoft Canada Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (28 janvier 2014), AP-2013-004 (TCCE) [Ubisoft Canada] au par. 59.

[30] Au paragraphe 27 de son mémoire (AP-2022-004-10), Medline semble avancer que « […] comme le prévoit le numéro tarifaire 9977.00.00, les gants de chirurgie doivent être combinés avec les instruments chirurgicaux ou, comme l’a affirmé le Tribunal dans la décision AP-2013-029R, être “conçu[s] pour être utilisé[s] conjointement avec” ces instruments » [traduction]. Voir également la transcription de l’audience publique aux p. 143-144, 161. Au paragraphe 39 de son mémoire révisé (AP-2022-004-12.B), l’ASFC a répondu à l’affirmation de Medline en mentionnant ce qui suit : « [l’]appelante fournit uniquement une analyse erronée du mot conjoined (combiné), lequel ne figure pas dans le libellé du numéro tarifaire 9977.00.00 ni dans aucun volet du critère jurisprudentiel permettant de déterminer si une marchandise “doit servir dans” une marchandise hôte désignée dans le numéro tarifaire 9977.00.00 » [traduction]. Le Tribunal convient avec l’ASFC que le mot « conjoined » (combiné) ne figure pas dans le libellé du numéro tarifaire 9977.00.00 ni dans la jurisprudence se rapportant à l’expression « devant servir dans ». Dans l’affaire Eastern Division Henry Schein et al. c. Président de l’Agence des services frontaliers (15 août 2016), AP-2013-029R (TCCE), citée en référence par Medline, la question que le Tribunal était appelé à trancher consistait à savoir si les marchandises en cause pouvaient être considérées comme des instruments ou appareils pour la médecine, la chirurgie ou l’art vétérinaire suivant la position 90.18. L’expression « devant servir dans » ne figure pas dans la position 90.18.

[31] Voir Sonos au par. 63; Best Buy au par. 77; Andritz Hydro au par. 36, confirmée dans Andritz Hydro Canada Inc. c. Canada (Agence des services frontaliers), 2014 CAF 217; Ubisoft Canada au par. 59, confirmée dans Ubisoft Canada Inc. c. Canada (Agence des services frontaliers), 2014 CAF 254; Kverneland Group au par. 47; Les Industries Jam Ltée c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (20 mars 2006), AP-2005-006 (TCCE) [Les Industries Jam] aux par. 42-45, confirmée dans Les industries Jam ltée c. Canada (Agence des services frontaliers), 2007 CAF 210; Sony du Canada Ltée c. Le commissaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (3 février 2004), AP-2001-097 (TCCE); Imation Canada Inc. c. Le commissaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (29 novembre 2001), AP-2000-047 (TCCE); Agri-Pack c. Commissaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (2 novembre 2004), AP-2003-010 (TCCE) [Agri-Pack] au par. 31.

[32] Transcription de l’audience publique aux p. 32, 98-99; pièce AP-2022-004-20.A aux p. 3-4, 6.

[33] Transcription de l’audience publique aux p. 98-99; pièce AP-2022-004-20.A aux p. 3-4.

[34] Transcription de l’audience publique aux p. 102-103.

[35] Pièce AP-2022-004-33 au par. 1.

[36] Transcription de l’audience publique aux p. 10, 17-19, 56.

[37] Pièce AP-2022-004-10 aux p. 4-5, 156-157; transcription de l’audience publique aux p. 28-30.

[38] Transcription de l’audience publique aux p. 43, 45, 96-97.

[39] Transcription de l’audience publique aux p. 35, 44-45, 68-69, 71, 96-97; pièce AP-2022-004-20.A aux p. 4, 6.

[40] Transcription de l’audience publique à la p. 119.

[41] Pièce AP-2022-004-20.A aux p. 3-4; transcription de l’audience publique aux p. 102-103.

[42] Pièce AP-2022-004-20.A à la p. 5.

[43] Pièce AP-2022-004-10 au par. 31.

[44] Canadian Tire Corporation Ltd. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (24 août 2018), AP‑2017-025 (TCCE) [Canadian Tire] aux par. 42-43.

[45] Transcription de l’audience publique aux p. 132-133; voir aussi la pièce AP-2022-004-10 au par. 23; transcription de l’audience publique aux p. 128-129, 142-143, 157-161.

[46] Transcription de l’audience publique à la p. 144.

[47] Sony du Canada Ltée c. Le sous-ministre du Revenu national (12 décembre 1996), AP-95-262 (TCCE) [Sony I]; transcription de l’audience publique aux p. 81, 130, 133-135.

[48] Transcription de l’audience publique aux p. 149-151.

[49] Transcription de l’audience publique aux p. 150-151.

[50] Sony I.

[51] À titre d’exemple, les parties ont convenu que, ou n’ont pas contesté le fait que, les marchandises en cause étaient physiquement unies dans Imation Canada Inc. c. Commissaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (29 novembre 2001), AP-2000-047 (TCCE); Kverneland Group au par. 42; Best Buy au par. 79.

[52] Dans Sony I, le Tribunal a mentionné ce qui suit :

La version anglaise de cet article se lit comme suit :

4. The expression “for use in”, wherever it occurs in a tariff item in Schedule I or a code in Schedule II in relation to goods, means, unless the context otherwise requires, that the goods must be wrought into, attached to or incorporated into other goods as provided for in that tariff item or code.

La version française de l’article 4 se lit comme suit :

4. Les expressions « devant servir dans » et « devant servir à », mentionnées en regard d’un numéro tarifaire de l’annexe I ou d’un code de l’annexe II, signifient que, sauf indication contraire du contexte, les marchandises en cause entrent dans la composition d’autres marchandises par voie d’ouvraison, de fixation ou d’incorporation, selon ce qui est indiqué en regard de ce numéro ou code.

[53] PHD Canada Distributing Ltd. c. Le commissaire des Douanes et du Revenu (25 novembre 2002), AP-99-116 (TCCE).

[54] Sony du Canada Ltée c. Le commissaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (3 février 2004), AP‑2001-097 (TCCE).

[55] Agri-Pack au par. 32.

[56] Canada (Agence des douanes et du revenu) c. Agri Pack, 2005 CAF 414 aux par. 29-33.

[57] Curve Distribution Services Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (15 juin 2012), AP‑2011-023 (TCCE).

[58] Sonos au par. 65.

[59] Canadian Tire aux par. 34, 43.

[60] Pièce AP-2022-004-12.B au par. 36.

[61] Les Industries Jam au par. 41.

[62] Les Industries Jam au par. 44.

[63] Les Industries Jam au par. 45.

[64] Les industries Jam ltée c. Canada (Agence des services frontaliers), 2007 CAF 210.

[65] Sonos au par. 65.

[66] Sonos au par. 64; Best Buy au par. 78; Agri-Pack aux par. 19-20, 33-35, appel accueilli pour d’autres motifs dans Canada (Agence des douanes et du revenu) c. Agri Pack (12 décembre 2005), 2005 CAF 414; Entrelec Inc. c. Le sous-ministre du Revenu national (28 septembre 1998), AP-97-029 (TCCE) : la décision a été annulée et l’affaire a été renvoyée au Tribunal dans Entrelec Inc. c. Canada (ministre du Revenu national) (14 septembre 2000), A‑755-98 (CAF). Dans le cadre du deuxième examen effectué dans Entrelec Inc. c. Commissaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (17 mars 2003), AP-2000-051 (TCCE), le Tribunal a conclu que certaines des marchandises « devaient servir aux » appareils concernés, et la CAF n’a vu aucune raison de modifier cette décision; voir Entrelec Inc. c. Canada (Commissaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada) (19 avril 2004), A-270-03 (2004 CAF 159).

[67] Agri-Pack aux par. 19, 35, appel accueilli pour d’autres motifs dans Canada (Agence des douanes et du revenu) c. Agri Pack (12 décembre 2005), 2005 CAF 414; P.L. Light Systems Canada Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (14 novembre 2011), AP-2008-012R (TCCE) au par. 23.

[68] Sonos au par. 65.

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