TRITECH GROUP LTD.

TRITECH GROUP LTD.
c.
MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX
Dossier no PR-2013-035

Décision et motifs rendus
le lundi 31 mars 2014

TABLE DES MATIÈRES

DÉCISION

EXPOSÉ DES MOTIFS

 

EU ÉGARD À une plainte déposée par Tritech Group Ltd. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.);

ET À LA SUITE D’une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

ENTRE

TRITECH GROUP LTD. Partie plaignante

ET

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX Institution fédérale

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte est fondée.

Aux termes des paragraphes 30.15(2) et 30.15(3) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande que le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux poursuive et conclue l’évaluation de la soumission de Tritech Group Ltd. en considérant que, pendant la période de validité des offres, ses prix sont valides pour la durée de l’offre à commandes, y compris toutes années optionnelles.

Aux termes des paragraphes 30.15(2) et 30.15(3) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande également ce qui suit :

  • s’il est déterminé après l’évaluation que la soumission de Tritech Group Ltd. aurait dû être recommandée pour une offre à commandes au motif qu’elle est la soumission recevable dont le prix est le plus bas, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande que le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux indemnise Tritech Group Ltd. pour les profits raisonnables qu’elle aurait réalisés si elle avait été le soumissionnaire retenu;
  • s’il est déterminé après l’évaluation que Tritech Group Ltd. a proposé les mêmes prix que MetalBoss Technologies Inc., le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande que Tritech Group Ltd. soit indemnisée pour la moitié des profits raisonnables qu’elle aurait réalisés, au motif qu’elle aurait dû également recevoir une offre à commandes et la moitié de la commande attribuée à MetalBoss Technologies Inc.;
  • s’il est déterminé après l’évaluation que la proposition de Tritech Group Ltd. est irrecevable pour toute autre raison, Tritech Group Ltd. ne sera pas indemnisée, sous réserve de ses droits d’invoquer d’autres motifs d’opposition contre le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux ou de déposer toute autre plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur dans les délais prescrits à l’article 6 du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics.

Le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande au ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux et à Tritech Group Ltd. de négocier une indemnité pour la perte de profits raisonnables, le cas échéant. Le Tribunal canadien du commerce extérieur a la compétence de fixer une indemnité si de telles négociations échouent.

Serge Fréchette
Serge Fréchette
Membre présidant

Dominique Laporte
Dominique Laporte
Secrétaire

Membre du Tribunal : Serge Fréchette, membre présidant

Conseillers juridiques pour le Tribunal : Eric Wildhaber
Anja Grabundzija

Agent des dossiers de marchés publics : Josée Leblanc

Partie plaignante : Tritech Group Ltd.

Représentant de la partie plaignante : J.S. (Jack) Gill

Institution fédérale : ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

Conseillers juridiques pour l’institution fédérale : Susan D. Clarke
Roy Chamoun
Ian McLeod

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario)  K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : secretaire@tcce-citt.gc.ca

EXPOSÉ DES MOTIFS

PLAINTE

  1. Le 28 janvier 2014, Tritech Group Ltd. (Tritech) a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur[1]. La plainte porte sur une demande d’offres à commandes, invitation no F1700-130429/A (DOC), publiée par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC), au nom du ministère des Pêches et des Océans, pour la fabrication et la fourniture de bâtiments modulaires en aluminium de diverses tailles de deux, quatre et six unités.
  2. Tritech allègue que TPSGC a incorrectement déclaré sa soumission irrecevable en raison d’une mauvaise interprétation des prix qu’elle proposait. La proposition de Tritech a été jugée irrecevable parce que les évaluateurs de TPSGC en sont arrivés à la conclusion suivante : « Les prix doivent demeurer valides pour un an et votre proposition n’est valide que pour 90 jours »[2] [nos italiques, traduction]. La proposition de Tritech n’a pas subi d’autre évaluation en fonction des critères cotés de la DOC, et son offre de prix n’a pas non plus été prise en considération.
  3. À titre de mesure corrective, Tritech demande que sa proposition soit jugée recevable et soit évaluée en fonction des critères applicables. Tritech n’a pas demandé le remboursement de ses frais. Tritech a demandé que l’adjudication du contrat soit différée en vertu du paragraphe 30.13(3) de la Loi sur le TCCE.
  4. Le 31 janvier 2014, le Tribunal a informé les parties qu’il avait décidé d’enquêter sur la plainte puisqu’elle satisfaisait aux exigences du paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et aux conditions énoncées au paragraphe 7(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics[3]. Le même jour, le Tribunal a ordonné que soit différée l’adjudication de tout contrat (c’est-à-dire les contrats subséquents) à l’égard de la présente invitation jusqu’à ce que le Tribunal se prononce sur le bien-fondé de la plainte.
  5. Dans une lettre au Tribunal datée du 5 février 2014, TPSGC a avisé le Tribunal que la seule offre à commandes attribuée à la suite de la DOC l’avait été à MetalBoss Technologies Inc. (MetalBoss). Le 17 février 2014, TPSGC a avisé le Tribunal qu’un contrat subséquent avait été accordé à MetalBoss le 30 janvier 2014, date antérieure à l’ordonnance de report d’adjudication du Tribunal. Le montant de ce contrat atteignait la valeur maximale pouvant être dépensée en vertu de l’invitation. Par conséquent, comme aucun autre contrat subséquent en vertu de l’offre à commandes n’était désormais possible, le report d’adjudication prononcé par le Tribunal se trouvait nul et non avenu au moment de son prononcé.
  6. Le 25 février 2014, TPSGC a déposé un rapport de l’institution fédérale (RIF) conformément à l’article 103 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur[4]. Tritech a déposé ses commentaires sur le RIF le 11 mars 2014.
  7. Étant donné que les renseignements au dossier étaient suffisants pour déterminer le bien-fondé de la plainte, le Tribunal a décidé qu’une audience n’était pas nécessaire et a statué sur la plainte sur la foi des renseignements au dossier.

PROCÉDURE DE PASSATION DU MARCHÉ PUBLIC

  1. La DOC a été publiée le 24 octobre 2013. Cinq modifications ont été publiées durant la période d’invitation. Aucune d’elles n’est pertinente à la présente plainte. La date de clôture pour la remise des soumissions était le 9 décembre 2013, à 14 h, H.A.P.
  2. Il est énoncé dans la DOC que « [l]es offres doivent être valides pendant au moins quatre-vingt-dix (90) jours à compter de la date de clôture pour la remise des soumissions » [nos italiques, traduction] (la période de validité des offres)[5].
  3. Il est également indiqué dans la DOC que « [l]e Canada se réserve le droit de demander par écrit une prolongation de la période de validité des offres à tous les soumissionnaires qui ont déposé une soumission recevable, dans un délai d’au moins trois (3) jours avant la fin de la période de validité des offres » [nos italiques, traduction] (la disposition prévoyant la demande de prolongation de la période de validité des offres)[6].
  4. Le Tribunal constate que la DOC souffre du problème suivant : la durée de l’offre à commandes n’est pas claire, particulièrement en ce qui concerne les années optionnelles.
  5. La durée de l’offre à commandes est d’abord énoncée à l’article 1.2 de la DOC de la façon suivante : « [d]urée de l’offre à commandes : un an avec deux années optionnelles » [nos italiques, traduction] (le premier énoncé de la durée de l’offre à commandes dans la DOC).
  6. Toutefois, un second énoncé de la durée de l’offre à commandes figure au paragraphe 4.1.2 de la DOC, qui prévoit ce qui suit :

Lorsqu’il remplit le tableau financier de l’annexe B, le soumissionnaire doit fournir tous les prix unitaires liés aux bâtiments modulaires de deux, quatre ou six unités. Les quantités indiquées dans le tableau sont incluses à des fins d’évaluation seulement. À défaut de fournir tous les prix unitaires demandés, la soumission sera jugée incomplète et rejetée. Les prix proposés doivent être valides pour la durée de l’offre à commandes, y compris l’année optionnelle [le deuxième énoncé de la durée de l’offre à commandes dans la DOC]. [...]

[Nos italiques, traduction]

  1. L’incohérence interne constatée par le Tribunal entre le premier et le second énoncé de la durée de l’offre à commandes est la suivante : le premier énoncé indique que la durée de l’offre à commande est d’un an avec deux années optionnelles, alors que le second énoncé implique nécessairement une seule année optionnelle (« l’année optionnelle », au singulier). Les évaluateurs de TPSGC semblent avoir considéré la durée de l’offre à commandes comme n’étant assortie d’aucune année optionnelle puisque la lettre de refus ne porte pas la moindre mention d’une année optionnelle (ou d’années optionnelles, au pluriel), indiquant plutôt que « [l]es prix doivent demeurer valides pour un an et votre proposition n’est valide que pour 90 jours »[7] [nos italiques, traduction].
  2. Cinq offres[8] ont été présentées : une par Tritech (jugée non recevable pour la raison évoquée ci‑dessus), une autre par MetalBoss (en fin de compte le soumissionnaire recevable dont le prix évalué était le plus bas)[9], une autre par un soumissionnaire recevable non identifié dont le prix évalué était supérieur, et deux autres de soumissionnaires non recevables non identifiés.
  3. L’évaluation des offres, et l’acceptation ultérieure de l’offre de MetalBoss, a donc eu lieu à un moment indéterminé entre le 9 décembre 2013 (date de clôture pour la remise des soumissions) et le 14 janvier 2014 (date d’adjudication), date à laquelle TPSGC a attribué l’offre à commandes à MetalBoss.
  4. Ainsi, 36 jours civils séparent la date de clôture pour la remise des soumissions de la date d’adjudication; les soumissions ont été évaluées et l’offre de MetalBoss acceptée pendant la période de validité des offres.

QUESTION EN LITIGE ET POSITION DES PARTIES

  1. Le seul motif de plainte en l’espèce tourne autour de l’interprétation donnée par TPSGC à deux phrases contenues dans la proposition de Tritech. Ces phrases apparaissent sous le tableau de l’annexe B, « Base de paiement », qu’elle a fourni dans sa proposition. La question apparaît non en rapport au tableau lui-même, dans lequel Tritech soutient avoir donné des prix fermes pour la durée de l’offre à commandes (un an et toutes périodes optionnelles), mais plutôt à l’égard des deux phrases inscrites sous le tableau, qui sont les suivantes : « les prix des matériaux sont valides pour 90 jours. Après 90 jours la composante en matériaux des prix sera indexée aux indices publiés du prix de l’aluminium en Amérique du Nord [les phrases contestées de la soumission de Tritech] » [traduction].
  2. La lettre de refus énonçait que le motif pour lequel TPSGC a conclu à l’irrecevabilité était que « [l]es prix devaient demeurer valides pour un an et votre offre n’était valide que pour 90 jours » [nos italiques, traduction].
  3. Dans le RIF, TPSGC ajoute que les évaluateurs ont déterminé que la soumission de Tritech n’était pas recevable à l’égard des exigences d’évaluation financière de la DOC au motif qu’ils ont interprété les phrases contestées de l’offre de Tritech comme « [...] modifiant les modalités et conditions de la DOC [...] » [traduction] en incluant une « condition » [traduction] et le « [...] facteur de prix variable et inconnu (fondé sur les fluctuations futures des indices des prix de l’aluminium en Amérique du Nord) [...] »[10] [traduction].
  4. La position de Tritech en réponse à la lettre de refus de TPSGC, telle que présentée dans sa plainte, énonce ce qui suit :

Notre intention était de montrer que nous étions prêts à garantir notre prix pour la durée demandée, avec 90 jours comme « période d’acceptation » [autrement dit, la période de validité des offres] et non la période de validité [autrement dit l’un ou l’autre du premier ou du second énoncé de la durée de l’offre à commandes]. Après 90 jours, en cas de force majeure ou d’un changement dramatique des prix de l’aluminium, nous aurions besoin d’une sorte de moyen de comparaison, et les indices des prix de l’aluminium en Amérique du Nord sont communément employés comme indicateur juste. Nous avons été forcés d’employer un moyen juste en raison de notre lecture du paragraphe suivant de l’offre. 6A4.2 énonce ce qui suit : «  Si l’utilisation de l’offre à commandes est autorisée au-delà de la période initiale, le soumissionnaire consent à prolonger son offre pour une période supplémentaire [de deux (2) périodes de un (1) an], aux mêmes conditions et aux taux ou prix indiqués dans l’offre à commandes, ou aux taux ou prix calculés selon la formule mentionnée dans l’offre à commandes. »

Nous avons présumé que l’utilisation d’une formule dans l’offre à commandes signifierait qu’une sorte de moyen serait utilisé pour analyser d’éventuels changements dramatiques des prix des matériaux. C’est la raison pour laquelle nous avons suggéré les indices de prix en Amérique du Nord dans notre proposition[11].

[Traduction]

  1. Ce qui précède a été pour l’essentiel réitéré par Tritech dans ses commentaires sur le RIF :

[...] Notre offre se conforme à la « période d’acceptation de 90 jours » demandée dans la DOC [c’est-à-dire la période de validité des offres]. Notre énoncé « les prix des matériaux sont valides pour 90 jours. Après 90 jours la composante en matériaux des prix sera indexée aux indices publiés du prix de l’aluminium en Amérique du Nord » visait à répondre à l’élément 05 des Instructions normalisées (2013-06-01) paragraphe 4 Présentation des offres en réponse à la prolongation de la période de validité de 90 jours [c’est-à-dire la disposition prévoyant demande de prolongation de la période de validité des offres]. Si l’offre était acceptée dans les 90 jours, nous nous engagions aux modalités et conditions de la DOC et nos prix demeureraient valides pour la période de l’offre à commandes, y compris la période optionnelle [l’un ou l’autre des deux énoncés de la durée de l’offre à commandes]. TPSGC s’est complètement trompé sur le sens de notre énoncé[12].

[Traduction]

  1. TPSGC soutient que les positions avancées par Tritech dans les deux paragraphes qui précèdent constituent de nouveaux renseignements qui n’étaient pas contenus dans l’offre de Tritech et que Tritech aurait dû demander des éclaircissements[13].

ANALYSE

  1. Aux termes du paragraphe 30.14(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal doit, dans son enquête, limiter son étude à l’objet de la plainte. À la conclusion de l’enquête, le Tribunal doit déterminer le bien‑fondé de la plainte en fonction des critères et procédures établis par règlement pour le contrat spécifique. L’article 11 du Règlement prévoit que le Tribunal doit déterminer si le marché public a été passé conformément aux accords commerciaux pertinents. Tous les accords commerciaux mentionnés à l’alinéa 7(1)c) du Règlement s’appliquent en l’espèce.
  2. Le paragraphe 506(6) de l’Accord sur le commerce intérieur[14] prévoit ce qui suit :

[...] Les documents d’appel d’offres doivent indiquer clairement les conditions du marché public, les critères qui seront appliqués dans l’évaluation des soumissions et les méthodes de pondération et d’évaluation des critères.

  1. Le paragraphe 1015(4) de l’Accord de libre-échange nord-américain[15] prévoit ce qui suit :

4. L’adjudication des marchés s’effectuera conformément aux procédures suivantes :

(a) pour être considérée en vue de l’adjudication, une soumission devra être conforme, au moment de son ouverture, aux conditions essentielles spécifiées dans les avis ou dans la documentation relative à l’appel d’offres, et avoir été présentée par un fournisseur remplissant les conditions de participation;

[...]

(d) l’adjudication des marchés sera conforme aux critères et aux conditions essentielles spécifiées dans la documentation relative à l’appel d’offres; [...]

  1. Selon la position de TPSGC, Tritech proposait des prix unitaires qui n’auraient été valides que pour les premiers 90 jours suivant l’adjudication d’une offre à commandes; après cette période, ses prix unitaires auraient été modifiés en fonction du prix du marché de l’aluminium alors en vigueur[16]. Cette position n’est pas raisonnable pour les motifs indiqués ci-dessous.
  2. Il est bien établi, et cela a été réitéré récemment, que le Tribunal est réticent à substituer son jugement à celui des évaluateurs, sauf dans des circonstances très particulières[17]. Les faits de l’espèce correspondent à de telles circonstances et l’intervention du Tribunal est, par conséquent, justifiée.
  3. La présente affaire illustre bien les problèmes occasionnés lorsque des soumissionnaires ou des évaluateurs avancent des hypothèses ou font des suppositions.
  4. En règle générale, les soumissionnaires ne doivent pas avancer des hypothèses ni faire de suppositions. TPSGC indique avec justesse (et Tritech admet) que Tritech a présumé qu’elle pouvait inclure une formule dans sa proposition pour faire en sorte qu’« [a]près [l’expiration des] 90 jours [de la période de validité des offres], la composante en matériaux des prix [soit] indexée aux indices publiés du prix de l’aluminium en Amérique du Nord » [traduction].
  5. Selon Tritech, elle a fourni des prix unitaires qui étaient valides pour toute la durée de la période de validité des offres et, si sa soumission était acceptée, elle serait liée par ces prix pendant toute la durée de l’offre à commandes. Le libellé des phrases contestées dans la soumission de Tritech n’est pas conditionnel. En incluant la phrase suivante : « Après 90 jours la composante en matériaux des prix sera indexée aux indices publiés du prix de l’aluminium en Amérique du Nord » [traduction], elle croyait que cela indiquait que sa soumission pouvait être modifiée pour tenir compte des changements possibles dans le prix de l’aluminium, si et seulement si TPSGC demandait aux soumissionnaires s’ils acceptaient de prolonger la période de validité des offres en ayant recours à la disposition prévoyant la demande de prolongation de la période de validité des offres.
  6. En d’autres termes, Tritech avisait qu’elle ne considérerait pas une prolongation de la période de validité des offres au-delà de la date d’expiration de 90 jours, à moins qu’elle puisse réviser la « composante en matériaux des prix » [traduction]. La position de TPSGC est déraisonnable car elle ne comprend pas la réalité commerciale pour laquelle un soumissionnaire, c’est-à-dire Tritech, aurait voulu soumettre une proposition pour la période de validité des offres en indiquant, par la même occasion, qu’elle désirait pouvoir réviser cette position si on lui demandait de prolonger la période de validité des offres (c’est-à-dire garantir pendant 90 jours des prix unitaires pour une période d’un an est une chose, mais garantir de tels prix au-delà de 90 jours en est une autre).
  7. Pour être clair, la proposition de Tritech ne contenait aucune « composante en matériaux des prix » [traduction]. Tout ce qu’elle contenait étaient des prix unitaires fermes qui pouvaient être acceptés pendant la période de validité des offres. Ainsi, Tritech a respecté les exigences de la DOC. Pour ce motif, et contrairement aux arguments de TPSGC, une distinction peut être faite entre la présente affaire et la jurisprudence citée par TPSGC[18].
  8. La DOC indique que « [...] les prix proposés doivent être valides pour toute la durée de l’offre à commandes, incluant les années optionnelles [...] » [nos italiques]. Les seuls « prix » dont il est question dans la DOC et dans la soumission de Tritech sont les « prix unitaires » indiqués au tableau de l’annexe B. Par conséquent, lorsque Tritech a soumis une proposition dans laquelle étaient indiqués des prix unitaires dans la colonne prévue à cet effet à l’annexe B, Tritech était liée par ces prix unitaires.
  9. Autrement dit, et pour considérer la question sous un autre angle en inversant les positions des parties, si TPSGC avait accepté la soumission de Tritech et l’avait obligée à signer une offre à commandes, comme TPSGC aurait eu le droit de le faire, Tritech n’aurait pu soutenir que TPSGC avait accepté une soumission qui prévoyait un prix donné pour les premiers 90 jours de l’offre à commandes et un prix indexé par la suite. TPSGC aurait eu raison d’insister sur le fait que la période de 90 jours dont il est question dans les phrases contestées de la soumission de Tritech ne pouvait faire référence qu’à la période de validité des offres. TPSGC aurait également eu raison de soutenir que Tritech avait accepté que « [...] [l]es prix proposés doivent être valides pour toute la durée de l’offre à commandes, incluant les années optionnelles [...] », que les seuls « prix » indiqués dans la DOC et dans la soumission de Tritech sont les « prix unitaires » du tableau de l’annexe B et que les phrases contestées de la soumission de Tritech ne s’appliquent pas à l’égard des « prix unitaires » proposés qui liaient Tritech, car ces phrases font référence à la « composante en matériaux des prix » [traduction] que l’on ne retrouve nulle part dans la DOC ni dans la soumission de Tritech.
  10. Toutefois, Tritech a assurément indiqué qu’elle ne prolongerait pas son offre au-delà de la période de validité des offres sans avoir l’occasion d’ajuster sa soumission en fonction des prix de l’aluminium ultérieurs. Tritech a fait erreur en présumant qu’il était approprié d’inclure dans sa proposition une formule proposée pour modifier sa soumission si TPSGC avait recours à la disposition prévoyant la demande de prolongation de la période de validité des offres. Il n’y a aucun fondement dans la DOC pour une telle supposition; la seule « formule » dont il est question dans la DOC est celle qui est indiquée par TPSGC et selon laquelle les prix unitaires sont multipliés par le nombre d’unités de chaque type d’unité modulaire indiqué. Par conséquent, la supposition de Tritech était déraisonnable.
  11. Néanmoins, cela n’aurait pas dû rendre sa soumission non recevable, car cette formule n’avait aucune incidence sur ses prix unitaires pendant la période de validité des offres ni pendant la durée de l’offre à commandes selon l’un ou l’autre des énoncés, et, par conséquent, elle n’était pas pertinente aux fins de l’évaluation de la conformité. La supposition de Tritech a sans doute brouillé les cartes, car elle a été la source de la supposition tout aussi déraisonnable faite par les évaluateurs de TPSGC – supposition qui est fatale pour la position de TPSGC dans la présente plainte.
  12. Il est opportun de mentionner qu’en règle générale, les évaluateurs ne doivent pas non plus faire de suppositions.
  13. L’évaluation de la soumission de Tritech est déraisonnable, car les évaluateurs présument que l’indexation éventuelle de la « composante en matériaux des prix » prévue dans sa soumission ne pouvait que signifier qu’elle proposait de modifier son prix unitaire en conséquence après les premiers 90 jours de l’adjudication d’une offre à commandes. Pourtant, il y avait une correspondance parfaite entre la période de 90 jours mentionnée dans la soumission de Tritech et ce que la DOC exigeait comme période de validité des offres. N’aurait-il pas été possible de vérifier, plutôt facilement, que l’intention de Tritech pouvait être différente de celle que TPSGC avait décidé de présumer? De quelle manière? TPSGC aurait pu simplement demander à Tritech de clarifier le sens des phrases contestées dans sa soumission au lieu de tirer des conclusions à la légère[19].
  14. La position de TPSGC est déraisonnable car elle se fonde sur une absence totale de la moindre tentative par les évaluateurs de vérifier le sens des phrases contestées dans la soumission de Tritech afin de considérer la possibilité d’une intention autre que celle qu’ils ont présumée. Il semble qu’aucune avenue autre que le point de vue des évaluateurs n’ait été le moindrement considérée ou explorée. Ainsi, les évaluateurs ont choisi d’abandonner la responsabilité qui leur incombait de vérifier l’intention exprimée dans la soumission de Tritech pour adopter ce qui semble n’être rien de plus qu’un réflexe irraisonné de leur part : la soumission dit quelque chose qui sort de l’ordinaire, alors cela doit nécessairement signifier que les prix de Tritech ne correspondent pas à ce qui a été demandé.
  15. La DOC contient une clause qui prévoit que TPSGC peut demander des éclaircissements, sans toutefois y être tenu. TPSGC aurait dû se prévaloir de son droit de demander des éclaircissements sur ce que tentait d’exprimer Tritech dans les phrases contestées de sa soumission. S’il l’avait fait, il n’aurait pas fait de suppositions et aurait plutôt tenté de déterminer la véritable intention de Tritech dans sa soumission. Cela démontre que les suppositions, comme celles que TPSGC a faites en l’espèce, peuvent être tout aussi fatales pour ce qui est du caractère raisonnable des évaluateurs d’une institution fédérale que celles faites par les soumissionnaires dans la préparation de leurs soumissions.
  16. Les soumissionnaires devraient se prévaloir de leur droit de poser des questions et s’attendre à recevoir des réponses des institutions fédérales afin de vérifier leurs suppositions. Les institutions fédérales peuvent se prévaloir de leur droit de demander des éclaircissements aux soumissionnaires afin de vérifier leurs propres suppositions. Elles ne devraient pas hésiter à le faire car, en se fondant sur des suppositions, leurs évaluations peuvent perdre leur caractère raisonnable, comme en l’espèce.
  17. Par conséquent, il est justifié pour le Tribunal de substituer son jugement à celui des évaluateurs en l’espèce, car les suppositions qu’ils ont faites indiquent qu’ils ne se sont pas appliqués quand ils ont évalué la proposition de Tritech, qu’ils ont volontairement ignoré des renseignements essentiels qu’elle contenait et/ou qu’ils ont lu une intention qu’elle ne contenait raisonnablement pas.
  18. Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut que la proposition de Tritech n’aurait pas dû être déclarée irrecevable pour les motifs invoqués par TPSGC. Par conséquent, le Tribunal conclut que la plainte est fondée.

MESURE CORRECTIVE

  1. Conformément aux critères énoncés au paragraphe 30.15(3) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal conclut que l’irrégularité constatée ci-dessus est grave et cause préjudice à l’intégrité ou à l’efficacité du mécanisme d’adjudication, étant donné surtout qu’il n’y avait que cinq soumissionnaires et qu’un contrat a déjà été établi à un montant atteignant la valeur maximum pouvant être dépensée en vertu de l’invitation. La mesure dans laquelle le contrat a été exécuté est inconnue. Le dossier semble indiquer que Tritech a présenté la meilleure proposition financière (c’est-à-dire l’offre la moins-disante)[20]. Néanmoins, le Tribunal ne peut présumer du résultat d’une évaluation appropriée de la proposition de Tritech.
  2. Par conséquent, le Tribunal ordonne à TPSGC de poursuivre son évaluation de la soumission de Tritech en considérant que, pendant la période de validité des offres, ses prix sont valides pour la durée de l’offre à commandes, incluant toutes années optionnelles (un an et une ou deux années optionnelles, selon l’énoncé de la durée de l’offre à commandes dans la DOC qui est valide).
  3. Dans sa décision ci-dessous, le Tribunal recommande des mesures correctives en fonction du résultat de l’évaluation et une indemnisation à Tritech pour la perte de profits raisonnables, si elle y a droit.

FRAIS

  1. Tritech n’a pas demandé le remboursement de ses frais. Par conséquent, aucuns frais ne sont accordés.

DÉCISION DU TRIBUNAL

  1. Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal détermine que la plainte est fondée.
  2. Aux termes des paragraphes 30.15(2) et 30.15(3) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal recommande que TPSGC poursuive et conclue l’évaluation de la soumission de Tritech en considérant que, pendant la période de validité des offres, ses prix sont valides pour la durée de l’offre à commandes, y compris toutes années optionnelles.
  3. Aux termes des paragraphes 30.15(2) et 30.15(3) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal recommande également ce qui suit :
  • s’il est déterminé après l’évaluation que la soumission de Tritech aurait dû être recommandée pour une offre à commandes au motif qu’elle est la soumission recevable dont le prix est le plus bas, le Tribunal recommande que TPSGC indemnise Tritech pour les profits raisonnables qu’elle aurait réalisés si elle avait été le soumissionnaire retenu;
  • s’il est déterminé après l’évaluation que Tritech a proposé les mêmes prix que MetalBoss, le Tribunal recommande que Tritech soit indemnisée pour la moitié des profits raisonnables qu’elle aurait réalisés, au motif qu’elle aurait dû également recevoir une offre à commandes et la moitié de la commande attribuée à MetalBoss;
  • s’il est déterminé après l’évaluation que la proposition de Tritech est irrecevable pour toute autre raison, Tritech ne sera pas indemnisée, sous réserve de ses droits d’invoquer d’autres motifs d’opposition contre TPSGC ou de déposer toute autre plainte auprès du Tribunal dans les délais prescrits à l’article 6 du Règlement.
  1. Le Tribunal recommande à TPSGC et à Tritech de négocier une indemnité pour la perte de profits raisonnables, le cas échéant. Le Tribunal a la compétence de recommander ce montant si de telles négociations échouent.
 

[1].     L.R.C., 1985, ch. 47 (4e suppl.) [Loi sur le TCCE].

[2].     Lettre de TPSGC à Tritech datée du 8 janvier 2014, pièce PR-2013-035-01 (dans la suite des présentes, la « lettre de refus »).

[3].     D.O.R.S./93-602 [Règlement].

[4].     D.O.R.S./91-499.

[5].     Article 2.1 Instructions, clauses et conditions uniformisées de la Partie 2 – Instructions à l’intention des soumissionnaires, intégrées par renvoi et modifiées de 60 à 90 jours, paragraphe 5.4 du document 2006 Instructions uniformisées – demande d’offres à commandes – biens ou services – besoins concurrentiels (Guide des CCUA), de la manière suivante : « Les offres doivent être valables pendant au moins quatre-vingt-dix (90) jours à compter de la date de clôture de la DOC, à moins d’avis contraire dans la DOC. Le Canada se réserve le droit de demander par écrit une prolongation de la période de validité des offres à tous les soumissionnaires, dans un délai d’au moins trois (3) jours avant la fin de la période de validité des offres. Si tous les soumissionnaires qui ont déposé des offres recevables acceptent de prolonger cette période, le Canada continuera d’évaluer les offres. Si cette prolongation n’est pas acceptée par tous les soumissionnaires qui ont déposé des offres recevables, le Canada, à sa seule et entière discrétion, continuera d’évaluer les offres des soumissionnaires qui auront accepté la prolongation ou annulera la DOC » [nos italiques, traduction] (dans la suite des présentes, le « paragraphe 5.4 du Guide des CCUA tel que modifié par la DOC).

[6].     Paragraphe 5.4 du Guide des CCUA tel que modifié par la DOC : « Le Canada se réserve le droit de demander par écrit une prolongation de la période de validité des offres à tous les soumissionnaires, dans un délai d’au moins trois (3) jours avant la fin de la période de validité des offres. Si tous les soumissionnaires qui ont déposé des offres recevables acceptent de prolonger cette période, le Canada continuera d’évaluer les offres. Si cette prolongation n’est pas acceptée par tous les soumissionnaires qui ont déposé des offres recevables, le Canada, à sa seule et entière discrétion, continuera d’évaluer les offres des soumissionnaires qui auront accepté la prolongation ou annulera la DOC » [nos italiques, traduction].

[7].     Voir la lettre de refus.

[8].     Pièce PR-2013-035-10 aux par. 14, 18, aux pp. 7-8. Le Tribunal constante que la numérotation des paragraphes du RIF commence trois fois au paragraphe 1, aux pages 4, 10 et 15 du RIF. Par conséquent, afin d’obvier à la confusion, les références sont données dans tous les cas à la fois aux paragraphes et aux pages pour les citations relatives au RIF.

[9].     Selon le paragraphe 4.2.1 de la DOC, « [l]a soumission recevable ayant le prix évalué le plus bas sera recommandée pour attribution d’un contrat ».

[10].   Pièce PR-2013-035-10 aux par. 4-5, aux pp. 4-5.

[11].   Pièce PR-2013-035-01 au par. 8 (Formulaire de plainte concernant un marché public – question 5F – Exposé détaillé des faits et arguments).

[12].   Pièce PR-2013-035-14, p. 2.

[13].   Pièce PR-2013-035-10 aux par. 17-20, aux pp. 13-14.

[14].   18 juillet 1994, Gaz. C. 1995.I.1323, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <http://www.ait-aci.ca/index_fr/ait.htm> [ACI]. Le Tribunal a déjà reconnu que ce paragraphe de l’ACI comprend l’obligation pour l’entité acheteuse d’employer dans le cadre de l’évaluation des propositions les critères énoncés dans l’appel d’offres. Voir, par exemple, C3 Polymeric Limited c. Musée des beaux-arts du Canada (14 février 2013), PR-2012-020 (TCCE) au par. 27; AmeriData Canada Limited (9 février 1996), PR-95-011 (TCCE).

[15].   Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, 17 décembre 1992, R.T.C. 1994, no 2 (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ALÉNA]. Les autres accords commerciaux contiennent des dispositions similaires à celles de l’ALÉNA.

[16].   Pièce PR-2013-035-10 au par. 5, à la p. 11.

[17].   Voir Saskatchewan Institute of Applied Science and Technology c. ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (9 janvier 2014), PR-2013-013 (TCCE) aux par. 58-59.

[18].   Pour appuyer sa position, TPSGC a cité DDI Group Ltd. (24 novembre 2008), PR-2008-036 (TCCE) [DDI Group] et Winchester Division-Olin Corporation c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (2 avril 2004), PR-2003-064 (TCCE) [Winchester]. Toutefois, dans DDI Group, au lieu de fournir des prix plafond conformément à l’invitation à soumissionner, le soumissionnaire avait ajouté un supplément pour le carburant qui s’écartait du barème de prix obligatoire; le supplément proposé par le soumissionnaire devait varier en fonction du prix du carburant et était dit « négociable » lorsque le prix du carburant atteindrait ou dépasserait un certain niveau. Dans Winchester, le soumissionnaire a expressément inclus une condition à la livraison (qu’il soit capable d’obtenir les licences requises) et a défendu les raisons pour lesquelles une telle condition devait nécessairement être incluse. Ni l’une ni l’autre de ces affaires n’appuie la position de TPSGC en l’espèce.

[19].   C’est ce qu’a fait TPSGC dans Winchester.

[20].   Le dossier dont dispose le Tribunal ne lui permet toutefois pas de se prononcer sur la validité de l’allégation de Tritech à cet égard.