MONROE SOLUTIONS GROUP INC.

MONROE SOLUTIONS GROUP INC.
c.
MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX
Dossiers nos PR-2014-054 et PR‑2014-056

Ordonnance et motifs rendus
le mercredi 10 juin 2015

TABLE DES MATIÈRES

ORDONNANCE

 

EU ÉGARD À une plainte déposée par Monroe Solutions Group Inc. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.);

ET EU ÉGARD À une décision d’enquêter sur les plaintes aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur;

ET À LA SUITE D’une requête déposée par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux aux termes de l’article 24 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur, D.O.R.S./91-499, en vue d’obtenir une ordonnance rejetant les plaintes.

ENTRE

MONROE SOLUTIONS GROUP INC. Partie plaignante

ET

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX Institution fédérale

ORDONNANCE

Aux termes de l’alinéa 10a) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics, le Tribunal canadien du commerce extérieur ordonne le rejet des plaintes ayant conclu que celles-ci ne sont pas fondées.

Peter Burn
Peter Burn
Membre présidant

EXPOSÉ DES MOTIFS

RÉSUMÉ

  1. Le 12 février 2015, Monroe Solutions Group Inc. (Monroe) a déposé deux plaintes auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal), aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur[1]. Les plaintes concernent un appel de propositions (AP) (invitation no W2207‑12CSSP/E) publié par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) au nom de Recherche et développement pour la défense Canada, Centre des sciences pour la sécurité, pour la proposition de projets d’investissement dans le cadre du Programme canadien pour la sûreté et la sécurité (PCSS).
  2. Monroe allègue que TPSGC s’est fondé sur des critères d’évaluation ambigus et qu’il a mal appliqué les critères d’évaluation énoncés dans l’AP dans l’évaluation de ses propositions.
  3. Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que les motifs de plainte ne sont pas fondés. Par conséquent, les plaintes sont rejetées.

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

  1. Le 9 septembre 2014, TPSGC a publié un AP pour des projets nécessitant du financement au titre du fonds d’investissement en science et technologie (S et T). La date de clôture des soumissions était le 8 octobre 2014.
  2. Monroe a présenté deux propositions, l’une pour « improved explosive ordnance disposal bomb detection robotics » et l’autre pour « trauma stabilization platform ». Les 3 et 4 décembre 2014, Monroe a été avisée que ses propositions n’avaient pas été retenues pour l’étape suivante de la procédure. Monroe a déposé des oppositions auprès de TPSGC le 10 décembre 2014.
  3. Les 16 et 17 décembre 2014, Monroe a déposé ses premières plaintes concernant la procédure de passation du marché public[2]. Toutefois, ces deux plaintes ont été jugées prématurées étant donné que Monroe n’avait pas encore reçu de réponse à ses oppositions déposées le 10 décembre 2014.
  4. Le 12 février 2015, Monroe a déposé les présentes plaintes. Le Tribunal a accepté d’enquêter sur ces plaintes le 13 février 2015.
  5. Le 27 mars 2015, TPSGC a déposé une requête en vue d’obtenir une ordonnance rejetant les plaintes.

DESCRIPTION DU MARCHÉ PUBLIC EN QUESTION

  1. Les plaintes de Monroe visent le troisième AP publié dans le cadre du PCSS. Selon le Guide à l’intention des soumissionnaires dans le cadre du PCSS (le Guide), qui est incorporé par renvoi à l’AP, le PCSS vise à « [r]enforcer la capacité du Canada à réagir (anticipation, prévention, préparation, intervention et rétablissement) à des accidents graves, des catastrophes naturelles ou à des actes terroristes et criminels par la convergence de la S et T avec la politique, les opérations et le renseignement »[3]. L’atteinte de cet objectif passe par des investissements dans « [...] des solutions, du soutien et des conseils en matière de S et T afin de répondre aux impératifs du Canada touchant à la sécurité et à la sûreté publiques »[4]. Ces impératifs ressortent dans la liste des priorités d’investissement du PCSS, présentée à l’annexe A du Guide.
  2. Plus précisément, l’objectif de l’AP lui‑même est de « [...] mobiliser la participation de l’industrie, du milieu universitaire et d’autres ordres de gouvernement à des projets de recherche concertés avec les ministères et les organismes fédéraux qui possèdent une expertise dans le domaine et dans la gestion de projets, afin de contribuer à des solutions de S et T en matière de sécurité et de sûreté publiques au Canada »[5].
  3. Quatre types de projets peuvent être examinés aux fins de financement dans le cadre du PCSS, soit « études », « recherche et développement », « démonstration de technologies » et « projets pilotes technologiques ». Le montant et la durée du financement varient selon le type de projet. Ainsi, les projets d’études se situent à la limite inférieure du spectre (durée d’au plus 12 mois, financement de 100 000 $ ou moins), tandis que les projets pilotes technologiques se situent à l’autre extrémité (durée d’au plus 36 mois, financement pouvant atteindre 2 millions de dollars).
  4. Tous les projets proposés doivent prévoir la participation d’au moins deux organisations partenaires. L’un des partenaires doit être une organisation gouvernementale canadienne (fédérale, provinciale, territoriale ou municipale), et l’autre peut être issu du secteur privé, du milieu universitaire ou du secteur public. Ce dernier peut être une organisation canadienne ou étrangère; toutefois, dans l’éventualité où il s’agit d’une organisation étrangère, le contenu canadien des travaux réalisés dans le cadre du projet doit être d’au moins 50 p. 100.
  5. Le Guide prévoit un processus de sélection en trois étapes au titre du PCSS. À la première étape, les soumissionnaires présentent un sommaire de leur proposition, lequel est évalué selon un ensemble de critères d’évaluation obligatoires, puis selon un ensemble de critères d’évaluation cotés. Conformément aux critères obligatoires, les propositions doivent correspondre à au moins une des priorités d’investissement, être classées selon le type de projet, respecter les paramètres liés à la durée et à la fourchette de financement prévus pour le type de projet, faire état de la contribution de co‑investissement proposée par le soumissionnaire et comprendre un tableau à quatre volets. Les critères cotés sont les suivants : l’appartenance du projet à un des secteurs d’investissement prioritaires et sa pertinence à cet égard, la faisabilité, la nouveauté, la valeur de la solution en regard du coût du projet et la possibilité que le projet ait des répercussions sur les capacités politiques, opérationnelles ou de renseignement. Pour pouvoir passer à l’étape suivante, les sommaires de proposition doivent avoir obtenu une note d’au moins 70 p. 100 en ce qui a trait aux critères cotés.
  6. Les soumissionnaires dont la proposition est retenue à l’étape du sommaire sont invités à présenter une proposition complète. Cette dernière doit comprendre une description détaillée de la démarche technique qui sera adoptée en vue de parvenir à la solution proposée en matière de S et T, des tâches et des livrables particuliers présentés par phase, le calendrier et une estimation des coûts par phase ainsi que la planification de la transition. La proposition complète doit aussi inclure une version provisoire de l’énoncé des travaux, une mise à jour du tableau à quatre volets, les curriculum vitæ pertinents, une liste des projets antérieurs réalisés par les soumissionnaires et des lettres de soutien. La proposition complète est évaluée suivant des critères cotés semblables à ceux retenus à l’étape de la proposition sommaire. Une note globale d’au moins 70 p. 100 est encore une fois nécessaire pour que la proposition puisse être recommandée aux fins du financement.
  7. Les propositions les mieux classées en fonction de la note obtenue sont placées dans le bassin de propositions présélectionnées jusqu’à épuisement des fonds. Les propositions passent alors à l’étape de la passation de marché. À cette étape, tous les détails du contrat doivent être négociés, notamment en ce qui a trait à l’énoncé des travaux, aux modalités de paiement, aux limitations de responsabilité et à la question de savoir si le Canada exigera un rapport, un prototype ou une démonstration au terme du projet de recherche. En outre, le Canada peut demander des renseignements supplémentaires pour s’assurer que l’entité possède les compétences techniques, financières et de gestion nécessaires pour exécuter le contrat. À défaut de la négociation fructueuse de chacune des dispositions contractuelles, aucun contrat n’est attribué et aucun financement n’est accordé.
  8. Dans le cas des propositions pour lesquelles un contrat est conclu, le ministère désigné en tant que partenaire reçoit les fonds de TPSGC et est responsable de transférer ces fonds à l’autre partenaire afin de payer les fournitures ou services reçus.

ANALYSE DU TRIBUNAL

  1. La requête de TPSGC soulève deux motifs de rejet possibles. En premier lieu, TPSGC fait valoir que les plaintes de Monroe n’ont pas trait à un « contrat spécifique » au sens de l’article 7 du Règlement, et donc qu’elles ne remplissent pas une des conditions essentielles pour que le Tribunal puisse mener une enquête. TPSGC affirme que le PCSS est un programme d’aide gouvernementale et non un programme de passation de marchés publics.
  2. TPSGC invoque à cet égard l’article 518 de l’Accord sur le commerce intérieur[6], qui exclut les « diverses formes d’aide gouvernementale » de la définition de « marché public » et qui prévoit ce qui suit :

« marché public » Acquisition par tous moyens – notamment par voie d’achat, de location, de bail ou de vente conditionnelle – de produits, de services ou de travaux de construction. Ne sont toutefois pas visées par la présente définition :

a) les diverses formes d’aide gouvernementale, comme les subventions, prêts, apports de capitaux, garanties ou stimulants fiscaux;

b) la fourniture par l’État de produits et services à des personnes ou à d’autres organisations gouvernementales.

  1. À titre subsidiaire, TPSGC fait valoir qu’un contrat spécifique est créé à la fin de la procédure décrite par l’AP, mais que ce contrat n’est pas visé par les mesures disciplinaires que prévoient les accords commerciaux, car il s’agit d’un contrat à fournisseur unique.
  2. Le Tribunal ne peut accepter le premier argument de TPSGC. Au bout du compte, la procédure susmentionnée mène à l’attribution de contrats de fournitures et de services aux ministères partenaires[7]. Cette description cadre avec la définition de « marché public » susmentionnée et avec la définition de « contrat spécifique » énoncée dans la Loi sur le TCCE et dans le Règlement. Le PCSS ne saurait être considéré simplement comme un programme d’aide gouvernementale, étant donné que le gouvernement en tire un avantage. Normalement, les types d’« aide gouvernementale » énumérés dans la définition sont à sens unique, c’est‑à‑dire que seuls les bénéficiaires de l’aide en tirent un avantage concret. En l’espèce, l’entente conclue au terme de l’AP s’apparente surtout à un contrat au sens généralement admis en droit, c’est‑à‑dire un arrangement mutuellement avantageux dans le cadre duquel des fournitures ou services sont obtenus moyennant contrepartie.
  3. Le Tribunal accepte toutefois l’argument subsidiaire de TPSGC. Un « contrat spécifique » est créé, mais les circonstances de la procédure semblent correspondre au cadre défini à l’alinéa 506(12)h) de l’ACI, qui prévoit ce qui suit :

12. Lorsqu’un seul fournisseur est en mesure de satisfaire aux conditions du marché public, une entité peut utiliser des procédures de passation des marchés publics différentes de celles décrites aux paragraphes 1 à 10, dans les circonstances suivantes :

[...]

h) pour les marchés publics portant sur un prototype ou un produit ou service nouveau devant être mis au point dans le cadre d’un marché particulier en matière de recherche, d’essai, d’étude ou de conception originale, mais non pour quelque achat ultérieur.

  1. La procédure décrite dans l’AP a ceci de particulier, que les fournitures et services retenus aux fins de l’octroi de fonds ne répondent pas à un besoin déjà cerné par le gouvernement, mais mettent en lumière un besoin. Ainsi, par définition, un seul fournisseur, le partenaire non gouvernemental dans une proposition donnée, sera « en mesure de satisfaire aux conditions du marché public », de sorte que l’exigence énoncée au paragraphe 506(12) est remplie.
  2. La passation d’un marché de fournitures ou services de S et T visant à aider les entreprises à tester et à évaluer ces fournitures ou services semble également cadrer avec les circonstances décrites à l’alinéa 506(12)h) de l’ACI. L’exigence selon laquelle le contrat ne doit pas porter sur quelque achat ultérieur est également remplie, étant donné que le PCSS ne garantit nullement que les produits seront achetés par le ministère partenaire, ou par quelque organisme gouvernemental que ce soit, une fois qu’ils seront commercialisés.
  3. Les motifs de plainte de Monroe sont que TPSGC a appliqué des critères d’évaluation non divulgués et qu’il a mal appliqué les critères d’évaluation au moment d’évaluer ses propositions. À la lumière de la jurisprudence du Tribunal, ces motifs de plainte reposent sur le paragraphe 506(6) de l’ACI, qui prévoit que « [l]es documents d’appel d’offres doivent indiquer clairement les conditions du marché public, les critères qui seront appliqués dans l’évaluation des soumissions et les méthodes de pondération et d’évaluation des critères »[8].
  4. Étant donné que le paragraphe 506(12) permet le recours à des « procédures de passation des marchés publics différentes de celles décrites aux paragraphes 1 à 10 » de l’article 506, il s’ensuit que TPSGC n’était pas tenu de respecter les exigences procédurales énoncées au paragraphe 506(6) pour l’évaluation des propositions présentées en réponse à l’AP. Par conséquent, les plaintes de Monroe ne sont pas fondées.

ORDONNANCE

  1. Aux termes de l’alinéa 10a) du Règlement, le Tribunal ordonne le rejet des plaintes ayant conclu que celles-ci ne sont pas fondées.
 

[1].     L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.) [Loi sur le TCCE].

[2].     (18 décembre 2014), PR-2014-044 (TCCE); (22 décembre 2014), PR-2014-045 (TCCE).

[3].     Guide, p. 2.

[4].     Guide, p. 2.

[5].     Guide, p. 4.

[6].     18 juillet 1994, Gaz. C. 1995.I.1323, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <http://www.ait-aci.ca/index_fr/ ait.htm> [ACI].

[7].     L’AP et le Guide n’envisagent pas de scénario où le partenaire gouvernemental aurait la responsabilité de l’offre des fournitures ou services au partenaire non gouvernemental ni de scénario où le partenaire non gouvernemental serait responsable d’administrer les fonds.

[8].     Voir par exemple Team Sunray et CAE Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (25 octobre 2012), PR-2012-013 (TCCE); Bell Canada (26 septembre 2011), PR-2011-031 (TCCE); Excel Human Resources Inc. (faisant affaire sous le nom d’excelITR) c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (25 août 2006), PR-2005-058 (TCCE).