POMERLEAU INC.

POMERLEAU INC.
c.
MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX
Dossier no PR-2014-048

Décision et motifs rendus
le jeudi 21 mai 2015

TABLE DES MATIÈRES

 

EU ÉGARD À une plainte déposée par Pomerleau Inc. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.);

ET À LA SUITE D’une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur;

ET À LA SUITE D’une requête déposée par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux en vue d’obtenir une ordonnance du Tribunal canadien du commerce extérieur mettant fin à l’enquête.

ENTRE

POMERLEAU INC. Partie plaignante

ET

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX Institution fédérale

DÉCISION

Le Tribunal canadien du commerce extérieur rejette, par la présente, la requête déposée par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux en vue d’obtenir une ordonnance mettant fin à l’enquête.

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte n’est pas fondée. Chaque partie assumera ses propres frais en l’espèce.

Peter Burn
Peter Burn
Membre présidant

Membre du Tribunal : Peter Burn, membre présidant

Conseillers juridiques pour le Tribunal : Eric Wildhaber
Courtney Fitzpatrick
Alexandra Pietrzack
Cassandra Baker (stagiaire en droit)

Agent du greffe : Haley Raynor

Partie plaignante : Pomerleau Inc.

Conseillers juridiques pour la partie plaignante : R. Benjamin Mills
Paul Conlin
William Pellerin

Institution fédérale : ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

Conseillers juridiques pour l’institution fédérale : Nadine Dupuis
Bernard Letarte
Francine Anzulini-Apendeki

Partie intervenante : Brookfield Johnson Controls Canada LP

Conseillers juridiques pour la partie intervenante : Gerry Stobo
Mandy Aylen
Daniel Hohnstein
Vincent DeRose
Olivier V. Nguyen

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario)  K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

EXPOSÉ DES MOTIFS

HISTORIQUE DE LA PLAINTE

  1. Le 7 janvier 2015, Pomerleau Inc. (Pomerleau) a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal), aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur[1]. La plainte concerne une demande de propositions (invitation no PWG299610) pour la prestation de services de gestion de construction (la DP)[2]. Pomerleau allègue que la procédure de la DP a été conduite par Brookfield Johnson Controls Canada LP (BJCC), une partie privée, au nom du ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC).
  2. Pomerleau allègue que sa soumission a été incorrectement jugée non conforme aux motifs que des dispositions de la DP ont été incorrectement interprétées ou appliquées, que des critères non divulgués ont été pris en considération au cours de l’évaluation et que des demandes de précisions injustifiées ont été formulées. Essentiellement, l’allégation d’évaluation inappropriée est la suivante : Pomerleau allègue que la DP permettait d’inclure des bénéfices et des coûts indirects dans les taux horaires des ressources qu’elle proposait, ou que la DP était ambiguë; TPSGC et BJCC font valoir que la soumission de Pomerleau a été jugée non conforme à juste titre, puisque la DP empêchait clairement de telles inclusions.
  3. À titre de mesure corrective, Pomerleau demande une nouvelle évaluation de sa soumission, et si sa soumission est la mieux classée, que le contrat octroyé au soumissionnaire retenu soit annulé et que celui-ci lui soit attribué. Subsidiairement, Pomerleau demande une indemnité équivalente à sa perte de profits et d’être compensée pour la perte d’opportunité, ou que lui soient remboursés les frais de préparation de sa soumission. Pomerleau demande aussi que lui soient remboursés les frais de préparation et de dépôt de sa plainte.
  4. Le 14 janvier 2015, le Tribunal a informé TPSGC qu’il avait accepté d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et du paragraphe 7(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics[3].
  5. TPSGC n’a pas accusé réception de l’avis d’enquête du Tribunal avant le 29 janvier 2015, soit 15 jours plus tard; ce jour‑là, TPSGC a informé le Tribunal que le contrat avait été attribué et a confirmé la date limite du 9 février 2015 pour le dépôt du Rapport de l’institution fédérale (RIF), conformément au paragraphe 103(1) des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur[4].
  6. Le 2 février 2015, TPSGC a demandé que la date limite pour le dépôt du RIF soit reportée au 24 février 2015 au motif qu’il avait besoin de plus de temps pour étudier les questions de compétence et les faits ainsi que pour réunir tous les documents et renseignements pertinents[5]. Le Tribunal a accueilli cette demande et a informé les parties qu’aux termes de l’alinéa 12c) du Règlement, la date limite pour rendre sa décision était prolongée à 135 jours suivant le dépôt de la plainte, soit le 22 mai 2015.
  7. TPSGC n’a pas déposé de RIF à la date limite prorogée qu’il avait lui‑même demandée, soit le 24 février 2015. Ce jour‑là, TPSGC a plutôt déposé une requête demandant que la plainte soit rejetée au motif que le Tribunal n’avait pas compétence pour enquêter sur la plainte. Il a également demandé que le délai accordé pour le dépôt du RIF soit suspendu jusqu’à ce que le Tribunal ait statué sur la requête.
  8. Le 26 février 2015, Pomerleau a fait part au Tribunal de plusieurs préoccupations au sujet de la procédure et des délais, critiquant notamment le comportement dilatoire de TPSGC depuis le début de la procédure. Comme solution à certaines de ces préoccupations, Pomerleau a proposé la jonction de la décision sur la requête de rejet de la plainte et celle concernant le bien‑fondé de la plainte. Elle a également demandé de pouvoir présenter un complément de réponse ayant trait à la requête.
  9. Le 27 février 2015, le Tribunal a rejeté la demande de TPSGC visant la suspension du délai accordé pour le dépôt du RIF et a fixé au 11 mars 2015 la nouvelle date limite. Le Tribunal a également enjoint à Pomerleau de répondre à la requête de rejet de la plainte au plus tard le 11 mars 2015 (exigence qui a été remplie par Pomerleau), et à TPSGC de répondre aux observations de Pomerleau au plus tard le 18 mars 2015. TPSGC n’a pas répondu avant le 23 mars 2015. Le Tribunal a refusé d’accorder à Pomerleau l’autorisation de présenter un complément de réponse aux observations de TPSGC aux motifs qu’elle aurait l’occasion de répondre pleinement à la requête de TPSGC dans ses observations en réponse et qu’elle pourrait aussi présenter des observations concernant le RIF.
  10. Le 10 mars 2015, TPSGC a fait valoir qu’il ne pouvait répondre à la plainte sur le fond, parce qu’il n’avait pas participé à la procédure de passation du marché public et parce qu’il n’avait « [...] aucune information concernant les allégations de Pomerleau » [traduction], de sorte qu’il devait s’appuyer sur les observations de BJCC à cet égard. De manière coordonnée à cela, dans des lettres datées du 10 et du 11 mars 2015, BJCC a demandé d’obtenir le statut d’intervenante et s’est dite prête à présenter, au plus tard le 19 mars 2015, des observations sur le fond concernant la plainte. BJCC a fait valoir que le Tribunal aurait dû l’inviter à prendre part à la procédure. Le 11 mars 2015, Pomerleau a fait valoir que la procédure était trop avancée pour que BJCC soit autorisée à soumettre des observations sur le fond eu égard à la plainte.
  11. Le 12 mars 2015, le Tribunal a accordé à BJCC le statut d’intervenante et, tout en prenant acte de l’objection de Pomerleau, il a autorisé BJCC à présenter ses observations au plus tard le 20 mars 2015.
  12. Le 13 mars 2015, Pomerleau a déposé une requête demandant au Tribunal d’ordonner la production de documents de la part de TPSGC, de BJCC, ou de l’un et de l’autre. Le 19 mars 2015, TPSGC et BJCC se sont tous deux opposés à cette requête. Pomerleau a présenté une réponse le 23 mars 2015.
  13. Le 20 mars 2015, BJCC a déposé des observations appuyant la requête de TPSGC demandant le rejet de la plainte ainsi que sur le bien‑fondé de la plainte.
  14. Le 24 mars 2015, Pomerleau a demandé au Tribunal de statuer sur la requête de production de documents avant de trancher les questions de compétence et avant que Pomerleau dépose sa réponse aux observations de BJCC. BJCC a contesté cette demande. Le 25 mars 2015, le Tribunal a informé les parties que tous les délais de dépôt étaient maintenus. Dans une lettre datée du 26 mars 2015, Pomerleau a contesté la directive du Tribunal, précisant toutefois qu’elle respecterait les délais de dépôt ayant été fixés.
  15. Le 27 mars 2015, Pomerleau a déposé ses observations en réponse aux questions de fond (telles qu’elles avaient été présentées dans les observations de BJCC) et aux questions de compétence (telles qu’elles avaient été soulevées dans la requête de TPSGC). Pomerleau a réitéré qu’à défaut d’avoir eu accès aux documents demandés dans sa requête de production de documents, elle avait fait des observations incomplètes.
  16. Le 1er avril 2015, le Tribunal a ordonné à TPSGC de produire certains documents au plus tard le 10 avril 2015. TPSGC a respecté l’ordonnance du Tribunal, sauf pour ce qui est de certaines annexes, qui ont été déposées le 15 avril 2015. Conformément à la directive du Tribunal, Pomerleau a déposé ses observations concernant ces documents le 16 avril 2015. TPSGC et BJCC ont déposé leurs réponses le 21 avril 2015. Pomerleau a déposé la sienne le 24 avril 2015. Cela laissait moins d’un mois au Tribunal pour examiner l’ensemble des mémoires et rendre une décision avant la date limite du 22 mai 2015.
  17. Étant donné que les renseignements au dossier étaient suffisants pour déterminer le bien-fondé de la plainte, le Tribunal a décidé qu’il n’était pas nécessaire de tenir une audience et a statué sur la plainte sur la foi des renseignements versés au dossier.

DIRECTIVES À L’INTENTION DES CONSEILLERS JURIDIQUES

  1. Dans sa lettre du 14 janvier 2015, dans laquelle il affirme avoir accepté d’enquêter sur la plainte, le Tribunal demande expressément que le RIF « [...] traite de la relation de mandataire alléguée entre BJCC et TPSGC, ainsi des questions de fond de la plainte »[6] [traduction]. Le Tribunal a également demandé à TPSGC de produire les documents auxquels Pomerleau souhaitait avoir accès.

Conformité aux directives de dépôt du Tribunal

  1. En omettant de présenter un RIF le 24 février 2015 (soit 41 jours après la lettre du Tribunal du 14 janvier 2015 et 48 jours après le dépôt de la plainte), TPSGC avait déjà placé l’enquête dans une situation délicate sur le plan procédural, situation que le Tribunal avait justement cherché à éviter dès le début de l’enquête, conscient des délais serrés que lui accordait la loi pour s’acquitter de son rôle. De fait, le Tribunal n’était dès lors plus en mesure de rendre de décision dans le délai de 90 jours prescrit par l’alinéa 12a) du Règlement, il a été contraint de porter ce délai à 135 jours, conformément à l’alinéa 12c).
  2. TPSGC n’a pas arrangé les choses en omettant d’informer le Tribunal en temps opportun qu’il demanderait la participation de BJCC à titre de partie distincte en l’espèce (plutôt que de coordonner lui‑même cette intervention) et en omettant de respecter les exigences des Règles eu égard à la production de documents. Les actions ou inactions de TPSGC ont compliqué inutilement la procédure.
  3. En tant qu’officiers de justice, les conseillers juridiques de TPSGC doivent porter rapidement et sans détour toute question d’importance à l’attention du Tribunal, chose qui n’a pas été faite en l’espèce. Le Tribunal s’attend à ce que les conseillers juridiques de TPSGC agissent différemment à l’avenir. Au vu de l’ensemble de la preuve en l’espèce, TPSGC et BJCC ont une relation de symbiose. Si TPSGC souhaitait prétendre le contraire pour des raisons stratégiques (de manière à réfuter la nature de la relation), un tel comportement aurait été de mauvaise foi et inacceptable de la part des conseillers juridiques.
  4. Le Tribunal avait donné des directives claires selon lesquelles le RIF devait aborder toutes les questions de compétence et de fond liées à la plainte. TPSGC aurait dû demander la permission de déposer une requête distincte de rejet de la plainte, et ce, le plus tôt possible après que le Tribunal eu communiqué avec TPSGC en premier lieu le 14 janvier 2015, ou du moins dès qu’il a décidé de présenter une telle requête, sans compter qu’il avait demandé et obtenu la prolongation du délai accordé pour déposer le RIF.
  5. En outre, le Tribunal n’admet pas qu’entre le 14 janvier et le 10 mars 2015, soit une période de 55 jours suivant la notification de la plainte, TPSGC ait pu ne pas être pleinement conscient de la nécessité de parvenir à une réponse coordonnée avec BJCC en l’espèce (et qu’il ait pu ne pas informer BJCC de cette nécessité).
  6. La période allouée au Tribunal pour rendre une décision en vertu de l’alinéa 12c) du Règlement commence à la date du dépôt de la plainte (le 7 janvier 2015). Ainsi, le 10 mars 2015 (jour 62 de 135), lorsque TPSGC et BJCC ont avisé le Tribunal que leur participation distincte était nécessaire pour répondre à la plainte, il ne restait que 73 jours pour compléter l’échange des procédures et communiquer les pièces (lequel a été compliqué par l’omission de TPSGC de produire des documents) et pour permettre au Tribunal de délibérer et de rendre sa décision. Si le Tribunal avait eu à tenir une audience, l’effet domino des retards procéduraux causés par la conduite de TPSGC aurait pu poser une menace sérieuse à la capacité du Tribunal de s’acquitter de son rôle dans le délai prévu par le législateur. Aucune institution fédérale ne doit faire en sorte que le Tribunal se retrouve une nouvelle fois dans cette situation.
  7. L’omission de TPSGC de respecter les exigences des Règles eu égard à la production de documents est examinée dans la section qui suit.

Conformité aux règles relatives au dépôt de documents, d’éléments de preuve et de renseignements

  1. Les alinéas 103(2)c) et e) des Règles requièrent que l’institution fédérale dépose « les autres documents pertinents » et « tout autre élément de preuve ou renseignement qui peut s’avérer nécessaire au règlement de la plainte » La jurisprudence du Tribunal indique que les institutions fédérales omettent régulièrement de se conformer à cette obligation. Ce non-respect d’une obligation doit cesser.
  2. Conformément aux Règles, les institutions fédérales ont un important devoir de transparence et de coopération eu égard à la présentation sans délai d’éléments de preuve documentaire. La partie plaignante doit pouvoir compter sur l’observation des Règles de la part des institutions fédérales et ne doit pas être inutilement contrainte de déposer une requête de production de documents.
  3. Il en est ainsi justement en raison des courts délais que prévoit la loi pour le dépôt des plaintes, l’échange des soumissions et la communication des pièces entre les parties, la tenue d’une audience, au besoin, et l’examen de la plainte par le Tribunal.
  4. L’équité procédurale doit être garantie, et le cadre législatif le prévoit. Or, ce dernier n’a pas été conçu de façon à reproduire celui d’une cour, et aucun conseiller juridique, qu’il soit au service d’une institution fédérale ou d’une partie privée, ne doit se comporter comme si tel était le cas. Le mécanisme d’examen des marchés publics du Tribunal ne prévoit pas de procédure de communication et de production de pièces s’apparentant à celle d’une cour, et il y a peu de temps pour la tenue d’un examen préliminaire sur la pertinence des documents prétendument nécessaires pour guider l’enquête du Tribunal.
  5. Les demandes de production de documents formulées par les parties plaignantes dans l’espoir de mettre au jour des informations compromettantes ne sont pas plus tolérées par le Tribunal qu’elles ne le sont par les cours. Cela dit, lorsqu’une partie plaignante peut identifier précisément un document dans sa plainte (par exemple parce que le titre de ce document est mentionné dans un autre document qu’il a déjà en sa possession), celui‑ci doit être communiqué par l’institution fédérale. Les objections concernant la pertinence doivent reposer sur des raisons des plus convaincantes; c’est pourquoi de telles objections seront, en principe, rares. Les motifs purement stratégiques ne constituent pas une raison convaincante de s’opposer ou de résister à la production de documents qu’il est facile d’obtenir.
  6. En l’espèce, les documents dont le Tribunal a ordonné la production le 1er avril 2015 étaient tous mentionnés par leur titre ailleurs dans le dossier. TPSGC aurait dû produire chacun de ces documents, sans exception, dès qu’il en a reçu la demande, sans que la partie plaignante ait à déposer une requête de production de documents.
  7. Le Tribunal s’attend à ce que, à l’avenir, les institutions fédérales se conforment entièrement aux exigences des Règles eu égard à la communication de documents.

REQUÊTE DE CESSATION D’ENQUÊTE POUR ABSENCE DE COMPÉTENCE

  1. Les parties ont présenté de longues observations quant à la question de savoir si le Tribunal a compétence pour enquêter en l’espèce. Ces observations étaient généralement non pertinentes[7]. Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut avoir compétence et rejette la requête de cessation d’enquête de TPSGC.
  2. Pour comprendre la conclusion du Tribunal voulant que la DP constitue une procédure primaire de passation d’un marché public de services de construction pour le compte du gouvernement du Canada (GC), il faut d’abord comprendre la façon dont TPSGC fournit des services de gestion immobilière et de réalisation de projets pour le GC et la façon dont BJCC a repris le rôle de TPSGC à ces égards, conformément au contrat visant le complexe Carling et le complexe du pré Tunney (Contrat no EP008-122111/001/GC)[8] (le contrat BI-2). Les explications suivent.

TPSGC fournit des services de gestion immobilière et des services de réalisation de projets

  1. En 2010, le GC a fait l’acquisition d’un terrain et de bâtiments formant un ensemble aux allures de campus, alors connu sous le nom de « complexe Nortel ». Le GC envisage d’utiliser ce complexe, renommé le « complexe Carling », pour regrouper en un seul endroit diverses activités du ministère de la Défense nationale (MDN) qui sont aujourd’hui réalisées dans différents autres endroits. Le MDN deviendrait ainsi le locataire principal du complexe Carling.
  2. Selon ses propres propos, « TPSGC gère un des portefeuilles immobiliers les plus importants et les plus diversifiés du pays »[9] [traduction]. L’acquisition du complexe Carling s’est ajoutée à ce portefeuille. La raison en est que, « [c]onformément à la Loi sur le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux et à la Politique sur la gestion des biens immobiliers du Conseil du Trésor, TPSGC agit à titre de fournisseur de services communs du gouvernement du Canada, est le gardien désigné des locaux à bureaux à vocation générale au Canada qui sont fournis de façon obligatoire aux ministères et fixe les normes relatives à ces locaux »[10] [traduction]. Dans le cadre de son mandat, « TPSGC est responsable du maintien des services de gestion immobilière et des services de réalisation de projets pour tous les locataires [...] » [nos italiques, traduction], comme le MDN en l’espèce[11].
  3. TPSGC conserve la compétence de fournir ces services à l’interne. Il les confiera également au secteur privé. Cela est fait conformément à la Stratégie nationale de gestion des services (SNGS) de la Direction générale des biens immobiliers de TPSGC. La SNGS « [...] préconise le recours au secteur privé pour renforcer la capacité et la souplesse en matière de prestation de services. [...] Plus précisément, la SNGS détermine les services qui offrent les plus grandes possibilités de renforcer la capacité en tirant profit du secteur privé et vise à concevoir des mécanismes de prestation pour les priorités ciblées en matière de services en vue d’assurer une attribution efficace des tâches à l’externe. Il s’agit d’un changement d’objectif pour les ressources internes [TPSGC], car elles passeront directement de la prestation de services à la gestion des services fournis par les fournisseurs de services du secteur privé »[12] [traduction].
  4. En septembre 2012, conformément à la SNGS, TPSGC a décidé de se mettre à la recherche d’un partenaire du secteur privé pour la gestion de certains biens immobiliers, dont le complexe Carling[13]. Afin de trouver ce partenaire, TPSGC a émis une demande de propositions intitulée « Biens immobiliers 2 – Services de gestion immobilière, services de réalisation de projets et services optionnels »[14] [traduction] (l’invitation BI-2).

Contrat BI-2 : BJCC prend la place de TPSGC

  1. BJCC a été le soumissionnaire retenu à la suite de l’invitation BI-2 et, par conséquent, le 29 mai 2013, TPSGC et BJCC ont conclu le contrat BI‑2[15]. Conformément au contrat BI‑2, TPSGC a mis à exécution sa décision de confier à BJCC une partie de ses activités de gestion du complexe Carling, plutôt que de les réaliser entièrement à l’interne.
  2. Les services prévus au contrat BI‑2 sont classés en deux catégories distinctes correspondant aux catégories de services dont TPSGC est responsable pour tous les locataires, soit les « services de gestion immobilière » et les « services de réalisation de projets ».
  3. Les « services de gestion immobilière » (catégorie de services 1) comprennent 15 sous‑catégories de services relatifs à l’exploitation des biens immobiliers au quotidien. Aucune de ces 15 sous‑catégories de « services de gestion immobilière » n’a toutefois trait aux projets immobiliers.
  4. Par contre, la section du contrat BI-2 intitulée « services de réalisation de projets » (catégorie de services 2) informe le lecteur de ce qui suit :

[TPSGC] réalise une vaste gamme de projets immobiliers, notamment :

  • la construction d’immeubles neufs;
  • des travaux de réparation;
  • des améliorations visant à prolonger la durée utile des biens immobiliers et à en améliorer le rendement;
  • l’amélioration des biens immobiliers existants pour prévenir ou retarder leur obsolescence fonctionnelle;
  • des modifications de l’immeuble de base et des travaux d’aménagement qui visent à répondre aux exigences opérationnelles des locataires;
  • des projets d’aménagement et de réaménagement, dont l’optimisation des locaux[16]

[Nos italiques, traduction]

  1. Les services de réalisation de projets appartenant à la catégorie de services 2 sont classés en deux catégories de coûts : 1) de 5 000 $ à 24 999 $ (catégorie de coûts 1), et 2) de 25 000 $ à 999 999 $ (catégorie de coûts 2). TPSGC peut aussi exercer l’option prévue pour une troisième catégorie de services pour la réalisation de « Services optionnels de réalisation de projets – Projets de plus de 1 000 000.00 $ » [traduction] (catégorie de services 3).
  2. La catégorie de services 3 est essentiellement une troisième catégorie de coûts (catégorie de coûts 3) s’inscrivant dans le prolongement de la catégorie de services 2. Tous les travaux devant être réalisés dans la catégorie 3 doivent se faire conformément au cadre établi pour la catégorie de services ou de coûts 2, appliqué mutatis mutandis. À l’opposé, la nature des travaux (et non pas seulement leur valeur pécuniaire) n’est pas la même selon que ceux‑ci tombent dans la catégorie de coûts 1 ou dans la catégorie de coûts 2.
  3. Les catégories de services 2 et 3 du contrat BI-2 prévoient le « [...] [lancement d’un] appel d’offres pour les travaux de construction [de tout] projet »[17] [nos italiques] et empêchent BJCC de soumissionner de tels travaux. Par conséquent, aux termes de l’article 1.16 du contrat BI-2, BJCC ne peut donc être considérée comme un « fournisseur potentiel » de services de construction dans le cadre de ce contrat[18].
  4. Selon le contrat BI-2, BJCC doit « exécuter un programme de projets »[19] [traduction]. Toutefois, ce « programme de projets » n’est pas défini dans le contrat BI-2[20]. En fait, le contrat BI-2 prévoit la possibilité que BJCC n’ait pas de programme à exécuter, puisqu’il est stipulé que TPSGC « [...] se réserve le droit de sélectionner les projets à réaliser en faisant appel à ses ressources internes [c’est-à-dire en utilisant les méthodes d’exécution de projets que TPSGC utilise normalement à l’interne] ou à des tiers, plutôt qu’en passant par [BJCC]; il informera alors à l’avance [BJCC] de ces projets au cours du processus de planification des projets »[21] [traduction], dans le cadre desquels BJCC ne serait tenue de participer qu’en « [...] collaborant avec les autres intervenants à l’exécution des travaux »[22] [traduction].
  5. En d’autres termes, conformément au contrat BI‑2, TPSGC peut retenir les services de BJCC au besoin, lorsqu’il décide d’impartir la réalisation d’un projet dont il est responsable en tant que fournisseur désigné de services de réalisation de projets pour l’ensemble du GC. Le cas échéant, BJCC prend en charge la fonction de réalisation de projets de TPSGC comme si elle était elle‑même TPSGC (sauf que BJCC doit faire appel à la direction de TPSGC pour obtenir différentes autorisations)[23].
  6. Lorsqu’un appel d’offres doit être lancé pour la réalisation de travaux de construction dans le cadre de tels projets, comme cela a été le cas lorsque BJCC a lancé la DP, BJCC joue le rôle de TPSGC comme si elle était TPSGC.

LA DP : BJCC procède à la passation de marchés publics de services de construction pour le compte de TPSGC

  1. Le projet du complexe Carling (PCC) est piloté par TPSGC et prévoit son réaménagement. Le budget du PCC, un projet immobilier comprenant des travaux de construction, est supérieur à un million de dollars. TPSGC a décidé de solliciter la participation de BJCC pour la réalisation de ce projet, conformément à l’option prévue au contrat BI‑2 eu égard à la catégorie de services 3. Les autorisations requises ont été accordées[24].
  2. Le contrat BI‑2 concerne le complexe Carling. Il importe de bien comprendre qu’il ne vise pas l’entière réalisation du PCC, comme en témoigne le fait que le contrat BI‑2 ne définit pas les exigences générales du PCC. Le PCC n’est mentionné que brièvement dans le contrat BI‑2, à quelques reprises seulement, et uniquement en ce qui a trait à une exigence en matière de sécurité.
  3. Conformément au contrat BI‑2, BJCC pouvait être appelée à aider TPSGC à définir ce en quoi consisterait le PCC, et elle a de fait aidé TPSGC en ce sens, en vue de répondre aux besoins de TPSGC eu égard à ses locataires éventuels. Or, l’invitation ayant mené à l’attribution du contrat BI‑2 ne visait pas l’offre d’une solution clés en main pour le PCC. En obtenant le contrat BI‑2, BJCC n’a pas obtenu le droit de fournir un complexe Carling entièrement réaménagé et opérationnel. De fait, TPSGC a eu recours au contrat BI‑2 pour poursuivre la détermination (avec le concours de BJCC) de ce que seraient les exigences du PCC. Une fois ces exigences établies, il devait y avoir appel d’offres (via la DP), les travaux de construction requis conformément aux exigences n’ayant pas encore fait l’objet d’une procédure de passation de marchés publics.
  4. TPSGC et BJCC font valoir que la DP constitue une forme de sous‑traitance[25]. C’est inexact.
  5. Le contrat BI‑2 permet effectivement la sous‑traitance. Toutefois, pour que BJCC puisse sous‑traiter des services de construction, il aurait fallu qu’elle ait conclu un contrat de prestation de services de construction. Or, ce n’est pas le cas.
  6. Selon le contrat BI-2, BJCC doit « exécuter un programme de projets » [nos italiques] en « gér[ant] chaque projet en respectant toutes les étapes du processus d’exécution des projets » [nos italiques, traduction][26]. La DP concerne les catégories de services 2 et 3 du contrat BI‑2 seulement en ce sens que BJCC doit prendre en charge certaines activités de passation de marchés dans le cadre de son obligation d’« exécuter un programme de projets ». Encore une fois, eu égard aux catégories de services 2 et 3, BJCC doit gérer l’exécution d’un programme de projets (ce qui inclut l’exécution de certaines activités de passation de marchés), mais non réaménager le complexe Carling, ni même construire quoi que ce soit. Cette information est primordiale, car elle rappelle que le contrat BI‑2 ne vise pas d’activités de construction en soi.
  7. Conformément à la DP, les services de gestion de construction englobent les services suivants :
  • conseils en cours de conception;
  • construction :
    • construction réalisée conformément aux documents de construction produits au cours de la conception;
    • mise en service des projets;
    • rapport sur l’étape de la construction;
  • services après-construction :
    • rapport ultérieur à la construction, faisant notamment état des leçons apprises[27].

[Traduction]

  1. Si les « conseils en cours de conception » et les « services après‑construction » pourraient être considérés comme de la « sous‑traitance » d’une partie du rôle de planification que joue BJCC conformément au contrat BI‑2[28], il en va autrement de la « construction », qui ne saurait être considérée comme de la « sous‑traitance », étant donné que cette activité ne fait pas partie des réalisations attendues énoncées à l’article 5.4.2.16. Par conséquent, la partie « construction » de la DP concerne des exigences de TPSGC qui ne sont pas visées par le contrat BI‑2. Conformément à l’article 5.4.2.16 (puces six et sept), dans le cas des projets ayant reçu à la fois l’« approbation préliminaire de projet » et l’« approbation définitive de projet », il y a lieu de « lancer l’appel d’offres » pour la « portion travaux de construction du projet »[29] [nos italiques, traduction].
  2. Conformément au cadre prévu, la sous‑traitance de services de construction peut avoir lieu, mais seulement de la part de l’entreprise retenue pour la gestion de la construction au terme de la DP (en l’occurrence de la part de EllisDon Corporation, une entreprise de construction, lorsqu’elle commencera les travaux de construction et d’aménagement)[30].
  3. Ailleurs dans le contrat BI‑2, il est prévu que d’autres activités peuvent être sous‑traitées. Ainsi, BJCC peut sous‑traiter les activités appartenant à la catégorie de services 1[31]. Par exemple, on s’attend à ce que l’entretien des immeubles (article 5.3.6) ou que l’entretien des terrains et l’aménagement paysager (article 5.3.9) soient sous-traités par BJCC en vertu de l’article 5.6.5 à des sociétés d’entretien d’immeubles ou d’aménagement paysager respectivement.
  4. BJCC n’a pas été chargée de réaliser quelque activité de construction ou de réaménagement que ce soit. Ainsi, elle ne peut « sous‑traiter » des services pour lesquels elle n’a aucune obligation contractuelle. Le rôle de BJCC en ce qui a trait aux activités de construction et de réaménagement réalisées dans le cadre d’éventuels « services optionnels de réalisation de projets » se limite à la planification, à la gestion de la procédure d’appel d’offres, et à la gestion du rendement du soumissionnaire retenu quant à l’exécution du contrat, et ce, pour le compte de TPSGC, s’il y a lieu. Lorsqu’elle a lancé la DP, BJCC a pris la place de TPSGC pour lancer une procédure primaire de passation d’un marché de services de construction pour le compte du GC.

Le Tribunal a compétence pour mener l’enquête

  1. Le contrat BI‑2 établit une structure par laquelle TPSGC permet à BJCC de se substituer à lui pour lancer des appels d’offres en vue de la réalisation de différents services, y compris la réalisation des services de gestion de construction prévus dans la DP eu égard au PCC. Essentiellement, le contrat BI‑2 fait de BJCC un représentant de TPSGC issu du secteur privé, ce qui, conformément à la SNGS, permet à TPSGC de demander à BJCC de réaliser sous son égide des activités qu’il aurait autrement réalisées lui‑même, et notamment d’entreprendre des procédures de passation de marchés telle la DP.
  2. Une des « étapes du processus d’exécution de projets » liées au PCC était le lancement de l’appel d’offres relatif à la construction. Par la voie du contrat BI‑2, BJCC a obtenu de TPSGC l’autorisation de gérer la procédure de passation de marchés en vue de l’acquisition de services de gestion de construction et de services de construction dans le cadre du PCC[32]. Tous les travaux réalisés dans le cadre du contrat BI‑2, y compris l’exécution des procédures de passation de marchés, et les travaux de construction auparavant non terminés qui en résultent, deviennent la propriété du gouvernement du Canada[33].
  3. Le cadre décrit ci‑dessus constitue une procédure de passation de marchés publics; les marchés publics demeurent publics même si la procédure de passation de marchés est exécutée par une partie privée.
  4. Il s’ensuit que le Tribunal a compétence pour mener l’enquête, étant donné que la DP a trait à un « contrat spécifique » conformément au Règlement, comme si elle avait été réalisée par TPSGC lui‑même. En tant qu’institution gouvernementale responsable de l’approvisionnement, TPSGC est chargé de veiller à ce que les activités d’approvisionnement (telles qu’elles ont été confiées à BJCC par la voie du contrat BI‑2) sont réalisées conformément aux obligations prévues par les accords commerciaux[34]. Il incombait à TPSGC de décider de la façon dont BJCC prendrait part à la formulation d’une réponse eu égard à la plainte.

BIEN‑FONDÉ DE LA PLAINTE

Dispositions pertinentes de la DP

  1. La DP a été présentée le 15 août 2014 à trois parties sélectionnées au préalable, soit EllisDon Corporation, PCL Construction Canada Inc. et Pomerleau.
  2. En ce qui a trait à la possibilité de demander des précisions et des confirmations, l’article A.1.7 de la DP prévoit ce qui suit :

BJCC peut vérifier tout renseignement fourni dans la soumission ou demander des précisions ou des confirmations à ce sujet. Le proposant accepte d’aider BJCC en ce sens, en étant à la disposition de BJCC et en lui donnant accès, sur demande, à ses installations et à tout renseignement raisonnable demandé, et ce, dans les délais prescrits. BJCC se réserve le droit, à son entière discrétion, de considérer les renseignements supplémentaires ainsi obtenus comme faisant partie de la soumission. BJCC se réserve le droit, à son entière discrétion, de rejeter la soumission si elle est parvenue à la conclusion que celle‑ci contient des renseignements faux ou trompeurs.

Le proposant reconnaît à BJCC le droit de vérifier tout renseignement relatif à la soumission après attribution du contrat, et reconnaît que tout renseignement faux, erroné ou trompeur donnerait à BJCC un motif suffisant d’annuler un contrat, à son entière discrétion et aux frais du proposant uniquement.

[Traduction]

  1. L’article A.3.8 de la DP confirme comme suit l’existence du droit de demander des précisions ou des confirmations :

BJCC se réserve le droit de demander au proposant de lui fournir des précisions ou des confirmations concernant tout élément de la soumission. Le cas échéant, l’agent de négociation des contrats formule la demande de précisions ou de confirmations. Cette demande est adressée à la personne que le proposant a désignée comme étant sa principale personne‑ressource. Le proposant fournit une réponse écrite à BJCC eu égard à chacune de ces communications, en respectant délai qui y est précisé.

[Traduction]

  1. En ce qui a trait à la rémunération, l’article C.1.1 de la DP prévoit ce qui suit :

BJCC propose que la rémunération du [directeur des travaux] soit répartie comme suit, conformément aux documents contractuels :

  1. Honoraires du directeur des travaux, calculés en pourcentage du coût de construction réel. Le proposant précise quel est ce pourcentage dans la proposition financière.
  2. Structure de taux horaires applicable aux coûts de main‑d’œuvre du directeur des travaux. Le proposant fixe un taux horaire pour chacun des membres d’équipe figurant dans l’organigramme de l’équipe, tel qu’il est présenté dans la soumission.

[Traduction]

  1. Eu égard au « calcul du coût de construction aux fins de l’établissement des honoraires du [directeur des travaux] » [traduction], l’article C.1.3 de la DP établit ce qui suit :

Pour les besoins du calcul du coût de construction dans le cadre de la présente DP, le soumissionnaire se fonde sur le total prévu pour la phase 1 dans le tableau « B.3 – Budget de construction du projet (taxes non comprises) » MOINS le coût prévu de la main‑d’œuvre du [directeur des travaux], tel qu’il est calculé à l’article « E.4 – Procédure d’évaluation », et les coûts non remboursables. Par exemple, si le coût de construction figurant dans le tableau est de 101,8 M$ et que le soumissionnaire établit à 5 M$ le coût de la main‑d’œuvre directe du [directeur des travaux], alors le coût de construction sera ramené à 96,8 M$. Il est entendu que les services fournis par les employés du [directeur des travaux] ne sont pas inclus dans le calcul du coût de construction et ne donnent pas lieu à des honoraires pour le directeur des travaux.

[Traduction]

  1. L’article C.1.4 de la DP définit ainsi les « coûts remboursables et non remboursables » :

Seront remboursés au [directeur des travaux] la somme des coûts remboursables raisonnables et nécessaires à la réalisation des travaux, déduction faite des crédits, remises et coûts recouvrables. Ces coûts sont établis conformément aux pratiques comptables du [directeur des travaux], telles qu’elles sont acceptées par BJCC pendant la période de lancement du contrat et appliquées de façon uniforme au fil du temps. Il incombe au [directeur des travaux] d’apporter la preuve des coûts remboursables réellement occasionnés dans le cadre de la réalisation de l’Énoncé des travaux.

Seuls les coûts remboursables que le [directeur des travaux] prouve avoir assumés lui seront remboursés. Les coûts remboursables seront remboursés au [directeur des travaux] sans majoration pour les coûts indirects ou les bénéfices. Les coûts remboursables occasionnés entre la date d’attribution et la date d’achèvement du contrat seront remboursés au [directeur des travaux].

Les coûts qui ne sont pas clairement identifiés comme des coûts remboursables ne seront pas remboursés au [directeur des travaux] et sont inclus dans les honoraires du [directeur des travaux]. Seuls les coûts des travaux liés aux services directs seront remboursés au [directeur des travaux]. Le remboursement des coûts remboursables pourra faire l’objet de vérifications de la part de BJCC. Si ces vérifications révèlent un trop‑perçu, celui‑ci est remboursé dans les plus brefs délais à BJCC.

[Nos italiques, traduction]

  1. L’article C.1.5 de la DP prévoit ce qui suit au sujet des « coûts remboursables » :

À moins qu’ils aient été identifiés comme des coûts non remboursables, les coûts ci-dessous, lorsqu’ils sont autorisés et lorsqu’il est prouvé qu’ils ont été occasionnés, constituent des coûts admissibles et sont remboursables au [directeur des travaux] au prix de revient, sans majoration et exclusion faite des coûts indirects, des bénéfices et des honoraires du directeur des travaux :

  1. Coûts de main‑d’œuvre directe – Désigne les coûts correspondant à la partie des salaires bruts, des avantages sociaux et des cotisations du [directeur des travaux] aux régimes d’avantages sociaux et aux programmes adoptés en vertu d’une loi, comme l’assurance-emploi et le Régime de pensions du Canada, versée pour la réalisation directe des travaux.

[Traduction]

  1. Eu égard aux « coûts non remboursables », l’article C.1.6 de la DP prévoit ce qui suit :

Même si les coûts suivants ont été raisonnablement et convenablement assumés par le [directeur des travaux] dans la réalisation des travaux, ils sont considérés comme des coûts ne pouvant être remboursés au [directeur des travaux]. Les coûts non remboursables sont inclus dans les honoraires du [directeur des travaux]. Les coûts suivants sont des coûts non remboursables :

Tous les coûts, y compris les coûts de main‑d’œuvre directe et les coûts de sous‑traitance, liés à l’exécution des travaux qui sont essentiellement des activités administratives connexes et qui sont nécessaires pour faciliter la prestation des services directs. Ces coûts sont notamment les suivants :

  1. les coûts liés aux fonctions des ressources humaines, comme le recrutement, l’embauche, la formation, le soutien aux employés et la rémunération;
  2. les coûts liés aux fonctions financières et comptables; 
  3. les coûts liés au développement et à la maintenance des systèmes de GI-TI;
  4. les coûts liés au fonctionnement des systèmes de GI-TI;

[...]

  1. Tout autre coût, lié à une partie ou à l’ensemble des travaux, qui n’est pas spécifiquement admissible;
  2. Le coût des cautionnements pour le paiement de la main‑d’œuvre et des matériaux, et le coût des cautionnements d’exécution.

[Caractères gras dans l’original, traduction]

La plainte n’est pas fondée

  1. Conformément à l’article C.1.5 de la DP, les coûts de main‑d’œuvre directe figurent parmi les différents « coûts remboursables ». Ceux‑ci « [...] sont remboursables au [directeur des travaux] au prix de revient, sans majoration et exclusion faite des coûts indirects, des bénéfices et des honoraires du directeur des travaux » [nos italiques, traduction]. Les coûts de main‑d’œuvre directe sont définis comme étant « [...] les coûts correspondant à la partie des salaires bruts, des avantages sociaux et des cotisations du [directeur des travaux] aux régimes d’avantages sociaux et aux programmes adoptés en vertu d’une loi, comme l’assurance-emploi et le Régime de pensions du Canada, versée pour la réalisation directe des travaux ».
  2. Pomerleau est le seul soumissionnaire ayant inclus une part de bénéfices et de coûts indirects dans ses coûts de main‑d’œuvre directe. La soumission de Pomerleau a été déclarée non conforme pour ce motif. BJCC a constaté ce motif de non‑conformité en cours d’évaluation des soumissions, après avoir posé aux soumissionnaires différentes questions visant à confirmer certains éléments figurant dans les soumissions, notamment afin de déterminer quels étaient les coûts indirects et les bénéfices inclus dans les coûts de main‑d’œuvre directe proposés par les soumissionnaires[35].
  3. Pomerleau fait valoir que BJCC n’aurait pas dû poser les questions ayant mené à la divulgation de ces renseignements. Cet argument est sans fondement. Conformément à la DP, il est loisible à BJCC de demander des précisions ou des confirmations concernant tout renseignement fourni dans la soumission, et les réponses fournies par le soumissionnaire sont réputées faire partie de sa soumission[36]. Il s’agit de l’approche retenue dans la presque totalité des procédures de passation de marchés.
  4. Pomerleau soutient que le fait qu’elle ait déclaré avoir inclus des bénéfices et des coûts indirects dans ses coûts de main‑d’œuvre directe n’est « [...] pas important, étant donné que TPSGC obtiendrait les services demandés au meilleur prix » [traduction][37] dans l’éventualité où sa soumission était plus basse que les autres soumissions. Cet argument est également sans fondement, étant donné que cela revient à demander au Tribunal de passer outre un principe fondamental du droit des marchés publics, à savoir qu’une soumission doit être conforme à toutes les exigences établies pour pouvoir être considérée comme recevable[38]. Une soumission est conforme ou elle ne l’est pas. On ne peut faire fi d’une lacune dans une soumission non conforme, parce que cela reviendrait à accepter qu’une soumission soit corrigée pour des raisons pratiques. Une telle approche ne saurait être tolérée, parce qu’elle causerait un préjudice grave à l’intégrité du mécanisme d’adjudication.
  5. Pomerleau fait également valoir que l’interdiction d’inclure des bénéfices ou des coûts indirects dans les coûts de main‑d’œuvre directe est déraisonnable sur le plan commercial, étant donné que cela revient à demander aux soumissionnaires de fournir leurs ressources gratuitement[39]. A priori, il ne revient pas au Tribunal d’en juger : une demande de propositions peut contenir des conditions peu attrayantes sur le plan commercial sans pour autant qu’il y ait violation des accords commerciaux; il incombe aux fournisseurs éventuels de déterminer si l’occasion offerte est attrayante ou non sur le plan commercial, puis de présenter ou non une soumission. Pomerleau devait déterminer s’il était intéressant pour elle de présenter une soumission en réponse à la DP, compte tenu des conditions qu’elle contenait et à la lumière de la structure de revenus qu’elle prévoyait, et non en fonction de la structure de revenus à laquelle s’attendait Pomerleau (ou à laquelle Pomerleau avait conclu à tort).
  6. Le Tribunal conclut que la DP était claire eu égard à la structure de revenus – il ne devait pas y avoir de majoration des coûts de main‑d’œuvre directe, et les coûts indirects liés à l’offre de cette main‑d’œuvre directe devaient être couverts indirectement par la voie des honoraires du directeur des travaux. BJCC l’a bien décrit : « [...] la DP n’empêche pas les proposants d’inclure des bénéfices dans leur prix. En revanche, la DP exige que les bénéfices (et les coûts indirects) soient inclus dans les honoraires du directeur des travaux seulement, et non dans les taux horaires. Dans l’industrie de la construction, il est fréquent que les autorités contractantes précisent les portions de la proposition financière pour lesquelles il est possible d’inclure des bénéfices et des coûts indirects, et celles pour lesquelles cela n’est pas possible. Bien souvent, seuls les honoraires du directeur des travaux peuvent inclure des bénéfices et des coûts indirects » [traduction][40].
  7. En dernier lieu, Pomerleau soutient que l’emploi du terme « facturé » [traduction] à l’article D.2.4 de la DP donnait à penser qu’il n’était pas permis d’inclure des bénéfices ou des coûts indirects liés à la main‑d’œuvre au moment de présenter la facture, mais qu’il était possible de le faire au moment de présenter la soumission (« [...] nécessairement, ces composantes devaient être intégrées aux taux de la [main‑d’œuvre directe] » [traduction][41]). Selon le Tribunal, cette observation est sans fondement et elle n’est pas appuyée par les termes de la DP, qui sont clairs, et même dénués de toute ambiguïté.
  8. L’article C.1.5 de la DP prévoit que les coûts de main‑d’œuvre directe sont « [...] remboursables au [directeur des travaux] au prix de revient, sans majoration et exclusion faite des coûts indirects [ou] des bénéfices [...] » [traduction]. Suivant le raisonnement de Pomerleau, la disposition prendrait fin à l’expression « au prix de revient ». Le Tribunal ne peut faire une lecture sélective de l’exigence et passer outre des termes qu’elle contient. Lu dans son contexte et conformément à son sens grammatical ordinaire, le libellé de l’exigence signifie que les coûts de main‑d’œuvre proposés se répercuteront directement, sans majoration ni ajout de coûts directs ou de bénéfices (autrement dit, les coûts de main‑d’œuvre directe ne peuvent inclure de telles composantes). Ainsi, le recours au verbe « facturer » à l’article D.2.4 ne peut être vu autrement que comme un rappel de l’obligation de respecter cette exigence au moment de présenter une demande de paiement. Comme la soumission de Pomerleau incluait ces composantes, BJCC l’a déclarée non conforme à juste titre.
  9. La plainte ne fait pas état d’une violation des accords commerciaux.

FRAIS

  1. Le succès en l’espèce est partagé. Pomerleau a réussi à s’opposer à la requête en cessation d’enquête de TPSGC, mais ce dernier a réussi à défendre l’intégrité de la procédure de passation de marchés compte tenu de ses obligations conformément aux accords commerciaux. Par conséquent, chaque partie assumera ses frais.

DÉCISION DU TRIBUNAL

  1. Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal conclut que la plainte n’est pas fondée. Chaque partie assumera ses frais en l’espèce.
 

[1].      L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.) [Loi sur le TCCE].

[2].      Pièce PR-2014-048-31A (protégée), onglet B, vol. 2E.

[3].      D.O.R.S./93-602 [Règlement].

[4].      D.O.R.S./91-499 [Règles].

[5].      Pièce PR-2014-048-07, vol. 1B.

[6].      Pièce PR-2014-048-05, vol. 1B.

[7].      Pièce PR-2014-048-01 aux par. 135-149, vol. 1; pièce PR-2014-048-12 aux par. 38-50, vol. 1C; pièce PR‑2014-048-18, vol. 1G; pièce PR-2014-048-31 aux par. 59-223, vol. 1G; pièce PR-2014-048-32, vol. 1K. Pomerleau n’a été plus coopérative que vers la fin de la procédure. Voir pièce PR-2014-048-46 au par. 17, vol. 1-M.

[8].      Pièce PR-2014-048-31, onglet A, vol. 1H.

[9].      Article 5.1.1.2 du contrat BI-2.

[10].    Article 5.1.1.1 du contrat BI-2.

[11].    Article 5.1.1.6 du contrat BI-2.

[12].    Article 5.1.1.4 du contrat BI-2.

[13].    La DP concernait deux complexes immobiliers : le complexe Carling et celui du pré Tunney. Voir l’article 1.4.1 de l’invitation BI-2, pièce PR-2014-048-01, vol. 1.

[14].    Pièce PR-2014-048-01, « pièce publique 2 », vol. 1.

[15].    Pièce PR-2014-048-31, onglet A, vol. 1H.

[16].    Article 5.4.1.1 du contrat BI-2.

[17].     Article 5.4.2.16 du contrat BI-2, septième puce.

[18].    Voir la définition de « fournisseur potentiel » à l’article 30.1 de la Loi sur le TCCE. Voir aussi l’article 1.16, « Conflit d’intérêts », du contrat BI-2, qui prévoit ce qui suit : « [BJCC] convient que, pendant la durée du contrat [BI-2], [BJCC] sera considérée comme étant non admissible au dépôt d’une soumission en réponse à tout autre marché concurrentiel pour la réalisation de travaux tels des services de gestion immobilière, des services de réalisation de projets et des services optionnels tels ceux décrits aux présentes [c’est-à-dire le contrat BI‑2], en ce qui a trait aux biens décrits dans la présente invitation [l’invitation BI-2] et au contrat y afférent [BI‑2]. Cette disposition n’empêche pas [BJCC] de présenter une soumission dans le cadre d’un éventuel contrat qui remplacerait le contrat BI‑2 » [nos italiques, traduction]. Cette disposition est logique, étant donné que BJCC, en tant qu’experte‑conseil de TPSGC, aura participé de près à la définition des exigences relatives aux services de construction devant faire l’objet d’un appel d’offres, et étant donné que le dossier ne fait nullement mention de BJCC à titre d’entreprise de construction, la désignant plutôt comme entreprise de gestion de projets.

[19].    Article 5.4.1.8 du contrat BI-2.

[20].    Le Tribunal souligne qu’il n’est pas étonnant que le terme « programme de projets » ne soit pas défini dans le contrat BI-2, étant donné qu’il est prévu que BJCC 1) aide TPSGC à définir les projets devant être englobés par cette notion et 2) mette ces projets en concurrence par la voie d’un appel d’offres. Encore une fois, le contrat BI‑2 confère à BJCC le rôle de gestionnaire de projets et d’entité acheteuse, soit le rôle que TPSGC joue généralement lui‑même.

[21].    Article 5.4.1.22 du contrat BI-2.

[22].    Article 5.4.1.22 du contrat BI-2.

[23].    Article 4 RP-2 du contrat BI-2.

[24].    Pièce PR-2014-048-18A (protégée), onglets B-E, vol. 2D.

[25].    Pour TPSGC, voir pièce PR-2014-048-12 aux par. 7, 25, 28, 50, 53, 61-68, 87-90, 96, 98, 112, 116, 119, vol. 1C. Pour BJCC, voir pièce PR-2014-048-31 aux par. 5-7, 22, 69, 75, 82-88, 92, 111-112, 125, 155, 192, 214‑217, 280, 282, 287, vol. 1G.

[26].    Articles 5.4.1.8 et 5.4.1.9 du contrat BI-2.

[27].    La DP aux pp. 59-60.

[28].    Article 5.4.2.16 du contrat BI-2 – première puce pour la planification, dernière puce pour le « sondage sur la réalisation des projets » [traduction].

[29].    La sixième puce prévoit ce qui suit : « après approbation préliminaire par le responsable technique, pour chaque projet, procéder à un examen de la conception, établir la conception finale, produire l’estimation de catégorie A ainsi que les documents de l’appel d’offres » [traduction]. La septième puce prévoit ce qui suit : « à la demande du responsable technique, confirmer à nouveau la portée, le calendrier et les coûts du projet dans un rapport d’analyse d’investissement modifié, et solliciter une approbation définitive auprès du responsable technique, en vue de lancer l’appel d’offres visant les activités de construction » [traduction].

[30].    Voir article GC 3.7 de la DP.

[31].    Articles 5.3.1-5.3.15 du contrat BI-2.

[32].    Pièce PR-2014-048-18A (protégée), onglets B-E, vol. 2D.

[33].    Articles 2.1 et 2.19 du contrat BI-2.

[34].    Voir les articles 2-4 du Règlement. La valeur de la DP est supérieure au seuil prévu pour les services de construction dans tous les accords commerciaux applicables.

[35].    Pièce PR-2014-048-01 au par. 23, vol. 1. Voir aussi pièce PR-2014-048-31 aux par. 46-50, 302-326, vol. 1G.

[36].    Articles A.1.7 et A.3.8 de la DP.

[37].    Pièce PR-2014-048-01 au par. 176, vol. 1.

[38].    M.J.B. Enterprises Ltd. c. Construction de Défense (1951) Ltée, [1999] 1 RCS 619, 1999 CanLII 677 (CSC).

[39].    Pièce PR-2014-048-38 au par. 93, vol. 1K.

[40].    Pièce PR-2014-048-31A (protégée) au par. 317, vol. 2E.

[41].    Pièce PR-2014-048-01 aux par. 169-172, vol. 1. Le Tribunal souligne que BJCC a mentionné à juste titre que l’article D.3 de la DP invitait les proposants à consulter l’article C.1 pour obtenir des détails sur, entre autres, les taux de main‑d’œuvre s’appliquant aux propositions financières des soumissionnaires. Pièce PR-2014-048-31 aux par. 317, 306-307, vol. 1H.