MÉRIDIEN MARITIME RÉPARATION

MÉRIDIEN MARITIME RÉPARATION
c.
MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX
Dossier no PR-2015-021

Ordonnance et motifs rendus
le jeudi 1er octobre 2015

TABLE DES MATIÈRES

 

EU ÉGARD À une plainte déposée par Méridien Maritime Réparation aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.);

ET À LA SUITE D’une requête déposée par Méridien Maritime Réparation en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux de produire certains documents.

ENTRE

MÉRIDIEN MARITIME RÉPARATION Partie plaignante

ET

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX Institution fédérale

ORDONNANCE

La requête est rejetée.

Peter Burn
Peter Burn
Membre présidant

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

  1. Le 22 juillet 2015, Méridien Maritime Réparation (Méridien) a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal), en vertu du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur[1], alléguant que le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) avait manqué aux obligations lui incombant aux termes de l’Accord sur le commerce intérieur[2] relativement à une demande de proposition (DP) (invitation no F7047-141000/C) qui portait sur la fourniture de bateaux de recherche et de sauvetage pour la Garde côtière canadienne.
  2. Plus précisément, Méridien allègue que TPSGC n’a pas tenu compte de renseignements cruciaux figurant dans la soumission et a effectué l’évaluation d’une manière qui n’était pas équitable du point de vue de la procédure. Méridien allègue également que TPSGC n’a pas dûment et équitablement évalué sa soumission au regard de deux critères techniques obligatoires (CTO), à savoir le CTO2 et le CTO6.
  3. Selon le CTO6, les soumissionnaires devaient désigner le personnel proposé pour occuper certains postes particuliers dans leur équipe de gestion de projet, notamment le poste d’ingénieur naval principal. Le CTO6 précisait aussi les qualifications requises pour chaque poste et indiquait que les soumissionnaires devaient fournir des curriculum vitæ détaillés démontrant que la personne proposée pour le poste satisfaisait aux exigences. En particulier, le soumissionnaire devait démontrer que le candidat au poste d’ingénieur naval principal avait au moins 60 mois d’expérience dans un rôle de mécanicien de marine principal acquise au cours des 120 derniers mois pour des projets de construction de bateaux.
  4. La plainte de Méridien a été acceptée à des fins d’enquête le 27 juillet 2015. Le 28 août 2015, TPSGC a déposé un rapport de l’institution fédérale (RIF). En réponse à la plainte de Méridien concernant le CTO6, TPSGC maintient sa position selon laquelle le curriculum vitæ présenté par le candidat proposé au poste d’ingénieur naval principal par Méridien, M. Roger Duke, ne contenait pas « [...] des renseignements détaillés indiquant clairement [...] »[3] [traduction, soulignement dans l’original] que le candidat possédait l’expérience requise pour satisfaire aux exigences du poste d’ingénieur naval principal. En réponse à Méridien qui affirme que peu d’employés auraient été en mesure d’acquérir l’expérience requise dans la période de 120 mois précisée en raison du manque de projets de construction de bateaux dans l’Est du Canada durant cette période, TPSGC indique que quatre autres soumissionnaires avaient pu satisfaire à cette exigence.
  5. Le 3 septembre 2015, Méridien a déposé une requête visant la production de certains documents, au motif que TPSGC avait omis d’inclure tous les documents pertinents dans le RIF, comme l’exige l’article 103 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur[4]. Méridien demande la production de tous les renseignements sur lesquels TPSGC s’est fondé pour conclure que les quatre soumissionnaires admissibles satisfaisaient au CTO6, affirmant que ces renseignements sont pertinents pour son argument selon lequel TPSGC a adopté une interprétation déraisonnable du terme « ingénieur naval principal » dans son évaluation de la soumission de Méridien.
  6. En réponse à la requête de Méridien, TPSGC soutient que les renseignements demandés par Méridien ne sont pas pertinents. TPSGC affirme que toutes les soumissions ont été évaluées en fonction de leur propre contenu d’après les critères énoncés dans la DP, et non cotées les unes par rapport aux autres, et renvoie à des décisions précédentes où le Tribunal a conclu que, dans de telles circonstances, en l’absence d’allégations de partialité dans la plainte, les documents de soumission des autres soumissionnaires ne sont pas pertinents.
  7. En réponse, Méridien maintient que les documents doivent être produits, car ils sont de toute évidence pertinents quant à l’interprétation faite par TPSGC du terme « ingénieur naval principal » et démontreront comment le terme a été interprété et appliqué dans l’évaluation des qualifications des soumissionnaires. Méridien renvoie à l’obligation qui incombe au gouvernement aux termes de l’alinéa 103(2)e) des Règles de fournir « tout autre élément de preuve [...] qui peut s’avérer nécessaire au règlement de la plainte ».
  8. De plus, Méridien renvoie à la décision rendue par le Tribunal dans l’affaire Pomerleau Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux,[5] où le Tribunal s’exprime ainsi :

30. Les demandes de production de documents formulées par les parties plaignantes dans l’espoir de mettre au jour des informations compromettantes ne sont pas plus tolérées par le Tribunal qu’elles ne le sont par les cours. Cela dit, lorsqu’une partie plaignante peut identifier précisément un document dans sa plainte (par exemple parce que le titre de ce document est mentionné dans un autre document qu’il a déjà en sa possession), celui‑ci doit être communiqué par l’institution fédérale. Les objections concernant la pertinence doivent reposer sur des raisons des plus convaincantes; c’est pourquoi de telles objections seront, en principe, rares. Les motifs purement stratégiques ne constituent pas une raison convaincante de s’opposer ou de résister à la production de documents qu’il est facile d’obtenir.

  1. Méridien affirme que les renseignements dont elle demande la production sont identifiés précisément, que le gouvernement les a en sa possession et que leur production ne serait pas onéreuse pour TPSGC, de sorte qu’ils doivent être produits.

ANALYSE DU TRIBUNAL

  1. Comme le soutient TPSGC, le Tribunal a déjà conclu auparavant que, en l’absence d’allégation de partialité, les évaluations des autres soumissionnaires ne sont pas pertinentes pour une plainte lorsque les soumissions sont évaluées en fonction des critères énoncés dans la DP et non les unes par rapport aux autres[6].
  2. Méridien n’allègue pas que TPSGC a évalué sa soumission avec partialité, ni n’a produit d’élément de preuve établissant la partialité. En outre, dans les documents présentés au Tribunal, rien n’indique que la soumission de Méridien a été évaluée par rapport au contenu des autres soumissions plutôt qu’en fonction des critères énoncés dans la DP. Les documents demandés ne sont donc pas pertinents pour l’évaluation de la plainte déposée par Méridien.
  3. L’argument de Méridien selon lequel la divulgation des renseignements fournis par les soumissionnaires ayant satisfait au CTO6 éclairera l’interprétation faite par TPSGC du terme « ingénieur naval principal » suppose que TPSGC a interprété et appliqué le terme « ingénieur naval principal » différemment dans l’évaluation de Méridien et dans l’évaluation des autres soumissionnaires, d’après l’affirmation de Méridien voulant que d’autres candidats potentiels aient eu très peu d’occasions d’obtenir l’expérience requise pendant la période précisée. L’argument de Méridien repose entièrement sur des hypothèses. Le Tribunal n’ordonnera pas la production de documents sur ce fondement.
  4. Enfin, Méridien souhaite se fonder sur la décision rendue récemment par le Tribunal dans Pomerleau pour étayer sa position selon laquelle les documents doivent être produits parce qu’ils sont identifiés précisément, que le gouvernement les a en sa possession et que leur production ne serait pas onéreuse pour TPSGC. L’argument de Méridien donne à penser que Pomerleau repose sur le principe que les institutions fédérales ne doivent pas s’opposer à la divulgation pour des raisons de pertinence lorsque les documents demandés respectent ces critères.
  5. Toutefois, les faits de la présente affaire sont bien différents de ceux exposés dans Pomerleau. Dans Pomerleau, l’institution fédérale avait omis de divulguer, pour des raisons purement tactiques, des documents qui étaient nettement pertinents pour une question de compétence qui avait été soulevée. Ce n’est pas le cas en l’espèce. De plus, le Tribunal fait une mise en garde : Pomerleau ne doit pas être interprétée comme si elle permettait la présentation de demandes de documents ou de renseignements qui ne jettent pas d’éclairage sur les motifs de la plainte en limitant la capacité de l’institution fédérale de s’opposer à la divulgation pour des raisons de pertinence.
 

[1].      L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.).

[2].      18 juillet 1994, Gaz. C. 1995.I.1323, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <http://www.ait-aci.ca/index_fr/ait.htm>.

[3].      Pièce PR-2015-021-13 au par. 27, vol. 1E.

[4].      D.O.R.S./91-499 [Règles].

[5].      (21 mai 2015), PR-2014-048 (TCCE) [Pomerleau].

[6].      Chamber of Shipping of British Columbia (24 mars 2010), PR-2009-069 (TCCE) aux par. 12-17; Raymond Chabot Grant Thornton Consulting Inc. et PricewaterhouseCoopers LLP v. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (25 septembre 2013), PR-2013-005 et PR-2013-008 (TCCE) aux par. 10-12.