TALK SCIENCE TO ME COMMUNICATIONS INC.

TALK SCIENCE TO ME COMMUNICATIONS INC.
c.

COMMISSION CANADIENNE DE SURETE NUCLEAIRE
Dossier no PR-2015-035

Décision et motifs rendus
le mardi 12 janvier 2016

TABLE DES MATIÈRES

 

EU ÉGARD À une plainte déposée par Talk Science to Me Communications Inc. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.);

ET À LA SUITE D’une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

ENTRE

TALK SCIENCE TO ME COMMUNICATIONS INC. Partie plaignante

ET

COMMISSION CANADIENNE DE SÛRETÉ NUCLÉAIRE Institution fédérale

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte est fondée.

Aux termes des paragraphes 30.15(2) et 30.15(3) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande, à titre de mesure corrective, que la Commission canadienne de sûreté nucléaire réévalue la proposition présentée par Talk Science to Me Communications Inc. à l’égard du besoin visé par la présente plainte, conformément aux accords commerciaux applicables, dans les 30 jours suivant la publication des motifs de la présente décision.

Si, à la suite de cette réévaluation, la proposition de Talk Science to Me Communications Inc. figure parmi les trois propositions qui ont obtenu le plus de points selon la procédure d’évaluation prévue par l’invitation, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande que Talk Science to Me Communications Inc. (i) se voie délivrer un arrangement en matière d’approvisionnement pour le tiers des travaux qui restent à exécuter dans le cadre du contrat et (ii) obtienne une indemnité d’un montant égal au profit qu’elle aurait raisonnablement réalisé si elle avait obtenu un contrat pour le tiers des travaux se rapportant à l’invitation no 87055-14-0359 de la date d’adjudication du contrat à la date de délivrance d’un nouvel arrangement en matière d’approvisionnement.

Le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande que Talk Science to Me Communications Inc. et la Commission canadienne de sûreté nucléaire négocient le montant de l’indemnité pour perte de profit et que, dans les 60 jours suivant la date de la présente décision, ils lui fassent rapport sur le résultat de leurs négociations.

Si les parties ne peuvent s’entendre sur le montant de l’indemnité, Talk Science to Me Communications Inc. déposera auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur, dans les 70 jours suivant la date de la présente décision, des observations sur la question de l’indemnité. La Commission canadienne de sûreté nucléaire disposera ensuite de 7 jours ouvrables à compter de la réception des observations de Talk Science to Me Communications Inc. pour déposer des observations en réponse. Talk Science to Me Communications Inc. disposera ensuite de 5 jours ouvrables à compter de la réception des observations en réponse de la Commission canadienne de sûreté nucléaire pour déposer des observations supplémentaires. Le Tribunal canadien du commerce extérieur se réserve la compétence de fixer le montant définitif de l’indemnité.

Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur accorde à Talk Science to Me Communications Inc. le remboursement des frais raisonnables qu’elle a engagés pour la préparation et le dépôt de sa plainte, ces frais devant être payés par la Commission canadienne de sûreté nucléaire. Conformément à la Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure portant sur un marché public, l’indication provisoire du degré de complexité de la présente plainte donnée par le Tribunal canadien du commerce extérieur est le degré 1, et son indication provisoire du montant de l’indemnisation est de 1 150 $. Si l’une ou l’autre des parties n’est pas d’accord avec l’indication provisoire du degré de complexité ou l’indication provisoire du montant de l’indemnisation, elle peut présenter des observations au Tribunal canadien du commerce extérieur, en conformité avec l’article 4.2 de la Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure portant sur un marché public. Le Tribunal canadien du commerce extérieur se réserve la compétence de fixer le montant définitif de l’indemnisation.

Ann Penner
Ann Penner
Membre présidant

Membre du Tribunal : Ann Penner, membre présidant

Conseillers juridiques pour le Tribunal : Rebecca Marshall-Pritchard
Jessica Spina (stagiaire en droit)

Partie plaignante : Talk Science to Me Communications Inc.

Institution fédérale : Commission canadienne de sûreté nucléaire

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario)  K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

EXPOSÉ DES MOTIFS

  1. Le 26 octobre 2015, aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur[1], Talk Science to Me Communications Inc. (Talk Science to Me) a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) concernant une demande de propositions (DP) (invitation no 87055-14-0359) publiée par la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN) pour la prestation de services de rédaction et de révision anglaises.

RÉSUMÉ DE LA PLAINTE

  1. Talk Science to Me allègue que la CCSN a injustement rejeté sa proposition en se fondant sur des critères qui ne figuraient pas dans la DP. Plus particulièrement, Talk Science to Me se plaint que la CCSN a conclu à tort qu’elle ne répondait pas à deux des huit critères techniques obligatoires, soit les critères O2 et O8. Talk Science to Me soutient qu’elle satisfaisait en fait à toutes les exigences obligatoires énoncées dans la DP. À titre de mesure corrective, Talk Science to Me demande que sa proposition soit réévaluée et que lui soient remboursés les frais qu’elle a engagés pour la préparation de sa soumission et le dépôt de sa plainte.

PROCÉDURE DE PASSATION DU MARCHÉ PUBLIC

  1. La CCSN a publié la DP le 7 avril 2015. Le 15 mai 2015, la DP a été modifiée et la date de clôture initiale a été reportée au 22 mai 2015, date à laquelle Talk Science to Me a présenté sa proposition.
  2. Pendant la période de questions et réponses, Talk Science to Me et la CCSN ont eu l’échange suivant au sujet du critère O8 :

a) Si l’un des trois derniers projets du soumissionnaire a été effectué pour la CCSN, l’une des lettres de recommandation du soumissionnaire devrait-elle provenir de la CCSN?

[...]

a) Pas s’il y a un lien direct avec le personnel de la CCSN ou les évaluateurs concernés par le présent appel d’offres. Si la lettre provient d’un employé de la CCSN qui n’est pas concerné par le présent marché public, alors oui[2].

[Souligné dans l’original]

  1. Le 3 septembre 2015, la CCSN a informé Talk Science to Me que sa proposition n’avait pas été retenue puisqu’elle ne répondait pas aux critères techniques obligatoires de la DP. Elle a également informé Talk Science to Me que des contrats avaient été adjugés à Ascribe Marketing Communications Inc. et Stiff Inc.
  2. Le 4 septembre 2015, Talk Science to Me a envoyé un courriel à la CCSN pour obtenir des précisions sur les motifs pour lesquels sa proposition avait été jugée non conforme.
  3. Le 13 octobre 2015, les parties ont tenu une réunion de compte rendu par téléphone.
  4. Le 26 octobre 2015, Talk Science to Me a déposé sa plainte auprès du Tribunal.
  5. Le 29 octobre 2015, le Tribunal a informé les parties qu’il avait décidé d’enquêter sur la plainte puisqu’elle satisfaisait aux exigences du paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et aux conditions énoncées au paragraphe 7(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics[3].
  6. Le 23 novembre 2015, la CCSN a déposé le rapport de l’institution fédérale (RIF) auprès du Tribunal conformément à l’article 103 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur[4]. Le 7 décembre 2015, Talk Science to Me a déposé ses observations sur le RIF.
  7. Étant donné que les renseignements au dossier étaient suffisants pour déterminer le bien-fondé de la plainte, le Tribunal a décidé qu’une audience n’était pas nécessaire et a statué sur la plainte sur la foi des renseignements au dossier.

POSITION DES PARTIES

Talk Science to Me

  1. Talk Science to Me soutient qu’il n’y avait aucun motif raisonnable de déclarer sa proposition non conforme. Elle affirme que les motifs que la CCSN a invoqués pour rejeter sa proposition découlaient de l’application de critères d’évaluation non divulgués.
  2. En particulier, Talk Science to Me prétend qu’elle a fourni quatre ressources professionnelles d’édition à temps plein en réponse au critère O2 et qu’elle satisfaisait donc aux exigences de la DP. En outre, Talk Science to Me conteste la déclaration de la CCSN selon laquelle sa proposition était non conforme en raison des conditions d’emploi de ses réviseurs, et de leurs études et expérience. À son avis, la DP ne précisait pas que certains types d’études, d’expérience ou de conditions d’emploi étaient nécessaires pour les « ressources professionnelles d’édition à temps plein » proposées.
  3. Talk Science to Me soutient de plus qu’elle satisfaisait au critère O8 puisqu’elle avait fourni des lettres de recommandation de ses trois plus récents clients du gouvernement du Canada. Elle affirme que, conformément aux conditions de l’invitation, elle avait présenté des lettres de recommandation pour les projets qu’elle avait réalisés, plutôt que pour des projets que les membres de son personnel avaient pu réaliser de leur propre chef à titre d’entrepreneurs indépendants. Talk Science to Me prétend également que les conditions de l’invitation étaient ambiguës et ne fixaient aucun délai pour les lettres de recommandation demandées.

CCSN

  1. La CCSN soutient que la proposition de Talk Science to Me n’était pas conforme au critère O2 puisqu’elle ne démontrait pas qu’elle disposait d’au moins trois « ressources professionnelles d’édition à temps plein [...] ». Plus particulièrement, deux des quatre réviseurs proposés n’ont pas été considérés comme des ressources professionnelles d’édition aux fins de la DP, et un seul de ces quatre réviseurs a été considéré comme une ressource à temps plein pour Talk Science to Me.
  2. La CCSN soutient que la proposition de Talk Science to Me n’était pas non plus conforme au critère O8 puisqu’elle ne contenait pas de lettres de recommandation pour les projets les plus récents qu’elle avait réalisés pour le gouvernement du Canada. Plus particulièrement, la CCSN a constaté des imprécisions dans les échéanciers des projets réalisés et fait état de projets mentionnés à l’égard du critère technique obligatoire O1 qui étaient plus récents que ceux pour lesquels des lettres de recommandation avaient été fournies au critère O8.
  3. Comme la proposition de Talk Science to Me était réputée ne pas satisfaire aux exigences relatives aux critères O2 et O8, la CCSN soutient qu’elle n’était pas tenue de passer à l’évaluation technique de la proposition.

DISPOSITIONS PERTINENTES DE LA DP

  1. Les objectifs suivants sont énoncés à l’annexe A de la DP :

2. Objectifs

La CCSN a besoin des services d’un maximum de trois entrepreneurs externes pour fournir des services de rédaction et d’édition anglaises pour appuyer sur demande divers projets, lorsque le personnel interne ne suffit pas à la charge de travail ou ne peut pas respecter les échéanciers serrés.

[Traduction]

  1. Dans ce contexte, la partie 1 de la DP énonce l’exigence suivante quant aux contrats multiples et indique la période contractuelle et le budget estimé :

6. Contrats multiples

La CCSN émettra jusqu’à trois contrats de services de rédaction et de révision anglaises, tels qu’ils sont définis à l’annexe A (Énoncé des travaux), selon les besoins, et sous réserve des conditions énoncées dans l’appel d’offres.

Pour la période contractuelle (de la date d’attribution du contrat jusqu’au 31 mars 2018), le budget total estimé pour tous les contrats attribués résultant de l’appel d’offres est de 250 000 $CAN (taxes applicables en sus).

[Traduction]

  1. La DP énonce des critères techniques obligatoires dans la pièce jointe 1 de la partie 4. Comme il a été mentionné précédemment, les critères O2 et O8 sont en cause. Ils prévoient ce qui suit :

No

Critères techniques obligatoires

[...]

[...]

[...]

 

O2

Le soumissionnaire doit démontrer que l’entreprise dispose d’au moins trois ressources professionnelles d’édition à temps plein pour travailler sur les projets de rédaction et d’édition.

 

[...]

[...]

 

O8

Le soumissionnaire doit fournir trois (ni plus ni moins) lettres de recommandation pour les trois derniers projets réalisés pour le gouvernement du Canada pour valider le rendement dans des travaux similaires comme le décrit l’énoncé des travaux.

Toutes les lettres de recommandation doivent inclure les quatre questions suivantes :

1)    Étiez-vous satisfait de la qualité des projets du soumissionnaire?

2)    Les projets ont-ils été livrés dans les délais voulus et en respectant le budget?

3)    Étiez-vous satisfait de l’administration des contrats et des factures par le soumissionnaire?

4)    Utiliseriez-vous ses services pour de futurs projets?

Les références seront évaluées en vertu de la section 2 sur les critères techniques cotés (C6).

 

[Traduction]

ANALYSE DU TRIBUNAL

  1. Le paragraphe 30.14(1) de la Loi sur le TCCE exige que, dans son enquête, le Tribunal limite son étude à l’objet de la plainte. Le Tribunal détermine la validité de la plainte en fonction des critères et procédures établis par règlement pour le contrat spécifique. L’article 11 du Règlement prévoit que le Tribunal doit décider si la procédure du marché public a été suivie conformément aux accords commerciaux applicables, qui, en l’espèce, sont l’Accord de libre-échange nord-américain[5], l’Accord sur le commerce intérieur[6], l’Accord sur les marchés publics[7], l’Accord de libre-échange Canada-Chili[8], l’Accord de libre-échange Canada-Pérou[9], l’Accord de libre-échange Canada-Colombie[10], l’Accord de libre-échange Canada-Panama[11], l’Accord de libre-échange Canada-Honduras[12] et l’Accord de libre-échange Canada-Corée[13].
  2. Les accords commerciaux exigent que l’entité acheteuse remette aux fournisseurs potentiels tous les renseignements nécessaires pour leur permettre de présenter des soumissions valables, y compris les critères qui seront appliqués pour adjuger le contrat[14]. Ils stipulent également que, pour être considérée en vue de l’adjudication du contrat, la soumission doit être conforme aux conditions essentielles énoncées dans la documentation relative à l’appel d’offres et exigent que les entités acheteuses adjugent les contrats conformément aux critères et conditions essentielles énoncés dans la documentation relative à l’appel d’offres[15]. En outre, les accords commerciaux interdisent toute forme de discrimination dans les procédures de passation des marchés, d’une façon générale ou par l’application de critères non divulgués[16].
  3. La question dont est saisi le Tribunal est donc de savoir si la CCSN a violé l’un ou l’autre des accords commerciaux applicables en décidant que la proposition de Talk Science to Me n’était pas conforme aux critères O2 et O8.

Norme de contrôle

  1. Il est bien établi que, lorsqu’il examine l’évaluation d’une proposition effectuée par une institution fédérale, le Tribunal doit se demander si l’évaluation en question était raisonnable. Comme le Tribunal l’a affirmé dans une affaire antérieure, « la détermination [de l’institution fédérale] serait jugée raisonnable si elle était fondée sur une explication défendable, même si elle n’était pas convaincante aux yeux du Tribunal »[17].
  2. Le Tribunal a indiqué par le passé qu’il ne substituerait pas son jugement à celui des évaluateurs « [...] à moins que les évaluateurs ne se soient pas appliqués à évaluer la proposition d’un soumissionnaire, qu’ils n’aient pas tenu compte de renseignements cruciaux fournis dans une soumission, qu’ils aient donné une interprétation erronée de la portée d’une exigence, qu’ils aient fondé leur évaluation sur des critères non divulgués ou que l’évaluation n’ait pas été effectuée d’une manière équitable du point de vue de la procédure »[18].
  3. En outre, le Tribunal a très clairement indiqué qu’il incombe aux soumissionnaires de démontrer que leur proposition satisfait à toutes les exigences obligatoires. Autrement dit, les soumissionnaires doivent décrire explicitement et entièrement en quoi leur proposition satisfait à toutes les exigences obligatoires énoncées dans l’invitation[19].

La CCSN a-t-elle incorrectement évalué les critères O2 et O8 dans la proposition de Talk Science to Me?

  1. En l’espèce, Talk Science to Me soutient que la CCSN n’a pas suivi la procédure de passation du marché public conformément aux principes susmentionnés. Au contraire, Talk Science to Me affirme que la CCSN a fait abstraction des renseignements fournis dans sa proposition et ajouté des critères d’évaluation non divulgués dans le cadre de son évaluation, notamment en ce qui concerne les critères O2 et O8.
  2. Le Tribunal est d’accord. Il ressort clairement des observations de la CCSN et de la réunion de compte rendu tenue avec Talk Science to Me que la CCSN a ajouté des critères d’évaluation non divulgués en ce qui concerne les critères O2 et O8 et qu’elle a injustement exclu la proposition de Talk Science to Me de tout examen ultérieur dans le cadre de la procédure de passation du marché public.

Critère O2 : Ressources professionnelles d’édition à temps plein

  1. En ce qui concerne plus particulièrement le critère O2, la DP exigeait que le soumissionnaire démontre qu’il disposait d’au moins trois ressources professionnelles d’édition à temps plein. Talk Science to Me a fourni les noms de quatre ressources d’édition à temps plein.
  2. La CCSN n’a pas retenu les réviseurs proposés pour trois motifs : (i) les réviseurs n’étaient pas des employés de l’entreprise soumissionnaire, mais plutôt des entrepreneurs; (ii) les réviseurs ne satisfaisaient pas aux exigences professionnelles; et (iii) les réviseurs n’exerçaient pas cette activité à temps plein. Ces trois motifs seront examinés à tour de rôle.
  3. Quant au premier motif, la DP ne faisait aucune mention de la nécessité d’une relation employeur-employé. En fait, l’article 4.1.2 de la partie 5 de la DP prévoit ce qui suit :

Si le soumissionnaire a proposé un individu qui n’est pas un employé du soumissionnaire, le soumissionnaire atteste qu’il a la permission de l’individu d’offrir ses services pour l’exécution des travaux et de soumettre son curriculum vitae à la CCSN. Le soumissionnaire doit, sur demande de l’autorité contractante, fournir une confirmation écrite, signée par l’individu, de la permission donnée au soumissionnaire ainsi que de sa disponibilité.

  1. Le Tribunal estime qu’il s’agit d’un élément convaincant. Cet article de la DP prévoit expressément la proposition de ressources qui ne sont pas des employés du soumissionnaire. Talk Science to Me a établi un partenariat avec un entrepreneur indépendant afin de disposer de ressources suffisantes pour satisfaire aux exigences de la soumission. Il n’y a rien dans la DP qui aurait pour effet de rendre un tel arrangement inadmissible à l’adjudication du contrat en l’espèce.
  2. En ce qui concerne le deuxième motif, le Tribunal fait observer que la DP n’exigeait pas de compétences professionnelles, comme le prétend la CCSN. Dans sa réunion de compte rendu avec Talk Science to Me, la CCSN a soutenu que le terme « ressources professionnelles d’édition » était clair dans la DP et que les réviseurs devaient détenir certains titres de compétences, comme un diplôme ou un agrément en journalisme, du type de ceux délivrés par l’Association canadienne des rédacteurs-réviseurs, pour être considérés comme des « professionnels ».
  3. Talk Science to Me soutient que les quatre réviseurs qu’elle a proposés auraient tous dû être considérés comme possédant les compétences appropriées et comme étant des réviseurs professionnels à temps plein, malgré la prétention de la CCSN voulant qu’elle n’en ait fourni que deux. Le Tribunal est d’accord avec Talk Science to Me. La CCSN semble avoir fixé sa propre norme quant à ce qui était acceptable sur le plan des études et de l’expérience des réviseurs, par l’application de critères non divulgués dans l’invitation. La DP ne précisait aucunement que les réviseurs proposés devaient avoir fait des études ou reçu une attestation professionnelle. Si la CCSN voulait que les réviseurs aient fait certaines études ou reçu certaines attestations, ces compétences particulières auraient dû être expressément mentionnées dans la DP.
  4. Quant au troisième motif, la CCSN a écarté certains des réviseurs proposés par Talk Science to Me parce qu’elle a conclu qu’ils n’effectuaient peut-être pas des services de révision à temps plein, étant donné que certains d’entre eux exerçaient des activités de commercialisation pour Talk Science to Me[20]. En réponse, Talk Science to Me a affirmé qu’elle y voyait une admission par la CCSN du fait qu’elle avait appliqué des critères non divulgués dans l’évaluation de sa proposition. Le Tribunal est d’accord. La DP n’indiquait pas quel pourcentage de temps par jour un réviseur devait consacrer à la révision par rapport à des tâches accessoires; le Tribunal ne considère donc pas que l’interprétation que la CCSN a donnée au critère O2 est raisonnable à cet égard.

Critère O8 : Lettres de recommandation

  1. Le Tribunal estime que les termes employés au critère O8 sont ambigus. Il exige que « le soumissionnaire » fournisse des lettres de recommandation pour les trois derniers projets qu’il a réalisés pour le gouvernement du Canada. Ce terme a un sens plus étroit que ceux employés dans d’autres dispositions de la DP, comme les termes « [...] son entreprise ou ses employés [...] », employés au critère O1.
  2. Le Tribunal constate que, pour le critère O8, Talk Science to Me a soumis des références pour les trois derniers projets qu’elle a réalisés pour le gouvernement du Canada. Toutefois, pour le critère O1 (qui n’est pas en cause dans la présente plainte), Talk Science to Me a fourni des échantillons du travail que son entrepreneur indépendant avait réalisé pour le gouvernement du Canada. Ces projets étaient plus récents que ceux présentés à l’égard du critère O8, mais ils avaient été entrepris de façon indépendante par l’entrepreneur, plutôt que pour le compte de Talk Science to Me. La CCSN fait valoir que Talk Science to Me a présenté des projets plus récents, comme ceux présentés à l’égard du critère O1, sans jamais expliquer cette incohérence.
  3. Le Tribunal remarque que Talk Science to Me a demandé des précisions quant à savoir si elle pouvait obtenir une lettre de recommandation de la CCSN si l’un de ses trois derniers projets avait été effectué pour la CCSN. La CCSN a répondu qu’elle ne le pouvait pas « [...] s’il y a un lien direct avec le personnel de la CCSN ou les évaluateurs concernés par le présent appel d’offres ». Talk Science to Me n’a donc pas soumis de références pour ses récents projets réalisés pour la CCSN. De plus, faisant suite à la question posée par un autre soumissionnaire à cet égard, la CSNC a répondu qu’« [a]ux fins d’équité et d’intégrité pour tous les soumissionnaires, les références provenant de la CCSN ne seront pas acceptées pour répondre à cette exigence »[21].
  4. Par conséquent, bien que Talk Science to Me ait réalisé du travail plus récent, elle ne pouvait pas le présenter parce qu’il avait été effectué pour la CCSN et était donc expressément exclu de l’examen. Les termes employés au critère O8 ont un sens plus étroit, en ce qu’il est question uniquement du « soumissionnaire », et Talk Science to Me affirme avoir péché par excès de prudence en présentant des lettres de recommandation pour les plus récents projets que l’entreprise elle-même avait réalisés pour le gouvernement du Canada. Le Tribunal considère les actes de Talk Science to Me comme raisonnables à cet égard.
  5. Après avoir examiné les spécifications techniques obligatoires ainsi que les réponses que Talk Science to Me a fournies dans sa proposition, le Tribunal estime que Talk Science to Me a expressément décrit en quoi sa proposition respecterait les spécifications techniques obligatoires en cause. Le Tribunal conclut donc que la décision de la CCSN était injuste et déraisonnable dans les circonstances.
  6. À la lumière de ce qui précède, le Tribunal conclut que la plainte de Talk Science to Me est fondée.

Mesure corrective et frais

Mesure corrective

  1. Ayant conclu que la plainte est fondée, le Tribunal doit maintenant recommander la mesure corrective appropriée.
  2. Pour déterminer la mesure corrective appropriée, le Tribunal doit tenir compte de tous les facteurs qui interviennent dans le marché public, conformément au paragraphe 30.15(3) de la Loi sur le TCCE. Cela exige de tenir compte de la gravité des irrégularités qu’il a constatées dans la procédure de passation du marché public, de l’ampleur du préjudice causé au plaignant, de l’ampleur du préjudice causé à l’intégrité ou à l’efficacité du mécanisme d’adjudication et de la bonne foi des parties.
  3. Le Tribunal estime que le fait de ne pas évaluer une proposition conformément aux critères énoncés dans la DP constitue une irrégularité grave dans la procédure de passation du marché public. Les soumissionnaires doivent pouvoir s’appuyer sur les critères d’évaluation prescrits pour formuler leur proposition. S’ils ne sont pas informés de toutes les « règles du jeu », les soumissionnaires ne peuvent optimiser leurs efforts pour emporter le marché. Le Tribunal est d’avis qu’une telle irrégularité grave dans l’évaluation cause un préjudice à l’intégrité et à l’efficacité du mécanisme d’adjudication.
  4. Le Tribunal fait observer qu’aucun élément de preuve n’établit que les évaluateurs techniques n’agissaient pas de bonne foi lorsqu’ils ont procédé à leurs évaluations. Il recommande donc que la proposition présentée par Talk Science to Me soit réévaluée conformément aux dispositions de la DP, avec comme instruction que les évaluateurs de la CCSN examinent de nouveau les réponses de Talk Science to Me aux critères O2 et O8. Cette réévaluation doit être terminée dans les 30 jours suivant la date à laquelle les présents motifs sont publiés.

Frais

  1. Le Tribunal accorde à Talk Science to Me le remboursement des frais raisonnables qu’elle a engagés pour la préparation et le dépôt de sa plainte.
  2. Pour déterminer le montant de l’indemnisation en l’espèce, le Tribunal a tenu compte de sa Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure portant sur un marché public (la Ligne directrice), qui fonde l’évaluation du degré de complexité d’une plainte sur trois critères : la complexité du marché public, la complexité de la plainte et la complexité de la procédure.
  3. Le Tribunal détermine provisoirement que le degré de complexité de la présente plainte correspond au degré le plus bas de complexité prévu à l’annexe A de la Ligne directrice (degré 1). La complexité du marché public était faible, car il visait la prestation d’un seul type de services. Le Tribunal estime que la complexité de la plainte était faible, car les questions en litige étaient simples et visaient à déterminer si la CCSN avait correctement évalué la proposition de Talk Science to Me par rapport à deux critères obligatoires. Enfin, la complexité de la procédure était faible, puisque les questions ont été résolues par les parties au moyen d’éléments de preuve documentaire et d’observations écrites et qu’une audience n’était pas nécessaire.
  4. Par conséquent, conformément à la Ligne directrice, le Tribunal détermine provisoirement que le montant de l’indemnisation est de 1 150 $.

DÉCISION DU TRIBUNAL

  1. Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal conclut que la plainte est fondée.
  2. Aux termes des paragraphes 30.15(2) et 30.15(3) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal recommande, à titre de mesure corrective, que la CCSN réévalue la proposition présentée par Talk Science to Me à l’égard du besoin visé par la présente plainte, conformément aux accords commerciaux applicables, dans les 30 jours suivant la publication des motifs de la présente décision.
  3. Si, à la suite de cette réévaluation, la proposition de Talk Science to Me figure parmi les trois propositions qui ont obtenu le plus de points selon la procédure d’évaluation prévue par l’invitation, le Tribunal recommande que Talk Science to Me (i) se voie délivrer un arrangement en matière d’approvisionnement pour le tiers des travaux qui restent à exécuter dans le cadre du contrat et (ii) obtienne une indemnité d’un montant égal au profit qu’elle aurait raisonnablement réalisé si elle avait obtenu un contrat pour le tiers des travaux se rapportant à l’invitation no 87055-14-0359 de la date d’adjudication du contrat à la date de délivrance d’un nouvel arrangement en matière d’approvisionnement.
  4. Le Tribunal recommande que Talk Science to Me et la CCSN négocient le montant de l’indemnité pour perte de profit et que, dans les 60 jours suivant la date de la présente décision, ils lui fassent rapport sur le résultat de leurs négociations.
  5. Si les parties ne peuvent s’entendre sur le montant de l’indemnité, Talk Science to Me déposera auprès du Tribunal, dans les 70 jours suivant la date de la présente décision, des observations sur la question de l’indemnité. La CCSN disposera ensuite de 7 jours ouvrables à compter de la réception des observations de Talk Science to Me pour déposer des observations en réponse. Talk Science to Me disposera ensuite de 5 jours ouvrables à compter de la réception des observations en réponse de la CCSN pour déposer des observations supplémentaires. Le Tribunal se réserve la compétence de fixer le montant définitif de l’indemnité.
  6. Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal accorde à Talk Science to Me le remboursement des frais raisonnables qu’elle a engagés pour la préparation et le dépôt de sa plainte, ces frais devant être payés par la CCSN. Conformément à la Ligne directrice, l’indication provisoire du degré de complexité de la présente plainte donnée par le Tribunal est le degré 1, et son indication provisoire du montant de l’indemnisation est de 1 150 $. Si l’une ou l’autre des parties n’est pas d’accord avec l’indication provisoire du degré de complexité ou l’indication provisoire du montant de l’indemnisation, elle peut présenter des observations au Tribunal, en conformité avec l’article 4.2 de la Ligne directrice. Le Tribunal se réserve la compétence de fixer le montant définitif de l’indemnisation.
 

[1].      L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.) [Loi sur le TCCE].

[2].      Pièce PR-2015-035-09 aux pp. 9, 10, vol. 1.

[3].      D.O.R.S./93-602 [Règlement].

[4].      D.O.R.S./91-499.

[5].      Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, 17 décembre 1992, R.T.C. 1994, no 2, en ligne : le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement <http://www.international.gc.ca/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-... (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ALÉNA].

[6].      18 juillet 1994, Gaz. C. 1995.I.1323, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <http://www.ait-aci.ca/‌agreement-on-internal-trade/?lang=fr> [ACI].

[7].      Accord révisé sur les marchés publics, en ligne : Organisation mondiale du commerce <http://www.wto.org/‌french/docs_f/legal_f/rev-gpr-94_01_f.htm> (entré en vigueur le 6 avril 2014).

[8].      Accord de libre-échange entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la République du Chili, R.T.C. 1997, no 50, en ligne : le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement <http://‌www.international.gc.ca/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-acc/chi... (entré en vigueur le 5 juillet 1997). Le chapitre Kbis, intitulé « Marchés publics », est entré en vigueur le 5 septembre 2008.

[9].      Accord de libre-échange entre le Canada et la République du Pérou, en ligne : le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement <http://www.international.gc.ca/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-... (entré en vigueur le 1er août 2009).

[10].    Accord de libre-échange entre le Canada et la République de Colombie, en ligne : le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement <http://www.international.gc.ca/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-... (entré en vigueur le 15 août 2011).

[11].    Accord de libre-échange entre le Canada et la République du Panama, en ligne : le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement <http://www.international.gc.ca/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-... (entré en vigueur le 1er avril 2013).

[12].    Accord de libre-échange entre le Canada et la République du Honduras, en ligne : le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement <http://www.international.gc.ca/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-... (entré en vigueur le 1er octobre 2014).

[13].    Accord de libre-échange entre le Canada et la République de Corée, en ligne : le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement <http://www.international.gc.ca/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-... (entré en vigueur le 1er janvier 2015).

[14].    Par exemple, l’article 1013 de l’ALÉNA prévoit que la documentation relative à l’appel d’offres « [...] devra contenir tous les renseignements nécessaires pour leur permettre [aux fournisseurs] de présenter des soumissions valables [...] [et] contiendra également [...] les critères d’adjudication, y compris tous les éléments, autres que le prix, qui seront pris en considération lors de l’évaluation des soumissions [...] ».

[15].    Par exemple, les alinéas 1015(4)a) et d) de l’ALÉNA prévoient ce qui suit : « L’adjudication des marchés s’effectuera conformément aux procédures suivantes : a) pour être considérée en vue de l’adjudication, une soumission devra être conforme, au moment de son ouverture, aux conditions essentielles spécifiées dans les avis ou la documentation relative à l’appel d’offres [...] d) l’adjudication des marchés sera conforme aux critères et aux conditions essentielles spécifiées dans la documentation relative à l’appel d’offres [...] ». De plus, le paragraphe 506(6) de l’ACI prévoit que « [l]es documents d’appel d’offres doivent indiquer clairement les conditions du marché public, les critères qui seront appliqués dans l’évaluation des soumissions et les méthodes de pondération et d’évaluation des critères ».

[16].    Par exemple, le paragraphe 1008(1) de l’ALÉNA prévoit que « [c]hacune des Parties fera en sorte que les procédures de passation des marchés suivies par ses entités a) soient appliquées de façon non discriminatoire, et b) soient conformes au présent article et aux articles 1009 à 1016 ».

[17].    Raymond Chabot Grant Thornton Consulting Inc. et PricewaterhouseCoopers LLP c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (25 octobre 2013), PR-2013-005 et PR-2013-008 (TCCE) au par. 42; Entreprise commune de BMT Fleet Technology Limited et NOTRA Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (5 novembre 2008), PR-2008-023 (TCCE) au par. 25.

[18].    ADRM Technology Consulting Group Corp./Randstad Interim Inc. (26 avril 2012), PR-2012-002 (TCCE) au par. 25.

[19].    Tyco Integrated Security Canada, Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (13 septembre 2013), PR-2013-006 (TCCE) au par. 29.

[20].    Pièce PR-2015-035-11 à la p. 1, vol. 1.

[21].    Pièce PR-2015-035-09 à la p. 11, vol. 1.