ECLIPSYS SOLUTIONS INC.

ECLIPSYS SOLUTIONS INC.
c.
SERVICES PARTAGÉS CANADA
Dossier no PR-2015-039

Ordonnance rendue
le jeudi 4 février 2016

Motifs rendus
le mardi 16 février 2016

TABLE DES MATIÈRES

 

EU ÉGARD À une plainte déposée par Eclipsys Solutions Inc. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.);

ET À LA SUITE D’une requête déposée par Services partagés Canada aux termes de l’article 24 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur demandant que le Tribunal canadien du commerce extérieur rejette la plainte au motif qu’il n’a pas compétence pour enquêter sur la plainte.

ENTRE

ECLIPSYS SOLUTIONS INC. Partie plaignante

ET

SERVICES PARTAGÉS CANADA Institution fédérale

ORDONNANCE

La requête est rejetée. Cependant, aux termes de l’alinéa 10a) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics, le Tribunal canadien du commerce extérieur met fin à son enquête et ordonne le rejet de la plainte au motif que Services partagés Canada a exclu le marché public de l’application des obligations en vertu des accords commerciaux pertinents.

Serge Fréchette
Serge Fréchette
Membre présidant

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

  1. Le 2 novembre 2015, Eclipsys Solutions Inc. (Eclipsys) a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal), aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur[1]. La plainte concerne un appel d’offres émis par Services partagés Canada (Services partagés) pour la prestation de services d’infrastructure de serveur et de stockage pour les centres de données (invitation no 10040747/A).
  2. Eclipsys allègue avoir été injustement exclue de la procédure d’appel d’offres par Services partagés. Les documents ayant trait à l’étape initiale (invitation à se qualifier) de l’appel d’offres, émis le 6 octobre 2014, comprenaient au départ un formulaire par lequel un fabricant d’équipement d’origine pouvait attester qu’un soumissionnaire était un fournisseur agréé avec l’autorisation de faire la maintenance du matériel de ce fabricant, permettant ainsi aux soumissionnaires de proposer du matériel qu’ils ne fabriquent pas eux‐mêmes. Eclipsys avait l’intention de proposer du matériel d’infrastructure fabriqué par Oracle ULC (Oracle), comme elle l’avait fait plusieurs fois auparavant dans le cadre d’autres appels d’offres. Toutefois, sous l’effet de la modification 003 apportée à l’invitation à se qualifier, Services partagés a retiré le formulaire en affirmant qu’il s’agissait d’une erreur.
  3. Selon Eclipsys, le retrait de ce formulaire l’a effectivement empêchée de participer à l’invitation à se qualifier car, de ce fait, elle ne pouvait satisfaire à l’exigence obligatoire 4.1.1 O-01 ayant trait à l’expérience en matière de fabrication d’infrastructures[2]. Services partagés a confirmé, dans la modification 007 apportée à l’invitation à se qualifier, qu’il ne supprimerait pas cette exigence obligatoire, même si la demande en avait été faite. Le Tribunal constate qu’Oracle, le fabricant de l’équipement d’origine qu’Eclipsys avait l’intention de proposer, a participé à l’invitation à se qualifier. Oracle a été retenue comme fournisseur le 15 décembre 2014. Selon Eclipsys, la liste des fournisseurs retenus dans le cadre de l’invitation à se qualifier comprend des soumissionnaires qui ne sont pas des fabricants d’équipement d’origine.
  4. L’étape de la demande pour un arrangement en matière d’approvisionnement a débuté le 7 juillet 2015. Le formulaire d’attestation du fabricant d’équipement d’origine a été réintroduit à cette étape. Les 15 juillet et 10 août 2015, Eclipsys (avec l’assentiment d’Oracle) a rencontré Services partagés pour demander qu’Oracle ait la permission de signer le formulaire d’attestation et qu’Eclipsys soit considérée comme le principal fournisseur retenu dans le cadre de l’arrangement en matière d’approvisionnement.
  5. Le 25 septembre 2015, cette demande a été rejetée au motif que Services partagés ne pouvait inclure un nouveau fournisseur aussi tardivement dans la procédure d’appel d’offres et que Services partagés a comme politique de ne pas permettre qu’un « revendeur » soit un fournisseur principal dans le cadre d’un nouvel arrangement en matière d’approvisionnement.
  6. Le 9 octobre 2015, Eclipsys a déposé une première plainte à l’égard de cette procédure d’appel d’offres. Cette plainte a été rejetée parce que les documents d’appel d’offres indiquaient que le marché faisait l’objet d’une exception en matière de sécurité nationale[3].
  7. Dans la présente plainte, Eclipsys soutient que l’exception en matière de sécurité nationale ne doit pas être utilisée par Services partagés pour éviter d’avoir à démontrer que la procédure d’appel d’offres a été conduite de façon équitable.
  8. Le 6 novembre 2015, le Tribunal a informé les parties qu’il avait accepté d’enquêter sur la plainte puisqu’elle satisfaisait aux exigences du paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et aux conditions énoncées au paragraphe 7(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics[4].
  9. Le 27 novembre 2015, Services partagés a déposé une requête demandant que la plainte soit rejetée, aux termes de l’article 24 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur. Services partagés soutient que l’appel d’offres fait l’objet d’une exception en matière de sécurité nationale et que, par conséquent, celui-ci n’est visé par aucun des accords commerciaux applicables. Services partagés soutient que, par conséquent, le Tribunal n’a pas compétence pour enquêter sur la plainte puisqu’il ne s’agit pas d’un « contrat spécifique » aux termes de la Loi sur le TCCE.
  10. Services partagés a joint à sa requête une lettre du sous‐ministre adjoint principal et dirigeant principal des finances des Services ministériels de Services partagés, datée du 12 juillet 2012, affirmant ce qui suit : « Je conviens d’invoquer l’exception au titre de la sécurité nationale à tous égards en vue d’exempter le marché de fournitures et de services concernant les infrastructures liées au courrier électronique (courriel), aux réseaux et aux centres de données du gouvernement du Canada de l’application des accords commerciaux nationaux et internationaux [...] » [traduction]. La lettre indiquait également que « [c]ette exception au titre de la sécurité nationale s’appliquera à l’ensemble des marchés publics passés par [Services partagés »[5] [nos italiques, traduction].
  11. Eclipsys a déposé des observations sur la requête le 27 novembre 2015. Eclipsys soutient que l’exception en matière de sécurité nationale ne dispense pas Services partagés de son obligation d’agir de façon équitable envers les entreprises qui « ne représentent pas un risque pour la chaîne d’approvisionnement » [traduction][6] et qu’elle ne constitue pas une menace puisqu’elle est une entreprise canadienne détenant un certificat de sécurité du gouvernement du Canada.

ANALYSE DU TRIBUNAL

  1. Le Tribunal est d’avis que son cadre d’analyse exposé dans des causes antérieures où il était question de l’exception en matière de sécurité nationale requiert des éclaircissements.
  2. Le paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le TCCE prévoit que tout fournisseur potentiel peut, sous réserve du Règlement, déposer une plainte auprès du Tribunal concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique et lui demander d’enquêter sur cette plainte.
  3. L’article 30.1 de la Loi sur le TCCE définit un « contrat spécifique » comme un « [c]ontrat relatif à un marché de fournitures ou services qui a été accordé par une institution fédérale – ou pourrait l’être –, et qui soit est précisé par règlement, soit fait partie d’une classe réglementaire ».
  4. Comme le prévoit la Loi sur le TCCE, le Règlement précise les paramètres encadrant l’exercice de la compétence du Tribunal. Le paragraphe 3(1) du Règlement est ainsi libellé :

Pour l’application de la définition de « contrat spécifique » à l’article 30.1 de la Loi, est un contrat spécifique tout contrat relatif à un marché de fournitures ou services ou de toute combinaison de ceux-ci, accordé par une institution fédérale – ou qui pourrait l’être – et visé, individuellement ou au titre de son appartenance à une catégorie, à l’article 1001 de l’[Accord de libre-échange nord‐américain][[7]], à l’article 502 de l’Accord sur le commerce intérieur[[8]], à l’article II de l’Accord sur les marchés publics[[9]], à l’article Kbis‐01 du chapitre Kbis de l’[Accord de libre-échange Canada-Chili][[10]], à l’article 1401 du chapitre quatorze de l’[Accord de libre-échange Canada-Pérou][[11]], à l’article 1401 du chapitre quatorze de l’[Accord de libre-échange Canada‐Colombie][[12]], à l’article 16.02 du chapitre seize de l’[Accord de libre-échange Canada‐Panama][[13]], à l’article 17.2 du chapitre dix-sept de l’[Accord de libre-échange Canada‐Honduras][[14]] ou ou à l’article 14.3 du chapitre quatorze de l’[Accord de libre-échange Canada-Corée][[15]].

  1. Aucune des dispositions des accords commerciaux cités au paragraphe 3(1) du Règlement ne fait explicitement référence à une exclusion en vertu de la sécurité nationale. Par exemple, l’article 1001 de l’ALÉNA, intitulé « Portée et champ d’application », stipule en partie que le chapitre 10, intitulé « Marchés publics », s’applique aux mesures adoptées ou maintenues par une partie relativement aux marchés passés par une entité publique fédérale, qui figure aux annexes 1001.1a-1, 1001.1a-2 ou 1001.1a-3, pour des produits, des services ou des services de construction, en conformité avec les annexes 1001.1b-1, 1001.1b-2 ou 1001.1b-3, dont la valeur estimée est égale ou supérieure à certains seuils monétaires. Les autres paragraphes de l’article 1001 énoncent des conditions additionnelles qui doivent être respectées pour qu’un marché soit visé par le chapitre; ici aussi, aucune référence n’est faite à la sécurité nationale[16]. La portée des dispositions des autres accords commerciaux est similaire.
  2. Toutefois, les accords commerciaux comportent des dispositions d’exclusion distinctes ayant trait à la sécurité nationale selon les différents champs d’application des accords[17]. Par exemple, l’article 1018 de l’ALÉNA, une disposition générale qui prévoit certaines exceptions particulières, stipule ce qui suit :

1. Aucune disposition du présent chapitre ne sera interprétée comme empêchant une Partie de prendre des mesures ou de ne pas divulguer des renseignements si elle l’estime nécessaire à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité, se rapportant à l’achat d’armes, de munitions ou de matériel de guerre, ou aux achats indispensables à la sécurité nationale ou aux fins de la défense nationale.

  1. Aucune référence n’est faite dans cette disposition, de façon explicite ou implicite, à l’exclusion de marchés publics de la portée du chapitre 10 de l’ALÉNA quand il est question de sécurité nationale. Par conséquent, il n’est pas juste de prétendre que d’invoquer l’exception en matière de sécurité nationale soustrait automatiquement un appel d’offres à la définition de « contrat spécifique » en ce qui concerne l’application du paragraphe 3(1) du Règlement et du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le TCCE. Le Tribunal ne voit aucun lien entre cette disposition ayant trait à des exceptions et le champ d’application des accords commerciaux. Par conséquent, contrairement à ce que soutient Services partagés, le Tribunal a compétence pour enquêter sur la plainte, conformément au paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le TCCE. Pour ce motif, la requête de Services partagés est rejetée.
  2. De plus, les termes de l’article 1018 (ainsi que ceux des autres dispositions ayant trait à la sécurité nationale) ne soustraient pas automatiquement un appel d’offres aux obligations prévues dans les accords commerciaux quand il est question de sécurité nationale. Plus précisément, ces dispositions permettent au gouvernement i) de refuser de divulguer de l’information (par exemple de ne pas divulguer des exigences obligatoires, l’identité des adjudicataires, etc.) et ii) de prendre les mesures qu’il estime nécessaires pour préserver la sécurité nationale. Ces mesures peuvent comprendre, comme en l’espèce, l’exemption complète du marché public des diverses obligations prévues dans les accords commerciaux pertinents, mais le gouvernement pourrait aussi estimer qu’il n’est pas nécessaire de soustraire le marché public à toutes les exigences de fond et procédurales des accords commerciaux afin d’atteindre son objectif légitime.
  3. En fait, les termes de l’article 1018 laissent entendre que le gouvernement ne devrait restreindre l’application des obligations prévues dans les accords commerciaux seulement dans la mesure nécessaire pour préserver la sécurité nationale en tenant compte des particularités du marché public en cause. Pour le gouvernement, cela peut signifier, par exemple, d’introduire une discrimination contre certaines catégories de fournisseurs, ce qui nécessiterait une exception aux dispositions de non-discrimination des accords commerciaux, mais de conserver les autres protections qui figurent dans ces accords à l’égard des fournisseurs qui remplissent les conditions requises.
  4. Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclut que, plutôt que de présumer que l’invocation de l’exception en matière de sécurité nationale lui retire automatiquement sa compétence pour enquêter sur la plainte, il doit examiner les termes du recours à cette exception pour en déterminer la portée et la mesure dans laquelle l’exercice de sa compétence est de ce fait restreinte.
  5. En l’espèce, d’après la lettre du 12 juillet 2012, Services partagés a invoqué l’exception en matière de sécurité nationale « à tous égards en vue d’exempter le marché de fournitures et de services concernant les infrastructures liées au courrier électronique (courriel), aux réseaux et aux centres de données du gouvernement du Canada de l’application des accords commerciaux nationaux et internationaux » [nos italiques]. Le Tribunal conclut que la mesure que Services partagés a estimé nécessaire pour préserver la sécurité nationale a été d’exclure le marché de toutes les obligations prévues dans les accords commerciaux applicables aux marchés publics. Le Tribunal doit donc forcément conclure qu’il ne peut évaluer la conformité d’aucun des aspects de l’appel d’offres à l’égard d’aucune des obligations prévues dans les accords commerciaux. La conséquence concrète de cette conclusion est l’équivalent d’une absence de compétence; cependant, il n’est pas approprié de considérer qu’il s’agit d’une question de compétence parce que la compétence du Tribunal ne doit pas être confondue avec la non-application des obligations prévues dans les accords commerciaux qui résulte de l’invocation d’une exception.
  6. Il n’y a aucune directive dans les accords commerciaux, dans la Loi sur le TCCE ou dans le Règlement sur la façon d’invoquer l’exception en matière de sécurité nationale ni sur les paramètres dont il faut tenir compte le cas échéant. De plus, les termes des diverses dispositions des accords commerciaux ayant trait à cette exception laissent à l’entière discrétion des parties (ou du gouvernement fédéral en ce qui concerne l’ACI), c’est-à-dire de l’institution fédérale responsable, de déterminer quelles mesures sont nécessaires pour préserver la sécurité nationale. Par conséquent, le Tribunal n’a aucun mandat en vertu de la loi pour évaluer les motifs de l’invocation de l’exception en matière de sécurité nationale ou pour examiner la décision d’y avoir recours[18].
  7. En l’espèce, il ne reste plus au Tribunal que d’examiner si l’exception en matière de sécurité nationale a été correctement invoquée du point de vue procédural. Les questions que le Tribunal examine à cet égard sont les suivantes :
    • Est-ce que l’exception en matière de sécurité nationale a été invoquée par une personne dûment autorisée relevant d’une institution fédérale pertinente[19]?
    • Est-ce que les biens et services dont il est question dans l’appel d’offres sont bien ceux qui sont indiqués dans l’exception en matière de sécurité nationale[20]?
    Si le Tribunal répond par la négative à l’une ou l’autre de ces questions, il enquêtera sur la plainte. Le Tribunal examine aussi le moment où l’exception en matière de sécurité nationale a été invoquée, mais il a affirmé dans des causes antérieures que celle-ci pouvait être invoquée en tout temps[21].

L’exception en matière de sécurité nationale a-t-elle été invoquée par une personne dûment autorisée?

  1. Par le passé, le Tribunal a conclu[22] dans des circonstances similaires que le sous-ministre adjoint principal et dirigeant principal des finances des Services ministériels de Services partagés détient l’autorisation nécessaire pour invoquer l’exception en matière de sécurité nationale, en vertu des compétences déléguées par le gouvernement du Canada au ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux aux termes de l’article 7 de la Loi sur Services partagés Canada[23] conjointement avec l’alinéa 24(2)d) de la Loi d’interprétation[24].
  2. Par conséquent, le Tribunal conclut que le sous-ministre adjoint principal et dirigeant principal des finances des Services ministériels de Services partagés était dûment autorisé à invoquer l’exception en matière de sécurité nationale. Les lettres soumises par Services partagés, datées des 6 et 12 juillet 2012, indiquent que l’exception a été invoquée à l’égard de marchés de même nature que celui décrit ci-dessus.

L’exception en matière de sécurité nationale a-t-elle bien été invoquée à l’égard des services énoncés dans l’appel d’offres?

  1. Comme mentionné ci-dessus, la lettre datée du 12 juillet 2012 du sous-ministre adjoint principal et dirigeant principal des finances des Services ministériels de Services partagés indique que l’exception en matière de sécurité nationale s’applique « au courrier électronique (courriel), aux réseaux et aux centres de données du gouvernement du Canada ». Les services d’infrastructure de serveur et de stockage pour les centres de données qui font l’objet de l’appel d’offres correspondent à cette description. Par conséquent, le Tribunal conclut que l’exception en matière de sécurité nationale concerne effectivement les services énoncés dans l’appel d’offres.
  2. Cependant, le Tribunal a de sérieuses réserves en ce qui concerne l’utilisation par Services partagés de la lettre du 12 juillet 2012 et sur la façon dont l’exception en matière de sécurité nationale a été invoquée. Bien que ces préoccupations n’aient aucune incidence en l’espèce, elles soulèvent néanmoins d’importantes questions quant à l’intégrité et l’équité de la procédure de passation des marchés publics. Le Tribunal formule des observations à cet égard ci-dessous.

Moment auquel l’exception en matière de sécurité nationale a été invoquée

  1. Les documents d’appel d’offres, aux étapes de l’invitation à se qualifier et de l’arrangement en matière d’approvisionnement, comprenaient une notification selon laquelle l’exception en matière de sécurité nationale s’appliquait. Les soumissionnaires potentiels ont donc été avisés dès le début que celle-ci s’appliquait à l’appel d’offres.
  2. Bien que le Tribunal ait antérieurement conclue qu’il n’y a aucune obligation dans les accords commerciaux selon laquelle l’invocation de la sécurité nationale doit être expressément formulée[25], la publication de celle-ci dans les documents d’appel d’offres et son invocation dès la phase initiale de la procédure peuvent avoir une incidence sur l’évaluation des frais effectuée par le Tribunal, puisque cela peut prévenir que des fournisseurs potentiels encourent des frais substantiels dans l’exercice d’un recours par lequel, in fine, ils ne peuvent obtenir réparation[26].

Certificat de sécurité du gouvernement du Canada

  1. Comme mentionné ci-dessus, Eclipsys soutient que l’invocation de l’exception en matière de sécurité nationale ne dispense pas Services partagés de son obligation d’agir de façon équitable envers les entreprises qui ne représentent pas un risque pour les instances gouvernementales, telles qu’Eclipsys parce qu’elle est une entreprise canadienne qui détient un certificat de sécurité du gouvernement du Canada.
  2. Le fait qu’Eclipsys soit un fournisseur canadien détenant un certificat de sécurité du gouvernement du Canada ne change rien au fait que le Tribunal ne peut examiner l’équité de la procédure du marché public étant donné que l’invocation de l’exception en matière de sécurité nationale par Services partagés l’empêche d’examiner quelque aspect que ce soit de la procédure.

Conclusion

  1. Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal ne peut que mettre un terme à son enquête et rejeter la plainte au motif que Services partagés a soustrait l’appel d’offres à l’application des obligations des accords commerciaux pertinents.

Commentaires additionnels

  1. Comme indiqué ci-dessus, le Tribunal tient à exprimer certaines préoccupations concernant l’intégrité du système d’appel d’offres concurrentiel quant à la manière de procéder adoptée par Services partagés ayant trait à la sécurité nationale.
  2. Bien que la validité des éléments de preuve déposés dans le cadre de la présente plainte n’ait pas été vérifiée, et que certains de ceux-ci sont des affirmations non confirmées, le Tribunal croit néanmoins que l’espèce constitue un exemple où une institution fédérale a peut-être utilisé une exception aux obligations prévues dans les accords commerciaux qui ratisse trop large pour des raisons qui ne semblent pas liées à la sécurité nationale. Par exemple, Services partagés aurait pu limiter l’appel d’offres aux seuls fournisseurs canadiens détenant un certificat de sécurité suffisant sans soustraire celui-ci à l’examen du Tribunal en cas de contestation.
  3. Pour être clair, le Tribunal ne désire pas faire de commentaires sur la légitimité des considérations de sécurité nationale des institutions fédérales ni sur la façon dont ces considérations servent de base à la prise de décision d’invoquer l’exception en matière de sécurité nationale.
  4. Toutefois, le Tribunal invite les institutions fédérales à se demander si l’exclusion intégrale de toutes les obligations prévues dans les accords commerciaux, y compris dans l’ACI, est toujours vraiment nécessaire pour préserver la sécurité nationale. Dans la plupart des cas, les fournisseurs canadiens, tels qu’Eclipsys, s’attendent à juste titre à ce que toutes les obligations prévues dans les accords commerciaux ne soient pas exclues pour des raisons de sécurité nationale.
  5. Le Tribunal ne peut que souligner avec insistance, comme indiqué ci-dessus, que les dispositions des accords commerciaux en matière de sécurité nationale requièrent que les institutions fédérales limitent l’invocation de l’exception seulement dans la mesure nécessaire pour préserver la sécurité nationale. Cela signifie que les institutions fédérales devraient évaluer celle-ci de façon objective et n’exclure que les obligations prévues dans les accords commerciaux qui pourraient effectivement compromettre la sécurité nationale.
  6. Surtout, et peut-être à l’exclusion de toute autre chose, cela signifie d’exclure de façon « chirurgicale » uniquement certaines des obligations prévues dans les accords commerciaux. Comme indiqué ci-dessus, les dispositions de non-discrimination à l’égard de soumissionnaires constituent des exemples. En procédant de cette façon, les institutions fédérales pourraient préserver la sécurité nationale tout en permettant aux soumissionnaires d’avoir accès au mécanisme de contestation de la procédure du marché public. Dans des cas comme en l’espèce, le Tribunal ne voit pas en quoi l’empêchement des fournisseurs canadiens d’avoir recours à ce mécanisme est justifié pour des motifs de sécurité nationale ni, plus important encore, comment la façon d’agir de Services partagés a eu pour effet de garantir l’intégrité, l’équité et la transparence du système d’appel d’offres concurrentiel.
  7. Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal invite Services partagés à questionner le bien-fondé d’utiliser une lettre formulée de façon très générale datant de 2012 pour invoquer l’exception en matière de sécurité nationale. Ni cette lettre ni les autres documents déposés par Services partagés ne donnent d’indication que Services partagés a examiné si les particularités du marché public justifiaient la façon dont l’exception en matière de sécurité nationale a été invoquée. Puisque le Tribunal n’a pas été en mesure de poursuivre son enquête, il n’a pu vérifier si Services partagés a prêté attention au bien-fondé d’invoquer globalement l’exception en matière de sécurité nationale dans le contexte de cet appel d’offres en tenant compte de considérations telles que la nature des biens et services sollicités, les restrictions associées aux fournisseurs potentiels et le degré de discrimination nécessaire à l’égard des soumissionnaires pour préserver la sécurité nationale. Bref, les éléments de preuve dont dispose le Tribunal ne fournissent aucune justification en vertu de laquelle toutes les obligations prévues dans les accords commerciaux devaient être exclues pour préserver la sécurité nationale.
  8. L’invocation de la sécurité nationale est une exception au principe de libre concurrence, qui est un aspect fondamental des accords commerciaux. Le recours à cette exception doit être exercé avec circonspection et doit se limiter aux cas où celle-ci est vraiment nécessaire pour préserver la sécurité nationale. Le Tribunal craint que le recours à une autorisation qui remonte à plusieurs années et qui est à la fois très générale et de durée indéterminée n’accroît le risque que l’exception en matière de sécurité nationale soit invoquée automatiquement ou machinalement, ou sans justification appropriée, ou encore de façon inconsidérée.
  9. Le Tribunal constate que Services partagés n’a donné à Eclipsys aucune information significative ni justification en réponse à ses préoccupations quant aux raisons pour lesquelles l’exception en matière de sécurité nationale a été invoquée. N’obtenir pour toute réponse que l’exception en matière de sécurité nationale s’applique constitue une réponse creuse qui ne dit rien; elle laisse planer des doutes quant à la transparence et l’équité de l’appel d’offres contesté. Quand les institutions fédérales fournissent des indications sur la façon dont elles ont tenu compte des motifs de plainte d’un soumissionnaire (même en défaveur de celui-ci), cela augmente la confiance de toutes les parties à l’égard de l’intégrité du système d’appel d’offres, et les objectifs primordiaux des accords commerciaux demeurent intacts malgré le recours à l’exception en matière de sécurité nationale.
  10. Fondamentalement, parce que l’exception en matière de sécurité nationale peut être utilisée pour contourner l’application de l’ensemble des accords commerciaux, y avoir recours ne doit pas être fait à la légère, mais doit comporter un degré approprié d’attention et de justification.
  11. Le Tribunal fait remarquer ce qui semble être des pratiques plus rigoureuses de la part du gouvernement fédéral des États-Unis en ce qui concerne la façon dont cette exception est invoquée. Par exemple, aux États-Unis, une justification doit être affichée sur le site Web des appels d’offres du gouvernement fédéral, comportant les approbations requises, quand l’exception en matière de sécurité nationale est invoquée[27]. Une justification peut concerner soit un appel d’offres en particulier, soit une catégorie d’appels d’offres, mais contrairement à l’exception globale utilisée par Services partagés en l’espèce, une justification pour une catégorie d’appels d’offres doit spécifier les programmes ou les ensembles de programmes concernés, comporter un seuil monétaire et indiquer la période pour laquelle l’exception est en vigueur[28].
  12. Par conséquent, le Tribunal est d’avis que l’exception en matière de sécurité nationale ne devrait pas restreindre inutilement la concurrence ou soustraire les procédures de marché public à l’examen du Tribunal lorsque cela n’est pas nécessaire. Si l’exception en matière de sécurité nationale n’avait pas été invoquée en l’espèce, le Tribunal aurait effectué une enquête étant donné qu’Eclipsys a soumis des indications raisonnables d’une violation possible des accords commerciaux fondées sur l’allégation d’un manque de cohérence dans l’application du critère ayant trait au fabricant d’équipement d’origine.

FRAIS

  1. Aucune des parties n’a demandé le remboursement de ses frais. Par conséquent, chacune d’elle assumera ses frais.

ORDONNANCE

  1. La requête est rejetée. Cependant, aux termes de l’alinéa 10a) du Règlement, le Tribunal met fin à son enquête et ordonne le rejet de la plainte au motif que Services partagés a exclu le marché public de l’application des obligations en vertu des accords commerciaux pertinents.
 

[1].      L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.) [Loi sur le TCCE].

[2].      Vraisemblablement en démontrant qu’Oracle détenait l’expérience requise.

[3].      Eclipsys Solutions Inc. c. Services partagés Canada (20 octobre 2015), PR-2015-031 (TCCE).

[4].      D.O.R.S./93-602 [Règlement].

[5].      Pièce PR-2015-039-13, pièce jointe 3, vol. 1A.

[6].      Pièce PR-2015-039-14, vol. 1A.

[7].      Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, 17 décembre 1992, R.T.C. 1994, no 2, en ligne : le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement <http://www.international.gc.ca/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-... (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ALÉNA].

[8].      18 juillet 1994, Gaz. C. 1995.I.1323, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <http://www.ait-aci.ca/‌agreement-on-internal-trade/?lang=fr> [ACI].

[9].      Accord révisé sur les marchés publics, en ligne : Organisation mondiale du commerce <http://www.wto.org/‌french/docs_f/legal_f/rev-gpr-94_01_f.htm> (entré en vigueur le 6 avril 2014) [AMP].

[10].    Accord de libre-échange entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la République du Chili, R.T.C. 1997, no 50, en ligne : le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement <http://‌www.international.gc.ca/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-acc/chi... (entré en vigueur le 5 juillet 1997) [ALÉCC]. Le chapitre Kbis, intitulé « Marchés publics », est entré en vigueur le 5 septembre 2008.

[11].    Accord de libre-échange entre le Canada et la République du Pérou, en ligne : le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement <http://www.international.gc.ca/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-... (entré en vigueur le 1er août 2009) [ALÉCP].

[12].    Accord de libre-échange entre le Canada et la République de Colombie, en ligne : le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement <http://www.international.gc.ca/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-... (entré en vigueur le 15 août 2011) [ALÉCCO].

[13].    Accord de libre-échange entre le Canada et la République du Panama, en ligne : le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement <http://www.international.gc.ca/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-... (entré en vigueur le 1er avril 2013) [ALÉCPA].

[14].    Accord de libre-échange entre le Canada et la République du Honduras, en ligne : le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement <http://www.international.gc.ca/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-... (entré en vigueur le 1er octobre 2014) [ALÉCH].

[15].    Accord de libre-échange entre le Canada et la République de Corée, en ligne : le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement <http://www.international.gc.ca/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-... (entré en vigueur le 1er janvier 2015).

[16].      

1. Le présent chapitre s’applique aux mesures adoptées ou maintenues par une Partie relativement aux marchés

a) passés par une entité publique fédérale figurant à l’annexe 1001.1a-1, une entreprise publique figurant à l’annexe 1001.1a-2, ou une entité publique d’un État ou d’une province figurant à l’annexe 1001.1a-3, en conformité avec l’article 1024;

b) pour l’achat de produits en conformité avec l’annexe 1001.1b-1, de services en conformité avec l’annexe 1001.1b-2, ou de services de construction en conformité avec l’annexe 1001.1b-3; et

c) dont la valeur estimative est égale ou supérieure au seuil calculé et ajusté selon le taux d’inflation aux États-Unis, ainsi qu’il est indiqué à l’annexe 1001.1c, soit :

(i) pour les entités publiques fédérales, 50 000 $ US pour les marchés de produits, de services ou de toute combinaison des deux, et 6,5 millions $ US pour les marchés de services de construction,

(ii) pour les entreprises publiques, 250 000 $ US pour les marchés de produits, de services ou de toute combinaison des deux, et 8 millions $ US pour les marchés de services de construction, et

(iii) pour les entités publiques des États ou des provinces, le seuil applicable, ainsi qu’il est indiqué à l’annexe 1001.1a-3, en conformité avec l’article 1024.

2. Le paragraphe 1 est assujetti

a) aux dispositions transitoires figurant à l’annexe 1001.2a,

b) aux notes générales figurant à l’annexe 1001.2b, et

c) à l’annexe 1001.2c, pour les Parties qui y sont visées.

3. Sous réserve du paragraphe 4, lorsqu’un marché devant être adjugé par une entité n’est pas visé par le présent chapitre, celui-ci ne sera pas interprété comme visant les composantes « produits » ou « services » de ce marché.

4. Aucune des Parties ne pourra préparer, élaborer ou autrement structurer un projet d’achat dans le but de se soustraire aux obligations du présent chapitre.

5. Les marchés englobent les acquisitions effectuées par des méthodes comme l’achat, le bail ou la location, avec ou sans option d’achat. Les marchés ne comprennent pas :

a) les ententes non contractuelles ou toute forme d’aide gouvernementale, notamment les accords de coopération, les subventions, les prêts, les participations au capital, les garanties, les incitations fiscales, et la fourniture publique de biens et de services à des personnes, à des gouvernements d’États ou de provinces ou à des gouvernements régionaux; et

b) l’acquisition de services d’agences financières ou de services aux dépositaires, de services de liquidation et de gestion pour les institutions financières réglementées et de services de vente et de distribution pour la dette publique.

[17].    Voir l’article XXIII de l’AMP, l’article Kbis-16 de l’ALÉCC, l’article 1402(1) de l’ALÉCP, l’article 1402(1) de l’ALÉCCO, l’article 16.03(1) de l’ALÉCPA et l’article 17.3(1) de l’ALÉCH. De plus, l’article 1804 de l’ACI, un accord commercial national, prévoit aussi des exceptions ayant trait à la sécurité nationale.

[18].    La section 3.105 du Guide des approvisionnements, publié par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux, énonce la procédure que les ministères doivent suivre pour invoquer l’exception relative à la sécurité nationale (https://achatsetventes.gc.ca/politiques-et-lignes-directrices/guide-des-...‌3/105). Le Secrétariat du Conseil du Trésor donne aussi des directives à cet égard dans sa Politique sur les marchés (http://www.tbs-sct.gc.ca/pol/doc-fra.aspx?id=14494). Cependant, il s’agit de lignes directrices ayant trait aux politiques du gouvernement qui sont de nature administrative et qui n’ont pas force de loi.

[19].    Opsis, Gestion d’infrastructures Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (10 juin 2011), PR-2010-090 (TCCE) [Opsis] au par. 18; Mistral Security Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (3 mai 2013), PR-2012-035 (TCCE) [Mistral] au par. 27; Lotus Development Canada Limited, Novell Canada, Ltd. et Netscape Communications Canada Inc. (14 août 1998), PR-98-005, PR-98-006 et PR-98-009 (TCCE) [Lotus Development] aux pp. 13-14; Marcomm Systems Group Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (22 avril 2015), PR-2014-060 (TCCE) [Marcomm] au par. 9.

[20].    Opsis au par. 14; Mistral au par. 24; Marcomm au par. 8; Lotus Development à la p. 13.

[21].    Opsis au par. 15; Mistral au par. 25, Marcomm au par. 11.

[22].     Dalian Enterprises Inc. c. Services partagés Canada (27 mai 2015), PR-2015-001 (TCCE) [Dalian] aux par. 20-22.

[23].     L.C. 2012, ch. 19, art. 711.

[24].    L.R.C. 1985, ch. I-21.

[25].    Dalian au par. 24.

[26].    Voir par exemple Mistral Security Inc. (3 mai 2013), PR-2012-035 (TCCE) aux par. 38-39.

[27].    Federal Acquisition Regulations, 48 C.F.R. §6.303-6.305.

[28] .   Defense Contracting: Improved Policies and Tools Could Help Increase Competition on DOD’s National Security Exception Procurements (13 janvier 2012), GAO-12-263 à la p. 5 (http://www.gao.gov/assets/590/587‌681.pdf).