ORDRE DES TRADUCTEURS, TERMINOLOGUES ET INTERPRÈTES AGRÉÉS DU QUÉBEC

ORDRE DES TRADUCTEURS, TERMINOLOGUES ET INTERPRÈTES AGRÉÉS DU QUÉBEC
Dossier no PR-2015-061

Décision prise
le jeudi 25 février 2016

Décision et motifs rendus
le lundi 29 février 2016

TABLE DES MATIÈRES

 

EU ÉGARD À une plainte déposée aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.).

PAR

L’ORDRE DES TRADUCTEURS, TERMINOLOGUES ET INTERPRÈTES AGRÉÉS DU QUÉBEC

CONTRE

LE MINISTÈRE DE LA JUSTICE

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur décide de ne pas enquêter sur la plainte.

Daniel Petit
Daniel Petit
Membre présidant

EXPOSÉ DES MOTIFS

  1. En vertu du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur[1], tout fournisseur potentiel peut, sous réserve du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics[2], déposer une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique et lui demander d’enquêter sur cette plainte. En vertu du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, après avoir jugé la plainte conforme au paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et sous réserve du Règlement, le Tribunal détermine s’il y a lieu d’enquêter.
  2. Le 24 février 2016[3], l’Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ) a déposé la présente plainte concernant une demande d’offre à commandes (invitation no JUS-RFSO-TRANS-1000018167) (DOC) émise le 5 octobre 2015 par le ministère de la Justice pour la prestation de services de traduction de l’anglais au français et du français à l’anglais et des services correspondants de révision dans ces langues.
  3. L’OTTIAQ allègue qu’une exigence obligatoire de la DOC – notamment l’exigence pour chaque traducteur proposé par un offrant de « [d]étenir une attestation et être membre en règle du Conseil des traducteurs, terminologues et interprètes du Canada (ou d’associations membres) » – excluait de façon inéquitable les traducteurs agréés membres de l’OTTIAQ, qui n’est pas une association membre du Conseil des traducteurs, terminologues et interprètes du Canada (CTTIC).
  4. Le 25 février 2016, ayant examiné la plainte, le Tribunal a décidé, conformément au paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, de ne pas enquêter sur la plainte. Les motifs de cette décision sont les suivants.

ANALYSE

  1. Tout d’abord, sur la foi des renseignements fournis dans la plainte, le Tribunal a des inquiétudes par rapport aux critères choisis pour la DOC dans la mesure où ils semblent avoir eu pour effet d’exclure les traducteurs membres de l’OTTIAQ. Un tel critère soulève des préoccupations quant à sa conformité aux exigences de l’Accord sur le commerce intérieur[4], applicable à la DOC, notamment son article 504, qui interdit entre autres au gouvernement fédéral « d’exercer de la discrimination [...] entre les fournisseurs de [...] produits ou services d’une province ou d’une région et les fournisseurs d’une autre province ou région ».  
  2. Toutefois, le Tribunal ne peut ouvrir d’enquête sur la plainte en raison du fait que deux conditions fondamentales à sa compétence en matière d’enquêtes sur les marchés publics prescrites par les articles 6 et 7 du Règlement et la Loi sur le TCCE ne sont pas respectées.
  3. En premier lieu, le paragraphe 7(1) du Règlement prévoit que, avant d’enquêter sur une plainte, le Tribunal doit déterminer si le plaignant est un « fournisseur potentiel ». En effet, comme indiqué plus tôt, l’article 30.11(1) de la Loi sur le TCCE prévoit qu’une plainte peut être déposée par « [t]out fournisseur potentiel [...] ». L’article 30.1 de la Loi sur le TCCE définit l’expression « fournisseur potentiel » en ces termes : « [...] tout soumissionnaire – même potentiel – d’un contrat spécifique ».
  4. Les renseignements compris dans la plainte indiquent au Tribunal que l’OTTIAQ n’est pas un soumissionnaire – même potentiel – du contrat spécifique en question. Selon la description incluse dans la plainte, « [c]omptant plus de 2100 membres, l’OTTIAQ est [...] un ordre professionnel dûment constitué par le gouvernement du Québec [qui] certifie, en octroyant les permis de traducteur, terminologue et interprète agréés, la compétence et le professionnalisme des personnes qui en portent les titres, et remplit ainsi son mandat de protection du public ». Le Tribunal conclut que l’OTTIAQ, en tant qu’ordre professionnel des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec, n’est ni un soumissionnaire ayant déposé une soumission en réponse à la DOC, ni un soumissionnaire qui aurait pu potentiellement le faire[5]. Pour cette raison, une plainte présentée par l’OTTIAQ ne peut être acceptée pour enquête par le Tribunal.  
  5. De plus, même si la plainte avait été portée par un fournisseur potentiel, elle a été déposée hors des échéances réglementaires. Des délais très stricts s’appliquent sous le régime de la Loi sur le TCCE aux plaintes concernant les processus de marché public. En vertu de l’article 6 du Règlement, un fournisseur potentiel dispose de 10 jours ouvrables suivant la date où il a découvert ou aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l’origine de sa plainte concernant un marché public pour soit présenter une opposition à l’institution fédérale concernée, soit déposer une plainte au Tribunal. Les paragraphes 6(1) et (2) du Règlement prévoient ce qui suit :

6 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), le fournisseur potentiel qui dépose une plainte auprès du Tribunal en vertu de l’article 30.11 de la Loi doit le faire dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a découvert ou aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l’origine de la plainte.

(2) Le fournisseur potentiel qui a présenté à l’institution fédérale concernée une opposition concernant le marché public visé par un contrat spécifique et à qui l’institution refuse réparation peut déposer une plainte auprès du Tribunal dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a pris connaissance, directement ou par déduction, du refus, s’il a présenté son opposition dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a découvert ou aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l’origine de l’opposition.

  1. Bien que la plainte indique que le critère en question n’a été « porté à [l’]attention » de l’OTTIAQ qu’en février 2016 par certains de ses membres, le Tribunal est d’avis que les faits à l’origine de la plainte auraient dû normalement devenir apparents à un fournisseur potentiel bien plus tôt.
  2. La DOC a été publiée le 5 octobre 2015[6]. L’invitation a pris fin le 12 novembre 2015.
  3. La DOC contenait dès sa publication le critère selon lequel les traducteurs proposés devaient obligatoirement détenir une attestation et être membres en règle du CTTIC ou d’une association membre. De plus, dans la modification 002 à la DOC, publiée le 29 octobre 2015[7], le ministère de la Justice a confirmé sans équivoque aux offrants que « le fait d’être membre de l’OTTIAQ ne peut pas remplacer une accréditation du CTTIC » pour les fins de la DOC. Le passage pertinent de la modification 002 est le suivant :

Question 12 :  Notre question se réfère aux exigences O1, O2, et O3. Est-ce que les certifications de l’OTTIAQ seront considérées valables?

Réponse 12 :  Non, le fait d’être membre de l’OTTIAQ ne peut pas remplacer une accréditation du CTTIC. [...]

  1. Le Tribunal est d’avis que les fournisseurs potentiels du contrat spécifique qui serait adjugé au moyen de la DOC auraient vraisemblablement dû prendre connaissance du refus d’une certification de l’OTTIAQ à la lecture de la DOC, y compris de la modification 002; ceci aurait dû vraisemblablement se produire peu après la publication de ces documents, et au plus tard le 12 novembre 2015, dernière date à laquelle il était encore possible de soumettre une offre en réponse à cette invitation.
  2. En d’autres mots, aux termes de l’article 6 du Règlement, un fournisseur potentiel qui trouvait objection au critère obligatoire en question aurait dû vraisemblablement découvrir son motif d’opposition ou de plainte au plus tard le 12 novembre 2015. Dès lors, un fournisseur potentiel avait 10 jours ouvrables à partir du 12 novembre 2015 pour présenter une opposition ou pour porter plainte devant le Tribunal.
  3. La plainte a été déposée auprès du Tribunal le 24 février 2016, soit plus de trois mois après la dernière date à laquelle le motif de plainte aurait vraisemblablement dû être découvert par un fournisseur potentiel du contrat spécifique en question. Par conséquent, la plainte est forclose par opération de la loi. 

DÉCISION

  1. Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal décide de ne pas enquêter sur la plainte.
 

[1].      L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.) [Loi sur le TCCE].

[2].      D.O.R.S./93-602 [Règlement].

[3].      Le Tribunal a initialement reçu la plainte de l’OTTIAQ le 23 février 2016, mais il a jugé qu’elle n’était pas conforme aux exigences de l’article 30.11(2) de la Loi sur le TCCE. À la demande du Tribunal, l’OTTIAQ a déposé des documents supplémentaires le 24 février 2016. Par conséquent, aux termes du paragraphe 96(1) des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur, la plainte est considérée déposée en date du 24 février 2016.

[4].      18 juillet 1994, Gaz. C. 1995.I.1323, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <http://www.ait-aci.ca/agreement-‌on-internal-trade/?lang=fr> [ACI].

[5].      Dans des affaires précédentes, le Tribunal a indiqué qu’un « soumissionnaire potentiel » doit 1) avoir la capacité à la fois technique et financière de répondre au besoin visé par le marché et 2) être en mesure dans les circonstances de présenter une proposition en réponse à l’invitation à soumissionner (excepté les situations où la partie plaignante est effectivement privée de cette capacité du fait que l’institution fédérale porte atteinte aux accords commerciaux dans la procédure de passation du marché public). Voir Flag Connection Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (3 septembre 2009), PR-2009-026 (TCCE) au par. 20 et note 12.

[6].      L’invitation était notamment disponible via le système électronique d’appels d’offres du gouvernement fédéral, sur le site https://achatsetventes.gc.ca/.

[7].      Selon les informations disponibles sur le site https://achatsetventes.gc.ca/