ECLIPSYS SOLUTIONS INC.

ECLIPSYS SOLUTIONS INC.
c.
AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Dossier no PR-2015-038

Ordonnance et motifs rendus
le lundi 21 mars 2016

TABLE DES MATIÈRES

 

EU ÉGARD À une plainte déposée par Eclipsys Solutions Inc. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.);

ET À LA SUITE D’une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

ENTRE

ECLIPSYS SOLUTIONS INC. Partie plaignante

ET

L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA Institution fédérale

ORDONNANCE

Aux termes de l’alinéa 10a) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics, le Tribunal canadien du commerce extérieur ordonne le rejet de la plainte, ayant déterminé que celle-ci ne s’appuie sur aucun fondement valable.

Serge Fréchette
Serge Fréchette
Membre présidant

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

  1. Le 2 novembre 2015, Eclipsys Solutions Inc. (Eclipsys) a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal), aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur[1], alléguant que l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) n’a pas respecté ses obligations ayant trait aux accords commerciaux.
  2. Le premier motif de plainte d’Eclipsys est l’allégation selon laquelle l’ASFC a acquis un nouveau logiciel d’interopérabilité d’architecture orientée services (AOS) sous le couvert de l’obtention de licences dans le cadre d’un arrangement en matière d’approvisionnement établi entre le gouvernement du Canada et IBM. Eclipsys allègue que le contrat conclu avec IBM n’a pas fait l’objet d’un appel d’offres en ce qui concerne l’acquisition du logiciel d’interopérabilité d’AOS et que, par conséquent, l’ASFC a eu recours illégalement à un marché à fournisseur unique. Eclipsys soutient que l’ASFC aurait dû plutôt soit acheter les licences auprès de son entreprise en vertu de son arrangement en matière d’approvisionnement en vigueur, soit émettre une nouvelle demande de propositions (DP).
  3. Le deuxième motif de plainte d’Eclipsys est l’allégation selon laquelle le processus décisionnel de l’ASFC était biaisé, celle-ci ayant retenu les services d’anciens employés d’IBM pour évaluer les mérites respectifs du logiciel IBM et du logiciel Oracle qui était proposé par Eclipsys. Eclipsys soutient aussi qu’un nombre disproportionné de marchés publics de l’ASFC en technologie de l’information ont été adjugés à IBM.
  4. À titre de mesure corrective, Eclipsys demande que le contrat conclu avec IBM soit résilié et qu’il lui soit adjugé, ou qu’elle soit indemnisée d’un montant « supérieur à 100 000 $ »[2] [traduction] pour le temps qu’elle a consacré à la préparation de sa soumission et le matériel qu’elle a utilisé, ainsi que pour sa perte de profit.

PROCESSUS DE PASSATION DU MARCHÉ PUBLIC

  1. En juin 2012, à la suite d’une DP émise au nom de Statistique Canada, un contrat a été adjugé à Eclipsys pour l’acquisition de la plateforme d’entreprise d’interopérabilité et de services (PEIS), qui comprend le logiciel d’interopérabilité d’AOS, et les services connexes (contrat no 45045-110061/001/ EEM). Le contrat renferme une clause qui permet au gouvernement du Canada d’ajouter des clients à tout moment, y compris n’importe quel ministère, société d’État ou agence visé par la Loi sur la gestion des finances publiques[3].
  2. En octobre 2012, Eclipsys a entamé des discussions avec l’ASFC pour déterminer quels étaient ses besoins en ce qui concerne le logiciel d’interopérabilité d’AOS et si le logiciel offert dans le cadre du contrat pour l’acquisition de la PEIS lui convenait. Ces discussions se sont poursuivies au cours des deux années et demie qui ont suivi.
  3. Le 3 juin 2015, Eclipsys a soumis une proposition, qui comprenait les prix, pour l’obtention par l’ASFC de licences dans le cadre du contrat ayant trait à la PEIS. Des prix révisés ont été soumis le 12 juin 2015.
  4. Le 24 juin 2015, lors d’une réunion, des représentants de l’ASFC ont avisé Eclipsys que sa proposition était à l’étude, ainsi qu’une option pour l’obtention de licences d’IBM dans le cadre d’un autre contrat en vigueur qui n’a pas été spécifié. Eclipsys a demandé davantage d’information sur le contrat conclu avec IBM et s’est dite préoccupée par le fait que la DP initiale ayant donné lieu à ce contrat ne comprenait pas le logiciel d’interopérabilité d’AOS. Selon Eclipsys, l’ASFC « s’était engagée à faire preuve d’une pleine transparence »[4] [traduction], mais n’a fourni qu’un minimum d’information sur le contrat conclu avec IBM.
  5. Le 1er octobre 2015, l’ASFC a avisé Eclipsys qu’elle avait obtenu le logiciel IBM grâce au transfert de licences non utilisées d’un autre organisme du gouvernement. Eclipsys a de nouveau demandé plus d’information sur le contrat conclu avec IBM. Le 6 octobre 2015, dans un courriel, Eclipsys a réitéré sa demande d’information relativement au contrat conclu avec IBM afin de confirmer que celui-ci prévoyait bel et bien le type de logiciel acquis. Le même jour, l’ASFC a répondu par courriel qu’elle aurait besoin de temps pour répondre à la plus récente demande d’Eclipsys.

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

  1. Eclipsys a déposé sa première plainte en la matière le 19 octobre 2015. Le Tribunal a décidé de ne pas ouvrir d’enquête étant donné que l’ASFC n’avait pas encore répondu à l’opposition présentée par Eclipsys et que, par conséquent, la plainte était prématurée[5].
  2. Eclipsys a déposé la présente plainte le 2 novembre 2015, alléguant le refus de réparation de l’ASFC. Eclipsys a aussi demandé que le Tribunal enjoigne à l’ASFC de produire les contrats en vertu desquels le transfert de licences a été fait, ainsi que tout document concernant l’évaluation des mérites respectifs des deux offres.
  3. Le 6 novembre 2015, le Tribunal a décidé d’enquêter sur la plainte et a enjoint à l’ASFC de produire les documents demandés par Eclipsys.
  4. Le 18 décembre 2015, l’ASFC a déposé son rapport de l’institution fédérale (RIF) ainsi que les documents demandés par Eclipsys.
  5. Le 8 janvier 2016, Eclipsys a déposé ses commentaires sur le RIF.
  6. Le 26 janvier 2016, l’ASFC a demandé de pouvoir déposer des observations en réponse aux commentaires d’Eclipsys sur le RIF au motif qu’Eclipsys avait présenté de nouveaux éléments de preuve et soulevé des arguments additionnels. Le Tribunal a accédé à la demande de l’ASFC le 28 janvier 2016.
  7. L’ASFC a déposé ses observations le 5 février 2016. Eclipsys a déposé ses commentaires sur les observations de l’ASFC le 14 mars 2016[6].

POSITION DES PARTIES

  1. Eclipsys soutient que les contrats en vertu desquels l’ASFC a transféré les licences n’ont pas fait l’objet d’un appel d’offres en fonction des critères énoncés par l’ASFC pour le logiciel d’interopérabilité d’AOS et/ou de gestion des processus fonctionnels, et qu’en fait l’ASFC avait eu recours illégalement à un marché à fournisseur unique pour obtenir le logiciel requis sous couvert d’un transfert de licences dans le cadre de ces contrats. Eclipsys allègue aussi que l’ASFC a retenu des services de maintenance et de soutien additionnels.
  2. Eclipsys allègue également un manque d’impartialité et de transparence dans le processus décisionnel de l’ASFC en violation des principes généraux des accords commerciaux. Eclipsys élève aussi des objections contre la décision de l’ASFC d’utiliser un logiciel IBM parce que le contrat pour la PEIS conclu avec Statistique Canada a été désigné par la Direction du dirigeant principal de l’information du Secrétariat du Conseil du Trésor comme l’un des modes préférentiels pour l’acquisition par les organismes du gouvernement du logiciel d’interopérabilité d’AOS[7]. Eclipsys soutient que si l’AFSC ne désirait pas acquérir ce logiciel dans le cadre du contrat pour la PEIS, elle aurait dû émettre une nouvelle DP.
  3. Eclipsys allègue aussi que l’ASFC a favorisé IBM. Plus précisément, Eclipsys allègue que l’ASFC a embauché un ancien employé d’IBM pour participer directement à l’évaluation des mérites respectifs du logiciel IBM et du logiciel Oracle et que celui-ci a discrédité l’analyse qui démontrait qu’Oracle était le fournisseur à retenir. Eclipsys allègue également que l’ASFC fait preuve de favoritisme à l’égard d’IBM puisque, au cours des trois dernières années, environ 77 p. 100 des contrats actuels de l’ASFC, d’une valeur estimée à plus de 10 000 $, ont été adjugés à IBM.
  4. L’ASFC soutient que le Tribunal n’a pas compétence en la matière puisqu’il s’agit d’une question qui relève de l’administration des contrats. Selon l’ASFC, à aucun moment elle n’a entamé un « processus de passation de marché public » au sens où cette expression est définie dans les accords commerciaux; par conséquent, aucun « contrat spécifique » n’a été accordé par une institution fédérale, ou pourrait l’être, comme l’exigent la Loi sur le TCCE et le Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics[8].
  5. Selon l’ASFC, au lieu d’avoir recours à un processus de marché public, elle a décidé de transférer des licences inutilisées pour le logiciel d’interopérabilité d’AOS en vertu de contrats en vigueur entre certains organismes du gouvernement et IBM, ce qui est une question relevant de l’administration des contrats.
  6. Selon la documentation jointe au RIF, les licences inutilisées obtenues par l’ASFC ont été achetées en 2007 par le Centre de la sécurité des télécommunications (CST) aux termes du contrat no W2213-08-0956/001/QE. Le CST avait acquis 1 600 licences pour le WebSphere Message Broker, qui comprenaient les services de maintenance et de soutien, valides du 28 décembre 2007 au 31 décembre 2008[9]. Ce contrat contenait une clause qui stipulait que les licences ainsi obtenues pouvaient être transférées librement à n’importe quel ministère, société d’État ou agence du gouvernement du Canada[10].
  7. Les services de maintenance et de soutien pour le WebSphere Message Broker, dont les licences avaient été achetées dans le cadre du contrat du CST, ont été incorporées dans le contrat no EN578-070281/001/EEM, un contrat consolidé entre IBM et le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC), en vertu de la modification no 041 (17 décembre 2010)[11]. Les services de maintenance et de soutien pour toutes les licences ont par la suite été renouvelés mensuellement[12].
  8. Selon l’ASFC, les licences actuelles pour le WebSphere Message Broker achetées par le CST aux termes du contrat no W2213-08-0956/001/QE ont été incorporées dans le plus récent contrat consolidé entre TPSGC et IBM, soit le contrat no EN578-130071/001/EEM (8 novembre 2013)[13]. Ce contrat incorpore par référence la condition générale supplémentaire 4003 08, qui stipule aussi que les licences peuvent être transférées entre les organismes du gouvernement[14].
  9. Les licences pour le IBM Integration Bus, le produit qui a remplacé le WebSphere Message Broker[15], ainsi que les services de maintenance et de soutien connexes, ont été transférés du CST à l’ASFC en septembre 2015[16]. De plus, dans le cadre de la proposition d’IBM pour le logiciel d’interopérabilité d’AOS, l’ASFC a aussi obtenu des licences pour la mise à niveau d’autres logiciels IBM qu’elle possédait déjà[17]. Le coût total pour la mise à niveau de ces autres logiciels et pour le renouvellement des services de maintenance et de soutien s’élève à 1 053 160 $ (TVH comprise)[18].
  10. Essentiellement, l’ASFC soutient que les licences pour les logiciels IBM ont toutes été obtenues dans l’exercice de ses droits en vertu de ces contrats en vigueur et que, par conséquent, la plainte d’Eclipsys ne concerne que des questions relevant de l’administration des contrats.
  11. À l’appui de sa position, l’ASFC invoque la décision du Tribunal dans le dossier no PR-2009-056[19], dans laquelle le Tribunal a conclu que le remplacement du produit original ayant fait l’objet de l’appel d’offres par un produit mis à niveau était clairement stipulé dans les modalités du contrat et que, par conséquent, il s’agissait d’une question relevant de l’administration des contrats, ce qui n’est pas du ressort du Tribunal[20].
  12. En ce qui concerne l’allégation de partialité d’Eclipsys, l’ASFC soutient que le fait qu’un employé ait déjà travaillé pour IBM n’est pas une indication de partialité, et fait remarquer que le même employé a aussi de l’expérience dans la mise en place de produits Oracle. De plus, l’ASFC soutient que les documents d’analyse interne qu’elle a fournis indiquent que les propositions d’Eclipsys et d’IBM ont été évaluées en fonction de leurs mérites et qu’aucune tentative n’a été faite pour discréditer la proposition d’Eclipsys.
  13. Dans ses commentaires sur le RIF, Eclipsys soutient que les éléments de preuve au dossier indiquent que l’ASFC a effectivement défini un besoin et que, ce faisant, elle a entamé un « processus de passation de marché public », tel que défini dans les accords commerciaux, mais n’a pas par la suite conduit le processus de façon impartiale et transparente par appel d’offres. Eclipsys soulève aussi un certain nombre de questions ayant trait aux documents joints au RIF.
  14. Eclipsys soulève aussi des questions ayant trait aux coûts du transfert, notamment de la prétendue nécessité de renouveler les services de maintenance et de soutien associés aux licences.
  15. Enfin, Eclipsys soutient qu’il n’était pas approprié pour l’ASFC d’utiliser les licences obtenues en vertu du contrat du CST, étant donné que le marché pour l’obtention de ces licences était assujetti à l’exception en matière de sécurité nationale et que, par conséquent, il n’a pas fait l’objet d’un appel d’offres.
  16. En réponse aux questions soulevées par Eclipsys dans ses commentaires sur le RIF, l’ASFC fait observer que plusieurs d’entre elles se rapportent à des discussions qu’elle a eu avec Services partagés Canada sur l’utilisation d’un contrat conclu avec IBM, qui en fin de compte ne convenait pas pour l’achat du logiciel requis et qui n’a pas été utilisé pour l’obtention des licences liées à ce logiciel.
  17. L’ASFC conteste aussi l’exactitude de l’affirmation d’Eclipsys selon laquelle 77 p. 100 de ses achats en technologie de l’information ont été faits auprès d’IBM et fait observer que, de toute façon, le fait qu’un soumissionnaire en particulier ait été retenu dans le cadre d’appels d’offres précédents n’est pas pertinent, à moins qu’Eclipsys soutienne que tous ces appels d’offres précédents étaient partiaux, et, si tel est le cas, elle aurait dû soulever ces préoccupations dans les délais impartis.
  18. Enfin, l’ASFC fait remarquer qu’il n’est pas clair que l’exception en matière de sécurité nationale ait été invoquée pour l’acquisition par le CST des licences originales et que, de toute façon, cela n’empêcherait pas le gouvernement d’exploiter le contrat par la suite.
  19. En réponse aux observations additionnelles de l’ASFC, Eclipsys réitère son objection quant au manque d’impartialité et de transparence dont a fait preuve l’ASFC dans sa décision d’utiliser les contrats conclus avec IBM et allègue que l’ASFC n’a pas agi de bonne foi en prenant cette décision. Eclipsys conteste de nouveau le fait que l’ASFC ait pris en considération avec Services partagés Canada le contrat conclu avec IBM, ainsi que les licences en vigueur détenues par l’ASFC pour la mise à niveau du logiciel de gestion des processus fonctionnels. Eclipsys allègue aussi que, en utilisant différents contrats pour obtenir les licences requises pour mettre en place le logiciel d’interopérabilité d’AOS, l’ASFC a fractionné le marché, ce qui est contraire aux politiques du Conseil du Trésor.
  20. Dans la mesure où les observations finales d’Eclipsys soulèvent des questions qui ne figurent pas dans sa plainte et qui n’étaient pas nécessaires pour réfuter les observations additionnelles de l’ASFC, le Tribunal n’en tiendra pas compte.

ANALYSE DU TRIBUNAL

  1. Les accords commerciaux, comme l’Accord de libré-échange nord-américain[21], limitent la compétence du Tribunal à « tout aspect du processus de passation des marchés », un processus qui débute « au moment où une entité décide des produits ou services à acquérir et se poursui[t] jusqu’à l’adjudication du marché »[22].
  2. Le Tribunal a toujours limité ses enquêtes aux éléments du processus de passation d’un marché, jusque et y compris l’adjudication du marché. Toutefois, le Tribunal a aussi conclu que, si des modifications substantielles sont apportées aux exigences obligatoires les rendant complètement contradictoires par rapport aux spécifications originales, les plaintes pouvaient être de son ressort dans la mesure où il ne s’agit pas simplement d’une question relevant de l’administration des contrats[23]. Comme le Tribunal l’a expliqué dans le dossier no PR-2012-006[24], « [...] il ne s’agit pas d’une simple question d’administration du contrat si, en acceptant des produits qui sont différents de ceux proposés dans une soumission et qui ne respectent pas les exigences de l’invitation, l’entité acheteuse déclenche, dans les faits, une nouvelle procédure de passation de marché public selon des critères obligatoires différents, sans lancer d’appel d’offres en bonne et due forme »[25].
  3. En règle générale, le Tribunal établi la ligne de démarcation entre le processus de passation d’un marché et l’administration du contrat en examinant si l’acheteur a effectivement modifié les termes des exigences obligatoires après l’adjudication du contrat, par exemple en acceptant des produits qui sont fondamentalement différents des exigences obligatoires de l’appel d’offres original, ou qui sont en contradiction avec celles-ci. Dans ces cas exceptionnels, le Tribunal a conclu qu’il pouvait enquêter pour déterminer si l’acheteur avait effectivement lancé un nouvel appel d’offres pour l’obtention de biens ou de services différents et ainsi déterminer si la plainte relève de sa compétence.
  4. Conformément aux principes énoncés ci-dessus, pour que le Tribunal ait compétence en l’espèce, il doit conclure que l’ASFC, en obtenant des licences pour un logiciel mis à niveau, a en fait obtenu quelque chose de fondamentalement différent de ce qui était envisagé dans la DP originale.
  5. En revanche, si l’ASFC n’a fait qu’exercer ses droits en vertu des contrats en vigueur, alors le litige concerne l’administration des contrats, ce qui ne relève pas de la compétence du Tribunal, comme par exemple dans Microsoft.
  6. Le Tribunal n’examinera le second motif de plainte d’Eclipsys que s’il conclut qu’il a compétence, en ce qu’il ne s’agit pas uniquement d’une question relevant de l’administration des contrats.

L’ASFC a-t-elle eu recours illégalement à un marché à fournisseur unique?

  1. Il est impossible de conclure que l’objet de la présente plainte a trait à autre chose qu’à une question d’administration des contrats. Fondamentalement, la plainte d’Eclipsys concerne le choix de l’ASFC entre deux modes d’acquisition du logiciel d’interopérabilité d’AOS, soit le contrat toujours en vigueur conclu avec Oracle/Eclipsys pour la PEIS et les contrats également en vigueur conclus avec IBM.
  2. Bien qu’Eclipsys soutienne qu’il s’agit d’un marché à fournisseur unique illégal et que les contrats conclus avec IBM n’ont pas fait l’objet d’un appel d’offres pour ce qui est du logiciel d’interopérabilité d’AOS, elle n’a produit aucune preuve démontrant que ce soit effectivement le cas. De plus, les éléments de preuve au dossier indiquent que différents logiciels peuvent être utilisés aux fins de l’interopérabilité d’AOS et que le logiciel IBM obtenu en vertu du contrat dont disposait le CST ainsi que le logiciel que l’ASFC a en fin de compte acquis font partie de ces logiciels[26]. En bref, il n’y a aucun élément de preuve au dossier qui appuie l’allégation d’Eclipsys selon laquelle l’ASFC a acquis un logiciel fondamentalement différent de ce qui figurait dans la DP originale.
  3. De plus, les éléments de preuve appuient l’affirmation de l’ASFC selon laquelle le transfert de licences entre organismes du gouvernement était prévu à la fois dans le contrat entre le CST et IBM et dans celui entre IBM et TPSGC, qui était en vigueur au moment du transfert.
  4. Comme mentionné ci-dessus, le logiciel faisant l’objet de l’appel d’offres qui a été acquis en vertu du contrat avec le CST était le WebSphere Message Broker, mais celui acquis par l’ASFC au moyen du transfert de licence est le IBM Integration Bus. Si la mise à niveau consistant à remplacer le WebSphere Message Broker par le IBM Integration Bus avait eu pour résultat l’acquisition par l’ASFC d’un produit fondamentalement différent de celui qui faisait l’objet de l’appel d’offres original, il pourrait s’agir d’un marché à fournisseur unique illégal.
  5. Toutefois, selon les éléments de preuve incontestés déposés par l’ASFC, le IBM Integration Bus possède les mêmes fonctionnalités que le WebSphere Message Broker[27]. De plus, le contrat du CST et le contrat consolidé de l’ASFC contiennent des clauses selon lesquelles IBM doit fournir les licences pour les versions mises à niveau de ces logiciels[28].
  6. Le fait que l’ASFC ait dû supporter des coûts liés au transfert des licences ne fait pas en sorte qu’il s’agit, en soi, d’un processus de marché public. Les coûts éventuels pour la mise à niveau et pour le renouvellement des services de maintenance et de soutien sont aussi prévus dans le contrat[29].
  7. Enfin, le Tribunal fait remarquer que la prise en considération de différentes options d’achat, dont celle d’émettre une nouvelle DP ou d’avoir recours au contrat conclu entre IBM et Services partagés Canada, ne constitue pas un « processus de passation de marché public » au sens des accords commerciaux.
  8. Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclu que la plainte concerne l’administration des contrats et non un « processus de passation de marché public », telle que cette expression s’entend dans les accords commerciaux. Par conséquent, le Tribunal n’a pas compétence pour poursuivre l’enquête.
  9. Comme indiqué ci-dessus, puisque la plainte n’est pas de son ressort, le Tribunal n’examinera pas l’allégation de partialité soulevée par Eclipsys.

ORDONNANCE

  1. Aux termes de l’alinéa 10a) du Règlement, le Tribunal ordonne le rejet de la plainte, ayant déterminé que celle-ci ne s’appuie sur aucun fondement valable.

FRAIS

  1. Eclipsys n’a déposé aucune observation ayant trait aux frais. L’ASFC demande le rejet de la plainte avec dépens.
  2. Ayant obtenu gain de cause, l’ASFC aurait normalement droit au recouvrement de ses dépens. Toutefois, le Tribunal fait observer qu’Eclipsys n’a reçu aucune information concernant les contrats conclus avec IBM jusqu’à ce que ceux-ci soient déposés dans le cadre de la présente procédure, en dépit de plusieurs demandes faites à l’ASFC. Bien que les termes du contrat du CST soient confidentiels, une version non confidentielle ou une explication plus détaillée aurait pu être fournie à Eclipsys plus tôt. Eclipsys n’aurait peut-être pas déposé la présente plainte si elle avait reçu ces renseignements lorsqu’elle les a demandé à l’ASFC.
  3. Compte tenu de ce fait, le Tribunal n’accorde à aucune des parties le remboursement de leurs frais.
 

[1].      L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.) [Loi sur le TCCE].

[2].      Pièce PR-2015-038-01A à la p. 8, vol. 1.

[3].      L.R.C. (1985), ch. F-11.

[4].      Pièce PR-2015-038-01A à la p. 5, vol. 1.

[5].      Eclipsys Solutions Inc. (26 octobre 2015), PR-2015-032 (TCCE).

[6].      Par inadvertance, Eclipsys n’a pas reçu le mémoire en réponse de l’ASFC avant le 9 mars 2016. En conséquence, Eclipsys a eu jusqu’au 14 mars 2016 pour déposer ses commentaires.

[7].      Pièce PR-2015-038-01C à la p. 12, vol. 1.

[8].      D.O.R.S./93-602 [Règlement].

[9].      Pièce PR-2015-038-14 au par. 5, vol. 1A.

[10].    Pièce PR-2015-038-14A (protégée), onglet 1 à la p. 17 (clause 3.11), vol. 2A.

[11].    Pièce PR-2015-038-14 au par. 8, vol. 1A; pièce PR-2015-038-14B (protégée), onglet 17, vol. 2B.

[12].    Pièce PR-2015-038-14 au par. 8, vol. 1A. Il semble que le CST ait aussi continuer de renouveler les services de maintenance et de soutien mensuellement de 2008 à 2010.

[13].    Pièce PR-2015-038-14 au par. 9, vol. 1A. La copie du contrat déposée par l’ASFC ne semble pas faire référence à ces licences; toutefois, ailleurs dans ses observations, l’ASFC indique que les documents ayant trait à ces licences ne figurent pas dans le contrat pour des raisons de sécurité nationale.

[14].    Pièce PR-2015-038-14 au par. 10, vol. 1A; pièce PR-2015-038-14D, onglet 6, vol. 1C.

[15].    Pièce PR-2015-038-14 au par. 19, vol. 1A.

[16].    Pièce PR-2015-038-14B (protégée), onglets 15, 16, vol. 2A.

[17].    Modification no 028 au contrat no EN578-130071/001/EEM (30 septembre 2015), pièce PR-2015-038-14B (protégée), onglet 15, vol. 2A.

[18].    Pièce PR-2015-038-14 au par. 27, vol. 1A.

[19].    Microsoft Canada Co., Microsoft Corporation, Microsoft Licensing, GP et Softchoice Corporation c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (12 mars 2010) (TCCE) [Microsoft].

[20].    Ibid. au par. 51.

[21].    Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, 17 décembre 1992, R.T.C. 1994, no 2, en ligne : le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement <http://www.international.gc.ca/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-... (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ALÉNA].

[22].    Alinéa 1017(1)a) de l’ALÉNA.

[23].    AdVenture Marketing Solutions Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (31 mars 2011), PR-2010-074 (TCCE), décision dans laquelle le Tribunal a conclu que l’acceptation par l’ASFC de clés USB en plastique plutôt qu’en acier inoxydable comme il était requis constituait un nouveau processus de marché public et non une question relevant de l’administration des contrats; Canyon Contracting c. Agence Parcs Canada (19 septembre 2006), PR-2006-016 (TCCE) au par. 25, décision dans laquelle le Tribunal a conclu que l’acceptation par Parcs Canada d’une soumission qui indiquait l’utilisation de poteaux ronds en aluminium plutôt que de poteaux de soutien en aluminium profilés en I constituait une modification substantielle d’une exigence de la DP et que, se faisant, Parcs Canada avait lancé un nouvel appel d’offres.

[24].    Secure Computing LLC c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (23 octobre 2012) (TCCE).

[25].    Ibid. au par. 48.

[26].    Pièce PR-2015-038-14B (protégée), onglets 7, 8, vol. 2B.

[27].    Pièce PR-2015-038-14 au par. 19, vol. 1A.

[28].    Pièce PR-2015-038-14A (protégée), onglet 1 à la p. 9, vol. 2A; pièce PR-2015-038-14A (protégée), onglet 5 à la p. 10, vol. 2B.

[29].    Pièce PR-2015-038-14A (protégée), onglet 5 à la p. 11 (clauses 1.5[j]) et 26 (clause 6.5), vol. 2B.