SOLUTIONS MOERAE INC. S/N MSI

SOLUTIONS MOERAE INC. S/N MSI
c.
INDUSTRIE CANADA
Dossier no PR-2016-004

Décision rendue
le lundi 12 septembre 2016

Motifs rendus
le jeudi 15 septembre 2016

TABLE DES MATIÈRES

 

EU ÉGARD À une plainte déposée par Solutions Moerae Inc. s/n MSi aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.);

ET À LA SUITE D’une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

ENTRE

SOLUTIONS MOERAE INC. S/N MSI Partie plaignante

ET

INDUSTRIE CANADA Institution fédérale

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte est fondée en partie. Chaque partie assumera ses frais en l’espèce.

Ann Penner
Ann Penner
Membre présidant

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.

Membre du Tribunal : Ann Penner, membre présidant

Conseiller juridique pour le Tribunal : Kalyn Eadie

Agent du greffe : Jennifer Gribbon

Partie plaignante : Solutions Moerae Inc. s/n MSi

Institution fédérale : Industrie Canada

Conseiller juridique pour l’institution fédérale : Aileen Jones

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

EXPOSÉ DES MOTIFS

  1. Le 29 avril 2016, Solutions Moerae Inc. s/n MSi (MSi) a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) en vertu du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur[1] au sujet d’un marché public (invitation no IC401541) passé par Industrie Canada[2] pour le compte de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) en vue de la prestation de services professionnels en informatique centrés sur les tâches (SPICT).
  2. Le Tribunal a décidé d’enquêter sur la plainte le 2 mai 2016, puisque celle-ci répondait aux critères du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE ainsi qu’aux conditions énoncées au paragraphe 7(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics[3].
  3. Le Tribunal a mené une enquête afin de déterminer le bien-fondé de la plainte, conformément aux articles 30.13 à 30.15 de la Loi sur le TCCE.
  4. Pour les motifs exposés ci-dessous, le Tribunal conclut que la plainte est fondée en partie. Le Tribunal ne recommandera pas de mesures correctives et chaque partie assumera ses propres frais.

RÉSUMÉ DE LA PLAINTE

  1. MSi a soumis quatre motifs à l’appui de sa plainte, par lesquels elle alléguait qu’Industrie Canada n’avait pas correctement évalué sa soumission parce qu’il avait adopté une méthode d’évaluation non uniforme et subjective dans son évaluation de ses ressources proposées. Les quatre motifs de plainte faisaient valoir que l’équipe d’évaluation avait, incorrectement et déraisonnablement :
    • réduit de moitié la durée des projets pour deux ressources, en raison de sa conclusion selon laquelle les ressources assumaient des doubles rôles, ce qui occasionnait une perte importante de points;
    • réduit de moitié la durée du projet pour une ressource, en raison de sa conclusion selon laquelle la nature du rôle de la ressource dans ce projet n’était pas convenable;
    • déduit des points en raison de sa conclusion selon laquelle certains outils techniques ne répondaient pas aux critères déterminés;
    • déduit des points pour une ressource, en raison de sa conclusion selon laquelle MSi n’avait pas produit une copie satisfaisante d’un document exigé.
  1. À titre de mesure corrective, MSi a demandé à ce que le contrat spécifique soit résilié, que les offres soumises fassent l’objet d’une nouvelle évaluation et qu’on lui verse une indemnisation. MSi a aussi demandé à ce qu’on lui rembourse les frais relativement à la préparation de sa plainte.

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

  1. Le 31 mars 2015, Industrie Canada a diffusé une invitation à soumissionner pour trois analystes des activités de niveau 3, dans le cadre de l’arrangement en matière d’approvisionnement pour la prestation de SPICT pour le compte de l’OPIC (invitation no 180344). MSi a été la soumissionnaire retenue dans ce processus et on lui a accordé un contrat le 4 septembre 2015. Cependant, ce contrat a été résilié le 2 octobre 2015, en raison d’une série d’erreurs administratives. MSi a participé à une réunion de compte rendu, au cours de laquelle elle a été informée qu’elle serait invitée à présenter une offre en réponse à la nouvelle demande de propositions (DP). On avait aussi offert à MSi une indemnisation, conformément aux modalités de la première DP.
  2. Le 25 janvier 2016, Industrie Canada a publié une deuxième DP, soit la DP en question dans la plainte en l’espèce, pour trois analystes des activités de niveau 3 dans le cadre de l’arrangement en matière d’approvisionnement pour la prestation de SPICT. La date de clôture de cette DP était le 11 février 2016. MSi n’avait pas été expressément invitée à soumettre une offre, mais elle a été informée, lorsqu’elle a communiqué avec l’autorité contractante, que la DP était ouverte sur Achatsetventes.gc.ca, le site Web de passation des marchés publics du gouvernement du Canada.
  3. Conformément aux modalités de la DP, les 2 et 5 février 2016, Industrie Canada a publié deux ensembles de réponses aux questions des soumissionnaires (les réponses des Q&R).
  4. MSi a soumis son offre le 11 février 2016.
  5. Le 15 avril 2016, MSi a été informée que sa soumission n’avait pas été acceptée, malgré qu’elle satisfasse aux exigences de la DP, et que le contrat avait été attribué à Emerion. On a aussi fourni à MSi un résumé du rapport d’évaluation collectif de l’équipe d’évaluation concernant sa soumission, y compris les notes convenues par l’équipe (ci-après, les notes convenues)[4].
  6. Le 15 avril 2016, MSi a écrit à Industrie Canada pour demander la tenue d’une réunion de compte rendu en personne.
  7. Le 18 avril 2016, Industrie Canada a donné à MSi un résumé d’évaluation mis à jour, lequel contenait des corrections aux notes convenues.
  8. La réunion de compte rendu a eu lieu le 20 avril 2016. Selon MSi, les autorités contractantes ont expliqué les motifs à l’appui de leur évaluation de la soumission de MSi, mais elles n’étaient pas disposées à modifier les notes convenues.
  9. Le 29 avril 2016, MSi a déposé sa plainte auprès du Tribunal.
  10. Le 2 mai 2016, le Tribunal a décidé d’enquêter sur la plainte.
  11. Le 30 mai 2016, Industrie Canada a déposé un rapport de l’institution fédérale (RIF), conformément à l’article 103 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur[5].
  12. Le 6 juin 2016, MSi a déposé une requête en production de certains documents et a demandé une prorogation du délai pour déposer ses observations sur le RIF.
  13. Le 14 juin 2016, Industrie Canada a déposé une réponse à la requête en production de documents présentée par MSi. Cette réponse comprenait les documents demandés par MSi (les documents supplémentaires)[6]. Le 17 juin 2016, MSi a indiqué qu’elle n’avait pas d’observations sur la réponse d’Industrie Canada relativement à la requête.
  14. Le 20 juin 2016, le Tribunal a informé les parties que les documents supplémentaires déposés par Industrie Canada constituaient une réponse complète à la requête de MSi, de sorte qu’il ne rendrait pas une ordonnance enjoignant à Industrie Canada de déposer d’autres documents.
  15. MSi a déposé des observations sur le RIF le 4 juillet 2016. Parce que MSi avait soulevé de nouveaux arguments et/ou de nouveaux éléments de preuve se rapportant aux documents supplémentaires, le Tribunal a accepté, le 11 juillet 2016, les documents déposés par Industrie Canada pour répondre aux observations de MSi sur le RIF. MSi a soumis une dernière réponse le 18 juillet 2016.
  16. Étant donné que les renseignements au dossier étaient suffisants pour déterminer le bien-fondé de la plainte, le Tribunal a décidé qu’une audience n’était pas nécessaire et a statué sur la plainte sur la foi des renseignements au dossier.

DISPOSITIONS PERTINENTES DE LA DP

  1. La plainte de MSi porte principalement sur la manière dont la partie technique de sa soumission avait été évaluée. Plus précisément, la plainte mettait l’accent sur l’évaluation de la soumission relativement à la pièce jointe 4.2, « Critères d’évaluation cotés », ainsi que des exigences cotées C8, C9, C18, C19, C28 et C29[7], lesquelles prévoient ce qui suit :

    Pièce jointe 4.2

    Critères d’évaluation cotés

    [...]

    Remarques : Aux fins d’évaluation, les produits livrables propres à la gestion de projet ne seront PAS acceptés en tant que produits livrables propres à l’analyse d’affaires. Parmi des exemples de produits livrables de gestion de projet, notons le plan de projet, l’arrêté de projet et autres.

    Par ailleurs, les produits livrables d’analyse d’affaires propres au projet accepté sont notamment le projet d’entreprise, le document portant sur les exigences d’affaires de haut niveau et le document portant sur les exigences d’affaires détaillées.

    Des extrants et des produits d’analyse d’affaires sont aussi acceptés en tant que résultats du travail d’un analyste des activités, notamment les diagrammes contextuels, les diagrammes de cas d’utilisation, les diagrammes de Processus d’affaires, les diagrammes de modèle classique de données, les profils d’utilisateurs, les descriptions de cas d’utilisation, les modèles de déroulement des opérations, les modèles logiques de données, les rapports, les maquettes fonctionnelles, les témoignages d’utilisateur, les prototypes, les diagrammes d’état, les exigences d’affaires, les exigences des intervenants, les exigences fonctionnelles, les exigences non fonctionnelles, les exigences relatives à la transition, les catalogues de règles administratives, les matrices de traçabilité, les matrices d’utilisation, etc.

    Les projets dans le cadre desquels la ressource a assumé plus d’un rôle doivent être pris en considération pour ce qui est du temps consacré au projet. Par exemple, si une ressource a occupé des rôles de [gestion de projet] et [d’analyse des activités] dans le cadre d’un même projet et si les produits livrables portaient à la fois sur des résultats [d’analyse des activités] et de [gestion de projet], le projet sera compté en conséquence, jusqu’à concurrence de la moitié de l’imputabilité totale pour le projet.

    [...]

    C8

    L’expert-conseil proposé possède une expérience appréciable à titre d’analyste principal d’affaires appliquée à la saisie, au suivi, à l’analyse et à la gestion des changements aux exigences au moyen d’outils de gestion des exigences, notamment l’application IBM Rational DOORS.

    [...]

    [...]

    C9

    L’expert-conseil proposé possède une expérience appréciable à titre d’analyste principal d’affaires appliquée à la visualisation, à l’analyse et à la communication des évaluations de l’Architecture d’entreprise et des Processus d’affaires au moyen d’outils d’Architecture d’entreprise comme l’application IBM Rational System Architect.

    [...]

    [...]

    C10

    L’expert-conseil proposé possède des attestations ou désignations professionnelles d’organismes reconnus dans l’industrie, notamment l’International Institute of Business Analysis (IIBA), le Project Management Institute (PMI), ou tout autre fournisseur de services d’enseignement approuvé par l’IIBA ou le PMI.

    [...]

    • Aucune attestation = 0 point
    • Formation d’au moins trois (3) cours en analyse d’affaires auprès d’un fournisseur de services d’enseignement approuvé (attestations des cours suivis requises) = 10 points
    • Attestation de formation en analyse d’affaires suivie auprès d’un fournisseur de services d’enseignement approuvé par l’IIBA ou le PMI = 20 points
    • Preuve de préqualification à un examen d’une attestation en analyse d’affaires = 30 points
    • IIBA-CCBA (Certification of Competency in Business Analysis) = 40 points
    • IIBA-CBAP (Certified Business Analysis Professional) ou PMI-PBA (Professionnal in Business Analysis) = 50 points

    [...]

    [Nos italiques]

ANALYSE DU TRIBUNAL

  1. La plainte en l’espèce soulève en litige la raisonnabilité de l’évaluation effectuée par Industrie Canada à l’égard de la soumission de MSi (c.-à-d., la manière dont l’équipe d’évaluation a noté ses ressources proposées à l’égard des modalités pertinentes de la DP). Si le Tribunal juge que l’évaluation d’Industrie Canada était raisonnable et qu’elle est conforme aux accords commerciaux pertinents[8], il doit alors conclure que la plainte n’est pas fondée. Inversement, si le Tribunal détermine que l’évaluation n’était pas raisonnable, il doit alors conclure que la plainte est fondée (ou fondée en partie).
  2. Le Tribunal a toujours fait preuve de déférence à l’égard des évaluateurs lorsqu’il se penche sur la raisonnabilité de l’évaluation des soumissions. Le Tribunal a déjà indiqué que la décision d’une entité publique sera jugée raisonnable :

    [...] si elle se fonde sur une explication défendable, même si elle n’est pas convaincante aux yeux du Tribunal.

    31. Le Tribunal a aussi clairement indiqué qu’il conclurait qu’une évaluation est déraisonnable et substituerait son jugement à celui des évaluateurs si ceux-ci ne se sont pas appliqués à bien évaluer la proposition d’un soumissionnaire, n’ont pas tenu compte de renseignements d’importance cruciale contenus dans une soumission, ont mal interprété la portée d’une exigence, ont fondé leur évaluation sur des critères non divulgués ou n’ont pas, pour une autre raison, procédé à une évaluation équitable sur le plan de la procédure[9].

    [Notes omises]

  1. Afin de déterminer le bien-fondé de la plainte de MSi, le Tribunal tiendra compte de la manière avec laquelle l’équipe d’évaluation a noté les ressources proposées au regard des modalités de la DP afin de déterminer la raisonnabilité des notes convenues, en examinant tour à tour les éléments de preuve relatifs à chacun des quatre motifs de plainte.

Motif 1 : Était-il raisonnable de la part des évaluateurs de réduire de moitié la durée de certains projets parce que les ressources occupaient des doubles rôles?

Position des parties

  1. En ce qui a trait au premier motif de plainte, MSi a prétendu qu’Industrie Canada a interprété de manière erronée la portée de la disposition relative au « double rôle » dans la pièce jointe 4.2 de la DP et s’est fondé sur des critères d’évaluation non publiés pour établir si une ressource assumait un double rôle au cours d’un projet. MSi était d’avis que si la ressource n’avait qu’un seul titre mentionné sur son curriculum vitæ, la DP ne permettait pas aux évaluateurs d’aller au-delà de ces titres pour examiner les produits livrables créés par chaque ressource sur chacun des projets afin d’établir si la ressource assumait un double rôle. En outre, MSi interprétait cette partie de la DP comme permettant aux évaluateurs de réduire la durée du projet uniquement lorsque 50 p. 100 ou plus des extrants déclarés correspondaient au rôle n’ayant pas trait à l’analyse des activités qui était assumé par la ressource.
  2. MSi a prétendu qu’une seule de ses ressources proposées avait inscrit deux titres pour deux projets sur son curriculum vitæ et qu’elle avait réduit, comme il se devait, le temps consacré aux activités ne consistant pas en l’analyse d’activités pour ces projets. MSi a aussi fait valoir qu’aucune de ses ressources n’avait inscrit des produits livrables liés à quelque autre rôle que ce soit, exception faite des produits livrables qui étaient nécessaires pour des exigences relatives à la gestion du projet dans les critères cotés.
  3. MSi a aussi fait valoir que toute activité n’étant pas liée à l’analyse d’affaires aurait constitué une proportion extrêmement petite des activités dans un projet et que, par conséquent, aucune des ressources n’aurait consacré quoi que ce soit se rapprochant de la moitié de son temps à des tâches n’étant pas liées à l’analyse d’affaires au cours de la durée d’un projet. Par conséquent, MSi était d’avis qu’il était déraisonnable de la part des évaluateurs de réduire de moitié le temps imputé aux activités d’analyse d’affaires.
  4. MSi a fait valoir que de permettre aux évaluateurs de décider si un consultant avait assumé ou non un double rôle dans un projet introduisait un degré de subjectivité inapproprié dans l’évaluation, ce qui a occasionné une norme de comparaison non uniforme entre les soumissionnaires. Par conséquent, MSi a allégué que l’évaluation n’avait pas été conduite d’une manière équitable d’un point de vue procédural.
  5. En outre, MSi a allégué que la décision quant à la question de savoir si les ressources assumaient des doubles rôles qui avait été prise au regard des ressources proposées était incompatible avec celle prise au regard des exigences cotées. Par exemple, MSi a fait valoir que sa deuxième ressource proposée comptait bien plus d’activités dans son curriculum vitæ qui pourraient être considérées comme ne tenant pas un rôle d’analyse d’affaires, mais la durée des projets n’avait pas été réduit de moitié et aucun point n’avait été déduit de sa note. En ce qui a trait aux deux autres ressources, MSi a allégué que des points semblaient avoir été déduits uniquement pour les projets de plus longue durée, non pour ceux comptant le plus d’activités supplémentaires.
  6. Industrie Canada a fait valoir que ce motif de plainte n’a pas été soulevé en temps opportun, parce qu’il se rapportait directement aux modalités de la DP. Industrie Canada a souligné que la jurisprudence du Tribunal et de la Cour d’appel fédérale établit que toute plainte reposant sur l’interprétation des modalités d’une DP doit être déposée dans les 10 jours suivant le moment auquel l’ambiguïté ou le manque de clarté allégués deviennent apparents ou auraient dû le devenir. Industrie Canada a aussi fait remarquer que MSi avait eu la possibilité de demander des précisions au sujet de la stipulation relative aux doubles rôles lors de la période de questions et réponses prévue par la DP, mais qu’elle avait choisi de ne pas le faire.
  7. Au-delà de la question de savoir si ce motif de la plainte de MSi a été déposé dans les délais prescrits, Industrie Canada a prétendu que l’équipe d’évaluation avait appliqué les critères de manière raisonnable lorsqu’elle avait tranché la question de savoir si la durée d’un projet devrait être réduite de moitié parce que la ressource proposée assumait des doubles rôles.
  8. Industrie Canada a fait valoir que la DP permettait aux évaluateurs de tenir compte non seulement du titre mentionné dans le curriculum vitae de la ressource proposée, mais aussi des rôles et des produits livrables qui y étaient décrits. L’équipe d’évaluation a donc examiné, pour chaque projet, les rôles et responsabilités mentionnés pour chaque ressource, en vue d’établir si la ressource assumait un double rôle au sein de ce projet.
  9. Puisque la DP ne prévoyait pas une liste exhaustive des produits livrables, Industrie Canada a maintenu que l’équipe d’évaluation avait adopté une interprétation large des types de tâches qui pouvaient constituer « des extrants et des produits d’analyse d’affaires ». La durée d’un projet était uniquement réduite dans les cas où l’équipe d’évaluation avait jugé que les tâches exécutées s’écartaient des activités d’analyse d’affaires comme le définissait en général l’équipe d’évaluation et uniquement dans les cas où le soumissionnaire n’avait pas fourni de détails sur la proportion du temps consacré à chaque rôle. Dans ces cas, l’équipe d’évaluation a appliqué de manière uniforme une réduction de 50 p. 100, ce qui était la quantité la plus généreuse permise par la DP. En outre, les réductions étaient uniquement indiquées dans le résumé de l’évaluation, où elles avaient une incidence sur le nombre de points accordés.
  10. Dans sa réplique, MSi a fait valoir que la réponse d’Industrie Canada ne faisait pas état de tous les écarts dans la notation et que le fait que l’attribution des notes pour la proposition de MSi était erronée démontrait que les évaluateurs ne se sont pas appliqués à évaluer la soumission de MSi.
  11. MSi a aussi fait valoir que la liste fournie par Industrie Canada au sujet des types d’activités qui constituaient « des extrants et des produits d’analyse d’affaires » selon l’interprétation large donnée à ce terme par les évaluateurs constituait des critères d’évaluation non divulgués. MSi a fait valoir que ces critères n’avaient jamais été portés à la connaissance des soumissionnaires et qu’ils n’étaient pas considérés des activités d’analyse d’affaires selon la norme de l’industrie pour la profession d’analyste des affaires.

Analyse du Tribunal

  1. Le Tribunal estime que MSi a soulevé les deux questions suivantes en ce qui a trait au fait que la durée des projets a été réduite de moitié au titre de la disposition relative au « double rôle » : 1) les modalités de la DP permettaient-elles à l’équipe d’évaluation d’aller au-delà des titres ou des rôles mentionnés par les ressources et de faire leur propre appréciation de la question de savoir si les produits livrables énumérés relativement aux projets dans le curriculum vitæ des ressources constituaient des activités d’analyse d’affaires (c.-à-d. les évaluateurs ont-ils interprété de manière incorrecte les modalités de la DP?); 2) les évaluateurs ont-ils procédé à leur évaluation conformément aux modalités de la DP (c.-à.-d. les évaluateurs ont-ils appliqué des critères d’évaluation non divulgués ou procédé à l’évaluation de manière inéquitable d’un point de vue procédural?).

Les évaluateurs ont-ils interprété de manière erronée les modalités de la DP?

  1. Le Tribunal traitera tout d’abord de l’argument d’Industrie Canada en ce qui concerne la question de savoir si l’argument de MSi au sujet de l’interprétation de la disposition relative aux doubles rôles a été formulé dans le délai prescrit.
  2. Comme l’a fait remarquer Industrie Canada, le Tribunal a toujours statué que toute plainte fondée sur l’interprétation des modalités d’une DP doit être déposée dans les 10 jours suivant le moment où l’ambiguïté ou le manque de clarté allégués deviennent apparentes ou auraient normalement dû le devenir[10]. Le Règlement prévoit qu’une plainte doit être déposée auprès du Tribunal ou qu’une opposition soit présentée à l’institution fédérale concernée dans les 10 jours suivant la date où le soumissionnaire a découvert ou aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l’origine de sa plainte. La jurisprudence du Tribunal est sans équivoque quant au fait que les soumissionnaires ne peuvent pas attendre qu’un contrat soit attribué pour déposer une plainte, mais qu’ils doivent plutôt soulever toute question relative à la DP dès qu’ils découvrent ou qu’ils auraient raisonnablement dû découvrir ces problèmes. « On s’attend à ce [que les soumissionnaires] soient vigilants et qu’ils réagissent dès qu’ils découvrent [...] un vice de procédure[11] ».
  3. Donc, la question en litige est celle de savoir si les modalités de la DP qui traitent du « double rôle » des ressources proposées étaient peu claires (ou ambiguës) et, le cas échéant, si elles étaient ambiguës au moment de la publication de la DP, ou si une telle ambiguïté s’est uniquement matérialisée lors de l’évaluation des soumissions.
  4. La plainte de MSi peut être considérée déposée dans le délai prescrit uniquement si l’ambiguïté s’est matérialisée au cours du processus d’évaluation; si les modalités de la DP étaient ambiguës au moment de la publication, MSi aurait alors dû demander des précisions ou présenter une opposition à ce moment-là.
  5. Comme il a été énoncé précédemment, la pièce jointe 4.2 de la DP prévoit ce qui suit :

    Les projets dans le cadre desquels la ressource a assumé plus d’un rôle doivent être pris en considération pour ce qui est du temps consacré au projet. Par exemple, si une ressource a occupé des rôles de [gestion de projet] et [d’analyse des activités] dans le cadre d’un même projet et si les produits livrables portaient à la fois sur des résultats [d’analyse des activités] et de [gestion de projet], le projet sera compté en conséquence, jusqu’à concurrence de la moitié de l’imputabilité totale pour le projet.

    [Nos italiques]

  1. Comme l’a statué le Tribunal auparavant, les modalités d’une DP doivent être interprétées selon leur sens ordinaire et à la lumière de leur contexte et de leur objet[12].
  2. En l’espèce, la première phrase du paragraphe pertinent de la pièce jointe 4.2 de la DP renvoie aux projets où la ressource a assumé plus d’un « rôle » et prévoit que ceux-ci doivent être pris en considération « [...] pour ce qui est du temps consacré au projet » (probablement dans le rôle d’analyse d’affaires). La deuxième phrase donne un exemple qui renvoie à des ressources ayant occupé deux « rôles » différents, soit un rôle d’analyse des activités et un rôle de gestion de projet, et qui produisent des produits livrables étant « à la fois » des extrants d’analyse des activités et des extrants ne constituant pas de l’analyse des activités. Dans cet exemple, le temps qui peut être imputé au rôle d’analyse des activités peut l’être « jusqu’à concurrence de la moitié » de la durée totale du projet.
  3. Pour le Tribunal, ces phrases ne conduisent pas à la conclusion selon laquelle le terme « rôle » aurait dû ou devrait avoir dû empêcher les évaluateurs d’examiner les types de tâches accomplies par chaque ressource au cours de chaque projet. La deuxième phrase de la disposition relative au double rôle, lorsque lue conjointement avec les paragraphes précédents de la pièce jointe 4.2 de la DP, ne laisse aucun doute quant au fait que les évaluateurs examineraient les produits livrables énumérés par les ressources pour déterminer si elles pouvaient être considérées des extrants d’analyse des affaires, plutôt que des extrants de gestion de projet. Interprété dans le contexte, le Tribunal conclut que l’objet de la disposition relative au « double rôle » est d’expliquer comment les évaluateurs avaient effectué une distinction entre les produits livrables de gestion de projet et les produits livrables d’analyse des affaires, et ainsi s’assurer que le temps consacré à un rôle de gestion de projet ne serait pas compté comme du temps consacré à un rôle d’analyse des affaires pour les besoins des critères cotés portant expressément sur l’analyse des affaires.
  4. De plus, rien dans les modalités de la DP n’indique que le rôle énuméré dans le curriculum vitæ de la ressource serait « l’élément déclencheur » pour que cela ait lieu, ou que les évaluateurs limiteraient leur examen uniquement aux projets pour lesquels les ressources avaient énuméré deux titres ou rôles dans leur curriculum vitæ.
  5. Par conséquent, le Tribunal conclut que l’utilisation des termes « title » et « role » dans la version anglaise de la pièce jointe 4.2 de la DP rend le libellé ambigu. Effectivement, le Tribunal peut comprendre que MSi puisse avoir été confuse par l’interchangeabilité de ces termes dans la version anglaise et qu’elle puisse, par erreur, avoir donné au terme « title » le sens de « titre du poste ». Cependant, cette ambiguïté était évidente à la lecture de la DP. Par conséquent, MSi aurait dû demander des précisions, présenter une opposition ou déposer une plainte dans les 10 jours suivant la publication de la DP. Puisqu’elle ne l’a pas fait, le Tribunal ne peut que conclure que cet aspect de la plainte de MSi n’a pas été soulevé dans le délai prescrit.
  6. Même si cet aspect de la plainte avait cependant été soulevé dans le délai prescrit, le Tribunal conclut que l’interprétation donnée par les évaluateurs à la soumission de MSi est effectivement étayée par les modalités de la DP et qu’elle est donc raisonnable. Par conséquent, le Tribunal conclut que les évaluateurs n’ont pas interprété de manière erronée les modalités de la DP.

Les évaluateurs ont-ils appliqué des critères d’évaluation non divulgués ou procédé à l’évaluation d’une manière inéquitable d’un point de vue procédural?

  1. Le Tribunal se penchera maintenant sur la question de savoir si les évaluateurs ont procédé à leur évaluation conformément aux modalités de la DP, c.-à-d. ont-ils appliqué des critères d’évaluation non divulgués ou procédé à l’évaluation d’une manière inéquitable d’un point de vue procédural.
  2. Comme il a été mentionné ci-dessus, MSi a allégué que l’évaluation de ses ressources proposées était « subjective » et que l’équipe d’évaluation avait appliqué sa méthode de manière non uniforme. Le Tribunal n’est pas d’accord.
  3. Comme l’a affirmé la Cour d’appel fédérale, il peut y avoir (et il y a) un degré de subjectivité lorsque les évaluateurs appliquent les critères obligatoires d’une DP à une soumission donnée[13].
  4. Certes, une analyse purement subjective pourrait constituer un problème dans un processus concurrentiel de soumissions. Des problèmes peuvent survenir, à moins que les critères d’évaluation fassent l’objet d’une divulgation complète et/ou qu’ils soient énumérés, et que les évaluations soient quantifiées d’une quelconque manière. Néanmoins, lorsqu’une analyse subjective est fondée sur les modalités expresses d’une DP, les soumissionnaires peuvent avoir l’assurance que les évaluateurs ont agi de bonne foi et qu’ils ont procédé au marché public de la manière la plus équitable, transparente et objective possible.
  5. En l’espèce, bien qu’il y ait eu un certain degré de subjectivité dans l’application des critères d’évaluation, le Tribunal est convaincu que l’analyse était raisonnable et qu’elle était fondée sur les modalités de la DP. La méthode retenue par les évaluateurs pour établir si les ressources proposées étaient affectées à des doubles rôles sur un projet, et pour décider s’il fallait réduire le temps consacré à un projet en conséquence, correspond aux critères d’évaluation énoncés dans la pièce jointe 4.2 de la DP[14].
  6. Comme il a été mentionné ci-dessus, les évaluateurs ont réduit systématiquement la durée d’un projet lorsque l’équipe d’évaluation avait établi que les tâches effectuées s’écartaient des activités d’analyse des affaires[15]. Lorsque la quantité de temps consacré dans un rôle n’étant pas lié à l’analyse des affaires n’était pas évidente, la durée du projet était réduite de moitié; lorsque le temps consacré à chaque rôle était mentionné, la durée du projet était réduite conformément à ce qui était écrit dans le curriculum vitæ de la ressource proposée[16].
  7. Par exemple, les trois évaluateurs ont relevé que la première ressource proposée par MSi n’assumait pas uniquement des fonctions d’analyste des affaires, mais aussi de gérant de projet lors des projets 11, 12 et 13. Cela se reflète dans leurs notes et pointages individuels, ainsi que dans les notes convenues[17]. Par conséquent, la durée de ces projets a été réduite de moitié, puisque le curriculum vitæ ne faisait pas mention de combien de temps avait été consacré à chaque rôle.
  8. Le Tribunal conclut que cela est raisonnable, surtout compte tenu de la description de certaines des activités des ressources proposées dans le cadre de ces projets[18]. Ces descriptions sous-entendent nécessairement que la ressource proposée ne faisait pas que de l’analyse d’affaires; MSi a elle-même admis que « [...] on pourrait prétendre que certaines des activités effectuées n’étaient pas strictement liées à l’analyse d’affaires [...] »[19] [traduction]. Par conséquent, la ressource proposée occupait plusieurs rôles dans ce projet (même si elle n’avait qu’un seul titre de poste officiel).
  9. En outre, le Tribunal conclut que l’application par les évaluateurs d’une définition élargie de l’expression « [des] extrants et des produits d’analyse d’affaires » était fondée sur les modalités de la DP et qu’elle ne reposait donc pas sur des critères d’évaluation non divulgués. Comme l’a fait remarquer Industrie Canada, la liste « [des] extrants et des produits d’analyse d’affaires » fournie dans la DP n’était pas exhaustive, comme en témoigne l’utilisation de « notamment » en introduction. Il était loisible aux évaluateurs de juger que des tâches qui n’étaient pas énumérées dans la DP consistaient aussi en « [des] extrants et des produits d’analyse d’affaires ».
  10. Le Tribunal constate de plus que cette méthode a été favorable à MSi, puisqu’elle a fait en sorte que la durée de certains projets était comptée au complet plutôt que d’être réduite de moitié. En outre, puisque rien ne démontre que cette méthode n’a pas été appliquée de manière uniforme aux autres soumissionnaires, le Tribunal ne peut établir que l’équipe d’évaluation a agi de manière inéquitable au cours du processus d’évaluation.
  11. En fait, les éléments de preuve démontrent que la méthode a été appliquée de manière uniforme par tous les évaluateurs. Bien que les évaluateurs soient parvenus à des notes différentes dans leur analyse individuelle, et surtout en ce qui concerne leurs notes accordées à la première ressource proposée par MSi[20], ils ont concilié ces différences en élaborant, de manière collective, les notes convenues relativement à la soumission de MSi[21]. Comme le Tribunal l’a conclu précédemment[22], il s’agit là d’une issue raisonnable (et même de l’issue prévue) de tout processus d’évaluation exhaustif — il n’y a pas de raison de s’attendre à ce que des personnes attribuent nécessairement les mêmes notes de leur propre chef, surtout compte tenu de la quantité de documents qu’ils devaient examiner pour chacune des trois ressources proposées par MSi, lesquelles avaient fourni des curriculums vitæ volumineux dans lesquels étaient détaillés au moins 13 projets.
  12. L’analyse du Tribunal démontre aussi que les évaluateurs ont bel et bien fait certaines erreurs dans le calcul de la note de MSi et qu’Industrie Canada n’a pas traité de toutes ces erreurs. Par exemple, les évaluateurs n’ont pas réduit la durée des projets 12 et 13 relativement à l’exigence cotée C1, même si la durée a été réduite de moitié pour tous les autres critères cotés relativement à la première ressource proposée par MSi. Par conséquent, la note de MSi était de 4 points supérieure à ce qu’elle aurait dû être. Les autres erreurs constatées par le Tribunal n’avaient soit aucune incidence sur la note de MSi ou l’augmentaient aussi.
  13. Finalement, en ce qui a trait à l’allégation de MSi au sujet du manque d’uniformité dans l’évaluation de sa deuxième ressource proposée, les éléments de preuve démontrent que les évaluateurs ont conclu qu’elle assumait des doubles rôles dans le cadre de certains projets[23]; toutefois, toute réduction appliquée n’a pas fait l’objet d’une note dans le résumé d’évaluation, de sorte qu’elle n’a eu aucune incidence sur le nombre de points attribués[24].
  14. Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclut que ce motif de la plainte de MSi n’est pas fondé.

Motif 2 : Était-il raisonnable de la part des évaluateurs de réduire de moitié la durée d’un projet en raison de la « nature du projet »?

Position des parties

  1. MSi a fait valoir que les évaluateurs ont appliqué une réduction de 50 p. 100 à la durée d’un projet relativement à sa troisième ressource, en raison de la « nature du projet ». MSi a prétendu que ce projet était en fait hautement pertinent au regard de l’exigence et qu’aucune réduction n’aurait dû être appliquée.
  2. Industrie Canada a admis que la réduction de 50 p. 100 n’aurait pas dû être appliquée, parce qu’aucune disposition de la DP ne permettait la réduction de la durée du projet en raison de la « nature du projet ». Cependant, Industrie Canada a fait valoir que, même si la pleine durée du projet avait été créditée, la note de MSi aurait été accrue uniquement de 4 points, ce qui n’aurait pas eu une incidence importante sur l’issue de la procédure de passation du marché public.

Analyse du Tribunal

  1. Compte tenu de l’admission d’Industrie Canada selon laquelle la réduction de 50 p. 100 n’aurait pas dû être appliquée, le Tribunal conclut que les évaluateurs ont appliqué des critères d’évaluation non divulgués lorsqu’ils ont procédé à cette réduction. Par conséquent, cet aspect de l’évaluation était déraisonnable et le motif de plainte de MSi est fondé.

Motif 3 : Était-il raisonnable de la part des évaluateurs de rejeter les outils identifiés dans la soumission de MSi?

Position des parties

  1. MSi a fait valoir que c’est à tort qu’Industrie Canada a rejeté les outils qu’elle avait identifiés en réponse aux critères cotés C8, C18 et C28 (qui nécessitaient que les ressources démontrent leur expérience dans l’utilisation « [...] d’outils de gestion des exigences, notamment l’application IBM Rational DOORS ») et en réponse aux critères cotés C9, C19 et C29, (lesquels exigeaient que les ressources démontrent leur expérience dans l’utilisation « [...] d’outils d’Architecture d’entreprise comme l’application IBM Rational System Architect »).
  2. MSi a fait valoir que l’Accord sur les marchés publics[25] de l’Organisation mondiale du commerce prévoit que « [l]es spécifications techniques prescrites par les entités acheteuses seront, en tant que de besoin [...] exprimées en termes de performances plutôt que sous forme de caractéristiques de conception ou de caractéristiques descriptives [...] »[26] MSi a aussi soulevé qu’aucune liste des outils de rechange acceptables n’a été fournie et que, par conséquent, la décision à savoir quels outils étaient similaires à ceux figurant dans les exigences était complètement subjective.
  3. Industrie Canada a fait valoir que ce motif de la plainte de MSi n’a pas été soulevé dans le délai prescrit, parce qu’il se rapporte à des questions qui étaient apparentes à la lecture des modalités de la DP lorsque cette dernière a été émise.
  4. En outre, Industrie Canada a fait valoir que les spécifications techniques n’étaient pas définies de manière à exiger de l’expérience avec un outil de travail précis, mais plutôt de fournir des exemples d’outils acceptables, à des fins d’illustration. De plus, Industrie Canada a souligné ses réponses à deux questions provenant de deux soumissionnaires potentiels (les questions 4 et 9) comme étant une description plus détaillée des critères qui seraient utilisées par les évaluateurs pour se prononcer sur l’équivalence. Selon Industrie Canada, cela était suffisant pour se conformer aux obligations des accords commerciaux, et il n’était pas obligé de fournir une liste des outils de rechange acceptables.
  5. En dernier lieu, Industrie Canada a prétendu que la décision par laquelle l’équipe d’évaluation a conclu que les outils proposés par MSi ne correspondaient pas aux exigences de la DP était raisonnable. Industrie Canada a fait valoir que les outils proposés par MSi étaient soit des outils génériques, par opposition à des outils traitant précisément de la gestion des exigences ou de la gestion des entreprises, soit des outils n’étant pas dotés de la gamme des capacités en ce qui a trait à la gestion des exigences ou à l’architecture de l’entreprise, comme le décrivaient les réponses des Q&R.

Analyse du Tribunal

  1. Comme il a été discuté précédemment, le Règlement exige que la plainte soit déposée auprès du Tribunal, ou que l’opposition soit présentée à l’institution fédérale pertinente, dans les 10 jours suivant la date à laquelle le soumissionnaire a découvert ou aurait vraisemblablement dû découvrir les faits à l’origine de sa plainte.
  2. Le fait que la DP définissait les exigences techniques par renvoi à des produits de marque et qu’elle ne contenait pas une liste des solutions de rechange acceptables était apparent à la lecture même de la DP lors de sa publication. Il n’y a rien au dossier qui permet de conclure que MSi a demandé des précisions ou présenté une opposition à Industrie Canada au sujet de ces critères dans les 10 jours suivant la publication de la DP.
  3. En outre, MSi a eu une deuxième possibilité de soulever cette question après la publication des réponses des Q&R les 2 et 5 février 2016, puisque les réponses aux questions 4 et 9 contenaient des détails supplémentaires à propos des types d’outils avec lesquels les ressources devaient avoir de l’expérience pour répondre aux critères d’évaluation cotés en question. Une fois de plus, rien ne démontre que MSi a présenté une opposition à ce moment-là.
  4. Compte tenu de ce qui précède, MSi n’a pas soulevé ce motif de plainte dans les 10 jours suivant la date à laquelle le fait a été découvert ou aurait dû être découvert. Par conséquent, le Tribunal conclut que ce motif de la plainte de MSi n’a pas été présenté dans le délai prescrit. Il s’ensuit que le Tribunal ne se prononcera pas sur le bien-fondé de ce motif de plainte.

Motif 4 : Était-il raisonnable de la part des évaluateurs de rejeter le reçu fourni par MSi à titre de preuve de présélection à se présenter à un examen d’accréditation en analyse d’affaires?

Position des parties

  1. MSi a fait valoir que les évaluateurs ont, à tort, rejeté le reçu fourni à titre de « [p]reuve de présélection à se présenter à un examen pour l’une des accréditations en analyse d’affaires » [traduction] par l’une de ses ressources en réponse au critère coté C10. Par conséquent, 10 points ont été déduits de la note de MSi. MSi a fait valoir qu’Industrie Canada aurait dû demander plus de détails avant de rejeter le reçu à titre de preuve de présélection.
  2. Industrie Canada a fait valoir qu’il était raisonnable de la part de l’équipe d’évaluation de ne pas accepter le reçu produit par MSi à titre de preuve de présélection, parce que ce reçu ne contenait aucune preuve de l’objet du paiement. En outre, Industrie Canada a souligné que les évaluateurs n’avaient pas l’obligation de demander des précisions auprès de MSi au sujet de ce document.

Analyse du Tribunal

  1. Le Tribunal a toujours conclu qu’il incombe aux soumissionnaires de démontrer en quoi leur soumission répond aux critères obligatoires publiés dans les documents d’invitation[27]. Par conséquent, le Tribunal a énoncé qu’il incombe aux soumissionnaires de faire preuve de diligence raisonnable dans la préparation de leur soumission en vue de s’assurer que celle-ci est conforme à toutes les exigences obligatoires[28]. À cet égard, le Tribunal refuse, de manière générale, d’imposer une obligation aux institutions fédérales de demander des précisions auprès des soumissionnaires[29]. Bien que les soumissionnaires puissent poser des questions, et qu’ils devraient le faire, en vue d’obtenir des précisions au sujet d’exigences obligatoires et techniques avant la présentation des soumissions, les institutions fédérales n’ont pas l’obligation de faire une telle chose lorsqu’elles reçoivent les soumissions[30].
  2. En l’espèce, l’équipe d’évaluation n’avait pas l’obligation de demander des précisions auprès de MSi au sujet du reçu qu’elle avait fourni à titre de preuve de présélection à se présenter à l’un des examens en analyse d’affaires. Au surcroît, puisque MSi a admis que le reçu ne précisait pas que le paiement était en contrepartie de l’inscription à l’examen, ou ne donnait pas d’autres indices au sujet de l’objet du paiement[31], les évaluateurs ont conclu, à titre raisonnable, que le reçu ne constituait pas une « preuve » de présélection à se présenter à l’examen.
  3. Ce motif de la plainte de MSi n’est donc pas fondé.

Conclusion

  1. Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclut que la plainte de MSi est fondée en partie. Les éléments de preuve révèlent que l’équipe d’évaluation a agi de manière déraisonnable en ce qui a trait à l’un des quatre motifs soulevés dans la plainte de MSi, mais qu’elle a agi de manière raisonnable relativement aux trois autres motifs.

MESURE CORRECTIVE

  1. Le Tribunal a statué antérieurement qu’en général, il recommandera une de mesure corrective uniquement lorsque les erreurs dans une procédure de passation du marché public a eu une incidence sur son résultat[32].
  2. En l’espèce, Industrie Canada a admis qu’il avait commis une erreur en appliquant une réduction de 50 p. 100 à la durée de l’un des projets pour la troisième ressource de MSi, en raison de la « nature du projet », comme il a été traité ci-dessus. Cependant, Industrie Canada a fait valoir, ce à quoi souscrit le Tribunal, que la réduction n’aurait eu aucune incidence importante sur le résultat de la procédure de de passation du marché public.
  3. En effet, le Tribunal constate que l’incidence globale des erreurs commises dans l’évaluation de la soumission de MSi aurait en fait accru la note de MSi. Cependant, puisque MSi n’aurait pas pu être retenue dans le cadre du processus d’appel d’offres, même avec une note plus élevée, le Tribunal conclut que MSi n’a subi aucun préjudice découlant des erreurs commises par l’équipe d’évaluation. Par conséquent, le Tribunal ne recommandera pas de mesure corrective.

FRAIS

  1. Dans la plupart des cas, le Tribunal accorde en général des frais à la partie ayant eu gain cause, conformément à la Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure de plainte portant sur un marché public. En l’espèce, les deux parties ont partiellement eu gain de cause. Industrie Canada a eu gain de cause relativement à trois des quatre motifs de plainte, et MSi a eu gain de cause à l’égard de l’autre. En temps normal, chaque partie aurait donc le droit à des frais partiels, et tout déséquilibre de succès est compensé.
  2. Cependant, puisqu’Industrie Canada a renoncé à son droit aux frais en raison des erreurs commises dans le processus d’évaluation, ainsi que du fait que ces erreurs n’auraient pas eu d’incidence sur le résultat pour MSi, le Tribunal exerce son pouvoir discrétionnaire, à titre de tribunal d’archives, et décide que chaque partie assumera ses propres frais dans les présentes instances.

DÉCISION

  1. Le Tribunal détermine, en vertu du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur TTCE, que la plainte est fondée en partie. Chaque partie assumera ses propres frais.
 

[1].      L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.) [Loi sur le TCCE].

[2].      Le 4 novembre 2015, le gouvernement du Canada a donné un avis selon lequel le nom d’Industrie Canada devait être changé pour celui d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada.

[3].      D.O.R.S./93-602 [Règlement].

[4].      Comme le stipule la DP, les soumissions devaient contenir une partie technique et une partie financière. La soumission ayant la note combinée la plus haute sur le plan du mérite technique et du prix, selon une proportion de 70 p. 100 pour le mérite technique et de 30 p. 100 pour le prix, devait être retenue pour attribution du contrat. Seule l’évaluation de la partie technique est en cause dans la plainte en l’espèce. Pour qu’une soumission soit considérée comme satisfaisant à la partie technique, elle devait répondre aux six critères obligatoires (deux pour chacune des trois ressources proposées) et obtenir une note globale d’au moins 70 p. 100 pour les 30 critères d’évaluation techniques cotés (10 par ressource). Bien que la soumission de MSi satisfasse aux exigences de la DP, elle n’a pas reçu tous les points pour certains des critères techniques cotés. Deux autres soumissionnaires dont la soumission était recevable (y compris le soumissionnaire retenu) avaient tous les deux reçu des notes plus élevées.

[5].      D.O.R.S/91-499.

[6].      Sauf dans les cas où les documents étaient déjà versés au dossier.

[7].      Les modalités de C18 et C28 sont, sur tous les points pertinents, les mêmes que celles de C8, et les modalités de C19 et C29 sont les mêmes que celles de C9; par conséquent, C18, C19, C28 et C29 ne sont pas reproduits en l’espèce.

[8].      En l’espèce, tous les accords commerciaux qui figurent à l’article 11 du Règlement s’appliquent.

[9].      CAE Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (26 août 2014), PR-2014-007 (TCCE) aux par. 30-31.

[10].    IBM Canada Ltd. c. Hewlett Packard (Canada) Ltd., 2002 CAF 284 (CanLII) [IBM] au par. 21; Raytheon Canada Limited c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (19 janvier 2016), PR‑2015‑026 (TCCE) aux par. 37-38; Global Upholstery Co. Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (6 juillet 2009), PR-2008-052 (TCCE) au par. 14.

[11].    IBM au par. 20.

[12].    Microsoft Canada Co, Microsoft Corporation, Microsoft Licensing, GP et Softchoice Corporation c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (12 mars 2010), PR-2009-056 (TCCE) au par.50; Siemens Westinghouse Inc. c. Canada (Minister of Public Works and Government Services), 2000 CanLII 15611 (CAF); Ready John Inc. v. Canada (Public Works and Government Services), 2004 FCA 222 (CanLII) au par. 35; Bergevin c. Canada (Agence canadienne de développement international), 2009 CAF 18 (CanLII) aux par. 17‑22; Tercon Contractors Ltd. c. Colombie-Britannique (Transports et Voirie), [2010] 1 RCS 69, 2010 CSC 4 (CanLII) aux par. 64-65; Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., [2014] 2 RCS 633, 2014 CSC 53 (CanLII) aux par. 47-48, 56-58.

[13].    Cougar Aviation Ltd. c. Canada (Ministre des Travaux Publics et des Services Gouvernementaux), 2000 CanLII 16572 (CAF) au par. 36.

[14].    Pièce PR-2016-004-09, onglet 13 au par. 5, vol. 1A.

[15].    Pièce PR-2016-004-13A (protégée) onglet 2, vol. 2A.

[16].    Pièce PR-2016-004-09, onglet 13 au par. 5c), vol. 1A.

[17].    Pièce PR-2016-004-13A (protégée), onglet 2 aux pp. 13-15, 30-31, 53-55, vol. 2A; pièce PR-2016-004-09, onglet 9, vol. 1A.

[18].    Pièce PR-2016-004-09A (protégée), onglet 18, vol. 2.

[19].    Pièce PR-2016-004-16 au par. 1.1.2, vol. 1B.

[20].    Pièce PR-2016-004-13A (protégée), onglet 2 aux pp. 8-9, 28-29, 57, 62, 67, vol. 2A.

[21].    Pièce PR-2016-004-09, onglet 9, vol. 1A.

[22].    Avalon Controls Ltd. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (28 avril 2010), PR‑2009-077 (TCCE) au par. 25.

[23].    Pièce PR-2016-004-09A (protégée), onglet 1A aux pp. 2-3, vol. 2.

[24].    Pièce PR-2016-004-09, onglet 8 à la p. 2, vol. 1A.

[25].    Accord révisé sur les marchés publics, en ligne : Organisation mondiale du commerce <http://www.wto.org/‌french/docs_f/legal_f/rev-gpr-94_01_f.htm> (entré en vigueur le 6 avril 2014).

[26].    Pièce PR-2016-004-01 à la p. 28, vol. 1.

[27].    Info-Electronics H P Systems Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (2 août 2006), PR-2006-012 (TCCE); Saskatchewan Institute of Applied Science and Technology c. Ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (9 janvier 2014), PR-2013-013 (TCCE) [SIAST] au par. 59; Excel Human Resources Inc. (faisant affaire sous le nom excelITR) c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (25 août 2006), PR-2005-058 (TCCE) au par. 34.

[28].    Integrated Procurement Technologies, Inc. (14 avril 2008), PR-2008-007 (TCCE) [Integrated Procurement Technologies] au par. 13.

[29].    Accipiter Radar Technologies Inc. c. Ministère des Pêches et des Océans (17 février 2011), PR-2010-078 (TCCE) au par. 52; Integrated Procurement Technologies au par. 13.

[30].    SIAST au par. 59.

[31].    Pièce PR-2016-004-01 à la p. 29, vol. 1.

[32].    Beals, Lalonde & Associates c. Ministère de la Justice (27 juillet 2004), PR-2004-009 (TCCE) au par. 36; TireeRankinJV c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (27 janvier 2005), PR‑2004‑038 (TCCE) au par. 32; Navatar Ltd. (30 mai 2000), PR-99-043 et PR-99-044 (TCCE) à la p. 8.