TELECORE

TELECORE
Dossier no PR-
2016-039

Décision prise
le jeudi 27 octobre 2016

Décision et motifs rendus
le mercredi 2 novembre 2016

TABLE DES MATIÈRES

 

EU ÉGARD À une plainte déposée aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.).

PAR

TELECORE

CONTRE

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur décide de ne pas enquêter sur la plainte.

Peter Burn
Peter Burn
Membre présidant

EXPOSÉ DES MOTIFS

  1. En vertu du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur[1], tout fournisseur potentiel peut, sous réserve du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics[2], déposer une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique et lui demander d’enquêter sur cette plainte. En vertu du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, après avoir jugé la plainte conforme au paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et sous réserve du Règlement, le Tribunal détermine s’il y a lieu d’enquêter.
  2. Telecore a déposé une plainte auprès du Tribunal alléguant qu’une demande de propositions (DP) pour plusieurs articles concernant l’acquisition de casques audio et de pièces de rechange émise par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux[3] (TPSGC), au nom du ministère de la Défense nationale (MDN), contenait des exigences trop restrictives qui l’ont empêchée d’être le soumissionnaire retenu à l’égard de certains articles pour lesquels elle était le soumissionnaire le moins-disant.
  3. Le Tribunal conclut que la plainte n’a pas été déposée dans les délais prescrits par l’article 6 du Règlement pour les motifs qui suivent.

RÉSUMÉ DE LA DP ET DE LA PLAINTE

  1. La plainte déposée[4] par Telecore concerne une DP (invitation no W8486-173317/A)[5] émise le 25 juillet 2016. Portant sur l’acquisition de plusieurs articles, la DP permettait aux fournisseurs potentiels de soumissionner 18 articles différents et prévoyait que les contrats seraient adjugés aux soumissions conformes les moins-disantes pour chacun des articles[6].
  2. Telecore a soumissionné cinq articles, décrits comme « casque et microphone » (nos 1, 2 et 17) et « microphone électrodynamique » (nos 7 et 8)[7]. Pour chacun de ces articles, le fournisseur acceptable indiqué dans la DP était « Racal Acoustics Limited, GB » (Racal).
  3. Le 24 août 2016, Telecore a envoyé un courriel à l’agent désigné de TPSGC lui demandant les spécifications des microphones électrodynamiques des nos 7 et 8 et de confirmer s’il s’agissait des mêmes microphones que ceux des nos 1 et 2[8].
  4. Le 13 septembre 2016, TPSGC a affiché les réponses à ces questions dans la modification no 3 apportée à la DP ainsi qu’à d’autres questions posées par d’autres soumissionnaires[9] et a donné la réponse suivante à la question no 3 (au sujet des spécifications) : « Les droits de propriété des microphones des nos 7 et 8 dont sont munis les casques audio Slimgard II sont détenus par RACAL Acoustics. Par conséquent, si un soumissionnaire désire obtenir les spécifications, il doit communiquer avec RACAL, et non avec le MDN » [traduction]. La réponse à la question no 4 a confirmé qu’il s’agissait des même microphones que ceux des nos 1 et 2.
  5. La modification no 3 comportait aussi la question suivante (question no 1) : « [L]e gouvernement du Canada acceptera-t-il une soumission offrant un produit équivalent ou supérieur qui satisfait à toutes les exigences concernant les pièces énumérées dans les pages 4, 5 et 6 de l’appel d’offres »[10] [traduction]? TPSGC a répondu de la façon suivante :

Un produit équivalent ne sera pas accepté. Le Canada a besoin de se procurer immédiatement les casques audio Slimgard pour ses opérations militaires en cours. L’appel d’offres a pour seul objectif le maintien en service des véhicules militaires actuels par l’acquisition de casques audio pour les opérations militaires. De plus, il y a des préoccupations d’ordre sécuritaire concernant le personnel militaire sur les théâtres d’opérations pour lesquels la compatibilité, l’interchangeabilité et la fonctionnalité des casques audio sont de la plus haute importance pour le parc de véhicules tactiques actuel du Canada[11].

[Nos italiques, traduction]

  1. Le 14 septembre 2016, Telecore a envoyé un courriel à TPSGC dans lequel elle élevait les objections suivantes au sujet des réponses mentionnées ci-dessus :

[Dans] un récent appel d’offres canadien ayant trait aux « SPÉCIFICATIONS DES CASQUES AUDIO ANTIBRUIT », il n’y a aucune référence à des droits de propriété concernant les composantes.

Comme tel, le microphone ne requiert pas les droits de propriété de Racal. Par conséquent, la réponse à notre question n’est pas satisfaisante.

Nous avons des préoccupations à l’égard du présent appel d’offres et du précédent qui portent sur l’acquisition des mêmes dispositifs[12].

[Nos italiques, traduction]

  1. Le 19 septembre 2016, TPSGC a répondu ce qui suit :

En réponse à vos questions/commentaires ci-dessous formulés dans votre courriel du 14 septembre, il est de notre avis que la modification no 3, plus particulièrement les questions et réponses nos 1 et 3, donne une explication complète de cette exigence. Nous espérons avoir l’occasion de travailler de concert avec des fournisseurs potentiels comme vous dans un proche avenir pour l’acquisition d’une nouvelle génération de casques audio[13].

[Nos italiques, traduction]

  1. Entre le 21 et le 30 septembre 2016, les parties ont échangé d’autres courriels dans lesquels Telecore a réitéré son objection selon laquelle les produits de substitution qu’elle proposait, provenant d’un autre fournisseur que Racal, satisfaisaient aux spécifications requises et dans lesquels TPSGC a rejeté cette affirmation[14].
  2. Le 11 octobre 2016, TPSGC a avisé Telecore que sa soumission ayant trait aux articles des nos 1 et 2 ne satisfaisait pas aux exigences de l’appel d’offres[15]. Dans sa plainte, Telecore soutient que sa soumission ayant trait à ces articles a été à tort jugée non conforme parce qu’elle ne respectait pas l’exigence du fournisseur acceptable indiqué dans l’appel d’offre, ce qui en a fait un appel d’offres restreint à un fournisseur unique. Selon Telecore, cette exigence était donc arbitrairement restrictive et contraire à la loi en ce qui concerne l’accord commercial applicable, en l’espèce l’Accord sur le commerce intérieur[16]. Telecore demande aussi que le Tribunal fasse enquête pour savoir si elle était le soumissionnaire le moins-disant pour les articles des nos 7, 8 et 17.
  3. À titre de mesure corrective, Telecore demande que le Tribunal résilie le contrat pour les articles des nos 1 et 2 et qu’il conclut que sa soumission pour ces articles aurait dû être jugée conforme et que, puisqu’elle était la moins-disante, qu’elle aurait dû être la soumission retenue. Telecore demande aussi que le Tribunal lui accorde une réparation du même type en ce qui concerne sa soumission pour les articles des nos 7, 8 et 17 si le Tribunal détermine qu’elle était le soumissionnaire le moins-disant pour ces articles[17].

ANALYSE

  1. Pour ouvrir une enquête, le Tribunal doit conclure a) que la partie plaignante est un fournisseur potentiel, b) que la plainte porte sur un contrat spécifique et c) que les renseignements fournis démontrent, dans une mesure raisonnable, que la procédure du marché public n’a pas été suivie conformément aux accords commerciaux applicables[18]. La plainte doit aussi avoir été déposée dans les délais prescrits[19].
  2. En l’espèce, le Tribunal conclut que la plainte n’a pas été déposée en temps voulu. Par conséquent, il n’est pas nécessaire pour le Tribunal d’examiner si les autres conditions sont respectées.
  3. Le paragraphe 6(1) du Règlement prévoit que le fournisseur potentiel qui souhaite déposer une plainte auprès du Tribunal « doit le faire dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a découvert ou aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l’origine de la plainte ».
  4. Le paragraphe 6(2) prévoit que le fournisseur potentiel qui a présenté à l’institution fédérale concernée une opposition et à qui l’institution refuse réparation peut déposer une plainte auprès du Tribunal « dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a pris connaissance, directement ou par déduction, du refus, s’il a présenté son opposition dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a découvert ou aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l’origine de l’opposition ».
  5. Autrement dit, une partie plaignante dispose de 10 jours ouvrables suivant la date où elle prend connaissance des faits à l’origine de sa plainte, ou suivant la date où elle aurait dû vraisemblablement les découvrir, soit pour présenter une opposition auprès de l’institution fédérale, soit pour déposer une plainte auprès du Tribunal. Si une partie plaignante présente une opposition auprès de l’institution fédérale dans le délai prévu, celle-ci peut ensuite déposer une plainte auprès du Tribunal dans les 10 jours ouvrables à partir du moment où elle a pris connaissance, directement ou par déduction, du refus de réparation de l’institution fédérale.
  6. La plainte de Telecore a manifestement été déposée en retard. Essentiellement, Telecore allègue que TPSGC a arbitrairement restreint les exigences l’empêchant d’offrir des casques audio et des microphones provenant d’un autre fournisseur que Racal.
  7. Le Tribunal a affirmé antérieurement que si un fournisseur potentiel croit que les critères qui figurent dans une DP sont trop stricts ou impossibles à respecter, celui-ci doit déposer une plainte dans les délais impartis (c’est-à-dire 10 jours ouvrables). Une partie plaignante ne peut accumuler les griefs et attendre pour déposer une plainte que sa soumission ait été rejetée[20]. À cet égard, la Cour d’appel fédérale a affirmé ce qui suit :

[18] Dans les affaires de marchés publics, le temps représente une condition essentielle. [...]

[20] [...] Les fournisseurs potentiels ne doivent donc pas attendre l’attribution d’un contrat avant de déposer toute plainte qu’ils pourraient avoir concernant la procédure. On s’attend à ce qu’ils soient vigilants et qu’ils réagissent dès qu’ils découvrent ou auraient vraisemblablement dû découvrir un vice de procédure. [...]

[21] Le Tribunal a précisé clairement, dans le passé, que les plaintes fondées sur l’interprétation des termes d’une DP devaient avoir été présentées dans les dix jours suivant le moment où l’ambiguïté ou le manque de clarté qu’on allègue était devenu ou aurait dû normalement devenir apparent[21].

  1. Le « fournisseur acceptable » était clairement désigné dans la DP comme étant Racal. De plus, les spécifications des articles des nos 1, 2 et 17 consistaient en des numéros de pièce de Racal. Toutefois, Telecore n’a soulevé des objections concernant ces exigences énoncées dans la DP que dans ses questions envoyées par courriel à TPSGC près d’un mois après que la DP eut été émise. Par conséquent, pour cette seule raison, la plainte de Telecore n’a pas été déposée en temps voulu.
  2. En outre, la plainte de Telecore ne peut être considérée comme ayant été déposée en temps voulu même en tenant compte des dates ultérieures applicables. TPSGC a répondu aux questions de Telecore dans les réponses 3 et 4 de la modification no 3 datée du 13 septembre 2016. Quand Telecore a élevé une objection contre ces réponses dans son courriel du 14 septembre 2016, TPSGC lui a répondu par courriel le 19 septembre 2016 en faisant référence une fois de plus aux réponses 3 et 4, et « plus particulièrement » à la réponse 1, pour expliquer le pourquoi de ces exigences.
  3. Telecore aurait dû déposer sa plainte auprès du Tribunal au plus tard dans les 10 jours ouvrables suivant le 19 septembre 2016, date à laquelle Telecore avait obtenu une réponse claire de TPSGC rejetant sans ambiguïté son objection formulée le 14 septembre 2016. Au contraire, Telecore a réitéré son objection dans des courriels subséquents envoyés à TPSGC les 21 et 29 septembre 2016, auxquels TPSGC a continué de répondre par la négative.
  4. Relancer TPSGC pour tenter de le persuader de changer d’avis n’a pas remis les compteurs à zéro pour Telecore. Le Tribunal a maintes fois affirmé que, lorsqu’il y a un net refus de réparation concernant une objection faite par une partie plaignante, il n’est pas loisible à celle-ci de maintenir actif le dossier et de retarder le règlement de l’affaire par des réitérations répétées de préoccupations qui sont pour l’essentiel les mêmes[22].
  5. En résumé, après que TPSGC eut communiqué dans la modification no 3 sa position à l’égard des exigences, Telecore a formulé à trois reprises des objections ayant trait aux mêmes motifs de plainte auxquelles TPSGC a refusé d’acquiescer. Telecore n’a déposé de plainte auprès du Tribunal que 10 jours calendaires après que TPSGC l’eut avisé des résultats de l’appel d’offres le 11 octobre 2016. Ces résultats (c’est-à-dire que la soumission de Telecore avait été jugée non conforme) étaient entièrement prévisibles et correspondent à la position maintenue par TPSGC, qu’il a communiquée à Telecore au plus tard le 19 septembre 2016 et contre laquelle Telecore a soulevé des objections.
  6. Par conséquent, la plainte de Telecore n’a pas été déposée en temps voulu.

DÉCISION

  1. Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal décide de ne pas enquêter sur la plainte.
 

[1].      L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.) [Loi sur le TCCE].

[2].      D.O.R.S./93-602 [Règlement].

[3].      Le 4 novembre 2015, le gouvernement du Canada a annoncé que le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux s’appellerait désormais Services publics et Approvisionnement Canada.

[4].      La plainte déposée le 21 octobre 2016 était incomplète. La plainte complète a été déposée le 27 octobre 2016.

[5].      Cette DP fait suite à une DP antérieure, qui concernait aussi l’acquisition de casques audio et de pièces de rechange, que TPSGC a annulé le 27 mai 2016 avant qu’un contrat ne soit adjugé, et qui a fait l’objet d’une plainte précédente déposée par Telecore. Le Tribunal a décidé de ne pas enquêter sur cette plainte et ne considère pas que la DP antérieure ait un quelconque rapport avec la présente plainte. Telecore (15 juin 2016), PR-2016-015 (TCCE).

[6].      Plainte, pièce 8, DP aux pp. 3-12.

[7].      Plainte, pièce 14, soumission de Telecore datée du 20 septembre 2016.

[8].      Plainte, pièce 10, courriel de M. Joseph O’Regan à M. Louie Turner daté du 24 août 2016.

[9].      Plainte, pièce 9, modification no 3 à la DP datée du 13 septembre 2016.

[10].    Modification no 3 à la DP à la p. 1.

[11].    Modification no 3 à la DP à la p. 1.

[12].    Plainte, pièce 10, courriel de M. O’Regan à M. Turner daté du 14 septembre 2016.

[13].    Plainte, pièce 10, courriel de M. Turner à M. O’Regan daté du 19 septembre 2016.

[14].    Plainte, pièce 10, courriel de M. O’Regan à M. Turner daté du 21 septembre 2016; courriel de M. Turner à M. O’Regan daté du 27 septembre 2016; courriel de M. O’Regan à M. Turner daté du 29 septembre 2016; courriel de M. Turner à M. O’Regan daté du 30 septembre 2016.

[15].    Plainte, pièce 10, courriel de M. Turner à M. O’Regan daté du 11 octobre 2016.

[16].    18 juillet 1994, Gaz. C. 1995.I.1323, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur http://www.ait-aci.ca/agreement-on-internal-trade/?lang=fr.

[17].    Plainte aux par. 86-89.

[18].    Paragraphe 7(1) du Règlement.

[19].    Article 6 du Règlement.

[20].    Genesis Security Inc. (2 février 2016), PR-2015-055 (TCCE) au par. 13; Toromont Cat (22 janvier 2016), PR‑2015-054 (TCCE) au par. 15; 2040077 Ontario Inc. s/n FDF Group (27 août 2014), PR-2014-024 (TCCE) au par. 14; APM Diesel 1992 Inc. (15 février 2012), PR-2011-052 (TCCE) au par. 15; IBM Canada Ltd. c. Hewlett Packard (Canada) Ltd., 2002 CAF 284 (CanLII) [IBM Canada].

[21].    IBM Canada aux par. 18, 20, 21.

[22].    Flaman Management Partners Ltd. (6 mars 2013), PR-2012-045 (TCCE) au par. 12.