8146292 CANADA INCORPORATED

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Dossier no PR-2017-025

Décision prise
le mardi 1er septembre 2017

Décision et motifs rendus
le lundi 11 septembre 2017

TABLE DES MATIÈRES

 

EU ÉGARD À une plainte déposée aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.).

PAR

8146292 CANADA INCORPORATED

CONTRE

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur décide de ne pas enquêter sur la plainte.

Jean Bédard
Jean Bédard
Membre présidant

EXPOSÉ DES MOTIFS

  1. En vertu du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur[1], tout fournisseur potentiel peut, sous réserve du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics[2], déposer une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique et lui demander d’enquêter sur cette plainte. En vertu du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, après avoir jugé la plainte conforme au paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et sous réserve du Règlement, le Tribunal détermine s’il y a lieu d’enquêter.
  2. Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que la plainte n’a pas été déposée dans les délais et, par conséquent, décide de ne pas enquêter sur celle-ci.

CONTEXTE

  1. La présente plainte a trait à un préavis d’adjudication de contrat (préavis d’adjudication) W8482‑182148 publié par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) au nom du ministère de la Défense nationale pour l’acquisition d’une batterie d’accumulateurs pour sous‑marins. Un préavis d’adjudication est un genre limité d’appel d’offres (c’est-à-dire non concurrentiel) dans le cadre duquel une institution fédérale émet un avis public informant les fournisseurs qu’elle a l’intention d’adjuger un contrat à un fournisseur présélectionné, mais que, avant de procéder, elle permet à d’autres fournisseurs de faire part de leur intérêt à soumissionner en soumettant un énoncé de capacités. Si l’institution fédérale reçoit des énoncés de capacités démontrant qu’il y a effectivement d’autres fournisseurs en mesure de fournir les biens ou services requis, alors un appel d’offres concurrentiel est lancé. Si aucun énoncé de capacités satisfaisant n’a été reçu à la date de clôture de l’appel d’offres figurant dans le préavis d’adjudication, le contrat est adjugé au fournisseur présélectionné.
  2. Le préavis d’adjudication dont il est question en l’espèce demandait aux fournisseurs de détenir une cote de sécurité de niveau « fiabilité » avant de pouvoir prendre connaissance des caractéristiques de fonctionnement de l’appareil faisant l’objet de l’appel d’offres parce que certains de ces renseignements étaient confidentiels. Le préavis d’adjudication est paru le 3 août 2017, et la date de clôture pour la réception des énoncés de capacités était le 17 août 2017. 
  3. 8146292 Canada Incorporated (8146292 Canada) allègue que le préavis d’adjudication n’allouait pas suffisamment de temps (seulement deux semaines) à un fournisseur ne détenant pas déjà une cote de sécurité de niveau « fiabilité » d’en obtenir une, de prendre connaissance des caractéristiques de fonctionnement requises puis de soumettre un énoncé de capacités. Lorsque 8146292 Canada s’est plainte à TPSGC à ce sujet le 4 août 2017, TPSGC a affirmé qu’il peut prendre de cinq à huit semaines pour obtenir une telle cote de sécurité et que, pour cette raison, le préavis d’adjudication demande aux fournisseurs d’être déjà détenteur d’une telle cote de sécurité avant de pouvoir prendre connaissance des renseignements confidentiels.
  4. Aux environs du 21 août 2017, M. Owodunni, directeur général du plaignant, a communiqué avec un représentant du Bureau de l’ombudsman de l’approvisionnement (BOA) au sujet du dépôt d’une plainte. Le ou autour du 23 août 2017, M. Owodunni a déposé une plainte auprès du BOA. Un courriel du BOA à M. Owodunni accusant réception de sa plainte contenait aussi un refus de faire suivre sa plainte au Tribunal, au motif que le BOA est un organisme neutre qui ne représente pas les fournisseurs. Le 29 août 2017, le BOA a communiqué par courriel avec le plaignant l’avisant que la valeur monétaire du préavis d’adjudication (20 millions $) dépassait probablement le seuil monétaire des appels d’offres relevant de la compétence du BOA à des fins d’enquête, et lui suggérant de déposer une plainte auprès du Tribunal. Le 30 août 2017, le BOA a communiqué par courriel avec le plaignant l’avisant que sa plainte était prématurée, étant donné que le BOA n’a compétence que pour examiner l’adjudication d’un contrat et qu’aucun contrat n’avait encore été adjugé. Le BOA a réitéré sa suggestion de déposer une plainte auprès du Tribunal.
  5. Le 30 août 2017, le plaignant a envoyé par courriel au Tribunal une plainte d’une page élevant une objection au sujet des délais serrés du préavis d’adjudication, que les soumissionnaires ne détenant pas déjà une cote de sécurité ne peuvent respecter. Le même jour, le Tribunal a accusé réception du courriel, mais a avisé le plaignant que sa plainte était incomplète et que le Tribunal avait besoin de renseignements supplémentaires – plus particulièrement, un formulaire de plainte rempli et une copie de toute la correspondance échangée avec TPSGC et le BOA. La plainte de 8146292 Canada a été considérée comme complète lors du dépôt de ces renseignements supplémentaires le 31 août 2017[3].

ANALYSE

  1. Pour enquêter sur une plainte, le Tribunal doit déterminer si le plaignant est un fournisseur potentiel, si la plainte concerne un « contrat spécifique » (c’est-à-dire un marché de biens ou de services qui atteint les seuils monétaires minimums prévus dans les accords commerciaux) et enfin si les « renseignements fournis par le plaignant démontrent, dans une mesure raisonnable, que la procédure du marché public n’a pas été suivie conformément » aux accords commerciaux applicables[4].
  2. En l’espèce, le Tribunal conclut que la plainte n’a pas été déposée dans les délais et, à ce titre, n’a pas à se pencher sur les autres conditions.
  3. Le paragraphe 6(1) du Règlement prévoit que le fournisseur potentiel qui souhaite déposer une plainte auprès du Tribunal « doit le faire dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a découvert ou aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l’origine de la plainte ». Le paragraphe 6(2) prévoit que le fournisseur potentiel qui a présenté à l’institution fédérale concernée une opposition et à qui l’institution refuse réparation peut déposer une plainte auprès du Tribunal « dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a pris connaissance, directement ou par déduction, du refus, s’il a présenté son opposition dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a découvert ou aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l’origine de l’opposition ».
  4. Autrement dit, une partie plaignante dispose de 10 jours ouvrables suivant la date où elle prend connaissance des faits à l’origine de sa plainte, ou suivant la date où elle aurait dû vraisemblablement les découvrir, soit pour présenter une opposition auprès de l’institution fédérale, soit pour déposer une plainte auprès du Tribunal. Si une partie plaignante présente une opposition auprès de l’institution fédérale dans le délai prévu, celle-ci peut ensuite déposer une plainte auprès du Tribunal dans les 10 jours ouvrables à partir du moment où elle a pris connaissance, directement ou par déduction, du refus de réparation de l’institution fédérale.
  5. Le préavis d’adjudication a été publié le 3 août 2017, date à laquelle le plaignant a pris connaissance des faits. Le plaignant a présenté une opposition à TPSGC le 4 août 2017, et a reçu le refus de réparation de TPSGC le même jour. Le décompte du délai de 10 jours ouvrables a donc débuté le 4 août et s’est terminé le lundi 21 août 2017. Le plaignant n’a pas déposé sa plainte en bonne et due forme avant le 31 août 2017, 10 jours après l’expiration de la date limite aux termes du Règlement.
  6. Le plaignant soutient n’avoir pris connaissance du Tribunal comme recours pour entendre sa plainte que lorsqu’il a assisté à une réunion d’information du BOA le 21 août 2017.
  7. Aux termes du paragraphe 6(3) du Règlement, le délai de dépôt d’une plainte peut être prolongé à 30 jours « en raison de circonstances indépendantes de la volonté du fournisseur » ou si elle « porte sur l’un des aspects de nature systémique du processus des marchés publics ayant trait à un contrat spécifique et sur la conformité à l’un ou à plusieurs » des accords commerciaux. La plainte n’expose aucun motif pour appliquer l’une ou l’autre de ces exceptions pour déroger à la date limite des 10 jours ouvrables pour le dépôt d’une plainte.
  8. Ne pas être au courant de l’existence du Tribunal ou des règlements, des règles ou des procédures qui régissent les plaintes qu’il entend ne constitue pas des « circonstances indépendantes de la volonté du fournisseur »[5]. En outre, le Tribunal ne conclut pas en l’espèce que le dépôt d’une plainte auprès du BOA plutôt qu’auprès du Tribunal est le résultat de circonstances indépendantes de la volonté du plaignant. Le plaignant admet qu’à compter du 21 août 2017 (la date limite pour le dépôt d’une plainte auprès du Tribunal), il était au courant de l’existence du Tribunal. Au lieu de s’adresser au Tribunal, il a déposé une plainte auprès du BOA. Il a même demandé au BOA à ce moment-là de faire suivre sa plainte au Tribunal et n’a pris aucune autre mesure quand le BOA a refusé de le faire.
  9. Le Tribunal conclut également que la condition selon laquelle les fournisseurs potentiels devaient déjà détenir une cote de sécurité pour satisfaire au préavis d’adjudication émis au nom du ministère de la Défense nationale ne porte pas sur « l’un des aspects de nature systémique du processus des marchés publics ayant trait à [...] la conformité à l’un ou à plusieurs » des accords commerciaux, en l’espèce, selon les termes du préavis d’adjudication, l’Accord nord-américain de libre-échange[6] et l’Accord sur les marchés publics de l’Organisation mondiale du commerce[7]. Les dates limites à respecter dans le cadre d’un appel d’offres aux termes de l’article 1012 de l’ALÉNA et de l’article XI de l’AMP ne s’appliquent pas aux appels d’offres limités comme un préavis d’adjudication[8]. En outre, il n’y a aucune preuve dans la présente plainte que les dispositions ayant trait aux appels d’offres limités des accords commerciaux aient été utilisées de façon inacceptable en l’espèce « dans le but d’éviter la concurrence entre les fournisseurs ou d’une manière qui établit une discrimination à l’égard des fournisseurs »[9]. Dans le contexte d’un appel d’offres qui nécessite une cote de sécurité pour pouvoir en prendre connaissance, deux options s’offrent à l’institution fédérale : demander à ce que tous les fournisseurs potentiels détiennent déjà une cote de sécurité ou fixer une date limite suffisamment longue pour permettre aux fournisseurs potentiels d’en obtenir une. Cela constitue un choix de politique qui ne relève pas des accords commerciaux. En l’espèce, il n’existe aucune preuve convaincante que TPSGC a utilisé de façon inacceptable et de mauvaise foi une exigence en matière de cote de sécurité en vue d’éviter la concurrence entre les fournisseurs.
  10. Pour les motifs indiqués ci-dessus, le Tribunal considère que la plainte n’a pas été déposée dans les délais stipulés dans le Règlement.
  11. Le Tribunal reconnaît la contrainte que le délai de 10 jours ouvrables impose aux soumissionnaires – particulièrement en ce qui concerne les novices ou les petites entreprises – mais cette date limite est prescrite par le Règlement et le pouvoir du Tribunal aux termes du paragraphe 6(3) de prolonger le délai à 30 jours est limité et de nature exceptionnelle, car le respect des délais est essentiel dans les procédures de marché public, ce qui comprend les délais pour déposer et engager une plainte auprès du Tribunal[10]. Le Tribunal ne peut que réitérer son invitation maintes fois formulée[11] à TPSGC et à d’autres institutions fédérales d’inclure systématiquement et bien en évidence dans tous les appels d’offres affichés sur le site Web d’appels d’offres du gouvernement les recours au Tribunal qui s’offrent aux soumissionnaires.

DÉCISION

  1. Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal décide de ne pas enquêter sur la plainte.
 

[1].     L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.) [Loi sur le TCCE].

[2].     D.O.R.S./93-602 [Règlement].

[3].     Article 96, Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur, D.O.R.S./91-499.

[4].     Article 7 du Règlement.

[5].     Educom Training Systems Inc. (3 mai 2000), PR-99-037 (TCCE) (au sujet du retard du Tribunal de communiquer au plaignant que sa plainte comportait des lacunes comme étant des circonstances indépendantes de la volonté du fournisseur).

[6].     Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, 17 décembre 1992, R.T.C. 1994, no 2, en ligne : Affaires mondiales Canada <http://international.gc.ca/trade-commerce/trade-agreements-accords-comme... (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ALÉNA].

[7].     Accord révisé sur les marchés publics, en ligne : Organisation mondiale du commerce <http://www.wto.org/‌french/docs_f/legal_f/rev-gpr-94_01_f.htm> (entré en vigueur le 6 avril 2014) [AMP].

[8].     Voir l’article 1016(1) de l’ALÉNA (excluant l’application, entre autres, de l’article 1012) et l’article XIII de l’AMP (excluant l’application, entre autres, de l’article XI).

[9].     Voir l’article XIII de l’AMP et les termes de l’article 1016 de l’ALÉNA.

[10].   Voir, par exemple, Teledyne Webb Research, une entité commerciale de Teledyne Benthos, Inc. (20 octobre 2011), PR-2011-038 (TCCE) au par. 17; The Corporate Research Group Ltd., faisant affaire sous le nom de CRG Consulting (26 janvier 2010), PR-2009-075 (TCCE) au par. 24; IBM Canada Ltd. c. Hewlett Packard (Canada) Ltd., 2002 CAF 284 (CanLII).

[11].   Voir, par exemple, Traductions TRD c. Ministère de la Diversification de l’économie de l’Ouest canadien (7 juillet 2014), PR-2014-004 (TCCE) aux par. 51-53; M.L. Wilson Management c. Agence Parcs Canada (6 juin 2013), PR-2012-047 (TCCE) au par. 63; ADR Education (16 juillet 2013), PR-2013-009 (TCCE) au par. 34; R.H. MacFarlands (1996) Ltd. (20 décembre 2013), PR-2013-029 (TCCE) au par. 31; Alcohol Countermeasure Systems Corp. c. Gendarmerie royale du Canada (24 avril 2014), PR-2013-041 (TCCE) au par. 55; GESFORM International (26 mai 2014), PR-2014-012 (TCCE).