YEVA VISION

YEVA VISION
Dossier no PR-2017-028

Décision prise
le mercredi 18 octobre 2017

Décision rendue
le vendredi 20 octobre 2017

Motifs rendus
le mardi 31 octobre 2017

TABLE DES MATIÈRES

 

EU ÉGARD À une plainte déposée aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.).

PAR

YEVA VISION

CONTRE

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur décide de ne pas enquêter sur la plainte.

Daniel Petit
Daniel Petit
Membre présidant

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.

EXPOSÉ DES MOTIFS

  1. En vertu du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur[1], tout fournisseur potentiel peut, sous réserve du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics[2], déposer une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique et lui demander d’enquêter sur cette plainte. En vertu du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, après avoir jugé la plainte conforme au paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et sous réserve du Règlement, le Tribunal détermine s’il y a lieu d’enquêter.
  2. Le 12 octobre 2017[3], Yeva Vision a déposé cette plainte concernant une demande d’offre à commandes (DOC) (invitation no W8484-15P2PE/C) émise par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC)[4], au nom du ministère de la Défense nationale (MDN), pour la fourniture de lunettes de protection balistique.
  3. Yeva Vision allègue que TPSGC a évalué sa proposition financière incorrectement. Yeva Vision met également en doute l’utilité de l’émission de la DOC et de l’annulation d’un processus de demande d’offre à commandes précédent (invitation no W8484-15P2PE/B, ci-après « la DOC précédente ») que la DOC en l’espèce a remplacé. À titre de mesure corrective, Yeva Vision demande que l’évaluation des propositions soit reprise, que la DOC soit annulée et qu’une nouvelle demande d’offre à commandes plus claire soit publiée.
  4. Ayant examiné la plainte, le Tribunal a décidé de ne pas enquêter pour les motifs qui suivent.
  5. De prime abord, le Tribunal note que, dans la mesure où une partie de la plainte de Yeva Vision semble contester l’annulation de la DOC précédente, cet aspect a déjà fait l’objet d’une décision du Tribunal dans le dossier no PR-2017-007[5], dans laquelle le Tribunal a décidé de ne pas enquêter sur la plainte. Or, Yeva Vision ne peut remettre en question par le biais de cette nouvelle plainte ce qui a été déjà décidé[6].   
  6. En ce qui concerne la plainte de Yeva Vision concernant l’évaluation de sa proposition financière en réponse à la DOC, le Tribunal rappelle qu’une enquête sur une plainte d’un fournisseur potentiel ne peut être lancée que si certaines conditions sont remplies[7]. Une de ces conditions exige que les renseignements fournis par le plaignant et les autres renseignements examinés par le Tribunal relativement à la plainte démontrent, dans une mesure raisonnable, que la procédure de passation du marché public n’a pas été suivie conformément aux accords commerciaux applicables. En l’occurrence, la plainte de Yeva Vision ne remplit pas cette condition.
  7. Les accords commerciaux exigent des institutions fédérales qu’elles énoncent clairement les critères d’évaluation des propositions dans un marché public et qu’elles évaluent les propositions en conformité avec les critères énoncés[8]. Il est bien établi qu’une entité acheteuse satisfera à ces obligations lorsqu’elle procédera à une évaluation raisonnable. Par conséquent, le Tribunal ne substitue généralement pas son jugement à celui des évaluateurs, à moins que ces derniers ne se soient pas appliqués à évaluer une proposition, qu’ils aient donné une interprétation erronée de la portée d’une exigence, qu’ils n’aient pas tenu compte de renseignements d’importance cruciale contenus dans une proposition, qu’ils aient fondé leur évaluation sur des critères non divulgués ou bien qu’ils n’aient pas procédé à une évaluation équitable au plan de la procédure[9].
  8. La DOC, que Yeva Vision a reçue le 31 mars 2017, cherchait à établir une offre à commandes pour l’achat de verres de protection balistique d’ordonnance[10]. Plus précisément, la tâche du fournisseur retenu serait de fournir des verres d’ordonnance, insérés dans des montures fournies par le gouvernement du Canada[11].
  9. La méthode d’évaluation des propositions financières était décrite à l’annexe C de la DOC. L’annexe C comptait deux tableaux qui devaient être remplis par les soumissionnaires. Le tableau 1 était intitulé « Verres unifocaux balistiques en polycarbonate » [traduction]. Il détaillait ensuite chacune des années de la durée anticipée de l’offre à commandes et demandait aux soumissionnaires d’inscrire un prix unitaire ferme (« firm unit price ») pour chacune de ces années. Le tableau 2, intitulé « Verres bifocaux balistiques en polycarbonate » [traduction], demandait similairement aux soumissionnaires de fournir un prix unitaire ferme pour ce deuxième type de verres pour chacune des années de l’offre à commandes. 
  10. L’annexe C comprenait également le tableau 3, qui serait rempli par les évaluateurs. Essentiellement, les évaluateurs devaient prendre les prix unitaires fermes fournis aux tableaux 1 et 2 par les soumissionnaires pour chaque année et pour chacun des deux types de verres et les multiplier par une quantité annuelle indiquée au tableau 3. Les quantités annuelles n’étaient fournies que pour les fins de l’évaluation. Les évaluateurs devaient additionner les sous-totaux ainsi obtenus pour arriver à un prix global pour fins d’évaluation.  
  11. Le 5 avril 2017, Yeva Vision a présenté une proposition financière en réponse à la DOC. Dans les tableaux 1 et 2, Yeva Vision a inscrit des prix fermes de 15 $ l’unité. Toutefois, ceux-ci étaient accompagnés de la note suivante apparaissant à plusieurs endroits dans la proposition : « À noter : tous nos prix sont ceux pour CHAQUE verre unique, en $ CA » [traduction].
  12. Le 11 mai 2017, durant l’évaluation, TPSGC a posé à Yeva Vision une question de « clarification » de son offre. Le courriel pertinent indique ce qui suit : 

[...] Tel qu’énoncé dans la DOC aux tableaux 1 et 2 de l’annexe C, l’exigence porte sur des verres et l’unité de mesure est une paire de verres insérés dans une monture. Dans votre proposition financière, le Canada a remarqué que vous avez inscrit ce qui suit : « À noter : tous nos prix sont ceux pour CHAQUE verre unique, en $ CA ». Le Canada doit ainsi obtenir certaines clarifications de votre part :

Veuillez confirmer si le prix unitaire ferme inscrit dans votre proposition financière est pour un verre seulement ou pour une paire de verres insérés dans une monture. Si le prix proposé est pour un verre seulement, veuillez confirmer que le prix unitaire total par paire de verres insérés dans une monture est de 15 $ multiplié par 2, pour un total de 30 $ par monture. [...] 

[Traduction]

  1. Le même jour, Yeva Vision a répondu à la question de TPSGC, contestant l’interprétation adoptée par TPSGC selon laquelle les prix fermes concernaient une unité consistant en une paire de verres insérés dans une monture. De plus, elle a répondu ainsi à la question de TPSGC concernant son prix proposé :

[...] 2. Vous trouverez ici notre réponse à votre question :

1. Le prix de notre proposition au tableau 1 est de 15 $ par verre unifocal balistique en polycarbonate 602100

2. Le prix de notre proposition au tableau 1 est de 15 $ par verre bifocal balistique en polycarbonate 602099

Tel que souligné dans le formulaire intitule PRÉ-AUTORISATION SOINS DE LA VUE (YEUX) – VERRES BALISTIQUES, si la demande vise la fourniture d’un verre seulement, le prix sera de 15 $, alors que si nous devons fournir 2 verres, le prix sera de 30 $.

[Traduction]

  1. Le 5 octobre 2017, Yeva Vision a été avisée que son prix global était supérieur à celui du soumissionnaire gagnant. À la suite d’une opposition présentée par Yeva Vision, TPSGC lui a refusé réparation, expliquant de façon détaillée comment il avait calculé le prix global de sa proposition. Notamment, TPSGC a confirmé qu’il a utilisé un prix de 30 $ l’unité, en conformité avec la correspondance entre les parties du 11 mai 2017. 
  2. Devant le Tribunal, Yeva Vision affirme qu’elle a présenté un prix ferme de 15 $ l’unité. Elle conteste le fait que TPSGC a doublé son prix par unité.
  3. Il appert de l’information au dossier que TPSGC a interprété la DOC comme requérant des prix par paire de verres, c’est-à-dire par monture, alors que Yeva Vision a interprété la DOC comme requérant des prix par verre unique.
  4. Le Tribunal fait remarquer que les tableaux de l’annexe C portent sur des verres (« lenses »), au pluriel. De plus, tel qu’indiqué plus haut, il était clair dans la DOC que le gouvernement du Canada recherchait un fournisseur qui allait, sur commande, équiper des montures fournies par le gouvernement de verres avec la prescription requise. Il va sans dire qu’une monture comporte deux verres.  
  5. Dans ce contexte, rien au dossier n’indique, dans une mesure raisonnable, que l’interprétation adoptée par TPSGC, selon laquelle « [...] l’exigence porte sur des verres et l’unité de mesure est une paire de verres insérés dans une monture », était erronée.  
  6. À cet égard, Yeva Vision renvoie dans sa plainte au fait que la DOC ne contenait pas une note qui faisait partie de la documentation de la DOC précédente que la DOC en question a remplacée. Dans la DOC précédente, la note à laquelle fait référence Yeva Vision précisait que « [l]es prix proposés comprennent une paire de vers [sic] et tous les coûts liés à l’ajustement des verres dans la monture fournie par le militaire.[12] »
  7. En ce qui a trait aux exigences d’un appel d’offres, elles doivent être interprétées selon les termes propres à l’appel d’offres en question, et non à la lumière des exigences qui apparaissaient dans d’autres procédures de passation de marchés publics[13]. De plus, le Tribunal est d’avis que Yeva Vision a vraisemblablement dû remarquer que la DOC en cause ne contenait pas la note en question à la lecture de la DOC. Or, dans la mesure où l’absence de cette note a pu causer une incertitude à Yeva Vision quant à l’unité de mesure pour laquelle un prix devait être fourni dans le contexte de la DOC, il lui incombait de clarifier auprès de TPSGC cette potentielle incertitude, et le moment approprié pour ce faire était avant la présentation de sa proposition. En effet, les fournisseurs potentiels sont responsables de s’assurer que leurs soumissions répondent adéquatement aux critères d’évaluation énoncés dans l’appel d’offres, ce qui comprend nécessairement l’obligation de s’assurer de bien comprendre les exigences de l’appel d’offres et de demander les éclaircissements nécessaires en temps voulu[14]. En l’espèce, plutôt que de demander des éclaircissements, Yeva Vision a choisi de déposer une offre dans laquelle elle a stipulé que le prix unitaire proposé était pour un verre unique.
  8. De plus, fondamentalement, le Tribunal ne trouve dans les renseignements au dossier aucune indication raisonnable que TPSGC a mal compris ou incorrectement évalué la proposition financière de Yeva Vision. Au contraire, TPSGC a lu les termes de la proposition de Yeva Vision, y compris la note indiquant que ses prix unitaires étaient pour un seul verre. De plus, étant d’avis que la DOC demandait plutôt des prix unitaires par paire de verres insérés dans une monture, TPSGC a demandé à Yeva Vision de confirmer si son prix pour deux verres était bien le double du prix pour un verre. Yeva Vision a expressément confirmé l’exactitude de ce calcul en affirmant ce qui suit : « [...] si la demande vise la fourniture d’un verre seulement, le prix sera de 15 $, alors que si nous devons fournir 2 verres, le prix sera de 30 $ ».  
  9. Le Tribunal estime donc que l’allégation de Yeva Vision selon laquelle TPSGC a « changé les prix présentés par nous en réalité »[15] est sans fondement. TPSGC a utilisé le prix proposé par Yeva Vision par verre et l’a appliqué à l’unité de mesure et aux quantités requises dans la DOC. Procédant ainsi, TPSGC a évalué exactement le prix proposé « en réalité » par Yeva Vision par rapport à ce qui était décrit dans la DOC. Enfin, aucun élément de preuve devant le Tribunal n’indique que la proposition de Yeva Vision aurait été évaluée sur une base différente de celle utilisée pour évaluer les autres propositions.  
  10. Pour ces motifs, le Tribunal conclut que les renseignements au dossier ne démontrent pas, dans une mesure raisonnable, que la procédure de passation du marché public suivie en l’espèce a violé les exigences des accords commerciaux. 

DÉCISION

  1. Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal décide de ne pas enquêter sur la plainte.
 

[1].     L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.) [Loi sur le TCCE].

[2].     D.O.R.S./93-602 [Règlement].

[3].     Le Tribunal a reçu des documents de Yeva Vision les 10, 11 et 12 octobre 2017. Conformément au paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et à l’alinéa 96(1)(b) des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur, D.O.R.S./91-499, le Tribunal a considéré que la plainte a été déposée le 12 octobre 2017.

[4].     Le 4 novembre 2015, le gouvernement du Canada a annoncé que le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux changerait de nom pour devenir Services publics et Approvisionnement Canada.

[5].     Le Tribunal a déterminé dans le dossier no PR-2017-007 que Yeva Vision n’avait pas déposé sa plainte sur l’allégué caractère injustifié de l’annulation de l’invitation en question dans les 10 jours ouvrables suivant le moment où TPSGC lui a refusé réparation à la suite de l’opposition que Yeva Vision lui avait présentée à cet égard. Par conséquent, sa plainte était tardive à l’égard des exigences en matière de délais prescrites à l’article 6 du Règlement.

[6].     TPG Technology Consulting Ltd. (5 décembre 2016), PR-2016-045 (TCCE) au par. 12; TA Instruments (23 septembre 2011), PR-2011-029 (TCCE) au par. 8.

[7].     Articles 6 et 7 du Règlement.

[8].     Voir par exemple les alinéas 1015(4)a) et d) de l’Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, 17 décembre 1992, R.T.C. 1994, no 2, en ligne : Affaires mondiales Canada <http://international.gc.ca/‌trade-commerce/‌trade-agreements-accords-commerciaux/‌agr-acc/nafta-alena/fta-ale/index.aspx?lang=fra> (entré en vigueur le 1er janvier 1994); et le paragraphe 506(6) de l’Accord sur le commerce intérieur, 18 juillet 1994, Gaz. C. 1995.I.1323, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <http://www.ait-aci.ca/‌agreement-on-internal-trade/?lang=fr>.

[9].     MTS Allstream Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (3 février 2009), PR‑2008‑033 (TCCE) au par. 26.

[10].   La DOC décrivait les verres recherchés comme suit à la page 3 : « verres d’ordonnance pour montures de lunettes balistiques pour des membres des [Forces armées canadiennes] qui doivent porter des lunettes d’ordonnance » [traduction].

[11].   DOC, paragraphe 1.2.1. Voir aussi l’annexe A de la DOC à la page 20 : « Le fournisseur fournira aux membres des FAC des verres en polycarbonate résistants aux rayures qui seront insérés dans une monture fournie par le ministère de la Défense nationale (MDN), monture qui sera utilisée dans des lunettes balistiques. Le fournisseur utilisera un logiciel, également fourni par le MDN, afin d’ajuster des verres courants selon une prescription donnée pour des lunettes balistiques. [...] Les produits complets, soit les verres ajustés insérés dans les montures, seront ensuite renvoyés au Centre des services de santé des Forces armées canadiennes qui en a fait la demande [...] » [traduction]. Voir aussi la page 21 sous « Produits à livrer » [traduction] : « Le fournisseur doit : [...] livrer les montures serties de verres en polycarbonate au Centre des services de santé des Forces armées canadiennes qui en a fait la demande [...] » [traduction].

[12].   DOC précédente à la p. 26.

[13].   Voir, par exemple, CGI Information Systems and Management Consultants Inc. c. Société canadienne des postes et Innovaposte Inc. (9 octobre 2014), PR-2014-015 et PR-2014-020 (TCCE) au par. 124.

[14].   CGI Information Systems and Management Consultants Inc. c. Société canadienne des postes et Innovaposte Inc. (27 août 2014), PR-2014-006 (TCCE) au par. 76. Voir aussi l’arrêt IBM Canada Ltd. c. Hewlett Packard (Canada) Ltd., 2002 CAF 284 (CanLII) aux par. 18-21 dans lequel la Cour d’appel fédérale a indiqué ce qui suit : « Les fournisseurs potentiels ne doivent donc pas attendre l’attribution d’un contrat avant de déposer toute plainte qu’ils pourraient avoir concernant la procédure. [...] Le Tribunal a précisé clairement, dans le passé, que les plaintes fondées sur l’interprétation des termes d’une DP devaient avoir été présentées dans les dix jours suivant le moment où l’ambiguïté ou le manque de clarté qu’on allègue était devenu ou aurait dû normalement devenir apparent. »

[15].   Lettre de plainte de Yeva Vision au Tribunal datée du 10 octobre 2017.