EIGHT BELLS CONSULTING SERVICES INC.

EIGHT BELLS CONSULTING SERVICES INC.
c.
MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX
Dossier no PR-2017-034

Décision et motifs rendus
le jeudi 8 février 2018

TABLE DES MATIÈRES

 

EU ÉGARD À une plainte déposée par Eight Bells Consulting Services Inc. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.);

ET À LA SUITE D’une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

ENTRE

EIGHT BELLS CONSULTING SERVICES INC. - Partie plaignante

ET

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX - Institution fédérale

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte n’est pas fondée.

Ann Penner -
Ann Penner
Membre présidant

Membre du Tribunal : - Ann Penner, membre présidant

Personnel de soutien : - Elysia Van Zeyl, conseillère juridique

Kalyn Eadie, conseillère juridique

Partie plaignante : - Eight Bells Consulting Services Inc.

Institution fédérale : - Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

Conseillers juridiques pour l’institution fédérale : - Susan Clarke

Ian McLeod

Roy Chamoun

Kathryn Hamill

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 

EXPOSÉ DES MOTIFS

  1. Le 2 novembre 2017, Eight Bells Consulting Services Inc. (EBCSI) a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) en vertu du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur[1]. La plainte concerne une demande de propositions (invitation nEP737‑181537/A) (ci-après la « DP PCSA-P ») publiée par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) pour des services de surveillance de l’équité dans le cadre du Projet de communications par satellite améliorées – polar du ministère de la Défense nationale (MDN).
  2. Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que la plainte n’est pas fondée.

CONTEXTE DE LA PLAINTE

  1. La plainte est liée à un processus d’appel d’offres distinct, que TPSGC a lancé au début de l’année 2017, c’est-à-dire la demande d’offre à commandes no EP737-150967/B (ci-après la « DOC‑AMA »). Ce processus, qui s’est terminé en mars 2017, a servi à constituer un bassin de huit fournisseurs qui seraient invités à soumissionner dans le cadre de la DP PCSA-P. EBCSI n’a pas participé à ce processus et, par conséquent, n’a pas été invitée à présenter sa soumission dans le cadre de la DP en cause dans la présente plainte.
  2. Le 16 octobre 2017, TPSGC a publié un avis de projet de marchés (APM) pour annoncer son intention de donner suite à la DP PCSA-P. Dans l’APM, il était indiqué que le soumissionnaire retenu obtiendrait le contrat visant à fournir des services de surveillance de l’équité pour une période de six ans; toutefois, le niveau d’effort exigé pendant toute la durée du contrat était estimé à 43 jours de travail au total. La période de soumission de l’APM a pris fin le 31 octobre 2017.
  3. Bien que l’APM fût disponible au public, la DP PCSA-P, qui comportait les exigences techniques, ne l’était pas. Après avoir pris connaissance de l’APM, EBCSI a demandé à TPSGC de lui fournir un exemplaire de la DP PCSA-P le 26 octobre 2017, afin qu’elle puisse examiner les exigences techniques qui y figuraient. TPSGC a refusé d’accéder à la demande d’EBCSI, indiquant que le processus de la DP PCSA‑P n’était ouvert qu’aux huit fournisseurs titulaires d’arrangements en matière d’approvisionnement présélectionnés. EBCSI a subséquemment réitéré sa demande. Le 27 octobre 2017, TPSGC a refusé d’y accéder encore une fois, informant EBCSI qu’il ne restait pas suffisamment de temps pour terminer la procédure de qualification et lui suggérant d’attendre la prochaine période de qualification qui devait commencer à la fin de l’automne 2018.
  4. EBCSI a déposé sa plainte auprès du Tribunal le 2 novembre 2017. Le Tribunal a accepté d’enquêter sur la plainte le 9 novembre 2017, puisqu’elle satisfaisait aux exigences du paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et aux conditions énoncées au paragraphe 7(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics[2].
  5. EBCSI a également demandé au Tribunal d’ordonner que l’adjudication du contrat soit reportée jusqu’à ce qu’il se prononce sur le bien-fondé de la plainte. Par conséquent, le 9 novembre 2017, le Tribunal a ordonné que l’adjudication du contrat soit reportée. Le 20 novembre 2017, le Tribunal a reçu une lettre de TPSGC dans laquelle il demandait l’annulation de l’ordonnance. Il indiquait que la DP PCSA-P était urgente et qu’un retard dans l’adjudication du contrat serait contraire à l’intérêt public. Par conséquent, le Tribunal a annulé son ordonnance le 21 novembre 2017.

RÉSUMÉ DE LA PLAINTE

  1. La plainte d’EBCSI repose sur sa demande en vue d’avoir accès à la DP PCSA-P et, en particulier, aux exigences techniques qui y figurent. Sur le fondement des refus de TPSGC, EBCSI fait valoir qu’on lui a dénié la possibilité de déterminer quel était son intérêt à participer à l’appel d’offres[3].
  2. Par conséquent, EBCSI indique que TPSGC a contrevenu aux clauses suivantes de l’Accord de libre-échange nord-américain[4] : 1008(2)b), 1009(2)a) et f), 1010(4) et 1011(3). Elle affirme également que TPSGC a contrevenu aux modalités de l’Accord sur le commerce intérieur ou de l’Accord de libre-échange canadien[5].
  3. À titre de mesure corrective, EBCSI demande qu’on lui donne accès à la DP PCSA-P. Elle demande également que TPSGC cesse sa pratique de limiter l’accès aux documents d’invitation à soumissionner en application de procédures d’appel d’offres sélectives dans des circonstances où les accords commerciaux s’appliquent à la procédure de passation de marchés publics dans son ensemble.

ANALYSE

  1. Le paragraphe 30.14(1) de la Loi sur le TCCE exige que, dans son enquête, le Tribunal limite son étude à l’objet de la plainte. De plus, à la conclusion de l’enquête, le Tribunal doit déterminer la validité de la plainte en fonction des critères et procédures établis par règlement pour le contrat spécifique ou la catégorie dont il fait partie.
  2. Dans sa plainte et également dans ses observations sur le rapport de l’institution fédérale (RIF), EBCSI a contesté l’utilisation par TPSGC de procédures d’appel d’offres sélectives, même si ce motif de plainte n’a pas été accepté à des fins d’enquête. Le libellé clair de la DOC-AMA, publiée en décembre 2016, révélait que TPSGC utiliserait une procédure d’appel d’offres sélective puisque la DOC-AMA permettrait de sélectionner un nombre limité de fournisseurs qui seraient invités à soumissionner dans le cadre de la DP PCSA-P. Par conséquent, comme EBCSI ne l’a pas soulevé auprès du Tribunal avant novembre 2017, ce motif de plainte est forclos.
  3. Par conséquent, le Tribunal concentrera son analyse uniquement sur le motif de plainte d’EBCSI qui a été retenu aux fins de l’enquête, c’est-à-dire le refus de TPSGC de fournir un exemplaire de la DP PCSA-P, ce qui, selon EBCSI, lui a dénié la possibilité de déterminer quel était son intérêt à participer à la DP PCSA-P[6].

Le refus de TPSGC de fournir la DP PCSA-P équivaut-il à un manquement à l’ALÉNA?

  1. La présente plainte porte principalement sur l’accès, et plus particulièrement sur la capacité d’un fournisseur potentiel d’avoir accès aux documents d’invitation à soumissionner pour décider s’il pourrait être intéressé à présenter une soumission à une date ultérieure. Tel qu’indiqué précédemment, EBCSI a simplement demandé à TPSGC de lui remettre la DP PCSA-P, qui énonce les exigences techniques de l’invitation et qui n’avait pas été rendue publique. Le seul document public disponible était l’APM, qui a semblé suffisant pour piquer la curiosité d’EBCSI puisqu’il indiquait que la DP PCSA-P était « ouverte aux fournisseurs figurant sur une liste permanente ou répondant aux exigences de qualification »[7] [traduction].
  2. En examinant la demande d’EBCSI en vue d’avoir accès à la DP PCSA-P, il se révèle que TPSGC a présumé qu’EBCSI désirait se qualifier au titre de la DOC-AMA ou présenter une soumission dans le cadre de la DP PCSA-P. De même, dans le RIF, TPSGC a présumé à tort qu’EBCSI avait indiqué qu’elle aurait dû être autorisée à soumissionner dans le cadre de la DP PCSA-P.
  3. Toutefois, sur la foi de la preuve dont il dispose, le Tribunal estime qu’une telle présomption est incorrecte. Dans toutes ses observations au Tribunal et ses communications avec TPSGC, EBCSI a toujours affirmé qu’elle voulait simplement avoir accès aux documents techniques afin de décider par elle-même si elle aurait un intérêt à soumissionner à une période ultérieure. Elle n’a jamais cherché à se qualifier et n’a jamais contesté le fait que TPSGC n’avait pas engagé la procédure de sélection rapidement, comme semblent l’exiger les alinéas 1009(2)g) et h) de l’ALÉNA. De plus, en aucun cas EBCSI n’a indiqué qu’elle aurait dû avoir l’autorisation de soumissionner dans le cadre de la DP PCSA-P en l’absence d’une procédure de sélection aux termes de la DOC-AMA.
  4. TPSGC fait également valoir que des fournisseurs qualifiés, dont EBCSI ne faisait pas partie, ont présenté à bon droit leur soumission dans le cadre de l’APM. Il s’est justifié de vouloir agir rapidement au motif que la DP PCSA-P était un besoin opérationnel légitime. Il a indiqué que le projet PCSA-P était primordial pour pallier les lacunes dans le contexte des communications satellites dans les régions du Nord et de l’Arctique et essentiel pour donner suite à l’engagement du ministre de la Défense nationale envers le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord, comme il est indiqué dans la lettre de mandat de 2015 du premier ministre.
  5. Le Tribunal ne dispose d’aucun élément de preuve pour mettre en question l’une ou l’autre de ces affirmations. Quoi qu’il en soit, le Tribunal estime qu’elles ne tiennent pas compte de la plainte et de la demande d’accès d’EBCSI. Là encore, TPSGC a présumé à tort qu’en demandant l’accès à la DP PCSA-P, EBCSI présentait une demande de qualification et s’attendait à pouvoir soumissionner dans le cadre de l’invitation elle-même. Selon le Tribunal, TPSGC n’a pas réussi à démontrer l’existence d’un lien raisonnable entre la fourniture de la DP PCSA-P et sa capacité (ou incapacité) à réaliser ses objectifs ministériels. Autrement dit, le Tribunal ne voit pas comment la communication d’un document aurait pu retarder ou entraver le projet. Qui plus est, le Tribunal n’accepte pas qu’agir rapidement pour réaliser un projet, à un certain rythme, constitue nécessairement une exigence opérationnelle légitime simplement parce que ce projet figure en des termes vagues dans une lettre de mandat. Si c’était le cas, à peu près n’importe quoi découlant du mandat du ministère pourrait être qualifié d’exigence opérationnelle légitime.
  6. Malgré la nature anecdotique des arguments de TPSGC, le Tribunal est d’avis que la plainte d’EBCSI doit néanmoins être jugée infondée, puisque la conduite de TPSGC telle qu’elle est formulée dans la plainte n’équivaut pas à un manquement à une obligation précise de l’ALÉNA.
  7. Le paragraphe 1010(2) de l’ALÉNA exige que les entités publient « un énoncé des conditions de caractère économique ou technique à remplir, ainsi que des garanties financières, renseignements et documents exigés des fournisseurs » [nos italiques] dans un APM. Les exigences techniques de la DP PCSA-P ne figuraient pas dans l’APM. En fait, elles figuraient dans des documents distincts auxquels seuls les titulaires d’arrangements en matière d’approvisionnement avaient accès. Manifestement, ce défaut de publier les exigences techniques a nui à la capacité d’EBCSI d’évaluer si elle voulait participer à l’invitation, ce qui l’a incitée initialement à présenter sa demande en vue d’avoir accès à la DP.
  8. Quoi qu’il en soit, le défaut de publier les exigences techniques ne figurait pas parmi les motifs de plainte, et EBCSI n’a pas non plus indiqué que cette disposition de l’ALÉNA avait vraisemblablement été violée par les agissements de TPSGC. Bien que le Tribunal s’efforce de maintenir une certaine souplesse, particulièrement pour faciliter l’accès à la justice lorsque les plaignants ne sont pas représentés, il ne peut reformuler la plainte d’EBCSI.
  9. Il ne fait aucun doute qu’il aurait été préférable pour TPSGC de donner à EBCSI accès à la DP PCSA-P et aux exigences techniques qui y figuraient, particulièrement compte tenu des principes de transparence, d’équité, d’efficacité et d’intégrité qui sous-tendent le régime de marchés publics du gouvernement canadien; toutefois, le Tribunal ne peut le tenir responsable pour ne pas l’avoir fait.
  10. Toutefois, si EBCSI avait allégué qu’on lui avait interdit de se qualifier à titre de fournisseur, le Tribunal doit souligner que les agissements de TPSGC auraient pu être jugés comme contraires aux accords commerciaux. L’alinéa 1009(2)g) de l’ALÉNA exige que lorsqu’une entité tient des listes permanentes de fournisseurs qualifiés, elle doit s’assurer que les fournisseurs puissent demander leur qualification « à tout moment » [nos italiques]. Il est légitime de se demander si obliger les fournisseurs potentiels à attendre une année complète (c’est-à-dire jusqu’à l’automne 2018) pour la prochaine procédure de qualification relativement à la DOC-AMA serait conforme à cette obligation. En effet, le Tribunal souligne que TPSGC a invité EBCSI à prendre part à une « procédure de mise à jour [c’est-à-dire de qualification] prochaine » [traduction] dans le RIF, ce qui pourrait donner à penser que TPSGC reconnaît que sa procédure n’était pas conforme à ses obligations[8].

FRAIS

  1. Le Tribunal accorde généralement les frais à la partie qui a gain de cause conformément à la Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure de plainte portant sur un marché public du Tribunal. En l’espèce, toutefois, le Tribunal n’accordera pas à TPSGC ses frais engagés pour répondre à la plainte. Cette décision est conforme au pouvoir discrétionnaire dont jouit le Tribunal à titre de cour d’archives et maître de sa propre procédure lorsqu’il décide d’accorder ou non des frais.
  2. C’est le refus injustifié de TPSGC de donner accès à la DP PCSA-P qui a mené EBCSI à déposer une plainte. Si TPSGC lui avait simplement fourni la DP, ce qu’il aurait pu faire aisément et n’avait aucune raison de ne pas faire, la présente enquête aurait pu être évitée.
  3. Pour ces motifs, aucuns frais ne seront accordés, malgré le fait que la plainte d’EBCSI n’est pas fondée.

DÉCISION DU TRIBUNAL

  1. Le Tribunal détermine que la plainte n’est pas fondée. Pour les motifs énoncés précédemment, plus particulièrement pour le motif que la présente plainte aurait pu être évitée si TPSGC avait été disposé à communiquer les documents demandés, le Tribunal n’accordera pas de frais à TPSGC.
 

[1].     L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.) [Loi sur le TCCE].

[2].     D.O.R.S./93-602 [Règlement].

[3].     EBCSI s’est également plainte des pratiques de passation de marchés publics de TPSGC en général (c’est-à-dire de ses pratiques consistant à utiliser des procédures d’appel d’offres sélectives); toutefois, ce motif de plainte n’a pas été accepté à des fins d’enquête.

[4].     Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, 17 décembre 1992, R.T.C. 1994, no 2, en ligne : Affaires mondiales Canada <http://international.gc.ca/‌trade-commerce/‌trade-agreements-accords-commerciaux/‌agr-acc/nafta-alena/fta-ale/index.aspx?lang=fra> (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ALÉNA].

[5].     18 juillet 1994, Gaz. C. 1995.I.1323, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <http://www.ait-aci.ca/‌agreement-on-internal-trade/?lang=fr> [ACI]. Accord de libre-échange canadien, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <https://www.cfta-alec.ca/wp-content/uploads/2017/06/CFTA-Consolidated-Te... (entré en vigueur le 1er juillet 2017) [ALÉC]. Le Tribunal fait observer que la valeur de ce marché public est inférieure aux seuils monétaires requis pour faire intervenir l’application de l’ACI ou de l’ALÉC.

[6].     Pièce PR-2017-034-03, vol. 1.

[7].     Pièce PR-2017-034-01 à la p. 85, vol. 1.

[8].     Pièce PR-2017-034-14 au par. 49, vol. 1A.