STRENGTH TEK FITNESS

STRENGTH TEK FITNESS
c.
MINISTÈRE DE L’EMPLOI ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL
Dossier no PR-2017-054

Ordonnance et motifs rendus
le lundi 23 avril 2018

TABLE DES MATIÈRES

 

EU ÉGARD À une plainte déposée le 8 février 2018 par Strength Tek Fitness aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.);

ET À LA SUITE D’une décision du Tribunal canadien du commerce extérieur, le 15 février 2018, d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur et du paragraphe 7(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics.

ENTRE

STRENGTH TEK FITNESS Partie plaignante

ET

LE MINISTÈRE DE L’EMPLOI ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL Institution fédérale

ORDONNANCE

Le Tribunal canadien du commerce extérieur accorde la demande déposée par le ministère de l’Emploi et du Développement social et met fin par la présente à son enquête aux termes de l’article 10 du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics

Peter Burn
Peter Burn
Membre présidant

EXPOSÉ DES MOTIFS

  1. Les 8 et 12 février 2018, Strength Tek Fitness (Strength Tek) a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) conformément au paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur[1] concernant une demande de propositions (DP) (invitation no 100006330) publiée par le ministère de l’Emploi et du Développement social (EDSC) pour la prestation de services de conditionnement physique en milieu de travail.
  2. Le 15 février 2018, le Tribunal a décidé d’enquêter sur la plainte, puisque celle-ci paraissait répondre exigences du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE ainsi qu’aux conditions énoncées au paragraphe 7(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics[2].
  3. Dans sa lettre acheminant la plainte, le Tribunal a ordonné à l’institution fédérale (EDSC) de se pencher sur les questions préliminaires suivantes :
  • s’il y a une valeur du marché au sens des accords commerciaux, plus particulièrement l’Accord de libre-échange canadien[3];
  • si les services recherchés par la DP étaient visés par les accords commerciaux;
  • si l’arrangement conclu constitue un contournement des accords commerciaux.
  1. Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut ne pas avoir compétence pour enquêter sur la plainte de Strength Tek.

CONTEXTE

  1. EDSC a publié une DP le 12 septembre 2017, puis a publié une version modifiée de l’intégralité de la DP le 5 décembre 2017.
  2. L’appel d’offres a pris fin le 29 décembre 2017. EDSC a reçu deux soumissions (toutes deux conformes), l’une de Strength Tek et l’autre de l’Association récréative de la fonction publique du Canada (Centre RA). Les évaluateurs ont jugé que les deux soumissions répondaient aux exigences obligatoires de la DP; c’est toutefois la soumission du Centre RA qui a été retenue parce qu’elle proposait le prix évalué le plus bas. Le 26 janvier 2018, une lettre de refus a été envoyée à Strength Tek, qui a répondu le jour même en soulevant des préoccupations au sujet de l’adjudication[4].
  3. Entre le 12 septembre 2017 et le 26 janvier 2018, soit avant et après la date de clôture des soumissions, Strength Tek a fait part à EDSC de plusieurs objections concernant la DP.
  4. Le 8 février 2018, Strength Tek a déposé la présente plainte au Tribunal[5]. Comme certains faits en l’espèce différaient de ceux présentés dans la plainte déposée antérieurement par Strength Tek (entre autres, au sujet de la DP publiée par EDSC en l’espèce), le Tribunal a décidé de faire enquête sur la plainte le 15 février 2018.
  5. Le 6 mars 2018, le Centre RA a demandé que lui soit accordé le statut d’intervenant dans la procédure[6]. Le Tribunal a accédé à cette demande le 13 mars 2018[7].
  6. Le 12 mars 2018, EDSC a déposé une requête auprès du Tribunal afin que celui-ci mette fin à son enquête sur la plainte[8]. Dans cette requête, EDSC a fait valoir :
    1. que les faits en l’espèce sont essentiellement les mêmes que ceux présentés à l’appui d’une plainte précédente à l’égard de laquelle le Tribunal avait décidé de ne pas enquêter[9];
    2. que l’arrangement en cause ne constitue pas un marché public visé par les accords commerciaux applicables.
  7. Le 2 avril 2018, Strength Tek a présenté sa réponse. Entre autres arguments, Strength Tek a allégué que le Tribunal a compétence pour statuer sur l’objet de sa plainte.

CONDITIONS DU MARCHÉ

  1. Aux termes de la DP, les fournisseurs devaient satisfaire à trois exigences obligatoires et présenter une « soumission financière » indiquant les droits d’adhésion proposés pour les employés d’EDSC aux fins de l’évaluation financière. Le fournisseur retenu serait celui qui respecterait les critères obligatoires et présenterait la soumission financière évaluée (c’est-à-dire les droits d’adhésion proposés) la plus basse[10].
  2. Le fournisseur retenu aurait l’entière responsabilité de la perception des recettes provenant des droits d’adhésion (cotisations) des employés[11]. Les fournisseurs ont été informés que les locaux disponibles pour l’exploitation du centre de conditionnement physique appartenaient à Services publics et Approvisionnement Canada et qu’ils étaient occupés par EDSC en vertu d’un accord d’occupation selon lequel EDSC assumait les frais d’occupation et certains autres coûts[12].

ANALYSE

  1. D’entrée de jeu, le Tribunal tient à exprimer sa profonde préoccupation au sujet des événements ayant mené à la plainte. Ce litige dure depuis longtemps, au moins depuis 2010[13], et, en publiant la DP, il semble que l’institution fédérale n’ait fait que perpétuer le litige plutôt que de chercher à le régler.
  2. Le Tribunal est notamment extrêmement préoccupé par la procédure qui a été utilisée pour obtenir les services en question, ainsi que par les résultats sur le fond qui en ont découlé, entre autres quant à l’usage des biens de l’État et aux incidences sur les recettes fiscales.
  3. Premièrement, la procédure était trompeuse.
  4. Le recours à une DP pour la prestation d’activités non liées à un marché public ne constitue pas une question litigieuse en soi, comme l’a indiqué le Tribunal dans l’affaire Canadian Maritime Engineering[14] :

Bien qu’une procédure de marché public vise nécessairement l’acquisition de biens ou de services par tous moyens, un processus similaire peut être utilisé à d’autres fins de politiques publiques, en raison des avantages liés à l’application d’une méthode éprouvée qui est concurrentielle, transparente, fondée sur le mérite, etc. Par exemple, un processus d’évaluation concurrentiel est habituellement utilisé pour sélectionner les bénéficiaires de subvention, qui constitue essentiellement en l’octroi de sommes par le gouvernement du Canada sans achat de biens ou de services en retour.

[Italiques dans l’original]

  1. En l’espèce, toutefois, le recours à une DP, sans reconnaître clairement que la procédure ne relevait pas de la compétence du Tribunal, était trompeur, comme en témoignent les observations de la plaignante et les documents écrits présentés par des employés d’EDSC[15].
  2. Cette procédure n’est pas celle qui avait été envisagée par Strength Tek, qui s’est plainte par le passé d’arrangements inéquitables, arbitraires et non transparents. Pour apaiser ces préoccupations, une procédure de rechange a été proposée laquelle, bien que plus objective et transparente, a néanmoins donné lieu à une procédure ne relevant pas de la compétence du Tribunal.
  3. De l’avis du Tribunal, malgré de bonnes intentions, EDSC a lancé une procédure qui ne pouvait faire l’objet d’un examen interne et qui, de ce fait, n’a pas atteint les objectifs proposés par la plaignante. Cela étant, le résultat particulier découlant du choix de cette procédure, à savoir une procédure ne pouvant faire l’objet d’un examen par le Tribunal, aurait dû être clairement exposé à la plaignante dès le début. Cependant, aucune explication en ce sens n’a été fournie lors de la publication de la DP.
  4. Aucun élément de preuve ne permet de conclure que la procédure utilisée constitue un contournement délibéré des accords commerciaux, bien qu’il s’apparente de près à un tel comportement. Le Tribunal demeurera vigilant afin d’éviter que de tels arrangements soient utilisés pour contourner le mandat qui lui a été conféré par la loi. À cet égard, en l’absence de motifs convaincants attestant du contraire, le Tribunal est d’avis qu’EDSC aurait dû lancer une véritable DP pour la prestation de services de conditionnement physique, prévoyant le versement de sommes d’argent au fournisseur et la location des locaux au fournisseur pour la prestation desdits services.
  5. Deuxièmement, la procédure soulève un certain nombre de questions de fond, dont les suivantes, qui devraient préoccuper l’institution fédérale, comme elles préoccupent le Tribunal :
  • Le défaut de structurer la procédure comme une véritable prestation de services et un véritable bail prive l’État de revenus de location qui, autrement, auraient pu lui être versés. Ce n’est pas clair si la réduction des droits d’adhésion, qui découle du renoncement par l’État à la location des locaux, est supérieure ou équivalente au manque à gagner en termes de revenu de location.
  • L’arrangement soulève la question de possibles avantages imposables pour les employés.
  • L’arrangement pourrait donner lieu à une concurrence déloyale entre cet établissement subventionné et d’autres exploitants situés à proximité.
  • Cet arrangement soulève également la question de l’équité entre les membres de la fonction publique.
  1. Tous ces problèmes résultent du fait que des locaux, qui sont la propriété de l’ensemble des contribuables et dont l’entretien incombe également à l’ensemble des contribuables, sont utilisés gratuitement et d’une manière non transparente par un fournisseur, au profit d’un groupe limité de fonctionnaires.
  2. Bien que le maintien d’employés en santé soit un objectif louable, l’approche utilisée par EDSC en l’espèce représente une méthode litigieuse pour atteindre cet objectif.
  3. Le Tribunal conclut néanmoins, ainsi qu’il est expliqué ci-après, qu’il n’a pas compétence pour enquêter sur les questions soulevées dans la plainte de Strength Tek.

Compétence du Tribunal à l’égard de la présente enquête

Principes généraux

  1. Le paragraphe 30.14(1) de la Loi sur le TCCE exige que, dans son enquête, le Tribunal limite son étude à l’objet de la plainte. L’article 11 du Règlement prévoit également que le Tribunal doit décider si la procédure de passation du marché public a été suivie conformément aux exigences des accords commerciaux applicables. Au terme de l’enquête, le Tribunal doit déterminer la validité de la plainte en fonction des critères et procédures établis par règlement pour le contrat spécifique.
  2. Le paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le TCCE prévoit que la compétence du Tribunal susmentionnée se limite à « la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique » [nos italiques].
  3. Un contrat spécifique doit, entre autres, atteindre les seuils monétaires minimaux prévus par les accords commerciaux. Par exemple, en vertu de l’ALÉC, un marché constitue un contrat spécifique uniquement si la valeur du marché est d’au moins 25 300 $ et porte principalement sur des produits ou si la valeur est d’au moins 101 100 $ et porte principalement sur des services[16].
  4. Ainsi qu’il est défini ci-dessous, la DP en litige ne comporte pas de marché public ayant une valeur au sens des accords commerciaux. Les seuils monétaires ne sont donc pas atteints, ce qui signifie que la DP ne constitue pas un contrat spécifique.
  5. Pour cette raison, et malgré ses importantes réserves au sujet du déroulement de la DP en l’espèce, le Tribunal n’a pas compétence pour instruire la plainte.

Compétence du Tribunal lorsque le marché public n’a aucune valeur

  1. Les accords commerciaux définissent ce qui peut être inclus dans le calcul de la valeur d’un marché public pour déterminer si ce marché satisfait aux seuils monétaires et donc s’il s’agit d’un contrat spécifique.
  2. Le paragraphe 505(1) de l’ALÉC prévoit ce qui suit :
  1. Lorsqu’elle estime la valeur d’un marché afin de déterminer s’il s’agit d’un marché couvert, une entité contractante :
  1. d’une part, estime quelle serait cette valeur à la date de la publication de l’avis d’appel d’offres;
  2. d’autre part, inclut la valeur totale maximale estimée du marché sur toute sa durée, qu’il soit adjugé à un ou à plusieurs fournisseurs, en tenant compte de toutes les formes de rémunération, y compris :
  1. les primes, les rétributions, les commissions et les intérêts,
  2. si le marché prévoit la possibilité d’options, la valeur totale de ces options.
  1. Des clauses semblables sont prévues dans l’Accord de libre-échange nord-américain[17], l’Accord sur les marchés publics[18], l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne[19] et dans les autres accords commerciaux.
  2. Dans l’arrêt BCE Nexxia c. Canada (Commissaire du service correctionnel)[20], la Cour d’appel fédérale a renversé une décision du Tribunal par laquelle le Tribunal avait déclaré avoir compétence pour instruire une plainte mettant en cause le Service correctionnel du Canada (SCC). Dans cette affaire, la Cour a statué qu’il ne s’agissait pas d’un contrat spécifique, parce que le SCC ne versait pas de somme en argent pour les services offerts, à savoir la prestation par BCE Nexxia Inc. de services téléphoniques destinés aux prisonniers des établissements du SCC. La plaignante, Telus, alléguait au contraire que la valeur de la « franchise exclusive » accordée au fournisseur de services téléphoniques, et la valeur conférée au SCC du fait de pouvoir surveiller et contrôler les appels téléphoniques des détenus, représentaient une contrepartie.
  3. La Cour d’appel fédérale a statué que le Tribunal avait mal interprété l’expression « estimation de l’engagement financier total qui résulte d’un marché public » qui figure dans la définition de « valeur du marché public » à l’article 518 de l’Accord sur le commerce intérieur[21], le précurseur de l’ALÉC. La Cour a reconnu que le fournisseur retenu recevrait une contrepartie, mais a jugé qu’on ne retrouvait pas « dans la définition de l’expression “valeur du marché public” [telle qu’elle figure à l’article 518] les vastes concepts de “valeur” et de “contrepartie” au sens contractuel du terme »[22]. La Cour a conclu qu’un « engagement financier » désigne le paiement d’une somme d’argent et que, « [b]ien que l’octroi d’une “franchise exclusive”, pour reprendre le terme employé par Telus pour qualifier l’entente intervenue en l’espèce, puisse représenter une valeur pour le fournisseur, il ne constitue pas une obligation de l’entité publique de lui verser une somme d’argent »[23].
  4. La Cour d’appel fédérale a ensuite renvoyé au paragraphe 505(2) de l’ACI qui précise que la « valeur d’un marché public » doit être calculée en tenant compte « de toutes les formes de rémunération, notamment les primes, les honoraires, les commissions et l’intérêt ». La Cour a conclu que les mots « primes, honoraires, commissions et intérêt » sont tous des termes qui évoquent des obligations pécuniaires et que le paragraphe 502(2) doit par conséquent faire référence à une rémunération calculée en argent. La Cour a également conclu que l’absence de rémunération pécuniaire versée par le SCC au fournisseur écartait la possibilité d’un « engagement financier » de la part du SCC ou des prisonniers, tout en reconnaissant que le fournisseur serait rémunéré sous forme de frais téléphoniques payés par les prisonniers[24].
  5. La Cour d’appel fédérale a donc conclu que le marché public n’avait pas de valeur, comme l’exige la loi pour établir la compétence du Tribunal dans l’instruction de la plainte, et a accueilli la demande de contrôle judiciaire.
  6. Dans l’affaire CME, le Tribunal a confirmé l’approche utilisée dans BCE Nexxia et Strength Tek 1. Dans l’affaire CME, le Tribunal avait été saisi d’une plainte concernant la location de cales sèches appartenant à l’État à une entreprise qui exploiterait ensuite ces installations pour la prestation de services de réparation de navires commerciaux empruntant le réseau des Grands Lacs et de la Voie maritime du Saint-Laurent. Le bail visait donc la prestation de services à un tiers – l’industrie du transport maritime – et non de services au gouvernement.
  7. Le Tribunal a conclu que la valeur du bail pour l’entreprise ne comportait aucun versement d’argent par l’entité acheteuse. De même, les « revenus perdus » potentiels, que le gouvernement aurait pu percevoir s’il avait loué les installations aux taux du marché, ne représentaient pas non plus une rémunération pour le fournisseur. Le Tribunal a donc jugé que tout coût devant être engagé par l’entité acheteuse en vertu du bail ne constituait pas une obligation pécuniaire prévoyant le versement d’une rémunération au soumissionnaire retenu. Pour ces motifs, le marché public n’avait aucune valeur, il n’y avait pas de contrat spécifique et le Tribunal n’avait pas compétence pour enquêter sur la plainte[25].
  8. À la lumière des observations des parties, le Tribunal a conclu que les motifs invoqués dans ces décisions précédentes, lesquels étaient fondés sur la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans BCE Nexxia, s’appliquent également en l’espèce.

Le Tribunal n’a aucune compétence à l’égard de la présente enquête

  1. Contrairement à l’ACI, l’ALÉC ne comporte aucune définition de « valeur du marché public » faisant référence à un « engagement financier ». Cependant, ainsi qu’il a été indiqué précédemment, l’ALÉC et d’autres accords commerciaux stipulent que la valeur des marchés doit être déterminée en tenant compte de la « rémunération », laquelle inclut les primes, rétributions[26], commissions et intérêts.
  2. Puisque, dans l’arrêt BCE Nexxia, la Cour s’est largement fondée sur une interprétation selon laquelle ces termes signifient que l’entité acheteuse doit verser une rémunération pécuniaire au fournisseur, le Tribunal conclut que les motifs de la Cour d’appel fédérale s’appliquent également en l’espèce.
  3. Strength Tek a fait valoir, à juste titre, qu’il s’agissait d’un marché visant la prestation, dans les installations désignées d’EDSC, de services destinés exclusivement aux employés d’EDSC. Il ne s’agissait toutefois pas d’un marché visant la prestation de services à EDSC lui-même et, plus important encore, EDSC ne doit verser aucune rémunération au soumissionnaire retenu au sens des accords commerciaux.
  4. Strength Tek a fait remarquer, et EDSC a reconnu, que la page couverture de la DP contenait l’énoncé suivant :

Proposition à : Emploi et Développement social Canada. Nous offrons par la présente de vendre à Sa Majesté la Reine du chef du Canada, aux conditions énoncées ou incluses par référence dans la présente et aux annexes ci-jointes, les biens, services et construction énumérés ici et sur toute feuille ci-annexée, au(x) prix indiqué(s).

  1. EDSC a prétendu qu’il s’agissait d’un énoncé type qui figure couramment dans les DP d’approvisionnement et qui a été inclus par mégarde dans le présent document. EDSC a également prétendu que cet énoncé inclus de manière non délibérée allait à l’encontre des modalités réelles de la DP, puisqu’EDSC ne faisait l’acquisition d’aucun bien ni d’aucun service en l’espèce.
  2. Le Tribunal est sensible à l’observation de Strength Tek selon laquelle, même si EDSC prétend qu’il s’agit d’une simple erreur, cet énoncé pourrait amener les soumissionnaires à croire, à tort, que le marché proposé porte sur la prestation de services à EDSC. Une telle ambiguïté pourrait donc donner aux soumissionnaires l’impression que le marché public relève de la compétence du Tribunal, comme le soutient Strength Tek, ce qui accroît considérablement les préoccupations du Tribunal à ce sujet.
  3. Strength Tek soutient également que le marché public en litige constitue un contournement des accords commerciaux. Le Tribunal souligne toutefois que des communications internes présentées par Strength Tek indiquent que certains employés d’EDSC s’attendaient à ce que la procédure soit assujettie aux accords commerciaux[27]. Quoi qu’il en soit, le Tribunal n’est pas convaincu qu’EDSC a volontairement conçu la procédure de manière à se soustraire à ses obligations en vertu des accords commerciaux, notamment du fait que le ministère a simultanément présumé que de telles obligations s’appliqueraient.
  4. En tout état de cause, il n’en demeure pas moins que le Tribunal n’a pas compétence en l’espèce. Il est donc strictement inutile de statuer sur la deuxième question de compétence en litige, soulevée par EDSC, à savoir que les services visés par la DP ne sont pas, de par leur nature, visés par les accords commerciaux. Par cette décision, le Tribunal ne souhaite pas accorder quelque crédit à la position d’EDSC sur cette question. D’ailleurs, il est probable que les services de conditionnement physique sont couverts par les accords commerciaux. Pour conclure autrement lors de futures instances, le Tribunal aurait probablement besoin d’arguments sur cette question qui soient beaucoup plus complets et convaincants que ceux fournis par EDSC.
  5. Le Tribunal tient à rappeler que cette décision quant à l’absence de compétence repose sur les motifs invoqués par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt BCE Nexxia. Strength Tek a bien sûr le droit d’interjeter appel de cette décision auprès de cette Cour, en contestant soit les motifs invoqués dans BCE Nexxia, soit leur application en l’espèce. Strength Tek pourrait également recourir à des procédures indépendantes devant les tribunaux en invoquant une rupture de contrat ou quelque autre motif.

Conclusion

  1. À la lumière de ce qui précède, le Tribunal conclut qu’il n’a pas compétence pour enquêter sur la plainte de Strength Tek. Par conséquent, le Tribunal accorde la demande et rejette la plainte de Strength Tek pour défaut de compétence.

FRAIS

  1. EDSC n’a pas demandé le remboursement des frais qu’il a engagés pour répondre à la plainte. Compte tenu de ses commentaires exposés ci-dessus et de l’avis du Tribunal selon lequel la procédure choisie pour la DP était trompeuse et semblait revêtir un caractère d’injustice, chaque partie assumera ses propres frais.

CONCLUSION

  1. Aux termes de l’article 10 du Règlement, le Tribunal rejette la plainte pour défaut de compétence.
 

[1].     L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.) [Loi sur le TCCE].

[2].     DORS/93-602 [Règlement].

[3].     Accord de libre-échange canadien, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <https://www.cfta-alec.ca/wp-content/uploads/2017/06/CFTA-Consolidated-Te... (entré en vigueur le 1er juillet 2017) [ALÉC].

[4].     Pièce PR-2017-054-01 aux pp. 40 et 41 de 226, vol. 1.

[5].     Pièce PR-2017-054-01, vol. 1.

[6].     Pièce PR-2017-054-09, vol. 1A.

[7].     Pièce PR-2017-054-11, vol. 1A.

[8].     Pièce PR-2017-054-10, vol. 1A.

[9].     Strength Tek Fitness and Wellness Consulting (23 octobre 2015), PR-2015-034 (TCCE) [Strength Tek 1].

[10].   DP, partie 4.

[11].   Ibid., partie 7, article 8.1.1 et annexe A, article 3.1.4(d).

[12].   Ibid., annexe A, article 1.3.

[13].   Voir la décision Strength Tek 1 au par. 7.

[14].   Canadian Maritime Engineering Ltd. c. Ministère des Transports (8 septembre 2016), PR-2016-020 (TCCE) [CME] au par. 30.

[15].   Pièce PR-2017-054-01 à la p. 73 de 226, vol. 1.

[16].   Paragraphes 504(3) et (4) de l’ALÉC.

[17].   Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, 17 décembre 1992, R.T.C. 1994, no 2, en ligne : Affaires mondiales Canada <http://international.gc.ca/‌trade-commerce/‌trade-agreements-accords-commerciaux/‌agr-acc/nafta-alena/fta-ale/index.aspx?lang=fra>(entré en vigueur le 1er janvier 1994).

[18].   Accord révisé sur les marchés publics, en ligne : Organisation mondiale du commerce <http://www.wto.org/‌french/docs_f/legal_f/rev-gpr-94_01_f.htm>(entré en vigueur le 6 avril 2014).

[19].   Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne, en ligne : Affaires mondiales Canada <http://www.international.gc.ca/trade-commerce/trade-agreements-accords-c... (entré en vigueur provisoirement le 21 septembre 2017) au par. 19.2(6).

[20].   2002 CAF 9 (CanLII) [BCE Nexxia].

[21].   18 juillet 1994, Gazette du Canada 1995.I.1323, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <https://www.cfta-alec.ca/accord-sur-le-commerce-interieur/?lang=fr> [ACI].

[22].   BCE Nexxia au par. 16.

[23].   Ibid. au par. 19.

[24].   Ibid. aux par. 20 à 22.

[25].   CME aux par. 44 à 47.

[26].   Le terme anglais « fees » a été traduit par « honoraires » dans l’ACI alors qu’il a été traduit par « rétributions » dans l’ALÉC.

[27].   Pièce PR-2017-054-01 à la p. 73 de 226, vol. 1.