HAWBOLDT INDUSTRIES

HAWBOLDT INDUSTRIES
c.
MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX
Dossier no PR-2017-045

Décision et motifs rendus
le vendredi 27 avril 2018

TABLE DES MATIÈRES

 

EU ÉGARD À une plainte déposée par Hawboldt Industries aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.);

ET À LA SUITE D’une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

ENTRE

HAWBOLDT INDUSTRIES Partie plaignante

ET

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX Institution fédérale

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte est fondée.

Aux termes des paragraphes 30.15(2) et (3) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande que le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux indemnise Hawboldt Industries d’un montant égal  ████ ████ ████ ████ ████  ████ ████ ████ ████ ████.

Aux termes du paragraphe 30.15(4) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur accorde à Hawboldt Industries, en plus de l’indemnité recommandée ci-dessus, le remboursement des frais raisonnables encourus pour la préparation de sa soumission.

Si les parties ne peuvent s’entendre sur le montant de l’indemnité et des frais encourus pour la préparation de la soumission, Hawboldt Industries déposera auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur, dans les 40 jours suivant la date de la présente décision, des observations sur la question de l’indemnité. Le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux disposera ensuite de sept jours ouvrables après réception des observations de Hawboldt Industries pour déposer des commentaires en réponse. Hawboldt Industries disposera ensuite de cinq jours ouvrables après réception des commentaires en réponse du ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux pour déposer des commentaires additionnels. Les documents déposés auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur doivent être communiqués à l’autre partie.

Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur accorde à Hawboldt Industries une indemnité pour les frais raisonnables encourus pour la préparation de sa plainte et l’engagement de la procédure, indemnité qui doit être payée par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux. Conformément à la Ligne directrice, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine provisoirement que le niveau de complexité de la plainte correspond au degré 2 et que le montant de l’indemnité est de 2 750 $. Si l’une ou l’autre des parties n’est pas d’accord en ce qui a trait à la détermination provisoire du degré de complexité ou du montant de l’indemnité, elle peut déposer des observations auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur, en conformité avec l’article 4.2 de la Ligne directrice. Il relève de la compétence du Tribunal canadien du commerce extérieur de fixer le montant définitif de l’indemnité.

Jean Bédard
Jean Bédard
Membre présidant

Membre du Tribunal : Jean Bédard, membre présidant

Personnel de soutien : Dustin Kenall, conseiller juridique

Partie plaignante : Hawboldt Industries

Conseillers juridiques pour la partie plaignante : Phuong T.V. Ngo
Graham S. Ragan
Julie Chung

Institution fédérale : ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

Conseillers juridiques pour l’institution fédérale : Ian McLeod
Roy Chamoun
Kathryn Hamill

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario)  K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

EXPOSÉ DES MOTIFS

  1. Le 12 décembre 2017, Hawboldt Industries (Hawboldt) a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) concernant une demande de propositions (invitation no W8482-156383/A) publiée par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) au nom du ministère de la Défense nationale (MDN) pour l’acquisition de 16 grues marines électro-hydrauliques pour remplacer les grues existantes des navires de classe Halifax de la Marine royale canadienne, avec l’option d’acheter 14 grues supplémentaires de même conception.
  2. Hawboldt soutient que TPSGC a communiqué, de façon irrégulière, la valeur du contrat adjugé (à partir de quoi le prix soumissionné par Hawboldt peut facilement être déduit) aux autres soumissionnaires ayant répondu à l’appel d’offres après avoir avisé Hawboldt qu’elle était le soumissionnaire retenu mais avant l’adjudication du contrat. À cause d’erreurs dans le processus d’évaluation soulevées par les autres soumissionnaires, TPSGC a, en fin de compte, annulé l’appel d’offres et décidé d’en lancer un nouveau. Hawboldt soutient que, en n’ayant pas attendu que le contrat lui soit adjugé avant d’informer les soumissionnaires de la valeur de celui-ci, TPSGC a contrevenu aux accords commerciaux en communiquant ses renseignements confidentiels avant que le processus de passation du marché ne soit terminé.

CONTEXTE

  1. Aucun des faits ci-dessous n’est contesté.
  2. Le 14 juin 2017, TPSGC a publié l’appel d’offres. Au cours des deux mois suivants, neuf modifications ont été apportées à celle-ci, aucune n’étant pertinente en l’espèce.
  3. La date de clôture de l’appel d’offres était le 25 août 2017. Quatre soumissions ont été reçues, dont celle de Hawboldt.
  4. Le 5 septembre 2017, le MDN a évalué les propositions techniques des soumissionnaires. Le 14 septembre 2017, le MDN a avisé TPSGC qu’il avait conclu que, sur le plan technique, aucune des soumissions ne satisfaisait aux critères obligatoires 4 et 5.
  5. Le 18 septembre 2017, TPSGC a fait parvenir une lettre à tous les soumissionnaires les invitant à soumettre des données supplémentaires et/ou leur demandant d’indiquer où dans leur soumission se trouvaient ces renseignements.
  6. Le 27 septembre 2017, ayant reçu des réponses de tous les soumissionnaires, le MDN a réévalué les soumissions et les évaluations individuelles et consensuelles ont été rajustées en conséquence.
  7. Le 28 septembre 2017, le MDN a avisé TPSGC que deux soumissions étaient maintenant conformes et que celle de Hawboldt était la moins-disante. Le même jour, le MDN a confirmé que Hawboldt détenait la cote de sécurité requise pour que le contrat puisse lui être adjugé.
  8. Le 2 octobre 2017, après avoir confirmé que Hawboldt satisfaisait aux conditions ayant trait à l’intégrité pour l’adjudication d’un contrat, TPSGC a avisé Hawboldt qu’il recommanderait que le contrat lui soit adjugé, mais que deux vérifications restaient à faire. Premièrement, TPSGC voulait des précisions sur les intentions de Hawboldt au sujet de la clause du contrat portant sur les droits de poursuite. Deuxièmement, TPSGC désirait confirmer le prix soumissionné par Hawboldt.
  9. Le même jour, Hawboldt a confirmé le prix qu’elle avait soumissionné et, deux jours plus tard, a donné une réponse favorable à TPSGC relativement à la clause portant sur les droits de poursuite.
  10. Le 3 octobre 2017, TPSGC a demandé par courriel au MDN de modifier la valeur monétaire de l’appel d’offres afin qu’elle corresponde au prix soumissionné par Hawboldt, qui était plus élevé que le prix estimé approuvé. TPSGC n’a pas avisé Hawboldt que cette condition préalable restait à régler.
  11. Le 5 octobre 2017, TPSGC a fait parvenir une lettre de rejet aux trois autres soumissionnaires, dans laquelle figurait la valeur du contrat, bien que celui-ci n’eût pas encore été adjugé à Hawboldt et que, en fait, TPSGC n’avait pas l’autorisation d’adjuger le contrat avant d’avoir reçu l’approbation du MDN concernant la modification de la valeur monétaire. TPSGC n’a reçu l’approbation du MDN qu’une semaine plus tard, soit le 12 octobre 2017.
  12. Les 5 et 6 octobre 2017, deux des soumissionnaires non retenus ont élevé des objections contre les résultats, exprimant leur désaccord au sujet de l’évaluation de critères obligatoires.
  13. Le 11 octobre 2017, suite à deux communications téléphoniques antérieures, TPSGC a confirmé à Hawboldt par courriel qu’il avait fait parvenir aux autres soumissionnaires une lettre de rejet dans laquelle figurait la valeur du contrat.
  14. Le 19 octobre 2017, TPSGC a avisé Hawboldt par courriel que l’appel d’offres était sous examen et lui a demandé de prolonger la période de validité de sa soumission, ce à quoi Hawboldt a consenti le 20 octobre 2017.
  15. Le 23 octobre 2017, TPSGC a tenu une réunion interne pour décider comment il allait procéder. Finalement, la décision a été prise d’annuler l’appel d’offres et d’en lancer un nouveau pour les trois motifs suivants :
    1. le critère obligatoire 4, qui contenait 15 pages de critères dans l’Énoncé des travaux, et le critère obligatoire 5, qui faisait référence à une longue liste de données contractuelles, étaient si détaillés qu’aucun soumissionnaire ne pouvait satisfaire à ces critères tels qu’énoncés dans l’appel d’offres;
    2. les lacunes et les commentaires succincts dans les notes des évaluateurs ont rendu difficile de déterminer ce qui avait été démontré ou pris en considération pour permettre à deux soumissionnaires de satisfaire à ces critères (lors de la deuxième évaluation);
    3. l’importante documentation additionnelle acceptée pour chacune des soumissions a constitué une modification inadmissible de celles-ci.
  16. Le 7 novembre 2017, TPSGC a avisé Hawboldt par téléphone que l’appel d’offres serait annulé et qu’un autre serait lancé. Lors de cette communication téléphonique et d’une autre plus tard le même jour, Hawboldt a fait part de ses préoccupations concernant le fait que le prix qu’elle avait soumissionné figurait dans les lettres de rejet.
  17. Le même jour, TPSGC a fait parvenir une lettre à tous les soumissionnaires les avisant que l’appel d’offres serait annulé et qu’un autre serait lancé.
  18. Le 9 novembre 2017, des représentants de Hawboldt et de TPSGC se sont réunis pour discuter des raisons pour lesquelles l’appel d’offres avait été annulé et des conséquences d’avoir communiqué aux autres soumissionnaires le prix que Hawboldt avait soumissionné. Le 27 novembre 2017, Hawboldt a fait parvenir un courriel à TPSGC lui demandant quels renseignements avaient été divulgués aux autres soumissionnaires. Le 28 novembre 2017, TPSGC a fait parvenir une lettre à Hawboldt dans laquelle il confirmait la valeur du contrat qui avait été communiqué aux autres soumissionnaires.
  19. Le 12 décembre 2017, Hawboldt a déposé la présente plainte auprès du Tribunal.

ACCORDS COMMERCIAUX

  1. L’article 1.2 de l’appel d’offres indique que l’Accord révisé sur les marchés publics de l’Organisation mondiale du commerce[1], l’Accord sur le commerce intérieur[2] et l’Accord de libre-échange nord-américain[3] s’appliquent à l’appel d’offres.
  2. Hawboldt soutient que, en communiquant le prix qu’elle a soumissionné avant l’adjudication du contrat, TPSGC :
    1. n’a pas respecté l’article XV(1) de l’AMP, l’article 510 de l’ACI et l’article 1014(3) de l’ALENA en ne préservant pas la confidentialité de sa soumission;
    2. n’a pas respecté l’article XVII de l’AMP et les articles 1008(2)a), 1015(8), and 1019(5) de l’ALENA en communiquant des renseignements pouvant porter atteinte à sa capacité d’être concurrentielle lors d’appels d’offres futurs, à la concurrence loyale entre fournisseurs et à ses intérêts commerciaux légitimes.

ANALYSE

TPSGC n’a pas préservé la confidentialité de la soumission de Hawboldt au cours de la procédure du marché public

  1. L’article XV(1) de l’AMP stipule ce qui suit :

    Article XV — Traitement des soumissions et adjudication des marchés

    Traitement des soumissions

    1.                   Une entité contractante recevra, ouvrira et traitera toutes les soumissions selon des procédures qui garantissent l’équité et l’impartialité du processus de passation des marchés, ainsi que la confidentialité des soumissions.

  2. L’article 510 de l’ACI stipule ce qui suit :

    Article 510 : Confidentialité

    Le présent chapitre n’a pas pour effet d’obliger une entité à violer les obligations en matière de confidentialité qui lui sont imposées par la loi ou à mettre en péril des renseignements exclusifs ou des renseignements commerciaux délicats qui sont indiqués comme tels par le fournisseur dans son offre.

  3. L’article 1014(3) de l’ALENA stipule ce qui suit :

    Article 1014 : Règles de négociation

    3. Une entité devra considérer comme confidentielles toutes les soumissions. Aucune entité ne pourra en particulier fournir à quiconque des renseignements en vue d’aider un fournisseur à présenter une soumission comparable à celle d’un autre fournisseur.

Position des parties

  1. Hawboldt soutient que TPSGC, en ayant communiqué le prix qu’elle avait soumissionné avant l’adjudication du contrat, a violé les dispositions des accords commerciaux susmentionnés. Hawboldt fait remarquer en particulier que la communication prématurée du prix qu’elle avait soumissionné contrevient aussi aux règles que TPSGC a lui-même instaurées telles qu’énoncées aux articles 7.35 et 7.45 de son Guide des approvisionnements, qui stipulent ce qui suit[4] :

    7.35. Avis aux soumissionnaires, offrants, fournisseurs non retenus

    Les agents de négociation des contrats devraient informer les soumissionnaires, les offrants ou les fournisseurs qu’ils n’ont pas été retenus dès que possible après l’attribution du contrat ou l’émission d’une offre à commandes ou d’un arrangement en matière d’approvisionnement. Des exemples de lettres de refus sont fournis à l’Annexe 7.1 : Lettres types de refus.

    7.45. Divulgation des renseignements

    a. Les agents de négociation des contrats peuvent communiquer de façon systématique les renseignements suivants après l’attribution d’un contrat ou l’émission d’une offre à commandes (OC) ou d’un arrangement en matière d’approvisionnement (AMA) :

    i. pour toutes les demandes de biens et de services, le nom du soumissionnaire, de l’offrant ou du fournisseur retenu et non retenus, qu’elles aient été déclarées recevables ou non, ainsi que le prix global évalué du soumissionnaire, de l’offrant ou du fournisseur retenu et le pointage final, s’il y a lieu. [...]

    [Nos italiques]

  2. Les lettres types de refus (devant être envoyées, tel que stipulé ci-dessus, « après l’attribution d’un contrat ») communiquent la valeur du contrat adjugé[5] :

    Le montant________(insérer « du contrat », « de l’OC » ou « de l’AMA ») attribué(e) ou émis(e) est de____________(inscrire la valeur du contrat attribué ou de l’OC ou de l’AMA émis(e)), excluant la taxe sur les produits et services ou la taxe sur la vente harmonisée, selon le cas.

  3. En réponse, TPSGC ne nie pas avoir communiqué le prix soumissionné par Hawboldt avant l’adjudication du contrat. TPSGC soutient plutôt avoir procédé correctement en annulant l’appel d’offres, que Hawboldt savait que la valeur de son contrat serait publié dans le cadre de la procédure du marché public et qu’il est tenu de publier la valeur des contrats adjugés.
  4. En réponse, Hawboldt soutient que l’erreur de TPSGC n’est pas d’avoir annulé l’appel d’offres mais d’avoir communiqué prématurément le prix qu’elle avait soumissionné avant l’adjudication du contrat. En vertu de l’article 5.10c) du Guide des approvisionnements, il est interdit à TPSGC de communiquer des renseignements confidentiels avant que le contrat ne soit adjugé; l’article stipule ce qui suit :

    5.10. Confidentialité des soumissions

    a. L’agent de négociation des contrats doit traiter tous les renseignements selon les règles de sécurité et de confidentialité, afin d’assurer l’intégrité du processus contractuel.

    b. Lorsque l’on confie au client (ou les évaluateurs techniques) les soumissions au cours du processus d’évaluation, il faut ajouter la mise en garde suivante :

    « Les renseignements relatifs à la soumission ne doivent être divulgués qu’aux individus seulement qui sont autorisés à participer à ce processus contractuel. L’information ne doit pas être divulguée à, ou discutée avec, l’industrie privée. »

    c. Durant la période entre la clôture de la soumission et l’attribution du contrat (y compris le processus d’approbation du contrat), les agents de négociation des contrats ne peuvent divulguer le nom des soumissionnaires à la demande des fournisseurs. Ils peuvent toutefois communiquer le nombre de soumissions reçues. Pour de plus amples renseignements, les fournisseurs devraient communiquer avec le Bureau de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels.

    d. Après l’attribution du contrat, on peut divulguer le nom des soumissionnaires et toute autre information, conformément à la politique ministérielle (voir l’article 7.30 Rapports sur les achats et publication des avis d’attribution de contrats.)

    [Nos italiques]

  5. Par conséquent, Hawboldt conclut que la question de savoir si TPSGC voulait lui porter préjudice n’est pas pertinente, ni le fait qu’elle savait que le prix qu’elle avait soumissionné serait publié après l’adjudication du contrat.

Analyse du Tribunal

  1. L’article 510 de l’ACI stipule seulement qu’une institution fédérale n’est pas tenue de communiquer des renseignements confidentiels – il n’impose pas d’obligation. Toutefois, l’article XV(1) de l’AMP et l’article 1014(3) de l’ALENA stipule expressément que le gouvernement doit garantir la confidentialité des soumissions. Le Guide des approvisionnements n’a pas force obligatoire pour TPSGC ou pour le Tribunal en ce qui concerne la question de savoir si les dispositions des accords commerciaux ont été respectées, mais le fait que TPSGC lui-même interprète les dispositions des accords commerciaux ayant trait à la confidentialité comme interdisant de communiquer le prix soumissionné avant l’adjudication du contrat est instructif.
  2. La jurisprudence du Tribunal reconnaît que les accords commerciaux imposent aux pouvoirs publics de protéger la confidentialité des renseignements. Dans 1091847 Ontario Ltd., le Tribunal a expliqué qu’« il doit y avoir équilibre entre l’obligation des entités acheteuses de fournir à un soumissionnaire non retenu des renseignements pertinents et leur obligation de protéger la confidentialité des renseignements commercialement sensibles, y compris les détails financiers de la soumission retenue »[6]. Dans Lanthier Bakery Ltd., le Tribunal a émis l’avis suivant concernant la communication par TPSGC du prix soumissionné par un plaignant avant que l’offre à commande ne soit signée (sans statuer sur la question étant donné que ce motif de plainte était forclos)[7] :

    [...] Le Tribunal est préoccupé par le fait que la communication irrégulière de renseignements confidentiels d’un soumissionnaire à un concurrent puisse avoir des conséquences importantes sur les conditions de concurrence dans le contexte de toute DOC à venir conçue pour répondre aux mêmes besoins et puisse mettre en doute l’intégrité de la procédure de passation du marché public.

    Si le Tribunal avait conclu que la plainte de Lanthier était fondée, le Tribunal aurait tenu compte de la divulgation des prix de Lanthier pour déterminer la réparation appropriée. [...] Quoi qu’il en soit, il incombe à TPSGC de garantir que toute procédure de passation de marché public ultérieure sera menée de façon équitable, sinon il pourrait faire l’objet d’une autre plainte.

  3. La défense de TPSGC (selon laquelle il a dû annuler l’appel d’offres et n’avait pas l’intention de porter préjudice à Hawboldt) n’est pertinente que dans les cas où il est question de préjudice et de réparation, et non pour déterminer si la communication du prix soumissionné par Hawboldt constitue une violation de l’AMP et de l’ALENA. TPSGC soutient que la question de la violation des accords est dépourvue de pertinence car la seule chose qui empêchait l’adjudication du contrat était une demande de modification qui, au bout du compte, a été accordée. Toutefois, rien dans les accords commerciaux n’excuse la divulgation d’informations confidentielles commise par inadvertance ou n’indique que cela est dépourvu de pertinence. L’article XV(1) de l’AMP stipule plutôt, en termes exprès, que l’« entité contractante recevra, ouvrira et traitera toutes les soumissions selon des procédures qui garantissent l’équité et l’impartialité du processus de passation des marchés, ainsi que la confidentialité des soumissions »[nos italiques]. L’article XVII(2), cité ci-dessous, stipule la même chose en termes similaires sans réserve quant à l’intention ou aux conséquences.
  4. Non seulement TPSGC n’a-t-il pas garanti la confidentialité des soumissions, il a violé ses propres procédures en adjugeant prématurément le contrat à Hawboldt et en avisant par la suite les soumissionnaires non retenus du prix soumissionné par Hawboldt avant qu’il n’ait l’autorisation de faire l’un ou l’autre.
  5. Par conséquent, le Tribunal conclut que ce motif de plainte est fondé.

La divulgation de renseignements confidentiels par TPSGC a fait obstacle à la concurrence loyale et a porté préjudice à Hawboldt

  1. L’article XVII de l’AMP stipule ce qui suit :

    Article XVII — Divulgation de renseignements

    Non divulgation de renseignements

    2. Nonobstant toute autre disposition du présent accord, une Partie, y compris ses entités contractantes, ne communiquera pas à un fournisseur particulier des renseignements qui pourraient nuire à une concurrence loyale entre fournisseurs.

    3. Rien dans le présent accord ne sera interprété comme obligeant une Partie, y compris ses entités contractantes, autorités et organes de recours, à divulguer des renseignements confidentiels dans les cas où cette divulgation :

    [...]

    b. pourrait nuire à une concurrence loyale entre fournisseurs;

    c. porterait préjudice aux intérêts commerciaux légitimes de personnes particulières, y compris la protection de la propriété intellectuelle; [...]

  2. Les articles 1008(2)a), 1015(8) et 1019(5) de l’ALENA stipulent ce qui suit :

    Article 1008 : Procédures de passation des marchés

    1. Chacune des Parties fera en sorte que les procédures de passation des marchés suivies par ses entités

    a) soient appliquées de façon non discriminatoire, et

    b) soient conformes au présent article et aux articles 1009 à 1016.

    2. À cet égard, chacune des Parties fera en sorte que ses entités

    a) ne communiquent pas à un fournisseur des renseignements se rapportant à tel ou tel marché, d’une manière qui aurait pour effet d’empêcher la concurrence, [...]

    Article 1015 : Présentation, réception et ouverture des soumissions et adjudication des marchés

    8. Nonobstant les paragraphes 1 à 7, une entité pourra décider de ne pas divulguer certains renseignements relatifs à l’adjudication, si la communication de ces renseignements

    a) ferait obstacle à l’application des lois ou serait autrement contraire à l’intérêt public,

    b) porterait préjudice aux intérêts commerciaux légitimes d’une personne donnée, ou

    c) pourrait nuire à une concurrence loyale entre fournisseurs.

    Article 1019 : Information

    5. Les renseignements confidentiels fournis à une Partie, dont la divulgation porterait préjudice aux intérêts commerciaux légitimes d’une personne ou pourrait nuire à une concurrence loyale entre fournisseurs, ne pourront être divulgués par cette Partie sans l’autorisation formelle de la personne qui les aura communiqués à la Partie en question.

Position des parties

  1. Hawboldt soutient que le Tribunal a affirmé à maintes reprises que la divulgation du prix soumissionné par une entreprise peut défavoriser celle-ci lors d’appels d’offres futurs. Dans Med-Emerg, le Tribunal a affirmé que « [l]a divulgation de renseignements concernant les évaluations des autres soumissionnaires devrait se faire de manière à préserver leur avantage concurrentiel à l’égard d’invitations similaires ou connexes futures »[8]. Dans Conair, le Tribunal s’est penché sur une plainte selon laquelle TPSGC avait de façon irrégulière annulé un appel d’offres et en avait lancé un nouveau après avoir avisé verbalement le plaignant que le contrat lui avait été adjugé. En conséquence du fait que TPSGC avait communiqué à chacun des deux soumissionnaires le prix soumissionné par l’autre, le soumissionnaire non retenu avait considérablement réduit son prix lors du nouvel appel d’offres et l’avait remporté[9]. Le Tribunal a conclu comme suit :

    Les éléments de preuve dont le Tribunal a été saisi indiquent, selon lui, que le marché en question n’avait pas été adjugé par le Ministère au plaignant. Cependant, le Tribunal constate que le Ministère a agi comme si le marché avait été adjugé lorsqu’il a divulgué le renseignement sur le prix de chaque soumissionnaire. L’alinéa 1008(2)a) de l’ALÉNA précise que les entités ne communiquent pas à un fournisseur des renseignements se rapportant à tel ou tel marché, d’une manière qui aurait pour effet d’empêcher la concurrence. De l’avis du Tribunal, en divulguant les renseignements, le Ministère a pour ainsi dire fait en sorte qu’il soit impossible, dans les circonstances, que la réémission de l’appel d’offres soit équitable. Par conséquent, le Tribunal conclut que cette divulgation par le Ministère a eu pour effet d’empêcher la concurrence, ce qui constitue une violation de l’alinéa 1008(2)a) de l’ALÉNA.

  2. Le Tribunal a finalement conclu que TPSGC n’aurait pas dû annuler l’appel d’offres initial et, par conséquent, a recommandé que TPSGC verse au plaignant une indemnité en reconnaissance des profits qu’il aurait réalisés à titre d’adjudicataire.
  3. Hawboldt invoque aussi la décision du Tribunal dans Lengkeek, dans laquelle le plaignant soutenait que, dans le cadre d’un nouvel appel d’offres, TPSGC avait communiqué à un concurrent le prix qu’il avait soumissionné lors du premier appel d’offres[10]. Le Tribunal a conclu que cette divulgation commise par inadvertance avait violé l’article 501 de l’ACI, qui vise à « établir un cadre qui assurera à tous les fournisseurs canadiens un accès égal aux marchés publics », et l’article 504(3), qui interdit « l’exclusion injustifiable d’un fournisseur qualifié du processus d’appel d’offres ». Le Tribunal a affirmé ce qui suit[11] :

    En un sens absolu, la divulgation de renseignements commerciaux confidentiels ne pouvait empêcher LVE de soumissionner dans le cadre de la seconde invitation, mais il est clair que, de ce fait, au moins un concurrent important connaissait le prix de la première soumission de LVE. Ainsi, LVE aura vraisemblablement un sérieux désavantage au moment de fixer le prix de sa soumission eu égard à la seconde DP et subirait donc un préjudice fondamental par rapport à au moins un concurrent important dans le cadre de cette soumission. Ainsi, LVE n’aurait plus la possibilité de soumissionner comme il se doit. Vu l’objectif d’un accès égal aux marchés publics, énoncé à l’article 501 de l’ACI, le Tribunal estime que cette situation représente une exclusion injustifiable de la procédure de passation du marché public dans le cadre de la seconde DP.

  4. TPSGC maintient que Hawboldt n’a pas été lésée outre mesure car les termes du nouvel appel d’offres différeront de l’appel d’offres initial, notamment à cause du plus grand nombre de grues qui fera initialement l’objet de l’acquisition (l’économie d’échelle devant se refléter dans les prix soumissionnés), de nouveaux frais d’entreposage par appareil, de nouveaux services de soutien sur le terrain et de nouvelles pièces de rechange qui influenceront à la hausse les prix soumissionnés, et de la moindre importance accordée aux prix (le volet technique comptant pour 20 % des points obtenus par un soumissionnaire). Le prix de l’acier comme matière première peut aussi fluctuer. TPSGC conjecture que le prix soumissionné par Hawboldt le 25 août 2017 sera périmé au moment du lancement du nouvel appel d’offres.
  5. Enfin, TPSGC invoque aussi la décision rendue par le Tribunal dans une cause récente (AFG) concernant le lancement d’un nouvel appel d’offres, en particulier la note 15 où le Tribunal a affirmé ce qui suit : « Le Tribunal est sensible au fait qu’AFG peut être désavantagée sur le plan stratégique quant à l’appel d’offres renouvelé puisque son prix a été divulgué au moment de l’adjudication comme l’exigent les accords commerciaux. Cependant, la publication du prix de l’offre est requise en vertu des accords commerciaux et est une caractéristique du système d’appel d’offres et d’adjudication public établi depuis longtemps [...][12]. »

Analyse du Tribunal

  1. Les dispositions pertinentes des accords commerciaux stipulent que l’institution fédérale ne « doit » pas divulguer des renseignements confidentiels : la question de savoir si la divulgation a été commise par inadvertance est sans objet. Aussi, la preuve de la simple possibilité d’un préjudice – toute divulgation qui « pourrait nuire à une concurrence loyale entre fournisseurs » – est suffisante.
  2. Communiquer prématurément les prix soumissionnés avant que l’adjudication d’un contrat ne soit autorisée est une pratique qui porte atteinte à la concurrence. En effet, la période entre la réception des soumissions et l’adjudication d’un contrat est celle pendant laquelle la préservation de la confidentialité est probablement la plus nécessaire. Avant la clôture d’un appel d’offres, les institutions fédérales ne détiennent pas beaucoup de renseignements confidentiels, si tant est qu’ils en ont en leur possession; le risque de divulguer des renseignements confidentiels est donc faible. Après la clôture d’un appel d’offres, la divulgation des prix soumissionnés ayant trait à cet appel d’offres n’a pas vraiment d’importance puisque cela n’a aucune incidence sur la concurrence entre les soumissionnaires. Toutefois, la confidentialité des prix soumissionnés dans le cadre d’un appel d’offres est pertinente dans le cas où un nouvel appel d’offres est lancé. Les accords commerciaux prescrivent la mesure dans laquelle les institutions fédérales peuvent communiquer de tels renseignements précisément pour cette raison. Les accords commerciaux, ainsi que la législation et la réglementation ayant trait au Tribunal, prévoient que les soumissionnaires peuvent élever une objection eu égard à un appel d’offres à n’importe quelle étape de la procédure, y compris après la clôture de l’appel d’offres mais avant l’adjudication du contrat. Ces objections peuvent avoir pour résultat, si elles sont fondées, le lancement d’un nouvel appel d’offres, comme cela s’est produit en l’espèce. Lorsque les institutions fédérales n’appliquent pas et ne suivent pas pendant cette période les mesures visant à préserver la confidentialité des prix soumissionnés, elles risquent de porter atteinte à la concurrence lors d’un nouvel appel d’offres.
  3. Cela se reflète dans la jurisprudence du Tribunal. Les décisions dans Med-Emerg, Conair et Lengkeek appuient toutes l’affirmation selon laquelle un soumissionnaire peut subir un grave préjudice lors d’un nouvel appel d’offres à cause de la communication prématurée à des concurrents du prix qu’il a soumissionné dans l’appel d’offres initial. De plus, les courriels internes de TPSGC le reconnaissent bien, et un de ses directeurs a écrit ce qui suit le 23 octobre 2017[13] :

    Veuillez noter qu’aucun contrat n’a été adjugé mais que les lettres de rejet communiquant le prix du soumissionnaire conforme le moins-disant ont été expédiées. Cela cause des problèmes pour le nouvel appel d’offres car celui-ci doit maintenant être modifié pour éviter que les soumissionnaires profitent de ces renseignements. Tel que discuté, il est recommandé de revoir la pratique de communiquer les prix soumissionnés avant que le contrat ne soit effectivement adjugé.

    [Traduction]

  4. Tous les arguments de TPSGC ont trait à l’envergure et à la durée du préjudice à l’égard de la concurrence loyale – une fois encore, ces arguments sont pertinents en ce qui concerne la réparation, mais pas quant à la question de savoir s’il y a eu violation des accords commerciaux. Aucun de ces arguments ne réfute le fait que la divulgation de renseignements confidentiels a effectivement porté atteinte à la concurrence dans le cadre du nouvel appel d’offres. Les concurrents de Hawboldt connaissent maintenant le prix exact que celle-ci a soumissionné lors de l’appel d’offres initial. Ils savent aussi que Hawboldt était le soumissionnaire conforme le moins-disant. Par contre, Hawboldt n’a aucune idée du prix soumissionné par ses concurrents. La seule façon pour TPSGC de réfuter la présomption d’un préjudice dans le cas qui nous occupe serait de démontrer que l’adjudication du contrat en vertu du nouvel appel d’offres ne repose d’aucune façon sur le prix. Simplement réduire de 100 % à 80 % du total la part des points accordés pour le prix peut diminuer dans une certaine mesure l’ampleur ou l’éventualité d’un préjudice, mais cela n’élimine pas le préjudice qui a été causé.
  5. TPSGC soutient que les dispositions de l’ALENA stipulent qu’il doit publier la valeur du contrat, mais cela n’a rien à voir avec la question. L’article 1015(7) de l’ALENA stipule uniquement que l’acheteur public doit, entre autres, publier la valeur du contrat « [a]u plus tard 72 jours après l’adjudication d’un marché ». Cette disposition ne stipule pas que TPSGC devait communiquer la valeur du contrat dans les lettres de rejet et avant qu’il n’est reçu l’autorisation d’adjuger celui-ci. De plus, l’article 1015(8), qui suit immédiatement après, stipule expressément que l’acheteur public peut « ne pas divulguer certains renseignements relatifs à l’adjudication, si la communication de ces renseignements [...] c) pourrait nuire à une concurrence loyale entre fournisseurs ».
  6. Enfin, le Tribunal conclut également qu’AFG se distingue de l’espèce. Dans AFG, le Tribunal a déterminé qu’il n’avait pas compétence pour entendre la plainte parce que la contestation de l’annulation du contrat était une question qui relevait de l’administration des contrats, et non pas celle de savoir s’il y avait eu violation des accords commerciaux dans la procédure de passation du marché. Dans cette cause, TPSGC n’avait pas réévalué les soumissions donnant lieu au lancement d’un nouvel appel d’offres; il avait plutôt conclu que les exigences techniques étaient inadéquates. Il n’était pas non plus allégué que TPSGC n’avait pas eu l’autorisation d’adjuger le contrat. De plus, dans AFG, la légalité de l’annulation du contrat était expressément contestée, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
  7. Par conséquent, le Tribunal conclut que ce motif de plainte est fondé.

MESURE CORRECTIVE

  1. Hawboldt demande que les frais encourus pour la préparation de sa soumission et le dépôt de sa plainte lui soient remboursés, ainsi qu’une indemnité pour le préjudice subi en conséquence de la divulgation par TPSGC du prix qu’elle a soumissionné.
  2. Conformément au paragraphe 30.15(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur[14], le Tribunal dispose d’un large pouvoir discrétionnaire pour ce qui est des mesures correctives :

    Sous réserve des règlements, le Tribunal peut, lorsqu’il donne gain de cause au plaignant, recommander que soient prises des mesures correctives, notamment les suivantes :

    a) un nouvel appel d’offres;

    b) la réévaluation des soumissions présentées;

    c) la résiliation du contrat spécifique;

    d) l’attribution du contrat spécifique au plaignant;

    e) le versement d’une indemnité, dont il précise le montant, au plaignant.

  3. Conformément au paragraphe 30.15(3) de la Loi, pour déterminer quelle est la mesure corrective appropriée, le Tribunal doit prendre en compte les facteurs suivants :

    a) la gravité des irrégularités qu’il a constatées dans la procédure des marchés publics;

    b) l’ampleur du préjudice causé au plaignant ou à tout autre intéressé;

    c) l’ampleur du préjudice causé à l’intégrité ou à l’efficacité du mécanisme d’adjudication;

    d) la bonne foi des parties;

    e) le degré d’exécution du contrat.

  4. Le Tribunal a déjà émis des avertissements en ce qui concerne des comportements similaires sinon identiques à celui de l’espèce; le Tribunal est d’avis que la divulgation des prix soumissionnés avant qu’un contrat ne soit effectivement adjugé constitue une incontestable et sérieuse entorse à la procédure de passation des marchés.
  5. L’ampleur du préjudice subi par Hawboldt est substantiel pour les motifs énoncés ci-dessus – notamment parce que cette divulgation diminue sérieusement la possibilité que Hawboldt remporte un nouvel appel d’offres ou, au minimum, rend plus probable que même si Hawboldt est le soumissionnaire retenu, ce sera au dépend de profits réduits. Au pire, Hawboldt pourrait juger la situation si intenable au point de s’abstenir de soumissionner dans le cadre du nouvel appel d’offres.
  6. Les éléments de preuve indiquent que, de façon généralisée, les prix soumissionnés sont machinalement communiqués sans tenir compte du moment approprié pour le faire. Comme c’est le cas ici, le préjudice que cela cause à l’intégrité et à l’efficacité de la procédure de passation des marchés est sérieux et persistant. Cela porte atteinte à la concurrence lorsqu’un appel d’offres est relancé et restreint sérieusement la marge de manœuvre du Tribunal en ce qui concerne les mesures correctives.
  7. Comme le démontrent les causes Lengkeek et Conair, cela s’est produit auparavant. Dans les deux cas, le Tribunal a bien fait comprendre que cette façon de faire était problématique et pourrait donner lieu à ce qu’une indemnité soit recommandée. Les éléments de preuve indiquent que TPSGC a violé ses propres règles de procédure. De plus, il est mentionné dans les courriels internes de TPSGC que cela est un problème récurrent; un directeur a écrit ce qui suit (en réponse aux commentaires d’un autre directeur cités ci-dessus)[15] :

    De plus, en ce qui concerne le dernier point, j’examinerai avec mon équipe cette pratique de communiquer la valeur des contrats dans les lettres de rejet, que nous cesserons probablement. Cela a causé des problèmes dans certains cas quand nous avons dû lancer un nouvel appel d’offres étant donné que le prix soumissionné par un participant avait été divulgué. À ma connaissance, il n’y a aucune raison pour laquelle nous faisons cela avant qu’un contrat ne soit adjugé.

    [Traduction]

  8. En l’espèce, la recommandation du versement d’une indemnité est justifiée.
  9. Malgré les circonstances malencontreuses qui ont donné lieu à l’espèce, rien n’indique toutefois que TPSGC a agi de mauvaise foi.
  10. L’alinéa 30.15(3)e), qui concerne le degré d’exécution du contrat, ne s’applique pas étant donné qu’aucun contrat n’a été adjugé.
  11. Enfin, les parties s’opposent au report du calcul de l’indemnité. Le Tribunal avait d’abord songé à remettre à plus tard la recommandation du versement d’une indemnité étant donné que l’ampleur du préjudice subi par Hawboldt ne pourrait être évalué qu’une fois connus les résultats du nouvel appel d’offres – en effet, Hawboldt pourrait ne pas subir d’autres préjudices dans certaines circonstances, par exemple si Hawboldt ne soumissionne pas, si sa nouvelle soumission est jugée non conforme, ou si Hawboldt n’est pas le soumissionnaire retenu pour des raisons autres que le prix offert. Toutefois, Hawboldt soutient de façon convaincante que reporter le calcul de l’indemnité jusqu’à ce que les résultats du nouvel appel d’offres soient connus serait inéquitable car, dans le cadre du nouvel appel d’offres, si elle désire faire efficacement concurrence aux autres soumissionnaires qui connaissent maintenant le prix qu’elle a initialement soumissionné, elle aurait à subir une perte sans compensation en devant immédiatement réduire son prix. Le Tribunal est aussi d’avis que reporter le calcul de l’indemnité jusqu’à ce que la procédure du nouvel appel d’offres soit terminée serait également inéquitable envers les autres soumissionnaires si la mesure corrective demeure en suspens et est tributaire des résultats obtenus, c’est-à-dire que Hawboldt pourrait considérer la mesure corrective en suspens comme une indemnité aux fins de la soumission d’un prix concurrentiel.
  12. Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclut que la mesure corrective la plus appropriée est l’attribution d’une indemnité dans le cadre des présentes.
  13. Des mesures ordonnées par le Tribunal autres qu’une indemnité ne sont pas appropriées parce que Hawboldt reconnaît que l’annulation de l’appel d’offres initial et le lancement d’un nouvel appel d’offres est légitime. De plus, Hawboldt ne demande pas au Tribunal d’intervenir dans le nouvel appel d’offres, par exemple en recommandant la façon dont le prix ou d’autres critères devraient être notés – bien que le Tribunal prenne TPSGC au mot lorsqu’il affirme avoir l’intention de prendre les mesures qu’il a indiquées pour reformuler les termes du nouvel appel d’offres de manière à réduire au minimum le préjudice causé par la divulgation du prix soumissionné par Hawboldt.
  14. L’attribution du montant intégral des profits perdus n’est pas non plus appropriée parce que le contrat n’a pas encore été adjugé; Hawboldt a toute latitude pour participer au nouvel appel d’offres et pourrait le remporter. L’attribution des profits perdus serait inéquitable parce que cela pourrait aussi constituer une double indemnité et, par conséquent, donner à Hawboldt un avantage indu quant au prix dans le cadre du nouvel appel d’offre.
  15. Il est toutefois clair que Hawboldt a été défavorisée dans une certaine mesure en ce qui concerne le prix dans le cadre du nouvel appel d’offres : ses concurrents connaissent le prix par rapport auquel ils doivent faire une meilleure offre, mais Hawboldt ne connaît les prix qu’ils ont soumissionnés.
  16. Le Tribunal a l’autorité aux termes du paragraphe 30.15(2) de la Loi de recommander « que soient prises des mesures correctives, notamment [...] le versement d’une indemnité, dont il précise le montant ». Par conséquent, la recommandation d’une indemnité par le Tribunal ne se limite pas aux profits perdus mais peut être calculée en fonction du préjudice subi selon les particularités de chaque cause[16]. En l’espèce, le Tribunal recommande la mesure corrective suivante.
  17. Le Tribunal conclut que la mesure corrective appropriée en l’espèce est une indemnité égale  ███  ████ ████ █  ████  █ █  ███  ████  ████ ████ █  ████ █  ████ █ █  ████ ████ ████ ███  ████ █ █  ████ ████ █ █[17]. Cette indemnité vise à compenser Hawboldt pour le préjudice subi en lui fournissant une somme qui lui donnera une marge de manœuvre quant au prix qu’elle soumissionnera dans le cadre du nouvel appel d’offres afin de contrebalancer le fait que ses concurrents peuvent maintenant faire une proposition équivalente ou, très probablement, inférieure au prix que Hawboldt a soumissionné lors de l’appel d’offres initial. Fonder le calcul de l’indemnité sur  ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ███ lie celle-ci à l’appel d’offres faisant l’objet de la plainte tout en faisant en sorte que le montant de l’indemnité ne soit pas élevé au point de faire pencher la balance injustement en faveur de Hawboldt. Une telle indemnité correspond aussi à ce qui a été décidé dans des causes antérieures où le préjudice subi était difficilement quantifiable[18].
  18. De plus, le Tribunal conclut que le montant de l’indemnité doit demeurer confidentiel jusqu’à ce que soit terminée la procédure du nouvel appel d’offres. Manifestement, la confidentialité de l’indemnité évitera que les concurrents ne prennent celle-ci en compte lors du nouvel appel d’offres et ainsi qu’ils offrent des prix inférieurs à celui d’Hawboldt, comme si aucune indemnité n’avait été attribuée (et donnant lieu à ce que se manifeste de nouveau le préjudice causé par la façon de procéder de TPSGC). La recommandation confidentielle d’une indemnité au montant  ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ █  ████ ████ ████ ████ ████ ███ répond à l’objectif de réduire autant que possible le préjudice à son égard, évitant une double indemnité injustifiée, dans un effort de restaurer un certain équilibre et rendre la situation équitable pour tous dans le cadre du nouvel appel d’offres.
  19. Le Tribunal reconnaît qu’aucune mesure corrective dans les circonstances créées par TPSGC ne peut être parfaite, mais il croit qu’une telle indemnité replace l’ensemble des soumissionnaires dans une situation similaire « d’incertitude informationnelle » en ce qui concerne le prix que chacun d’eux pourrait soumissionner, comme si le préjudice n’avait pas eu lieu. De plus, cette indemnité reflète aussi la gravité de l’irrégularité dans la procédure de passation du marché et du préjudice que cela a causé à l’intégrité et à l’efficacité de la procédure d’appel d’offres. Ne pas accorder d’indemnité simplement parce que le préjudice subi par Hawboldt est difficilement quantifiable serait en contradiction avec le mandat du Tribunal, qui consiste à déterminer s’il y a eu violation des accords commerciaux et d’y remédier.

FRAIS POUR LA PRÉPARATION DE LA SOUMISSION

  1. Le Tribunal a aussi l’autorité aux termes du paragraphe 30.15(4) de la Loi d’« accorder au plaignant le remboursement des frais entraînés par la préparation d’une réponse à l’appel d’offres ». Ce pouvoir additionnel est distinct de celui conféré par le paragraphe 30.15(3), qui a trait aux mesures correctives.
  2. Hawboldt a participé à un appel d’offres qui, à cause d’erreurs commises par TPSGC dans la conception de celui-ci et dans l’évaluation des soumissions, a été annulé. À ce titre, les frais encourus par Hawboldt pour la préparation de sa soumission ont été pour ainsi dire gaspillés et Hawboldt devra encourir des frais en double pour participer au nouvel appel d’offres. Dans de telles situations, le Tribunal a, par le passé, accordé aux plaignants le remboursement des frais qu’ils avaient encourus pour la préparation de leur soumission[19]. De plus, TPSGC n’a exprimé aucune raison pour laquelle la demande de Hawboldt à cet égard devrait être rejetée. Par conséquent, le Tribunal accorde à Hawboldt, en plus de l’indemnité, le remboursement des frais raisonnables encourus pour la préparation de sa soumission.

INDEMNITÉ POUR LE DÉPÔT DE LA PLAINTE

  1. L’article 30.16 de la Loi prévoit ce qui suit : « Les frais relatifs à l’enquête – même provisionnels – sont [...] laissés à l’appréciation du Tribunal et peuvent être fixés ou taxés. »
  2. Pour déterminer le montant de l’indemnité en l’espèce, le Tribunal a tenu compte de sa Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure de plainte portant sur un marché public (la Ligne directrice), qui fonde l’évaluation du degré de complexité d’une plainte sur trois critères : la complexité du marché public, la complexité de la plainte et la complexité de la procédure.
  3. En l’espèce, la complexité du marché public était élevée, mais il ne faisait pas l’objet de la plainte. La plainte portait sur la divulgation par TPSGC de renseignements confidentiels, ce qui a requis une analyse relativement simple des dispositions des accords commerciaux ayant trait à la préservation de la confidentialité. Toutefois, la procédure a soulevé des questions plus complexes concernant l’indemnité appropriée, ce qui a requis le dépôt de commentaires supplémentaires de la part des parties. La procédure s’est aussi échelonnée sur 135 jours. Par conséquent, la complexité de la procédure était modérée.
  4. À ce titre, conformément à l’annexe A de la Ligne directrice, le Tribunal détermine provisoirement que le niveau de complexité de la plainte correspond au degré 2 et que le montant de l’indemnité est de 2 750 $.

DÉCISION

  1. Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi, le Tribunal détermine que la plainte est fondée.
  2. Aux termes des paragraphes 30.15(2) et (3) de la Loi, le Tribunal recommande que TPSGC indemnise Hawboldt d’un montant égal  ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████.
  3. Aux termes du paragraphe 30.15(4) de la Loi, le Tribunal accorde à Hawboldt, en plus de l’indemnité recommandée ci-dessus, le remboursement des frais raisonnables encourus pour la préparation de sa soumission.
  4. Si les parties ne peuvent s’entendre sur le montant de l’indemnité et des frais encourus pour la préparation de la soumission, Hawboldt déposera auprès du Tribunal, dans les 40 jours suivant la date de la présente décision, des observations sur la question de l’indemnité. TPSGC disposera ensuite de sept jours ouvrables après réception des observations de Hawboldt pour déposer des commentaires en réponse. Hawboldt disposera ensuite de cinq jours ouvrables après réception des commentaires en réponse de TPSGC pour déposer des commentaires additionnels. Les documents déposés auprès du Tribunal doivent être communiqués à l’autre partie.
  5. Aux termes de l’article 30.16 de la Loi, le Tribunal accorde à Hawboldt une indemnité pour les frais raisonnables encourus pour la préparation de sa plainte et l’engagement de la procédure, indemnité qui doit être payée par TPSGC. Conformément à la Ligne directrice, le Tribunal détermine provisoirement que le niveau de complexité de la plainte correspond au degré 2 et que le montant de l’indemnité est de 2 750 $. Si l’une ou l’autre des parties n’est pas d’accord en ce qui a trait à la détermination provisoire du degré de complexité ou du montant de l’indemnité, elle peut déposer des observations auprès du Tribunal, en conformité avec l’article 4.2 de la Ligne directrice. Il relève de la compétence du Tribunal de fixer le montant définitif de l’indemnité.

[1].     Accord révisé sur les marchés publics, en ligne : Organisation mondiale du commerce <http://www.wto.org/‌french/docs_f/legal_f/rev-gpr-94_01_f.htm> (entré en vigueur le 6 avril 2014) [AMP].

[2].     18 juillet 1994, Gaz. C. 1995.I.1323, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <https://www.cfta-alec.ca/accord-sur-le-commerce-interieur/?lang=fr> [ACI].

[3].     Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, 17 décembre 1992, R.T.C. 1994, no 2, en ligne : Affaires mondiales Canada <http://international.gc.ca/trade-commerce/trade-agreements-accords-comme... (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ALENA].

[4].     TPSGC, Guide des approvisionnements, articles 7.35 et 7.45, en ligne : https://achatsetventes.gc.ca/politiques-et-lignes-directrices/Guide-des-....

[5].     Ibid., annexe 7.1 : Lettres types de refus, en ligne : https://achatsetventes.gc.ca/politiques-et-lignes-directrices/guide-des-....

[6].     1091847 Ontario Ltd. (12 mars 2013), PR-2012-046 (TCCE) au par. 25.

[7].     Lanthier Bakery Ltd. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (6 mai 2015), PR-2014-047 (TCCE) aux par. 37, 38.

[8].     Med-Emerg International Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (15 juin 2005), PR-2004-050 (TCCE) au par. 41.

[9].     Conair Aviation, A Division of Conair Aviation Ltd. (31 janvier 1997), PR-95-039 (TCCE).

[10].   Lengkeek Vessel Engineering Incorporated c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (2 novembre 2006), PR-2006-022 (TCCE).

[11].   Ibid. au par. 38.

[12].   Aerospace Facilities Group Inc. (12 octobre 2017), PR-2017-015 (TCCE) [AFG] au par. 49.

[13].   Pièce PR-2017-045-10, Rapport de l’institution fédérale, document 27, vol. 1A.

[14].   Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, LRC 1985, ch. 47 (4e suppl.) [Loi].

[15].   Pièce PR-2017-045-10, Rapport de l’institution fédérale, document 27, vol. 1A.

[16].   Voir Canada (Procureur général) c. Envoy Relocation Services, 2007 CAF 176, aux par. 21-28.

[17].   ████ █ █  █ █ █  ████ █ █  ████ █ █ █  ████ █  ████ █ █  ████ █ █  ████ █ █  ████ █  ████  ████  ████ █ █  ████  ████  ████  ████  █  ████ ████ █ █  ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ █  ████ ████ █ █  ████ ████ █ █ █  ████ ████ ████ ████  ████ ████ ████ ████ █ █  ████ ████ ████ ████ █ █  ████ ████ ████ ████ ████  ████ ████ ████ ████ ████ █  ████ ████ ████ ████ ████ ████ █ █  ████ ████ ████ ████ ████ ████ █ █  ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ █ █ █  ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████  ████ ████ ████ ████ █ █  ████ ████ ████ █ █  ████ ████ ████ ████ ████ ████ █ █ █  ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ █  ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ █  ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████  ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ █ █  ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████  ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████  ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ █  ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ █ █  ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ █ █  ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████ ████  ████ ████ █ █ █.

[18].   Voir par exemple  █ █  █ █  █ █  ████  █ █ █  █ █  █ █  █ █  █ █  █ █  █ █  █ █  █ █  █ █  █ █  █ █  █ █  █ █  █ █  █ █ █  ████ █  █ █  █ █  █ █  █ █ █  █ █  █ █  █ █ (TCCE).

[19].   Canada (Procureur général) c. Envoy Relocation Services, 2007 CAF 176, au par. 35.