VINTAGE DESIGNING CO.

VINTAGE DESIGNING CO.
c.
MUSÉE CANADIEN DE L’HISTOIRE
Dossier no PR-2017-050

Décision et motifs rendus
le vendredi 13 avril 2018

TABLE DES MATIÈRES

 

EU ÉGARD À une plainte déposée par Vintage Designing Co. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.);

ET À LA SUITE D’une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

ENTRE

VINTAGE DESIGNING CO. Partie plaignante

ET

LE MUSÉE CANADIEN DE L’HISTOIRE Institution fédérale

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte n’est pas fondée.

Chaque partie assumera ses propres frais.

Peter Burn
Peter Burn
Membre présidant

Membre du Tribunal : Peter Burn, membre présidant

Personnel de soutien : Dustin Kenall, conseiller juridique

Partie plaignante : Vintage Designing Co.

Institution fédérale : Musée canadien de l’histoire

Conseillers juridiques pour l’institution fédérale : David Sherriff-Scott
Scott Pollock

Partie intervenante : Orkestra Marketing Inc.

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

EXPOSÉ DES MOTIFS

  1. Le 5 février 2018, Vintage Designing Co. (Vintage) a déposé une plainte sur le fondement du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur[1] concernant une demande d’offre à commandes (invitation no CMH-2532) (la DOC) publiée par le Musée canadien de l’histoire (MCH) visant la prestation de services de graphisme et de conception Web pour des publications et des produits d’entreprise.
  2. Vintage soulève cinq principaux motifs de plainte :
    • la DOC a été publiée à tort sur le site Web MERX, accessible par abonnement, plutôt que sur le site achatsetventes.gc.ca, le service électronique d’appels d’offres du gouvernement accessible gratuitement;
    • la DOC a été conçue pour favoriser des entreprises de conception titulaires;
    • le MCH a évalué de manière inéquitable la proposition de Vintage en raison de son parti pris contre les entreprises à propriétaire unique et non titulaires et sur la foi d’un critère non divulgué, qui exigeait que les soumissionnaires présentent un exemple de travail intégrant la propre marque du MCH et qui ne tenait pas compte de la preuve de l’expérience énoncée dans la proposition;
    • le MCH a indûment avisé la propriétaire exploitante de Vintage durant un compte rendu qu’elle aurait dû présenter de nouveaux travaux de conception non rémunérés (travaux spéculatifs) intégrant la marque du MCH;
    • le MCH a donné à la propriétaire exploitante de Vintage un compte rendu uniquement par téléphone et non en personne, comme elle le souhaitait.
  1. À titre de mesure corrective, Vintage demande que sa proposition soit réévaluée équitablement et qu’on lui attribue une offre à commandes. À titre subsidiaire, Vintage demande que la DOC soit annulée et publiée de nouveau aux termes d’un programme de surveillance de l’équité, et que ses modalités soient plus avantageuses pour les non titulaires. Vintage demande également le remboursement des frais de préparation de sa soumission ainsi que des frais qu’elle a engagés pour déposer sa plainte.
  2. Pour les motifs qui suivent, le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) conclut que la plainte n’est pas fondée.

CONTEXTE

  1. Le MCH a publié la DOC le 26 octobre 2017 sur MERX, un site Web privé accessible par abonnement servant à publier des appels d’offres des secteurs public et privé.
  2. La DOC visait à adjuger des offres à commandes à un maximum de dix soumissionnaires pour effectuer des travaux sur demande, pour une durée de deux ans avec possibilité de prolongation de deux années supplémentaires[2].
  3. Le 31 octobre 2017, la propriétaire de Vintage a envoyé un courriel au MCH pour lui demander de lui fournir gratuitement une copie des documents de l’appel d’offres. Le MCH a refusé, indiquant qu’à titre de société d’État, il avait le droit de les publier sur MERX et n’était pas tenu de les rendre accessibles sur le système électronique d’appels d’offres gratuit du gouvernement fédéral, achatsetventes.gc.ca[3].
  4. Vintage a présenté sa proposition avant la date de clôture des soumissions du 16 novembre 2017.
  5. L’évaluation de la DOC était fondée sur des exigences obligatoires, des exigences cotées ainsi que le prix.
  6. Les exigences cotées étaient divisées en deux étapes, soit l’évaluation de la proposition écrite (étape 1) et l’entrevue (étape 2). La première étape était divisée en trois catégories, soit la catégorie « expérience » [traduction] (biographie, CV, etc.), valant 20 points, la catégorie « portfolio de conception » [traduction] (échantillons de travaux de conception récents), valant 25 points, et la catégorie « contrôle de la qualité » [traduction] (procédures pour les employés et les sous-traitants), valant 5 points.
  7. L’exigence relative à l’expérience, figurant au paragraphe 2.0(1) de l’annexe 2, prévoit ce qui suit[4] :

Fournir une brève biographie et un CV pour chaque concepteur dans l’entreprise, en mettant l’accent sur les champs d’expertise connexes.

- Éducation, y compris une formation en conception et toute autre formation pertinente

- Expérience, en mettant en relief les travaux de conception réalisés pour des musées, des galeries d’art et des institutions culturelles

- Démontrer clairement que le soumissionnaire possède des compétences professionnelles dans les logiciels suivants, de préférence dans un environnement Mac : Microsoft Office (Word, Excel, PowerPoint et Outlook) et la suite Adobe Creative CS6 et plus (Photoshop, lllustrator, InDesign).

[Traduction]

  1. L’exigence relative au portfolio de conception, figurant au paragraphe 2.0(2) de l’annexe 2, prévoit ce qui suit[5] :

Fournir un lien vers le portfolio du concepteur démontrant des travaux récents (travaux créés au cours des cinq dernières années). Le portfolio devrait comprendre des exemples de projets de conception graphique pour une exposition de portée similaire à celle des projets du Musée.

Au moyen du formulaire 4 – Énoncé des compétences, fournir les renseignements détaillés de trois projets tirés du portfolio du concepteur. Les projets devraient être de portée similaire à celle des projets du Musée, tels qu’ils sont décrits à l’annexe 1.

Un (1) projet devrait être un livre comptant environ 100 à 200 pages;

Deux (2) autres projets, qui devraient avoir une portée similaire à celle des projets du Musée. Ces projets peuvent comprendre (sans s’y limiter) les suggestions suivantes :

o Conception graphique de publications imprimées

o Versions papier et électronique d’une brochure, d’un bulletin d’information, d’un rapport ou d’un magazine

o Matériel promotionnel ou de commercialisation

o Illustrations, documents infographiques ou tableaux originaux

o Campagne de courriels Web ou HTML

[Traduction]

  1. L’exigence relative au contrôle de la qualité, figurant au paragraphe 2.0(3) de l’annexe 2, prévoit ce qui suit[6] :

Décrire les procédures de contrôle de la qualité applicables aux employés internes ainsi qu’à tous travaux fournis par des sous-traitants.

Certaines des procédures que nous recherchons sont la façon dont le concepteur entend :

- respecter l’échéancier du projet

- respecter le budget

- faire le suivi des rondes de révisions

- intégrer les révisions de la conception

- tenir les clients au courant de toute question ou modification

- assurer la continuité du projet lorsque les employés sont absents

 - assurer la correction d’épreuves dans les deux langues officielles

[Traduction]

  1. Pour pouvoir passer à l’entrevue, les soumissionnaires devaient obtenir au moins 35 points sur 50 pour leur proposition écrite. Pour être évalués en fonction du prix (étape 3), ils devaient obtenir 14 points sur 20 pour leur entrevue[7].
  2. Toutes les propositions ont été évaluées par quatre évaluateurs, qui ont évalué individuellement chaque proposition et qui sont ensuite parvenus à un consensus sur les notes à attribuer[8].
  3. La proposition de Vintage répondait aux exigences obligatoires, mais n’a pas franchi l’étape suivant l’évaluation de sa proposition écrite parce qu’elle n’avait pas reçu le pointage minimal requis pour se rendre à l’étape 2.
  4. Le 25 janvier 2018, le MCH a avisé Vintage qu’il ne lui adjugerait pas d’offre à commandes. La propriétaire de Vintage a demandé un compte rendu en personne, mais le MCH a accepté d’en tenir un uniquement par téléphone, lequel a eu lieu le 3 février 2018.
  5. La propriétaire de Vintage soutient que le MCH l’a informée durant la séance de compte rendu qu’elle n’avait pas été retenue parce qu’aucun des projets figurant dans son portfolio ne répondait aux exigences du Musée selon lesquelles les exemples devaient démontrer des compétences à présenter la marque du Musée.
  6. Le 5 février 2018, Vintage a déposé la présente plainte auprès du Tribunal.
  7. Le 5 mars 2018, Orkestra Marketing Inc. (Orkestra), un des soumissionnaires retenus dans le cadre de la DOC, a demandé l’autorisation d’intervenir, autorisation qui lui a été accordée le 7 mars 2018.
  8. Le 15 mars 2018, le MCH a déposé son rapport d’institution fédérale (RIF).
  9. Vintage a présenté ses commentaires sur le RIF le 22 mars 2018. Orkestra a présenté ses commentaires sur le RIF le 27 mars 2018.

ACCORDS COMMERCIAUX

  1. Les sociétés d’État sont des institutions visées par les dispositions de l’Accord de libre-échange canadien[9], de même que les services de graphisme et de conception Web obtenus à une valeur de 500 000 $ ou plus[10]. Par conséquent, l’ALÉC s’applique à la présente DOC.

ANALYSE

  1. Le paragraphe 30.14(1) de la Loi sur le TCCE exige que, dans son enquête, le Tribunal limite son étude à l’objet de la plainte. À la conclusion de l’enquête, le Tribunal doit déterminer le bien-fondé de la plainte, à savoir si les procédures et autres critères prescrits relativement au contrat spécifique ont été respectés. L’article 11 du Règlement prévoit également que le Tribunal doit décider si la procédure de passation du marché public a été suivie conformément aux exigences des accords commerciaux pertinents qui, en l’espèce, est l’ALÉC[11].

La DOC aurait-elle dû être publiée sur achatsetventes.gc.ca au lieu de MERX?

  1. Bien que ce motif n’ait pas été soulevé par Vintage dans sa plainte initiale, le MCH a indiqué dans son RIF que Vintage s’était opposée au fait que la DOC soit publiée sur MERX au lieu du site achatsetventes.gc.ca, étant donné le coût d’un abonnement au site pour avoir accès aux documents d’appel d’offres.
  2. Vintage a finalement obtenu une copie provenant de MERX et n’a pas donné suite à la question à ce moment-là.
  3. Le plaignant dispose de 10 jours ouvrables à compter de la date à laquelle il a découvert, ou aurait dû vraisemblablement découvrir, les faits à l’origine de la plainte pour présenter une opposition à l’institution fédérale ou pour déposer une plainte auprès du Tribunal. Si le plaignant soulève une opposition auprès de l’institution fédérale dans le délai prescrit, il disposera de 10 jours ouvrables pour déposer une plainte auprès du Tribunal suivant la date à laquelle il a pris connaissance, directement ou par déduction, du refus de réparation de l’institution fédérale[12].
  4. Comme Vintage n’a pas soulevé d’opposition auprès du Tribunal dans les 10 jours suivant le refus du MCH de publier la DOC sur achatsetventes.gc.ca ou de la lui fournir gratuitement, ce motif de plainte ne peut être considéré comme ayant été présenté dans les délais prescrits, même s’il avait été soulevé dans la plainte.
  5. Quoi qu’il en soit, il convient de souligner que les obligations qu’impose l’ALÉC au MCH exigent notamment ce qui suit :
    • qu’il « publie un avis d’appel d’offres pour chaque marché couvert sur un des sites Web ou systèmes d’appels d’offres désignés par sa Partie » (paragraphe 506(1)), c’est-à-dire achatsetventes.gc.ca, qui est le système électronique d’appels d’offres officiel du gouvernement du Canada aux termes des accords commerciaux[13];
    • que « [t]ous les avis d’appel d’offres so[ie]nt accessibles gratuitement aux fournisseurs »[14];
    • qu’il « met[te] à la disposition des fournisseurs la documentation relative à l’appel d’offres qui contient tous les renseignements nécessaires pour qu’ils puissent préparer et présenter des soumissions valables »[15].

Les exigences de la DOC sont-elles discriminatoires en faveur de titulaires?

  1. La propriétaire de Vintage soutient que les modalités de la DOC révèlent un parti pris contre les entreprises à propriétaire unique et non titulaires. Elle fait remarquer que l’article 4.0 de la partie 2 exige que les soumissionnaires « [f]ourni[ssent] des renseignements détaillant [leur] expérience et compétences, y compris des exemples du plus récent contrat sur lequel [ils ont] travaillé qui présente un intérêt pour ce type de projet » [traduction]. Elle affirme que cette disposition porte préjudice à l’entreprise qui n’a pas d’expérience de travail préalable avec le MCH. Elle allègue ce qui suit au sujet de la DOC : « Il est implicite tout au long de ce document que le soumissionnaire devrait être en mesure de présenter des exemples de conception comme ce qui se fait au musée »[16] [traduction]. Ce document a donc été « conçu précisément pour garder les fournisseurs actuels et non pour en ajouter, sauf si le soumissionnaire a présenté dans son portfolio des projets en lien avec des musées qu’il a réalisés au cours des deux dernières années »[17] [traduction]. Elle conclut qu’« une petite entreprise n’aurait aucune chance à moins d’avoir agi comme  sous-traitant et présenté des exemples ou d’avoir travaillé pour l’un de nos musées nationaux [...] »[18].
  2. Le MCH affirme que toute plainte au sujet des modalités de la DOC elle-même est forclose parce qu’elle n’a pas été soulevée dans les 10 jours ouvrables suivant la publication de la DOC.
  3. La jurisprudence du Tribunal confirme que les oppositions aux modalités et exigences des documents d’invitation doivent être soulevées dans les 10 jours ouvrables suivant leur publication — les fournisseurs ne peuvent simplement attendre que les résultats d’une procédure de passation des marchés publics soient disponibles avant de soulever une opposition[19]. Aucune opposition de cette nature n’a été soulevée dans les 10 jours ouvrables suivant la publication de la DOC. Par conséquent, ce motif de plainte n’a pas été présenté dans les délais prescrits.
  4. Quoi qu’il en soit, même si ce motif de plainte avait été présenté en temps opportun, la jurisprudence du Tribunal indique clairement que les institutions fédérales ont un vaste pouvoir discrétionnaire de définir les exigences en matière d’expérience dans les procédures d’appel d’offres dans la mesure où elles constituent des exigences opérationnelles légitimes. Le Tribunal a expliqué ce qui suit[20] :

[...] [U]ne entité acheteuse a le droit d’exprimer tous les besoins réels et raisonnables qu’elle peut avoir et n’est pas tenue de compromettre ses besoins opérationnels légitimes pour tenir compte des circonstances d’entreprise particulières d’un soumissionnaire.

[...] [U]ne procédure d’appel d’offres n’est pas nécessairement discriminatoire en soi lorsque les soumissionnaires ne sont pas sur un pied d’égalité au moment de s’engager dans la procédure de soumission. [...] [L]es avantages concurrentiels de certains fournisseurs peuvent découler du simple fait qu’une société est titulaire d’un contrat ou de divers autres facteurs commerciaux. Par conséquent, si un soumissionnaire est désavantagé, il ne s’ensuit pas nécessairement que la procédure d’appel d’offres appliquée par TPSGC soit discriminatoire. Pour ce motif, le fait que l’exigence relative à un type précis d’équipement soit restrictive et puisse être plus contraignante pour certains fournisseurs potentiels que d’autres ne suffit pas pour conclure que la procédure d’appel d’offres est discriminatoire.

  1. L’article 503(5)f) de l’ALÉC interdit d’« exiger une expérience préalable si cela n’est pas essentiel pour qu’il soit satisfait aux prescriptions du marché ». Les exigences cotées de la DOC indiquaient que le portfolio des travaux de conception récents devait « comprendre des exemples de projets de conception graphique pour une exposition de portée similaire à celle des projets du Musée » [traduction]. Cette disposition ne fait pas en sorte qu’une proposition n’est pas conforme parce qu’elle présente des projets qui n’ont aucun lien avec des musées. Elle indique simplement que l’expérience préalable dans des projets de portée similaire pourrait recevoir une meilleure note. Par conséquent, cet aspect des critères cotés ne constituait pas une exigence d’expérience préalable dans les projets du MCH[21]. La plaignante n’a présenté aucune preuve ni aucun motif pour permettre au Tribunal de conclure qu’il ne s’agissait pas d’une exigence opérationnelle légitime du MCH. En effet, l’indication que les points seraient alloués, dans le cadre de l’exigence relative au portfolio de conception, aux soumissions ayant fourni des exemples de projets de portée similaire aux projets antérieurs du MCH est un baromètre pertinent pour mesurer la portée des futures exigences opérationnelles prévues.
  2. Par conséquent, le Tribunal conclut que ce motif de plainte n’est pas fondé.

Dans son évaluation, le MCH a-t-il fait preuve de parti pris contre les entreprises à propriétaire unique et non titulaires?

  1. La propriétaire de Vintage allègue que dans l’évaluation de sa proposition, le MCH a fait preuve de parti pris contre les entreprises à propriétaire unique et non titulaires. Elle fait remarquer que l’un des évaluateurs a retranché des points dans la catégorie du contrôle de la qualité parce que seule une personne serait en mesure d’examiner les documents. Elle affirme que les commentaires des évaluateurs concernant les exemples fournis dans son portfolio sont injustifiés et « insignifiants » [traduction], un prétexte pour justifier leur parti pris. Elle conteste l’expertise de l’un des évaluateurs (qui a également agi comme personne-ressource du MCH dans le cadre de la procédure de passation du marché) à évaluer la conception graphique, au motif qu’il agissait uniquement comme « responsable de l’approvisionnement » [traduction]. Elle a passé beaucoup de temps à s’opposer à la nature du compte rendu, qui, selon elle, était expéditif, unilatéral et trop centré sur les procédures plutôt que sur le fond. Enfin, elle soutient que comparer les exemples de projets qu’elle a présentés à ceux d’autres soumissionnaires ayant présenté des exemples de projets en lien avec des musées « revient à comparer des pommes avec des oranges »[22].
  2. Le MCH nie que les évaluateurs avaient un parti pris. Il soutient que Vintage n’a présenté aucune preuve ni aucun exemple concret de parti pris dans l’évaluation elle-même. Au contraire, il a présenté des renseignements confidentiels en lien avec l’évaluation dans laquelle le MCH a exercé son pouvoir discrétionnaire en appliquant les exigences obligatoires de la DOC pour permettre à Vintage de participer à l’appel d’offres, ce qui démontre une absence de parti pris contre Vintage.
  3. Comme nous l’avons déjà dit, les accords commerciaux confèrent aux institutions fédérales un vaste pouvoir discrétionnaire de fixer des exigences en matière d’expérience, pour autant qu’elles reflètent des besoins opérationnels légitimes et ne soient pas délibérément discriminatoires. Plus particulièrement, l’article 503(5)f) de l’ALÉC interdit d’« exiger une expérience préalable si cela n’est pas essentiel pour qu’il soit satisfait aux prescriptions du marché ». 
  4. Le Tribunal ne remet pas en question les résultats des évaluateurs à moins que ceux-ci soient déraisonnables[23]. Le Tribunal a déjà affirmé qu’il « n’interviendra que si les évaluateurs ont incorrectement interprété une condition requise, n’ont pas effectué consciencieusement l’évaluation, n’ont pas tenu compte de renseignements cruciaux figurant dans la soumission, ont fondé leur évaluation sur des critères non divulgués ou ont effectué l’évaluation d’une manière qui n’est pas équitable du point de vue de la procédure. »[24]
  5. Vintage n’a pas, comme la loi l’exige, relevé de preuve concrète de mauvaise foi ou de parti pris, au lieu de simples suppositions, à l’appui de son allégation selon laquelle l’évaluation de sa proposition a été effectuée d’une manière délibérément biaisée visant à favoriser d’autres fournisseurs à son détriment[25]. De plus, rien dans les feuilles de pointage des évaluateurs ne révèle un quelconque parti pris.
  6. Vintage conteste le pointage des évaluateurs, mais ne fournit aucune preuve pour permettre au Tribunal de le juger déraisonnable plutôt que seulement, à son avis, incorrect. Le MCH a eu raison de conclure que le nombre d’employés disponibles chez le fournisseur pour examiner les documents pourrait influer sur le contrôle de la qualité. Quant à l’allégation du manque d’expertise de l’un des évaluateurs, les accords commerciaux n’exigent pas que les équipes d’évaluation soient formées uniquement d’experts dans les biens et services fournis, bien que certaines familiarités avec ces biens et services soient évidemment préférables.
  7. Enfin, bien que l’analogie proposée par Vintage concernant la comparaison de sa proposition avec celle d’autres soumissionnaires soit bien formulée, elle ne présente aucun intérêt pour la question fondamentale, soit celle de savoir si le MCH avait le droit de fixer ses exigences cotées comme il l’entendait. Le Tribunal a reconnu depuis longtemps ce qui suit[26] :

[U]ne procédure d’appel d’offres n’est pas nécessairement discriminatoire parce que les soumissionnaires ne sont pas sur un même pied d’égalité au moment de s’engager dans la procédure de soumission. Certains avantages concurrentiels pour certains fournisseurs par rapport à d’autres peuvent découler du fait qu’une société est titulaire d’un contrat, détient des droits de propriété intellectuelle ou de divers autres facteurs commerciaux.

  1. Le fait que les soumissionnaires ayant présenté des exemples de projets similaires pour d’autres musées ou institutions culturelles ou artistiques ont reçu une meilleure note n’est pas en soi une indication de parti pris.
  2. Par conséquent, le Tribunal conclut que ce motif de plainte n’est pas fondé.

L’évaluation était-elle fondée sur un critère non divulgué ou sur une preuve autrement ignorée?

  1. En ce qui concerne les points perdus dans la catégorie de l’expérience, la propriétaire de Vintage allègue que le MCH a indûment retranché des points parce qu’il a conclu que Vintage ne maîtrisait pas la suite Adobe Creative ou Microsoft Office. Elle fait valoir que cette conclusion était déraisonnable étant donné que ces logiciels font partie des normes de l’industrie et qu’elle avait déjà joint à sa proposition un formulaire de certification indiquant qu’elle avait le logiciel.
  2. Le MCH soutient qu’il a eu raison de conclure que Vintage n’avait pas l’expérience nécessaire étant donné que la DOC exigeait expressément que le soumissionnaire « démontr[e] clairement qu’il possède des compétences professionnelles » [traduction] dans le logiciel susmentionné dans une biographie et un curriculum vitae (CV). 
  3. Le Tribunal estime que la décision du MCH était raisonnable. La DOC exigeait que le soumissionnaire « démontr[e] clairement qu’il possède des compétences professionnelles » [traduction] dans une biographie et un CV. Le CV de la propriétaire de Vintage fait référence à Adobe Creative, mais pas à Microsoft Office. Dans sa proposition, elle n’aborde pas précisément et n’étaye pas non plus ses compétences dans l’un ou l’autre des logiciels. Le Tribunal a systématiquement conclu que pour démontrer qu’il possède des compétences, le soumissionnaire ne doit pas uniquement affirmer qu’il répond aux exigences, sans plus[27]. Aucune preuve de cette nature n’a été présentée en l’espèce. En outre, rien n’indique que les évaluateurs ont agi de manière déraisonnable compte tenu du critère rigoureux obligeant le soumissionnaire à « démontrer clairement » [traduction] ses compétences. Par conséquent, le Tribunal conclut que ce motif de plainte n’est pas fondé.
  4. En ce qui concerne les points perdus dans la catégorie du portfolio de conception, la propriétaire de Vintage allègue que le MCH lui a dit que ses premier et deuxième projets figurant dans son portfolio étaient inacceptables parce que ce n’était pas des publications de musées ou parce qu’ils ne comportaient pas la propre marque du MCH. Elle fait essentiellement valoir que le MCH a appliqué ces critères alors qu’ils n’avaient pas été communiqués, ce qui lui a valu un pointage moins élevé, même si la DOC exigeait uniquement que les projets présentés soient « de portée similaire à celle des projets du Musée » [traduction].
  5. S’appuyant sur les feuilles de pointage des évaluateurs, le MCH nie que Vintage a perdu des points parce que ses projets n’avaient aucun lien avec les musées. Vintage répond qu’aucune date estampillée ne figure sur les feuilles de pointage, de sorte qu’elles auraient pu être simplement remplies après le dépôt de la plainte auprès du Tribunal.
  6. Le Tribunal estime que les feuilles de pointage étayent la décision du MCH. Toutes les feuilles d’évaluation contiennent les commentaires des évaluateurs à l’appui de la note qu’ils ont attribuée, ainsi qu’un registre de la note concertée pour chacun des trois critères. Toutes les feuilles d’évaluation sont datées (à la main), sauf une. Les feuilles de pointage contiennent également des directives générales à l’intention des examinateurs qui établissent les critères de notation, qui n’attribuent aucun point au soumissionnaire s’il n’a donné « aucune réponse pertinente ou [s’il a donné] une simple déclaration de conformité sans preuve qui mérite que l’on s’y attarde » [traduction] et qui attribue la totalité des points au soumissionnaire s’il a donné une « réponse [qui] est excellente et surpasse les exigences »[28] [traduction]. La plaignante a reçu la note zéro pour aucun des critères énoncés dans l’évaluation concertée.
  7. Bien que certains commentaires des évaluateurs fassent référence au manque d’expérience de la plaignante concernant des projets culturels, artistiques ou tout autre projet en lien avec un musée, cette expérience était précisément désignée comme pertinente à l’article 2.0 de l’annexe 2 de la DOC. Aucune des feuilles des évaluateurs ne fait référence au fait que la plaignante n’a aucun projet antérieur avec le MCH précisément ou à l’absence d’un exemple de portfolio intégrant les marques et les logos du MCH. Le Tribunal ne suppose pas que les évaluateurs ou les agents d’approvisionnement sont de mauvaise foi ou ont un parti pris en l’absence d’éléments de preuve substantiels à cet égard. La simple supposition ou insinuation ne suffit pas[29]. Par conséquent, le Tribunal estime que ce motif de plainte n’est pas fondé.

La demande de présenter des travaux spéculatifs était-elle inappropriée?

  1. Vintage allègue que le MCH a affirmé durant le compte rendu que Vintage aurait pu présenter des travaux spéculatifs dans sa proposition pour obtenir un meilleur pointage dans l’évaluation. Vintage cite les publications de la Registered Graphic Designers Association de l’Ontario et de la Société des graphistes du Canada, lesquelles s’opposent aux demandes de travaux spéculatifs au motif qu’elles ne sont pas professionnelles.
  2. Le MCH nie avoir fait une telle déclaration et affirme que son représentant a simplement dit, en réponse à une question de la propriétaire de Vintage quant à savoir comment elle pouvait augmenter ses chances de décrocher des contrats publics à l’avenir, qu’elle pouvait élaborer un site Web de démonstration pour afficher un projet sans contrainte budgétaire imposée par ses clients. Vintage insiste sur le fait que cette suggestion concernait la création de travaux spéculatifs pour le MCH dans le cadre de la DOC.
  3. Il est inutile pour le Tribunal de déterminer l’objet exact de la suggestion contestée, puisqu’elle n’est pas pertinente sur le plan juridique. L’ALÉC ne contient aucune disposition qui empêche les entités gouvernementales de demander aux fournisseurs de fournir des travaux spéculatifs. La disposition qui semble le mieux réglementer ce type de conduite est l’alinéa 503(5)f) de l’ALÉC, qui prévoit qu’une entité gouvernementale ne peut « exiger une expérience préalable si cela n’est pas essentiel pour qu’il soit satisfait aux prescriptions du marché ». Toutefois, exiger que les fournisseurs éventuels remettent des travaux spéculatifs ne revient pas à exiger une expérience préalable. De plus, la DOC n’indique pas, du moins à première vue, qu’une expérience préalable en prestation de services graphique et de conception Web au MCH est essentielle. Par conséquent, le Tribunal estime que ce motif de plainte n’est pas fondé.

Le MCH aurait-il dû fournir un compte rendu en personne?

  1. Vintage fait valoir que l’une des modifications apportées à la DOC indiquait que les soumissionnaires auraient droit à un compte rendu en personne.
  2. Le MCH soutient que les modalités de la DOC et ses modifications indiquent sans équivoque que le format du compte rendu est à la discrétion du MCH.
  3. L’ALÉC impose les exigences suivantes concernant le compte rendu :

Article 516 : Transparence des renseignements relatifs aux marchés

Renseignements communiqués aux fournisseurs

1. Une entité contractante informe dans les moindres délais les fournisseurs participants des décisions qu’elle a prises concernant l’adjudication du marché et, si un fournisseur le lui demande, elle le fait par écrit. Sous réserve de l’article 517, une entité contractante expose, sur demande, à un fournisseur non retenu les raisons pour lesquelles elle n’a pas retenu sa soumission.

  1. L’ALÉC ne précise pas que les institutions fédérales doivent offrir des séances de compte rendu en personne.
  2. L’article 5.0 de la partie 1 de la DOC est rédigé comme suit[30] :

COMPTE RENDU

Un compte rendu est offert aux proposants sur demande écrite seulement, et pourvu que cette demande soit reçue par le Musée dans les dix (10) jours suivant la date d’adjudication. Ces séances peuvent être menées soit par téléconférence soit en personne, au choix du Musée. Les résumés écrits des comptes rendus et les notes obtenues à l’évaluation ne sont pas remis.

[Traduction]

  1. De plus, à la question no 12 de l’addenda no 1 de la DOC, publiée avant la date de clôture de la DOC, il est indiqué de nouveau qu’un compte rendu en personne serait uniquement offert « au choix du Musée »[31] [traduction]. Ainsi, la DOC n’accordait pas aux soumissionnaires le droit à un compte rendu en personne.
  2. Par conséquent, ce motif de plainte est infondé et n’a pas été présenté dans les délais prescrits.

DÉCISION

  1. Pour les motifs susmentionnés, le Tribunal conclut que la plainte n’est pas fondée.

FRAIS

  1. Habituellement, la partie ayant gain de cause a droit au remboursement des frais raisonnables engagés en lien à la procédure. Toutefois, le MCH n’a pas demandé le remboursement de ses frais dans le RIF. Le Tribunal n’accorde pas d’ordinaire le remboursement des frais lorsque ceux-ci ne sont pas demandés[32]. Par conséquent, chaque partie assumera ses propres frais.

DÉCISION DU TRIBUNAL

  1. Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal détermine que la plainte n’est pas fondée.
  2. Chaque partie assumera ses propres frais.
 

[1].     L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.) [Loi sur le TCCE].

[2].     Pièce PR-2017-050-19, pièce 1 à la p. 52, vol. 1.

[3].     Pièce PR-2017-050-19A (protégée), pièce 8, vol. 2.

[4].     Pièce PR-2017-050-01 à la p. 21, vol. 1.

[5].     Ibid.

[6].     Ibid. aux p. 21-22.

[7].     Pièce PR-2017-050-19, pièce 1 à la p. 59, vol. 1.

[8].     Pièce PR-2017-050-19A (protégée), pièce 7, vol. 2.

[9].     Accord de libre-échange canadien, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <https://www.cfta-alec.ca/wp-content/uploads/2017/06/CFTA-Consolidated-Te... (entré en vigueur le 1er juillet 2017) [ALÉC].

[10].   Bien que la DOC n’indique aucune valeur estimative du marché, le MCH n’a pas invoqué l’absence de compétence du Tribunal en l’espèce puisque le seuil pécuniaire n’était pas atteint.

[11].   Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics, DORS/93-602 [Règlement].

[12].   Article 6 du Règlement.

[13].   Paragraphe 506(1) de l’ALÉC. Le MCH n’a présenté aucune preuve démontrant que MERX aurait été désigné par le Canada comme un site Web ou un système d’appel d’offres pouvant être utilisé par les sociétés d’État.

[14].   Paragraphe 506(5) de l’ALÉC.

[15].   Paragraphe 509(7) de l’ALÉC.

[16].   Pièce PR-2017-050-01 aux pp. 66-67, vol. 1.

[17].   Pièce PR-2017-050-22, vol. 1.

[18].   Ibid.

[19].   IBM Canada Ltd. c. Hewlett Packard (Canada) Ltd., 2002 CAF 284 (CanLII) aux par. 20 et 28; Futura Workwear Safety Tech Inc. (7 juin 2017), PR-2016-011 (TCCE) au par. 13; Primex Project Management Ltd. (22 août 2002), PR-2002-001 (TCCE) à la p. 10.

[20].   Almon Equipment Limited c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (3 janvier 2012), PR-2011-023 (TCCE) aux par. 27-28. Voir également Air Tindi Ltd. (8 septembre 2011), PR-2011-026 (TCCE) au par. 18 (le Tribunal a refusé d’ouvrir une enquête parce que l’institution fédérale avait « le droit d’exprimer tous les besoins véritables et raisonnables qu’[elle] pouvait avoir ») et 3775356 Canada Inc. (15 août 2011), PR‑2011-018 et PR-2011-019 (TCCE) au par. 21 (le Tribunal a refusé d’ouvrir une enquête sur le fondement d’une allégation de discrimination non fondée contre les petites entreprises et sur le fondement du droit d’une entité acheteuse de définir les paramètres d’une demande de proposition, pour autant qu’ils soient raisonnables). 

[21].   Si le MHC avait exigé une expérience préalable dans la DOC, cette exigence aurait pu soulever une question de conformité avec l’alinéa 503(5)f) de l’ALÉC, c’est-à-dire si une telle exigence était essentielle pour qu’il soit satisfait aux prescriptions du marché. Toutefois, comme nous l’avons indiqué, une plainte pour des motifs liés aux modalités de la DOC elle-même aurait été déposée en dehors du délai.

[22].   Pièce PR-2017-050-22, vol. 1.

[23].   High Criteria Inc c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (16 avril 2014), PR-2013-039 (TCCE) au par. 19.

[24].   Ibid.

[25].   Voir, par exemple, Paul Pollack Personnel Ltd. s/n The Pollack Group Canada c. Ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (11 janvier 2013), PR-2012-021 (TCCE) au par. 36.

[26].   Almon Equipment Limited c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (3 janvier 2012), PR‑2011‑022 (TCCE) au par. 41.

[27].   Voir, par exemple, Deloitte Inc. c. Ministère des Pêches et des Océans et Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (25 juillet 2017), PR-2016-069 (TCCE) au par. 26.

[28].   Pièce PR-2017-050-19A (protégée) à la p. 50, vol. 2.

[29].   Voir, par exemple, Almon Equipment Limited (19 octobre 2011), PR-2011-033 (TCCE) au par. 14.

[30].   Pièce PR-2017-050-19, pièce 1 à la p. 48, vol. 1.

[31].   Ibid., pièce 3 à la p. 197.

[32].   1091847 Ontario Ltd. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (27 janvier 2011), PR‑2010-071 (TCCE) au par. 38; Foundry Networks (16 novembre 2001), PR-2000-060 (TCCE).