ALS CANADA LTD.

ALS Canada Ltd
c.
Statistique Canada
Dossier no PR-2017-067

Décision et motifs rendus
le lundi 4 juin 2018

TABLE DES MATIÈRES

EU ÉGARD À une plainte déposée par ALS Canada Ltd aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.);

ET À LA SUITE D’une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

ENTRE

ALS CANADA LTD Partie plaignante

ET

STATISTIQUE CANADA Institution fédérale

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte est fondée.

Aux termes des paragraphes 30.15(2) et 30.15(3) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande que Statistique Canada indemnise ALS Canada Ltd d’un montant équivalant au quart du profit qu’ALS Canada Ltd aurait réalisé si elle avait présenté une soumission pour effectuer les travaux à un prix égal à celui auquel le contrat a été accordé, moins un dollar, calculé pour la période allant du 16 mars 2018 jusqu’à l’issue de tout nouvel appel d’offres. Le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande également qu’un nouvel appel d’offres soit lancé, et qu’un nouveau contrat soit accordé dès que possible, sans toutefois excéder la fin de la première période d’un an du contrat, de sorte que les travaux requis dans le cadre d’une éventuelle première ou deuxième année optionnelle soient confiés uniquement en régime concurrentiel, advenant que le besoin doive toujours être comblé.

Si les parties ne peuvent s’entendre sur le montant de l’indemnité, ALS Canada Ltd déposera auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur, dans les 40 jours suivant la date de la présente décision, un mémoire sur la question de l’indemnité. Statistique Canada disposera alors de sept jours ouvrables après la réception du mémoire d’ALS Canada Ltd pour déposer un mémoire en réponse. ALS Canada Ltd disposera ensuite de cinq jours ouvrables après la réception du mémoire en réponse de Statistique Canada pour déposer des observations supplémentaires. Chaque partie doit faire parvenir simultanément tous ses documents au Tribunal canadien du commerce extérieur et à l’autre partie.

Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur accorde à ALS Canada Ltd les frais raisonnables qu’elle a engagés pour préparer et déposer la présente plainte, ces frais devant être payés par Statistique Canada. Conformément à la Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure de plainte portant sur un marché public, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine provisoirement que le degré de complexité de la présente plainte correspond au degré 1 et que le montant de l’indemnité est de 1 150 $. Si l’une ou l’autre des parties n’est pas d’accord en ce qui a trait à la détermination provisoire du degré de complexité ou du montant de l’indemnité, elle peut présenter des observations auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur, en conformité avec l’article 4.2 de la Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure de plainte portant sur un marché public. Il relève de la compétence du Tribunal canadien du commerce extérieur de fixer le montant définitif des frais.

Peter Burn
Peter Burn
Membre présidant

Membre du Tribunal : Peter Burn, membre présidant

Personnel de soutien : Dustin Kenall, conseiller juridique

Partie plaignante : ALS Canada Ltd

Institution fédérale : Statistique Canada

Conseiller juridique pour l’institution fédérale : Susan D. Clarke
Ian McLeod
Roy Chamoun
Kathryn Hamill

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 

EXPOSÉ DES MOTIFS

  1. Le 28 mars 2018, ALS Canada Ltd (ALS) a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) concernant un préavis d’adjudication de contrat (PAC) relatif à un marché (invitation no J012173) passé par Statistique Canada en vue de la fourniture de services d’analyse en laboratoire des eaux usées municipales au Canada, aux fins de la collecte d’information sur la consommation de cannabis.
  2. ALS s’oppose au critère obligatoire du PAC qui oblige les fournisseurs intéressés à démontrer dans leur énoncé des capacités que leur laboratoire est agréé par le réseau Sewage analysis CORe group – Europe (réseau SCORE).
  3. Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que la plainte est fondée et recommande qu’une indemnité soit versée à ALS et que les travaux visés fassent l’objet d’un appel d’offres concurrentiel.

CONTEXTE

  1. En novembre 2017, Statistique Canada a commencé à s’intéresser aux projets de recherche qui lui permettraient d’obtenir des données sur les changements éventuels dans l’utilisation du cannabis à la suite de sa légalisation, prévue en juillet 2018. Statistique Canada s’en remet actuellement aux enquêtes auprès de la population pour recueillir des données sur la consommation de cannabis, mais la taille des échantillons et le biais dans les réponses soulèvent des préoccupations quant à la fiabilité des résultats. Au fil de leurs recherches, les employés de Statistique Canada ont découvert une source de données plus scientifique, à savoir l’analyse des eaux usées municipales, une technique utilisée en Europe par un groupe de chercheurs menant leurs activités sous le nom de réseau SCORE[1].
  2. Statistique Canada a déterminé que des essais de rendement (un processus permettant d’assurer l’exactitude des résultats de laboratoire) seraient nécessaires dans le cadre du projet, étant donné le caractère sensible des données (consommation de drogues au niveau de la ville) et la nature expérimentale du projet. Comme Statistique Canada n’avait jamais fait d’essais de rendement dans le contexte de l’analyse des eaux usées pour y détecter la présence de cannabis, il a conclu qu’il y avait lieu de confier ce travail à des tiers. D’expérience, Statistique Canada savait que les essais de rendement pouvaient prendre de six à huit mois. Par ailleurs, Statistique Canada a appris que pour devenir membre du réseau SCORE, un laboratoire devait avoir réussi les essais de rendement réalisés par ce même réseau[2].
  3. Statistique Canada soutient avoir appris au cours de ses recherches qu’un seul laboratoire au Canada était déjà membre du réseau SCORE : le laboratoire 3C de l’Université McGill[3].
  4. Sachant que la légalisation du cannabis devait entrer en vigueur 1er juillet 2018, Statistique Canada jugeait essentiel d’obtenir des données sur plusieurs mois avant cette date. Statistique Canada était d’avis que la collecte et l’analyse de ces données nécessiteraient jusqu’à huit semaines. Ainsi, compte tenu de ce qui précède, Statistique Canada a déterminé que les travaux devaient commencer avant le 1er avril 2018. Au début du mois de janvier 2018, Statistique Canada a commencé à travailler à la rédaction d’un PAC pour combler ses besoins[4].
  5. Le 12 février 2018, Statistique Canada publiait un PAC dans lequel il affirmait que le laboratoire 3C de l’Université McGill était le seul fournisseur qualifié. Le PAC invitait les autres fournisseurs intéressés à présenter, au plus tard le 26 février 2018, un énoncé des capacités pour démontrer qu’ils respectaient les critères obligatoires. Le premier critère exigeait l’accréditation par le réseau SCORE[5].
  6. Le 23 février 2018, ALS a envoyé un courriel à Statistique Canada dans lequel elle s’opposait à l’exigence voulant que le laboratoire du fournisseur doive être agréé par le réseau SCORE. Selon ALS, rien ne permettait de penser que le réseau était véritablement un organisme d’accréditation. Par ailleurs, ALS était d’avis que la norme ISO 17025 s’appliquant à la mise à l’essai d’analyses des eaux usées devait être jugée acceptable comme solution de rechange à l’accréditation par le réseau SCORE[6].
  7. Le 26 février 2018, Statistique Canada a répondu par courriel à ALS, l’informant que les normes SCORE demeureraient au nombre des critères obligatoires, l’invitant toutefois à présenter des solutions de rechange dans son énoncé des capacités afin que Statistique Canada puisse les considérer[7]. ALS a présenté son énoncé des capacités le même jour, dans les délais[8].
  8. Le 14 mars 2018, Statistique Canada a envoyé un courriel à ALS pour l’aviser que son énoncé des capacités n’avait pas été accepté, étant donné qu’ALS ne respectait pas l’exigence relative à l’accréditation par le réseau SCORE[9].
  9. Deux autres fournisseurs ont également présenté un énoncé des capacités, mais Statistique Canada a déterminé qu’ils ne respectaient pas le premier critère obligatoire[10].
  10. Un contrat d’une durée d’un an (du 16 mars 2018 au 31 mars 2019) et d’une valeur de 198 876,61 $ (TVH incluse) a été accordé au laboratoire 3C. Le contrat était assorti d’une option de prolongation pouvant aller jusqu’à deux années additionnelles[11].
  11. Le 16 mars 2018, Statistique Canada a envoyé un courriel à ALS pour expliquer sa décision plus en détail. Statistique Canada affirmait avoir inclus l’accréditation par le réseau SCORE parmi les critères parce qu’il devait commencer les travaux quelques mois avant la légalisation du cannabis. Statistique Canada devait également prévoir la mise à l’essai du rendement des laboratoires du fournisseur. L’accréditation par le réseau SCORE lui permettait d’assurer la fiabilité des résultats et des méthodes dans le court délai avec lequel il fallait composer[12].
  12. Le 23 mars 2018, ALS a répondu par courriel, affirmant que les essais de rendement ne faisaient pas partie des exigences énoncées dans le PAC. Elle réaffirmait également être d’avis que les normes SCORE n’étaient pas les « seules normes internationales qui existent pour l’analyse des eaux usées » [traduction], contrairement à ce qui était énoncé dans le PAC. ALS soulignait que si la mise à l’essai était une condition préalable véritable, alors les travaux auraient pu être scindés en différentes parties, de sorte que les laboratoires agréés par le réseau SCORE puissent procéder aux travaux initiaux et que d’autres laboratoires puissent se voir attribuer du travail une fois les essais de rendement réussis[13].
  13. Dans un courriel envoyé le 27 mars 2018, Statistique Canada disait maintenir sa position et que le contrat attribué au laboratoire 3C de l’Université McGill tiendrait[14].
  14. Le 28 mars 2018, ALS a déposé sa plainte auprès du Tribunal[15].

ACCORDS COMMERCIAUX

  1. À la section 4 du PAC, il est mentionné que l’achat est assujetti à l’Accord révisé sur les marchés publics de l’Organisation mondiale du commerce[16], à l’Accord de libre-échange canadien[17], à l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne[18] et à l’Accord de libre-échange nord-américain[19].
  2. Pour ce qui concerne la présente affaire, l’ALÉC permet des appels d’offres limités :

Article 513 : Appel d’offres limité

1.  Sous réserve des paragraphes 2 et 3, et à condition qu’elle n’utilise pas la présente disposition dans le but d’éviter la concurrence entre les fournisseurs ou d’une manière qui établit une discrimination à l’égard des fournisseurs de toute autre Partie ou protège ses propres fournisseurs, une entité contractante peut recourir à l’appel d’offres limité dans les circonstances suivantes :

[...]

b) si les produits ou les services ne peuvent être fournis que par un fournisseur particulier et qu’il n’existe pas de produits ou de services de rechange ou de remplacement raisonnablement satisfaisants pour l’une des raisons suivantes :

[...]

iii) l’absence de concurrence pour des raisons techniques,

[...]

d) si cela est strictement nécessaire dans les cas où, pour des raisons d’extrême urgence dues à des événements qui ne pouvaient pas être prévus par l’entité contractante, un appel d’offres ouvert ne permettrait pas d’obtenir les produits ou les services en temps voulu;

  1. Le libellé des dispositions de l’AMP, de l’ALÉNA et de l’AÉCG concernant les appels d’offres limités est similaire, la principale différence par rapport à l’ALÉC étant que chacun de ces accords prévoit que seule une extrême urgence[20] peut justifier la dérogation au principe de libre concurrence :

AMP

Article XIII – Appel d’offres limité

  1. À condition qu’elle n’utilise pas la présente disposition dans le but d’éviter la concurrence entre les fournisseurs ou d’une manière qui établit une discrimination à l’égard des fournisseurs de toute autre Partie, ou protège les fournisseurs nationaux, une entité contractante pourra recourir à l’appel d’offres limité et pourra choisir de ne pas appliquer les articles VII à IX, X (paragraphes 7 à 11), XI, XII, XIV, et XV, uniquement dans l’une des circonstances suivantes;

 

[...]

b. dans les cas où les marchandises ou les services ne pourront être fournis que par un fournisseur particulier et qu’il n’existera pas de marchandise ou de service de rechange ou de remplacement raisonnablement satisfaisant pour l’une des raisons suivantes:

[...]

iii. absence de concurrence pour des raisons techniques;

[...]

d. dans la mesure où cela sera strictement nécessaire dans les cas où, pour des raisons d’extrême urgence dues à des événements qui ne pouvaient pas être prévus par l’entité contractante, l’appel d’offres ouvert ou sélectif ne permettrait pas d’obtenir les marchandises ou les services en temps voulu;

ALÉNA

Article 1016 : Procédures d’appel d’offres limitées

1. Une entité d’une Partie pourra, dans les circonstances et sous réserve des conditions indiquées au paragraphe 2, utiliser des procédures d’appel d’offres limitées et déroger ainsi aux articles 1008 à 1015, à condition que ces procédures limitées ne soient pas utilisées dans le dessein de ramener la concurrence en deçà du maximum possible, ou d’une manière qui constituerait un moyen de discrimination entre fournisseurs des autres Parties ou de protection des fournisseurs nationaux.

2. Une entité pourra utiliser les procédures d’appel d’offres limitées dans les circonstances et sous réserve des conditions suivantes, le cas échéant :

[...]

b) lorsque, [...], en l’absence de concurrence pour des raisons techniques, les produits ou services ne pourront être fournis que par un fournisseur particulier et qu’il n’existera aucun produit ou service de rechange ou de remplacement raisonnablement satisfaisant;

c) dans la mesure où cela sera strictement nécessaire lorsque, pour des raisons d’extrême urgence dues à des événements qui ne pouvaient être prévus par l’entité, les procédures ouvertes ou sélectives ne permettraient pas d’obtenir les produits ou les services en temps voulu;

AÉCG

Article 19.12 – Appel d’offres limité

1. À condition qu’elle n’utilise pas la présente disposition dans le but d’éviter la concurrence entre les fournisseurs ou d’une manière qui établit une discrimination à l’égard des fournisseurs de l’autre Partie, ou protège les fournisseurs nationaux, une entité contractante peut recourir à l’appel d’offres limité et peut choisir de ne pas appliquer les articles 19.6 à 19.8, les paragraphes 7 à 11 de l’article 19.9, et les articles 19.10, 19.11, 19.13 et 19.14, uniquement dans l’une des circonstances suivantes :

[...]

b. si les marchandises ou services ne peuvent être fournis que par un fournisseur particulier et qu’il n’existe pas de marchandise ou de service de rechange ou de remplacement raisonnablement satisfaisant pour l’une des raisons suivantes :

[...]

iii. absence de concurrence pour des raisons techniques;

[...]

d. uniquement lorsque cela est strictement nécessaire dans les cas où, pour des raisons d’extrême urgence dues à des événements qui ne pouvaient pas être prévus par l’entité contractante, l’appel d’offres ouvert ou sélectif ne permettrait pas d’obtenir les marchandises ou les services en temps voulu;

ANALYSE

Position de Statistique Canada

  1. Statistique Canada soutient avoir déterminé avec raison que l’énoncé des capacités d’ALS n’était pas conforme dans le cadre d’une procédure de PAC menée correctement.
  2. Statistique Canada fait valoir que l’énoncé des capacités d’ALS ne mentionne pas que cette dernière respecte le premier critère obligatoire – l’accréditation par le réseau SCORE. Il soutient que, par conséquent, l’énoncé des capacités d’ALS ne satisfait pas, à première vue, aux critères obligatoires du PAC.
  3. Statistique Canada fait valoir par ailleurs que le critère obligatoire voulant que les fournisseurs soient accrédités par le réseau SCORE répond, vu le court délai qui restait à courir avant la décriminalisation du cannabis, à un besoin opérationnel légitime de faire appel à un laboratoire ayant déjà réussi des essais de rendement aux fins de l’analyse des eaux usées. Sur ce point, Statistique Canada soutient qu’ALS ne s’est pas déchargée du fardeau de prouver que l’exigence de mise à l’essai (y compris le recours à l’accréditation par le réseau SCORE en tant qu’indicateur de remplacement à cet égard) est un critère qui n’est pas légitime et raisonnable.

Position d’ALS

  1. ALS soutient que la position de Statistique Canada n’est pas étayée par la preuve.
  2. Premièrement, Statistique Canada n’a pas étayé l’affirmation qui se trouve dans le premier critère obligatoire du PAC et qui veut que le réseau SCORE ait établi les « seules normes internationales existantes pour l’analyse des eaux usées ». ALS mentionne deux[21] autres marchés publics du gouvernement du Canada (Environnement Canada) concernant des services d’analyses des eaux usées pour lesquels l’accréditation conformément à la norme ISO 17025 a été retenue parmi les critères obligatoires. Le Canada compte trois organismes d’accréditation reconnus en ce qui concerne les laboratoires, et chacun d’entre eux accorde des accréditations pour l’analyse d’échantillons d’eau non potable ou d’eaux usées : la Canadian Association for Laboratory Accreditation (CALA); le Conseil canadien des normes (CCN) et le Centre d’expertise en analyse environnementale du Québec. Dans son énoncé des capacités, ALS a présenté sa certification à la norme ISO 17025:2005 décernée par la CALA (accordée le 29 juillet 2016 et valide jusqu’au 27 janvier 2019). ALS fait également valoir qu’aucun élément de preuve n’indique que le laboratoire 3C de l’Université McGill possède une accréditation décernée par l’un ou l’autre de ces organismes.
  3. Deuxièmement, ALS soutient qu’aucun élément de preuve ne veut que le réseau SCORE soit un organisme d’accréditation. Le rapport de l’institution fédérale (RIF) ne contient pas d’élément de preuve montrant que le réseau SCORE se décrit lui-même comme un organisme d’accréditation, ni aucun document sur la marche à suivre pour obtenir une telle accréditation auprès du réseau SCORE. ALS fait valoir que ni le site Web du réseau SCORE ni celui du laboratoire 3C ne fait une quelconque mention à l’égard de l’accréditation[22]. En particulier, ALS souligne qu’aucun élément de preuve n’indique comment le réseau SCORE serait devenu un organisme d’accréditation ou un fournisseur d’essais de rendement. Par exemple, le site Web du réseau ne contient aucune mention voulant qu’il ait reçu la désignation d’organisme d’accréditation conformément à la norme ISO 17011 ou la désignation de fournisseur d’essais de rendement conformément à la norme ISO 17043.

ANALYSE DU TRIBUNAL

  1. Le paragraphe 30.14(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur[23] exige que, dans son enquête, le Tribunal limite son étude à l’objet de la plainte. À l’issue de l’enquête, le Tribunal doit déterminer la validité de la plainte en fonction des critères et procédures établis par règlement pour le contrat spécifique. L’article 11 du Règlement prévoit que le Tribunal doit décider si la procédure du marché public a été suivie conformément aux dispositions des accords commerciaux applicables, qui en l’espèce sont l’ALÉC, l’ALÉNA, l’AMP et l’AÉCG[24].
  2. Conformément aux accords commerciaux, les appels d’offres concurrentiels sont la norme, tandis que les appels d’offres limités sont l’exception[25]. Ainsi, le seuil pour avoir gain de cause lors de la contestation d’un marché à fournisseur unique ou d’une procédure d’appel d’offres limité devrait être plutôt bas[26]. Il n’appartient pas à une partie plaignante de prouver qu’un cas doit faire l’objet d’un appel d’offres concurrentiel. Il n’appartient pas à une partie plaignante de prouver qu’un cas doit faire l’objet d’un appel d’offres concurrentiel. La partie plaignante n’a plutôt qu’à présenter des éléments de preuve qui indiquent qu’un appel d’offres limité n’est pas justifié. Lorsque des éléments de preuve sont présentés en ce sens, il incombe à l’institution fédérale de démontrer qu’il est correct, en fait et en droit, de recourir à un appel d’offres limité[27].
  3. La plainte soulève la question suivante : le critère obligatoire énoncé dans le PAC concernant l’accréditation des fournisseurs par le réseau SCORE est-il justifié soit 1) parce qu’il n’existe pas « pour des raisons techniques [de] service de rechange ou de remplacement raisonnablement satisfaisant »; ou 2) pour des raisons « d’extrême urgence » dues à des « événements qui ne pouvaient pas être prévus »?

Il existait des solutions de rechange raisonnablement satisfaisantes

  1. Compte tenu du fait que l’appel d’offres limité est une exception et que les marchés publics concurrentiels sont la norme, l’avis de longue date du Tribunal est qu’il convient d’interpréter au sens étroit ces exceptions et que l’exigence selon laquelle il incombe à l’institution fédérale de démontrer que celles-ci s’appliquent est rigoureuse[28]. En l’espèce, il incombe donc à Statistique Canada de démontrer que l’accréditation ISO 17025 fournie par la CALA n’est pas une solution de rechange raisonnablement satisfaisante à l’accréditation par le réseau SCORE.
  2. L’affirmation d’ALS voulant que la norme ISO 7025 et d’autres normes s’appliquent à l’analyse des eaux usées et comprennent des essais de rendement généraux est étayée par la preuve au dossier. La certification des laboratoires d’ALS présentée par la plaignante comprend des références à l’analyse de produits chimiques présents en milieu « aqueux » [traduction] et dans « l’eau non potable » [traduction][29]. La plaignante a également déposé la révision numéro 1.4 du plan d’essais d’aptitude des laboratoires publié par la CALA (daté du 6 mars 2014), selon lequel les laboratoires agréés doivent suivre un plan d’essais d’aptitude de la CALA[30]. ALS a reçu l’accréditation de la CALA en 2016, soit après la publication de ce document exigeant la mise à l’essai du rendement.
  3. Dans le RIF, Statistique Canada n’a pas présenté d’éléments de preuve ni d’observations voulant que la norme ISO 7025 ne s’applique pas à l’analyse des eaux usées. Statistique Canada affirme considérer la certification ISO comme étant insuffisante, parce que les normes ISO ne prévoient pas la confirmation de l’exactitude des résultats par une mise à l’essai du rendement[31]. Cette affirmation est contredite par le plan d’essais d’aptitude des laboratoires publié par la CALA, qui prévoit une étape préliminaire de mise à l’essai de l’aptitude en vue de l’accréditation, puis un suivi dans le cadre d’un plan continu d’essais de rendement[32].
  4. Statistique Canada soutient par ailleurs que les protocoles du réseau SCORE sont supérieurs à ceux de la CALA et de la norme ISO 7025 (tant sur le plan des essais de rendement visant les analyses d’échantillons de cannabis qu’en ce qui concerne les pratiques exemplaires en général), car le réseau SCORE est spécialisé dans l’analyse de la présence de drogues dans les eaux usées. Le seul élément de preuve déposé par Statistique Canada pour étayer son affirmation est un imprimé d’une demi-page tiré du site Web du réseau SCORE qui ne fournit aucune information pertinente, ainsi que six chapitres tirés d’une publication de 2016 de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies qui décrivent, entre autres choses, les études d’analyse d’eaux usées réalisées par le réseau SCORE en Europe depuis 2011. Le RIF ne cite pas de passages particuliers de la publication qui donneraient des détails sur l’accréditation ou sur la marche à suivre pour devenir membre du réseau SCORE, ni sur les pratiques exemplaires de ce réseau. De plus, le RIF ne contient pas d’affirmations (et encore moins de témoignages ou d’éléments de preuve documentaire) voulant que quiconque, à Statistique Canada, ait communiqué avec les représentants du réseau SCORE pour en savoir plus sur le programme ou pour vérifier les hypothèses de Statistique Canada.
  5. Après examen, seules les pages 108 et 109 de la publication apparaissent pertinentes pour ce qui concerne l’adhésion au réseau SCORE ou les protocoles et essais de rendement de celui-ci[33]. La page 108, intitulée « SCORE 2018 » fournit une carte des villes participantes et les dates d’expédition des échantillons et des résultats d’analyse. La page 109, intitulée « Agreed protocol for the sampling, analysis and report » (Protocole convenu pour l’échantillonnage, l’analyse et la présentation de rapports) contient un tableau dans lequel on trouve le protocole d’échantillonnage et d’analyse retenu par le réseau SCORE. Le tableau couvre une demi-page et ne semble pas faire référence à d’autres documents (plus détaillés). Suivent quelques lignes où est expliquée la procédure de réception des échantillons pour les besoins des essais de rendement. Statistique Canada n’a déposé aucun autre élément de preuve pour étayer sa décision de procéder à un appel d’offres limité à la lumière des avantages particuliers conférés par l’accréditation auprès du réseau SCORE.
  6. Parmi les documents déposés, aucun ne fait état du calendrier et des coûts de l’accréditation par le réseau SCORE, ou de l’adhésion à ce réseau, ni de la marche à suivre pour y parvenir. En dépit de cette lacune dans la preuve, Statistique Canada n’a fourni aucune explication sur la façon dont il s’y est pris pour déterminer que le laboratoire 3C de l’Université McGill respectait le critère obligatoire relatif à l’accréditation par le réseau SCORE. De plus, Statistique Canada n’a présenté aucune explication ni aucun élément de preuve concernant la façon dont il a déterminé qu’un des trois fournisseurs ayant présenté un énoncé des capacités avait entamé les démarches pour devenir membre du réseau SCORE, mais qu’il n’y parviendrait vraisemblablement qu’après la date de clôture du PAC.
  7. Par ailleurs, le Tribunal souligne que l’affirmation de Statistique Canada voulant que les protocoles et procédures du réseau SCORE soient supérieurs n’est pas faite dans le PAC, mais seulement dans le RIF déposé à la suite de la plainte. La justification présentée n’a ainsi pas convaincu le Tribunal[34]. Le Tribunal conclut que Statistique Canada n’a pas réussi, en fait et en droit, à justifier comme il se devait l’absence de solutions de rechange raisonnablement satisfaisantes pour des raisons techniques; pour ce motif uniquement, la décision de Statistique Canada d’avoir recours à un marché à fournisseur unique n’était pas justifiée.

Extrême urgence

  1. La décision de Statistique Canada ne peut en outre être justifiée par l’extrême urgence : le besoin était assez prévisible pour qu’une procédure ordinaire de passation d’un marché public puisse avoir lieu. Le Tribunal a auparavant établi que pour justifier le recours à un appel d’offres limité en invoquant une extrême urgence, l’institution gouvernementale doit démontrer qu’il y a extrême urgence et que celle-ci est due à des événements imprévisibles[35].
  2. Statistique Canada n’a pas expliqué pourquoi il avait attendu jusqu’en novembre 2017 pour commencer à envisager le recours à des projets de recherche afin de mesurer les changements éventuels dans l’utilisation du cannabis au Canada à la suite de sa légalisation. La décriminalisation du cannabis était un élément central de la plateforme électorale du gouvernement actuel à l’élection générale de 2015. Le projet de loi C-45 (visant la décriminalisation du cannabis) a été déposé à la Chambre des communes le 14 avril 2017, a été transmis pour deuxième lecture le 8 juin 2017, et a fait l’objet d’un rapport daté du 5 octobre 2017 rédigé par le Comité permanent de la santé[36]. Statistique Canada n’a pas su expliquer pourquoi il n’a pas reconnu la consommation du cannabis comme étant un sujet de recherche pertinent avant novembre 2017, quelque huit mois après le dépôt du projet de loi initial. D’autres organismes gouvernementaux avaient publié dès juillet 2017 des marchés publics pour des services liés à la décriminalisation du cannabis[37]. Dans ce contexte opérationnel qui concernait l’ensemble du gouvernement, et compte tenu de la grande attention qu’a suscitée la question dans les médias du Canada et de l’étranger, le Tribunal est d’avis que le comportement adopté par Statistique Canada, compte tenu de l’imminence de la décriminalisation, ne saurait être justifié par l’existence d’événements qui ne pouvaient être prévus. Le Tribunal a déjà conclu que les institutions gouvernementales ne pouvaient invoquer des retards ou leur propre inaction pour justifier le recours à un marché à fournisseur unique pour cause d’extrême urgence[38].
  3. Dans les circonstances de l’espèce, même en tenant pour acquis qu’il était raisonnable de sa part d’attendre jusqu’en novembre 2017 pour commencer ses recherches, Statistique Canada n’a présenté aucun élément de preuve pour étayer les hypothèses retenues concernant 1) le temps qu’il faudrait à un fournisseur pour devenir membre du réseau SCORE ou 2) le temps qu’il lui faudrait pour soumettre les fournisseurs à ses propres essais de rendement.
  4. En particulier, même si l’on accordait une quelconque supériorité aux protocoles et aux essais de rendement du réseau SCORE, Statistique Canada n’a présenté aucun élément de preuve montrant que l’organisme ait à quelque moment communiqué avec un représentant du réseau SCORE. Statistique Canada a également omis d’expliquer ou d’étayer de quelque élément de preuve que ce soit la façon dont ses employés s’y sont pris pour faire une estimation du temps qu’il lui faudrait pour faire les essais de rendement lui-même[39] ou pour qu’un fournisseur obtienne une accréditation auprès du réseau SCORE (et se soumette à un essai de rendement de ce dernier). Par ailleurs, comme le fait remarquer ALS, aucun élément de preuve fourni par le réseau SCORE lui-même, que ce soit en réponse aux courriels d’ALS ou sur son site Web, ne fait état du délai d’adhésion au réseau[40].
  5. En dernier lieu, et fondamentalement, Statistique Canada n’a pas adhéré à certains principes de base. Premièrement, les « besoins doivent être exprimés en termes de résultats requis, non pas de solutions »[41]. Deuxièment, un PAC « ne doit ni remplacer la procédure ouverte d’appel d’offres dans le choix des fournisseurs ni être considéré comme un moyen plus expéditif et plus souple de mener ou de tenter de mener la passation d’un marché public en régime concurrentiel »[42].
  6. À cet égard, le Tribunal encourage les fonctionnaires à se fier à leur jugement initial, plutôt qu’à suivre une voie expéditive à tort : les courriels échangés en interne à Statistique Canada montrent que le personnel n’était pas certain d’avoir tous les renseignements voulus sur le réseau SCORE avant de publier le PAC[43]. Dans le doute, Statistique Canada n’aurait pas dû prévoir une solution exclusive, laquelle agissait comme un obstacle à la concurrence de facto. Statistique Canada aurait dû lancer un appel d’offres concurrentiel et y énoncer ses besoins en termes de résultats, c’est-à-dire la capacité de faire des essais de rendement sur des analyses d’échantillons de cannabis effectuées par toute partie tierce fiable au plus tard en mars.
  7. À titre subsidiaire, s’il avait besoin de plus de temps, Statistique Canada aurait pu publier un PAC limité au laboratoire 3C pour la première étape du projet (par exemple, les deux ou trois premiers mois), puis élargir ses critères par la voie d’une demande de propositions en régime concurrentiel ou d’une offre à commandes ouverte à tous aux étapes ultérieures, sous réserve de la réussite d’un essai de rendement. ALS fait valoir que c’est ce que Statistique Canada aurait dû faire compte tenu des échéances[44]. Une telle stratégie va également dans le sens de ce qu’anticipaient les employés de Statistique Canada eux-mêmes, sachant que le laboratoire 3C était réticent à prendre en charge un ensemble élargi de municipalités (plus de 15) une fois le projet pilote terminé[45]. Ainsi, Statistique Canada aurait dû à tout le moins scinder les travaux requis afin de réduire l’ampleur de ceux devant être confiés à un fournisseur unique.

CONCLUSION

  1. Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut que le critère obligatoire concernant l’accréditation par le réseau SCORE, invoqué par Statistique Canada pour justifier sa décision de déroger à la norme qui veut qu’un appel d’offres doit être lancé en régime de concurrence, n’est pas fondé, que ce soit à titre de solution de rechange raisonnablement satisfaisante pour des raisons techniques ou en raison d’une urgence, extrême ou autre.
  2. Ainsi, le Tribunal conclut que l’octroi d’un contrat à un fournisseur unique conformément au PAC contrevenait aux accords commerciaux applicables.
  3. Par conséquent, le Tribunal conclut que la plainte est fondée.

MESURE CORRECTIVE

  1. Conformément au paragraphe 30.15(2) de la Loi, le Tribunal dispose d’un large pouvoir discrétionnaire pour ce qui est des mesures correctives :

(2) Sous réserve des règlements, le Tribunal peut, lorsqu’il donne gain de cause au plaignant, recommander que soient prises des mesures correctives, notamment les suivantes :

a) un nouvel appel d’offres;

b) la réévaluation des soumissions présentées;

c) la résiliation du contrat spécifique;

d) l’attribution du contrat spécifique au plaignant;

e) le versement d’une indemnité, dont il précise le montant, au plaignant.

  1. Conformément au paragraphe 30.15(3) de la Loi, pour déterminer quelle est la mesure corrective appropriée, le Tribunal doit prendre en compte les facteurs suivants :

a) la gravité des irrégularités qu’il a constatées dans la procédure des marchés publics;

b) l’ampleur du préjudice causé au plaignant ou à tout autre intéressé;

c) l’ampleur du préjudice causé à l’intégrité ou à l’efficacité du mécanisme d’adjudication;

d) la bonne foi des parties;

e) le degré d’exécution du contrat.

  1. La gravité des irrégularités dans la procédure de passation du marché public est grande. Statistique Canada a dérogé à l’obligation de lancer un appel d’offres ouvert prévue par les accords commerciaux, et ce sur la foi de renseignements limités sur un sujet (l’analyse des eaux usées pour détecter la présence de substances illicites) qu’il ne connaissait pas en profondeur, de son propre aveu[46].
  2. La plaignante et les deux autres fournisseurs intéressés qui ont présenté un énoncé des capacités ont subi un préjudice important, car bien qu’ils étaient en mesure d’exécuter les travaux, ils se sont vu refuser l’occasion de le faire pour des motifs non étayés par Statistique Canada.
  3. Un préjudice important a été causé à l’intégrité et à l’efficacité du mécanisme d’adjudication. Pour préserver le caractère concurrentiel du régime de passation des marchés publics ainsi que la confiance qu’y accordent les fournisseurs, il est impératif que, dans les faits, les institutions gouvernementales considèrent les contrats du type à fournisseur unique comme un instrument de dernier recours et non comme une solution pratique. Statistique Canada a agi déraisonnablement en reportant le début de ses propres recherches en vue de combler ses besoins, et il a ensuite tenté de justifier son manque d’initiative en invoquant une situation urgente. Statistique Canada n’a ensuite pas arrangé les choses en omettant de faire preuve de diligence raisonnable et de faire enquête sur le réseau SCORE afin de constituer comme il se devait le fondement probatoire de sa décision d’invoquer légitimement les dispositions des accords commerciaux concernant les appels d’offres limités.
  4. Rien n’indique que l’une ou l’autre partie ait agi de mauvaise foi.
  5. Le contrat accordé au laboratoire 3C est entré en vigueur le 16 mars 2018 et en est à la période initiale d’un an qui prendra fin le 31 mars 2019, soit environ 10 mois après la publication de la présente décision.
  6. Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal recommande que Statistique Canada verse à ALS le quart du profit que cette dernière aurait réalisé si elle avait présenté une soumission à un prix égal à celui auquel le contrat a été accordé, moins un dollar[47], calculé pour la période allant du 16 mars 2018 jusqu’à l’issue de tout nouvel appel d’offres, lequel devrait être lancé dès que possible. Les frais liés à la préparation de la soumission sont insuffisants à titre de mesure corrective compte tenu de la gravité des violations du mécanisme d’adjudication et du préjudice subi par la plaignante. Cela dit, la prise en considération de la totalité des profits perdus donnerait une estimation exagérée de l’indemnité devant être versée à la plaignante, car rien ne garantit que cette dernière aurait été le fournisseur retenu au terme d’une procédure de passation de marché en régime concurrentiel. Dans ces circonstances, le Tribunal a pour pratique habituelle d’accorder à la plaignante une indemnité en reconnaissance de l’occasion perdue qui correspond aux profits qu’elle aurait tirés du contrat, divisés par le nombre de soumissionnaires admissibles[48]. En l’espèce, quatre fournisseurs, y compris le laboratoire 3C, satisfaisaient au deuxième critère obligatoire du PAC. Par conséquent, quatre est le dénominateur à retenir.
  7. Le Tribunal recommande en outre qu’un nouvel appel d’offres soit lancé, et qu’un nouveau contrat soit accordé dès que possible, sans toutefois excéder la fin de la première période d’un an du contrat, de sorte que les travaux requis dans le cadre d’une éventuelle première ou deuxième année optionnelle soient confiés uniquement en régime concurrentiel. Autant que possible, la mesure corrective privilégiée par le Tribunal consiste à examiner la situation dans laquelle se serait trouvée la plaignante si la procédure de passation du marché public avait été menée équitablement et conformément aux dispositions des accords commerciaux[49]. Pour ce faire, en l’espèce, la plaignante (et tous les autres fournisseurs potentiels) doivent se voir accorder l’occasion de présenter une offre en régime de concurrence. En outre, le lancement d’un nouvel appel d’offres pour la partie des travaux qui aura lieu ultérieurement cadre avec la stratégie que Statistique Canada a lui-même envisagée en interne au cours de la procédure de passation du marché public[50].
  8. Il est entendu que Statistique Canada, pour les fins du nouvel appel d’offres, pourra définir ses besoins en fonction de toute exigence opérationnelle légitime qu’il aura retenue, y compris celle de connaître les protocoles et procédures du réseau SCORE et d’en être membre, pour autant qu’une telle exigence ne se veule pas un obstacle à la concurrence. Toutefois, si Statistique Canada entend inclure de telles exigences, il devra d’abord s’assurer (ce qu’il n’a pas fait en l’espèce) que celles-ci sont justifiées et suffisamment documentées, définies, claires, accessibles et rendues publiques assez tôt pour que les fournisseurs respectant les autres exigences puissent raisonnablement parvenir à respecter celles-ci.

FRAIS LIÉS À LA PLAINTE

  1. Conformément à l’article 30.16 de la Loi, les frais relatifs à une procédure de plainte concernant un marché public – même provisionnels – sont laissés à l’appréciation du Tribunal.
  2. Pour décider du montant de l’indemnité en l’espèce, le Tribunal a tenu compte de sa Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure de plainte portant sur un marché public (la Ligne directrice), qui fonde l’évaluation du degré de complexité d’une plainte sur trois critères : la complexité du marché public, la complexité de la plainte et la complexité de la procédure.
  3. En l’espèce, la complexité était faible pour chacun des trois critères. Les documents de l’invitation étaient constitués d’un PAC de trois pages. La plainte reposait sur un motif, à savoir l’exclusivité conférée par un des deux critères obligatoires. Enfin, l’enquête a été réalisée rapidement, sans qu’il y ait lieu de déposer des observations additionnelles et sans déroger au délai habituel de 90 jours dont dispose le Tribunal.
  4. À ce titre, conformément à l’annexe A de la Ligne directrice, le Tribunal détermine provisoirement que le degré de complexité de la présente plainte correspond au degré 1 et que l’indication provisoire du montant de l’indemnité est de 1 150 $.

DÉCISION

  1. Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal détermine que la plainte est fondée.
  2. Aux termes des paragraphes 30.15(2) et 30.15(3) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal recommande que Statistique Canada indemnise ALS d’un montant équivalant au quart du profit qu’ALS aurait réalisé si elle avait présenté une soumission pour effectuer les travaux à un prix égal à celui auquel le contrat a été accordé, moins un dollar, calculé pour la période allant du 16 mars 2018 jusqu’à l’issue de tout nouvel appel d’offres. Le Tribunal recommande également qu’un nouvel appel d’offres soit lancé, et qu’un nouveau contrat soit accordé dès que possible, sans toutefois excéder la fin de la première période d’un an du contrat, de sorte que les travaux requis dans le cadre d’une éventuelle première ou deuxième année optionnelle soient confiés uniquement en régime concurrentiel.
  3. Si les parties ne peuvent s’entendre sur le montant de l’indemnité, ALS déposera auprès du Tribunal, dans les 40 jours suivant la date de la présente décision, un mémoire sur la question de l’indemnité. Statistique Canada disposera alors de sept jours ouvrables après la réception du mémoire d’ALS pour déposer un mémoire en réponse. ALS disposera ensuite de cinq jours ouvrables après la réception du mémoire en réponse de Statistique Canada pour déposer des observations supplémentaires. Chaque partie doit faire parvenir simultanément tous ses documents au Tribunal et à l’autre partie.
  4. Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal accorde à ALS les frais raisonnables qu’elle a engagés pour préparer et déposer la présente plainte, ces frais devant être payés par Statistique Canada. Conformément à la Ligne directrice, le Tribunal détermine provisoirement que le degré de complexité de la présente plainte correspond au degré 1 et que le montant de l’indemnité est de 1 150 $. Si l’une ou l’autre des parties n’est pas d’accord en ce qui a trait à la détermination provisoire du degré de complexité ou du montant de l’indemnité, elle peut présenter des observations auprès du Tribunal, en conformité avec l’article 4.2 de la Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure de plainte portant sur un marché public. Il relève de la compétence du Tribunal de fixer le montant définitif des frais.
 

[1].    Pièce PR-2017-067-09 aux par. 9-10, vol. 1.

[2].      Ibid. aux par. 11-14.

[3].      Ibid. au par. 16.

[4].      Ibid. aux par. 17-18.

[5].      Ibid. au par. 19.

[6].      Ibid. aux p. 189-90.

[7].      Ibid. à la p. 189.

[8].      Ibid. à la p. 188.

[9].      Ibid. aux p. 187-88.

[10].    Ibid. au par. 41.

[11].    Ibid. à la p. 178.

[12].    Ibid. à la p. 184.

[13].    Ibid. à la p. 183.

[14].    Ibid.

[15]Ibid. à la p. 42.

[16]Accord révisé sur les marchés publics, en ligne : Organisation mondiale du commerce <http://www.wto.org/‌french/docs_f/legal_f/rev-gpr-94_01_f.htm> (entré en vigueur le 6 avril 2014) [AMP].

[17]Accord de libre-échange canadien, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <https://www.cfta-alec.ca/wp-content/uploads/2017/06/CFTA-Consolidated-Te... (entré en vigueur le 1er juillet 2017) [ALÉC].

[18]Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne, en ligne : Affaires mondiales Canada <http://www.international.gc.ca/trade-commerce/trade-agreements-accords-c... (entré en vigueur provisoirement le 21 septembre 2017) [AÉCG].

[19]Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, 17 décembre 1992, R.T.C. 1994, no 2, en ligne : Affaires mondiales Canada <http://international.gc.ca/‌trade-commerce/‌trade-agreements-accords-commerciaux/‌agr-acc/nafta-alena/fta-ale/index.aspx?lang=fra> (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ALÉNA].

[20].     La version française de l’ALÉC retient la notion d’urgence « extrême » alors que la version anglaise non.

[21].  Pièce PR-2017-067-11 aux p. 112 et 159, vol. 1.

[22].    Ibid. aux p. 2-3.

[23].    L.R.C. 1985, ch. 47 (4e suppl.) [Loi sur le TCCE].

[24].    Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics, DORS/93-602 [Règlement].

[25].    Array Systems Computing Inc. (16 avril 1996), PR-95-023 (TCCE) [Array] à la p. 9; Sybase Canada Ltd. (30 juillet 1997), PR-96-037 (TCCE) [Sybase] à la p. 9; Information Builders (Canada) Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (16 juillet 2007), PR-2007-009 (TCCE) [Information Builders] au par. 17; Wescam Inc. (19 avril 1999), PR-98-039 (TCCE) [Wescam] à la p. 8.

[26].    Information Builders au par. 19.

[27].    Knowledge Circle Learning Services Inc. c. Ministère de la Santé (13 janvier 2014), PR-2013-014 (TCCE) [Knowledge Circle] au par. 42; Environmental Growth Chambers, Ltd. et Enconaire (1984) Inc. (14 janvier 1991), D90PRF6631-021-0017 et D90PRF6631-021-0018 (PRB); Sybase à la p. 9; Information Builders au par. 17.

[28].    FreeBalance Inc. c. Agence du revenu du Canada (24 janvier 2012), PR-2011-041 (TCCE) au par. 46; Array à la p. 8; Patlon Aircraft & Industries Limited c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (12 août 2003), PR-2003-015 (TCCE) [Patlon Aircraft] à la p. 6; Cognos Incorporated c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (29 novembre 2002), PR-2002-017 (TCCE) [Cognos] à la p. 7; InBusiness Systems Inc. (29 novembre 2002), PR-2002-020 (TCCE) à la p. 6; Foundry Networks (23 mai 2001), PR‑2000-060 (TCCE) à la p. 7; Novell Canada, Ltd. (17 juin 1999), PR‑98-047 (TCCE) à la p. 12; Sybase à la p. 9; Information Builders au par. 17; Wescam à la p. 8.

[29].    Pièce PR-2017-067-11 aux p. 9, 30, vol. 1.

[30]Ibid. aux p. 70-73.

[31].    Pièce PR-2017-067-09 à la p. 12, vol. 1.

[32].    Pièce PR-2017-067-11 aux p. 70-73, vol. 1.

[33].    Pièce PR-2017-067-09 aux p. 108-109, vol. 1.

[34].    M. John C. Luik c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (28 mars 2000), PR-99-035 (TCCE) [M. Luik] à la p. 9 (où il est établi que l’argument invoqué « post facto dans le RIF » est dénué de tout fondement).

[35].    Knowledge Circle au par. 43.

[36].    Parlement du Canada, projet de loi C-45, en ligne : https://www.parl.ca/LegisInfo/BillDetails.aspx?billId=8886269&Language=F.

[37].  Voir, par exemple, la demande de propositions publiée par TPSGC au nom de Sécurité publique et Protection civile Canada (invitation no 0D160-181489/A) le 4 juillet 2017 pour des services visant à « préparer et mettre en œuvre une campagne de marketing social multimédia [...] qui se déroulera en plusieurs étapes [et] vise à sensibiliser la population aux risques liés à la conduite avec les facultés affaiblies par la drogue », en ligne : https://achatsetventes.gc.ca/donnees-sur-l-approvisionnement/appels-d-of.... Voir également la demande de propositions publiée par TPSGC au nom de Santé Canada (invitation no HT399-172780/A) le 20 septembre 2017 pour des services de marketing visant à « appuyer la loi et le règlement proposés concernant le cannabis grâce à la sensibilisation aux risques de santé et de sécurité et à la mobilisation des publics cibles » [traduction], en ligne : https://achatsetventes.gc.ca/donnees-sur-l-approvisionnement/appels-d-of....

[38].    Voir M. Luik à la p. 9.

[39].    Dans le RIF, il est simplement affirmé (sans que ce soit appuyé par une citation ou un quelconque autre élément de preuve au dossier) que Statistique Canada a évalué, à la lumière de son expérience passée, qu’il lui en faudrait de six à huit mois. Pièce PR-2017-067-09 au par. 13, vol. 1.

[40].    La preuve, dans son ensemble, donne à penser que le réseau SCORE n’accrédite pas les laboratoires, mais plutôt que certains de ses membres participent à ses études d’analyse d’eaux usées, adhèrent à ses protocoles d’analyse de la présence de drogues et reçoivent des validations à la suite d’essais de rendement.

[41].    Information Builders au par. 18. Voir également Patlon Aircraft à la p. 6 (« Le Tribunal est d’avis qu’il aurait été tout à fait raisonnable et possible, en l’espèce, de rédiger les conditions du MDN en termes de critères de rendement et d’ouvrir l’appel d’offres. »).

[42].    Cognos à la p. 8.

[43].    Les employés de Statistique Canada ont exprimé leurs doutes à plusieurs occasions, écrivant notamment : « Peut‑être aurais-je dû travailler davantage de mon côté sur la question de l’accréditation » [traduction]; « C’est embêtant, [...] nous sommes allés de l’avant en publiant de l’information potentiellement trompeuse [...] » [traduction]; « J’aurais seulement aimé que plus d’information ait été fournie au sujet du réseau SCORE avant la publication » [traduction]. Pièce PR-2017-067-09 aux p. 149-150, vol. 1.

[44].    Pièce PR-2017-067-01 à la p. 32, vol. 1.

[45].    Pièce PR-2017-067-09 à la p. 172, vol. 1.

[46]Ibid. au par. 9 et aux p. 149-150.

[47].    Pour un exemple de calcul de l’indemnité en reconnaissance de l’occasion perdue dans le contexte d’un PAC pour lequel la plaignante n’a pas déposé de soumission, voir notamment InBusiness Systems Inc. (29 novembre 2002), PR-2002-020 (TCCE) aux p. 8-9; Cognos Inc. (29 novembre 2002), PR-2002-017 (TCCE) à la p. 10, où le dénominateur correspond au nombre de plaignantes ayant obtenu gain de cause, plus l’adjudicataire, et où le prix est le celui auquel le contrat a été accordé, moins un dollar.

[48].    Lignes directrices sur les indemnités dans une procédure portant sur un marché public à l’art. 3.1.4.

[49].    Oshkosh Defense Canada Inc. c. Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (29 décembre 2017), PR-2015-051 et PR-2015-067 (TCCE) au par. 71(2).

[50].    Pièce PR-2017-067-09 à la p. 172, vol. 1.