FOUNDRY NETWORKS

Décisions


FOUNDRY NETWORKS
Dossier no  PR-2000-060

TABLE DES MATIÈRES


Ottawa, le mercredi 23 mai 2001

Dossier no  PR-2000-060

EU ÉGARD À une plainte déposée par Foundry Networks aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47;

ET EU ÉGARD À une décision d'enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte est fondée.

Aux termes des paragraphes 30.15(2) et (3) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande, à titre de mesure corrective, que Foundry Networks reçoive une indemnité d'un montant égal au septième des profits qu'elle aurait tirés du contrat si elle avait présenté une proposition à un prix inférieur d'un dollar au prix proposé dans la soumission de MTT (Halifax).

Aux termes du paragraphe 30.16(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur accorde à Foundry Networks le remboursement des frais raisonnables qu'elle a engagés pour le traitement et le dépôt de la plainte.



Richard Lafontaine

Richard Lafontaine
Membre présidant


Michel P. Granger

Michel P. Granger
Secrétaire
 
 

Date de la décision et des motifs :

Le 23 mai 2001

   

Membre du Tribunal :

Richard Lafontaine, membre présidant

   

Gestionnaire de l'enquête :

Randolph W. Heggart

   

Agent d'enquête :

Paule Couët

   

Conseiller pour le Tribunal :

Dominique Laporte

   

Partie plaignante :

Foundry Networks

   

Institution fédérale :

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

   

Conseiller pour l'institution fédérale :

David M. Attwater

   

 
 

EXPOSÉ DES MOTIFS

PLAINTE

Le 8 février 2001, Foundry Networks (Foundry) a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur 1 à l'égard de l'invitation à soumissionner no W0102-00E005/A du ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (le Ministère) pour la fourniture, sans possibilité d'offre de produits de remplacement, de matériel d'interconnexion de réseaux Cisco (couche 3), pour la 14e escadre, base des Forces canadiennes (BFC) Greenwood (Nouvelle-Écosse), ministère de la Défense nationale (MDN).

Foundry a allégué que, contrairement à l'alinéa 1016(2)b) de l'Accord de libre-échange nord-américain 2 et à l'alinéa 506(12)b) de l'Accord sur le commerce intérieur 3 , le Ministère a incorrectement insisté pour obtenir des produits Cisco, même s'il existe des produits de remplacement acceptables.

Foundry a demandé, à titre de mesure corrective, que le contrat adjugé à MTT (Halifax) (MTT) soit résilié et que l'invitation à soumissionner soit lancée de nouveau en régime concurrentiel. À titre de mesure corrective de rechange, Foundry a demandé de recevoir une indemnité d'un montant égal à celui du contrat adjugé.

Le 12 février 2001, le Tribunal a avisé les parties qu'il avait décidé d'enquêter sur la plainte, puisque cette dernière répondait aux exigences du paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et aux conditions énoncées au paragraphe 7(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics 4 . Le 23 mars 2001, le Ministère a déposé un rapport de l'institution fédérale (RIF) auprès du Tribunal en application de l'article 103 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur 5 . Le 5 avril 2001, Foundry a déposé ses observations sur le RIF auprès du Tribunal. Le 17 avril 2001, le Ministère a déposé ses observations en réponse aux observations de Foundry.

Les renseignements au dossier permettant de déterminer le bien-fondé de la plainte, le Tribunal a décidé qu'une audience n'était pas nécessaire et a statué sur la plainte sur la foi des renseignements au dossier.

PROCÉDURE DE PASSATION DU MARCHÉ PUBLIC

Le 22 décembre 2000, le Ministère a diffusé un avis de projet de marché (APM) et une demande de propositions (DP) concernant le présent marché public. Ces documents ont été diffusés par l'intermédiaire du Service électronique d'appels d'offres canadien (MERX) le 28 décembre 2000. L'APM indiquait que les marchandises visées entraient dans la portée du code 5805 de la classification fédérale des approvisionnements (CFA) et que le marché public était assujetti à l'ACI. Le 12 janvier 2001, Foundry a fait opposition, par écrit, à l'invitation à soumissionner et a demandé que le Ministère tienne son opposition confidentielle et ne la montre à personne à l'extérieur du Ministère sans d'abord en discuter avec elle.

Le délai pour la présentation des propositions a pris fin le 15 janvier 2001. Selon le RIF, six soumissions conformes ont été reçues. Le 16 janvier 2001, le Ministère a obtenu l'autorisation de Foundry de transmettre son opposition du 12 janvier 2001 au MDN pour que ce dernier en tienne compte. Le même jour, le MDN a répondu à la demande du Ministère de la façon suivante :

J'ai discuté de la contestation de Foundry Networks avec le DIIRI [...] et ils n'ont toujours pas procédé à l'essai de matériel de Foundry Networks; ils ne veulent soumettre aucune observation quant au fonctionnement du matériel de Foundry Networks dans le réseau de Greenwood, si ce n'est qu'ils disent que, d'après leur expérience, l'existence de produits de multiples fabricants soulève toujours des questions de compatibilité.
Le personnel de Greenwood est d'avis que la justification de source exclusive ci-jointe est précise et défendable. Nous avons mis à l'essai le matériel d'autres fabricants dans notre réseau géré par Ciscoworks 2000 et nous avons toujours dépensé des ressources pour tenter de reconfigurer le dispositif pour qu'il soit compatible avec notre réseau et, pourtant, ce dispositif demeure impossible à gérer.
En outre, l'escadre à Greenwood a dépensé plus de 100 000 $ en formation de notre personnel sur une plate-forme Cisco. Nous ne disposons ni du personnel ni des budgets pour pouvoir développer les connaissances spécialisées nécessaires au soutien de matériel provenant de plusieurs fabricants différents.

[Traduction]

Le 26 janvier 2001, le Ministère a reçu une deuxième réponse du MDN, au sujet de l'opposition de Foundry, dans laquelle était présentée une plus ample justification de la limitation de l'appel d'offres aux produits Cisco. Le 29 janvier 2001, le Ministère a avisé Foundry, par télécopieur, que l'opposition de cette dernière avait été rejetée. Le même jour, un contrat au montant de 145 850,70 $ a été adjugé à MTT, le soumissionnaire conforme le moins disant.

Le 8 février 2001, Foundry a déposé sa plainte auprès du Tribunal.

POSITION DES PARTIES

Position du Ministère

Le Ministère a soutenu que, en ce qui concerne le gouvernement fédéral, le paragraphe 504(2) de l'ACI se limite à interdire la discrimination fondée sur la province ou la région. Il a soutenu que ledit paragraphe n'interdit pas les mesures qui sont neutres du point de vue de la province ou de la région. De plus, le Ministère a soutenu que le paragraphe 504(3) donne simplement des exemples de mesures incompatibles avec le paragraphe 504(2). Comme telles, les mesures énoncées au paragraphe 504(3) sont incompatibles avec le paragraphe 504(2) seulement si elles contreviennent à l'obligation de neutralité du point de vue de la province ou de la région.

Le Ministère a soutenu qu'une telle interprétation de l'article 504 de l'ACI se trouve corroborée dans la décision que la Cour d'appel fédérale (la Cour) a rendue dans E.H. Industries c. Canada (Ministre des Travaux publics) 6 , où la Cour a déclaré ce qui suit :

Dans le présent appel, l'argumentation a été fondée sur le fait que la présumée discrimination entrait dans la portée des paramètres de l'ACI, et plus particulièrement de l'article 504, même si le présumé motif de discrimination ne revêtait aucun caractère interprovincial ou interrégional.7

[Traduction]

Le Ministère a soutenu que l'alinéa 504(3)b) de l'ACI interdit la rédaction des spécifications techniques de façon soit à favoriser ou à défavoriser des produits donnés ou leurs fournisseurs seulement dans la mesure où l'exercice d'une telle discrimination se fait du point de vue de la province ou de la région. Il a soutenu que limiter le présent marché public aux produits Cisco n'a pas eu pour effet d'exercer de la discrimination entre les produits et leurs fournisseurs du point de vue de la province ou de la région. Le Ministère a ajouté que l'acquisition de produits Cisco dans le cadre de procédures d'appels d'offres ouvertes est neutre à cet égard et ne contrevient donc pas à l'article 504.

Comme argument de rechange, le Ministère a soutenu que « la rédaction des spécifications techniques de façon soit à favoriser ou à défavoriser des produits [...] donnés » est interdite aux termes de l'alinéa 504(3)b) de l'ACI seulement si une telle rédaction des spécifications est faite « en vue de se soustraire aux obligations prévues [par le chapitre cinq de l'ACI] ».

Le Ministère a soutenu que le MDN avait exprimé, dans une lettre d'octobre 2000, les raisons pour lesquelles il a limité le marché public aux produits Cisco dans les circonstances, y compris les raisons suivantes :

le MDN possède présentement une installation homogène de routeurs Cisco 5500;
la valeur du matériel Cisco en place à l'heure actuelle est d'environ 685 000,00 $;
la gestion et le soutien du réseau gravitent autour du système de gestion Ciscoworks (Ciscoworks 2000);
le MDN dispose d'un effectif limité pour gérer le système;
la mise en oeuvre de matériel qui n'est pas pleinement compatible avec l'infrastructure en place exigerait des ressources supplémentaires pour la gestion du réseau, des ressources supplémentaires pour la formation, et introduirait le risque de conflits dans le réseau à cause des méthodes de gestion de réseau incompatibles;
les gestionnaires auraient besoin de personnel ou de formation supplémentaire ou des deux pour gérer le système, ce qui est inacceptable au MDN.

[Traduction]

Par conséquent, le Ministère a soutenu que la DP était limitée aux produits Cisco pour des raisons d'exploitation valables et non en vue de se soustraire aux obligations prévues par le chapitre cinq de l'ACI. De fait, le Ministère a soutenu que Foundry n'a présenté ni allégation ni élément de preuve à cet égard.

En outre, le Ministère a soutenu que l'article 501 de l'ACI ne crée ni droits ni obligations qui soient indépendants de l'alinéa 504(3)b). À titre de disposition de déclaration « d'objet », l'article 501 énonce la politique et l'objet du chapitre cinq de l'ACI. Les autres dispositions du chapitre cinq, y compris l'alinéa 504(3)b), contiennent les moyens spécifiques de concrétisation de la politique et de l'objet du chapitre cinq.

Enfin, le Ministère a soutenu que Foundry n'a pas produit d'élément de preuve montrant que ses produits pouvaient fonctionner avec les produits Cisco à l'appui de sa contestation et de sa plainte.

Dans ses observations du 17 avril 2001, le Ministère a soutenu que Foundry n'avait pas précisé quels commutateurs elle aurait présumément offerts en réponse à la DP ni n'avait prouvé que ses produits étaient compatibles avec le réseau en question.

Le Ministère a soutenu que les éléments de preuve produits par Foundry montrent que le commutateur BigIron 4000 de Foundry peut fonctionner avec le commutateur Cisco de la série Catalyst 6500. Il a ajouté que rien ne démontre cependant que le BigIron 4000 peut fonctionner avec des commutateurs Cisco des séries Catalyst 5500 ou 2900 et 3500 qui composent le réseau en question. Il a aussi ajouté qu'il n'y a pas de preuve que Foundry aurait pu offrir le commutateur BigIron 4000 à un prix concurrentiel.

Le Ministère a en outre soutenu que le fait que le BigIron 4000 de Foundry puisse communiquer avec un commutateur Cisco inutilisé ne règle en rien la préoccupation du MDN selon laquelle l'utilisation d'autres commutateurs que les commutateurs Cisco exigerait « des ressources supplémentaires pour la gestion du réseau, des ressources supplémentaires pour la formation » et « introduirait le risque de conflits dans le réseau à cause des méthodes de gestion du réseau incompatibles » [traduction]. Le Ministère a rejeté l'allégation de Foundry selon laquelle le Ministère, relativement à d'autres « DP, a retiré la condition exigeant une gestion sous CiscoWorks, lorsque cette condition avait été précisée » [traduction]. Faisant observer que les exemples soumis par Foundry n'appuient pas sa position, le Ministère a soutenu que l'exposé de Foundry indique que le MDN aurait besoin de « Iron View »8 pour gérer et configurer au degré nécessaire les dispositifs de réseau de Foundry. Le Ministère a soutenu que c'est exactement ce que le MDN voulait éviter, étant donné ses ressources limitées.

Position de Foundry

Contrairement à l'affirmation du MDN selon laquelle l'installation du MDN est présentement homogène, Foundry a soutenu que même les réseaux constitués de produits Cisco uniquement sont, en vérité, hétérogènes. Foundry a soutenu qu'il existe présentement dans les forces armées américaines plusieurs cas de « systèmes les plus performants » en exploitation, ces systèmes étant, par définition, des installations hétérogènes.

Foundry a reconnu qu'il existe des différences très mineures entre l'interface de ligne de commande Cisco installée et l'interface semblable à celle de Cisco qu'elle proposerait. Cependant, Foundry a soutenu qu'un ingénieur averti peut apprendre ces différences en quelques minutes. De même, Foundry a soutenu que, même si certaines valeurs par défaut du commutateur Cisco et du commutateur Foundry sont légèrement différentes, il arrive que ces valeurs soient différentes même entre différents commutateurs Cisco; par conséquent, une préoccupation à cet égard n'est pas valable. Foundry a ajouté que les affirmations du MDN au sujet des caractéristiques de réinitialisation automatique du matériel de Foundry sont surannées et tout à fait fausses. De même, elle a soutenu que Foundry donne de la formation au Canada dans les deux langues officielles, contrairement à ce qui est affirmé dans le RIF.

Foundry a soutenu que l'insistance du MDN à l'endroit de CiscoWorks pour la gestion du SNMP9 a un caractère restrictif et discriminatoire, puisqu'il existe des solutions de rechange. En fait, le Ministère a autorisé des produits de remplacement dans d'autres cas.

Foundry a soutenu que le Ministère a avancé un nombre d'hypothèses erronées au sujet de son produit, de la formation requise et des possibilités de maintenance afférentes. Foundry a affirmé avoir démontré l'interopérabilité de ses produits et des produits Cisco dans d'innombrables environnements corporatifs et gouvernementaux, y compris les bases militaires. Foundry a soutenu avoir offert de démontrer l'interopérabilité des produits Cisco et des produits Foundry à la BFC Greenwood sous forme de test d'évaluation des performances, mais que son offre a été refusée.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes du paragraphe 30.14(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal doit, lorsqu'il a décidé d'enquêter, limiter son étude à l'objet de la plainte. En outre, à la fin de l'enquête, le Tribunal doit déterminer la validité de la plainte en fonction des critères et procédures établis par règlement pour le contrat spécifique. De plus, l'article 11 du Règlement prévoit que le Tribunal doit déterminer si le marché public a été passé conformément aux exigences des accords commerciaux applicables.

Le Tribunal détermine d'abord que les marchandises en cause sont correctement classées dans le code 5805 de la CFA. Le Tribunal fait observer que les marchandises du code 5805 de la CFA sont exclues de l'application de l'ALÉNA en vertu de l'annexe 1001.2b(1)c). Par conséquent, aux termes de l'ALÉNA, le présent marché public ne relève pas de la compétence du Tribunal. Cependant, ledit marché public est assujetti à l'ACI et le Tribunal statuera sur le bien-fondé de la plainte dans un tel contexte.

Le Ministère a soutenu que le paragraphe 504(2)10 de l'ACI interdit d'exercer de la discrimination du point de vue de la province ou de la région. Dans un tel contexte, le Ministère a soutenu que les mesures énoncées aux alinéas 504(3)a) à g) constituent des exemples de mesures discriminatoires. Le Ministère a aussi soutenu que l'article 501 (Objet) ne crée ni droits ni obligations qui soient indépendants de l'article 504. De plus, et plus précisément en ce qui touche l'alinéa 504(3)b)11 , le Ministère a soutenu que cette forme particulière de mesures discriminatoires doit non seulement être fondée du point de vue de la province ou de la région, mais doit aussi avoir été exercée « en vue de se soustraire aux obligations » prévues par le chapitre cinq de l'ACI.

En l'espèce, le Ministère a soutenu que préciser des produits Cisco n'exerce pas de discrimination du point de vue de la province ou de la région. Comme argument de rechange, le Ministère a soutenu que le MDN, en précisant de tels produits, avait pour objectif de trouver la meilleure solution pour ses besoins opérationnels, tout en minimisant les besoins en ressources humaines et en formation, les frais généraux et les risques liés à l'exploitation. Se soustraire aux obligations prévues par le chapitre cinq de l'ACI n'a pas été un facteur.

Le Tribunal conclut que, lorsqu'il a précisé des produits Cisco sans possibilité d'offre de produits de remplacement, le Ministère a violé les dispositions du paragraphe 504(2) et des alinéas 504(3)b) et g) de l'ACI. À cet égard, le Tribunal reprend pleinement la position qu'il a énoncée dans le dossier no PR-2000-024 :

[L]e paragraphe 504(2) de l'ACI doit être interprété dans son contexte, à savoir le chapitre cinq de l'ACI. L'article 501 prévoit notamment que, conformément aux principes énoncés au paragraphe 101(3)12 , le chapitre cinq vise à établir un cadre qui assurera à tous les fournisseurs canadiens un accès égal aux marchés publics, de manière à réduire les coûts d'achat et à favoriser l'établissement d'une économie vigoureuse, dans un contexte de transparence et d'efficience. L'article 500 dispose que l'article 403 s'applique au chapitre cinq. L'article 403 prévoit, par ailleurs, que chaque partie s'assure que les mesures qu'elle adopte ou maintient n'ont pas pour effet de créer un obstacle au commerce intérieur.
Les dispositions susmentionnées doivent être interprétées ensemble. Elles doivent aussi être interprétées d'une manière à promouvoir l'atteinte des objectifs et des buts de l'ACI et du chapitre cinq. Une telle interprétation est conforme aux principes de l'interprétation des lois nationales13 ainsi qu'aux principes d'interprétation des traités internationaux14 . L'orientation des dispositions susmentionnées favorise nettement une interprétation du paragraphe 504(2) de l'ACI qui interdit les mesures qui exercent de la discrimination entre les marchandises et les services ou les fournisseurs, que de telles mesures soient, ou non, neutres du point de vue de la province ou région. En fait, la discrimination, même si elle n'est pas fondée sur des critères de lieu et qu'elle est neutre du point de vue de la province ou région, peut empêcher l'égalité d'accès pour tous les fournisseurs canadiens.
Une telle interprétation du paragraphe 504(2) de l'ACI se trouve corroborée par le paragraphe 504(3) qui fournit, à titre d'exemple, une liste de mesures incompatibles avec le paragraphe 504(2). Il ressort clairement des exemples compris dans la liste susmentionnée que ce sont les mesures qui ont des effets discriminatoires qu'interdit le paragraphe 504(2). Un de ces exemples se trouve à l'alinéa 504(3)g), qui interdit l'exclusion injustifiable d'un fournisseur du processus d'appel d'offres. Selon le Tribunal, la portée de l'alinéa 504(3)g), une disposition large, ne peut se limiter aux exclusions fondées sur l'endroit de l'établissement d'un fournisseur. Une telle interprétation se trouve corroborée par l'existence de l'alinéa 504(3)a) qui englobe déjà de telles exclusions fondées sur l'endroit où se trouve l'établissement d'un fournisseur15 . Étant donné l'existence de l'alinéa 504(3)a), l'alinéa 504(3)g), pour qu'il ait un sens, doit viser des situations où la discrimination n'est pas fondée sur l'endroit.
La vaste portée de l'interdiction d'exercer de la discrimination ressort aussi de l'existence de l'alinéa 504(3)b) de l'ACI. L'alinéa interdit la rédaction des spécifications techniques de façon soit à favoriser ou à défavoriser des produits ou services donnés, soit à favoriser ou à défavoriser des fournisseurs de tels produits ou services, en vue de se soustraire aux obligations prévues par le chapitre cinq. Limiter cette interdiction d'exercer de la discrimination au plan technique aux seuls cas où une telle discrimination entraînerait des mesures discriminatoires entre les provinces ou les régions serait indéfendable. Cela signifierait qu'une institution fédérale pourrait recourir de façon flagrante à des spécifications techniques restrictives de façon à favoriser un fournisseur spécifique donné aux dépens de tous les autres. Un tel comportement, s'il était acceptable, enlèverait tout leur sens aux autres dispositions du chapitre cinq qui visent à établir un cadre où les marchés publics seront passés dans un contexte de transparence et d'efficience.16

En outre, le Tribunal est d'avis que, dans E.H. Industries, la Cour n'a pas statué sur l'interprétation de l'article 504 de l'ACI.

Quant à l'argument du Ministère selon lequel il a précisé des produits Cisco pour des raisons d'exploitation valables, le Tribunal fait d'abord observer que, conformément aux accords commerciaux, y compris l'ACI, les procédures d'appel d'offres concurrentielles sont la norme17 . Dans un tel cadre et conformément aux règles d'interprétation bien établies, toute limitation, exemption ou exception doit être interprétée étroitement et il incombe aux personnes qui invoquent une telle limitation de la justifier. En l'espèce, le Ministère et le MDN sont les entités qui limitent l'appel d'offres aux fournisseurs de produits Cisco. Le Tribunal est d'avis que le Ministère et le MDN doivent assumer le fardeau d'établir le bien-fondé d'une telle limitation.

Après avoir examiné avec soin tous les éléments de preuve au dossier, le Tribunal n'est pas convaincu que le Ministère et le MDN ont établi que les besoins opérationnels du MDN justifient la limitation de l'appel d'offres aux produits Cisco. Le RIF énonce diverses raisons qui ont poussé le MDN à limiter l'appel d'offres aux produits Cisco, par exemple les frais généraux, les risques liés à l'exploitation, les besoins de formation et de ressources humaines, les considérations de gestion du système; cependant, le Tribunal est d'avis que ces raisons, considérées individuellement ou collectivement, n'établissent pas de manière probante que les produits proposés par Foundry ne pourraient pas satisfaire aux besoins opérationnels du MDN ou remporter le contrat dans le cadre d'un régime d'appel d'offres concurrentiel. Le Tribunal fait observer que, au moment de rédiger la DP et d'évaluer les propositions, le MDN aurait pu prendre en considération les avantages de certains produits par rapport à d'autres. Comme le laisse entendre le MDN, il se peut que, dans les circonstances particulières de l'affaire, Foundry aurait difficilement pu, avec succès, livrer concurrence aux fournisseurs des produits Cisco. Cependant, une procédure équitable et ouverte d'appels d'offres vise précisément à trancher de telles questions et, aux termes des accords commerciaux, le Ministère n'est pas autorisé à préjuger ces questions en ne tenant pas un appel d'offres ouvert.

Le Tribunal est d'avis que, en l'espèce, le Ministère et le MDN ne se sont pas déchargés avec succès du fardeau de la preuve qui leur incombe. Par conséquent, le Tribunal conclut qu'ils ont limité l'appel d'offres aux produits Cisco sans raison valable et qu'ils ont donc, contrairement aux dispositions de l'article 504 de l'ACI, exercé une discrimination contre les autres produits que les produits Cisco, et leurs fournisseurs.

Quant à l'argument de rechange du Ministère selon lequel, aux termes des dispositions de l'alinéa 504(3)b) de l'ACI, la rédaction des spécifications techniques de manière à favoriser ou à défavoriser un produit ou un fournisseur ne constitue pas, à elle seule, une violation et qu'il doit aussi être établi qu'une telle mesure discriminatoire est introduite « en vue de se soustraire aux obligations » prévues par le chapitre cinq de l'ACI, le Tribunal conclut que le Ministère et le MDN ont, en l'espèce, rédigé les spécifications de manière à favoriser ou à défavoriser des produits ou des fournisseurs en vue d'empêcher la concurrence des fournisseurs d'autres produits que les produits Cisco. Plus précisément, parce que le Ministère et le MDN n'ont pas permis l'offre de produits équivalents et ont refusé l'offre faite par Foundry d'effectuer un test d'évaluation des performances, le Ministère n'a pas réussi à convaincre le Tribunal que le marché public a été limité aux produits Cisco à des fins autres que de se soustraire aux obligations du chapitre cinq. Dans Re plainte déposée par Array Systems Computing 18 et dans Re plainte déposée par Cabletron Systems of Canada 19 , le Tribunal a déterminé qu'il n'y avait pas de violation de l'alinéa 504(3)b) de l'ACI, concluant que « [l]a procédure suivie pour établir la DT prévoyait certaines vérifications pour assurer que la demande n'était pas formulée de manière à exclure délibérément certains fournisseurs »20 et que « le Ministère a fait tous les efforts raisonnables pour conserver l'ampleur de la portée de ces critères [de performance] de manière à inclure un aussi grand nombre de fournisseurs que possible sans toutefois atténuer ses exigences »21 . Il ne s'agit manifestement pas là de la démarche suivie par le Ministère et le MDN en l'espèce. De plus, les spécifications restrictives revenaient effectivement à exclure Foundry, d'une manière injustifiée, de la procédure d'appel d'offres, contrairement à l'alinéa 504(3)g).

Le Tribunal conclut également que, en demandant des produits Cisco sans possibilité d'offre de produits de remplacement, le Ministère a défini lesdits produits d'une manière non conforme aux dispositions concernant les procédures de passation des marchés publics énoncées au paragraphe 506(7) de l'ACI.

Quant à l'allégation de Foundry selon laquelle les mesures prises par le Ministère et le MDN dans le cadre de la présente invitation à soumissionner sont contraires à l'alinéa 506(12)b) de l'ACI, le Tribunal détermine que ladite allégation est dénuée de fondement. L'alinéa susmentionné se rapporte à des circonstances où un seul fournisseur est en mesure de satisfaire aux conditions d'un marché public. Cependant, en l'espèce, le Ministère n'a pas invoqué ladite disposition, puisque l'invitation à soumissionner était ouverte à tous les fournisseurs qui offraient des produits Cisco.

Pour déterminer la mesure corrective la mieux indiquée, le Tribunal a, dans la plus grande mesure possible, tenté de placer Foundry dans la situation où elle se trouvait avant l'ouverture de la présente invitation à soumissionner. De l'avis du Tribunal, il est clair que Foundry s'est injustement vu refuser l'occasion de livrer concurrence pour le présent marché public, de le remporter, d'obtenir le contrat et d'en tirer des profits. Bien qu'il soit difficile d'évaluer combien de propositions conformes auraient été reçues si une procédure d'appel d'offres correcte avait été appliquée dans le cadre du présent marché public, le Tribunal sait, à la lumière des éléments de preuve au dossier, que le Ministère a reçu six soumissions conformes en réponse à ladite invitation à soumissionner. De ce fait, le Tribunal établit la perte d'opportunité de Foundry selon un rapport de 1 sur 7 et recommandera que Foundry reçoive une indemnité pour perte de profits calculée en fonction de ce même rapport.

DÉCISION DU TRIBUNAL

À la lumière de ce qui précède, le Tribunal détermine que le marché public n'a pas été passé conformément aux dispositions de l'ACI et que la plainte est donc fondée.

Aux termes des paragraphes 30.15(2) et (3) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal recommande, à titre de mesure corrective, que Foundry reçoive une indemnité d'un montant égal au septième des profits qu'elle aurait tirés du marché si elle avait présenté une proposition à un prix inférieur d'un dollar au prix proposé dans la soumission de MTT (Halifax).

Aux termes du paragraphe 30.16(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal accorde à Foundry le remboursement des frais raisonnables qu'elle a engagés pour le dépôt et le traitement de la plainte.

1 . L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47 [ci-après Loi sur le TCCE].

2 . 32 I.L.M. 289 (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ci-après ALÉNA].

3 . 18 juillet 1994, Gaz. C. 1995.I.1323, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <www.intrasec.mb.ca/fre/it.htm> [ci-après ACI].

4 . D.O.R.S./93-602 [ci-après Règlement].

5 . D.O.R.S./91-499.

6 . (7 mars 2000), dossier no A-696-00 [ci-après E.H. Industries].

7 . Ibid. au para. 17.

8 . Outil de gestion de réseau de Foundry.

9 . Protocole de gestion de réseau simple.

10 . « 2. Sous réserve de l'article 404 (Objectifs légitimes), le paragraphe 1 a pour effet d'interdire au gouvernement fédéral d'exercer de la discrimination :

a) entre les produits ou services d'une province ou d'une région, y compris entre ceux inclus dans les marchés de construction, et les produits ou services d'une autre province ou région;
b) entre les fournisseurs de tels produits ou services d'une province ou d'une région et les fournisseurs d'une autre province ou région ».

11 . « 3. Sauf disposition contraire du présent chapitre, sont comprises parmi les mesures incompatibles avec les paragraphes 1 et 2 :

b) la rédaction des spécifications techniques de façon soit à favoriser ou à défavoriser des produits ou services donnés, y compris des produits ou services inclus dans des marchés de construction, soit à favoriser ou à défavoriser des fournisseurs de tels produits ou services, en vue de se soustraire aux obligations prévues par le présent chapitre ».

12 . Le paragraphe 101(3) prévoit, entre autres, que certains principes guideront les parties dans l'application de l'ACI, notamment, que les parties n'érigeront pas de nouveaux obstacles au commerce intérieur et qu'elles faciliteront la circulation des personnes, des produits, des services et des investissements entre les provinces au Canada et qu'elles traiteront sur un pied d'égalité les personnes, les produits, les services et les investissements, indépendamment de leur lieu d'origine au Canada.

13 . Loi d'interprétation, L.R.C. 1985, c. I-21, art. 12.

14 . L'article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités dispose qu'un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but. Voir Re plainte déposée par Brookfield LePage Johnson Controls Facility Management Services (6 septembre 2000), PR-2000-008 et PR-2000-021 (TCCE) à la p. 21.

15 . L'alinéa 504(3)a) de l'ACI interdit, au motif qu'elle est comprise parmi les mesures incompatibles avec le paragraphe 504(2), l'application soit de conditions dans le cadre d'un appel d'offres, soit d'exigences en matière d'enregistrement ou encore de procédures de qualification fondées sur l'endroit où se trouve l'établissement d'un fournisseur, sur l'endroit où les produits sont fabriqués ou les services sont fournis, ou sur d'autres critères analogues.

16 . Re plainte déposée par AT&T Canada (27 novembre 2000), aux p. 6 et 7.

17 . Dans Re plainte déposée par Novell Canada (17 juin 1999), PR-98-047 (TCCE) à la p. 13, le Tribunal a déclaré ce qui suit : « Le Tribunal est donc d'avis, comme il a été énoncé à de nombreuses reprises dans des décisions du Tribunal et de son prédécesseur, la Commission de révision des marchés publics du Canada, que, aux termes des accords commerciaux, les procédures d'appel d'offres concurrentielles sont la norme. Les procédures d'appel d'offres limitées sont l'exception, et doivent être interprétées de façon étroite par le Tribunal, les entités ayant la charge d'établir quelles circonstances ou conditions, énoncées dans les dispositions des accords commerciaux visant l'utilisation des procédures d'appel d'offres limitées, sont justifiées ».

18 . (25 mars 1996), PR-95-024 (TCCE).

19 . (8 mars 1996), PR-95-018 (TCCE).

20 . Supra note 18 à la p. 8.

21 . Supra note 19 à la p. 9.


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Publication initiale : le 10 juillet 2001