LES ENTREPRISES P. CORMIER

Décisions


LES ENTREPRISES P. CORMIER
Dossier no PR-2002-038


TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le lundi 17 février 2003

Dossier no PR-2002-038

EU ÉGARD À une plainte déposée par Les Entreprises P. Cormier aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47;

ET SUITE À une décision d'enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte est fondée.

Aux termes du paragraphe 30.15(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, et en tenant compte de tous les facteurs qui sont intervenus dans ce marché, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande que le contrat soit résilié et qu'un nouvel appel d'offres soit lancé.

De plus, aux termes du paragraphe 30.16(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur accorde à la société Les Entreprises P. Cormier le remboursement des frais raisonnables qu'elle a engagés pour la préparation et le traitement de la plainte.

Richard Lafontaine
Richard Lafontaine
Membre présidant

Michel P. Granger
Michel P. Granger
Secrétaire

 

 

Date de la décision et des motifs :

Le 17 février 2003

   

Membre du Tribunal :

Richard Lafontaine, membre présidant

   

Agent principal d'enquête :

Daniel Chamaillard

   

Conseiller pour le Tribunal :

Michèle Hurteau

   

Partie plaignante :

Les Entreprises P. Cormier

   

Institution fédérale :

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

   

Conseillers pour l'institution fédérale :

Christianne M. Laizner

 

Susan D. Clarke

 

Ian McLeod

 

 

EXPOSÉ DES MOTIFS

PLAINTE

Le 19 novembre 2002, la société Les Entreprises P. Cormier (EPC) a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur 1 à l'égard du marché public (invitation no 21120-031789/A) passé par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) pour l'acquisition de couvertures isothermes, de couleur bleue, pour le Service correctionnel du Canada (le SCC).

EPC a allégué que TPSGC n'avait pas respecté la procédure d'adjudication de contrat concernant la présente invitation et que la procédure d'évaluation était injuste. Les 2 et 5 octobre 2002, EPC a reçu de TPSGC des télécopies l'informant, dans le premier cas, d'une modification à l'appel d'offres et, dans l'autre cas, du report de la date limite pour répondre à la demande du 2 octobre 2002. Elle a affirmé que, lors d'une communication téléphonique avec TPSGC, vers le 7 octobre 2002, ce dernier l'aurait informée que la modification apportée à l'appel d'offres était due à une erreur de la part de TPSGC. De plus, EPC a soutenu que TPSGC avait mentionné que la prorogation accordée aux soumissionnaires jusqu'au 15 octobre 2002 pour répondre à la demande du 2 octobre 2002 l'avait été pour permettre à une entreprise qui devait faire des vérifications auprès d'une compagnie en Asie qui, durant cette période, était en congé. EPC a de plus soutenu que TPSGC lui avait ensuite expliqué qu'elle devait répondre à la communication du 2 octobre 2002 relativement à la modification et que, si un des soumissionnaires répondait affirmativement, i.e. que cette modification aurait une incidence sur le prix unitaire, TPSGC se devait de lancer un nouvel appel d'offres. Selon EPC, TPSGC a ajouté qu'il se devait, en règle générale, de lancer immédiatement un nouvel appel d'offres (après avoir décelé une erreur du genre) mais qu'en l'espèce, sa façon de faire lui sauverait beaucoup de travail et accélérerait grandement le processus d'adjudication.

EPC s'est également plainte que les communications écrites que lui avait fait parvenir TPSGC les 2 et 5 octobre 2002 étaient uniquement en anglais, en violation de la Loi sur les langues officielles 2 .

À titre de mesure corrective, EPC a demandé à recevoir une indemnité pour perte de contrat.

Le 25 novembre 2002, le Tribunal a avisé les parties de sa décision d'enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE et du paragraphe 7(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics3 . Le 23 décembre 2002, TPSGC a déposé un rapport de l'institution fédérale (RIF) auprès du Tribunal selon l'article 103 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur 4 . Le 8 janvier 2003, EPC a déposé, selon l'article 104 des Règles, ses observations sur le RIF auprès du Tribunal.

La quantité des renseignements au dossier étant suffisante pour déterminer le bien-fondé de la plainte, le Tribunal a décidé qu'une audience n'était pas nécessaire et a statué sur la plainte sur la foi des renseignements au dossier.

PROCÉDURE DE PASSATION DU MARCHÉ PUBLIC

Le 5 mars 2002, TPSGC a reçu une demande du SCC pour l'acquisition de couvertures isothermes, 100 p. 100 coton de couleur bleue. Cette acquisition était assujettie à l'Accord de libre-échange nord-américain 5 , à l'Accord sur les marchés publics 6 et à l'Accord sur le commerce intérieur 7 .

Le 18 mai 2002, TPSGC a publié un avis de projet de marché concernant cette acquisition par l'intermédiaire de MERX8 et une demande de proposition (DP) avec une date de clôture du 2 juillet 2002. Aux termes de la DP, la demande était pour un contrat pour une période de un an avec une quantité ferme de 17 145 unités avec une option de prolonger le contrat pour une année additionnelle avec la même quantité ferme d'unités ainsi qu'une quantité estimative de 5 000 unités au gré des besoins pour une période de 12 mois ou 24 mois si la deuxième année optionnelle était utilisée. Selon la DP, la base de sélection pour l'adjudication du contrat était la soumission conforme au prix global le plus bas. De plus, la DP fournissait l'information sur l'obtention des données techniques et sur les endroits où l'on pouvait voir l'échantillon ou le modèle sous scellé aux bureaux de TPSGC. La DP exigeait, dans le cadre d'une évaluation technique, un échantillon du produit proposé par le soumissionnaire afin de confirmer la capacité de ce dernier à répondre aux exigences techniques.

Avant la date de clôture du 2 juillet 2002, TPSGC a reçu sept soumissions en réponse à la DP. Selon TPSGC, la soumission présentée par Five Star Enterprises of Canada Ltd. (Five Star) était la proposition dont le prix global était le plus bas, tandis que celle d'EPC avait le prix le plus élevé.

Le 16 juillet 2002, TPSGC a demandé à Five Star qu'elle fournisse, au plus tard le 7 août 2002, un échantillon. Le 6 août 2002, TPSGC a reçu de Five Star un échantillon de la couverture qui devait servir à déterminer la conformité aux exigences de la DP.

Le 9 septembre 2002, l'autorité technique de TPSGC a publié un rapport d'inspection de l'échantillon indiquant que celui-ci était approuvé. Toutefois, le rapport contenait la déclaration suivante:

L'échantillon fourni avant l'attribution du contrat et ses données techniques ont été examinés. Ils sont tous deux en conformité avec les besoins. Note : On a découvert que la contexture du tableau 1 était différente de celle de l'échantillon sous scellé, alors l'échantillon a été évalué selon l'échantillon sous scellé et il est conforme. Veuillez donner suite à l'acquisition en conséquence. [Traduction]

Le 2 octobre 2002, TPSGC a envoyé par télécopieur une communication à tous les soumissionnaires, indiquant que le tableau 1 de la DP contenait une erreur quant aux spécifications techniques de la contexture et demandant aux soumissionnaires si cette modification aurait une incidence sur le prix unitaire cité dans leur soumission.

Les 4 et 5 octobre 2002, TPSGC a communiqué avec tous les soumissionnaires afin de les informer que la date limite pour répondre à la demande du 2 octobre 2002 était prorogée au 15 octobre 2002.

Tous les soumissionnaires ont répondu à la demande du 2 octobre 2002. Ils ont indiqué qu'aucune modification ne serait apportée à leur prix unitaire, sauf pour EPC, qui a déclaré que la modification aurait une incidence sur son prix unitaire.

Le 21 octobre 2002, l'agent de négociation de TPSGC a demandé à l'autorité technique de TPSGC de lui indiquer si la modification apportée aux spécifications techniques était importante ou mineure. Cette dernière a indiqué que les dimensions de la couverture étaient de 230 cm x 180 cm et qu'on estimait que l'augmentation de la contexture ne toucherait qu'un faible pourcentage de la superficie totale de la couverture (6,5 p. 100 approximativement). Par conséquent, elle a déterminé que la modification n'était pas considérée comme importante. À la lumière de cette information, TPSGC a établi que la modification apportée aux spécifications techniques était mineure et, vu que tous les soumissionnaires, sauf EPC, avaient indiqué que la modification n'aurait pas d'incidence sur l'établissement du prix, il n'était pas justifié de procéder à un nouvel appel d'offres.

Le 23 octobre 2002, un contrat de 227 473,44 $ a été attribué à Five Star, pour la période du 1er novembre 2002 au 31 octobre 2003, pour une quantité ferme de 17 145 unités et un nombre estimatif de 5 000 unités au gré des besoins.

Le 31 octobre 2002, EPC a communiqué avec TPSGC et s'est opposée à l'attribution du contrat du fait qu'elle avait compris que, si seulement un soumissionnaire devait indiquer une modification de son prix, un nouvel appel d'offres serait lancé. L'agent de négociation de TPSGC a indiqué qu'un nouvel appel d'offres n'était pas justifié puisque la modification apportée aux spécifications était mineure.

EPC a allégué que, le 7 novembre 2002, elle avait communiqué à nouveau avec TPSGC et que ce dernier lui avait indiqué qu'il n'avait commis aucune faute.

Le 19 novembre 2002, EPC a déposé une plainte auprès du Tribunal.

POSITIONS DES PARTIES

Position de TPSGC

Selon TPSGC, EPC a allégué que, après avoir avisé les soumissionnaires d'une correction à l'une des spécifications techniques, TPSGC avait incorrectement attribué un contrat pour des couvertures isothermes, 100 p. 100 coton, au lieu de procéder à un nouvel appel d'offres.

TPSGC a soutenu qu'un nouvel appel d'offres n'était pas justifié, compte tenu de toutes les circonstances, prétendant qu'il avait agi correctement en avisant les soumissionnaires de l'erreur et en leur demandant si la modification aurait une incidence sur le prix unitaire cité dans leur soumission.

TPSGC a allégué qu'il avait indiqué à EPC lors d'une conversation téléphonique, vers le 7 octobre 2002, que cette demande avait pour but de déterminer si la modification à la contexture aurait une incidence sur le prix unitaire. TPSGC a soutenu qu'il était raisonnable de conclure qu'il existait deux explications possibles au fait qu'EPC avait indiqué, dans sa réponse à la demande du 2 octobre 2002, que son prix unitaire changerait. D'abord, l'augmentation de la contexture exigerait une plus grande quantité de fil et, par conséquent, le prix de la soumission d'EPC serait rajusté à la hausse. Par ailleurs, EPC, préoccupée de voir que le prix de sa soumission n'était pas le plus bas, voulait avoir l'occasion de présenter une nouvelle soumission à un prix concurrentiel et pensait que sa réponse à la demande du 2 octobre 2002 obligerait TPSGC à procéder à un nouvel appel d'offres. Selon TPSGC, le prix de la soumission d'EPC était de 48,4 p. 100 supérieur à celui du plus bas soumissionnaire, Five Star.

De plus, TPSGC a indiqué qu'il avait agi de façon raisonnable et responsable en demandant à son autorité technique de déterminer l'importance de la correction de la contexture. La modification touchait principalement une petite partie de la superficie de la couverture qui contenait l'armure plus serrée, soit les nervures de stabilisation des extrémités et la nervure de stabilisation du centre, plutôt que le corps de la couverture qui était une armure lâche. Ainsi, compte tenu du fait que la modification était mineure et que les six soumissionnaires ayant les prix les plus bas avaient indiqué que cette modification n'aurait aucune incidence sur leur prix unitaire, TPSGC a cru qu'il aurait été injuste envers ses six soumissionnaires de permettre au soumissionnaire ayant le prix le plus haut de présenter une nouvelle soumission à un prix plus bas que celui des soumissions déjà présentées.

TPSGC a soutenu qu'il était donc raisonnable de conclure que la DP n'avait pas fait l'objet d'une modification importante et qu'un nouvel appel d'offres, qui ferait subir aux six soumissionnaires ayant les prix les plus bas des dépenses et des inconvénients indus, n'était donc pas justifié, compte tenu notamment de l'écart de prix entre les soumissions les plus basses et la soumission la plus élevée; il n'y avait pas lieu de faire droit à la plainte. De plus, TPSGC a demandé l'autorisation de faire des observations concernant l'adjudication des dépens.

Quant à l'allégation selon laquelle TPSGC avait envoyé deux télécopies en anglais seulement, contrairement aux dispositions de la Loi sur les langues officielles, TPSGC a prétendu que le Tribunal n'avait pas compétence en la matière puisqu'une plainte visée par cette loi ne pouvait être présentée qu'au Commissaire aux langues officielles en vertu de l'article 58 de cette loi. D'ailleurs, EPC a soulevé cette question pour la première fois au cours d'une conversation téléphonique le 7 novembre 2002, plus de 10 jours ouvrables après la date de réception des communications en langue anglaise. Par conséquent, TPSGC a soutenu que la plainte avait été déposée en dehors des délais prescrits par l'article 6 du Règlement et qu'elle ne devait pas être retenue.

Position d'EPC

EPC a soutenu que la prétention de TPSGC voulant que les modifications demandées par TPSGC soient minimes était fausse. Selon EPC, dans ce genre de contrat, la quantité de couvertures, le fil, les motifs, les bordures et même la couleur de la couverture sont des facteurs importants dans l'élaboration d'un prix. EPC a allégué que TPSGC n'aurait pas communiqué avec elle pour obtenir son avis quant à l'incidence des modifications sur son prix unitaire, avaient-elles été si minimes.

EPC a de plus soutenu que chaque compagnie avait eu l'occasion d'analyser son dossier en vertu de la validité de sa soumission et de modifier son prix soit à la hausse ou à la baisse, ainsi que son rang à la suite des modifications apportées à l'une des spécifications techniques, et ce, en dehors du délai de 90 jours. Compte tenu du petit nombre de soumissionnaires et du fait qu'EPC était la seule à vouloir modifier son prix, TPSGC devait communiquer avec EPC pour obtenir des informations supplémentaires sur la modification du prix.

Selon EPC, il était également erroné de la part de TPSGC de croire que la modification aurait entraîné une hausse des coûts. EPC a prétendu que le produit demandé au départ n'était pas un produit dit « standard », conforme à l'échantillon sous scellé, contrairement aux spécifications techniques de la DP, et que le prix était donc différent. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette différence dont l'ajustement de la machinerie ou l'achat de fil. Comme tout matériel quand il est acheté en grande quantité, le fil peut être obtenu au prix du gros, ce qui fait diminuer le prix unitaire.

Quant à la question de la compétence du Tribunal en matière de plaintes en vertu de la Loi sur les langues officielles, bien qu'EPC ait admis que le Tribunal n'avait pas compétence en la matière, elle a fait remarquer que TPSGC aurait dû noter que les communications d'EPC étaient en français.

EPC a également allégué que TPSGC ne pouvait pas être en mesure de faire d'extrapolation que le prix évalué de la soumission d'EPC était de 48,4 p. 100 supérieur au prix du soumissionnaire ayant le prix le plus bas , compte tenu du fait que les données disponibles ne tenaient pas compte de sa modification de prix. Selon EPC, la demande du 2 octobre 2002 voulait qu'EPC réponde simplement par un « oui » ou un « non » quant à savoir si la modification à la contexture aurait une incidence sur son prix unitaire.

EPC a donc soutenu que TPSGC avait indiqué qu'il allait étudier les réponses à la demande du 2 octobre 2002 et que, si une des entreprises soumissionnaires l'informait d'une modification de prix, TPSGC se devait de lancer un nouvel appel d'offres, afin de légitimer et de respecter le processus de soumission.

Finalement, EPC a trouvé intrigant le fait que TPSGC n'avait pris connaissance de la différence entre les spécifications techniques et l'échantillon sous scellé qu'au moment de l'évaluation de l'échantillon. En terminant, EPC a allégué qu'une des clauses de la DP, soit le délai de validité des prix, n'avait pas été respectée, ce qui avait fait que le dossier avait été injustement traité par TPSGC.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes du paragraphe 30.14(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal doit, dans son enquête, limiter son étude à l'objet de la plainte. En outre, à la fin de l'enquête, il doit déterminer la validité de la plainte en fonction des critères et procédures établis par règlement pour le marché en question. De plus, l'article 11 du Règlement prévoit que le Tribunal doit déterminer si le marché public a été passé conformément aux accords commerciaux applicables, en l'espèce, l'ACI, l'ALÉNA et l'AMP.

Le paragraphe 506(6) de l'ACI prévoit notamment que « [l]es documents d'appel d'offres doivent indiquer clairement les conditions du marché public, les critères qui seront appliqués dans l'évaluation des soumissions et les méthodes de pondération et d'évaluation des critères. »

L'alinéa 1015(4)a) de l'ALÉNA stipule que « pour être considérée en vue de l'adjudication, une soumission devra être conforme, au moment de son ouverture, aux conditions essentielles spécifiées dans les avis ou dans la documentation relative à l'appel d'offres, et avoir été présentée par un fournisseur remplissant les conditions de participation ». De plus, l'alinéa 1015(4)d) de l'ALÉNA stipule que « l'adjudication des marchés sera conforme aux critères et aux conditions essentielles spécifiées dans la documentation relative à l'appel d'offres». L'alinéa XIII (4)(c) de l'AMP est dans le même sens.

Dans la présente plainte, le Tribunal doit statuer sur les trois questions suivantes :

1) à savoir si la modification aux exigences de la DP était mineure;

2) à savoir si le résultat de la procédure de passation du marché public était en violation des ententes commerciales;

3) à savoir si le Tribunal avait compétence en matière de plaintes en vertu de la Loi sur les langues officielles.

TPSGC a prétendu que la modification à l'une des spécifications techniques était mineure, en ce sens qu'elle ne touchait qu'à 6,5 p. 100 de la superficie de la couverture. Le Tribunal n'est pas de cet avis. La DP prévoyait que les entreprises n'ayant pas fourni cet article à TPSGC devaient livrer, avant l'adjudication du contrat, un échantillon fabriqué en stricte conformité avec les exigences de la DP et que la non-conformité de l'échantillon aux exigences techniques rendrait la soumission de l'entreprise irrecevable.

Le 6 août 2002, TPSGC a reçu, du plus bas soumissionnaire, un échantillon devant servir à déterminer la conformité aux exigences de la DP. Le 9 septembre 2002, l'autorité technique a rédigé un rapport d'inspection sur l'échantillon soumis et a indiqué que celui-ci était approuvé. Cependant, le rapport contenait notamment la déclaration suivante:

L'échantillon [...] et ses données techniques [...] sont tous deux en conformité avec les besoins. Note : On a découvert que la contexture du tableau 1 était différente de celle de l'échantillon sous scellé, alors l'échantillon a été évalué selon l'échantillon sous scellé et il est conforme. [Traduction]

Ce n'est que lors de la rédaction par l'autorité technique de ce rapport d'inspection que TPSGC s'est aperçu d'une différence entre l'échantillon sous scellé et les exigences techniques. Selon le Tribunal, cet élément de preuve indique, qu'à tout le moins, la proposition du plus bas soumissionnaire n'était pas en conformité avec l'exigence de la DP et était donc irrecevable. En outre, la DP, sous la rubrique « Ordre de priorité », indique qu'en cas d'incompatibilité dans les documents du contrat, les spécifications ont préséance sur l'échantillon sous scellé. De plus, dans ses commentaires relatifs au RIF, EPC se demandait comment le soumissionnaire ayant le prix le plus bas avait pu produire un échantillon identique à l'échantillon sous scellé. De l'avis du Tribunal, toute modification apportée par suite de l'évaluation des soumissions devait être faite dans le contexte d'une nouvelle DP, autrement cela donnerait cours à un manque de transparence contrairement aux dispositions des ententes commerciales. Le Tribunal conclut donc que le présent contrat a été injustement adjugé vu que TPSGC n'a pas respecté, lors de son évaluation, les exigences obligatoires de la DP et qu'il a changé les règles du jeu sans donner à toutes les parties l'occasion de se conformer aux nouvelles exigences, contrairement aux dispositions des accords commerciaux.

De plus, le Tribunal juge qu'il n'a pas compétence en matière de plaintes en vertu de la Loi sur les langues officielles. Par ailleurs, l'usage d'une seule langue officielle, dans des circonstances données, pourrait désavantager un fournisseur potentiel et être contraire aux accords commerciaux. L'ALÉNA, par exemple, stipule que les procédures de passation de marchés publics doivent être appliquées de façon non discriminatoire. L'ACI, de son côté, vise à assurer à tous les fournisseurs canadiens un accès égal aux marchés publics. EPC, dans le cas qui nous occupe, quoique parfaitement en droit de recevoir ses communications de l'institution fédérale dans la langue officielle de son choix, n'a pas allégué que l'usage de l'anglais en soi lui avait causé un tort.

En vertu du paragraphe 30.15(3) de la Loi, le Tribunal tient compte, dans sa décision, de tous les facteurs qui interviennent dans le marché visé par le contrat spécifique, notamment la gravité des irrégularités qu'il a constatées, l'ampleur du préjudice causé au plaignant ou à tout autre intéressé, l'ampleur du préjudice causé à l'intégrité ou à l'efficacité du mécanisme d'adjudication, la bonne foi des parties ainsi que le degré d'exécution du contrat.

Le Tribunal est d'avis que l'évaluation n'a pas été effectuée selon les critères obligatoires de la DP et que la soumission la moins disante était irrecevable. Selon lui, cette irrégularité était grave. De plus, le Tribunal juge qu'en changeant les critères après l'ouverture des soumissions, l'intégrité et l'efficacité du mécanisme d'adjudication ont été gravement mises en cause.

Le Tribunal fait observer qu'EPC était au dernier rang des soumissionnaires quant à son prix. Par ailleurs, le Tribunal n'est pas en mesure de savoir quels auraient été les résultats des évaluations effectuées en rapport avec des échantillons qui auraient été livrés par les six concurrents qui demeuraient dans la course. De plus, il est maintenant trop tard pour les faire évaluer selon les critères de la DP, vu l'accès des intéressés aux données de la présente enquête. À tout événement, le Tribunal est d'avis qu'il ne serait pas à propos de recommander que TPSGC se procure des marchandises qui ont fait l'objet d'une erreur technique et qu'il n'avait aucunement l'intention d'acheter au départ. Le Tribunal est aussi d'avis que la modification aux spécifications techniques de la contexture pourrait bien entraîner une baisse du prix d'EPC.

Les éléments de preuve n'indiquent pas, selon le Tribunal, qu'il y a eu de la mauvaise foi de la part de TPSGC en poursuivant l'approche qu'elle a adoptée en l'espèce. Il a tout simplement mal agi sans en avoir eu l'intention.

Le contrat en l'espèce a été attribué le 23 octobre 2002, pour la période du 1er novembre 2002 au 31 octobre 2003, pour une quantité ferme de 17 145 unités et un nombre estimatif d'unités au gré des besoins. La DP prévoit, à titre d'option, une année additionnelle. Selon le Tribunal, il pourrait peut-être y avoir, à tout le moins, un peu plus des deux tiers du contrat à exécuter.

Après avoir examiné tous les éléments de preuve au dossier, le Tribunal est d'avis que TPSGC a agi contrairement aux accords commerciaux. À la lumière de ce qui précède, le Tribunal est d'avis qu'il n'est pas indiqué de recommander le versement d'une indemnité comme il a été demandé par EPC. Le Tribunal recommande plutôt de résilier le contrat et de lancer un nouvel appel d'offres.

DÉCISION

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal détermine que la plainte est fondée.

Aux termes du paragraphe 30.15(2) de la Loi sur le TCCE, et en tenant compte de tous les facteurs qui sont intervenus dans ce marché, le Tribunal recommande que le contrat soit résilié et qu'un nouvel appel d'offres soit lancé.

De plus, aux termes du paragraphe 30.16(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal accorde à EPC le remboursement des frais raisonnables qu'elle a engagés pour la préparation et le traitement de la plainte.


1 . L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47 [ci-après Loi sur le TCCE].

2 . L.R. 1985 (4e supp.), c. 31.

3 . D.O.R.S./93-602 [ci-après Règlement].

4 . D.O.R.S./91-499 [ci-après Règles].

5 . 32 I.L.M. 289 (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ci-après ALÉNA].

6 . 15 avril 1994, en ligne : Organisation mondiale du commerce <http://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/final_f.htm> [ci-après AMP].

7 . 18 juillet 1994, Gaz. C. 1995.I.1323, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <http://www.intrasec.mb.ca/fre/it.htm> [ci-après ACI].

8 . Service électronique d'appel d'offres du Canada.