LA CORPORATION BRISK

Décisions


LA CORPORATION BRISK
Dossier no PR-2002-047


TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le lundi 28 avril 2003

Dossier no PR-2002-047

EU ÉGARD À une plainte déposée par La Corporation Brisk aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47;

ET SUITE À une décision d'enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte est fondée en partie.


Richard Lafontaine

Richard Lafontaine
Membre présidant

Susanne Grimes
Susanne Grimes
Secrétaire intérimaire

 

Date de la décision et des motifs :

Le 28 avril 2003

   

Membre du Tribunal :

Richard Lafontaine, membre présidant

   

Agent principal d'enquête :

Daniel Chamaillard

   

Conseiller pour le Tribunal :

Dominique Laporte

   

Partie plaignante :

La Corporation Brisk

   

Institution fédérale :

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

   

Conseiller pour l'institution fédérale :

Bernard Letarte

 

EXPOSÉ DES MOTIFS

PLAINTE

Le 13 décembre 2002, La Corporation Brisk (Brisk) a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur 1 . La plainte concerne le marché public (invitation no W0106-01Z303/A) passé par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) au nom du ministère de la Défense nationale (MDN) pour la fourniture, l'installation et l'entretien d'appareils de dosage automatiques pour les produits de lave-vaisselle et d'entretien de cuisines et pour la fourniture de ces produits à Valcartier (Québec) et les environs.

Brisk a allégué qu'elle avait été lésée dans le processus d'évaluation des soumissions par TPSGC et que l'autorité contractante avait usé de son influence afin que Sani-Plus inc. (Sani-Plus), le soumissionnaire gagnant en l'espèce, puisse faire tester ses produits et se voie accorder l'offre à commandes, alors que la soumission de cette société n'était pas conforme et ne satisfaisait pas aux exigences obligatoires de la demande d'offre à commandes (DOC). De plus, Brisk a allégué que l'autorité contractante de TPSGC était de collusion avec les dirigeants de Sani-Plus.

À titre de mesures correctives, Brisk a demandé le report de l'adjudication de l'offre à commandes, l'annulation de la DOC, ainsi qu'une nouvelle évaluation des soumissions.

Le 18 décembre 2002, le Tribunal a avisé les parties de sa décision d'enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE et du paragraphe 7(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics 2 et a rendu une ordonnance reportant l'adjudication de tout contrat portant sur le marché public jusqu'à ce qu'il se soit prononcé sur la validité de la plainte.

Le 15 janvier 2003, le Tribunal a accordé à Sani-Plus, à la suite de la demande de cette dernière, le statut d'intervenant dans la présente affaire. Le 17 janvier 2003, TPSGC a demandé au Tribunal d'annuler son ordonnance reportant l'adjudication du contrat, rendue le 18 décembre 2002. Le 21 janvier 2003, le Tribunal a annulé ladite ordonnance après avoir pris en considération les motifs invoqués par TPSGC au soutien de sa requête.

Le 4 février 2003, TPSGC a déposé un rapport de l'institution fédérale (RIF) auprès du Tribunal en vertu de l'article 103 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur 3 . Le 5 mars 2003, Brisk a déposé, en vertu de l'article 104 des Règles, ses observations sur le RIF auprès du Tribunal.

Le 10 mars 2003, le Tribunal a demandé à TPSGC de clarifier certains renseignements fournis dans le RIF. Le 13 mars 2003, TPSGC a déposé auprès du Tribunal des renseignements additionnels.

Le 17 mars 2003, Sani-Plus a déposé auprès du Tribunal ses commentaires sur certaines questions l'impliquant dans la présente affaire. Le 18 mars 2003, Brisk a déposé des commentaires additionnels sur les renseignements fournis par TPSGC et Sani-Plus. Le 19 mars 2003, le Tribunal a décidé de ne pas accepter la demande de TPSGC de déposer des commentaires additionnels en réponse aux observations de Brisk du 5 mars 2003.

Le 3 avril 2003, afin de clarifier certains points précis concernant les renseignements reçus de TPSGC le 13 mars 2003, le Tribunal lui a demandé de répondre à deux autres questions. Le 7 avril 2003, TPSGC a déposé auprès du Tribunal les renseignements demandés et, le 8 avril 2003, Brisk a déposé ses commentaires. Suite à une permission accordée par le Tribunal, Sani-Plus a également déposé des commentaires en réponse, qui ont à leur tour été suivis de commentaires déposés par Brisk le 11 avril 2003. Malgré les objections de TPSGC eu égard au dépôt des commentaires de Brisk, le Tribunal a décidé de les accepter tout en leur donnant le poids que ces commentaires méritaient.

Bien qu'à un certain moment le Tribunal ait envisagé la possibilité de tenir une audience dans la présente affaire, il a décidé, en se fondant sur les renseignements au dossier et en tenant compte des réponses à ses questions, que l'information au dossier était suffisante pour déterminer le bien-fondé de la plainte. Par conséquent, le Tribunal a décidé qu'une audience n'était pas nécessaire et a statué sur la plainte sur la foi des renseignements au dossier.

PROCÉDURE DE PASSATION DU MARCHÉ PUBLIC

Le 6 septembre 2002, TPSGC a publié un avis de projet de marché afférent à la DOC par l'entremise du MERX, le Service électronique d'appel d'offres du Canada. La DOC visait l'obtention d'une offre à commandes d'une valeur approximative de 240 750 $, pour la période allant du 1er novembre 2002 au 31 octobre 2005. Elle prévoyait que les soumissionnaires avaient jusqu'au 16 octobre 2002 pour déposer leur soumission et cette date a subséquemment été prorogée au 23 octobre 2002.

L'avis d'achat proposé prévoyait entre autres que le marché était assujetti à l'Accord de libre-échange nord-américain 4 , à l'Accord sur les marchés publics 5 et à l'Accord sur le commerce intérieur 6 . La section « Méthode de sélection » de la DOC prévoit que la soumission la plus basse sera recommandée aux fins de l'établissement d'une offre à commandes.

La DOC contient plusieurs dispositions pertinentes en l'espèce. La section « Examen des lieux » de la DOC indique ce qui suit :

Afin de permettre aux soumissionnaires de bien comprendre le besoin, une visite des lieux facultative est prévue à la cuisine principale bâtisse 505 du ministère de la Défense Nationale à Valcartier, afin de constater les équipements utilisés. Aucune visite n'est prévue pour les autres lieux.

La visite des lieux se tiendra le 24 [septembre] 2002 à 09h00.

Il est également indiqué que les soumissionnaires doivent confirmer leur présence en communiquant avec l'autorité contractante.

La section « Méthode d'évaluation » de la DOC prévoit notamment ce qui suit :

1. Les soumissions seront évaluées comme suit :

d) parmi les soumissions conformes, celle offrant le prix global le plus bas pour les trois années. Le prix sera évalué selon les quantités estimatives et le prix ferme au couvert (articles 1 à 6 incl.), ainsi que les quantités estimatives et le prix unitaire ferme au litre (articles 7 à 19 incl.). Une seule offre sera émise suite à cette demande. Remarque : L'évaluation sera faite au prix au couvert ou au prix au litre, mais l'offre sera émise spécifiant les prix au contenant 7 .

La section « Période d'essai pour vérification du nombre de couverts » de la DOC se lit comme suit :

Afin de vérifier le nombre de couverts indiqué dans sa soumission, une période d'essai de trois (3) jours minimum des produits offerts par le soumissionnaire le moins disant sera effectuée avant l'adjudication de l'offre à commandes au plus bas soumissionnaire. Cet essai se limitera aux articles 1 à 8 inclusivement de l'Annexe « A ». Le soumissionnaire devra être disponible et fournir le support nécessaire à la réalisation de cet essai.

La Couronne se réserve le droit de rejeter toute soumission dont le nombre de couverts n'est pas validé par le présent essai.

Quatre fournisseurs, dont Brisk, ont participé à la visite du 24 septembre 2002. Sani-Plus ne faisait pas partie du groupe de fournisseurs qui étaient présents. Un représentant du MDN et l'autorité contractante de TPSGC étaient présents.

Selon TPSGC, à la suite d'une communication survenue quelque temps après le 24 septembre 2002 entre TPSGC et Sani-Marc inc. (Sani-Marc), un fournisseur potentiel, l'autorité contractante a accordé à cette dernière le droit de visite à la cuisine principale de Valcartier le 3 octobre 2002. D'après l'information obtenue de Sani-Plus, un représentant de cette dernière accompagnait Sani-Marc lors de la visite du 3 octobre 2002 à titre de fournisseur de produits spécialisés pour Sani-Marc8 . L'autorité contractante n'était toutefois pas présente lors de cette visite9 .

Pendant la période prévue pour le dépôt des soumissions, il y a eu plusieurs modifications à la DOC. Cinq soumissions ont été reçues, dont trois respectaient les exigences obligatoires de la DOC. Il s'agissait des soumissions de Brisk, Sani-Plus et Ecolab. Aucune soumission n'a été présentée par Sani-Marc.

TPSGC a procédé au calcul des prix soumis par ces soumissionnaires pour les 19 produits visés dans la DOC et a déterminé que Sani-Plus avait présenté la soumission la plus basse. Conformément aux dispositions de la DOC, le MDN a procédé à des essais des produits de Sani-Plus pendant une période de trois jours afin de vérifier l'exactitude des chiffres mentionnés dans sa soumission. Selon TPSGC, les résultats de ces essais confirmaient que la proposition de Sani-Plus était la plus basse. L'offre à commandes a donc été adjugée à cette dernière le 29 novembre 2002.

Le 3 décembre 2002, TPSGC a annoncé à Brisk que l'offre à commandes d'une valeur estimative de 199 786 $, couvrant la période du 1er décembre 2002 au 30 novembre 2005, avait été adjugée à Sani-Plus.

Le 13 décembre 2002, Brisk a déposé sa plainte auprès du Tribunal.

POSITION DES PARTIES

Position de TPSGC

Selon TPSGC, la présente plainte contient de nombreuses allégations contestant la façon dont le processus d'appel d'offres avait été mené et dont les soumissions avaient été évaluées. Entre autres, Brisk a allégué que l'autorité contractante était de collusion avec Sani-Plus et avait tenté, par plusieurs moyens, de favoriser cette compagnie au détriment de Brisk. TPSGC a soutenu que ces allégations étaient sans fondement et que certaines d'entre elles constituaient des allégations frivoles et vexatoires.

Concernant l'allégation de Brisk selon laquelle l'autorité contractante avait voulu obtenir une période d'essai des produits d'un de ses concurrents avec ses appareils, TPSGC a indiqué qu'elle s'était simplement informée, dans le cadre de la préparation des documents d'appel d'offres, si les essais d'une durée de trois jours prévus dans la DOC pouvaient être effectués avec les appareils en place à ce moment dans la cuisine.

En ce qui concerne l'allégation de Brisk à savoir s'il y avait collusion entre l'autorité contractante et Sani-Plus relativement à la façon dont cette dernière avait obtenu les documents d'appel d'offres, TPSGC a affirmé que la DOC avait été obtenue par Sani-Marc et que cette dernière l'avait par la suite transmise à Sani-Plus. TPSGC a soutenu que l'autorité contractante avait été informée de la façon dont Sani-Plus avait obtenu la DOC seulement à la mi-décembre 2002. De plus, TPSGC a fait observer qu'il n'y avait aucune obligation selon laquelle un soumissionnaire devait obtenir les documents d'appel d'offres du MERX.

Quant aux prétentions de Brisk en ce qui a trait à la permission accordée à Sani-Marc pour la visite des lieux le 3 octobre 2002, TPSGC a soutenu que, la période pour le dépôt des soumissions étant toujours en cours, l'autorité contractante n'avait fait qu'accommoder Sani-Plus en lui permettant de visiter la cuisine principale de Valcartier le 3 octobre 2002, comme il l'aurait fait pour n'importe quel autre soumissionnaire potentiel non présent lors de la visite du 24 septembre 2002. TPSGC a de plus souligné que cette visite était facultative et que Sani-Plus avait été traitée exactement de la même façon que l'avaient été les autres soumissionnaires potentiels lors de la visite du 24 septembre 2002.

Par rapport aux allégations d'ingérence de la part de l'autorité contractante lors de la période d'essai des produits de Sani-Plus, TPSGC a soutenu que l'autorité contractante n'avait jamais été impliquée dans la conduite de ces essais. Ce n'était seulement qu'une fois ceux-ci complétés que l'autorité contractante était intervenue auprès du MDN afin de demander si certains paramètres n'auraient pas dû être modifiés, et ce, dans le cadre d'un entretien visant à vérifier comment les essais avaient été effectués.

Pour ce qui est de l'allégation de Brisk selon laquelle l'annexe « A » de la soumission de Sani-Plus ne satisfaisait pas aux exigences obligatoires de la DOC, TPSGC a soutenu que Brisk était dans l'erreur. Selon TPSGC, on avait retranché du document transmis à Brisk le 4 décembre 2002 la marque des produits, le code, le format et le prix de l'annexe « A » de l'offre à commandes attribuée à Sani-Plus (avec description erronée des produits 7 et 8). Ce document contenait uniquement les éléments de l'annexe « A » de la soumission de Sani-Plus qui n'étaient pas de nature confidentielle. En effet, TPSGC a soutenu que l'annexe « A » de la soumission de Sani-Plus était tout à fait conforme aux exigences de la DOC.

En réponse à l'allégation de Brisk selon laquelle Sani-Plus n'était pas le soumissionnaire le moins disant, TPSGC a soutenu que l'évaluation des soumissions avait été faite en conformité avec les exigences de la DOC et que les essais avaient confirmé que la soumission de Sani-Plus était la plus basse des soumissions conformes reçues. De plus, TPSGC a soutenu que, même dans l'hypothèse où la soumission de Brisk serait moins élevée que celle de Sani-Plus pour les produits 1 à 6 énumérés à l'annexe « A », le prix global de sa soumission était plus élevé pour les 19 produits. En conséquence, TPSGC a maintenu que la prétention de Brisk à cet égard était mal fondée et que le prix global fourni par Sani-Plus pour les 19 produits était plus bas que celui de Brisk.

TPSGC a demandé que le Tribunal lui accorde les dépens relatifs à la présente affaire, compte tenu du caractère frivole et vexatoire de certaines allégations soulevées par Brisk dans sa plainte.

Position de Sani-Plus

Sani-Plus a soutenu, en premier lieu, qu'il n'existait aucun lien entre quiconque de l'équipe de Sani-Plus et l'autorité contractante. De plus, elle a soutenu qu'elle avait participé à l'examen des lieux le 3 octobre 2002, mais sans être l'instigatrice de cette démarche. Selon Sani-Plus, Sani-Marc avait obtenu la permission de visiter les lieux de l'autorité contractante et c'était elle qui avait procédé à l'examen des lieux en compagnie de Sani-Plus. Sani-Plus a de plus prétendu que c'était Sani-Marc qui avait contacté Sani-Plus le 1er octobre 2002 lui demandant d'être présente lors de la visite du 3 octobre 2002 pour l'assister en tant que spécialiste. Elle a également soutenu qu'à ce moment-là, elle n'avait toujours pas la DOC en sa possession.

Position de Brisk

Brisk a soutenu qu'elle avait été lésée dans le processus d'évaluation et que l'autorité contractante avait usé de son influence pour permettre à Sani-Plus d'obtenir une période d'essai de ses produits de même que l'octroi du présent marché. De plus, elle a soutenu que l'offre à commandes avait été octroyée à Sani-Plus, malgré la non-conformité de sa soumission avec les exigences de la DOC. Brisk a également indiqué croire que l'autorité contractante était de collusion avec Sani-Plus.

Brisk a prétendu, entre autres, ce qui suit: 1) avant la publication de la DOC, l'autorité contractante avait tenté d'obtenir une période d'essai des produits d'un concurrent en voulant utiliser, à l'insu de Brisk, les équipements dispensateurs de cette dernière déjà en place; 2) bien que l'offre à commandes ait été octroyée à Sani-Plus, nulle part n'était-il indiqué sur MERX que Sani-Plus s'était procuré les documents d'appel d'offres; 3) les représentants de Sani-Plus avaient été autorisés à examiner les lieux et les équipements le 3 octobre 2002, en l'absence de l'autorité contractante, même si cette dernière avait pris soin d'informer les soumissionnaires présents lors de la visite du 24 septembre 2002 que toute communication avec l'autorité contractante devait se faire par écrit; 4) l'annexe « A » de la DOC utilisée par Sani-Plus pour soumissionner ne comportait pas plusieurs des renseignements requis et n'était donc pas conforme aux exigences obligatoires; 5) malgré la non-conformité de la soumission de Sani-Plus, l'autorité contractante avait autorisé une période d'essai de ses produits au cours de laquelle elle s'était ingérée en tentant de modifier certains des paramètres des essais; 6) l'autorité contractante, une fois les essais terminés, avait tenté d'intervenir en demandant une deuxième période d'essai, affirmant que la première période n'avait pas été concluante. Enfin, Brisk a prétendu que c'était en désespoir de cause que TPSGC avait octroyé l'offre à commandes à Sani-Plus car le MDN avait refusé de consentir à une deuxième période d'essai. Par ailleurs, le MDN avait averti TPSGC qu'une cinquième prolongation de l'offre à commandes antérieure était hors de question.

Dans ses observations sur le RIF, Brisk a fait valoir, en ce qui a trait à la visite de Sani-Plus du 3 octobre 2002, qu'elle était en désaccord avec TPSGC quand ce dernier a indiqué qu'il n'y avait pas eu de favoritisme envers Sani-Plus lors de la visite du 3 octobre 2002. Au contraire, Brisk a prétendu que l'autorité contractante avait fait preuve de favoritisme en permettant une visite privilégiée pour Sani-Plus et sans que l'autorité contractante ne soit présente pour contrôler l'information obtenue. De plus, elle a allégué que Sani-Marc n'était vraisemblablement que l'instrument de Sani-Plus par rapport à la visite. Brisk a également soulevé des doutes quant aux motifs fournis pour expliquer l'absence de Sani-Marc ou Sani-Plus lors de la visite du 24 septembre 2002, étant donné que Sani-Marc avait reçu la DOC par l'intermédiaire du MERX le 6 septembre 2002, soit 19 jours avant la visite. Elle a par ailleurs indiqué que Sani-Plus n'avait jamais enlevé ses équipements dispensateurs après la période d'essai de trois jours, ce qui démontrait, selon elle, une collusion entre cette dernière et l'autorité contractante. En ce qui concerne le document intitulé « Annexe "A" » transmis par TPSGC le 4 décembre 2002, Brisk a remarqué que ce document comportait de fausses descriptions aux articles 7 et 8 et ne correspondait pas aux articles originaux de la DOC. Elle a également fait part d'une différence importante entre le prix global estimatif de 199 785,96 $ dont il était fait mention le 3 décembre 2002 par TPSGC et le montant de 213 771,02 $ figurant dans les documents d'autorisation d'offres à commandes. Selon Brisk, cette différence entachait la crédibilité des évaluations effectuées par TPSGC.

Finalement, dans ses commentaires aux questions du 10 mars 2003 posées à TPSGC par le Tribunal, Brisk s'était interrogée sur la capacité de Sani-Plus de satisfaire à certaines des exigences obligatoires de la DOC.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes du paragraphe 30.14(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal doit, dans son enquête, limiter son étude à l'objet de la plainte. En outre, à la fin de l'enquête, il doit déterminer la validité de la plainte en fonction des critères et procédures établis par règlement pour le marché en question. De plus, l'article 11 du Règlement prévoit que le Tribunal doit déterminer si le marché public a été passé conformément aux accords commerciaux applicables, en l'espèce, l'ACI et l'ALÉNA.

Le paragraphe 506(6) de l'ACI ainsi que les alinéas 1008(1)a), 1015(4)a) et 1015(4)d) de l'ALÉNA sont pertinents en l'espèce.

Le paragraphe 506(6) de l'ACI prévoit notamment que les documents d'appel d'offres doivent indiquer clairement les conditions du marché public et les critères qui seront appliqués dans l'évaluation des soumissions.

L'alinéa 1008(1)a) de l'ALÉNA prévoit notamment que les procédures de passation des marchés doivent être appliquées de façon non discriminatoire. L'alinéa 1015(4)a) de l'ALÉNA stipule que, pour être considérée en vue de l'adjudication, une soumission doit être conforme, au moment de son ouverture, aux conditions essentielles spécifiées dans les avis ou dans la documentation relative à l'appel d'offres, et avoir été présentée par un fournisseur remplissant les conditions de participation. L'alinéa 1015(4)d) stipule que l'adjudication des marchés doit être conforme aux critères et aux conditions essentielles spécifiées dans la documentation relative à l'appel d'offres.

Dans la présente affaire, le Tribunal peut circonscrire les différents motifs de plainte formulés par Brisk en deux questions principales :

1) Y a-t-il eu collusion entre TPSGC et Sani-Plus ou favoritisme de la part de TPSGC concernant la procédure de passation du marché public?

2) TPSGC a-t-il correctement évalué la soumission de Sani-Plus et déterminé qu'elle satisfaisait aux exigences obligatoires de la DOC?

Dans l'examen de la question de savoir s'il y a eu collusion entre TPSGC et Sani-Plus ou favoritisme de la part de TPSGC concernant la procédure de passation du présent marché public, le Tribunal traitera d'abord de l'allégation de Brisk selon laquelle l'autorité contractante, avant la publication de la DOC, avait tenté d'obtenir une période d'essai des produits d'un concurrent en voulant utiliser ses équipements dispensateurs. Le Tribunal n'est pas d'avis que cette allégation démontre quelque favoritisme que ce soit de la part de TPSGC à l'égard de l'un des soumissionnaires. Le Tribunal trouve en effet plausible l'explication fournie par TPSGC qu'il envisageait la possibilité d'effectuer la période d'essai sur les équipements déjà en place et qu'il cherchait à savoir si cela était possible. En tout état de cause, le Tribunal fait remarquer que l'utilisation des équipements de Brisk lors d'une période éventuelle d'essai ne constituait pas une des conditions de la DOC. En outre, il fait observer qu'au moment où l'utilisation des appareils en place était à l'étude, la liste des fournisseurs qui allaient soumissionner n'était pas encore connue.

Brisk a aussi indiqué que Sani-Plus n'avait jamais enlevé ses équipements dispensateurs qui avaient été installés lors de la période d'essai de trois jours. Que les équipements dispensateurs de Sani-Plus n'aient pas été enlevés après la période d'essai en novembre 2002 n'est pas, selon le Tribunal, un indice de collusion entre TPSGC et Sani-Plus, tel que le prétend Brisk dans ses observations sur le RIF. Le Tribunal fait observer que Sani-Plus avait alors présenté la soumission la plus basse, ce qui a été également confirmé lors de la période d'essai. Il ne voit donc pas quels motifs auraient justifié, une fois les essais terminés, le retrait des équipements de Sani-Plus.

Toujours en ce qui a trait à la première question, Brisk a soutenu que, bien que l'offre à commandes ait été octroyée à Sani-Plus, nulle part n'était-il fait mention sur MERX que cette dernière s'était procuré les documents d'appel d'offres. Selon le Tribunal, il n'est pas une exigence obligatoire que les documents d'appel d'offres soient obtenus par l'intermédiaire du MERX. Le Tribunal n'accepte pas que l'obtention des documents d'appel d'offres par un moyen autre que celui du MERX soit un élément de preuve au soutien d'une allégation de favoritisme ou de collusion dans la présente affaire. Le Tribunal n'est pas d'avis qu'un fournisseur doive figurer sur la liste de demandeurs des documents pour participer à une procédure de marché public, tel que semble le croire Brisk dans ses observations sur le RIF.

Par ailleurs, le Tribunal est d'avis que TPSGC a agi contrairement aux accords commerciaux applicables en autorisant, tel qu'il l'a fait, la visite des lieux par Sani-Plus le 3 octobre 2002. La DOC prévoyait une visite facultative le 24 septembre 2002, dont s'étaient prévalus plusieurs fournisseurs. En autorisant la visite du 3 octobre 2002 sans en aviser tous les fournisseurs potentiels, TPSGC a agi contrairement aux dispositions de la DOC qui ne prévoyaient qu'une seule visite des lieux. Toutefois, rien n'empêchait TPSGC de faire une modification à la DOC et d'autoriser une autre visite des lieux. Ce faisant, TPSGC aurait donné l'occasion à d'autres fournisseurs d'accompagner Sani-Marc ou Sani-Plus lors de leur visite de la cuisine principale, tout en faisant preuve de transparence.

Il est vrai que la justification donnée par TPSGC pour autoriser la visite des lieux par Sani-Plus semble, pour le moins, ténue. TPSGC admet avoir « accommodé » Sani-Plus, comme il l'aurait fait pour tout autre soumissionnaire potentiel qui n'avait pas participé à la visite du 24 septembre 2002. Comme la période de dépôt des soumissions était toujours ouverte, TPSGC a acquiescé à cette demande. Cependant, même si la visite autorisée pour Sani-Marc et Sani-Plus allait à l'encontre des dispositions de la DOC, le Tribunal n'est pas convaincu qu'il y a là matière à conclure qu'il y avait collusion entre Sani-Plus et TPSGC. En effet, rien ne permet au Tribunal de conclure qu'une telle permission aurait été refusée à un autre soumissionnaire qui n'aurait pas eu l'occasion de participer à la visite du 24 septembre 2002. Il faut également prendre en compte la nature facultative de la visite, dont l'objet était de constater les équipements utilisés afin de permettre aux soumissionnaires de bien comprendre le besoin. Le Tribunal ne peut raisonnablement concevoir que, en ayant eu l'occasion de visiter la cuisine du MDN en l'absence de l'autorité contractante, Sani-Plus ait pu en tirer un avantage ou obtenir des renseignements privilégiés d'une nature telle qu'elle en aurait tiré un avantage au détriment d'un autre soumissionnaire. De l'avis du Tribunal, cela contribue à assimiler ce non-respect des exigences de la DOC beaucoup plus à un manque de diligence ou de rigueur de la part de TPSGC qu'au traitement de faveur ou qu'à la collusion avancés par Brisk. En outre, le Tribunal n'est pas convaincu que les arrangements d'affaires qui ont pu exister entre Sani-Marc et Sani-Plus sont pertinents en l'espèce.

D'autre part, le Tribunal accepte que les questions posées et les réponses fournies lors des deux visites de la cuisine principale étaient d'ordre mineur et n'est pas d'avis qu'elles auraient dû être communiquées par voie du MERX à tous les fournisseurs potentiels inscrits ou non à ce moment-là.

Enfin, toujours en ce qui a trait à la première question, le Tribunal n'est pas convaincu qu'il y a eu ingérence inappropriée de la part de TPSGC au cours ou à la suite de la période d'essai de trois jours. De l'avis du Tribunal, il est raisonnable de concevoir que l'échange entre TPSGC et le MDN concernant la méthodologie utilisée pour effectuer les essais ou la possibilité d'effectuer d'autres essais n'ait eu pour autre objet que de vouloir réparer certaines lacunes qui seraient survenues au cours de la période d'essai ou de simplement s'interroger sur la validité de la méthodologie appliquée en l'espèce. Les éléments de preuve indiquent bien que Sani-Plus aurait communiqué son insatisfaction à l'autorité contractante après la période d'essai, au cours de laquelle plusieurs facteurs l'auraient désavantagée. En tout état de cause, aux dires mêmes de Brisk, la question d'une deuxième période d'essai s'était soldée par une fin de non-recevoir de la part du MDN. De plus, le Tribunal fait observer que, à la suite des essais effectués par le MDN, Sani-Plus était toujours le soumissionnaire le moins disant. C'est donc dire que toute ingérence inappropriée de la part de TPSGC, même s'il y en avait eu, aurait été à la fin inconséquente.

Le Tribunal est donc d'avis que les éléments de preuve fournis par Brisk sont nettement insuffisants pour fonder les allégations de collusion qu'elle avait formulées à l'endroit de TPSGC. Le Tribunal fait observer que, pour avoir recours à ce type d'allégations, ce qui risque de mettre en doute l'intégrité des agents gouvernementaux ciblés, il faut mettre de l'avant une preuve crédible à cet effet. La supposition ou les soupçons ne suffisent clairement pas. Il est regrettable que Brisk ait jugé bon d'aller de l'avant avec des allégations du genre, compte tenu du manque patent d'éléments de preuve à cet égard. Le Tribunal fait observer, par ailleurs, que le manque de rigueur et de transparence dont a fait preuve TPSGC dans sa façon de traiter la question de l'examen des lieux n'a pas aidé. De plus, il fait observer que la réponse de TPSGC à la deuxième question du Tribunal du 3 avril 2003 aurait pu expliciter davantage les raisons qui l'avaient motivé à autoriser Sani-Marc à visiter les lieux le 3 octobre 2002, vu qu'il appert maintenant que la visite était, au départ, possiblement pour le compte de Sani-Marc et non Sani-Plus. À la fin, le Tribunal ne dispose pas de preuve suffisante pour indiquer que la décision de TPSGC d'autoriser Sani-Marc et Sani-Plus à visiter les lieux le 3 octobre 2002, sans avoir préalablement modifié la DOC, ne tenait autre que du manque de diligence et de rigueur de TPSGC.

Quant à la deuxième question, le Tribunal ne trouve pas à redire de la façon dont les soumissions ont été évaluées. Le Tribunal n'a pas lieu de croire que les exigences obligatoires de la DOC n'ont pas été respectées en tout point par Sani-Plus. Le Tribunal peut comprendre qu'il y a eu de la part de Brisk des soupçons à ce propos, vu que l'information qui lui a été fournie par TPSGC le 4 décembre 2002 pouvait laisser entendre autrement. Il accepte que cette information était erronée et fait observer que l'information confidentielle10 qui est à sa disposition indique que la proposition remise par Sani-Plus était en effet correctement remplie. Le Tribunal n'est pas d'avis que TPSGC a voulu délibérément dissimuler l'information pertinente dans l'extrait qu'il avait fourni à Brisk le 4 décembre 2002. Qu'avait-il à gagner en ce faisant? En ce qui concerne les questions soulevées par Brisk dans ses commentaires du 18 mars 2003 selon lesquels Sani-Plus pourrait ne pas satisfaire à certaines des exigences obligatoires de la DOC, outre le fait que les délais pour s'en plaindre s'étaient, à son avis, écoulés, le Tribunal n'a pas raison de croire que cela est le cas. Le Tribunal fait observer qu'il n'a pas, dans les circonstances, à exiger cette preuve. Il incombe à Brisk de démontrer à la satisfaction du Tribunal que TPSGC n'a pas, en l'espèce, respecté les critères d'évaluation de la DOC. Aucune preuve à cet égard n'a été fournie par Brisk.

D'autre part, quant à la question de la vérification des chiffres énoncés dans la soumission de Sani-Plus, la DOC prévoyait une période d'essai de trois jours afin de vérifier le nombre de couverts indiqué dans sa soumission. Elle prévoyait en outre que « _l_a Couronne se réserve le droit de rejeter toute soumission dont le nombre de couverts n'est pas validé par le présent essai. » Même si la Couronne se devait d'effectuer une vérification des produits offerts par le soumissionnaire le moins disant avant l'adjudication de l'offre à commandes, elle avait, selon le Tribunal, la discrétion de rejeter une soumission dont le nombre de couverts n'était pas validé par les essais prévus dans la DOC. Par ailleurs, de l'avis du Tribunal, il aurait été difficile pour TPSGC de ne pas rejeter une soumission qui, en raison des essais, n'aurait plus été la moins disante.

Dans le cas qui nous occupe, le Tribunal constate que les résultats les moins favorables indiquent toujours une marge importante du prix global en faveur de Sani-Plus comparativement à celui de Brisk, que ce soit selon le prix au couvert ou le prix au litre. Il est d'avis que ces résultats auraient été davantage à la faveur de Sani-Plus, n'eût été des erreurs qui s'étaient glissées lors des essais de ses produits. Le Tribunal fait observer que la DOC indique que l'offre sera émise spécifiant les prix au contenant. Ainsi, selon la pièce 20 incluse avec le RIF, l'offre à commandes a été attribuée à Sani-Plus pour un montant de 199 785,96 $. En ajoutant 7 p. 100 à ce montant, on obtient un montant de 213 771 $. Le Tribunal fait observer que, selon les instructions de la DOC, la TPS est un article particulier. Le Tribunal accepte donc que ce dernier montant inclut la TPS et qu'il n'y a aucune raison de croire que TPSGC et ses conseillers « jonglent avec les calculs ».

Conséquemment, même s'il y a eu des écarts entre les résultats des essais et les chiffres indiqués par Sani-Plus dans sa soumission, le Tribunal accepte la conclusion de TPSGC qu'ils n'étaient pas de nature à invalider la soumission de cette dernière.

À la lumière de ce qui précède, le Tribunal est d'avis que TPSGC a agi contrairement aux dispositions de la DOC quant à l'examen des lieux par Sani-Marc et Sani-Plus le 3 octobre 2002. Par ailleurs, le Tribunal n'est pas convaincu qu'il y a eu collusion entre Sani-Plus et TPSGC relativement à la procédure de passation du marché public en question. Tout accommodement dont a pu bénéficier Sani-Plus relativement à la visite de la cuisine principale était, selon le Tribunal, inconséquent. Le Tribunal fait observer, à nouveau, que des soupçons ou des suppositions ne tiennent pas lieu de preuve à l'appui d'allégations. D'autre part, les oublis de TPSGC concernant certains échanges avec les parties font montre d'un certain manque de diligence de sa part en ne tenant pas de comptes rendus de communications téléphoniques, mais sont bien loin d'établir qu'il y a eu collusion entre Sani-Plus et TPSGC à propos dudit marché public.

Le Tribunal est donc d'avis que la plainte est fondée en partie.

Prenant en compte tous les facteurs énumérés au paragraphe 30.15(3) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal est d'avis que la gravité des irrégularités dans la présente procédure de marché public et l'ampleur du préjudice causé à Brisk et à l'intégrité du mécanisme d'adjudication ne sont pas de nature à justifier une des mesures correctives prévues au paragraphe 30.15(2). Le Tribunal n'est pas non plus convaincu qu'en l'espèce il faille mettre en doute la bonne foi de TPSGC. Le Tribunal fait observer que le marché public en question aurait pu être mené de façon plus serrée, particulièrement en ce qui a trait aux procédures entourant l'examen des lieux. Par ailleurs, le Tribunal n'est pas d'avis que cet état de choses mérite qu'il recommande des mesures correctives. En l'espèce, les commentaires du Tribunal suffisent à cet égard.

Chacune des parties supportera ses propres frais.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal détermine que la plainte est fondée en partie.


1 . L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47 [Loi sur le TCCE].

2 . D.O.R.S./93-602 [Règlement].

3 . D.O.R.S./91-499 [Règles].

4 . 32 I.L.M. 289 (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ALÉNA].

5 . 15 avril 1994, en ligne : Organisation mondiale du commerce <http://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/final_f.htm> [AMP].

6 18 juillet 1994, Gaz. C. 1995.I.1323, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <http://www.intrasec.mb.ca/fre/it.htm> [ACI].

7 . Version modifiée du 18 octobre 2002.

8 . Commentaires de Sani-Plus le 10 avril 2003.

9 . Réponse de TPSGC le 13 mars 2003.

10 . Les conseillers d'une partie qui ont déposé auprès du Tribunal un acte de déclaration et d'engagement en matière de confidentialité ont accès aux pièces protégées.