UNIVERSITÉ D'OTTAWA

Décisions


CONSORTIUM GENIVAR - M3E - UNIVERSITÉ D'OTTAWA
Dossier no PR-2002-074


TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le lundi 11 août 2003

Dossier no PR-2002-074

EU ÉGARD À une plainte déposée par le Consortium Genivar - M3E - Université d'Ottawa, aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47;

ET SUITE À une décision d'enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte est fondée.

Aux termes des paragraphes 30.15(2) et 30.15(3) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande à l'Agence canadienne de développement international d'entamer des négociations avec le Consortium Genivar - M3E - Université d'Ottawa en vue de lui attribuer le contrat.

Aux termes des paragraphes 30.16(1) et 30.16(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur accorde au Consortium Genivar - M3E - Université d'Ottawa le remboursement des frais raisonnables qu'il a engagés pour la préparation et le traitement de la plainte.

Richard Lafontaine
Richard Lafontaine
Membre présidant

Pierre Gosselin
Pierre Gosselin
Membre

Patricia M. Close
Patricia M. Close
Membre

Michel P. Granger
Michel P. Granger
Secrétaire

L'exposé des motifs suivra à une date ultérieure.

Date de la décision :

Le 11 août 2003

Date des motifs :

Le 3 septembre 2003

   

Membres du Tribunal :

Richard Lafontaine, membre présidant

 

Pierre Gosselin, membre

 

Patricia M. Close, membre

   

Agent principal d'enquête :

Daniel Chamaillard

   

Conseiller pour le Tribunal :

Eric Wildhaber

   

Partie plaignante :

Consortium Genivar - M3E - Université d'Ottawa

   

Conseillers pour la partie plaignante :

André Joli-Coeur

 

Marie-Eve Vézina

   

Partie intervenante :

Groupe Conseil CAC International inc.

   

Institution fédérale :

Agence canadienne de développement international

   

Conseiller pour l'institution fédérale :

Marie-Josée Bertrand

Ottawa, le mercredi 3 septembre 2003

Dossier no PR-2002-074

EU ÉGARD À une plainte déposée par le Consortium Genivar - M3E - Université d'Ottawa, aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47;

ET SUITE À une décision d'enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

EXPOSÉ DES MOTIFS

PLAINTE

Le Consortium Genivar - M3E - Université d'Ottawa (le consortium) a allégué que l'Agence canadienne de développement international (ACDI) a utilisé une procédure d'évaluation incorrecte, du fait qu'elle a accepté un soumissionnaire à laquelle était associée une consultante (la consultante) qui a exécuté des travaux servant à définir le projet d'appui (le second projet d'appui) à la mise en oeuvre du Programme décennal de développement de la justice (PRODEJ) au Mali visé par la demande de proposition (DP) et à établir ses stratégies de livraison, ainsi qu'à constituer une part importante du cadre de référence du projet d'appui, en tant qu'auteur de l'Étude institutionnelle du ministère de la Justice du Mali (l'étude institutionnelle). De plus, le consortium a soutenu que la consultante a présenté des observations aux différentes équipes de conception et de planification du second projet d'appui de l'ACDI, où étaient présents deux membres du comité d'évaluation de la DP.

Le consortium a de plus allégué que les travaux de la consultante ont directement servi à la conception et à la planification de la DP, ainsi que son cadre de référence, contrairement à la clause 2.3 de celle-ci.

Le consortium a demandé que le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) révise la décision du comité d'évaluation sur l'admissibilité de l'adjudicataire et conclue à son inéligibilité à ce marché. Le consortium demande également au Tribunal de recommander à l'ACDI de lui attribuer le marché.

Le 8 avril 2003, le Tribunal a avisé les parties qu'il avait décidé d'enquêter sur la plainte.

Le 30 avril 2003, le Tribunal a accordé le statut d'intervenant au Groupe Conseil CAC International inc. (CAC).

Le 21 mai 2003, l'ACDI a déposé un rapport d'institution fédérale (RIF). Ce dernier a été transmis aux parties le 22 mai 2003.

Le 30 mai 2003, le consortium a avisé le Tribunal qu'il avait déposé auprès de l'ACDI une requête visant l'obtention de certains documents en vertu de la Loi sur l'accès à l'information 1 , tout en demandant une prorogation de délai pour produire ses observations sur le RIF.

Le 2 juin 2003, le Tribunal a avisé le consortium que celui-ci avait jusqu'au 5 juin 2003 pour transmettre sa justification détaillée de la pertinence de chacun des documents qu'il croyait nécessaire à la préparation de ses observations sur le RIF. De plus, le Tribunal a signifié à l'ACDI et à CAC qu'elles avaient jusqu'au 10 juin 2003 pour déposer auprès du Tribunal, le cas échéant, leurs observations relativement aux soumissions du consortium et que, par la suite, le Tribunal déciderait s'il y avait lieu d'ordonner la production de documents supplémentaires.

Le 23 juin 2003, le Tribunal a ordonné à l'ACDI de déposer auprès du Tribunal certains documents relatifs à la plainte au plus tard le 26 juin 2003.

Le 26 juin 2003, l'ACDI a déposé les documents en question. Le Tribunal a informé les parties que la date limite pour le dépôt des observations sur le RIF était désormais le 3 juillet 2003.

Les observations sur le RIF ont été déposées auprès du Tribunal par le consortium et CAC, le 3 juillet 2003.

Le 16 juillet 2003, l'ACDI a présenté une requête au Tribunal visant le dépôt d'observations supplémentaires sur celles présentées par le consortium le 3 juillet 2003 en réponse au RIF. Le même jour, le Tribunal a informé l'ACDI qu'il acceptait le dépôt d'observations supplémentaires de l'ACDI uniquement en ce qui avait trait aux nouveaux faits ou motifs soulevés par le consortium dans le cadre de ses observations du 3 juillet 2003. Le Tribunal a alors informé les parties qu'il accorderait au consortium et à CAC un droit de réplique finale aux observations supplémentaires de l'ACDI, cette réplique devant être déposée au plus tard le 18 juillet 2003.

Le 18 juillet 2003, le consortium a déposé auprès du Tribunal ses observations finales sur celles reçues de l'ACDI le 16 juillet 2003.

La quantité des renseignements au dossier étant suffisante pour déterminer le bien-fondé de la plainte, le Tribunal a décidé qu'une audience n'était pas nécessaire et a statué sur la plainte sur la foi des renseignements au dossier.

PROCÉDURE DE PASSATION DU MARCHÉ PUBLIC

En octobre 2001, l'ACDI a amorcé la préparation des documents afférents à la DP en vue de la sélection d'une agence d'accompagnement canadienne pour la mise en oeuvre du second projet d'appui.

Le 30 avril 2002, l'ACDI a diffusé la DP, invitation no SEL-2001-A-31398, par l'intermédiaire du MERX, le Service électronique d'appel d'offres du Canada. La date de fermeture de l'appel d'offres était fixée au 21 juin 2002.

La DP vise à retenir les services d'un consultant pour participer à des négociations avec l'ACDI afin de conclure une entente contractuelle pour la prestation des services exposés à l'annexe A, « Cadre de référence et description de services ». Le but du second projet d'appui est de contribuer à la mise en oeuvre du PRODEJ qui vise à renforcer l'ancrage de l'État de droit, garantir la paix sociale et enfin promouvoir le développement en République du Mali (Mali). Ce projet compte trois objectifs principaux :

· accroître les capacités du centre de responsabilité du ministère de la Justice, chargé de la coordination du PRODEJ, afin d'accomplir efficacement son rôle de coordination et de mise en oeuvre effective du PRODEJ;

· accroître les capacités de la société civile à participer activement au projet de réforme;

· développer un modèle tangible de fonctionnement judiciaire reflétant les idéaux de transparence, d'intégrité, d'efficacité, d'équité, d'accessibilité et d'adaptabilité aux besoins de la population.

Le second projet d'appui adopte une approche itérative et globale en proposant d'appuyer plusieurs aspects et acteurs du système de justice malien.

Le but et les objectifs du second projet d'appui seront atteints par l'intermédiaire de trois grands volets d'activités décrits comme suit:

Volet no 1 : Appui au renforcement de capacités locales visant la mise en oeuvre efficace du PRODEJ 

Seront notamment inclus sous ce volet, les activités suivantes :

· appui au centre de responsabilité du ministère de la Justice chargé de la coordination de la réforme;

· appui à la réalisation d'études de faisabilité et à l'élaboration de stratégies;

· appui à des initiatives locales de la réforme de la justice.

Volet no 2 : Instauration d'un palais de justice modèle intégré dans la communauté (Commune III de Bamako)

Seront notamment inclus sous ce volet, les activités suivantes :

· un diagnostic complet du système actuel;

· remise à neuf des installations du palais de justice;

· formation en gestion et en milieu de travail offert au personnel du palais de justice;

· système d'information et gestion de dossiers;

· prestation de services d'information et d'assistance juridique à deux niveaux (création d'un service d'accueil au sein du palais de justice et développement d'un centre complémentaire d'aide juridique à l'extérieur du palais de justice);

· sensibilisation et éducation du public sur le fonctionnement du palais de justice et de la justice en général.

Volet no 3 : Renforcement des capacités de tribunaux de la région de Mopti et développement des habilités relatives à l'intégration et à l'utilisation des systèmes de droit coutumier et traditionnel

Ce volet vise principalement à bâtir sur certaines activités déjà développées dans le cadre des volets nos 1 et 2.

Le projet sera mis en oeuvre sur une période de cinq ans. Le projet sera réalisé en deux étapes, soit une étape de démarrage et de planification et une étape d'exécution.

La clause 2.3 des exigences obligatoires de la DP «Non-participation à la planification et à la réalisation du projet » se lit ainsi :

Lorsque cette [DP] est pour la réalisation de la première ou la seule phase du présent projet, le Consultant, y compris CHAQUE membre d'un consortium, d'une co-entreprise ou d'une autre forme d'association, son personnel et les sous-traitants ne doivent pas avoir participé, conjointement ou individuellement, à la planification (par ex. conceptualisation, études de faisabilité, spécifications, conception) du présent projet, ni avoir reçu l'aide dans la préparation de la proposition déposée de tiers qui ont participé à la planification du présent projet.

Lorsque cette [DP] est pour la surveillance, l'évaluation ou la vérification d'un projet, le Consultant, y compris CHAQUE membre d'un consortium, d'une co-entreprise ou d'une autre forme d'association, son personnel et les sous-traitants ne doivent pas avoir participé, conjointement ou individuellement, à la réalisation du projet, ni avoir reçu l'aide dans la préparation de la proposition déposée de tiers qui ont participé à la réalisation du projet qui fera l'objet de surveillance, d'évaluation ou de vérification2 .

Le 21 juin 2002, le consortium a présenté sa proposition à l'ACDI. Le 22 octobre 2002, l'ACDI a informé le consortium que la proposition de CAC avait été retenue. Le 30 octobre 2002, le consortium a communiqué avec l'ACDI lui demandant le pointage et les résultats du comité d'évaluation. Le 4 novembre 2002, ces informations ont été transmises par l'ACDI au consortium.

Le 11 novembre 2002, le consortium a avisé l'ACDI de son opposition aux conclusions du comité d'évaluation. Le 24 décembre 2002, l'ACDI a informé le consortium qu'elle ne retenait pas sa soumission et a répondu aux allégations présentées par le consortium dans son opposition.

Le 8 janvier 2003, le consortium a informé l'ACDI qu'il maintenait son opposition à la filiation entre les travaux réalisés par la consultante pour le compte de l'ACDI et le projet d'appui visé par la DP, ce qui lui aurait accordé un avantage comparatif déloyal vis-à-vis le marché en question.

Le 9 janvier 2003, le consortium a réitéré son opposition auprès de l'ACDI, tout en suivant la politique du système de redressement de l'ACDI.3

Le 18 mars 2003, le consortium a reçu la décision finale de l'ACDI, en date du 12 mars 2003, de ne pas retenir son opposition. Le 25 mars 2003, le consortium a avisé l'ACDI qu'il allait demander au Tribunal d'examiner le fond du litige, puisque, selon le consortium, l'ACDI n'avait pas examiné le fond de son opposition au mérite.

Le 28 mars 2003, le consortium a déposé sa plainte auprès du Tribunal.

Le 3 avril 2003, le Tribunal a demandé au consortium de clarifier certains renseignements au plus tard le 4 avril 2003, ce qui a été fait.

QUESTION DE COMPÉTENCE

Position de l'ACDI sur la compétence

L'ACDI a soutenu que le contrat de services visé par la DP s'inscrit dans le cadre d'un traité entre le gouvernement du Canada et celui du Mali concernant la coopération au développement qui a été signé le 21 juin 1984. L'ACDI a soutenu que le contrat proposé en était un d'aide publique au développement financé par des fonds de l'ACDI réservés à cette fin et non à même son budget de fonctionnement.

L'ACDI a soutenu que le Tribunal n'a pas compétence pour enquêter sur la plainte, étant donné que l'expression « marché public », telle que définie par les accords commerciaux, ne vise pas les contrats relatifs à l'aide publique au développement. Selon l'ACDI, le marché public en question n'est donc pas un « contrat spécifique » au sens du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur 4 ou des articles 3 et 7 du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics 5 .

Plus particulièrement, l'ACDI a soutenu que l'Accord sur les marchés publics 6 ne s'applique pas au présent marché en raison des articles 2 et 7 des Notes générales pour le Canada7 et du fait que l'AMP ne s'applique qu'aux marchés passés par les entités visées à l'appendice I de l'AMP. Or, puisque l'ACDI n'y figure que « pour son propre compte », celle-ci allègue que ce n'est que l'approvisionnement de biens et de services devant lui bénéficier directement ou être utilisés directement par lui qui sont soumis à l'AMP. L'ACDI a soumis la même argumentation au titre de l'Accord de libre échange nord-américain8 .

L'ACDI a également soumis que l'Accord sur le commerce intérieur 9 , bien que mentionnant l'ACDI en son annexe 502.1A, ne vise que les marchés publics de l'ACDI qui sont financés par son budget de fonctionnement et non pas ceux qui sont financés à même les fonds qui lui sont alloués pour l'aide publique au développement international10 . L'ACDI a ajouté que l'alinéa 506(11)c) de l'ACI confirme son argument relativement à l'exclusion du présent marché de l'application de cet accord; selon l'ACDI, cet alinéa prévoit un certain assouplissement du processus d'approvisionnement lorsqu'un marché est financé par une organisation de coopération internationale11 .

Enfin, l'ACDI a soumis que la compétence du Tribunal dans la présente enquête ne saurait être établie du seul fait que la DP renvoie au document intitulé « ACDI 102-Conditions générales de l'ACDI pour les [DP] » (ACDI 102), lequel document prévoit que le présent marché serait soumis à la compétence du Tribunal.

Position du consortium sur la compétence

Le consortium a fait valoir que la DP est soumise à l'ACI.

Le consortium a soutenu que le contrat de services visé par la DP n'est pas un contrat visant à procurer de l'aide publique au développement mais bien l'embauche par l'ACDI d'un consultant en vue de la prestation de services à l'ACDI. Le consortium a soumis que l'accord de coopération entre le Canada et le Mali n'est pas pertinent à la présente affaire qui oppose l'ACDI à un fournisseur potentiel dans le cadre d'un processus normal de passation d'un marché public.

Le consortium a soutenu que les exemples d'aide gouvernementale donnés à l'article 518 de l'ACI se rapportent à la prestation directe d'une aide financière. Selon le consortium, les services envisagés par la DP ne constituent pas une telle « aide gouvernementale » au sens de l'ACI. Le consortium a également soumis que l'alinéa 506(11)c) de l'ACI ne trouve pas application dans la présente affaire.

Le consortium a également soutenu que l'ACDI avait déjà reconnu la compétence du Tribunal par l'entremise du renvoi à l'ACDI 102 dans la DP. Elle en a fait un élément essentiel de la DP, ce qui crée une expectative légitime dont le respect relève de l'intérêt public. L'ACDI ne peut alors chercher à modifier les règles qu'elle a choisi d'imposer aux fournisseurs. Selon le consortium, le Règlement sur les marchés de l'État 12 démontrait la volonté expresse du législateur de soumettre l'ACDI à une procédure rigoureuse de passation des marchés par appel d'offres dès lors que les marchés dépassent un certain seuil et même dans les cas où il s'agit d'un projet d'aide au développement international.

Décision du Tribunal sur la compétence

L'alinéa 502(1)b) de l'ACI prévoit que le chapitre cinq portant sur les règles spécifiques concernant les marchés publics s'applique aux mesures adoptées ou maintenues par une Partie relativement aux marchés d'une valeur d'au moins $100 000, portant principalement sur des services, passés au Canada par une des entités énumérées à l'annexe 502.1A. Le Tribunal est d'avis que la DP est un marché pour des services d'une valeur supérieure à ce montant. Ce marché est passé au Canada par l'ACDI, une entité énumérée à l'annexe 502.1A de l'ACI. Le présent marché est donc soumis à cet accord puisqu'il concerne un contrat spécifique au sens de l'article 30.1 de la Loi sur le TCCE. La partie plaignante est un fournisseur potentiel au sens de ce même article de la Loi sur le TCCE. Le Tribunal a décidé que les conditions d'enquête énumérées au paragraphe 7(1) des Règles étaient remplies. Par conséquent, le Tribunal est compétent pour enquêter dans la présente affaire aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE.

Le Tribunal n'est pas d'accord avec la prétention de l'ACDI à l'effet que l'ACI ne vise que les marchés de l'ACDI qui sont financés par son budget de fonctionnement et non pas ceux qui constituent de l'aide publique au développement international. Cette prétention est erronée puisqu'elle assimile cette dernière forme d'aide à celles dont il est question à l'article 518 de l'ACI. Or, l'aide publique au développement international n'est pas de la même nature que les « diverses formes d'aide gouvernementale » qui sont envisagées à cet article. En effet, le Tribunal est d'avis que l'article 518, tel que le nom de cet accord l'indique, n'envisage que des formes d'aide gouvernementale relativement au commerce intérieur ou domestique, c'est-à-dire données par un gouvernement quelque part au Canada afin d'accorder une aide sous forme de subvention, de prêt, d'apport en capital, de garanties ou de stimulants fiscaux. De l'avis du Tribunal, sans mention explicite à cet effet, l'aide publique au développement international ne peut être assimilée aux formes d'aide gouvernementale envisagées à l'article 518. Que l'ACDI soit comprise à l'annexe 502.1A, sans mention expresse d'inclusion « pour son propre compte » seulement tel que c'est le cas dans l'AMP et l'ALÉNA, satisfait le Tribunal que les parties contractantes à l'ACI voulaient soumettre l'ACDI à ses disciplines13 .

Par ailleurs, le Tribunal rejette l'argument de l'ACDI à l'effet que l'alinéa 506(11)c) de l'ACI confirme sa prétention voulant que les marchés qu'elle passe en rapport avec son mandat d'aide publique au développement ne sont pas soumis à l'ACI. De l'avis du Tribunal, le texte de l'alinéa 506(11)c) est à l'effet contraire. Premièrement, l'introduction du paragraphe 506(11) indique qu'une « entité d'une Partie peut [...] utiliser des procédures de passation des marchés publics différentes de celles [de l'ACI] à la condition que ce ne soit pas dans le but d'éviter la concurrence entre les fournisseurs ou d'exercer de la discrimination contre les fournisseurs des autres Parties » [soulignement ajouté]. Le Tribunal fait observer qu'en vertu du paragraphe 506(1), ces marchés publics sont toujours visés par le chapitre cinq de l'ACI. Deuxièmement, le Tribunal note que l'alinéa 506(11)c) permet des procédures de passation des marchés publics différentes de celles prévues aux paragraphes 1 à 10 de l'article 506, mais uniquement dans la mesure où un accord de coopération entre une Partie et une organisation de coopération internationale prévoit des règles d'attribution des marchés qui diffèrent des obligations énoncées à l'ACI et que le marché est financé, pour tout ou partie, par l'organisation de coopération internationale. De l'avis du Tribunal, ce n'est pas le cas ici.

BIEN-FONDÉ DE LA PLAINTE

Position de l'ACDI sur le bien-fondé de la plainte

Selon l'ACDI, la nature des services exécutés par la consultante dans le cadre d'un premier projet d'appui au PRODEJ n'avait pas entraîné pour l'adjudicataire un avantage comparatif déloyal vis-à-vis la disposition des propositions par l'ACDI pour la réalisation du projet d'appui en question.

Dans ce contexte, l'ACDI a déclaré que la consultante lui a rendu des services puis au gouvernement du Mali dans le cadre d'un premier projet d'appui. En sa qualité d'agent de suivi et d'expert-conseil, l'ACDI a prétendu que la consultante n'a pu faire autrement que d'acquérir des connaissances et de l'expérience sur le Mali et son ministère de la Justice.

Selon l'ACDI, elle est souvent appelée à disposer de propositions comptant des individus ayant acquis des connaissances et de l'expérience sur le pays et le secteur visés par un projet. L'ACDI a soutenu qu'elle élimine toute proposition comptant un individu dont l'expérience ou les connaissances ont été acquises à même la conception ou la planification d'un projet à réaliser, mais n'élimine pas une proposition d'un individu dont l'expérience ou les connaissances ont été acquises hors de la conception ou de la planification d'un projet à réaliser. Selon l'ACDI, elle a offert des conditions de saine compétitivité aux soumissionnaires qui ont tous été mis sur un même pied d'égalité.

L'ACDI a soutenu que les travaux menés par la consultante en tant qu'agent de suivi et d'expert-conseil, dans le cadre d'un premier projet d'appui au PRODEJ, n'ont pas servi à concevoir le cadre de référence de la DP et n'ont donc pu servir à en concevoir ou à en planifier les termes. De plus, l'ACDI a soutenu que les fonctions assumées par le Service de la coopération canadienne (SCC) et celles de la consultante comme agent de suivi ne faisaient pas double emploi; le SCC, malgré son mandat de suivi du premier projet d'appui canadien, s'est surtout occupée du soutien financier aux travaux maliens.

L'ACDI a soutenu que la conception et la planification du projet d'appui en cause ont résulté du travail d'équipes mises sur pied par l'ACDI et du travail de l'équipe de l'ACDI au siège et sur le terrain. L'ACDI a de plus soutenu que l'information sur le PRODEJ donnée par la consultante aux équipes de conception et de planification n'a constitué ni un exercice de participation à ces équipes ni un exercice d'influence auprès de celles-ci. L'ACDI est d'avis que la consultante n'a pas influencé ni tenté d'influencer le travail d'équipe de l'ACDI au siège ou sur le terrain.

Selon l'ACDI, les activités et travaux effectués par la consultante comprenaient sa contribution à la préparation et à la rédaction de l'étude institutionnelle et celle-ci constituait une activité de mise en oeuvre du PRODEJ et qu'elle visait le renforcement du ministère de la Justice du Mali. Selon l'ACDI, la mention d'extraits de cette étude dans le cadre de référence de la DP ne fait pas la preuve que cette étude constitue le cadre de référence.

De plus, l'ACDI a soutenu que, lorsque le consortium prétend que le mot « planification » dans la clause 2.3 de la DP doit être interprété à la lumière du chapitre 6 de la Carte routière de l'ACDI, il élargit la portée de la clause de manière à ce que toute participation à un projet de l'ACDI dans un secteur et pays donnés soit une cause d'inadmissibilité à la mise en oeuvre d'un projet subséquent dans les mêmes secteur et pays. L'ACDI a soutenu que, même s'il devait être tenu compte du chapitre 6 pour interpréter la clause 2.3, elle dit avoir démontré que la consultante n'a pas participé à la définition ou à la sélection du second projet d'appui par le biais de ses services auprès de l'équipe de l'ACDI au siège ou sur le terrain, au sens des chapitres 7 à 10 de la Carte routière.

L'ACDI a de plus soutenu que le comité d'évaluation de l'ACDI n'a pas interprété des éléments de la grille d'évaluation de manière à valoriser les avantages dont bénéficiaient la consultante du fait de ses services et travaux dans le cadre d'un premier projet d'appui et n'a donc pas créé de distorsions au processus de sélection des propositions.

Selon l'ACDI, le comité d'évaluation disposait d'une grille d'évaluation conforme aux normes et pratiques de l'ACDI et liée aux leçons apprises par cette dernière et cette grille d'évaluation était équitable, appropriée et transparente. Elle a soutenu que la grille d'évaluation détaillée qui contenait des sous-critères ne constituait pas une grille nouvelle. En l'espèce, l'ACDI a fait valoir que les sous-critères et leur pondération pouvaient facilement être prévus par les soumissionnaires et déduits de la grille générale qui leur a été transmise. Selon l'ACDI, cet usage n'est pas contraire au paragraphe 506(6) de l'ACI et aux exigences générales de l'ACI concernant la transparence et est soutenue par la jurisprudence14 . De plus, l'ACDI a soutenu que la grille d'évaluation (version courte ou longue) n'a pas subi d'entorse aux normes du fait qu'elle a tenu compte de la rareté des ressources dans le secteur de la justice lors de sa préparation et que les ressources présentées par les soumissionnaires font partie de cette base restreinte.

L'ACDI a aussi soutenu que l'allégation présentée par le consortium dans ses observations sur le RIF, relativement au présumé défaut de la part de l'ACDI d'avoir accepté une proposition du groupe composé en partie de CAC, ne possédant pas l'expérience requise par la clause 3.2.1 de la DP, est un nouveau motif. Le consortium a en effet allégué que l'expérience présentée par CAC avait été acquise par CAC International, une société distincte de CAC. Selon l'ACDI, ce motif de plainte ne fait pas partie de la plainte originale du consortium et, par conséquent, le Tribunal n'a pas à examiner ce nouveau motif de plainte.

Subsidiairement, l'ACDI a déclaré que, si le Tribunal décidait d'examiner ce nouvel élément, l'ACDI lui ferait valoir que la clause 3.2.1 de la DP porte en partie sur l'expérience du consultant, car cette clause est rédigée en termes larges et permet au soumissionnaire de faire valoir l'expérience de nature comparable acquise par des membres de son personnel clé collaborant normalement avec lui. Selon l'ACDI, les trois projets cités par CAC ont été réalisés pour le compte de CAC International par des membres du personnel clé de CAC collaborant normalement avec elle. L'ACDI a soutenu que CAC International et ses membres, à titre individuel ou à titre d'actionnaire unique, détiennent respectivement 20 p. 100 et 60 p. 100 des actions de CAC. Compte tenu du libellé de la clause 3.2.1 de la DP, l'ACDI a soutenu que le personnel clé collaborant normalement avec CAC International et avec CAC sont les mêmes personnes et, compte tenu du fait que CAC International et CAC sont des entités liées, l'ACDI ne pouvait ignorer l'expérience acquise dans le cadre des trois projets cités par CAC.

En conclusion, l'ACDI demande au Tribunal de rejeter la plainte du consortium et, compte tenu des allégations frivoles et vexatoires contenues dans la plainte, d'ordonner au consortium de payer les dépens.

Position de CAC sur le bien-fondé de la plainte

Selon CAC, de 1998 à février 2000, la consultante a agi comme agent de suivi du premier projet d'appui de l'ACDI au PRODEJ. CAC allègue donc que, contrairement à ce qui est prétendu par le consortium, la consultante n'avait pas un mandat d'expert-conseil. CAC a soutenu que, dans ces circonstances, la nature des mandats réalisés par la consultante ne lui ont accordé aucun avantage comparatif déloyal et ne la rend pas inéligible à une proposition de service sur le projet en cause.

CAC a soutenu que, en effet, les travaux réalisés pendant la période allant de 1998 à 2000 ne peuvent être associés ni à des travaux de conception ou de planification du PRODEJ, ni à la conception et à la planification du projet en cause, puisque les travaux de planification de ce projet ont été réalisés par des équipes totalement indépendantes et n'ayant aucun lien avec la consultante. CAC a également soutenu que ce n'est pas la consultante qui a identifié les activités du projet en cause et qu'elle n'a pas tenté de le faire. Par ailleurs, CAC prétend qu'elle a agi avec transparence dès le début de ce processus en vérifiant auprès de l'ACDI son éligibilité à répondre à un appel d'offre sur le projet en cause.

CAC a fait valoir que les travaux réalisés entre août 2001 et mai 2002 par la consultante ne constituent pas des activités entrant dans la définition de la clause 2.3 de la DP. Durant cette période, selon CAC, la consultante a agi comme expert-conseil auprès du Mali et, à ce titre, elle a contribué d'une part à préparer et à rédiger l'étude institutionnelle et, d'autre part, elle a participé à la formation de cadres maliens en gestion axée sur les résultats. CAC a soutenu que l'étude institutionnelle a démarré après que l'ACDI ait pratiquement achevée son processus de planification du projet d'appui en cause et il est clair, selon CAC, que cette étude n'a pas été commandée par l'ACDI dans le cadre de son processus de conception et de planification dudit projet.

En conclusion, CAC repousse les prétentions du consortium à l'effet que les travaux réalisés par la consultante ont directement servi à constituer une part importante du cadre de référence de la DP et ont servi à la conception et à la planification du projet visé.

Position du consortium sur le bien-fondé de la plainte

Le consortium a invoqué que la contribution canadienne a été de loin la plus importante lors des travaux visant la conception de la réforme de la justice au Mali et l'élaboration de sa stratégie de mise en oeuvre.

Selon le consortium, malgré des tentatives pour minimiser l'apport de la consultante au rôle d'agent de suivi, l'ACDI confirme dans le RIF l'importance et la diversité des mandats exécutés par celle-ci en amont du projet d'appui en cause. Selon lui, l'ACDI admet qu'elle a consenti quatre contrats à la consultante; ceux-ci représentaient la moitié du budget d'honoraires et des dépenses des experts canadiens. Le RIF admet non seulement que la consultante a agi comme agent de suivi, mais également qu'elle a répondu à des demandes ponctuelles des Maliens, a prodigué des conseils dans l'élaboration du PRODEJ, a contribué à la formation de cadres et gestionnaires maliens, a servi de personne-ressource auprès de personnes mandatées pour la conception et la planification du projet d'appui en cause, a participé à la rédaction de l'étude institutionnelle, laquelle a été plus tard largement reprise dans le cadre de référence du projet d'appui en cause et a servi à définir tant le contexte que des activités de ce projet.

Le consortium a soutenu que l'ACDI tente d'éviter l'examen de l'exigence obligatoire énoncée à la clause 2.3 de la DP. Selon le consortium, à l'intérieur du RIF, l'ACDI a cherché à « occulter » l'application de la clause 2.3. Le consortium a invoqué que cette question est primordiale, puisqu'il a été établi que la consultante a collaboré aux travaux de conception et de planification du projet d'appui visé et que de larges parties du cadre de référence de la DP ont été constituées à partir des travaux réalisés par elle, ainsi qu'en fait état la plainte et les observations du consortium.

Le consortium a soutenu que le procès-verbal de la rencontre préparatoire à la mission de planification atteste qu'une rencontre a eu lieu dans les bureaux de CAC International et que la consultante y a fait trois exposés sur le contexte du PRODEJ. Le premier exposé portait sur l'aperçu du système de justice au Mali (consultation, plan d'action, stratégie de mise en oeuvre), le deuxième exposé était un compte-rendu du projet d'appui au PRODEJ 1998-2001 (descriptions du projet, leçons apprises, activités prévues dans le cadre de la prolongation du projet), et le troisième exposé portait sur le ministère de la Justice du Mali et sur l'audit organisationnel d'août 2001. Selon le consortium, ces exposés ont été faits auprès des membres de l'équipe de planification et de deux membres du comité d'évaluation des propositions. Le consortium a de plus soutenu que le rapport de la mission de planification indique que, lors de cette rencontre, on a fixé la stratégie de planification du projet d'appui en cause et ses grands axes qui ont été d'ailleurs repris dans le cadre de référence de la DP. Or, le consortium a allégué que la participation de la consultante à cette rencontre lui confère un avantage inadmissible qui aurait dû exclure du marché la participation du groupe auquel elle est associée.

Le consortium a invoqué l'étude institutionnelle, à laquelle la consultante a largement participé, comme étant un élément de preuve essentiel à l'appui de sa plainte. Il a soutenu que l'étude institutionnelle ne constituait pas pour l'ACDI une activité de mise en oeuvre du PRODEJ mais avait pour but d'identifier un mécanisme efficace de coordination du PRODEJ parce que l'ACDI doutait de la capacité du ministère de la Justice malienne de mener à bien la réforme. Selon le consortium, certains représentants de l'ACDI avaient révélé que l'étude institutionnelle visait à déterminer certaines des stratégies de mise en oeuvre du PRODEJ. Le consortium a soutenu que l'étude institutionnelle fait oeuvre d'analyse des capacités, qui a été jugée essentielle pour la procédure d'approbation et de planification de projet. Selon le consortium, l'ACDI établit clairement le lien entre l'étude institutionnelle et les analyses prescrites par cette dernière pour l'approbation et la planification du projet en cause.

Le consortium est d'avis que les multiples références et emprunts faits à l'étude institutionnelle pour la formulation du cadre de référence de la DP témoignent de la pertinence de ces travaux pour la conception et les stratégies de mise en oeuvre. L'ACDI admet que la DP renvoie explicitement en au moins quatre occasions à l'étude institutionnelle et indique que ces emprunts servent à fixer le contexte du projet.

Le consortium rapporte que la présidente de CAC lui a confié qu'elle entretenait des doutes quant à l'éligibilité de CAC au projet en question et avait demandé l'avis d'un agent de l'ACDI à cet égard. Selon le consortium, l'ACDI lui a confirmé cette démarche lors d'une réunion à ses bureaux le 17 décembre 2002. L'ACDI aurait alors affirmé qu'elle avait pris les moyens pour assurer que la consultante soit éligible au marché en confiant à deux experts un mandat spécifique de planification.

Pour ce qui est du motif de plainte relativement à la grille d'évaluation utilisée par l'ACDI, le consortium a soutenu que le comité d'évaluation avait interprété des éléments de la grille d'évaluation connue de telle manière que cela valorisait les avantages dont bénéficiait le groupe auquel est associée la consultante, du fait des mandats précédents de celle-ci. Selon le consortium, que le biais ait été le fait des évaluateurs ou celui de la grille d'évaluation détaillée importe peu; au résultat final, le groupe auquel est associée la consultante continuait de bénéficier d'avantages comparatifs déloyaux, dû notamment au fait que l'étude institutionnelle était intégrée au cadre de référence de la DP et dû au travail de définition du contexte du PRODEJ fait par la consultante auprès des planificateurs et surtout auprès des membres du comité d'évaluation qui avaient à noter cet élément des propositions.

Sur l'admissibilité des projets présentés au titre de l'expérience de CAC, le consortium a soutenu que les dispositions de la DP sont précises en ce qui concerne des soumissionnaires et les projets qu'ils doivent présenter au titre de leur expérience pertinente. Selon le consortium, les projets soumis ont été réalisés par CAC International et non par CAC. Le consortium est d'avis que les règles du marché ne peuvent autoriser une société à établir son expérience en référant à celle d'une autre qui n'est pas membre du consortium identifié à la proposition. Donc, selon le consortium, le comité d'évaluation aurait dû refuser d'admettre ces projets et invalider l'offre déposée par CAC et l'Université de Sherbrooke.

Décision du Tribunal sur le bien-fondé de la plainte

Aux termes de l'article 30.14 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal doit, lorsqu'il a décidé d'enquêter, limiter son étude à l'objet de la plainte. En outre, à la fin de l'enquête, il doit déterminer la validité de la plainte en fonction des critères et procédures établis par règlement pour le contrat spécifique. De plus, l'article 11 du Règlement prévoit que le Tribunal doit déterminer si le marché public a été passé conformément aux accords commerciaux applicables.

Le litige est axé principalement sur l'effet de la clause 2.3 de la DP. Cette clause clé stipule, en partie, ce qui suit :

[L]e Consultant, y compris CHAQUE membre d'un consortium, [...] son personnel et les sous-traitants ne doivent pas avoir participé, conjointement ou individuellement, à la planification (par ex. conceptualisation, études de faisabilité, spécifications, conception) du présent projet, ni avoir reçu l'aide dans la préparation de la proposition déposée de tiers qui ont participé à la planification du présent projet.

Pour ce qui est de la participation de la consultante au développement du projet d'appui en cause, le Tribunal note que l'ACDI confirme à plusieurs endroits du RIF que la consultante a participé, d'une façon ou d'une autre, à ce projet de mise en oeuvre du PRODEJ. Par exemple, au paragraphe 67 du RIF, l'ACDI a soutenu que, en sa qualité d'agent de suivi, la consultante a communiqué les grandes lignes de l'exercice malien d'élaboration du PRODEJ à l'équipe de conception puis à l'équipe de planification du projet en cause. Au paragraphe 69 du RIF, l'ACDI a soutenu que la consultante a contribué à préparer et à rédiger l'étude institutionnelle. Au paragraphe 88 du RIF, l'ACDI indique qu'elle a préparé les documents de la DP entre octobre 2001 et février 2002, délai qui lui a permis notamment de renvoyer à des textes et orientations de l'étude institutionnelle. Au paragraphe 109 du RIF, l'ACDI a confirmé que la consultante a transmis de l'information générale sur le PRODEJ à l'équipe de conception puis à l'équipe de planification du projet visé avant leurs missions respectives pour le Mali. Au paragraphe 135 du RIF, l'ACDI a fait valoir que le cadre de référence de la DP faisait état de l'étude institutionnelle à laquelle la consultante a participé en large part. De ce fait, l'ACDI ne conteste pas comme tel les allégations du consortium sur l'implication de la consultante. La question à trancher, donc, est dans quelle mesure la consultante aurait-elle joué un rôle qui correspond à celui prévu à la clause 2.3 de la DP.

Le Tribunal estime que la clause 2.3 de la DP comporte un élément essentiel qui est celui de la notion de « participer » à la « planification » du projet en cause. En général, le verbe « participer » est défini comme « prendre part à [quelque chose] » dans le sens de se joindre, se mêler; collaborer, coopérer; assister15 .

La preuve au dossier montre que les travaux et activités effectués par la consultante et l'apport de cette dernière dans ses consultations avec les différentes équipes de développement du second projet d'appui ont eu une incidence sur la planification du projet d'appui en cause.

Le Tribunal estime que la prétention de l'ACDI que la consultante n'avait pas participé directement à la planification du projet d'appui en cause élude la question de toute participation de la consultante au projet en question quelle qu'en soit la nature. Le Tribunal fait observer que la clause 2.3 de la DP ne fait aucunement mention de participation soit directe ou indirecte. Selon le Tribunal, l'interdiction de participer, conjointement ou individuellement, à la planification du présent projet est de portée générale.

Le Tribunal estime que les activités et les différents travaux menés par la consultante dans le cadre des divers mandats qui lui ont été accordés par l'ACDI ont fait en sorte que la consultante possédait alors une expérience telle, à l'égard du PRODEJ, que son apport à leurs travaux était d'une valeur appréciable pour les équipes de conception et de planification du projet d'appui visé par la DP.

Le Tribunal constate que les activités de la consultante étaient celles prévues à la clause 2.3 de la DP et donc interdites. Que l'ACDI ait choisi de négocier avec CAC en vue de lui attribuer le contrat sachant que la consultante avait non seulement aidé à la préparation et à la rédaction de l'étude institutionnelle, qui a été subséquemment reprise en partie à l'intérieur du cadre de référence de la DP, mais avait aussi effectivement agi comme personne-ressource auprès des différentes équipes de conception et de planification du projet d'appui en cause, est, selon le Tribunal, inacceptable aux termes de la clause 2.3 de la DP et contraire aux dispositions de l'ACI vu, entre autres, l'accès privilégié accordé à la consultante. De plus, le Tribunal est troublé par le fait que l'ACDI ne semble pas reconnaître l'avantage unique conféré à la consultante en lui donnant l'occasion de faire une présentation à l'équipe de planification du projet, à laquelle ont été présents deux membres du comité d'évaluation de l'ACDI.

En outre, étant donné les dispositions prévues à la clause 2.3 de la DP, le Tribunal ne peut accepter que l'ACDI tente d'exonérer son acceptation de CAC en invoquant une pénurie de fournisseurs potentiels, car il y en avait au moins un autre, à savoir le consortium, dont le comportement n'était pas entaché d'une violation de la clause 2.3. De plus, si l'ACDI souhaitait déroger à certaines dispositions de l'ACI, elle se devait de le faire en respectant les dispositions de l'ACI à cet égard. Une telle dérogation, par exemple, est permise dans les circonstances prévues au paragraphe 506(12). Mais, cet article ne s'applique pas en l'espèce; tout comme, d'ailleurs, l'alinéa 506(11)c), tel que déjà mentionné. Sauf cette dernière disposition, le Tribunal fait observer que l'ACDI n'en a invoqué aucune qui permette de déroger aux paragraphes 1 à 10 de l'article 506. Le Tribunal est donc d'avis que l'ACDI a contrevenu à sa restriction telle qu'elle est exprimée à la clause 2.3 de la DP en poursuivant des négociations avec le groupe auquel la consultante est associée. En ayant agi de la sorte, le Tribunal est d'avis que l'ACDI a contrevenu au paragraphe 506(6).

Pour ces raisons, le Tribunal trouve que la plainte du consortium est fondée.

En ce qui a trait aux nouveaux motifs de plainte soulevés par le consortium dans ses observations sur le RIF, l'un par rapport aux projets présentés par CAC, dans le cadre de sa soumission, et l'autre concernant le motif de plainte relativement à la grille d'évaluation, le Tribunal n'estime pas qu'il est nécessaire de statuer sur ceux-ci vu sa décision concernant le motif principal de la plainte.

Dans la formulation de ses recommandations, le Tribunal, en vertu du paragraphe 30.15(3) de la Loi sur le TCCE, doit tenir compte de tous les facteurs qui interviennent dans le marché visé par la DP, notamment les suivants :

· la gravité des irrégularités qu'il a constatées dans la procédure du marché public;

· l'ampleur du préjudice causé à la partie plaignante ou à tout intéressé;

· l'ampleur du préjudice causé à l'intégrité ou a l'efficacité du mécanisme d'adjudication;

· la bonne foi des parties;

· le degré d'exécution du contrat.

Vu la poursuite par l'ACDI de négociations avec le groupe auquel est associée la consultante qui, selon le Tribunal, a participé à la planification du projet en cause, contrairement à la clause 2.3 de la DP, et vu l'ampleur du préjudice causé au consortium et à l'intégrité du mécanisme d'adjudication, et étant donné la gravité des irrégularités qu'il a constatées dans la procédure du marché public, le Tribunal recommande à l'ACDI d'entamer des négociations avec le consortium en vue de lui attribuer le marché public en question. Quoique le Tribunal soit d'avis que l'ACDI ait essayé de s'assurer que la consultante soit éligible à soumissionner et que ses efforts à cet égard ne tenaient pas de l'ordinaire, il n'est pas d'avis qu'il faille pour autant mettre en doute sa bonne foi.

Le Tribunal accorde aussi au consortium les frais raisonnables qu'il a engagés pour la préparation et le traitement de sa plainte.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal détermine que la plainte est fondée.

Aux termes des paragraphes 30.15(2) et 30.15(3) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal recommande à l'ACDI d'entamer des négociations avec le consortium en vue de lui attribuer le contrat.

Aux termes des paragraphes 30.16(1) et 30.16(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal accorde au consortium le remboursement des frais qu'il a engagés pour la préparation et le traitement de la plainte.


1 . L.R.C. 1985, c. A-1.

2 . RIF, Annexe 1, onglet 1 à la p. 6.

3 . www.acdi-cida.gc.ca/cida_ind.nsf/vLUallDocByIDFr/.

4 . L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47 [Loi sur le TCCE].

5 . D.O.R.S./93-602 [Règlement].

6 . 15 avril 1994, en ligne : Organisation mondiale du commerce <http://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/final_f.htm> [AMP].

7 . L'article 2 des Notes générales pour le Canada est comme suit : « Pour le Canada, les marchés entrant dans le champ d'application s'entendent de transactions contractuelles visant l'acquisition de biens ou de services devant bénéficier directement au gouvernement ou être utilisés directement par celui-ci. Le processus de passation d'un marché débute après qu'une entité a défini ses besoins et se poursuit jusques et y compris l'adjudication. Ne sont pas compris les accords non contractuels et toute forme d'aide publique, y compris, mais pas uniquement, les accords de coopération, les subventions, les prêts, les apports en capital, les garanties, les incitations fiscales et la fourniture par le gouvernement fédéral de produits et de services à des particuliers, des entreprises, des institutions privées et des gouvernements sous-centraux. Ne sont pas compris non plus les achats réalisés à des fins de revente commerciale ou effectués par une entité ou une entreprise auprès d'une entité ou d'une autre entreprise du Canada. » L'article 7 des Notes générales pour le Canada précise : « L'accord ne s'applique pas aux marchés passés en vertu d'un accord international et portant sur la réalisation ou l'exploitation en commun d'un ouvrage. »

8 . 32 I.L.M. 289 (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ALÉNA]. L'alinéa 1001(5)a) prévoit, en partie, ce qui suit :

5. [...]Les marchés ne comprennent pas :

a) les ententes non contractuelles ou toute forme d'aide gouvernementale, notamment les accords de coopération, les subventions, les prêts, les participations au capital, les garanties, les incitations fiscales, et la fourniture publique de biens et de services à des personnes, à des gouvernements d'États ou de provinces ou à des gouvernements régionaux ».

L'annexe 1001.1a-1, précise, en partie, ce qui suit : « Liste du Canada [...]12. Agence canadienne de développement international (pour son propre compte) ».

9 . 18 juillet 1994, Gaz. C. 1995.I.1323, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <http://www.intrasec.mb.ca/fre/it.htm> [ACI].

10 . Au soutien de cet argument, l'ACDI allègue que la définition de « marché public » à l'article 518 de l'ACI exclut l'aide publique au développement. Cet article prévoit ce qui suit : « `marché public' Acquisition par tous moyens - notamment par voie d'achat, de location, de bail ou de vente conditionnelle - de produits, de services ou de travaux de construction. Ne sont toutefois pas visés par la présente définition :

a) les diverses formes d'aide gouvernementale, par exemple les subventions, les prêts, les apports de capitaux, les garanties ou les stimulants fiscaux;

b) la fourniture par l'État de produits et services à des personnes ou à d'autres organisations gouvernementales. »

11 . L'alinéa 506(11)c) de l'ACI précise ce qui suit : « 11. Une entité d'une Partie peut, dans les circonstances suivantes, utiliser des procédures de passation des marchés publics différentes de celles décrites aux paragraphes 1 à 10, à la condition que ce ne soit pas dans le but d'éviter la concurrence entre les fournisseurs ou d'exercer de la discrimination contre les fournisseurs des autres Parties :

c) lorsqu'un marché doit être attribué en vertu d'un accord de coopération financé, pour tout ou partie, par une organisation de coopération internationale, mais uniquement dans la mesure où cet accord entre la Partie et cette organisation prévoit des règles d'attribution des marchés qui diffèrent des obligations énoncées au présent chapitre ».

12 . D.O.R.S./87-402. L'alinéa 6b)(iii) est comme suit : « Malgré l'article 5, l'autorité contractante peut conclure un marché sans lancer d'appel d'offres dans les cas suivants :

b) les cas où le montant estimatif de la dépense ne dépasse pas selon le cas :

(iii) 100 000 $, s'il s'agit d'un marché que doit conclure le membre du Conseil privé de la Reine pour le Canada responsable de l'Agence canadienne de développement international et qui porte sur la prestation de services d'ingénieurs ou d'architectes ou d'autres services nécessaires à la planification, à la conception, à la préparation ou à la surveillance d'un programme ou projet d'aide au développement international ».

13 . À cet effet, les auteurs G. Bruce Doern et Mark MacDonald, dans Free-Trade Federalism: Negotiating the Canadian Agreement on Internal Trade, Toronto, University of Toronto Press Incorporated, 1999 écrivent ce qui suit à la p. 86 : « Annex 502.1A presents an impressive list that includes all government departments `proper' and a wide-ranging number of agencies, boards, corporations, and commissions that are involved in procurement within Canada, even if the good or service is intended for use outside Canada, such as the purchases made by the federal Canadian International Development Agency (CIDA) ».

14 . Re plainte déposée par Siemens Westinghouse Incorporated (19 mars 2001), PR-2000-39 (TCCE), confirmé par la Cour d'appel fédérale, [2002] 1 C.F. 292.

15 . Le Nouveau Petit Robert, 1996, s.v. « participer ».