ZENON ENVIRONMENTAL INC.

Décisions


ZENON ENVIRONMENTAL INC.
Dossier no  PR-2002-015R


TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le mardi 10 juin 2003

Dossier no  PR-2002-015R

EU ÉGARD À une plainte déposée par ZENON Environmental Inc. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47;

ET SUITE À une décision rendue par la Cour d'appel fédérale, qui annulait la recommandation faite par le Tribunal canadien du commerce extérieur dans le dossier no PR-2002-015 le 15 octobre 2002 et renvoyait la question au Tribunal canadien du commerce extérieur pour qu'il établisse à nouveau la mesure corrective recommandée et donne les motifs de sa recommandation.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes des paragraphes 30.15(2) et 30.15(3) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande, à titre de mesure corrective, que le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux lance un nouvel appel d'offres pour le marché public visé dans la plainte, conformément aux accords commerciaux applicables, dès qu'il sera pratiquement possible de le faire et avant l'exercice de tout droit de prorogation prévu au contrat en vigueur. Le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande aussi que le contrat en vigueur avec Seprotech Systems Inc. soit maintenu jusqu'à ce que le nouvel appel d'offres soit mené à terme et qu'un nouveau contrat soit adjugé.

De plus, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande que ZENON Environmental Inc. reçoive une indemnité pour perte d'occasion, d'un montant égal au tiers du profit qu'elle aurait raisonnablement réalisé durant la période pendant laquelle Seprotech System Inc. détient le contrat en vigueur et jusqu'à ce que le nouvel appel d'offres soit mené à terme. Le point de départ du calcul du profit sera le pourcentage de la marge bénéficiaire normale de ZENON Environmental Inc. multiplié par la valeur réelle de l'utilisation du contrat jusqu'à l'adjudication d'un nouveau contrat.

Patricia M. Close
Patricia M. Close
Membre présidant

Michel P. Granger
Michel P. Granger
Secrétaire

Date de la décision et des motifs :

Le 10 juin 2003

   

Membre du Tribunal :

Patricia M. Close, membre présidant

   

Agent principal d'enquête :

Cathy Turner

   

Conseillers pour le Tribunal :

Reagan Walker

 

Roger Nassrallah

   

Partie plaignante :

ZENON Environmental Inc.

   

Conseillers pour la partie plaignante :

Ronald D. Lunau

 

Phuong T.V. Ngo

   

Intervenantes :

Seprotech Systems Inc.

 

Peacock Inc.

   

Conseillers pour les intervenantes :

David Sherriff-Scott et Gerry Stobo, pour Seprotech Systems Inc.

 

Eric Préfontaine, pour Peacock Inc.

   

Institution fédérale :

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

   

Conseillers pour l'institution fédérale :

Ian McLeod

 

Christianne M. Laizner

 

Susan D. Clarke

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

Le 15 juillet 2002, ZENON Environmental Inc. (ZENON) a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur 1 à l'égard du marché public (invitation no W8482-01TF04/A) passé par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) pour la réparation et la révision des appareils de dessalement par osmose inverse à bord des navires (ADOIBN) pour le ministère de la Défense nationale (MDN).

ZENON a allégué que, contrairement au paragraphe 506(6) de l'Accord sur le commerce intérieur 2 , TPSGC avait adjugé un contrat à un soumissionnaire dont la proposition ne satisfaisait pas à toutes les exigences obligatoires du document d'appel d'offres. Plus précisément, elle a allégué que Seprotech Systems Inc. (Seprotech) n'avait pas présenté de lettres d'intention provenant des fabricants d'équipement d'origine (OEM), comme il était énoncé à l'annexe « A » de la demande de propositions (DP). ZENON a en outre soutenu que certaines représentations contenues dans la proposition de Seprotech quant à ses ressources en personnel étaient inexactes.

ZENON a demandé, à titre de mesure corrective, que le Tribunal recommande que le contrat adjugé à Seprotech soit résilié et soit plutôt adjugé à ZENON. Elle a également demandé que lui soient remboursés les frais qu'elle avait engagés pour la préparation et le traitement de la plainte.

Le 15 octobre 2002, le Tribunal a déterminé que la plainte était fondée et a recommandé que TPSGC résilie le contrat accordé à Seprotech et, quant aux deux propositions restantes, que TPSGC réévalue uniquement le critère selon lequel il devait être clairement indiqué que les composants, qui n'étaient pas rapidement et facilement obtenus auprès d'un fournisseur commercial ou qui n'étaient pas fabriqués par le soumissionnaire lui-même, pouvaient être obtenus par le soumissionnaire. Le Tribunal a aussi accordé à ZENON le remboursement des frais raisonnables qu'elle avait engagés pour la préparation et le traitement de la plainte3 .

Le 11 février 2003, après avoir entendu une demande de contrôle judiciaire déposée par Seprotech et TPSGC, la Cour d'appel fédérale (la Cour) a rejeté les arguments selon lesquels l'interprétation du Tribunal dans sa décision était manifestement déraisonnable. La Cour était d'avis que l'argument selon lequel la procédure n'avait pas été équitable n'était pas fondé. Toutefois, la Cour a accueilli la demande de contrôle judiciaire en partie. Elle a renvoyé la question de la mesure corrective au Tribunal4 , au motif que, en ne donnant aucune explication de son choix de mesure corrective, le Tribunal avait effectivement refusé à ZENON le droit à un contrôle judiciaire de l'aspect concernant les mesures correctives de la décision du Tribunal. La Cour a conclu que le Tribunal devait exercer son pouvoir discrétionnaire en matière de redressement et donner les motifs de sa recommandation.

Le 14 février 2003, le Tribunal a demandé aux parties de présenter leurs exposés sur la question de la mesure corrective. Le 3 mars 2003, les parties ont déposé auprès du Tribunal les exposés demandés. Le 10 mars 2003, TPSGC, ZENON et Seprotech ont déposé auprès du Tribunal leurs observations en réponse aux exposés susmentionnés; Peacock Inc. (Peacock) a refusé de déposer ses observations sur les exposés. Le 12 mars 2003, Seprotech a demandé à être autorisée à présenter des observations supplémentaires sur les questions soulevées dans les exposés de ZENON et, le 13 mars 2003, ZENON a déposé un exposé en réponse à la demande de Seprotech. Le 14 mars 2003, le Tribunal a rejeté la demande de Seprotech visant le dépôt d'observations supplémentaires puisque, de l'avis du Tribunal, la quantité des renseignements au dossier était suffisante pour statuer sur la question.

POSITION DES PARTIES

Position de TPSGC

TPSGC a soutenu que, étant donné les circonstances énumérées par la Cour et toutes les autres circonstances pertinentes, la résiliation du contrat accordé à Seprotech et une nouvelle évaluation des soumissions restantes à la lumière de l'interprétation du Tribunal de l'exigence d'« indication claire » de la disponibilité des composants n'est pas une mesure corrective indiquée pour diverses raisons. En premier lieu, la résiliation du contrat en l'absence d'un contrat de remplacement n'est pas une mesure corrective indiquée parce que le MDN doit, en tout temps, maintenir l'état de préparation technique pour répondre à toute contingence qui peut émerger dans le contexte des obligations nationales et internationales du Canada. En deuxième lieu, une nouvelle évaluation des propositions de ZENON et de Peacock entraînera inévitablement la conclusion que ces deux propositions ne satisfont pas, ni l'une ni l'autre, à l'exigence d'« indication claire », selon l'interprétation donnée par le Tribunal eu égard aux composants qui sont désignés dans les dessins de contrôle à la source. En troisième lieu, il serait injuste d'exclure la proposition de Seprotech aux fins de la nouvelle évaluation, étant donné que les conclusions de la Cour précisent que la non-conformité de Seprotech a été établie dans le contexte d'une disposition ambiguë de la DP et de l'incertitude relative à la question de savoir quels composants feraient l'objet d'une assurance écrite de disponibilité.

TPSGC a soutenu que, en recommandant une mesure corrective, le Tribunal devrait tenir compte du fait que le chapitre qui traite des marchés publics dans l'ACI vise à « établir un cadre qui assurera à tous les fournisseurs canadiens un accès égal aux marchés publics, de manière à réduire les coûts d'achat et à favoriser l'établissement d'une économie vigoureuse, dans un contexte de transparence et d'efficience ».

TPSGC a de plus soutenu que, en recommandant une mesure corrective indiquée, le Tribunal doit tenir compte des faits suivants pour évaluer la gravité des irrégularités dans la procédure de passation du marché public, l'ampleur du préjudice causé aux soumissionnaires et l'ampleur du préjudice causé à l'intégrité et à l'efficacité de la procédure de passation du marché public :

· Seprotech a, plus que les deux autres soumissionnaires, entrepris de faire la preuve de son accès aux composants, et a soumis un plus grand nombre de lettres d'intention provenant des fournisseurs approuvés désignés dans les dessins de contrôle à la source que ne l'ont fait ZENON ou Peacock;

· la proposition technique de Seprotech a été évaluée comme étant conforme à l'exigence selon laquelle le soumissionnaire devait mettre en évidence sa capacité d'exécuter le travail; à cet égard, l'exigence d'« indication claire » était un facteur, mais non pas le seul facteur dont il a été tenu compte dans l'évaluation;

· Seprotech a exécuté avec succès le travail visé dans le contrat depuis l'adjudication du contrat en juin 2002;

· Seprotech a pu obtenir tous les composants nécessaires à l'exécution des travaux même si ZENON avait soutenu durant toute la procédure de passation du marché public qu'elle avait passé des arrangements exclusifs avec les OEM, de telle sorte qu'aucun autre fournisseur ne pouvait avoir accès à tous les composants nécessaires à l'exécution des travaux;

· la Couronne peut acheter les composants des ADOIBN directement des OEM; par conséquent, l'exigence d'« indication claire » n'était pas essentielle à l'évaluation de la question de savoir si le soumissionnaire pouvait faire le travail prévu au contrat;

· les dispositions de la DP avaient pour objet de déterminer la capacité du soumissionnaire de faire le travail. Les évaluateurs ont agi de bonne foi lorsqu'ils ont déterminé que la proposition de chacun des trois soumissionnaires avait montré la capacité du soumissionnaire d'effectuer le travail et lorsqu'ils ont évalué les trois propositions comme étant toutes techniquement conformes;

· au moment de l'adjudication du contrat, le prix dudit contrat a été communiqué à tous les soumissionnaires, de telle sorte qu'il serait très difficile de garantir que le lancement d'un nouvel appel d'offres visant le besoin complet pourrait maintenant se faire sans porter préjudice au soumissionnaire le moins disant.

TPSGC a soutenu qu'une mesure corrective indiquée consiste à maintenir en vigueur le contrat passé avec Seprotech et à accorder le remboursement des frais de la plainte à ZENON.

À titre de solution de rechange, TPSGC a soutenu que le Tribunal devrait recommander le maintien en vigueur du contrat passé avec Seprotech en attendant la nouvelle évaluation des propositions techniques de Seprotech, de ZENON et de Peacock et que, dans le cadre de cette nouvelle évaluation technique, les évaluateurs devraient annuler l'exigence d'« indication claire que tous les composants requis pour effectuer le travail nécessaire peuvent être obtenus par le soumissionnaire » [traduction]. TPSGC a ajouté qu'il y a lieu d'annuler l'exigence susmentionnée, eu égard aux conclusions de la Cour que cette disposition est ambiguë et eu égard à l'incertitude relative à la question de savoir quels composants, parmi ceux spécifiés dans les centaines de pages techniques accompagnant la DP, feraient l'objet d'une assurance écrite de disponibilité.

À titre de deuxième solution de rechange, TPSGC a soutenu que le Tribunal devrait recommander le maintien en vigueur du contrat passé avec Seprotech en attendant le lancement d'un nouvel appel d'offres limité portant sur l'exigence à caractère technique selon laquelle les soumissionnaires doivent montrer leur capacité d'exécuter le travail et que, dans un tel cadre, Seprotech, ZENON et Peacock devraient être invitées à soumettre à nouveau une proposition technique en réponse aux exigences techniques modifiées. TPSGC a soutenu qu'une recommandation portant sur le lancement d'un appel d'offres complètement nouveau n'est pas indiquée parce que cela porterait préjudice au soumissionnaire le moins disant, étant donné que le prix du contrat est connu de tous les soumissionnaires.

Dans ses observations en réponse, datées du 10 mars 2003, TPSGC a soutenu que la manière selon laquelle lui-même et le MDN avaient évalué l'exigence d'« indication claire » n'était pas le facteur déterminant de la décision quant au choix du soumissionnaire à recommander en vue de l'adjudication du contrat. TPSGC a soutenu que les trois propositions avaient toutes fait l'objet de la même évaluation et que, par conséquent, il ne peut être dit qu'un préjudice a été causé à un soumissionnaire ou qu'un soumissionnaire a été injustement traité. TPSGC a de plus soutenu qu'il est dans l'intérêt public d'assurer que la Couronne reçoive la meilleure valeur et que le maintien du contrat passé avec Seprotech, le soumissionnaire le moins disant, procure la meilleure valeur.

En ce qui a trait à l'interprétation de l'exigence d'« indication claire » retenue par le Tribunal, TPSGC a soutenu que les éléments de preuve devant le Tribunal, et plus précisément les lettres d'intention soumises dans la proposition de ZENON, pouvaient facilement faire l'objet d'une vérification par renvoi aux fournisseurs qui sont des OEM approuvés et qui sont désignés dans les dessins de contrôle à la source. TPSGC a de plus soutenu qu'il est évident, sans nouvelle évaluation formelle, que l'exercice d'une vérification par renvois peut montrer que ZENON n'a pas soumis de lettres d'intention relativement à chacun des fournisseurs approuvés désignés dans les dessins de contrôle à la source.

TPSGC a soutenu qu'il incombe à l'entité acheteuse de définir les exigences énoncées dans la DP. Il a donc soutenu que, dans les cas où le Tribunal détermine qu'une exigence, telle qu'elle est définie, présente une certaine ambiguïté, la mesure corrective indiquée est de soit retirer l'exigence irrégulière aux fins de l'évaluation des propositions soit, à titre de solution de rechange, permettre à l'entité acheteuse de définir correctement ses exigences dans le cadre d'un nouvel appel d'offres limité portant sur les exigences techniques.

TPSGC a soutenu que la capacité de Seprotech, de ZENON et de Peacock d'exécuter le travail requis aux termes du contrat n'est pas et n'a jamais été une question en litige dans la présente plainte. Il a soutenu que les trois soumissionnaires ont tous été évalués comme ayant fait la preuve de leur capacité technique d'exécuter le travail. Toutefois, TPSGC a ajouté que la résiliation d'un contrat ne peut se faire s'il n'existe pas de contrat de remplacement et qu'il faudra un certain temps pour appliquer toute recommandation portant sur la réévaluation ou le lancement d'un nouvel appel d'offres, y compris le processus administratif d'approbation d'un nouveau contrat d'une telle valeur.

TPSGC a soutenu que, si le Tribunal est d'avis que soit une nouvelle évaluation soit le lancement d'un nouvel appel d'offres est nécessaire, la procédure de nouvelle évaluation ou de lancement d'un nouvel appel d'offres doit inclure Seprotech, ZENON et Peacock parce que ces soumissionnaires ont tous les trois été également touchés par la manière dont l'exigence d'« indication claire » a été évaluée. TPSGC a de plus soutenu que, en ce qui a trait à l'ambiguïté et à l'incertitude persistantes relatives à l'interprétation de l'exigence d'« indication claire » et compte tenu du fait que la Couronne peut acheter des composants de ADOIBN directement des OEM, il y a lieu d'exclure d'une nouvelle évaluation le critère de l'« indication claire ».

Position de Peacock

Peacock a soutenu qu'il est clair que les trois soumissionnaires ont tous interprété différemment le contenu de la liste définitive des OEM visés dans l'exigence d'« indication claire ». Elle a soutenu que la confusion issue du manque de précision de la DP porte clairement atteinte à l'intégrité de la procédure de passation du marché public et constitue une irrégularité grave de ladite procédure. Elle a aussi soutenu que la rédaction médiocre de la disposition sur l'« indication claire » avait eu une incidence négative sur toutes les parties en cause et que, par conséquent, la mesure corrective initialement proposée par le Tribunal ne serait pas, dans les faits, celle qui corrigerait de la manière la mieux indiquée la situation qui prévaut.

Peacock a soutenu que, si la DP initiale n'avait pas été ambiguë, il aurait été logique que TPSGC résilie le contrat adjugé au fournisseur non conforme et évalue de nouveau les soumissions des autres fournisseurs. Toutefois, elle a soutenu que l'espèce présente un caractère plus complexe, en ce sens que la DP n'était pas claire en premier lieu et n'a pas fait l'objet d'une modification qui l'aurait rendue plus claire en deuxième lieu et que, de ce fait, il est impossible de déterminer avec précision quelle soumission est la plus conforme.

Peacock a soutenu que, si la mesure corrective initialement proposée par le Tribunal est maintenue et s'il advient que ZENON ou Peacock, ou les deux, ne sont pas conformes à l'aspect contesté de la disposition sur l'« indication claire », les parties se retrouveront en position de contester l'évaluation et l'application de la disposition ambiguë. Peacock a ajouté qu'une telle situation ne profiterait ni aux fournisseurs potentiels ni à TPSGC et au MDN et, en fait, continuerait de porter préjudice à toutes les parties en cause.

En ce qui a trait à l'alinéa 30.15(3)a) de la Loi sur le TCCE, Peacock a soutenu que l'irrégularité dans la procédure de passation du marché public était grave à deux égards : premièrement, elle a causé un préjudice à l'intégrité de la procédure de passation du marché public et, deuxièmement, en raison de l'ambiguïté, les réponses à la DP reçues par TPSGC n'étaient vraisemblablement pas les plus précises eu égard aux critères d'évaluation et de conformité appliqués par TPSGC et le MDN. En ce qui concerne l'alinéa 30.15(3)b), Peacock a soutenu que l'ambiguïté de la disposition sur l'« indication claire » a causé un préjudice aux fournisseurs potentiels en les privant de l'occasion de répondre correctement et complètement à la DP et, de ce fait, leur a causé un préjudice financier. En ce qui a trait au paragraphe 30.15(3)c), Peacock a soutenu que l'intégrité à la procédure de passation du marché public avait subi un préjudice important.

Peacock a soutenu que, en ce qui a trait au degré d'exécution du contrat jusqu'à ce jour, la nature du travail requis dans la DP est telle que, dans le cas des sociétés qui ont déjà de l'expérience en fabrication, essai et service de soutien de matériel de procédé, il n'est pas nécessaire d'investir considérablement en infrastructure ou en ingénierie et que, en réalité, la seule préparation nécessaire à l'exécution du travail consiste à disposer des pièces nécessaires en stock et du personnel correctement formé.

Enfin, Peacock a soutenu que, pour corriger la situation actuelle, et étant donné les mesures correctives disponibles aux termes de la Loi sur le TCCE, la seule conclusion logique est le lancement d'un nouvel appel d'offres pour le contrat spécifique. Elle a soutenu qu'une telle mesure corrective redonnerait son intégrité à la procédure de passation du marché public et rétablirait aussi des règles du jeu justes et équitables pour toutes les parties en cause dans la présente affaire.

Position de Seprotech

En ce qui a trait à la gravité de toute irrégularité dans la procédure de passation du marché public, Seprotech a soutenu que les décisions de TPSGC et du MDN selon lesquelles sa soumission comprenait une « indication claire » ne représentent pas, à son avis, une irrégularité grave. Elle a soutenu que l'expression clé dans la DP, « indication claire », comme l'a reconnu la Cour, était ambiguë. Elle a de plus soutenu que la DP n'était pas suffisamment précise quant à quelles pièces nécessitaient quelle forme d'assurance pour que la soumission soit conforme et a ajouté que, si la DP avait été plus claire sur ce que les soumissionnaires devaient faire pour montrer que les pièces requises étaient disponibles, l'irrégularité aurait alors été peut-être plus grave, mais que cela n'avait clairement pas été le cas en l'espèce.

Seprotech a soutenu que, à son avis, le préjudice causé aux autres soumissionnaires était mineur. Elle a ajouté qu'elle s'était fondamentalement conformée aux exigences énoncées dans la DP. Seprotech a fait valoir que la Cour suprême du Canada a souligné que, lorsqu'une soumission est fondamentalement conforme et que l'irrégularité ou l'omission n'a pas d'incidence importante sur l'équité de la procédure de passation du marché public ou les résultats de l'évaluation, elle ne doit pas être rejetée pour le motif d'une irrégularité mineure qu'elle pourrait contenir5 . Seprotech a de plus soutenu que le préjudice causé aux autres parties aurait pu être plus important si la DP avait clairement énoncé que les soumissionnaires étaient tenus de déposer des lettres d'autorisation provenant des fournisseurs qui, d'une façon similaire, étaient clairement désignés. Elle a soutenu que, en l'espèce, l'ambiguïté latente de la DP avait amené tous les soumissionnaires à répondre d'une manière différente.

Seprotech a soutenu que, depuis le dépôt de la plainte, elle était partie à un litige prolongé et coûteux ayant trait à un contrat pour lequel elle avait clairement offert la meilleure valeur et montré sa capacité d'exécuter les services requis. Elle a ajouté qu'il n'est pas exagéré de dire que le contrat pour les ADOIBN est d'une importance fondamentale pour son bien-être économique et celui de ses employés. En outre, elle a soutenu que le préjudice économique qui lui sera porté advenant la résiliation du contrat sera spectaculaire.

Seprotech a soutenu que, advenant la résiliation du contrat, elle perdra une part du marché et la capacité de livrer concurrence sur le marché, subira une baisse de rentabilité importante et devra mettre fin à l'emploi de personnel technique. Elle a aussi soutenu que la résiliation du contrat porterait un préjudice grave à la capacité opérationnelle du MDN. De plus, elle a soutenu que, si les soumissions restantes sont réévaluées conformément à la recommandation initiale, il se pourrait que ces soumissions ne soient ni l'une ni l'autre conformes et que le MDN se retrouve alors privé de tout service sur place.

En ce qui concerne l'ampleur du préjudice causé à l'intégrité et à l'efficacité de la procédure de passation du marché public, Seprotech a soutenu que, si le contrat avait été adjugé à un soumissionnaire dont la soumission présentait une irrégularité grave ou qui ne possédait pas les titres ou la capacité d'exécuter le travail requis, alors un préjudice aurait pu être causé. Mais tel n'a pas été le cas en l'espèce. Ni l'intégrité ni l'efficacité de la procédure de passation du marché public en régime de concurrence n'ont subi un préjudice du fait de la conclusion de TPSGC et du MDN selon laquelle la soumission de Seprotech était conforme. Elle a soutenu que les fonctionnaires de TPSGC et du MDN avaient agi de bonne foi.

Eu égard à la mesure dans laquelle le contrat a déjà été exécuté, Seprotech a soutenu qu'elle a pu obtenir l'équipement indiqué dans ses documents de soumission et qu'il n'existe pas de pièce qu'elle ne peut obtenir. Elle a soutenu que, jusqu'à présent, elle a reçu trois ADOIBN et que le travail achève. Il est prévu que d'autres unités feront l'objet d'un travail de réparation/révision dans un très proche avenir.

Seprotech a soutenu qu'une recommandation du Tribunal visant le lancement d'un nouvel appel d'offres soulèverait une foule de difficultés. À titre d'exemple, elle a soutenu que TPSGC devrait examiner quelle serait la nature de toute assurance en provenance des soumissionnaires ou la question de savoir si une assurance en provenance de fournisseurs précisés serait même nécessaire; les documents de soumission devraient énoncer plus clairement quels composants requis devraient faire l'objet de quelle forme d'assurance et où les composants désignés pourraient être obtenus.

Seprotech a soutenu que, puisque l'exécution du contrat est bien engagée, la mesure corrective indiquée serait de lui permettre de continuer le travail et de prévoir une indemnité pour ZENON en reconnaissance des frais que cette dernière avait engagés relativement à la préparation d'une soumission et à la plainte. Seprotech a soutenu que toute autre mesure corrective serait démesurément sévère en ce sens qu'elle punirait Seprotech, lui portant un dommage irréparable.

Dans ses observations en réponse, datées du 10 mars 2003, Seprotech a soutenu que ZENON affirme, dans son exposé, que la non-conformité à une exigence obligatoire, peu importe l'ampleur, petite ou grande, exige automatiquement le rejet d'une soumission ou la résiliation du contrat. Seprotech a soutenu qu'il est déraisonnable de s'attendre à ce que chaque petite omission (dénuée d'importance) dans une soumission entraîne son rejet automatique. Elle a soutenu qu'un tel critère impose un niveau de discipline en matière de marchés publics qu'il est tout simplement impossible d'atteindre. Advenant que le Tribunal estime qu'il est indiqué de lancer un nouvel appel d'offres, Seprotech a exhorté le Tribunal à tenir compte du fait que tous les soumissionnaires connaissent le prix qu'elle a soumis et qu'un préjudice grave lui serait de ce fait causé.

Position de ZENON

ZENON a soutenu que le Tribunal et la Cour ont établi de manière concluante que la soumission de Seprotech est non conforme et que, par conséquent, le contrat est présentement exécuté par un soumissionnaire non conforme et, de plus, que TPSGC contrevient de façon flagrante aux dispositions de la DP en continuant d'attribuer du travail à Seprotech. Elle a soutenu que TPSGC devrait résilier le contrat qui existe pour des raisons de commodité et adjuger le contrat au soumissionnaire conforme gagnant.

ZENON a soutenu que la Cour a conclu que TPSGC avait procédé à une modification de soumission inadmissible en se fiant à des renseignements reçus d'autres sources que les documents de soumission de Seprotech pour évaluer ladite soumission et que le contrat avait été adjugé à un soumissionnaire non conforme. Selon ZENON, cela était manifestement injuste pour les autres soumissionnaires et constituait un écart fondamental aux exigences de la DP.

ZENON a soutenu que, par définition, les critères obligatoires sont particulièrement cruciaux relativement au besoin et qu'il n'y a pas de « non-conformité d'importance secondaire » dans le cas d'un critère obligatoire. À titre d'exemple, elle a soutenu que, même si une soumission est cotée un seul point sous le seuil obligatoire prescrit, cette soumission est toujours non conforme. ZENON a de plus soutenu qu'une soumission ne peut être classée que dans une de deux catégories possibles : elle est soit conforme soit non conforme. Une soumission qui est non conforme est inadmissible aux fins d'examen ultérieur.

ZENON a soutenu qu'un préjudice grave et persistant lui a été causé du fait qu'elle a été privée de l'occasion de remporter le contrat. Elle a soutenu qu'elle sera obligée de réduire le nombre de spécialistes qu'elle gardait parmi ses effectifs dans l'attente de se voir décernée le contrat. De plus, elle a soutenu que, si elle est injustement privée de l'occasion de remporter le contrat, une décision de lui accorder le versement de dommages-intérêts ne peut l'indemniser du dommage qui lui sera causé.

ZENON a soutenu que l'une des obligations légales les plus fondamentales de TPSGC est de mener l'évaluation en conformité avec les critères énoncés dans la DP et, de plus, que cette obligation est essentielle au maintien de l'intégrité de la procédure de passation du marché public et de la confiance du public à l'endroit de cette dernière. Elle a soutenu que toute mesure corrective autre que la résiliation du contrat accordé à Seprotech n'a pas pour résultat le « respect des exigences de la DP » et n'atteint pas l'objectif du maintien de l'intégrité de la procédure. Selon ZENON, permettre à Seprotech de conserver un contrat qui n'aurait pas dû lui être attribué équivaut à tolérer les écarts aux exigences obligatoires de la DP et à faire disparaître l'obligation d'équité due aux autres soumissionnaires conformes, en plus de saper la certitude et la transparence de la procédure de passation du marché public et d'aller à l'encontre de l'intérêt public.

ZENON a soutenu que, en permettant que soit maintenue l'adjudication du contrat à Seprotech, le Tribunal validerait l'adjudication d'un contrat par TPSGC, à la lumière d'autres critères que les critères diffusés dans la DP, et faillirait à son devoir qui est de faire respecter les obligations qu'impose à TPSGC le paragraphe 506(6) de l'ACI.

Dans ses observations en réponse, datées du 10 mars 2003, ZENON a soutenu avoir déjà investi considérablement de temps et d'énergie dans la préparation et le dépôt d'une soumission et avoir droit à une évaluation correcte de sa soumission avant tout lancement d'un nouvel appel d'offres.

ZENON a soutenu que, sous l'angle du préjudice économique, l'exposé de Seprotech est principalement axé sur la perte des recettes tirées du contrat. ZENON a soutenu que ce n'est pas en cela que réside le préjudice causé puisque Seprotech n'avait pas droit à cette source de recettes en premier lieu. Elle a ajouté que Seprotech demeure libre de rechercher d'autres occasions commerciales et soumissionner pour remporter d'autres projets peu importe ce qui se passe dans le cas du contrat des ADOIBN.

ZENON a soutenu que le contrat n'a pas été exécuté à un degré tel que la résiliation en serait rendue impossible et que le travail présentement effectué par Seprotech peut facilement être transféré à un autre entrepreneur. ZENON a soutenu que TPSGC a implicitement reconnu qu'un transfert est possible lorsqu'il a proposé le lancement d'un nouvel appel d'offres au nombre des mesures correctives possibles, puisque cette mesure pourrait donner lieu à un changement de fournisseur.

ZENON a dit être d'accord sur le fait que le lancement d'un nouvel appel d'offres n'est pas une option indiquée, mais pas pour les mêmes raisons que celles avancées par Seprotech. Elle a soutenu que le lancement d'un nouvel appel d'offres devrait être envisagé seulement lorsque la procédure de passation du marché public, dûment complétée, ne débouche pas sur l'adjudication d'un contrat.

ZENON a soutenu que le Tribunal n'a pas compétence pour « annuler » une exigence obligatoire de la DP et que, dans nombre de décisions antérieures, le Tribunal a déclaré que l'entité fédérale définit ses propres exigences. ZENON a de plus soutenu que l'exigence figure dans la DP et a été interprétée par le Tribunal, que la Cour a confirmé cette interprétation et qu'il n'y a aucun motif de maintenant proposer que l'exigence soit « annulée » ou qu'il n'en soit pas tenu compte dans le cadre d'une nouvelle évaluation.

En ce qui concerne la question de l'ambiguïté, ZENON a soutenu que, durant la procédure de passation du marché public, aucun soumissionnaire n'a exprimé de préoccupations dans le sens que l'incertitude relative à l'exigence était trop grande pour qu'il puisse soumissionner. ZENON a ajouté que le problème diagnostiqué relativement à la procédure n'était pas que les soumissionnaires ne comprenaient pas l'exigence; le problème était que, pour des raisons qui lui étaient propres, Seprotech n'a pas inclus les documents requis avec sa proposition. ZENON a soutenu qu'il s'agit là d'une erreur de la part de Seprotech qui n'a rien à voir avec toute présumée « ambiguïté » dans la formulation des exigences.

Enfin, ZENON a soutenu qu'une recommandation portant sur le lancement d'un nouvel appel d'offres n'est pas indiquée et qu'elle veut obtenir, et qu'elle a droit de recevoir, une évaluation équitable de cette proposition avant qu'il ne soit question d'envisager le lancement d'un nouvel appel d'offres. De plus, ZENON a demandé une « indemnité spéciale » en reconnaissance de l'ampleur du préjudice qui lui a été causé et qui a été causé à l'intégrité de la procédure.

DÉCISION DU TRIBUNAL

La Cour, ayant accueilli en partie la demande de contrôle judiciaire de Seprotech et de TPSGC, a renvoyé la question au Tribunal en l'enjoignant à exercer une fois encore son pouvoir discrétionnaire concernant la mesure corrective appropriée en l'espèce et à donner les motifs de sa recommandation.

Le contrat a été accordé sur une base « au fur et à mesure des besoins » et le Tribunal, en rendant sa décision initiale sur la mesure corrective, a donc estimé qu'il était tout à fait possible qu'aucun travail n'avait encore été confié et que la résiliation ne serait pas une recommandation difficile à mettre en _uvre. De même, le Tribunal n'a pas envisagé qu'il y aurait un retard important entre la résiliation recommandée du contrat passé avec Seprotech et une nouvelle évaluation des deux autres soumissions. Après le contrôle judiciaire, le Tribunal dispose de nouveaux éléments de preuve. Seprotech a effectivement commencé à effectuer du travail dans le cadre dudit contrat. Cela, en soi, aurait bien pu ne pas faire de différence sous l'angle de la mesure corrective recommandée par le Tribunal. Toutefois, d'autres facteurs qui sont ressortis dans le cadre du contrôle judiciaire amènent le Tribunal à modifier la mesure corrective recommandée.

Un but central de l'enquête du Tribunal avait été de déterminer si TPSGC avait accordé le contrat à un soumissionnaire qui ne satisfaisait pas aux exigences obligatoires, contrairement au paragraphe 506(6) de l'ACI. Nécessairement, cela signifiait qu'il fallait interpréter l'expression « indication claire » au sens de l'annexe « A » de la DP. Le Tribunal a interprété l'expression « indication claire » comme signifiant qu'il fallait avoir une confirmation écrite provenant des OEM ou de leurs fournisseurs ou agents pour les composants qui n'étaient pas rapidement et facilement obtenus auprès des fournisseurs commerciaux ou qui n'étaient pas fabriqués par le soumissionnaire lui-même. La Cour a conclu que, « étant donné la formulation et le but de l'exigence mal rédigée d'"indication claire", l'interprétation de celle-ci faite par le Tribunal n'était pas manifestement déraisonnable ».

L'univers des « composants requis pour effectuer le travail » qui allait être assujetti à l'exigence d'« indication claire » n'a jamais été mis en doute ni durant l'enquête ni durant l'évaluation initiale. Toutes les parties ont implicitement accepté (et le fait est ressorti clairement du dossier) que les évaluateurs du MDN possédaient la compétence technique spécialisée et la connaissance du marché public nécessaires pour déterminer quels composants revêtaient un caractère suffisamment critique pour qu'une indication claire de la disponibilité de leur approvisionnement soit requise par rapport à ceux pour lesquels une telle indication claire n'était pas nécessaire. En réalité, TPSGC, dans son évaluation initiale, a jugé que ZENON et Peacock, de même que Seprotech, étaient conformes à cet égard.

Le Tribunal a tenté le mieux possible de décrire les composants critiques d'une façon générique dans le corps de sa décision, qui précise notamment ce qui suit :

Essentiellement, il s'agit des composants qui sont désignés dans les dessins de contrôle à la source où l'on précise les noms et les adresses des OEM approuvés. Pour ce qui est des composants qui sont rapidement et facilement obtenus auprès des fournisseurs commerciaux, à savoir, les produits courants offerts dans le commerce ou figurant dans les catalogues ou les composants qui sont fabriqués par le soumissionnaire lui-même, un simple énoncé du soumissionnaire affirmant qu'ils sont rapidement et facilement obtenus constitue une indication claire de leur accessibilité6 .

Dans sa décision initiale, le Tribunal a délibérément omis de lier l'exigence obligatoire d'indication claire aux dessins de contrôle à la source où l'on précisait les noms et adresses des OEM. Plutôt, le Tribunal a recommandé que TPSGC résilie le contrat accordé à Seprotech et qu'il réévalue « uniquement le critère selon lequel il doit être clairement indiqué que les composants, qui ne sont pas rapidement et facilement obtenus auprès d'un fournisseur commercial ou qui ne sont pas fabriqués par le soumissionnaire lui-même ».

L'intention du Tribunal n'a jamais été, et il n'a jamais été proposé par les parties dans le cadre de l'enquête sur le marché public, que tous les composants désignés, dans les dessins de contrôle à la source où l'on précisait les noms et adresses des OEM approuvés, soient soumis à l'exigence d'« indication claire ». Le Tribunal a pris soin de préciser, à la fois dans le paragraphe cité ci-dessus et dans sa décision comme telle, que l'exigence ne s'appliquait pas aux composants qui étaient obtenus auprès d'un fournisseur commercial ou fabriqués par le soumissionnaire lui-même. Il aurait dû être évident que cette exception à l'exigence s'appliquait même si les composants étaient désignés dans les dessins de contrôle à la source et que les noms et adresses des OEM y étaient précisés. Autrement dit, malgré l'ambiguïté à l'annexe « A » de la DP quant à l'univers des composants auxquels il était prévu que l'exigence d'« indication claire » devait s'appliquer, il a été compris que l'exigence ne s'appliquerait qu'aux seuls composants désignés par les évaluateurs du MDN comme étant critiques et qui soulevaient la question de la sécurité de leur approvisionnement. Le Tribunal était disposé à s'en remettre au consensus des parties sur ce point.

Toutefois, la portée d'application de l'exigence portant sur les composants critiques nécessaires est devenue une question importante dans le cadre du contrôle judiciaire. Invoquant non pas le libellé de la décision du Tribunal, mais plutôt un passage de la description des composants compris dans les motifs du Tribunal au sujet des composants pour lesquels une « indication claire » était nécessaire, TPSGC a soutenu que la soumission de la partie plaignante et la soumission des intervenantes devraient maintenant être rejetées, et non pas seulement celle de Seprotech. Cela a effectivement déplacé le c_ur du litige. Le c_ur du débat est alors devenu la question de savoir quels composants entraient dans la portée d'application de la disposition sur l'« indication claire » énoncée dans la DP, et quels composants n'y entraient pas. La Cour a conclu que la disposition était « mal rédigée » et « ambiguë » et a conclu à la possibilité que ni la soumission de ZENON ni celle de Peacock ne soient déclarées conformes dans le cadre de la nouvelle évaluation en raison de « l'incertitude relative à la question de savoir précisément quels composants, parmi ceux spécifiés dans les centaines de pages techniques accompagnant la DP, faisaient l'objet d'une assurance écrite de disponibilité ». Ainsi qu'il a déjà été indiqué, puisque le Tribunal avait envisagé une nouvelle évaluation d'une portée très limitée, et non pas une évaluation qui obligerait les évaluateurs du MDN à parcourir de nouveau les centaines de pages techniques accompagnant la DP, et puisqu'une telle voie n'est plus possible étant donné qu'il n'y a plus maintenant de consensus chez les parties à savoir pour quels composants une « indication claire » est requise, le Tribunal est d'avis que la mesure corrective initiale n'est plus apte à être mise en pratique.

MESURE CORRECTIVE

Dans sa recommandation d'une mesure corrective, le Tribunal doit tenir compte du paragraphe 30.15(3) de la Loi sur le TCCE, qui prévoit ce qui suit :

(3) Dans sa décision, le Tribunal tient compte de tous les facteurs qui interviennent dans le marché de fournitures ou services visé par le contrat spécifique, notamment des suivants :

a) la gravité des irrégularités qu'il a constatées dans la procédure des marchés publics;

b) l'ampleur du préjudice causé au plaignant ou à tout autre intéressé;

c) l'ampleur du préjudice causé à l'intégrité ou à l'efficacité du mécanisme d'adjudication;

d) la bonne foi des parties;

e) le degré d'exécution du contrat.

Dans sa décision initiale, le Tribunal a recommandé la résiliation du contrat et la réévaluation des soumissions restantes en raison de la gravité de l'irrégularité dans la procédure de passation du marché public de TPSGC, c.-à-d. l'adjudication du contrat à un soumissionnaire qui ne satisfaisait pas à toutes les exigences obligatoires, et plus précisément à l'exigence d'« indication claire », contrairement aux dispositions du paragraphe 506(6) de l'ACI. La Cour n'a pas été en désaccord sur le raisonnement du Tribunal quant à l'interprétation de l'expression « indication claire ». À la lumière de la décision de la Cour sur ce point, ce n'est pas la disposition sur l'« indication claire » en soi qui était ambiguë. Toutefois, la Cour a dit penser qu'il y avait d'autres mesures correctives possibles, étant donné notamment « l'importance de la non-conformité de Seprotech » à la disposition de la DP qui, en raison de l'incertitude à la question de savoir précisément quels composants faisaient l'objet d'une indication claire de disponibilité, a été jugée par la Cour comme étant une disposition ambiguë sous l'angle de son application.

En ce qui a trait à l'importance de la non-conformité de Seprotech, le Tribunal est d'accord sur les observations de ZENON selon lesquelles, peut-être mises à part des erreurs d'écritures et d'autres questions similaires d'importance minime, il n'existe pas d'infraction à une exigence obligatoire qui soit sans conséquence et dont l'importance soit mineure. Par définition, les exigences obligatoires sont exactement cela, obligatoires. De ce fait, tout écart disqualifie le soumissionnaire aux fins de l'adjudication du contrat. Pour le motif qui précède, le Tribunal conclut que la mesure corrective indiquée demeure toujours la résiliation du contrat attribué à Seprotech, sous réserve des conditions décrites ci-après.

Le Tribunal prend note du fait que Seprotech a fait valoir que la Cour suprême du Canada a déclaré, dans Ron Engineering et des affaires connexes7 , que lorsqu'une soumission est fondamentalement conforme, elle ne doit pas être rejetée du fait d'une irrégularité mineure qu'elle pourrait contenir. Toutefois, il est facile d'établir une distinction entre ces affaires et le marché public en l'espèce, puisqu'elles traitaient d'erreurs d'écritures ou d'erreurs techniques mineures qui n'avaient aucune incidence sur le marché public. Elles n'étaient pas censées s'appliquer aux affaires où un fait important avait été omis dans la soumission ou lorsque la Couronne avait imposé une exigence soumise à une stricte conformité dans la formulation des conditions de l'appel d'offres. Le Tribunal est d'avis que le défaut de Seprotech de fournir une assurance écrite de la disponibilité de l'approvisionnement des composants, comme l'exigeait la « disposition sur l'"indication claire" », était un fait important. De plus, il ressort clairement du libellé de la DP que la disposition était une exigence obligatoire. Elle est comprise à l'annexe « A » de la DP, sous la rubrique « PROPOSITION TECHNIQUE ». La « conformité technique » est décrite comme étant un facteur obligatoire dans le corps de la DP8 , où il est également précisé que « les questions ou écarts relatifs aux exigences obligatoires soulevés dans la soumission du fournisseur ne seront ni pris en considération ni acceptés, et rendront la soumission irrecevable » [traduction]. De plus, l'annexe « A » dispose aussi que « la proposition d'un soumissionnaire qui n'aura pas soumis une information suffisante pour permettre une évaluation technique complète sera déclarée irrecevable » [traduction]. De l'avis du Tribunal, TPSGC a donc effectivement imposé une exigence de stricte conformité et les affaires susmentionnées ne s'appliquent pas en l'espèce.

Plutôt que la nouvelle évaluation limitée recommandée dans la mesure initiale, le Tribunal est maintenant d'avis que le marché public doit faire l'objet d'un nouvel appel d'offres. Dans le cadre du contrôle judiciaire, la Cour a conclu à l'existence d'une « incertitude relative à la question de savoir précisément quels composants, parmi ceux spécifiés dans les centaines de pages techniques accompagnant la DP, faisaient l'objet d'une assurance écrite de disponibilité ». Le Tribunal est d'avis que cet aspect est devenu une irrégularité grave eu égard à la capacité du MDN et de TPSGC de procéder à une nouvelle évaluation du marché public tel qu'il est présentement.

TPSGC a même déclaré, au cours du contrôle judiciaire, ne pas pouvoir évaluer sa propre exigence obligatoire en raison de l'ambiguïté de la disposition sur l'« indication claire » qu'il avait rédigée. Il a aussi admis dans ses observations sur le renvoi que, même si une indication claire était une exigence obligatoire, elle « [n'était] pas essentielle aux fins de l'évaluation de la question de savoir si le soumissionnaire pouvait exécuter le travail prévu au contrat »9 [traduction]. Le lancement d'un nouvel appel d'offres s'en trouve d'autant plus justifié.

Dans son exposé, Seprotech a soutenu qu'elle subira un préjudice économique « spectaculaire » si le contrat est résilié. Même en admettant, à des fins de discussion, que tel pourrait bien être le cas, il demeure que Seprotech a remporté le marché par suite de la tenue d'une procédure de passation du marché public qui était viciée. Une exigence obligatoire n'a pas été satisfaite et, de l'avis du Tribunal, on n'a pas tenu compte de ladite exigence obligatoire dans le but de qualifier Seprotech. En outre, Seprotech a récolté les bénéfices économiques du marché public et continuera de les récolter jusqu'à la mise en place d'un nouveau contrat. Lesdits facteurs réduisent sensiblement la portée de l'affirmation de Seprotech concernant le préjudice. D'autre part, ZENON et Peacock, en raison de la procédure de passation du marché public viciée, ont toutes deux perdu l'occasion de d'abord remporter le contrat, puis d'en tirer ensuite un profit. Il s'agit là aussi d'une forme de préjudice.

Étant donné que le lancement d'un nouvel appel d'offres est une procédure d'une plus grande complexité que la nouvelle évaluation initialement recommandée et étant donné également que le Tribunal est au fait du besoin qu'a MDN de maintenir un état de préparation technique pour répondre aux obligations nationales et internationales du Canada, le Tribunal est d'avis que le contrat en vigueur doit être conservé par Seprotech jusqu'à la mise en place d'un nouveau contrat. Le Tribunal conclut que le gouvernement devrait avoir le pouvoir discrétionnaire de lancer le nouvel appel d'offres, dès qu'il sera pratiquement possible de le faire, et devrait utiliser son pouvoir discrétionnaire de manière à minimiser le retard et le risque. Le contrat ne devrait cependant pas être prolongé au-delà du calendrier initialement prévu qui se termine le 31 mars 2005.

À la lumière des exposés des parties, le Tribunal conclut que le contrat passé avec Seprotech n'a pas été exécuté à un degré tel que sa résiliation est impossible et est convaincu que le lancement d'un nouvel appel d'offres n'imposera pas un fardeau indûment onéreux au gouvernement eu égard à un changement de fournisseur s'il devient nécessaire. Par conséquent, le Tribunal conclut que le contrat devrait être résilié dès que le nouvel appel d'offres sera mené à terme.

L'alinéa 30.15(2)e) de la Loi sur le TCCE prévoit que le Tribunal peut recommander le versement d'une indemnité, dont il précise le montant, à la partie plaignante. Le Tribunal conclut que ZENON devrait recevoir une indemnité pour perte d'occasion, d'un montant égal au tiers du profit qu'elle aurait raisonnablement réalisé durant la période pendant laquelle le contrat en cause a été et est détenu par Seprotech et jusqu'à l'adjudication d'un nouveau contrat. Le Tribunal a évalué l'indemnité à verser au tiers du profit, étant donné que, à cause du caractère vicié de la procédure de passation du marché public, il est impossible de savoir clairement si ZENON aurait remporté le contrat.

Eu égard aux frais, le Tribunal n'accordera pas de frais pour la partie de la présente procédure qui se rapporte au renvoi, puisque le succès est également divisé entre les parties, et la décision du Tribunal, en date du 15 octobre 2002, d'accorder à ZENON le remboursement des frais raisonnables qu'elle avait engagés pour la préparation et le traitement de la plainte initiale, déposée auprès du Tribunal le 15 juillet 2002, demeure inchangée.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Pour les motifs qui précèdent, et aux termes des paragraphes 30.15(2) et 30.15(3) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal recommande, à titre de mesure corrective, que TPSGC lance un nouvel appel d'offres pour le marché public visé dans la plainte, conformément aux accords commerciaux applicables, dès qu'il sera pratiquement possible de le faire et avant l'exercice de tout droit de prorogation prévu au contrat en vigueur. Le Tribunal recommande aussi que le contrat en vigueur avec Seprotech soit maintenu jusqu'à ce que le nouvel appel d'offres soit mené à terme et qu'un nouveau contrat soit adjugé.

De plus, le Tribunal recommande que ZENON reçoive une indemnité pour perte d'occasion, d'un montant égal au tiers du profit qu'elle aurait raisonnablement réalisé durant la période pendant laquelle Seprotech détient le contrat en vigueur et jusqu'à ce que le nouvel appel d'offres soit mené à terme. Le point de départ du calcul du profit sera le pourcentage de la marge bénéficiaire normale de ZENON multiplié par la valeur réelle de l'utilisation du contrat jusqu'à l'adjudication d'un nouveau contrat.


1 . L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47 [Loi sur le TCCE].

2 . 18 juillet 1994, Gaz C. 1995.I.1323, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <http://www.intrasec.mb.ca/fre/it.htm> [ACI].

3 . Re plainte déposée par ZENON Environmental Inc. (15 octobre 2002), PR-2002-015 (TCCE).

4 . Seprotech Systems Inc. c. Peacock Inc., 2003 FCA 71 (C.A.F.).

5 . La Reine (Ont.) c. Ron Engineering, [1981] 1 R.C.S. 11 [Ron Engineering]; British Columbia v. SCI Shares & Constructors Inc. (1993), 22 B.C.A.C. 89 (C.A.).

6 . Supra note 3 aux pp. 7-8.

7 . Supra note 5.

8 . À la p. 6.

9 . Observations de TPSGC, 3 mars 2003 à la p. 6.