PORT WELLER DRY DOCKS, A DIVISION OF CANADIAN SHIPBUILDING & ENGINEERING LTD.

Décisions


PORT WELLER DRY DOCKS, A DIVISION OF CANADIAN SHIPBUILDING & ENGINEERING LTD.
Dossier no PR-2003-007


TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le lundi 14 juillet 2003

Dossier no PR-2003-007

EU ÉGARD À une plainte déposée par Port Weller Dry Docks, a division of Canadian Shipbuilding & Engineering Ltd., aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47;

ET SUITE À une décision d'enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte n'est pas fondée.

Pierre Gosselin
Pierre Gosselin
Membre présidant

Zdenek Kvarda
Zdenek Kvarda
Membre

Ellen Fry
Ellen Fry
Membre

Michel Granger
Michel Granger
Secrétaire

L'exposé des motifs suivra à une date ultérieure.

Date de la décision :

Le 14 juillet 2003

Date des motifs :

Le 13 août 2003

   

Membres du Tribunal :

Pierre Gosselin, membre présidant

 

Zdenek Kvarda, membre

 

Ellen Fry, membre

   

Agent principal d'enquête :

Daniel Chamaillard

   

Conseiller pour le Tribunal :

Roger Nassrallah

   

Partie plaignante :

Port Weller Dry Docks, a division of Canadian Shipbuilding & Engineering Ltd.

   

Institution fédérale :

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

   

Conseillers pour l'institution fédérale :

Christianne M. Laizner

 

Susan D. Clarke

 

Ian McLeod

Ottawa, le mercredi 13 août 2003

Dossier no PR-2003-007

EU ÉGARD À une plainte déposée par Port Weller Dry Docks, a division of Canadian Shipbuilding & Engineering Ltd., aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47;

ET SUITE À une décision d'enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

EXPOSÉ DES MOTIFS

PLAINTE

Le 14 avril 2003, Port Weller Dry Docks, a division of Canadian Shipbuilding & Engineering Ltd. (Port Weller), a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur 1 . La plainte porte sur le marché public (invitation no W8483-01GD01/A) passé par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) sous forme de lettre d'intérêt (LI) pour la fourniture de services de radoub du NCSM Preserver2 au nom du ministère de la Défense nationale (MDN).

Port Weller, un fournisseur potentiel situé à St. Catharines (Ontario) a soutenu qu'on lui a refusé l'occasion de soumissionner le marché public, parce que l'invitation était restreinte à des fournisseurs de l'Est du Canada, jusqu'à Montréal (Québec). Elle a de plus soutenu que le navire devant faire l'objet du radoub est capable de passer par la Voie maritime du Saint-Laurent (la Voie maritime) et se rendre jusqu'aux installations de cale sèche de Port Weller, avec un élément de risque acceptable.

À titre de mesure corrective, Port Weller a demandé que l'occasion lui soit donnée de soumissionner le marché public et que sa proposition soit évaluée équitablement.

Le 20 mai 2003, TPSGC a déposé un rapport de l'institution fédérale (RIF) auprès du Tribunal. Port Weller a déposé ses observations sur le RIF le 2 juin 2003. Le 11 juin 2003, TPSGC a demandé que le Tribunal accepte de recevoir d'autres observations sur de nouveaux éléments de preuve présentés par Port Weller dans ses observations sur le RIF. Le Tribunal a accepté ces observations de TPSGC et a fixé au 27 juin 2003 la date limite pour le dépôt d'autres observations en réponse par Port Weller. Aucune autre observation en réponse n'a été reçue.

La quantité des renseignements au dossier étant suffisante pour déterminer le bien-fondé de la plainte, le Tribunal a décidé qu'une audience n'était pas nécessaire et a statué sur la plainte sur la foi des renseignements au dossier.

PROCÉDURE DE PASSATION DU MARCHÉ PUBLIC

Une LI, portant le 25 avril 2003 comme date de clôture, a été diffusée par TPSGC au nom du MDN le 4 avril 2003, dans le but de procéder à la sélection préalable des soumissionnaires relativement au besoin de radoub du NCSM Preserver. La page 1 de la LI prévoit ce qui suit :

En conformité avec la Politique sur l'approvisionnement en matière de construction navale de 1996 et sous réserve d'une concurrence suffisante, pour le présent marché, la stratégie de sélection du fournisseur sera restreinte aux entreprises de l'Est du Canada, jusqu'à Montréal (Québec).

[Traduction]

POSITIONS DES PARTIES

Position de Port Weller

Port Weller a soutenu que l'Administration de la voie maritime du Saint-Laurent (l'Administration de la voie maritime) est d'avis que le NCSM Preserver peut passer dans la Voie maritime, sous réserve de certaines restrictions énumérées, et que les restrictions (modifications du bâtiment) n'ont pas un caractère onéreux et représentent simplement un accroissement du coût pour faire des affaires.

Selon Port Weller, la Voie maritime a, au cours des 10 dernières années, accru la largeur maximale autorisée pour les bâtiments, cette largeur étant passée de 76 à 78 pieds pour tous les bâtiments. Port Weller a ajouté que de nombreux navires de haute mer dont la coque est exagérément évasée circulent dans la Voie maritime tous les jours sans incident et qu'il n'y a pas de raison pour laquelle le NCSM Preserver ne pourrait pas faire de même si des précautions supplémentaires étaient prises.

Port Weller a soutenu que le travail de construction et de réparation de navires dans la Région des Grands Lacs est à son creux historique. Elle a aussi soutenu qu'il lui faut, de toute urgence, développer de nouveaux marchés au-delà de son territoire habituel d'activité. Elle a allégué que l'occasion d'obtenir un accès à tous les grands contrats disponibles est essentielle à la viabilité à long terme de ses installations. Port Weller a soutenu qu'elle ne croyait pas qu'une procédure d'appel d'offres en régime de concurrence véritable puisse s'accomplir en l'absence d'une soumission commerciale réaliste en provenance du groupe d'entreprises Canadian Shipbuilding & Engineering Ltd. Group (CSE), dont Port Weller est une division.

Port Weller a demandé que, si elle devait être déclarée le soumissionnaire retenu, le NCSM Preserver soit pris en charge par CSE à Montréal et a ajouté que, en présence de l'équipage de mécaniciens de la marine pour s'occuper de la propulsion du navire, CSE assumerait l'entière responsabilité du transport du navire de Montréal à St. Catharines et de son retour à Montréal une fois le radoub terminé.

Position de TPSGC

TPSGC a dit avoir restreint le travail de radoub aux entreprises situées à l'est de Montréal pour qu'il ne soit pas nécessaire de faire passer le NCSM Preserver dans le réseau d'écluses de la Voie maritime. Il a soutenu que, à la lumière de l'avis motivé et spécialisé de la Marine canadienne, le passage du NCSM Preserver dans le réseau d'écluses présente un risque inacceptable de dommage au NCSM Preserver et à la Voie maritime, un risque injustifié d'interférence avec le transport commercial maritime dans la Voie maritime et un risque à l'environnement.

Selon TPSGC, le NCSM Preserver n'a jamais circulé dans la Voie maritime et, pour tenter de réduire le risque de dommage à la coque du NCSM Preserver et à la structure de la Voie maritime, d'importantes modifications devraient être apportées au NCSM Preserver, un navire de ravitaillement qui n'est pas conçu pour passer dans la Voie maritime.

TPSGC a soutenu que, puisque la LI stipule que l'adjudication du contrat est prévue pour septembre 2003 et que le radoub devrait commencer en octobre 2003, le passage dans la Voie maritime ne pourrait commencer avant la fin de septembre 2003. Selon TPSGC, l'Administration de la voie maritime a imposé une restriction relative à la vitesse des vents, à 10 n_uds, ce qui signifie que le navire ne serait pas autorisé à passer dans le réseau d'écluses de la Voie maritime par vent dépassant 10 n_uds. Cette restriction relative à la vitesse du vent s'applique à toutes les écluses. En outre, selon TPSGC, les dossiers du ministère de l'Environnement montrent que, au cours des mois de septembre à novembre, la probabilité que la vitesse moyenne du vent dépasse 10 n_uds est de 70 p. 100 au lac Ontario. TPSGC a soutenu que les graves restrictions au déplacement du navire en raison de vents supérieurs à 10 n_uds auraient une incidence négative sur le calendrier du radoub.

Selon TPSGC, les fonctionnaires de la Marine canadienne entretiennent de nettes réserves quant à la suffisance de la profondeur d'eau relativement au tirant d'eau du NCSM Preserver. Plus particulièrement, la difficulté se pose sous les angles de l'accroupissement du navire et de la profondeur de l'eau. Selon son officier commandant, le NCSM Preserver, se déplaçant dans des conditions de man_uvre légère, à environ 5 n_uds dans les canaux aux abords des écluses, aurait un tirant d'eau arrière équivalant à 8,20 mètres, ce qui contrevient aux dispositions de la Voie maritime sur le tirant autorisé, à savoir 7,92 mètres. TPSGC a soutenu que, à la lumière de l'évaluation susmentionnée, le NCSM Preserver risquerait de s'échouer à l'entrée ou à la sortie des écluses de la Voie maritime.

TPSGC a soutenu que, pour que le radoub puisse se faire à Port Weller, le passage du navire dans la Voie maritime aurait lieu au début d'octobre 2003, une époque de l'année où la Voie maritime est achalandée du fait du transport commercial essentiel en prévision de sa fermeture durant les mois d'hiver. TPSGC a ajouté que le bâtiment, après le radoub, devrait repasser dans la Voie maritime en août 2004, une autre période occupée au plan du transport commercial. D'après TPSGC, la conception du navire, avec sa proue fortement évasée, l'absence de renforcement de sa coque, sa forte largeur et sa mâture élevée, pose un risque de dommage non seulement au navire lui-même, mais aussi à la Voie maritime, à ses structures et à de tierces parties. À cet égard, l'Administration de la voie maritime exige que le MDN assume la pleine responsabilité de tout dommage au navire, à la Voie maritime et à ses structures, indemnise la Voie maritime de toute réclamation de tierces parties pour préjudice corporel, dommage à la propriété et préjudice financier, et prenne l'engagement de payer les frais de tout litige éventuel.

TPSGC a soutenu que les officiers commandants des deux navires de ravitaillement du MDN qui possèdent des connaissances techniques spécialisées de la question du risque associé au passage dans la Voie maritime lui ont soumis des analyses détaillées écrites des risques qu'entraînerait, non seulement eu égard aux navires, mais aussi eu égard à la Voie maritime et à ses installations, un tel passage s'il devait être tenté.

TPSGC a soutenu que la restriction de la concurrence, relativement au besoin de radoub, aux seules entreprises de l'Est du Canada, jusqu'à Montréal, est autorisée en vertu de l'article 404 de l'Accord sur le commerce intérieur 3 (c.-à-d. la disposition sur les « Objectifs légitimes »). En outre, TPSGC a fait valoir que l'article 504 est assujetti à l'article 404 et que ces deux mêmes articles autorisent une mesure discriminatoire, s'il est satisfait aux conditions énoncées à l'article 404. À cet égard, TPSGC a soutenu que les éléments de preuve montrent clairement que la mesure restrictive a pour objet la réalisation de l'objectif légitime qui consiste à empêcher le passage du NCSM Preserver dans la Voie maritime à cause des préoccupations légitimes des fonctionnaires de la Marine canadienne et, par conséquent, qu'il s'agit d'une mesure permise en vertu de l'article 404.

TPSGC a soutenu que, en l'absence de preuve de mauvaise foi ou de motifs manifestement erronés, il n'entre pas dans la compétence du Tribunal de substituer son jugement à l'opinion des fonctionnaires de la Marine canadienne sur des questions de sécurité maritime. TPSGC a soutenu que, de toute façon, l'affirmation de Port Weller selon laquelle le passage du NCSM Preserver dans la Voie maritime présente un « élément de risque acceptable » est une affirmation dénuée de fondement. TPSGC a en outre soutenu qu'une telle affirmation ne tient pas compte de la nécessité de modifier le NCSM Preserver pour réduire le risque et ne tient pas compte non plus des dangers attribuables notamment à la conception, la taille et la man_uvrabilité du NCSM Preserver à l'occasion de son passage dans la Voie maritime.

TPSGC a soutenu que, de plus, la mesure restrictive énoncée dans la LI n'a pas pour effet d'entraver indûment l'accès des personnes, des produits, des services ou des investissements d'une partie qui atteint cet objectif légitime. Il a soutenu que, pour peu que les fournisseurs potentiels disposent d'installations de radoub situées dans l'Est du Canada, jusqu'à Montréal, l'invitation leur est ouverte. Par conséquent, d'après TPSGC, restreindre la concurrence, eu égard au besoin de radoub, aux entreprises situées dans l'Est du Canada, jusqu'à Montréal, est une mesure compatible avec les dispositions de l'ACI.

TPSGC a soutenu que la Couronne devrait obtenir le remboursement de ses frais liés à la défense de la plainte.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes de l'article 30.14 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal doit, lorsqu'il a décidé d'enquêter, limiter son étude à l'objet de la plainte. En outre, à la fin de l'enquête, le Tribunal doit déterminer la validité de la plainte en fonction des critères et procédures établis par règlement pour le contrat spécifique. L'article 11 du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics 4 prévoit de plus que le Tribunal est tenu de déterminer si le marché a été passé conformément aux accords commerciaux applicables, à savoir, en l'espèce, l'ACI 5 .

Port Weller prétend que l'exigence énoncée dans la LI, qui restreint la stratégie de sélection du fournisseur aux entreprises de l'Est du Canada, jusqu'à Montréal, est incompatible avec le paragraphe 504(2) de l'ACI, du fait qu'elle établit une discrimination entre les services et les fournisseurs de tels services, fondée sur leur province ou leur région d'origine données. L'exigence énoncée dans la LI prévoit ce qui suit :

En conformité avec la Politique sur l'approvisionnement en matière de construction navale de 1996 et sous réserve d'une concurrence suffisante, pour le présent marché, la stratégie de sélection du fournisseur sera restreinte aux entreprises de l'Est du Canada, jusqu'à Montréal (Québec).

[Traduction]

TPSGC soutient que, même si l'exigence susmentionnée semble incompatible avec les dispositions de l'ACI, elle est néanmoins permise en vertu de l'article 404 (« Objectifs légitimes ») de l'ACI.

L'article 504 de l'ACI prévoit en partie ce qui suit :

1. Sous réserve de l'article 404 (Objectifs légitimes), en ce qui concerne les mesures visées par le présent chapitre, chaque Partie accorde :

a. aux produits et aux services des autres Parties, y compris aux produits et services inclus dans les marchés de construction, un traitement non moins favorable que le meilleur traitement qu'elle accorde à ses propres produits et services;

b. aux fournisseurs de produits et de services des autres Parties, y compris aux produits et services inclus dans les marchés de construction, un traitement non moins favorable que le meilleur traitement qu'elle accorde à ses propres fournisseurs de tels produits et services.

2. Sous réserve de l'article 404 (Objectifs légitimes), le paragraphe 1 a pour effet d'interdire au gouvernement fédéral d'exercer de la discrimination :

a. entre les produits ou services d'une province ou d'une région, y compris entre ceux inclus dans les marchés de construction, et les produits ou services d'une autre province ou région;

b. entre les fournisseurs de tels produits ou services d'une province ou d'une région et les fournisseurs d'une autre province ou région.

3. Sauf disposition contraire du présent chapitre, sont comprises parmi les mesures incompatibles avec les paragraphes 1 et 2 :

a. l'application soit de conditions dans le cadre d'un appel d'offres, soit d'exigences en matière d'enregistrement ou encore de procédures de qualification fondées sur l'endroit où se trouve l'établissement d'un fournisseur, sur l'endroit où les produits sont fabriqués ou les services sont fournis, ou sur d'autres critères analogues.

Aux termes de l'article 200 de l'ACI, une « mesure » s'entend notamment des lois, règlements, directives, exigences, prescriptions, lignes directrices, programmes, politiques, pratiques administratives ou autres procédures. Par conséquent, l'exigence énoncée dans la LI est une « mesure » aux fins de l'article 504. Port Weller n'a pas contesté ce fait.

L'exigence énoncée dans la LI restreint explicitement la stratégie de sélection du fournisseur relative au présent marché public aux seules entreprises de l'Est du Canada, jusqu'à Montréal. Par conséquent, cette exigence est, à première vue, incompatible avec le paragraphe 504(2) de l'ACI, du fait qu'elle constitue l'exercice d'une discrimination entre les services et fournisseurs de tels services aux termes du marché en fonction de leur région d'origine donnée. Le Tribunal fait observer que cette exigence semble incompatible avec la politique de TPSGC. À cet égard, le paragraphe 5.104 de l'annexe A de la « Politique sur l'approvisionnement en matière de construction navale »6 de 1996 prévoit en partie qu'un avis de projet de marché doit porter la mention suivante :

Pour le présent marché, la stratégie de sélection du fournisseur sera restreinte à la zone d'origine [...] conformément à la Politique d'achats en matière de construction navale.

En outre, la Politique de 1996 établit seulement deux zones d'origine possibles : l'Est du Canada et l'Ouest du Canada. La Politique de 1996 décrit la zone d'origine désignée Est du Canada ainsi :

Est du Canada - Atlantique, Québec et Ontario.

De plus, le Tribunal fait observer que le paragraphe 5.108 de l'annexe A de la Politique de 1996 prévoit que les travaux de réparation, de radoub et de modernisation de navires, dont la valeur est supérieure à 25 000 $, feront l'objet d'une invitation à soumissionner dans la zone d'origine du navire, si la concurrence est suffisante. Par conséquent, le Tribunal fait observer que l'exigence restrictive énoncée dans la LI renvoie incorrectement à la stratégie de sélection du fournisseur comme une stratégie conforme à la Politique de 1996.

Ainsi qu'il a déjà été indiqué, le paragraphe 504(2) de l'ACI est toutefois assujetti à l'article 404.

L'article 404 de l'ACI prévoit ce qui suit :

Lorsqu'il est établi qu'une mesure est incompatible avec l'article 401, 402 ou 403, cette mesure est néanmoins permise par le présent accord si les conditions suivantes sont réunies :

a) la mesure a pour objet la réalisation d'un objectif légitime;

b) la mesure n'a pas pour effet d'entraver indûment l'accès des personnes, des produits, des services ou des investissements d'une Partie qui ne nuisent pas à la poursuite de cet objectif légitime;

c) la mesure ne restreint pas le commerce plus qu'il n'est nécessaire pour réaliser cet objectif légitime;

d) la mesure ne crée pas une restriction déguisée du commerce.7

En outre, l'article 400 de l'ACI prévoit que « les règles générales prévues par le présent chapitre ne s'appliquent qu'aux matières visées par la partie IV », qui comprend le Chapitre cinq sur les marchés publics.

Par conséquent, pour déterminer si l'exigence énoncée dans la LI est permise, en vertu de l'article 404 de l'ACI, le Tribunal doit d'abord déterminer que les éléments de preuves au dossier montrent qu'il est satisfait aux quatre conditions énumérées. La première de ces conditions est que la mesure a pour objet la réalisation d'un objectif légitime. L'article 200 définit « objectif légitime » comme l'un des objectifs suivants, poursuivis sur le territoire d'une partie :

a) la sécurité du public;

b) l'ordre public;

c) la protection de la vie ou de la santé des humains, des animaux ou des végétaux;

d) la protection de l'environnement;

e) la protection des consommateurs;

f) la protection de la santé, de la sécurité ou du bien-être des travailleurs;

g) les programmes de promotion sociale à l'intention des groupes défavorisés,

compte tenu notamment, s'il y a lieu, des facteurs géographiques fondamentaux, dont les facteurs climatiques, des facteurs technologiques ou liés à l'infrastructure, ou des justifications scientifiques.

Le Tribunal fait observer que, dans la décision du groupe spécial constitué en vertu de l'article 1704 de l'ACI, relativement à la Loi sur les additifs à base de manganèse 8 , le groupe spécial a réfuté « le fait que la prescription stipulée à l'article 404(a) est une simple exigence visant à démontrer que les législateurs ou les chefs décisionnels ont désigné l'objet comme étant un objectif légitime »9 . Le groupe spécial a affirmé qu'« [u]ne telle interprétation risque de permettre aux Parties d'invoquer l'argument des objectifs légitimes pour justifier l'adoption de mesures restrictives à l'égard du commerce, simplement en déclarant que la mesure vise à réaliser un objectif légitime »10 . Le Tribunal souscrit à l'affirmation susmentionnée et s'attendrait d'une entité acheteuse qu'elle fasse plus que simplement déclarer qu'une mesure discriminatoire donnée est un objectif légitime.

TPSGC a soutenu que le marché public est exclu en vertu de l'article 404 de l'ACI, puisque sa mesure restrictive vise à réaliser l'objectif légitime qui consiste à empêcher le passage dans la Voie maritime du NCSM Preserver en raison des préoccupations que les fonctionnaires de la Marine canadienne entretiennent relativement à la sécurité du navire (eu égard censément tant au bâtiment même qu'à son équipage) et au risque de dommage à l'infrastructure de la Voie maritime et à l'environnement, en raison du risque de déversement de pétrole11 .

Le Tribunal fait observer que la définition de l'expression « objectif légitime » prévoit qu'il peut être tenu compte, s'il y a lieu, de facteurs liés à l'infrastructure. The Canadian Oxford Dictionary définit « infrastructure » (infrastructure) comme « routes, ponts, égouts, etc., considérés comme le fondement économique d'un pays »12 [traduction]. La Voie maritime va de Montréal au lac Érié, sert de grand corridor de transport pour les navires et constitue la frontière internationale entre le Canada et les États-Unis sur une bonne partie de cette distance. Par conséquent, le Tribunal estime que la Voie maritime constitue une « infrastructure » et que son objet constitue un facteur lié à l'infrastructure.

Le Tribunal accueille les éléments de preuve de TPSGC selon lesquels, si le navire était transporté aux fins de radoub au-delà de Montréal jusqu'aux installations de cale sèche de Port Weller à St. Catharines, il y aurait risque d'accident grave, comme un échouement ou une collision avec une écluse ou un pont13 . Un tel accident pourrait bloquer le transport dans la Voie maritime ce qui, étant donné son caractère d'importante infrastructure pour le transport et le fait qu'elle constitue une partie de la frontière canado-américaine, pourrait entraîner des résultats inquiétants pour la sécurité publique14 . Un tel accident pourrait aussi causer un préjudice à des personnes se trouvant à bord du navire ou dans les environs. Par conséquent, le Tribunal est d'avis que la « sécurité et sûreté publiques » sont des objectifs visés par la mesure restrictive appliquée au marché public. Le Tribunal accueille aussi les éléments de preuve de TPSGC selon lesquels un accident durant le transport du navire pourrait entraîner un déversement de pétrole et un dommage à l'environnement15 . Le Tribunal estime donc que la « protection de l'environnement » est aussi un objectif visé par la mesure restrictive appliquée au marché public.

Par conséquent, le Tribunal conclut que la mesure énoncée par TPSGC, ayant pour effet d'empêcher le passage du NCSM Preserver dans la Voie maritime, avait pour objet de réaliser des objectifs légitimes. Le Tribunal fait observer que, même si Port Weller devait accepter d'assumer l'entière responsabilité liée au déplacement du navire en cas d'accident, le Tribunal accueille les observations de TPSGC selon lesquelles une telle hypothèse quant à la responsabilité n'efface pas le risque d'un accident grave.

Pour qu'il soit satisfait à la condition énoncée à l'alinéa 404b) de l'ACI, le Tribunal doit conclure, selon le libellé anglais de l'avis de cette disposition, que « the measure does not operate to impair unduly the access of . . . services . . . of a Party that meet that legitimate objective ».

Le sens du libellé anglais de cette disposition est plus clair à la lumière de son libellé français :

la mesure n'a pas pour effet d'entraver indûment l'accès [. . .] des services [. . .] d'une Partie qui ne nuisent pas à la poursuite de cet objectif légitime. [Soulignement ajouté]

Dans un tel contexte, le Tribunal estime que, relativement à un marché public, la condition énoncée à l'alinéa 404b) de l'ACI doit être interprétée en tant que sauvegarde contre l'établissement d'une mesure restrictive qui entraîne un effet excessif. Autrement dit, la restriction géographique ne doit pas avoir pour effet d'entraver « indûment » la participation à la procédure de passation du marché public par un soumissionnaire qui pourrait atteindre les objectifs de sécurité et de sûreté publiques et de protection de l'environnement. Les éléments de preuve indiquent que les préoccupations légitimes sont uniquement liées aux entreprises situées à l'ouest de Montréal et que ce sont uniquement les entreprises de cette catégorie qui seraient empêchées de soumissionner en vertu de la présente mesure restrictive. Par conséquent, il a été satisfait à la condition énoncée à l'alinéa 404b).

L'alinéa 404c) de l'ACI prescrit que la mesure « ne restreint pas le commerce plus qu'il n'est nécessaire pour réaliser [l'] objectif légitime ». Le critère ressemble à celui de la « restriction du commerce » prévu à l'article XX du GATT 1947 au sujet duquel le groupe spécial, dans États-Unis, L'article 337 de la Loi douanière de 1930, a déclaré :

Il était clair pour le Groupe spécial qu'une partie contractante ne peut justifier une mesure incompatible avec une autre disposition de l'Accord général en la déclarant « nécessaire » au sens de l'article XX d) si elle dispose d'une autre mesure dont on pourrait attendre raisonnablement qu'elle l'emploie et qui n'est pas incompatible avec d'autres dispositions de l'Accord général. De même, dans les cas où une mesure compatible avec d'autres dispositions de l'Accord général n'est pas raisonnablement disponible, une partie contractante a l'obligation d'utiliser, parmi les mesures dont elle dispose raisonnablement, celle qui comporte le moindre degré d'incompatibilité avec les autres dispositions de l'Accord général.16

D'une façon similaire, eu égard à l'alinéa 404c) de l'ACI, le Tribunal est d'avis que la mesure restrictive ne peut avoir une portée plus vaste qu'il n'est nécessaire pour réaliser l'objectif légitime. Le Tribunal conclut que la mesure satisfait à ce critère. L'objet de la mesure est d'empêcher le passage du navire dans la Voie maritime en raison du risque inévitable associé à un tel passage. En permettant le radoub du navire aussi loin vers l'ouest que Montréal, le point le plus à l'ouest où un bâtiment peut se rendre sans circuler dans la Voie maritime, le Tribunal est convaincu que TPSGC a veillé à ce que la mesure ne restreigne pas le commerce plus que nécessaire.

Enfin, le Tribunal doit évaluer si la mesure crée une « restriction déguisée du commerce » au sens de l'alinéa 404d) de l'ACI. Le Tribunal, ainsi qu'il a déjà été traité, est convaincu que TPSGC a imposé la mesure pour réaliser des objectifs légitimes. La portée de la mesure est très étroite, s'appliquant, effectivement, à un seul bâtiment sur les huit bâtiments du MDN basés à Halifax (Nouvelle-Écosse)17 . Par conséquent, le Tribunal conclut que ladite mesure a un effet très limité sur le commerce. Le Tribunal est donc convaincu qu'il a été satisfait aux conditions prévues à l'article 404.

Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal est d'avis que la restriction géographique satisfait aux conditions prévues à l'article 404 de l'ACI et est donc autorisée en vertu de l'ACI. Par conséquent, le Tribunal conclut que la plainte n'est pas fondée.

TPSGC a demandé le remboursement des frais qu'elle a engagés pour la défense de la plainte.

L'avis publié par TPSGC par l'intermédiaire du MERX prévoyait ce qui suit : « En conformité avec la Politique sur l'approvisionnement en matière de construction navale de 1996 et sous réserve d'une concurrence suffisante, pour le présent marché, la stratégie de sélection du fournisseur sera restreinte aux entreprises de l'Est du Canada, jusqu'à Montréal (Québec) » [traduction]. Ainsi qu'il a déjà été indiqué, cette stratégie de sélection du fournisseur déroge, en fait, à la Politique de 1996. Toutefois, d'après la manière dont il est renvoyé à la Politique de 1996, Port Weller aurait bien pu supposer, au vu de l'avis, que la dérogation apparente à la Politique de 1996 avait été faite par inadvertance et qu'elle était en droit de participer au présent marché public. En outre, l'avis publié par l'intermédiaire du MERX ne fait pas mention de la préoccupation de TPSGC selon laquelle la navigation, au-delà de Montréal, poserait un risque d'accident grave, ni des cas d'exception prévus à l'article 404 de l'ACI.

Selon le Tribunal, un fournisseur potentiel conclurait, d'une façon raisonnable, à la lecture de l'avis publié par l'intermédiaire du MERX que la restriction géographique pourrait être supprimée advenant l'absence d'une « concurrence suffisante ». Cependant, il ressort clairement des observations de TPSGC que la déclaration pertinente dans l'avis susmentionné portait à confusion, en ce sens que TPSGC prévoyait maintenir la restriction sans égard au caractère suffisant de la concurrence. Si l'avis publié par l'intermédiaire du MERX avait bien expliqué les raisons qui sous-tendaient la restriction, il est possible que la présente procédure aurait pu être évitée, puisque Port Weller n'aurait peut-être pas déposé de plainte ou que le Tribunal aurait pu ne pas accepter de faire enquête, le cas échéant. Le Tribunal n'accorde donc pas de frais à TPSGC.

DÉCISION DU TRIBUNAL

À la lumière de ce qui précède et aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal détermine que la plainte n'est pas fondée.


1 . L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47 [Loi sur le TCCE].

2 . Le NCSM Preserver est un navire de ravitaillement qui a une immense capacité de charge (13 250 tonnes de carburant, 510 tonnes de carburant d'aviation, 360 tonnes de cargaisons sèches et 300 tonnes de munitions) et sert à ravitailler, en mer, les bâtiments du groupe opérationnel en vivres, munitions, carburant, pièces de rechange et autres fournitures. Il est basé dans la zone du Canada Atlantique.

3 . 18 juillet 1994, Gaz. C. 1995.I.1323, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <http://www.intrasec.mb.ca/fre/it.htm> [ACI].

4 . D.O.R.S. /93-602.

5 . L'Accord de libre-échange nord-américain et l'Accord sur les marchés publics ne s'appliquent pas au présent marché public. Les services concernant l'entretien, la réparation, la modification, la reconstruction et l'installation d'équipements afférents aux navires (para. J019 de la section B de l'annexe 1001.1b-2) sont exclus de la portée du Chapitre 10 de l'Accord de libre-échange nord-américain. Les services relatifs à la construction navale et la réparation de navires ainsi que les services d'architecture et d'ingénierie s'y rapportant (note 4 de l'annexe 4) ne sont pas compris dans la portée de l'Accord sur les marchés publics.

6 . TPSGC, 30 décembre 1996 [Politique de 1996].

7 . Le paragraphe 500(3) de l'ACI prévoit que, « [p]our l'application de l'article 504, le renvoi à l'article 401, dans l'article 404 (Objectifs légitimes), constitue un renvoi à l'article 504 ». Les articles 401, 402 et 403 de l'ACI sont des dispositions générales sur la « Non-discrimination réciproque », le « Droit d'entrée et de sortie » et l'« Absence d'obstacles» respectivement.

8 . « Rapport du groupe spécial constitué en vertu de l'article 1704 concernant le différend entre l'Alberta et le Canada relativement à la Loi sur les additifs à base de manganèse » (12 juin 1998), 97/98-15-MMT-P058F (groupe spécial constitué en vertu de l'article 1704).

9 . Ibid. à la p. 9.

10 . Ibid. à la p. 9.

11 . Voir le RIF, para. 24 et la pièce 13.

12 . 1998, s.v. « infrastructure ».

13 . Voir le RIF, pièce 13.

14 . Dans ce contexte, le Tribunal fait observer que, depuis les événements du 11 septembre 2001, les agences gouvernementales des deux côtés de la frontière canado-américaine ont introduit un certain nombre de mesures détaillées pour accroître la sécurité de la Voie maritime et d'autres systèmes nationaux de transport. (Voir ministère des Transports, « Les Transports au Canada 2002 » à http://www.tc.gc.ca/pol/fr/rapport/anre2002/4B_f.htm.)

15 . Voir le RIF, pièce 13, où il est affirmé que le NCSM Preserver aura une capacité d'environ 4 500 mètres cubes de charge en carburant.

16 . 7 novembre 1989, IBDD S36/345, para. 5.26.

17 . Dernier paragraphe de la page 3 de la lettre du 11 juin 2003 du ministère de la Justice.