GOODFELLOW CLEANERS

Décisions


GOODFELLOW CLEANERS
Dossier no PR-2003-039


TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le mercredi 12 novembre 2003

Dossier no PR-2003-039

EU ÉGARD À une plainte déposée par Goodfellow Cleaners aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47;

ET À LA SUITE D'une décision d'enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte est fondée.

Aux termes des paragraphes 30.15(2) et 30.15(3) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande, à titre de mesure corrective, que le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux résilie l'offre à commandes délivrée à Britannia Cleaners and Coin Wash Ltd. résultant de l'invitation du 18 juillet 2003 et délivre une offre à commandes à Goodfellow Cleaners en fonction de la réponse de cette dernière à l'invitation initiale, close le 30 juin 2003.

Aux termes de l'article 30.16 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur accorde à Goodfellow Cleaners le remboursement des frais raisonnables qu'elle a engagés pour la préparation et le traitement de la plainte.

Richard Lafontaine
Richard Lafontaine
Membre présidant

Michel P. Granger
Michel P. Granger
Secrétaire

L'exposé des motifs suivra à une date ultérieure.

Date de la décision :

Le 12 novembre 2003

Date des motifs :

Le 17 novembre 2003

   

Membre du Tribunal :

Richard Lafontaine, membre présidant

   

Agent principal d'enquête :

Cathy Turner

   

Conseiller pour le Tribunal :

John Dodsworth

   

Partie plaignante :

Goodfellow Cleaners

   

Intervenante :

Britannia Cleaners and Coin Wash Ltd.

   

Institution fédérale :

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

   

Conseillers pour l'institution fédérale :

Ian McLeod

 

Christianne M. Laizner

 

Susan D. Clarke

Ottawa, le lundi 17 novembre 2003

Dossier no PR-2003-039

EU ÉGARD À une plainte déposée par Goodfellow Cleaners aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47;

ET À LA SUITE D'une décision d'enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

EXPOSÉ DES MOTIFS

PLAINTE

Le 13 août 2003, Goodfellow Cleaners (Goodfellow) a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur 1 à l'égard du marché public (invitation no W0002-02W050/A) passé par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) au nom du ministère de la Défense nationale (MDN) pour la fourniture de services de blanchisserie et de nettoyage à sec.

Goodfellow a allégué que TPSGC avait relancé le marché public de façon irrégulière, en contravention des dispositions de l'Accord sur le commerce intérieur 2 . Elle a soutenu que, avant l'adjudication de tout contrat et avant l'annulation formelle de la procédure d'invitation à soumissionner, TPSGC avait demandé d'autres soumissions sans annuler la réquisition initiale.

À titre de mesure corrective, Goodfellow a demandé au Tribunal de recommander que TPSGC résilie l'offre à commandes délivrée à Britannia Cleaners and Coin Wash Ltd. (Britannia Cleaners) et qu'une offre à commandes soit délivrée à Goodfellow en fonction de la réponse de cette dernière à la demande d'offre à commandes (DOC). À titre de solution de rechange, elle a demandé au Tribunal de recommander que TPSGC lui verse une indemnité d'un montant égal au profit qu'elle aurait réalisé durant la période visée par l'offre à commandes, tenant compte des années de renouvellement facultatif prévues à titre d'option, si une offre à commandes lui avait été délivrée. De plus, Goodfellow a demandé le remboursement des frais qu'elle a engagés pour la préparation et le traitement de la plainte.

Le 26 août 2003, le Tribunal a avisé les parties qu'il avait décidé d'enquêter sur la plainte, puisque cette dernière répondait aux exigences du paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et aux conditions énoncées au paragraphe 7(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics 3 . Le 28 août 2003, TPSGC a informé le Tribunal, par écrit, qu'une offre à commandes au montant de 180 000 $ avait été délivrée à Britannia Cleaners. Le 10 septembre 2003, le Tribunal a autorisé Britannia Cleaners à intervenir dans l'affaire. Le 22 septembre 2003, TPSGC a déposé un rapport de l'institution fédérale (RIF) auprès du Tribunal en application de l'article 103 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur 4 . Goodfellow a déposé ses observations sur le RIF auprès du Tribunal le 2 octobre 2003.

La quantité des renseignements au dossier étant suffisante pour déterminer le bien-fondé de la plainte, le Tribunal a décidé qu'une audience n'était pas nécessaire et a statué sur la plainte sur la foi des renseignements au dossier.

PROCÉDURE DE PASSATION DU MARCHÉ PUBLIC

Le 12 juin 2003, une DOC portant sur la fourniture de services de blanchisserie et de nettoyage à sec pour le MDN a été publiée par l'intermédiaire du MERX, Service d'appel d'offres électroniques du Canada. La DOC indiquait que la date de clôture des soumissions était le 30 juin 2003.

La DOC prévoit en partie ce qui suit :

Principe de sélection

Pour être jugée recevable, une soumission doit satisfaire à toutes les exigences obligatoires de la présente invitation. Les soumissions ne répondant pas à toutes les exigences obligatoires seront éliminées. On recommandera la soumission recevable la plus basse aux fins de l'adjudication du contrat ou de l'établissement d'une offre à commandes, selon le cas.

RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT

LA PRÉSENTE OFFRE À COMMANDES N'OBLIGE AUCUNEMENT L'ÉTAT À AUTORISER OU À COMMANDER L'ENSEMBLE OU UNE PARTIE DES BIENS, DES SERVICES, OU LES DEUX, OU À DÉPENSER LES MONTANTS ESTIMATIFS OU QUELQUE DENIER QUE CE SOIT. EN OUTRE, L'ÉTAT NE SERA REDEVABLE QUE POUR LES BIENS OU LES SERVICES COMMANDÉS, DANS LA PÉRIODE PRÉCISÉE DANS LE PRÉSENT DOCUMENT.

Modalités de l'offre à commandes

Conformément à la Loi sur le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux, L.C. 1996, c.16,

b) les instructions décrites dans la partie A des Instructions et conditions uniformisées 9403-6 (24/05/02) sont incorporées par renvoi à la présente demande d'offre à commandes et en font partie intégrante. Le fait de présenter une offre à commandes signifie que le proposant a lu ces instructions et qu'il accepte de s'y conformer; ainsi que

c) les particularités de l'offre à commandes décrites dans la partie B et, aux fins d'achat de biens, les conditions décrites dans la partie C des Instructions et conditions uniformisées 9403-6 (24/05/02) sont incorporées par renvoi à la présente demande d'offre à commandes comme si elles y étaient formellement reproduites, sous réserve des autres modalités contenues dans la présente.

[Traduction]

La section 4 des instructions décrites dans la partie A des Instructions et conditions uniformisées 9403-6 (24/05/02) (les instructions uniformisées) prévoit en partie ce qui suit :

4. Obligation du MTPSG

Une demande ne contraint aucunement le MTPSG à autoriser l'utilisation d'une offre à commandes [...] Le MTPSG se réserve le droit de rejeter ou d'autoriser l'utilisation de toute offre en totalité ou en partie, avec ou sans négociation ou discussion supplémentaire.

La section 5(1)a) des instructions décrites dans la partie A des instructions uniformisées prévoit en partie ce qui suit :

5. Procédé

(1) Voici le procédé habituellement suivi dans le cas d'une offre à commandes :

a) Les proposants (fournisseurs) obtiennent une copie de la DOC par l'entremise du Service d'appels d'offres électroniques du gouvernement, offert par MERX.

La section 6(2) des instructions décrites dans la partie A des instructions uniformisées prévoit en partie ce qui suit :

6. Présentation des offres

(2) L'évaluation des offres à commandes proposées peut mener à l'autorisation d'utiliser une ou plusieurs offres à commandes en totalité ou en partie, soit en fonction du prix le plus bas par article ou par destination, ou les deux, ou par groupe d'articles ou de destinations, ou les deux, ou en fonction du prix global le plus bas. Ni la plus basse, ni l'une quelconque des offres à commandes proposées ne sera nécessairement acceptée.

D'après TPSGC, deux soumissions ont été reçues. L'une d'entre elles a été déclarée non conforme pour des motifs non pertinents à la présente plainte. La soumission de Goodfellow a été déclarée conforme aux exigences obligatoires de la DOC.

D'après TPSGC, un examen initial des prix offerts par Goodfellow a suscité des inquiétudes à savoir si ces prix étaient excessifs. TPSGC a donc procédé à une comparaison détaillée des prix de Goodfellow et des prix en vigueur aux termes de l'offre à commandes existante. TPSGC dit avoir confirmé, au moyen de l'examen détaillé susmentionné, que les prix de Goodfellow étaient effectivement beaucoup plus élevés que les prix en vigueur depuis août 2000.

Le 10 juillet 2003, l'agent de négociation des contrats de TPSGC a fait part à Goodfellow des inquiétudes de TPSGC eu égard aux prix extrêmement élevés, par rapport aux prix actuels, et a demandé à Goodfellow de réviser ces niveaux des prix et d'offrir certaines réductions. Goodfellow a par la suite avisé l'agent de négociation des contrats qu'elle avait réexaminé la proposition et qu'elle n'était pas en mesure d'offrir de meilleurs prix. D'après TPSGC, sur la recommandation de l'agent de négociation des contrats et après consultation avec le MDN, TPSGC a déterminé le 17 juillet 2003 que les prix de Goodfellow étaient excessifs et ne représentaient pas une juste valeur pour l'État. D'après TPSGC, il a été décidé de mettre fin à l'invitation et de la relancer.

Selon TPSGC, le 18 juillet 2003, il a envoyé des documents d'appel d'offres par télécopieur aux deux fournisseurs qui avaient présenté des offres dans le cadre de l'invitation initiale, à un fournisseur qui avait déjà été titulaire d'une offre à commandes au cours d'années précédentes et au fournisseur titulaire de l'offre à commandes actuelle. La télécopie envoyée à Goodfellow n'indiquait pas qu'elle était envoyée aussi à d'autres fournisseurs potentiels. Le délai de soumission se rapportant au nouvel appel d'offres a pris fin le 22 juillet 2003 et, d'après TPSGC, deux soumissions ont été reçues. Goodfellow n'a pas présenté une deuxième soumission.

Le 30 juillet 2003, Goodfellow a fait parvenir un courriel à TPSGC pour s'informer de la situation de la proposition qu'elle avait soumise le 30 juin 2003, en réponse à la DOC initiale. TPSGC a répondu le 31 juillet 2003 et a informé Goodfellow qu'une offre à commandes avait été délivrée à Britannia Cleaners. D'autres courriels ont été échangés entre Goodfellow et TPSGC les 1er et 7 août 2003. Le 13 août 2003, Goodfellow a déposé sa plainte auprès du Tribunal.

POSITION DES PARTIES

Position de TPSGC

TPSGC a soutenu que les allégations de Goodfellow se fondent sur le libellé d'une disposition de la DOC, qui prévoit qu'on « recommandera la soumission recevable la plus basse aux fins de l'adjudication du contrat ou de l'établissement d'une offre à commandes, selon le cas ». TPSGC a de plus soutenu que Goodfellow n'avait pas remarqué que la DOC incorpore aussi, explicitement, un certain nombre d'instructions uniformisées tirées du guide des Clauses et conditions uniformisées d'achat (guide des CCUA) de TPSGC et qu'une des dispositions ainsi incorporées est l'instruction aux soumissionnaires qui prévoit que « [n]i la plus basse, ni l'une quelconque des offres à commandes proposées ne sera nécessairement acceptée ». De plus, TPSGC a fait valoir que la DOC prévoit aussi que « [l]e fait de présenter une offre à commandes signifie que le proposant a lu ces instructions et qu'il accepte de s'y conformer ». TPSGC a prétendu que, lues ensemble, ces dispositions de la DOC donnent l'instruction suivante : « Si une offre à commandes est adjugée aux termes de la présente DOC, elle doit être adjugée à la soumission recevable la plus basse. Toutefois, l'État se réserve le droit de ne pas adjuger d'offre à commandes à l'un quelconque des soumissionnaires et d'annuler l'invitation » [traduction].

TPSGC a reconnu que la soumission présentée par Goodfellow, en réponse à l'invitation initiale, était la seule soumission conforme aux exigences obligatoires de la DOC; cependant, il a soutenu avoir pour obligation fondamentale de veiller à ce que toute proposition acceptée en vue d'un contrat ou d'une offre à commandes représente une juste valeur pour l'État. Il a ajouté que, en l'espèce, un examen initial de la soumission de Goodfellow a suscité des inquiétudes au sujet de ses niveaux de prix. TPSGC a dit avoir donc procédé à un examen détaillé de la soumission de Goodfellow, et avoir comparé les prix des articles proposés aux prix de ces articles qui étaient en vigueur à ce moment, en se fondant sur l'offre à commandes existante pour les mêmes services. Il a dit avoir aussi conclu, en consultation avec le MDN, que les prix de Goodfellow dépassaient de beaucoup les prix en vigueur et ne représenteraient pas une juste valeur pour l'État. Par conséquent, conformément aux dispositions de la DOC, TPSGC n'a pas autorisé la soumission de Goodfellow eu égard à l'offre à commandes.

D'après TPSGC, Goodfellow savait le 10 juillet 2003 que TPSGC entretenait de sérieuses inquiétudes au sujet des niveaux de prix offerts dans sa soumission. TPSGC a ajouté que, dans un tel contexte, Goodfellow avait immédiatement réagi à la télécopie envoyée par TPSGC le 18 juillet 2003, en communiquant avec TPSGC pour lui faire part de ses points d'opposition. Selon TPSGC, Goodfellow a compris le 18 juillet 2003 que l'invitation avait été annulée et relancée. TPSGC a soutenu que Goodfellow a refusé de participer à la procédure afférente au relancement de l'appel d'offres parce qu'elle était d'avis que TPSGC était contraint d'accepter la proposition qu'elle avait présentée dans le cadre de l'invitation initiale.

Enfin, TPSGC a soutenu que, conformément aux principes établis par la Cour d'appel fédérale dans Procureur général du Canada c. Georgian College of Applied Arts and Technology 5 , les frais devraient être adjugés à l'État dans la présente affaire.

Position de Goodfellow

Selon Goodfellow, de la discrimination a été exercée à son endroit puisqu'elle avait soumis une proposition techniquement conforme, laquelle était la seule proposition techniquement conforme. Goodfellow a soutenu que TPSGC avait arbitrairement déterminé que ses prix étaient trop élevés. Elle a fait valoir que la procédure était une procédure concurrentielle et que ses prix reflétaient cet état des choses.

Dans ses observations en réponse au RIF, eu égard aux dispositions de la DOC, Goodfellow a affirmé que la disposition « Principe de sélection », qui a été expressément ajoutée à l'invitation, l'emporte sur la disposition « Présentation des offres » tirée du guide des CCUA et que, en fait, l'inclusion de la disposition « Principe de sélection » a eu pour effet d'annuler la disposition provenant du guide des CCUA.

Eu égard à l'argument de TPSGC selon lequel Goodfellow a refusé l'occasion d'adresser les inquiétudes de TPSGC au sujet des prix élevés6 , Goodfellow a soutenu que cette occasion n'avait pas en fait été refusée. Goodfellow dit avoir réexaminé ses prix et déterminé qu'ils devaient demeurer tels qu'ils avaient initialement été soumis, étant donné que l'invitation comportait trop de variables inconnues pour qu'il soit justifié de modifier les prix. De plus, Goodfellow a soutenu que la demande de TPSGC avait été simplement celle de baisser tous les prix et que rien n'indiquait quels prix étaient jugés trop élevés et dans quelle mesure. Elle a aussi soutenu ne pas avoir reçu d'offre en vue d'une négociation ou d'une discussion sur le besoin ou les prix.

Selon Goodfellow, elle n'a certainement pas compris que sa soumission n'avait pas été acceptée, que l'invitation initiale avait été annulée et relancée et qu'elle devait présenter une nouvelle soumission. Elle a soutenu que TPSGC ne l'avait pas avisée de l'annulation, ni verbalement ni par écrit. Goodfellow dit avoir agi en se fondant sur la prémisse suivante : a) l'invitation initiale était toujours en vigueur, puisqu'elle n'avait pas été annulée et qu'aucun avis n'avait été donné en ce sens; b) il ne s'agissait pas là d'une invitation relancée, mais plutôt d'une tentative par TPSGC en vue d'obtenir que Goodfellow soumette des prix plus bas dans le cadre de l'invitation existante; c) il ne s'agissait pas là d'une invitation relancée, puisqu'elle pensait que toutes les invitations devaient, aux termes de l'ACI, faire l'objet d'un appel d'offres par l'entremise du MERX. Goodfellow a soutenu que, d'après son expérience, il existe une procédure formelle d'annulation des soumissions, par exemple, l'affichage par l'intermédiaire du MERX.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes du paragraphe 30.14(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal doit, dans son enquête, limiter son étude à l'objet de la plainte. En outre, à la fin de l'enquête, le Tribunal doit déterminer la validité de la plainte en fonction des critères et procédures établis par règlement pour le contrat spécifique. De plus, l'article 11 du Règlement prévoit que le Tribunal doit déterminer si le marché public a été passé conformément aux accords commerciaux applicables, à savoir, en l'espèce, l'ACI.

Le paragraphe 506(2) de l'ACI prévoit ce qui suit :

L'appel d'offres doit être lancé au moyen de l'une ou plusieurs des méthodes suivantes :

a. le recours à un système électronique d'appel d'offres auquel tous les fournisseurs canadiens ont également accès;

b. la publication de l'appel d'offres dans un ou plusieurs quotidiens préalablement désignés et auxquels tous les fournisseurs canadiens ont facilement accès;

c. le recours à des listes de fournisseurs pourvu que, à l'égard de toute liste de fournisseurs, les conditions suivantes soient réunies :

i. les conditions d'inscription sur la liste de fournisseurs sont compatibles avec l'article 504,

ii. tous les fournisseurs inscrits dans une catégorie donnée sont invités à répondre à tous les appels d'offres dans cette catégorie,

iii. les fournisseurs qui satisfont aux conditions d'inscription sur la liste de fournisseurs ont la possibilité de s'inscrire en tout temps.

Le paragraphe 506(6) de l'ACI prévoit que, « [d]ans l'évaluation des offres, une Partie peut tenir compte non seulement du prix indiqué, mais également de la qualité, de la quantité, des modalités de livraison, du service offert, de la capacité du fournisseur de satisfaire aux conditions du marché public et de tout autre critère se rapportant directement au marché public et compatible avec l'article 504. Les documents d'appel d'offres doivent indiquer clairement les conditions du marché public, les critères qui seront appliqués dans l'évaluation des soumissions et les méthodes de pondération et d'évaluation des critères. »

Le paragraphe 506(10) de l'ACI prévoit ce qui suit :

L'entité qui utilise une liste de fournisseurs est tenue de respecter les obligations suivantes :

a. indiquer dans ses politiques, procédures et pratiques les cas dans lesquels la liste des fournisseurs est utilisée et les modalités de son utilisation, ainsi que tous les critères de qualification que doivent respecter les fournisseurs pour se faire inscrire sur cette liste;

b. confirmer par écrit aux fournisseurs qui demandent leur inscription sur la liste de fournisseurs que leur nom y a été inscrit, et leur indiquer les critères de qualification qu'ils n'ont pas respectés;

c. remettre à toute Partie qui en fait la demande l'avis d'appel d'offres et la liste des fournisseurs qui seront invités à soumissionner dans le cadre de l'appel d'offres en question.

La DOC prévoit, à la rubrique « Principe de sélection », qu'on « recommandera la soumission recevable la plus basse aux fins de l'adjudication du contrat ou de l'établissement d'une offre à commandes, selon le cas ». La DOC prévoit aussi, à la rubrique « Responsabilité de l'État », qu'une offre à commandes « n'oblige aucunement l'État à autoriser ou à commander l'ensemble ou une partie des biens, des services ou les deux ou à dépenser le montant estimatif ou quelque denier que ce soit ». De plus, la DOC incorpore par renvoi les instructions décrites dans la partie A des instructions uniformisées. De plus, à cet égard, la DOC prévoit que le fait de présenter une offre à commandes signifie que le proposant a lu ces instructions et qu'il accepte de s'y conformer. La section 4 de la partie A des instructions uniformisées prévoit que TPSGC se réserve le droit de rejeter toute offre. La section 5(1)a) de la partie A des instructions uniformisées indique que les proposants obtiennent habituellement une copie de la DOC par l'entremise du Service d'appel d'offres électroniques du gouvernement, offert par MERX. La section 6(2) de la partie A des instructions uniformisées prévoit aussi que « [n]i la plus basse, ni l'une quelconque des offres à commandes proposées ne sera nécessairement acceptée ».

Goodfellow a affirmé que la disposition « Principe de sélection » l'emporte sur la disposition tirée de la section 6(2) de la partie A des instructions uniformisées, puisque ladite disposition a été expressément ajoutée à la DOC et qu'elle a donc remplacé la section susmentionnée. Le Tribunal est toutefois d'avis que les deux dispositions et la section 4 de la partie A des instructions uniformisées peuvent être lues ensemble et être interprétées raisonnablement comme signifiant que, si la DOC débouche sur l'établissement d'une offre à commandes, cette dernière doit être délivrée à l'égard de la soumission recevable la plus basse, mais que l'État n'est pas tenu de délivrer une offre à commandes à un soumissionnaire quelconque. Selon le Tribunal, les dispositions renvoient à des questions différentes : l'une traite de la question de savoir quelle soumission sera recommandée en vue d'une offre à commandes; les autres traitent de l'autorisation ou du rejet des offres à commandes. Par conséquent, le Tribunal est d'avis que la soumission recevable la plus basse doit être recommandée, sans devoir nécessairement être autorisée, un peu de la même façon que TPSGC n'est pas tenu de dépenser, selon la DOC, quelque somme que ce soit dans le cadre de l'offre à commandes, si cette dernière est autorisée.

Le Tribunal accepte que la proposition de Goodfellow était la proposition la plus basse et la seule proposition recevable en réponse à l'invitation initiale. Étant donné ses inquiétudes à savoir que la soumission de Goodfellow ne représentait pas une « juste valeur » pour l'État, TPSGC n'a pas délivré l'offre à commandes à Goodfellow. TPSGC est arrivé à ladite conclusion en comparant les prix de Goodfellow aux prix déjà en vigueur selon l'offre à commandes du fournisseur titulaire. Après une demande de nouvelles soumissions, l'offre à commandes a été délivrée le 31 juillet 2003 à Britannia Cleaners. Dans un tel contexte, le Tribunal doit décider si la décision de TPSGC selon laquelle la soumission de Goodfellow ne représentait pas une juste valeur pour l'État, si la décision de TPSGC de ne pas délivrer l'offre à commandes à Goodfellow et si la manière selon laquelle l'offre à commandes a été délivrée à Britannia Cleaners étaient conformes aux critères énoncés dans la DOC et aux exigences de l'ACI.

Le Tribunal remarque que TPSGC, lorsqu'il a annulé le marché public, se serait censément appuyé sur la section 6(2) de la partie A des instructions uniformisées, qui prévoit que « [n]i la plus basse, ni l'une quelconque des offres à commandes proposées ne sera nécessairement acceptée ». Cependant, le Tribunal doit interpréter cette disposition dans le contexte de la DOC en entier, y compris la disposition « Principe de sélection », et il conclut que la section 6(2) autorisait TPSGC uniquement à ne pas accorder l'autorisation, c'est-à-dire à ne pas acheter quelque service de nettoyage à sec que ce soit. Rien dans la section 6(2) ou la section 4 de la partie A des instructions uniformisées n'autorisait expressément TPSGC à annuler et à relancer l'invitation. En outre, le reste de la DOC ne fait aucunement mention de la question de l'annulation et du relancement de l'invitation.

Le Tribunal prend note de l'observation de TPSGC selon laquelle ce dernier a pour obligation de veiller à ce qu'une proposition qui pourrait être retenue représente une juste valeur pour l'État. Le Tribunal sait que la Politique sur les marchés du Conseil du Trésor traite de la question de la détermination d'une juste valeur pour l'État lorsqu'une seule soumission valide est présentée7 . Toutefois, cette politique et les procédures connexes, qui ont pour objet de guider l'autorité contractante, n'ont pas été incorporées dans la DOC. Autrement dit, comme il y a aussi été fait allusion dans le courriel de Goodfellow du 1er août 2003 à TPSGC, la DOC ne fait aucunement mention de la juste valeur pour l'État et n'énonce pas non plus les critères servant à déterminer une telle valeur. À cet égard, le Tribunal est d'avis que, en vertu du paragraphe 506(6) de l'ACI, TPSGC est tenu d'indiquer clairement dans la DOC les critères qui seront appliqués pour déterminer si des prix représentent une juste valeur pour l'État et, en effet, si la juste valeur pour l'État constitue elle-même un critère. Les critères d'évaluation des soumissions ainsi que les méthodes de pondération et d'évaluation des critères doivent être clairement indiqués dans les documents d'appel d'offres et non introduits à l'occasion d'une procédure subséquente ou d'une manière improvisée, comme cela a été fait en l'espèce. Le Tribunal conclut donc que, contrairement aux dispositions du paragraphe 506(6) de l'ACI, la DOC ne prévoyait pas l'annulation et le relancement de l'invitation initiale, n'indiquait pas clairement que la juste valeur pour l'État était un critère qui serait appliqué dans l'évaluation des soumissions et n'indiquait pas non plus les méthodes d'évaluation de la juste valeur pour l'État.

En outre, le Tribunal conclut que Goodfellow n'a pas été dûment avisée que la DOC avait été annulée et envoyée directement à un nombre de fournisseurs, y compris certains qui n'avaient pas présenté de soumission dans le cadre de l'invitation initiale. Le Tribunal remarque que Goodfellow indique, dans sa lettre du 13 août 2003, n'avoir découvert que la DOC était « relancée » que lorsqu'elle a reçu une télécopie le 18 juillet 2003, à laquelle était jointe une copie de ce qui serait apparemment, selon le Tribunal, l'ébauche de la DOC, où la date de clôture était fixée au 26 juin 2003 (plutôt qu'au 30 juin 2003, comme l'indique l'invitation publiée le 12 juin 2003). Le Tribunal remarque aussi que les faits susmentionnés sont postérieurs à la tentative de TPSGC en vue d'obtenir que Goodfellow baisse ses prix et, de l'avis du Tribunal, ont raisonnablement pu être interprétés par Goodfellow comme la poursuite des efforts de TPSGC visant uniquement Goodfellow. Par conséquent, le Tribunal conclut aussi que TPSGC a contrevenu aux dispositions du paragraphe 506(2) de l'ACI. Il est à noter que TPSGC s'est écarté de la procédure qu'il avait appliquée au moment de l'invitation initiale et qui est décrite dans la partie A des instructions uniformisées incorporées par renvoi dans la DOC. En outre, le Tribunal n'est pas convaincu que la liste de fournisseurs que TPSGC prétend avoir utilisée aux fins du relancement de la DOC répondait aux exigences prévues au paragraphe 506(10) de l'ACI.

À la lumière de ce qui précède, le Tribunal détermine que la plainte de Goodfellow est fondée.

À titre de mesure corrective, Goodfellow a demandé au Tribunal de recommander que TPSGC résilie l'offre à commandes délivrée à Britannia Cleaners et délivre une offre à commandes à Goodfellow en fonction de la réponse de cette dernière à la DOC. À titre de solution de rechange, Goodfellow a demandé au Tribunal de recommander que TPSGC lui verse une indemnité d'un montant égal au profit qu'elle aurait réalisé durant la période visée par l'offre à commandes, tenant compte des années de renouvellement facultatif prévues à titre d'option, si une offre à commandes lui avait été délivrée. De plus, Goodfellow a demandé le remboursement des frais qu'elle a engagés pour la préparation et le traitement de la plainte.

Le Tribunal a examiné toutes les circonstances pertinentes au marché public en cause, y compris celles énoncées au paragraphe 30.15(3) de la Loi sur le TCCE, et ne voit aucun motif de croire que TPSGC n'a pas agi de bonne foi. Cependant, les méthodes de TPSGC étaient gravement viciées. TPSGC est allé à l'encontre de toute la procédure d'invitation en régime concurrentiel lorsqu'il a annulé la DOC et appliqué des méthodes et des critères qui soit n'avaient pas été énoncés dans la DOC soit n'étaient pas conformes aux exigences de l'ACI. Par conséquent, étant donné la gravité des irrégularités constatées dans la procédure de passation des marchés publics et l'ampleur du préjudice causé à Goodfellow ainsi qu'à l'intégrité et à l'efficacité du mécanisme d'adjudication en l'espèce, et aux termes du paragraphe 30.15(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal recommande la résiliation de l'offre à commandes délivrée à Britannia Cleaners résultant de l'invitation du 18 juillet 2003 et la délivrance par TPSGC d'une offre à commandes à Goodfellow en fonction de la réponse de cette dernière à l'invitation initiale, close le 30 juin 2003. Le Tribunal n'a pas recommandé l'annulation et le relancement dudit marché public parce qu'une telle recommandation ne redresserait pas d'une manière satisfaisante le préjudice subi par Goodfellow en l'espèce.

Comme suite à la requête qu'elle a présentée à cet égard, le Tribunal accorde à Goodfellow le remboursement des frais raisonnables qu'elle a engagés pour la préparation et le traitement de sa plainte.

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal détermine que la plainte est fondée.

Aux termes des paragraphes 30.15(2) et 30.15(3) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal recommande, à titre de mesure corrective, que TPSGC résilie l'offre à commandes délivrée à Britannia Cleaners résultant de l'invitation du 18 juillet 2003 et délivre une offre à commandes à Goodfellow en fonction de la réponse de cette dernière à l'invitation initiale, close le 30 juin 2003.

Aux termes de l'article 30.16 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal accorde à Goodfellow le remboursement des frais raisonnables qu'elle a engagés pour la préparation et le traitement de la plainte.


1 . L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47 [Loi sur le TCCE].

2 . 18 juillet 1994, Gaz. C. 1995.I.1323, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <http://www.intrasec.mb.ca/fre/it.htm> [ACI].

3 . D.O.R.S. /93-602 [Règlement].

4 . D.O.R.S. /91-499.

5 . 2003 CAF 199.

6 . RIF, partie III, para. 10.

7 . Article 10.8.9 de la Politique sur les marchés du Conseil du Trésor.