BEALS, LALONDE & ASSOCIATES

Décisions


BEALS, LALONDE & ASSOCIATES
c.
MINISTÈRE DE LA JUSTICE
Dossier no PR-2004-009

Décision et motifs rendus
le mardi 27 juillet 2004


TABLE DES MATIÈRES

EU ÉGARD À une plainte déposée par Beals, Lalonde & Associates aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47;

ET À LA SUITE D'une décision d'enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

ENTRE

 

BEALS, LALONDE & ASSOCIATES

Partie plaignante

ET

 

LE MINISTÈRE DE LA JUSTICE

Institution fédérale

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte est fondée.

Aux termes de l'article 30.16 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur accorde à Beals, Lalonde & Associates le remboursement des frais raisonnables qu'elle a engagés pour la préparation et le traitement de la plainte, ces frais devant être payés par le ministère de la Justice. L'indication provisoire du degré de complexité de la présente plainte pour le Tribunal canadien du commerce extérieur est le degré 1, et l'indication provisoire du montant de l'indemnisation est de 1 000 $. Si l'une ou l'autre des parties n'est pas d'accord en ce qui a trait à l'indication provisoire du degré de complexité ou à l'indication provisoire du montant de l'indemnisation, elle peut déposer des observations auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur, conformément à sa Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure portant sur un marché public. Le Tribunal canadien du commerce extérieur se réserve le droit de fixer le montant final de l'indemnisation.

James A. Ogilvy
James A. Ogilvy
Membre présidant

Susanne Grimes
Susanne Grimes
Secrétaire intérimaire

Membre du Tribunal :

James A. Ogilvy, membre présidant

   

Agent d'enquête :

Michael W. Morden

   

Conseiller pour le Tribunal :

Nick Covelli

   

Partie plaignante :

Beals, Lalonde & Associates

   

Institution fédérale :

Ministère de la Justice

   

Conseiller pour l'institution fédérale :

Derek Rasmussen

Adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : (613) 993-3595
Télécopieur : (613) 990-2439
Courriel :

EXPOSÉ DES MOTIFS

PLAINTE

1. Le 28 avril 2004, Beals, Lalonde & Associates (Beals) a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur 1 . La plainte portait sur le marché public (invitation no 1000004414) passé par le ministère de la Justice (MJ) relativement à une évaluation sommative de l'Initiative sur le renouvellement du système de justice pour les jeunes du MJ.

2. Beals a allégué que sa proposition n'avait pas été évaluée conformément aux critères énoncés dans la demande de propositions (DP). Plus précisément, elle a allégué que le barème de notation utilisé par l'équipe d'évaluation comportait des critères d'évaluation non mentionnés dans la DP. Elle a demandé à être indemnisée pour le temps et les efforts consacrés à la préparation de sa proposition. En outre, elle a demandé qu'on donne à tous les agents de négociation des contrats la directive que les documents d'appel d'offres doivent indiquer clairement les critères qui seront appliqués dans l'évaluation des soumissions ainsi que les méthodes de pondération et d'évaluation des critères, comme l'exige l'Accord sur le commerce intérieur 2 .

3. Le 6 mai 2004, le Tribunal a avisé les parties qu'il avait décidé d'enquêter sur la plainte, puisque cette dernière répondait aux exigences du paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et aux conditions énoncées au paragraphe 7(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics 3 . Le 31 mai 2004, le MJ a déposé auprès du Tribunal un rapport de l'institution fédérale (RIF). Le 10 juin 2004, Beals a présenté ses observations sur le RIF. Le 23 juin 2004, le Tribunal a demandé au MJ de l'information complémentaire, qui lui a été présentée le 25 juin 2004. Plus précisément, le Tribunal a demandé au MJ ce qui suit :

Veuillez fournir une explication plus détaillée de la méthode de sélection de l'entrepreneur décrite au paragraphe 8.4 de la DP. Plus particulièrement, comment les propositions financières ont été cotées et comment la note finale a été déterminée. Quels étaient les prix proposés et les notes totales (ventilées en fonction des éléments techniques et financiers) de tous les soumissionnaires qui ont satisfait aux critères obligatoires et obtenu la note minimale exigée pour les critères cotés?

[Traduction]

4. La version publique de l'information complémentaire du MJ a été présentée à Beals pour commentaires le 30 juin 2004. Beals n'a pas présenté de commentaires.

5. La quantité de renseignements au dossier étant suffisante pour déterminer le bien-fondé de la plainte, le Tribunal a décidé qu'une audience n'était pas nécessaire et a statué sur la plainte sur la foi des renseignements au dossier.

PROCÉDURE DE PASSATION DU MARCHÉ PUBLIC

6. Le 16 février 2004, le MJ a diffusé une DP qui indiquait que la date de clôture pour la réception des soumissions était le 29 mars 2004.

7. La DP se lisait en partie ainsi :

3.4 Description et étendue du travail :

L'entrepreneur effectuera une évaluation sommative de l'Initiative sur le renouvellement du système de justice pour les jeunes (IRSJJ), qui évaluera la pertinence, la réussite et la rentabilité de l'IRSJJ.

3.4.1 Tâches

L'entrepreneur devra :

a) mettre au point une méthodologie claire et judicieuse, fondée sur la triangulation des sources des données qualitatives et quantitatives, qui prend en considération les questions exposées ci-dessous;

b) mettre au point des instruments de collecte de données et, s'il y a lieu, des méthodes d'échantillonnage pour chaque type d'enquête;

c) mettre au point et remplir une grille des méthodes et des résultats, qui définit les indicateurs, les sources des données, les méthodes et les résultats, pour chaque question de l'évaluation;

d) préparer un plan de travail et un rapport sur la conception de la recherche;

e) mener la collecte des données;

f) préparer un sommaire concis du rapport d'évaluation;

g) préparer une ébauche de rapport d'évaluation;

h) préparer un rapport final d'évaluation.

3.4.4 Méthodes

Le CGRR [Cadre de gestion et de responsabilisation axé sur les résultats] définit des méthodes possibles pour cette évaluation. On peut en suggérer d'autres.

8. La DP se lisait en outre ainsi 

8.2 Exigences cotées

8.2.1 Expérience des membres de l'équipe en matière d'évaluations (maximum de 15 points)

8.2.2 Expérience des membres de l'équipe en matière de recherches ou d'évaluations dans le domaine de la justice pour les jeunes (maximum de 15 points)

8.2.3 Compréhension de l'Initiative sur le renouvellement de la justice pour les jeunes (maximum de 20 points)

8.2.4 Pertinence de la méthodologie (maximum de 50 points)

Une note minimale de 70 points sera exigée pour que la proposition soit jugée valide et recevable.

8.4 Méthode de sélection de l'entrepreneur

Toutes les propositions seront évaluées selon leur acceptabilité technique avant que l'on ne tienne compte du prix proposé. À l'aide du rapport 80/20 points techniques/prix, on retiendra la proposition conforme la plus avantageuse en fonction du rapport qualité-prix, qui ne sera pas nécessairement la proposition globalement la moins coûteuse.

[Traduction]

9. Le MJ a reçu cinq questions durant la période de soumission. Ces questions et les réponses qui ont été fournies ont été transmises à tous les soumissionnaires. Les question et réponse no 1, qui sont pertinentes à la présente plainte, se lisaient ainsi :

Q.1 a) Exigence obligatoire 8.1.4 - « Les soumissionnaires doivent démontrer leur expérience de la direction d'au moins 2 études d'évaluation de portée et de complexité comparables à celles du projet décrit dans la présente DP. » Est-ce que cela signifie que nous devons simplement démontrer que nous avons réalisé des projets de portée et de complexité comparables aux tâches décrites dans la section 3.4 de la proposition, ou est-ce que cela implique également que nous devons démontrer que nous avons réalisé des projets dont la valeur monétaire était comparable?

b) Si la valeur monétaire entre en ligne de compte, pouvez-vous préciser l'importance de cet élément du critère ainsi que le montant qui constituerait une valeur monétaire comparable? 90 000 $? 75 000 $?

R.1 Sens de l'expression « de portée et de complexité comparables » - Vous devez démontrer que vous avez réalisé des projets comportant des tâches dont la nature et la complexité étaient comparables à celles décrites dans la section 3.4 de la proposition, ce qui implique également que vous devez démontrer que vous avez exécuté des projets dont la valeur monétaire était comparable, c'est-à-dire de l'ordre d'au moins 60 000 $, et dont la durée était de plus de 3 mois.

[Traduction]

10. Selon le MJ, sept propositions ont été présentées. Toutes ces propositions ont été considérées comme satisfaisant aux critères obligatoires énoncés dans la section 8.1 de la DP. Les propositions ont fait l'objet d'un examen indépendant de la part de quatre évaluateurs, qui se sont réunis le 6 avril 2004 afin de déterminer par consensus les notes à attribuer à chaque soumissionnaire en fonction des critères cotés de leur proposition respective. On a remis aux évaluateurs un barème de notation destiné à les aider à examiner les propositions. En ce qui concerne les critères cotés, le barème de notation se lisait en partie ainsi :

Exigences cotées
Il faut obtenir un minimum de 70 points pour que la proposition soit jugée valide et recevable.

Expérience des membres de l'équipe en matière d'évaluations de « portée et de complexité » 3 comparables au projet décrit dans la DP :

Médiocre/2 projets comparables : 1-4 points
Passable/3-5 projets comparables : 5-8 points
Bonne/6-10 projets comparables : 9-12 points
Supérieure/plus de 10 projets comparables : 13-15 points

Observations :









/15

Expérience des membres de l'équipe en matière de recherches ou d'évaluations dans le domaine de la justice pour les jeunes :

Médiocre/0-2 projets : 1-4 points
Passable/3-5 projets : 5-8 points
Bonne/6-10 projets : 9-12 points
Supérieure/plus de 10 projets : 13-15 points

Observations :









/15

Compréhension de l'Initiative sur le renouvellement du système de justice pour les jeunes :

Les éléments qui démontreraient une compréhension de l'IRSJJ comprennent :

-compréhension des objectifs de l'IRSJJ
- compréhension des différences et des similitudes entre l'IRSJJ et les approches antérieures en matière de justice pour les jeunes
- compréhension des compétences fédérales-provinciales-territoriales en matière de justice pour les jeunes
- compréhension de la nature des outils dont dispose le gouvernement fédéral pour opérer un changement dans le domaine de la justice pour les jeunes.

Médiocre/démontre une compréhension d'aucun des éléments susmentionnés : 1-5 points
Passable/démontre une certaine compréhension des éléments susmentionnés : 6-11 points
Bonne/démontre une bonne compréhension des éléments susmentionnés : 12-16 points
Supérieure/démontre une compréhension supérieure des éléments susmentionnés : 17-20 points

Observations :























/20

Pertinence de la méthodologie

Critères à prendre en compte dans l'évaluation du caractère approprié de la méthodologie :

Nombre suffisant de sources de données
Sources de données pertinentes
Taille suffisante des échantillons
Plus d'une source de données sera consultée pour les questions à évaluer
La méthodologie produira des résultats solides

Passable/méthodologie ne satisfait à aucun des critères susmentionnés : 1-14 points
Médiocre/méthodologie satisfait à un ou deux des critères susmentionnés : 15-29 points
Bonne/méthodologie satisfait à trois ou quatre des critères susmentionnés : 30-40 points
Supérieure/méthodologie satisfait à tous les critères susmentionnés : 41-50 points


















/50

Total

/100

3 On entend par « de portée et de complexité comparables » une évaluation pour laquelle le budget dépassait 60 000 $, dont la durée était d'au moins 3 mois et qui comportait une méthodologie similaire, notamment un nombre comparable de répondants et de groupes de répondants. Il y a lieu de noter que le chargé de projet communiquera avec les deux clients servant de références pour obtenir de l'information au sujet des projets mentionnés conformément à la section 8.1.4.

[Traduction]

11. Le 14 avril 2004, le MJ a adjugé le contrat à Moyer & Associates et avisé par lettre les soumissionnaires dont la proposition n'avait pas été retenue de l'adjudication du contrat. Beals a demandé un entretien final, que le MJ a tenu le 19 avril 2004. Après cet entretien, Beals a reçu une copie du barème de notation.

12. Beals a déposé sa plainte auprès du Tribunal le 28 avril 2004.

POSITION DES PARTIES

Position du MJ

13. Le MJ a soutenu que le contenu du barème de notation en ce qui concerne les exigences cotées est conforme aux exigences cotées énoncées dans la section 8.2 de la DP et est rationnellement lié à celles-ci. Il a fait valoir que les soumissionnaires auraient dû raisonnablement être capables de prévoir les sous-critères mentionnés dans le barème de notation.

14. En ce qui concerne le critère coté 8.2.1 - « Expérience des membres de l'équipe en matière d'évaluations », le MJ a affirmé qu'il fait référence, dans sa réponse à la question no 1 au sujet du critère obligatoire 8.1.4, à une similarité entre les projets sur le plan méthodologique. Le MJ a soutenu qu'il fallait donc que le soumissionnaire, pour que sa demande puisse être examinée plus en détail au regard des exigences cotées, démontre qu'il avait de l'expérience de la conduite d'études d'évaluation ayant une portée et une complexité comparables. Le MJ a également soutenu qu'il s'ensuit forcément qu'un soumissionnaire raisonnable comprendrait qu'il doit, dans la description de son expérience supplémentaire dans le contexte du critère coté 8.2.1, faire mention des projets de portée et de complexité comparables.

15. Pour ce qui est du critère coté 8.2.2 - « Expérience des membres de l'équipe en matière de recherches ou d'évaluations dans le domaine de la justice pour les jeunes », le MJ a reconnu que l'expérience d'une des ressources de Beals n'a pas été prise en considération dans l'évaluation initiale. Il a soutenu que, même si une note plus élevée avait été attribuée à Beals par suite de cette omission, cette dernière n'aurait pas obtenu suffisamment de points pour que le classement final des soumissionnaires s'en trouve modifié. Il a aussi fait valoir que, en dépit de l'allégation de Beals selon laquelle la DP ne renfermait pas d'information permettant à un soumissionnaire d'apprécier l'importance du rôle que joueraient les membres de l'équipe qui possédaient une expérience notable dans le domaine de la justice pour les jeunes, ainsi que le sens que revêtait cet élément pour les évaluateurs, tout soumissionnaire raisonnable aurait compris qu'une proposition prévoyant l'attribution d'aspects importants du travail à des personnes ayant une expérience particulièrement vaste et concrète dans le domaine de la justice pour les jeunes serait mieux cotée au moment de l'évaluation.

16. En ce qui a trait au critère 8.2.3 - « Compréhension de l'Initiative sur le renouvellement de la justice pour les jeunes », le MJ a soutenu que les soumissionnaires éventuels auraient dû raisonnablement prévoir les quatre sous-critères mentionnés dans le barème de notation. Il a également prétendu que la note attribuée à Beals témoignait du fait que les évaluateurs avaient admis que l'équipe proposée par Beals avait une bonne compréhension de l'IRSJJ.

17. Pour ce qui est du critère coté 8.2.4 - « Pertinence de la méthodologie », le MJ a affirmé que les critères mentionnés dans le barème de notation sont nécessairement examinés lorsqu'on évalue le caractère adéquat d'une méthodologie qui est décrite et que tout soumissionnaire éventuel aurait dû manifestement être en mesure de déduire ces critères. Il a allégué que ces critères sont raisonnables et rationnellement liés au critère coté.

18. Le MJ a soutenu que le Tribunal a déjà statué qu'il est tout à fait correct d'introduire des sous-éléments par rapport aux critères et à la pondération décrits dans une DP. Il a indiqué que le Tribunal a accepté cette pratique dans une de ses décisions4 dans la mesure où les sous-critères et leur pondération pouvaient être facilement prévus par les soumissionnaires et déduits à partir des critères et de la pondération générale décrits dans la DP. Dans la décision en question, le Tribunal a également précisé que les sous-critères ne pouvaient ni augmenter ni diminuer la valeur et l'importance relatives des critères annoncés dans la DP. Le MJ a soutenu que le barème de notation fourni aux évaluateurs était conforme à cette directive.

19. Le MJ a demandé le rejet de la plainte. En outre, il a souligné que la somme de 20 000 $ demandée par Beals à titre de réparation était arbitraire et n'était pas appuyée par des éléments de preuve. Il a soutenu que, dans le cas où le Tribunal déciderait d'accorder une indemnité à Beals, celle-ci devait être considérablement réduite afin de tenir compte du risque inhérent que la proposition de Beals ne soit pas celle choisie. Le MJ a fait remarquer que cinq autres soumissionnaires, en plus de Beals et de l'adjudicataire, avaient présenté des propositions satisfaisant aux exigences obligatoires de la DP.

Position de Beals

20. Beals a dit ne pas souscrire à la prétention du MJ selon laquelle le barème de notation était approprié pour évaluer les exigences cotées. Elle a fait valoir que les critères énoncés dans la DP définissaient des questions générales, mais fournissaient peu d'indications, voire aucune indication, quant aux méthodes de pondération et d'évaluation de ces critères. Beals a soutenu que, étant donné que le MJ a reconnu avoir élaboré le barème de notation après la date limite de réception des soumissions5 , le MJ ne savait pas vraiment, au moment de la diffusion de la DP, comment il évaluerait les propositions. De plus, Beals a affirmé que le MJ lui avait indiqué de vive voix le 19 avril 2004 que cinq des sept propositions avaient été jugées comme n'atteignant pas le seuil de 70 points exigé pour les critères cotés. Selon Beals, ce fait montre que les soumissionnaires ne disposaient pas de suffisamment d'information pour élaborer leur soumission.

21. Beals a soutenu que la décision du Tribunal dans Siemens Westinghouse à laquelle le MJ a fait référence est fondée sur des faits sensiblement différents de ceux qui entourent la présente plainte. Beals a fait valoir que, dans Siemens Westinghouse, la DP fournissait beaucoup de détails relativement aux sous-critères et à la pondération ainsi qu'aux attentes de la Couronne à l'égard des soumissionnaires quant aux éléments à aborder. En l'espèce, Beals a soutenu que la ventilation fournie dans la DP ne prévoyait que quatre critères d'évaluation (critères cotés 8.2.1, 8.2.2, 8.2.3 et 8.2.4), et qu'il n'y aurait pas de sous-critères comme ceux énoncés sous les rubriques « Compréhension de l'Initiative sur le renouvellement du système de justice pour les jeunes » et « Pertinence de la méthodologie » dans le barème de notation.

22. Pour ce qui est du critère coté 8.2.1 - « Expérience des membres de l'équipe en matière d'évaluations », Beals a soutenu que la réponse du MJ à la question no 1, telle qu'elle est énoncée ci-dessus, faisait état uniquement des exigences obligatoires et ne faisait pas référence aux exigences cotées et particulièrement à l'exigence 8.2.1. Beals a soutenu qu'il n'était pas raisonnable pour les soumissionnaires de devoir deviner que, en l'occurrence, la réponse signifiait que l'expression « en matière d'évaluations » dans l'énoncé du critère coté 8.2.1 signifiait des « évaluations de portée et de complexité comparables » [traduction]. Beals a soutenu qu'elle aurait dû obtenir une note plus élevée, compte tenu de son expérience, pour ce qui est de l'exigence d'expérience « en matière d'évaluations » énoncée dans la DP.

23. En ce qui a trait au critère coté 8.2.2 - « Expérience des membres de l'équipe en matière de recherches ou d'évaluations dans le domaine de la justice pour les jeunes », Beals a prétendu qu'elle avait appliqué la même stratégie de soumission pour des appels d'offres antérieurs, à savoir l'attribution d'un faible pourcentage du nombre de jours à des experts-conseils et de la majorité des jours à des membres de l'équipe ayant une vaste expérience en matière d'évaluation. Elle a fait valoir que rien dans la DP n'indiquait que cette même stratégie ne serait pas fructueuse pour ce qui est de la présente invitation à soumissionner.

24. Au sujet du critère coté 8.2.3 - « Compréhension de l'Initiative sur le renouvellement du système de justice pour les jeunes », Beals a prétendu que la liste des sous-critères n'était pas exhaustive et qu'il n'était pas raisonnable que le MJ s'attende à ce que les soumissionnaires choisissent certains éléments mentionnés dans le barème de notation plutôt que d'autres éléments tout aussi valables.

25. En ce qui concerne le critère coté 8.2.4 - « Pertinence de la méthodologie », Beals a soutenu que, lors de son entretien final, l'autorité contractante lui a dit, entre autres, qu'elle « n'a pas fait preuve de créativité dans sa méthodologie » [traduction] et que, du fait qu'il était précisé dans la section 3.4.4 de la DP qu'on pouvait « en suggérer d'autres », l'équipe d'évaluation était justifiée de soustraire des points pour sa proposition. Beals a fait valoir que la DP n'indiquait pas que ce serait un atout de s'écarter des méthodes définies dans le Cadre de gestion et de responsabilisation axé sur les résultats ou qu'un élément comme le nombre de jours-personnes serait un critère. Beals a prétendu que, étant donné que le critère 8.2.4 valait 50 p. 100 de la note, les soumissionnaires auraient dû obtenir de plus amples renseignements ou que l'évaluation aurait dû porter sur plus que les cinq sous-critères mentionnés.

26. Dans ses observations sur le RIF, Beals a fourni au Tribunal une description du travail effectué par ses employés et d'autres ressources pour planifier, coordonner et rédiger la proposition, pour y assigner le personnel responsable, pour recueillir et évaluer les commentaires au sujet de celle-ci et pour préparer la plainte. Beals a prétendu que le niveau d'effort exigé pour exécuter toutes ces tâches équivalait à 20 000 $.

DÉCISION DU TRIBUNAL

27. Aux termes du paragraphe 30.14(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal doit, dans son enquête, limiter son étude à l'objet de la plainte. En outre, à la fin de l'enquête, le Tribunal doit déterminer la validité de la plainte en fonction des critères et procédures établis par règlement pour le contrat spécifique. De plus, l'article 11 du Règlement prévoit que le Tribunal doit déterminer si le marché public a été passé conformément aux accords commerciaux applicables, c'est-à-dire en l'espèce l'ACI.

28. L'article 506(6) de l'ACI se lit en partie ainsi :

Les documents d'appel d'offres doivent indiquer clairement les conditions du marché public, les critères qui seront appliqués dans l'évaluation des soumissions et les méthodes de pondération et d'évaluation des critères.

29. La question dont le Tribunal est saisi est la suivante : les critères d'évaluation énoncés dans le barème de notation étaient-ils les mêmes que ceux énoncés dans la DP, ou pouvaient-ils être déduits à partir de ces derniers? Autrement dit, est-ce que les documents d'appel d'offres indiquaient clairement les critères applicables à l'évaluation des soumissions ainsi que les méthodes de pondération et d'évaluation des exigences cotées? Le Tribunal estime que le barème de notation, sauf pour ce qui est du critère coté 8.2.1, est conforme au principe énoncé dans Siemens Westinghouse, étant donné que les soumissionnaires pouvaient prévoir les sous-critères et la pondération et que les sous-critères n'ont ni augmenté ni diminué la valeur et l'importance relatives des critères énoncés dans la DP. De l'avis du Tribunal, il n'y avait pas d'écart entre le barème de notation applicable à ces critères et l'interprétation que le Tribunal s'attendrait raisonnablement qu'un soumissionnaire donne à chacun d'eux. Dans le cas du critère coté 8.2.1, le Tribunal estime que le barème de notation fournissait des renseignements supplémentaires qui n'étaient pas évidents au regard du contenu de la DP. Par conséquent le Tribunal conclut que la plainte est fondée.

30. En ce qui touche le critère coté 8.2.1 - « Expérience des membres de l'équipe en matière d'évaluations », le Tribunal est d'avis que l'ajout dans le barème de notation des mots « de portée et de complexité comparables au projet décrit dans la DP » [renvoi omis] ne pouvait être raisonnablement prévu à la lecture de la DP. Si cet élément d'information supplémentaire avait été connu des soumissionnaires, le MJ aurait presque à coup sûr reçu des soumissions différentes de la part de certains soumissionnaires, y compris Beals.

31. Pour ce qui est du critère coté 8.2.2 - « Expérience des membres de l'équipe en matière de recherches ou d'évaluations dans le domaine de la justice pour les jeunes », le Tribunal est d'avis qu'il n'y a pas d'écart entre l'information supplémentaire fournie dans le barème de notation et l'interprétation qu'un soumissionnaire raisonnable donnerait à la DP. Cependant, le Tribunal fait remarquer que le MJ a reconnu que son évaluation initiale de l'expérience de l'une des ressources proposées par Beals n'était pas correcte et que Beals aurait peut-être eu droit à des points supplémentaires.

32. En ce qui concerne le critère coté 8.2.3 - « Compréhension de l'Initiative sur le renouvellement du système de justice pour les jeunes », le Tribunal est d'avis que l'information supplémentaire que renferme le barème de notation est conforme à ce à quoi les soumissionnaires pouvaient raisonnablement s'attendre. Cependant, le Tribunal fait observer que cette section du barème de notation se lit ainsi : « Les éléments qui démontreraient une compréhension de l'IRSJJ comprennent ». Selon l'interprétation du Tribunal, ce libellé n'implique pas que la liste d'éléments est exhaustive, comme l'a prétendu Beals.

33. À propos du critère coté 8.2.4 - « Pertinence de la méthodologie », le Tribunal croit que les sous-critères énoncés dans le barème de notation pouvaient raisonnablement être prévus, compte tenu de la nature de l'exigence et du contenu de la DP. De l'avis du Tribunal, il n'est pas déraisonnable de s'attendre à ce que les soumissionnaires traitent des questions comme le nombre d'entrevues et les types de sources de données et à ce qu'ils fournissent suffisamment de renseignements pour démontrer que la méthodologie qu'ils proposent pour mener l'évaluation sommative produirait des résultats précis. Le Tribunal fait remarquer que le MJ n'a pas nié avoir dit à Beals lors de l'entretien final que l'aspect créativité avait été évalué. Cependant, le Tribunal, ayant examiné attentivement les observations consignées par chaque évaluateur dans le barème de notation en ce qui touche la « Pertinence de la méthodologie » proposée par Beals, ne voit aucune preuve démontrant que l'aspect créativité a vraiment été évalué. Par conséquent, le Tribunal conclut, selon la prépondérance des éléments de preuve, que la créativité ne constituait pas un sous-critère et n'a pas été évaluée.

34. Le Tribunal prend note de l'argument de Beals selon lequel le critère 8.2.4, compte tenu de sa valeur relative, aurait dû être mieux expliqué dans la DP. Il ne peut tenir compte de cet argument, étant donné que le délai prévu pour déposer une plainte fondée sur ce motif a expiré. Toute préoccupation quant à la structure ou à la teneur d'une DP aurait dû être portée à l'attention du Tribunal dans les 10 jours ouvrables suivant la découverte du présumé problème. Ce délai aurait pris fin 10 jours ouvrables après le moment où Beals est devenue consciente, ou aurait dû raisonnablement devenir consciente, des motifs de plainte. Beals aurait dû être consciente de ce motif lorsqu'elle a pris connaissance de la DP, c'est-à-dire au plus tard à la date limite fixée pour le dépôt des propositions auprès du MJ. Par conséquent, toute plainte concernant la DP aurait dû être présentée au plus tard le 12 avril 2004. La plainte a été déposée le 28 avril 2004.

35. Aux fins de déterminer la mesure corrective indiquée, le Tribunal a tenu compte de toutes les circonstances pertinentes au présent marché public, y compris celles qui sont énumérées au paragraphe 30.15(3) de la Loi sur le TCCE.

36. De l'avis du Tribunal, le fait d'utiliser dans la procédure de passation du marché public un barème de notation dont certaines parties ne pouvaient être prévues, compte tenu du libellé de la DP initiale, constituait une grave lacune; toutefois, l'information fournie par le MJ relativement à la notation a démontré que, même si Beals avait obtenu le nombre maximum de points pour le critère coté 8.2.1 (celui pour lequel le Tribunal a jugé que le barème de notation était incorrect) et le critère coté 8.2.2 (celui pour lequel le MJ a reconnu qu'il n'avait pas évalué correctement la proposition de Beals), la méthode de sélection de l'entrepreneur décrite dans la section 8.4 de la DP aurait quand même donné lieu à l'adjudication du contrat à la même entreprise. Par conséquent, le Tribunal conclut que Beals n'a pas subi de préjudice par suite de la violation des accords commerciaux par le MJ.

37. En ce qui touche le montant de 20 000 $ demandé par Beals en guise de réparation, le Tribunal est d'avis que les coûts que représentent le temps et les efforts consacrés à la préparation de la proposition et à la participation à l'entretien final devraient être assumés par Beals puisqu'il s'agit de dépenses engagées dans le cours normal des activités d'une entreprise. Autrement dit, Beals aurait engagé ces frais même si sa proposition avait été évaluée correctement, qu'elle ait été ou non le soumissionnaire retenu.

38. Ce genre de lacune, si elle devait se répéter ou devenir plus courante, pourrait porter atteinte à l'intégrité et à l'efficacité de la procédure d'adjudication en régime de concurrence. Cependant, en l'espèce, l'analyse du Tribunal indique que le résultat final aurait été le même en l'absence de violation et que, par conséquent, le préjudice causé à l'intégrité et à l'efficacité de la procédure d'adjudication en régime de concurrence était minime. La preuve n'indique pas que le MJ a agi de mauvaise foi. Par conséquent, le Tribunal ne recommande pas en l'espèce de mesure corrective.

39. Le Tribunal accorde à Beals le remboursement des frais raisonnables qu'elle a engagés pour la préparation et le traitement de la plainte. Au regard de sa Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure de plainte portant sur un marché public (Ligne directrice), le Tribunal est d'avis que le degré de complexité de la présente plainte correspond au plus bas degré de complexité prévu à l'annexe A de la Ligne directrice (degré 1). La Ligne directrice fonde l'évaluation du degré de complexité d'une plainte sur trois critères : la complexité du marché public, la complexité de la plainte et la complexité de la procédure. Le degré de complexité du marché public était moyen du fait qu'il s'agissait de services liés à une étude définie. Le degré de complexité de la plainte était faible, en ce sens qu'elle portait sur une seule question et sur un seul aspect d'un même accord commercial. Enfin, la complexité de la procédure était faible, étant donné qu'il n'y a eu aucun intervenant, aucune requête et aucune audience publique, et que le délai de 90 jours a été respecté. Par conséquent, comme le prévoit la Ligne directrice, l'indication provisoire du montant de l'indemnisation est de 1 000 $.

40. Beals a demandé que le Tribunal communique à tous les agents de négociation des contrats une directive que les documents d'appel d'offres doivent indiquer clairement les critères appliqués dans l'évaluation des soumissions ainsi que les méthodes de pondération et d'évaluation des critères. Le Tribunal est d'avis que l'ACI précise clairement cette exigence et que la présente décision devrait représenter un avis suffisant au MJ à cet effet.

DÉCISION DU TRIBUNAL

41. Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal détermine que la plainte est fondée.

42. Aux termes de l'article 30.16 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal accorde à Beals le remboursement des frais raisonnables qu'elle a engagés pour la préparation et le traitement de la plainte, ces frais devant être payés par le MJ. L'indication provisoire du degré de complexité de la présente plainte pour le Tribunal est le degré 1, et l'indication provisoire du montant de l'indemnisation est de 1 000 $. Si l'une ou l'autre des parties n'est pas d'accord en ce qui a trait à l'indication provisoire du degré de complexité ou à l'indication provisoire du montant de l'indemnisation, elle peut déposer des observations auprès du Tribunal, conformément à la Ligne directrice. Le Tribunal se réserve le droit de fixer le montant final de l'indemnisation.


1 . L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47 [Loi sur le TCCE].

2 . 18 juillet 1994, Gaz. C. 1995.I.1323, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <http://www.intrasec.mb.ca/fre/it.htm> [ACI].

3 . D.O.R.S./93-602 [Règlement].

4 . Voir Re plainte déposée par Siemens Westinghouse Incorporated (19 mars 2001), PR-2000-039 (TCCE) [Siemens Westinghouse].

5 . RIF à la p. 8, para. 30.