VERITAAQ TECHNOLOGY HOUSE INC.

Décisions


VERITAAQ TECHNOLOGY HOUSE INC.
c.
MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX
Dossier no PR-2004-046

Décision rendue
le mercredi 23 mars 2005

Motifs rendus
le jeudi 14 avril 2005


TABLE DES MATIÈRES

EU ÉGARD À une plainte déposée par Veritaaq Technology House Inc. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47;

ET À LA SUITE D'une décision d'enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

ENTRE

 

VERITAAQ TECHNOLOGY HOUSE INC.

Partie plaignante

ET

 

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

Institution fédérale

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte est fondée en partie.

Aux termes des paragraphes 30.15(2) et 30.15(3) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande, à titre de mesure corrective, que le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux réévalue les propositions et que la réévaluation soit limitée à la détermination de l'expression « tarif journalier excessivement bas » de chaque catégorie qui est définie à l'article D.6 de la demande de propositions, modifiée par l'article 7 de la modification no 3 de l'invitation à soumissionner.

Le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande que le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux : 1) résilie tout contrat existant accordé aux soumissionnaires dont les propositions ont été jugées non conformes à la suite de la réévaluation; 2) accorde de nouveaux contrats, lorsqu'il sera justifié de le faire.

Aux termes de l'article 30.16 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur accorde à Veritaaq Technology House Inc. le remboursement des frais raisonnables qu'elle a engagés pour la préparation et le traitement de la plainte, ces frais devant être payés par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux. L'indication provisoire du degré de complexité de la présente plainte donnée par le Tribunal canadien du commerce extérieur est le degré 2, et l'indication provisoire du montant de l'indemnisation est de 2 400 $. Si l'une ou l'autre des parties n'est pas d'accord en ce qui a trait à l'indication provisoire du degré de complexité ou à l'indication du montant de l'indemnisation, elle peut déposer des observations auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur, en conformité avec sa Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure portant sur un marché public. Le Tribunal canadien du commerce extérieur se réserve la compétence de fixer le montant final de l'indemnisation.

Patricia M. Close
Patricia M. Close
Membre présidant

Pierre Gosselin
Pierre Gosselin
Membre

Zdenek Kvarda
Zdenek Kvarda
Membre

Hélène Nadeau
Hélène Nadeau
Secrétaire

L'exposé des motifs suivra à une date ultérieure.

Membres du Tribunal :

Patricia M. Close, membre présidant

 

Pierre Gosselin, membre

 

Zdenek Kvarda, membre

   

Agent d'enquête :

Peter Rakowski

   

Conseiller pour le Tribunal :

Nick Covelli

   

Partie plaignante :

Veritaaq Technology House Inc.

   

Conseiller pour la partie plaignante :

Martin G. Masse

 

Yasir A. Naqvi

   

Intervenants :

S&S Software Ltd

 

AJJA Information Technology Consultants Inc.

 

Coradix Technology Consulting Ltd.

   

Conseiller pour S&S Software Ltd. :

Gerry Stobo

   

Institution fédérale :

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

   

Conseillers pour l'institution fédérale :

Christianne M. Laizner

 

Susan D. Clarke

 

Ian McLeod

Adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : (613) 993-3595
Télécopieur : (613) 990-2439
Courriel :

EXPOSÉ DES MOTIFS

PLAINTE

1. Le 23 décembre 2004, Veritaaq Technology House Inc. (Veritaaq) a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur 1 . La plainte portait sur le marché (invitation no EN798-03P001/A) passé par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) pour la fourniture de services professionnels en informatique.

2. Veritaaq a allégué que TPSGC n'avait pas correctement évalué une exigence obligatoire de l'article D.6 de la demande de propositions (DP), modifiée par l'article 7 de la modification no 3 de l'invitation à soumissionner (article 7) publiée le 22 mars 2004, à savoir évaluer les propositions par catégorie afin qu'elles ne renferment pas de tarif journalier excessivement bas et que, ce faisant, il avait adjugé le marché à des soumissionnaires dont les propositions n'étaient pas conformes. Veritaaq a également allégué que la pondération accordée à certaines catégories de tarifs journaliers était viciée parce qu'elle amplifiait les avantages qui pouvaient découler de la présentation de tarifs non conformes.

3. À titre de mesure corrective, Veritaaq a demandé qu'un nouvel appel d'offres soit lancé pour le marché.

4. Le 31 décembre 2004, le Tribunal a informé les parties qu'il avait décidé d'enquêter sur la plainte, puisque cette dernière répondait aux exigences du paragraphe 30.11(2) de la Loi et aux conditions énoncées au paragraphe 7(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics 2 . Le 24 janvier 2005, le Tribunal a autorisé S&S Software Ltd. (S&S) à intervenir dans l'affaire. Le 25 janvier 2005, TPSGC a déposé un rapport de l'institution fédérale (RIF) auprès du Tribunal en application de l'article 103 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur 3 . Aussi, le 25 janvier 2005, le Tribunal a autorisé AJJA Information Technology Consultants Inc. (AJJA) à intervenir dans l'affaire. Le 1er février 2005, le Tribunal a autorisé Coradix Technology Consulting Ltd. à intervenir dans l'affaire. Le 7 février 2005, le Tribunal a reçu les commentaires de Veritaaq sur le RIF ainsi que des observations d'AJJA et de S&S.

5. La quantité de renseignements au dossier étant suffisante pour déterminer le bien-fondé de la plainte, le Tribunal a décidé qu'une audience n'était pas nécessaire et a statué sur la plainte sur la foi des renseignements au dossier.

PROCÉDURE DE PASSATION DU MARCHÉ PUBLIC

6. Le 9 mars 2004, TPSGC a publié un avis de projet de marché et diffusé une DP dont la date de clôture était le 19 avril 2004. La DP prévoyait l'adjudication d'au plus trois contrats pour les services requis, contrats qui devaient remplacer les trois contrats existants qui avaient été adjugés en 2002. Selon TPSGC, les trois entrepreneurs titulaires étaient :

· Veritaaq

· AJJA

· Ajilon Canada Inc. (Ajilon)

7. L'article 7 stipule ce qui suit :

7. À L'ANNEXE D, PROCÉDURES ET CRITÈRES D'ÉVALUATION, ajouter ce qui suit au point D.6 ÉVALUATION FINANCIÈRE :

Tarifs journaliers excessivement bas :

(i) Les soumissionnaires qui fournissent des tarifs journaliers excessivement bas pour l'une ou l'autre des années pendant la période du contrat, y compris les années de renouvellement facultatif, seront réputés non conformes dans les conditions suivantes : la définition de « tarif journalier excessivement bas » correspondra pour les besoins de la présente demande de propositions aux tarifs applicables inférieurs de plus de 20 p. 100 aux tarifs journaliers applicables pour la réalisation des travaux pendant la première année du contrat au cours des quatre années de renouvellement facultatif, ou aux tarifs journaliers inférieurs de plus de 20 p. 100 aux tarifs journaliers applicables pour la réalisation des travaux pendant l'année ayant précédé immédiatement l'année du contrat. Sur demande, le soumissionnaire doit prouver, en fournissant des dossiers de facturation antérieurs, que les tarifs qu'il demande pour la première année du contrat n'ont pas diminué de plus de 20 p. 100. Cette formule sera appliquée aux tarifs journaliers par catégorie.

(ii) À la suite de l'évaluation financière de tous les tarifs proposés, l'État se réserve le droit de mettre en doute la validité des tarifs de beaucoup inférieurs aux tarifs demandés précédemment par l'entrepreneur. Si le soumissionnaire ne peut justifier les tarifs journaliers excessivement bas, la proposition du soumissionnaire sera rejetée.

[Traduction]

8. Selon TPSGC, 10 propositions ont été reçues en réponse à l'invitation, dont celles de Veritaaq et des deux autres titulaires.

9. Selon TPSGC aussi, on a procédé à l'examen des propositions pour voir si elles respectaient les exigences de l'article 7 et, plus précisément, si elles contenaient des « tarifs journaliers excessivement bas », c'est-à-dire si certains des tarifs proposés étaient « inférieurs de plus de 20 p. 100 aux tarifs journaliers applicables pour la réalisation des travaux pendant la première année du contrat au cours des quatre années de renouvellement facultatif ». Une seule proposition a été jugée non conforme à cette exigence; celle-ci n'a pas été examinée de façon approfondie. TPSGC a établi qu'AJJA, Coradix et S&S avaient présenté les trois propositions conformes les mieux cotées et leur a donc adjugé les contrats.

10. Le 26 octobre 2004, TPSGC a tenu une session d'information avec Veritaaq. À ce moment-là, Veritaaq a allégué que certaines des soumissions de ses concurrents n'étaient pas conformes aux exigences de l'article 7.

11. Le 27 octobre 2004, TPSGC a demandé à Veritaaq de confirmer les catégories particulières de travaux qui, selon elle, posaient des problèmes. Le même jour, Veritaaq a signalé quatre catégories de travaux problématiques dans la proposition d'AJJA.

12. Le 5 novembre 2004, Veritaaq a fait parvenir à TPSGC une lettre d'opposition dans laquelle elle expliquait en détail ses craintes.

13. Le 9 décembre 2004, TPSGC a répondu à Veritaaq, par une lettre datée du 7 décembre 2004, rejetant l'opposition de Veritaaq et mentionnant qu'il croyait que les tarifs présentés par AJJA et les deux autres soumissionnaires retenus étaient conformes à l'article 7.

14. Le 23 décembre 2004, Veritaaq a déposé sa plainte auprès du Tribunal.

POSITIONS DES PARTIES

Position de Veritaaq

15. Veritaaq a fait valoir que l'article 7 exige clairement une analyse par catégorie du tarif journalier. Elle a soutenu que TPSGC avait plutôt analysé les soumissions en se fondant sur le total des coûts. Selon Veritaaq, il s'agit là d'un motif valable pour accueillir sa plainte.

16. Veritaaq a allégué que la partie définition de l'article 7 ne fait pas état de « deux critères de rechange différents » [traduction] que TPSGC peut appliquer au hasard et à son gré, mais qu'elle présente plutôt une énumération de deux éléments séparés par le mot « ou ». Selon Veritaaq, il est bien connu en droit que, lorsqu'une définition inclut une énumération d'éléments séparés par « ou », chacun des éléments satisfera à la définition. Veritaaq a soutenu que, en droit relatif à l'interprétation des lois et des contrats, le terme « ou » n'a pas une seule signification non ambiguë. Veritaaq a ajouté que, même le texte faisant autorité cité par TPSGC - qui, au paragraphe 9 de la section du RIF appelée « Plaidoirie et réponse à la plainte » n'a reproduit qu'une partie de la définition de « ou » donnée par Black's Law Dictionary 4 - le dit clairement. Veritaaq a fait valoir que la suite de cette définition dit ceci : « dans certains usages, le mot "ou" crée plusieurs obligations plutôt que des obligations de rechange; lorsqu'il le faut pour interpréter un document, on peut considérer que "ou" signifie "et" » [traduction].Veritaaq a donc soutenu qu'il faut tenir compte du cadre contextuel de la fonction de « ou ».

17. Veritaaq a fait valoir que, en l'espèce, selon l'article 7, les « soumissionnaires qui fournissent des tarifs journaliers excessivement bas pour l'une ou l'autre des années pendant la période du contrat, y compris les années de renouvellement facultatif, seront réputés non conformes ». Selon Veritaaq, pour que la formulation claire de l'article 7 prenne pleinement son sens, TPSGC doit veiller à ce qu'aucune offre ne renferme de tarifs journaliers excessivement bas, peu importe comment ils sont définis, afin que des contrats ne soient pas adjugés à des soumissionnaires non conformes. Chacun des éléments de l'expression « tarifs journaliers excessivement bas » séparés par « ou » satisfera donc à la définition et il faut examiner séparément chacun des éléments de la définition séparés par « ou » afin de vérifier qu'aucun tarif interdit n'a été présenté.

18. Veritaaq a soutenu que la position qui est la sienne, selon laquelle TPSGC est tenu de vérifier les tarifs journaliers excessivement bas éventuels et antérieurs, respecte aussi l'exigence générale d'après laquelle les responsables de la passation de marchés publics doivent évaluer rigoureusement et à fond les exigences obligatoires.

19. Selon Veritaaq, TPSGC n'a pas prouvé que la formulation de l'article appuie la prémisse selon laquelle il peut agir à son gré en appliquant l'article 7. Veritaaq a maintenu qu'il incombe à TPSGC de vérifier les propositions en fonction des deux aspects de la définition. Veritaaq a ajouté que, comme il le dit lui-même, ce n'est pas ce que TPSGC, qui a plutôt choisi de limiter arbitrairement son enquête à la première partie de la définition, a fait. En mettant fin à son enquête après n'avoir vérifié que les tarifs journaliers excessivement bas éventuels, TPSGC n'a donc pas correctement évalué l'exigence obligatoire de l'article 7.

20. D'après Veritaaq, l'interprétation de TPSGC n'atteint même pas l'objectif que TPSGC lui-même vise par l'article 7. À plusieurs endroits dans le RIF, TPSGC a mentionné que l'objectif de l'article 7 est d'empêcher un soumissionnaire de tirer parti d'« une stratégie de soumission de bas tarifs sélectifs » [traduction]. Si, comme TPSGC l'indique, il convient de ne vérifier dans les soumissions que les tarifs journaliers excessivement bas éventuels, ce but n'est pas atteint, étant donné qu'un soumissionnaire pourrait encore profiter d'une stratégie de soumission de bas tarifs sélectifs en présentant une offre qui renferme des tarifs journaliers excessivement bas antérieurs pour certaines catégories, puis en refusant d'offrir des services dans ces catégories.

21. Veritaaq a ajouté que, comme la formule de pondération utilisée dans la section « Évaluation financière » de la DP permet aux soumissionnaires de tirer indûment partie de l'utilisation de tarifs journaliers excessivement bas, le fait que TPSGC n'a pas évalué les soumissions pour déterminer si elles contiennent des tarifs journaliers excessivement bas est aggravé5 .

22. Veritaaq a maintenu que ne pas évaluer une exigence obligatoire est l'une des erreurs les plus fondamentales qui peuvent se produire dans la procédure de passation d'un marché public. Cette erreur non seulement porte préjudice à Veritaaq et à tous les autres soumissionnaires, mais elle nuit aussi à l'intégrité et à l'efficacité de la procédure d'adjudication en régime de concurrence. Veritaaq a donc soutenu que le Tribunal devrait, à titre de mesure corrective, recommander de lancer une nouvelle invitation à soumissionner.

Position de TPSGC

23. TPSGC a fait valoir que, pour connaître le sens qu'on entendait donner à l'article 7, il ne faut pas dissocier l'interprétation des paragraphes 7(i) et (ii). Il a ajouté qu'il doit exister une certaine cohérence entre l'interprétation d'une partie de l'article 7 et celle des autres parties.

24. TPSGC a mentionné, à titre d'éclaircissement, que l'utilisation du mot « shall » (sera) au paragraphe 7(i) indique que la formule doit être appliquée aux tarifs journaliers « par catégorie » et que le paragraphe 7(i) présente clairement deux critères de rechange différents pour le calcul d'un « tarif journalier excessivement bas ».

25. TPSGC a ajouté que le paragraphe 7(i) utilise le mot « ou » pour indiquer qu'il peut se servir de l'un ou l'autre des deux critères ou « conditions » pour déterminer si un tarif journalier est excessivement bas.

26. TPSGC a prétendu que le paragraphe 7(i) dicte l'utilisation de l'un ou de l'autre critère pour déterminer si un soumissionnaire propose des tarifs journaliers excessivement bas, tandis que, par le paragraphe 7(ii), il se réserve le droit de mettre en doute la validité d'un tarif de beaucoup inférieur aux tarifs antérieurs demandés par un entrepreneur/soumissionnaire (conformément au deuxième critère). Il a de plus allégué que le paragraphe 7(ii) indique qu'il se réserve le droit de mettre en doute, ou non, la validité des tarifs d'un entrepreneur/soumissionnaire et de demander à celui-ci des explications à propos de tarifs excessivement bas dans le contexte d'une comparaison avec les tarifs exigés par cet entrepreneur aux termes du contrat antérieur, ou pour des travaux antérieurs par un entrepreneur non titulaire.

27. Selon TPSGC, lorsqu'il a évalué les propositions financières des soumissionnaires, il a appliqué le premier critère prévu au paragraphe 7(i) pour tous les tarifs journaliers excessivement bas6 .

28. TPSGC a soutenu que ce premier critère s'applique au nouveau contrat et permet de comparer les tarifs pour les années de renouvellement facultatif proposées aux tarifs proposés pour la première année du nouveau contrat.

29. TPSGC a soutenu qu'il convenait, pour que toutes les offres soient évaluées équitablement et de la même manière, d'appliquer un seul critère (c.-à-d. le premier) à toutes les propositions, et que, donc, la comparaison entre les tarifs journaliers pour les années de renouvellement facultatif proposées et les tarifs journaliers proposés pour la première année du nouveau contrat a servi à l'évaluation de toutes les propositions des soumissionnaires.

30. TPSGC a soutenu que son interprétation et son application de l'article 7 sont raisonnables, correspondent à l'usage courant du mot « ou », sont conformes à sa pratique et donnent leur véritable sens à toutes les parties de la disposition.

31. TPSGC a également fait valoir que toute objection à la formule de pondération utilisée dans la section « Évaluation financière » de la DP aurait dû être soulevée pendant la période de soumission. TPSGC a maintenu que le moment où il fallait déposer une plainte auprès du Tribunal à ce sujet était passé et que, par conséquent, cet aspect de la plainte devrait être rejeté.

32. Enfin, TPSGC a mentionné que, si le Tribunal décide que TPSGC a erré en n'appliquant pas les deux critères de l'article 7 à toutes les propositions, une réévaluation serait la mesure corrective indiquée dans les circonstances.

Position de S&S

33. S&S a fait valoir qu'aucun élément de preuve n'appuie l'allégation de Veritaaq, selon laquelle TPSGC a procédé à une évaluation postérieure à l'adjudication des soumissions, et que l'examen des évaluations qu'a effectué TPSGC en réponse aux préoccupations soulevées par Veritaaq pendant la période postérieure à l'adjudication ne constitue pas une activité inappropriée.

34. En réponse à l'allégation de Veritaaq, qui prétend que l'invitation à soumissionner n'est pas conforme aux accords commerciaux parce que la formule de pondération utilisée à la section « Évaluation financière » de la DP permet à certains fournisseurs de profiter injustement de l'utilisation de bas tarifs de soumission journaliers, S&S a soutenu que le moment d'invoquer ces motifs est de toute évidence dépassé et que Veritaaq aurait dû porter plainte à propos de ces questions lorsque la DP a été diffusée en mars 2004.

35. S&S a ajouté que, si la plainte est fondée, Veritaaq devrait tout au plus recevoir le remboursement des frais qu'elle avait engagés pour la préparation de la soumission et le remboursement partiel des frais relatifs à la plainte.

36. S&S a accepté les faits présentés aux paragraphes 1 à 21 du RIF et mentionné qu'elle aimerait aussi que le Tribunal tienne compte de ce que, dans le milieu de la technologie de l'information, les dispositions relatives aux tarifs journaliers excessivement bas, comme celle de l'article 7, sont courantes. D'après S&S, les entreprises qui répondent à une DP portant sur des services professionnels en technologie de l'information savent qu'en pratique le seul critère que TPSGC applique pour déterminer si une soumission renferme des tarifs journaliers excessivement bas est le premier des deux critères de l'article 7. S&S a donc fait valoir que la démarche adoptée par TPSGC pour cette évaluation correspond à cette pratique.

37. S&S a soutenu que le libellé de l'article 7 et son contexte appuient une interprétation disjonctive du mot « ou » et que, donc, en séparant les deux critères possibles pour les tarifs journaliers excessivement bas à l'aide du mot « ou », TPSGC pouvait à son gré choisir lequel des deux critères était approprié dans les circonstances. Selon S&S, pour autant que TPSGC ait appliqué les mêmes critères à tous les soumissionnaires et les ait évalués équitablement, il n'a violé aucun accord commercial.

38. S&S a ajouté que le Tribunal devrait s'en remettre à l'interprétation de TPSGC et qu'il ne devrait y avoir interférence que si cette interprétation était manifestement déraisonnable. S&S a soutenu que le premier critère pour les tarifs journaliers excessivement bas est le seul qui pouvait s'appliquer de manière juste et équitable à tous les soumissionnaires dans la présente invitation à soumissionner et que les évaluateurs avaient le droit d'interpréter l'article 7 d'une manière qui leur permettait de choisir le critère le plus approprié.

39. En ce qui concerne les mesures correctives, S&S a affirmé qu'il ne conviendrait pas de lancer une nouvelle invitation à soumissionner, étant donné que la résiliation du contrat aurait des conséquences graves disproportionnées pour les soumissionnaires retenus, comme S&S, dont les offres respectent toutes les exigences obligatoires. S&S a soutenu que, si le Tribunal est d'avis que d'autres mesures correctives, outre le remboursement d'une partie des frais que Veritaaq a engagés pour le traitement de sa plainte, sont nécessaires, Veritaaq devrait se voir rembourser des frais qu'elle a engagés pour la préparation de sa soumission, puisqu'il est évident que Veritaaq n'aurait pas été retenue dans le présent marché public vu le rang qu'elle a obtenu par rapport aux soumissions qui ont été jugées conformes.

Position d'AJJA

40. AJJA se disait d'accord avec le RIF, à un point d'éclaircissement près : le deuxième critère servant à évaluer si les tarifs journaliers proposés sont excessivement bas (« ou aux tarifs journaliers inférieurs de plus de 20 p. 100 aux tarifs journaliers applicables à la réalisation des travaux pendant l'année ayant précédé immédiatement l'année du contrat ») ne renvoit pas aux tarifs des titulaires, mais exige plutôt que le soumissionnaire puisse appuyer et attester ses tarifs en se fondant sur les tarifs du contrat pour la réalisation des travaux pendant l'année précédant le contrat.

41. AJJA a fait valoir que Veritaaq avait à tort tenu pour acquis que les tarifs qui seraient utilisés pour la comparaison étaient ceux du contrat de PowerBuilder Support Services (PowerBuilder) en place pour les trois titulaires au moment du processus de la DP. Selon AJJA, cela influencerait l'évaluation à l'encontre des entreprises titulaires si cela était le cas; cependant, les tarifs du contrat de PowerBuilder existant ont été fixés en 2002 et, compte tenu de l'importante diminution des tarifs journaliers en technologie de l'information pendant cette période, ces tarifs sont, par définition, bien plus élevés que les tarifs actuels du marché et ne représentent pas les prix de l'industrie.

42. AJJA a ajouté que lancer une nouvelle DP donnerait à Veritaaq un avantage indu sur tous les autres soumissionnaires parce qu'elle a, d'une manière quelconque, obtenu les renseignements exclusifs et confidentiels sur les tarifs de toutes les entreprises retenues pour le nouveau contrat. AJJA a soutenu que Veritaaq s'est servi du plafond des tarifs d'AJJA de l'ancien contrat PowerBuilder pour établir sa propre structure de prix et qu'elle a à tort fixé ses tarifs à partir des « anciens » prix qu'AJJA pouvait demander il y a deux ans. AJJA a soutenu que, si Veritaaq croyait que le calcul des tarifs excessivement bas était vicié parce qu'il désavantageait les soumissionnaires titulaires, il incombait à Veritaaq de poser des questions d'éclaircissement ou de demander une amélioration de l'Énoncé des travaux dans la DP, ce qu'elle n'a pas fait.

43. AJJA a soutenu aussi que Veritaaq avait mentionné à TPSGC que les tarifs d'AJJA étaient excessivement bas; cependant, TPSGC avait vérifié les renseignements relatifs à l'attestation des prix d'AJJA et avait conclu que les tarifs de sa soumission respectaient la limite de 20 p. 100.

ANALYSE DU TRIBUNAL

44. Aux termes de l'article 30.14 de la Loi, le Tribunal doit, dans son enquête, limiter son étude à l'objet de la plainte. En outre, à la fin de l'enquête, le Tribunal doit déterminer la validité de la plainte en fonction des critères et procédures établis par règlement pour le contrat spécifique. L'article 11 du Règlement prévoit de plus que le Tribunal doit déterminer si le marché a été passé conformément aux accords commerciaux applicables qui, en l'espèce, sont l'Accord de libre-échange nord-américain 7 , l'Accord sur le commerce intérieur 8 et l'Accord sur les marchés publics 9 .

45. Veritaaq a prétendu dans sa plainte que TPSGC n'avait pas suivi correctement le paragraphe 506(6) de l'ACI et les alinéas 1015(4)c) et 1015(4)d) de l'ALÉNA.

46. Le paragraphe 506(6) de l'ACI stipule entre autres ce qui suit :

Les documents d'appel d'offres doivent indiquer clairement les conditions du marché public, les critères qui seront appliqués dans l'évaluation des soumissions et les méthodes de pondération et d'évaluation des critères.

47. Les alinéas 1015(4)c) et 1015(4)d) de l'ALÉNA stipulent ce qui suit :

c) sauf si elle décide, pour des raisons d'intérêt public, de ne pas passer le marché, l'entité l'adjugera au fournisseur qui aura été reconnu pleinement capable d'exécuter le marché et dont la soumission sera la soumission la plus basse ou celle qui aura été jugée la plus avantageuse selon les critères d'évaluation spécifiés dans les avis ou dans la documentation relative à l'appel d'offres;

d) l'adjudication des marchés sera conforme aux critères et aux conditions essentielles spécifiées dans la documentation relative à l'appel d'offres.

48. Personne ne conteste que les documents d'appel d'offres en cause dans la présente affaire mentionnent une exigence obligatoire selon laquelle les soumissions ne doivent pas comporter de tarifs journaliers excessivement bas. Le différend vient de la question de savoir si l'article 7 de la DP énumère les deux critères servant à déterminer si les tarifs journaliers sont excessivement bas, lesquels s'appliquent à la fois, ou s'il donne le choix entre deux critères dont un seul s'applique. Ces deux critères ont respectivement trait aux tarifs journaliers excessivement bas éventuels et aux tarifs journaliers excessivement bas antérieurs. TPSGC a dit avoir correctement agi à son gré et n'avoir appliqué que le premier critère.

49. Le Tribunal est d'avis que la position de TPSGC, selon laquelle le mot « ou » qui sépare les deux critères est disjonctif et qu'il pouvait donc limiter son évaluation des soumissions au premier, c.-à-d. aux tarifs éventuels, est incorrecte. Bien que le mot « ou » soit en général utilisé comme particule disjonctive qui exprime une option ou la possibilité de choisir une chose parmi deux ou plusieurs, il peut aussi être conjonctif si le contexte l'exige. D'après Black's Law Dictionary, « dans certains usages, le mot "ou" crée plusieurs obligations plutôt que des obligations de rechange » et, par conséquent, « lorsqu'il le faut pour interpréter un document, on peut considérer que "ou" signifie "et" » [traduction]. Lorsque, comme c'est le cas ici, une définition comporte une énumération de critères séparés par « ou », il est bien établi en droit que chacun des critères s'appliquera10 . Si la question évaluée ne satisfait pas aux deux critères, elle ne satisfait donc pas à l'exigence obligatoire mentionnée à l'article 7.

50. Le Tribunal est en outre d'avis que l'interprétation de TPSGC ne tient pas compte de la signification ordinaire de l'article 7 qui, tel qu'il est écrit, prévoit que les soumissionnaires seront réputés non conformes si les tarifs journaliers, soit éventuels ou antérieurs, qu'ils proposent sont excessivement bas. En d'autres mots, pour déterminer si les tarifs journaliers sont excessivement bas, l'évaluateur des soumissions doit appliquer les premier et deuxième critères et évaluer les offres en conséquence. Le mot « ou » du paragraphe 7(i) n'est donc pas disjonctif, mais conjonctif.

51. Par conséquent, il incombait à TPSGC, lorsqu'il a évalué les soumissions, d'appliquer les deux critères mentionnés au paragraphe 7(i) afin qu'aucune des soumissions ne propose des tarifs journaliers excessivement bas, comme les définissent le premier et le second critère. Étant donné que, selon ses propres dires, TPSGC n'a pas appliqué le second critère, qui a trait aux tarifs antérieurs, il n'a donc pas évalué les soumissions conformément à l'exigence obligatoire des documents d'appel d'offres selon laquelle les soumissions ne devaient pas comporter de tarifs journaliers excessivement bas.

52. En ce qui concerne l'allégation de Veritaaq, qui prétend que TPSGC n'a pas évalué correctement les tarifs journaliers par catégorie, le Tribunal remarque que, au paragraphe 7 de la section Plaidoirie et réponse à la plainte du RIF, TPSGC reconnaît que le paragraphe 7(i) exige une évaluation des tarifs journaliers par catégorie. Néanmoins, la prépondérance de la preuve indique que TPSGC a évalué les tarifs journaliers en fonction du coût total plutôt que par catégorie. Plus important encore, Veritaaq a soutenu qu'un représentant de TPSGC a dit ne pas avoir validé les tarifs journaliers par catégorie et que TPSGC était d'avis que le coût total de toutes les soumissions était relativement concurrentiel. Bien que TPSGC nie ces affirmations, il n'a pas fourni d'autres versions des événements ni d'autres preuves qu'il avait évalué les tarifs journaliers par catégorie.

53. Pour les motifs susmentionnés, le Tribunal conclut que TPSGC n'a pas évalué les propositions de façon entièrement conforme aux exigences obligatoires des documents d'appel d'offres, contrairement au paragraphe 506(6) de l'ACI et aux alinéas 1015(4)c) et 1015(4)d) de l'ALÉNA.

54. En ce qui concerne l'allégation de Veritaaq selon laquelle la formule de pondération utilisée dans la section « Évaluation financière » de la DP permet aux fournisseurs de profiter indûment de l'utilisation de faibles tarifs journaliers, le Tribunal remarque que la période pendant laquelle il était possible de soulever cette question a commencé lorsque Veritaaq a lu la DP et les modifications apportées à l'invitation à soumissionner. Cependant, Veritaaq n'a soulevé cette question qu'au moment de sa plainte au Tribunal, c.-à-d. bien après le délai prescrit par l'article 6 du Règlement. Le Tribunal rejette donc ce motif de plainte.

55. Aux termes du paragraphe 30.15(3) de la Loi, le Tribunal doit tenir compte de toutes les circonstances relatives au marché public lorsqu'il recommande les mesures correctives appropriées. À ce propos, le Tribunal remarque que le fait que TPSGC n'a pas correctement évalué les propositions représente une lacune grave dans la procédure de passation du marché public. En particulier, parce que le critère servant à déterminer les « tarifs journaliers excessivement bas » a été mal appliqué, la proposition des soumissionnaires retenus aurait pu être déclarée non conforme. Il n'est pas établi toutefois que cette lacune ait porté préjudice à la partie plaignante ou aux autres soumissionnaires. En fait, les soumissionnaires retenus - qui ont déjà entrepris les travaux prévus au contrat - auraient pu être retenus même si le critère avait été appliqué correctement. Par conséquent, dans les circonstances, le Tribunal recommande que les propositions soient réévaluées et que, pour cette réévaluation, les deux éléments de la définition du tarif journalier excessivement bas de l'article 7 soient appliqués par catégorie.

56. Le Tribunal accorde à Veritaaq le remboursement des frais raisonnables qu'elle a engagés pour la préparation et le traitement de la plainte. Pour déterminer le montant de l'indemnité, le Tribunal a tenu compte de sa Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure portant sur un marché public (la Ligne directrice), laquelle fonde l'évaluation du degré de complexité d'une plainte sur trois critères : la complexité du marché public, la complexité de la plainte et la complexité de la procédure.

DÉCISION DU TRIBUNAL

57. Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi, le Tribunal détermine que la plainte est fondée en partie.

58. Aux termes des paragraphes 30.15(2) et 30.15(3) de la Loi, le Tribunal recommande, à titre de mesure corrective, que TPSGC réévalue les propositions et que la réévaluation soit limitée à la détermination de l'expression « tarif journalier excessivement bas » de chaque catégorie qui est définie à l'article D.6 de la DP, modifiée par l'article 7.

59. Le Tribunal recommande que TPSGC résilie tout contrat existant accordé aux soumissionnaires dont les propositions ont été jugées non conformes à la suite de la réévaluation et accorde de nouveaux contrats, lorsqu'il sera justifié de le faire.

60. Aux termes de l'article 30.16 de la Loi, le Tribunal accorde à Veritaaq le remboursement des frais raisonnables qu'elle a engagés pour la préparation et le traitement de la plainte, ces frais devant être payés par TPSGC. L'indication provisoire du degré de complexité de la présente plainte donnée par le Tribunal est le degré 2, et l'indication provisoire du montant de l'indemnisation est de 2 400 $. Si l'une ou l'autre des parties n'est pas d'accord en ce qui a trait à l'indication provisoire du degré de complexité ou à l'indication du montant de l'indemnisation, elle peut déposer des observations auprès du Tribunal, en conformité avec sa Ligne directrice. Le Tribunal se réserve la compétence de fixer le montant final de l'indemnisation.


1 . L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47 [Loi].

2 . D.O.R.S. /93-602 [Règlement].

3 . D.O.R.S./ 91-499.

4 . Cinquième édition, St. Paul, Minn., West Publishing Co., 1979 à la p. 987.

5 . De plus, le Tribunal remarque qu'une des objections que Veritaaq a faites à TPSGC était que l'article 7 de la DP était discriminatoire pour les fournisseurs titulaires. Veritaaq n'a toutefois pas évoqué ce motif dans sa plainte au Tribunal. TPSGC a fait remarquer avec raison dans le RIF que cette objection aurait dû être soulevée pendant la période de soumission et que, par conséquent, le délai prescrit à l'article 6 du Règlement pour le dépôt d'une plainte auprès du Tribunal pour ce motif était écoulé avant que la plainte n'ait été déposée.

6 . Le RIF à la p. 12.

7 . 32 I.L.M. 289 (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ALÉNA].

8 . 18 juillet 1994, Gaz. C. 1995.I.1323, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <http://www.intrasec.mb.ca/fre/it.htm> [ACI].

9 . 15 avril 1994, en ligne : Organisation mondiale du commerce <http://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/final_f.htm>.

10 . Brookfield Lepage Johnson Controls Facility Management Services c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2004 FCA 214 aux paras. 4-9; Re Stelco Inc., 2004 Can LII 24933 (ON S.C.) au paras. 22-23, 28.