DELOITTE & TOUCHE LLP

Décisions


DELOITTE & TOUCHE LLP
c.
MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX
Dossier no PR-2005-044

Décision et motifs rendus
le jeudi 11 mai 2006


TABLE DES MATIÈRES

EU ÉGARD À une plainte déposée par Deloitte & Touche LLP aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47;

ET À LA SUITE D’une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

ENTRE

 

DELOITTE & TOUCHE LLP

Partie plaignante

ET

 

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

Institution fédérale

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte est fondée.

Aux termes des paragraphes 30.15(2) et 30.15(3) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande que le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux verse à Deloitte & Touche LLP une indemnisation pour perte d’occasion d’un montant égal au quart du profit qu’elle aurait raisonnablement réalisé, si elle avait été le soumissionnaire retenu dans le cadre du marché public (invitation no 24062-050061/A) passé par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux au nom du Secrétariat du Conseil du Trésor pour la prestation de services professionnels de vérification. Le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande que Deloitte & Touche LLP et le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux négocient le montant de l’indemnisation et, dans les 30 jours de la date de la présente décision, lui fassent rapport du résultat des négociations.

Si les parties ne peuvent s’entendre sur le montant de l’indemnisation, Deloitte & Touche LLP devra déposer auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur, dans les 30 jours de la date de la présente décision, un exposé sur la question de l’indemnisation. Le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux disposera ensuite de 7 jours ouvrables après la réception de l’exposé de Deloitte & Touche LLP pour déposer une réponse. Deloitte & Touche LLP disposera ensuite de 5 jours ouvrables après la réception de l’exposé en réponse du ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux pour déposer des observations supplémentaires. Les conseillers doivent simultanément déposer leurs observations auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur et en effectuer la signification à l’autre partie.

Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur accorde à Deloitte & Touche LLP le remboursement des frais raisonnables qu’elle a engagés pour la préparation et le traitement de la plainte, ces frais devant être payés par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux. L’indication provisoire du degré de complexité de la présente plainte donnée par le Tribunal canadien du commerce extérieur est le degré 1, et l’indication provisoire du montant de l’indemnisation est de 1 000 $. Si l’une ou l’autre des parties n’est pas d’accord en ce qui a trait à l’indication provisoire du degré de complexité ou à l’indication provisoire du montant de l’indemnisation, elle peut présenter des observations auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur, en conformité avec sa Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure portant sur un marché public. Le Tribunal canadien du commerce extérieur se réserve la compétence de fixer le montant de l’indemnisation.

Ellen Fry
Ellen Fry
Membre présidant

Hélène Nadeau
Hélène Nadeau
Secrétaire

Membre du Tribunal :

Ellen Fry, membre présidant

   

Directeur de la recherche :

Randolph W. Heggart

   

Agent principal de la recherche :

Cathy Turner

   

Conseiller pour le Tribunal :

Dominique Laporte

   

Partie plaignante :

Deloitte & Touche LLP

   

Conseillers pour la partie plaignante :

Gerry H. Stobo

 

Vincent DeRose

 

Jack Hughes

   

Institution fédérale :

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

   

Conseillers pour l’institution fédérale :

Ian McLeod

 

Christianne M. Laizner

 

Susan D. Clarke

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : (613) 993-3595
Télécopieur : (613) 990-2439
Courriel :

EXPOSÉ DES MOTIFS

PLAINTE

1. Le 5 janvier 2006, Deloitte & Touche LLP (Deloitte) a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur 1 à l’égard d’un marché public (invitation no 24062-050061/A) passé par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) au nom du Secrétariat du Conseil du Trésor pour la prestation de services professionnels de vérification.

2. Deloitte a allégué que TPSGC n’avait pas entièrement divulgué les critères d’évaluation dans le document d’invitation à soumissionner. Il s’agit du seul motif de plainte accepté aux fins d’enquête. À titre de mesure corrective, Deloitte a demandé au Tribunal de recommander que TPSGC lui verse une indemnisation pour perte d’occasion. À titre de solution de rechange, elle a demandé au Tribunal de recommander que TPSGC lui verse une indemnisation en reconnaissance des frais qu’elle avait engagés pour la préparation de sa soumission. Elle a de plus demandé à recevoir le remboursement des frais qu’elle avait engagés pour la préparation et le traitement de la plainte.

3. Le 11 janvier 2006, le Tribunal a avisé les parties qu’il avait décidé d’enquêter sur la plainte, puisque cette dernière répondait aux exigences du paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et aux conditions énoncées au paragraphe 7(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics 2 .

4. Le 13 janvier 2006, TPSGC a avisé le Tribunal qu’un contrat avait été adjugé au Centre de Gestion Publique Inc. Le 14 février 2006, TPSGC a déposé un rapport de l’institution fédérale (RIF) auprès du Tribunal en application de l’article 103 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur 3 . Le 24 février 2006, Deloitte a déposé ses observations sur le RIF.

5. La quantité de renseignements au dossier étant suffisante pour déterminer le bien-fondé de la plainte, le Tribunal a décidé qu’une audience n’était pas nécessaire et, conformément à l’alinéa 25c) des Règles, a statué sur la plainte sur la foi des renseignements au dossier.

PROCÉDURE DE PASSATION DU MARCHÉ PUBLIC

6. TPSGC a dit avoir envoyé une demande de propositions (DP) aux fournisseurs qualifiés, le 2 août 2005, dans le cadre de la « Demande d’arrangement en matière d’approvisionnement V9205-01004, champ de travail II, vérification des programmes, des opérations et de la conformité » [traduction]. La date de clôture initialement fixée au 31 août 2005 a par la suite été reportée au 14 septembre 2005.

7. Le 18 août 2005, TPSGC a diffusé la modification no 001. Aux termes de cette modification, le critère coté R-4, « Expérience de l’équipe de vérification proposée » [traduction], a été remplacé par un nouveau critère R-4 et le Tableau R-4, qui exigeait que les soumissionnaires précisent l’expérience des ressources qu’ils proposaient pour chacune des catégories figurant au Tableau R-44 , a été ajouté. De plus, le Tableau R-4 exigeait que les soumissionnaires précisent le nombre de jours que chaque ressource proposée devrait consacrer au projet.

8. La partie pertinente du critère d’évaluation R-4 modifié stipule ce qui suit :

Le soumissionnaire doit établir clairement que l’expérience professionnelle et les connaissances collectives de l’équipe de vérification proposée respecteront ou dépasseront les exigences précisées dans l’énoncé des travaux en soumettant des descriptions des projets dans le cadre desquels les ressources ont pris de l’expérience des secteurs de connaissances suivants :

Les points seront attribués ainsi :

• Couverture de tous les secteurs de connaissances, évaluée en fonction de l’ensemble de l’équipe (6 points);

• Capacité suffisante du point de vue du nombre de ressources proposées pour chacun des secteurs de connaissances (6 points);

• Évaluation de l’expérience des ressources proposées eu égard à chacun des secteurs de connaissances et chaque affectation de ressource proposée pour le projet (18 points).

[Traduction]

9. La partie pertinente de l’annexe « D » de la DP stipule ce qui suit :

Les évaluateurs coteront les réponses du soumissionnaire relatives aux critères cotés sur une échelle de 0 à 10 en évaluant si la réponse satisfait à l’exigence d’une manière complète, logique, pratique et applicable. La cotation numérique sur une échelle de 0 à 10 s’appliquera à la réponse écrite du soumissionnaire ainsi :

Cotation

Description

0 =

Réponse insatisfaisante, l’information n’a pas été soumise, le secteur coté n’est pas traité, le soumissionnaire reçoit 0 % des points disponibles pour cet élément;

3 =

Réponse insatisfaisante, le secteur coté n’est que partiellement traité, le soumissionnaire reçoit 30 % des points disponibles pour cet élément;

7 =

Le secteur coté est traité de manière satisfaisante, le soumissionnaire reçoit 70 % des points disponibles pour cet élément;

10 =

Réponse remarquable, le secteur coté est traité en profondeur, l’exigence est dépassée, la réponse est exceptionnelle, le soumissionnaire reçoit 100 % des points disponibles pour cet élément;

[Traduction]

10. TPSGC a dit avoir reçu six propositions en réponse à la DP.

11. Les directives de cotation au tableau 2, « Guide de cotation »5 [traduction], appliquées par TPSGC pour évaluer le critère coté R-4, mais qui n’avaient pas été communiquées aux soumissionnaires avant la clôture des soumissions, stipulent ce qui suit :

 

Description

Ressource 1

Ressource 2

Ressource 3

G.

TOTAL des points attribués pour l’expérience (max. 12)

     

H.

Nombre de journées-personnes affectées au projet (max. 120*)

     

I.

Selon les données figurant à la ligne H ci-dessus, appliquer l’échelle suivante :

     
 

De 0 à 14 jours, inscrire 0

     
 

De 15 à 39 jours, inscrire 2

     
 

De 40 à 79 jours, inscrire 4

     
 

De 80 à 120 jours, inscrire 6

     

J.

Total des points pour l’expérience et l’affectation (max. 36)

Additionner les lignes G et I

     

K.

Le résultat total sur 18 représente la note totale de l’équipe à la colonne J divisée par le nombre de ressources proposées en tant qu’équipe (c.-à-d. 18 + 14 + 12) = 44 points collectifs divisés par 3 personnes-ressources pour un total de 14,7 sur 18

     

[Traduction]

12. Selon TPSGC, l’évaluation technique des soumissions a pris fin le 20 octobre 2005. Deux des six propositions présentées n’ont pas obtenu le nombre total minimum de points techniques exigé et n’ont donc pas été examinées à l’étape de l’évaluation financière. La soumission de Deloitte s’est classée au premier rang du point de vue de l’évaluation technique. Le 21 octobre 2005, TPSGC a procédé à l’évaluation financière. Le 8 novembre 2005, TPSGC a avisé Deloitte que le contrat avait été adjugé au Centre de Gestion Publique Inc.

13. Le 9 novembre 2005, Deloitte a demandé, et TPSGC lui a communiqué, une ventilation des résultats qu’elle avait obtenus à l’évaluation. Plus tard le même jour, Deloitte a demandé une explication plus détaillée de la cotation. TPSGC a signalé que, étant donné la grille de cotation qu’il avait élaborée6 , toute personne proposée dans une soumission, qui n’était pas affectée au projet pour une durée de plus de 14 jours, avait obtenu une note de zéro à l’étape de l’évaluation technique.

14. Le 22 novembre 2005, Deloitte a présenté une opposition à TPSGC concernant l’évaluation de sa proposition et le processus d’évaluation en général. Le 22 décembre 2005, Deloitte a reçu une réponse dans laquelle TPSGC n’avait pas tenu compte des préoccupations de Deloitte et affirmait que la soumission de cette dernière avait été évaluée d’une manière correcte et équitable. Le 5 janvier 2006, Deloitte a déposé sa plainte auprès du Tribunal.

POSITION DES PARTIES

Position de Deloitte

15. Deloitte a soutenu que, avant que TPSGC ne la révèle, elle n’avait aucune idée de l’existence d’une grille de cotation pour le critère coté R-4. De plus, elle a soutenu que cette méthodologie de cotation n’était pas celle qui avait été annoncée aux soumissionnaires dans la DP. Elle a soutenu que le fait de ne pas être au courant de l’existence d’une telle grille et l’incidence de cette grille sur sa soumission lui avaient porté un grave préjudice.

16. Deloitte a soutenu que la DP originale expliquait la méthodologie et la grille de cotation applicables à tous les critères cotés en soulignant ce qui suit : « Les évaluateurs coteront les réponses du soumissionnaire relatives aux critères cotés sur une échelle de 0 à 10 en évaluant si la réponse satisfait à l’exigence d’une manière complète, logique, pratique et applicable » [traduction]. Deloitte a soutenu que, non seulement cette méthodologie et cette grille de cotation n’avaient-elles jamais été supprimées de la DP, elles avaient enfin de compte été appliquées telles qu’elles avaient été rédigées relativement aux critères cotés R-1, R-2, R-3 et à deux des trois sous-critères du critère R-4, mais non pas au sous-critère portant sur l’affectation des ressources7 . Deloitte a ajouté que, contrairement aux dispositions expresses de la DP, l’affectation des ressources n’avait pas été évaluée en fonction de la question de savoir si elle répondait aux exigences d’une « manière complète, logique, pratique et applicable », mais, plutôt, uniquement en se fondant sur le nombre de jours que chaque membre de l’équipe devait travailler.

17. Deloitte a invoqué une décision précédente du Tribunal dans laquelle il a déclaré ce qui suit : « [...] On ne devrait pas s’attendre à ce que les soumissionnaires devinent les besoins de l’entité acheteuse aux fins de ses critères d’évaluation [...] »8 . Deloitte a ajouté qu’aucun des critères obligatoires ou cotés contenus dans la DP n’indiquait une exigence claire et spécifique, ou d’une quelconque manière une préférence, selon laquelle les personnes proposées dans le cadre de la proposition auraient à travailler au moins 15 jours ou les employés affectés un plus grand nombre de jours recevraient davantage de points. Elle a aussi soutenu que la DP n’indiquait pas clairement qu’un seuil minimum de 15 jours serait imposé et, de plus, qu’il n’était pas possible, d’une manière raisonnable, pour un soumissionnaire de « deviner » l’existence d’un tel critère d’évaluation.

18. Deloitte a affirmé que, si le but sous-jacent du critère coté R-4 et de la grille détaillée de cotation avait été divulgué aux soumissionnaires potentiels, elle aurait structuré sa soumission très différemment. Elle a ajouté que, sans l’ombre d’un doute, elle aurait à tout le moins proposé une structure d’équipe de projet différente pour assurer l’affectation de chaque membre de l’équipe pendant le nombre de jours nécessaires à l’exécution du travail et en vue de décrocher la totalité des points, ou presque.

19. À l’appui de son affirmation, Deloitte a fait référence à la décision rendue par le Tribunal dans Brookfield Lepage Johnson Controls Facility Management Services 9 où il est déclaré ce qui suit :

[...]

[...] le Tribunal est d’avis que l’alinéa 1013(1)h) de l’ALÉNA prescrit que l’entité doit transmettre, dans les documents d’invitation à soumissionner, non seulement les renseignements nécessaires pour permettre aux fournisseurs de présenter des soumissions valables, mais aussi les critères qui seront appliqués dans l’évaluation des offres. Le Tribunal est d’avis que cela comprend la méthode de pondération et d’évaluation des critères, ainsi qu’un énoncé clair de la méthode et des critères qui seront appliqués pour déterminer la proposition la plus avantageuse et pour adjuger un marché10 .

[...]

Position de TPSGC

20. TPSGC a soutenu que le Tableau R-4 indiquait clairement que « l’affectation des ressources » signifiait le nombre de jours pendant lesquels une ressource était affectée au projet. Il a également soutenu que l’énoncé des travaux (ÉT) indiquait clairement et de façon constante l’importance d’une participation au projet considérable au niveau des associés et que l’aide soutenue d’un professionnel de niveau supérieur responsable de la vérification serait exigée. Il a soutenu que la grille d’évaluation du critère R-4 n’avait pas introduit de critères que les soumissionnaires ne pouvaient pas raisonnablement prévoir.

21. TPSGC a soutenu que l’engagement d’une ressource dans le cadre d’un projet pour une durée inférieure à 15 jours sur un total de 120 jours ne peut être qualifié de considérable et, à ce motif, les ressources proposées par Deloitte ont obtenu de faibles résultats lorsque sa proposition indiquait que ces ressources seraient affectées au projet pour une période aussi brève.

22. TPSGC a soutenu que la cotation numérique de la proposition de Deloitte eu égard au critère coté R-4 n’avait pas eu d’incidence sur le résultat du mécanisme d’adjudication et que, par conséquent, la cotation de sa proposition n’avait pas porté préjudice à Deloitte. Il a soutenu que, si la proposition de Deloitte avait reçu tous les points disponibles pour le critère en question, à savoir six points, le classement original des soumissions aurait été le même.

ANALYSE DU TRIBUNAL

23. Aux termes du paragraphe 30.14(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal doit, dans son enquête, limiter son étude à l’objet de la plainte. En outre, à la conclusion de l’enquête, le Tribunal doit déterminer la validité de la plainte en fonction des critères et procédures établis par règlement pour le contrat spécifique. De plus, l’article 11 du Règlement prévoit que le Tribunal doit déterminer si le marché public a été passé conformément aux accords commerciaux applicables qui, en l’espèce, sont l’Accord sur le commerce intérieur 11 , l’Accord de libre-échange nord-américain 12 et l’Accord sur les marchés publics 13 .

Question de compétence

24. TPSGC a soutenu que le marché public est assujetti à l’ALÉNA et à l’AMP, mais non pas à l’ACI en vertu d’une exclusion aux termes de l’alinéa 1a) de l’annexe 502.1B14 . Toutefois, TPSGC n’a pas produit d’argument pour expliquer pourquoi il estime que tel est le cas, et il n’est pas évident pour le Tribunal que cet alinéa fonde d’une manière quelconque une telle exclusion. Le Tribunal est donc d’avis que l’ACI s’applique au marché public.

Fond de la plainte

25. Le paragraphe 506(6) de l’ACI prévoit, en partie, ce qui suit : « [...] Les documents d’appel d’offres doivent indiquer clairement les conditions du marché public, les critères qui seront appliqués dans l’évaluation des soumissions et les méthodes de pondération et d’évaluation des critères. »

26. Quant à la documentation relative à l’appel d’offres, le paragraphe 1013(1) de l’ALÉNA stipule, en partie, ce qui suit :

1. [...] La documentation contiendra également :

[...]

h) les critères d’adjudication, y compris tous les éléments, autres que le prix, qui seront pris en considération lors de l’évaluation des soumissions [...]

27. Le paragraphe XII(2) de l’AMP stipule, en partie, ce qui suit :

2. La documentation relative à l’appel d’offres remise aux fournisseurs contiendra tous les renseignements nécessaires pour qu’ils puissent présenter des soumissions valables [...]

[...]

h) les critères d’adjudication, y compris tous les éléments, autres que le prix, qui seront pris en considération lors de l’évaluation des soumissions [...]

28. Il ressort clairement de la lecture du critère coté R-4 que l’affectation des ressources au projet fera partie de l’évaluation (« chaque affectation de ressource proposée pour le projet »). L’ÉT stipule également ce qui suit : « Les tâches suivantes nécessiteront l’aide d’un professionnel de la vérification principal de niveau supérieur » et « un engagement considérable au niveau des associés est nécessaire » [traduction]. Toutefois, la documentation remise aux soumissionnaires avant la clôture des soumissions n’éclaire que d’une façon très générale la manière dont l’affectation des ressources proposées sera cotée. L’information est exprimée dans les paramètres dont il est fait mention au paragraphe 9 des présents motifs (0 = réponse insatisfaisante, 10 = réponse remarquable, etc.) et la directive générale de traiter les exigences « d’une manière complète, logique, pratique et applicable ».

29. Selon l’acception ordinaire de ces termes, la quantité de ressources affectées à un projet est la combinaison du nombre de personnes affectées et de la durée de l’affectation de chacune de ces personnes. Par conséquent, une affectation importante du point de vue de la durée (et donc un résultat élevé) pourrait logiquement résulter soit d’un grand nombre de ressources, chacune affectée pour une brève période (par exemple, hypothétiquement, 24 personnes pendant 10 jours chacune = 240 jours) soit d’un petit nombre de ressources, chacune affectée au projet pour une longue période (par exemple, hypothétiquement, 3 personnes pendant 80 jours chacune, ce qui représente également 240 jours). L’une ou l’autre de ces deux combinaisons pourrait déboucher sur une participation considérable des associés au projet comme l’envisage l’ÉT et pourrait satisfaire à l’exigence d’une manière complète, logique, pratique et applicable.

30. La DP n’indique pas aux soumissionnaires si ces deux façons de répondre au besoin sont également souhaitables, ou si l’une est préférable à l’autre. Toutefois, le guide de cotation appliqué par TPSGC eu égard au critère coté R-4 a clairement retenu le choix d’attribuer un résultat plus élevé à la deuxième façon de procéder. Un tel choix se trouve reflété à la fois dans l’objet déclaré au début du guide de cotation15 et dans l’échelle d’attribution des points (p. ex. 0 point accordé pour une durée de moins de 15 jours). En application du guide de cotation, la première affectation hypothétique des ressources décrite ci-dessus recevrait 0 point (même si 24 personnes sont affectées au projet), tandis que la deuxième affectation hypothétique recevrait le nombre maximum de points. Il est donc clair que l’évaluation a appliqué un critère d’évaluation qui n’avait pas été divulgué aux soumissionnaires, ou qui n’était pas raisonnablement prévisible au vu de la DP. Par conséquent, le Tribunal conclut que TPSGC a contrevenu au paragraphe 506(6) de l’ACI, au paragraphe 1013(1) de l’ALÉNA et au paragraphe XII(2) de l’AMP.

31. Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal détermine que la plainte de Deloitte est fondée.

Mesure corrective

32. Pour décider d’une mesure corrective, le Tribunal doit, aux termes du paragraphe 30.15(3) de la Loi sur le TCCE, tenir compte de tous les facteurs qui interviennent dans le marché de services visé par le contrat spécifique, notamment des suivants :

[...]

a) la gravité des irrégularités qu’il a constatées dans la procédure des marchés publics;

b) l’ampleur du préjudice causé au plaignant ou à tout autre intéressé;

c) l’ampleur du préjudice causé à l’intégrité ou à l’efficacité du mécanisme d’adjudication;

d) la bonne foi des parties;

e) le degré d’exécution du contrat.

33. Il ne s’agit pas d’une affaire où il est question d’erreur technique d’ordre mineur commise dans l’interprétation des critères d’évaluation énoncés dans la DP. La méthodologie de cotation qui a été mise en place s’écartait manifestement et considérablement de celle prévue dans la DP. Selon le Tribunal, il s’agit là d’une grave irrégularité dans la procédure de passation du marché public et d’un type d’action qui cause un important préjudice à l’intégrité du mécanisme d’adjudication dans son ensemble. Le Tribunal fait observer que, s’il estimait important d’appliquer cette méthodologie de cotation, TPSGC aurait pu simplement l’inclure dans la DP pour que les soumissionnaires puissent avoir l’occasion de structurer leur soumission en conséquence.

34. Il est impossible de savoir clairement quels auraient été les résultats du marché public si la méthodologie de cotation avait été divulguée au préalable aux soumissionnaires. Avec la méthodologie appliquée par TPSGC, Deloitte a reçu moins de points pour un nombre considérable de ses ressources qu’il aurait été raisonnable de prévoir au vu des dispositions de la DP16 . D’après le Tribunal, il est raisonnable de croire que, s’il avait su quelle méthodologie de cotation serait appliquée, aucun soumissionnaire n’aurait structuré ses ressources comme Deloitte l’a fait. Le Tribunal accueille donc les éléments de preuve selon lesquels Deloitte aurait structuré sa soumission différemment si elle avait été au courant de la méthodologie de cotation. Deloitte a soutenu que sa soumission restructurée aurait débouché sur un plus bas prix soumissionné car elle facture des taux plus élevés pour les associés et aurait proposé moins d’associés à titre de ressources. Le Tribunal est d’avis que, même si une soumission restructurée n’avait pas nécessairement débouché sur une soumission à plus bas prix, un tel résultat appartient certainement au domaine du possible et, le cas échéant, Deloitte aurait peut-être décroché le contrat.

35. Les éléments de preuve mis à la disposition du Tribunal n’établissent pas que TPSGC a agi de mauvaise foi. Le Tribunal fait également observer que la période visée par le contrat a pris fin le 31 mars 2006 et que ce contrat est donc très vraisemblablement terminé.

36. Compte tenu des éléments qui précèdent, le Tribunal estime que Deloitte doit être indemnisée en reconnaissance de l’occasion qu’elle a perdue de décrocher ce contrat et d’en tirer un profit. Étant donné qu’il y avait quatre propositions recevables, le Tribunal estime que Deloitte doit être indemnisée d’un montant égal au quart du profit qu’elle aurait raisonnablement réalisé, si elle avait été le soumissionnaire retenu.

37. Le Tribunal accorde aussi à Deloitte le remboursement des frais raisonnables qu’elle a engagés pour la préparation et le traitement de la plainte. Pour décider du montant des frais à adjuger en l’espèce, le Tribunal a tenu compte de sa Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure portant sur un marché public (la Ligne directrice), qui fonde l’évaluation du degré de complexité d’une affaire sur trois critères : la complexité du marché public, la complexité de la plainte et la complexité de la procédure. Selon l’avis préliminaire du Tribunal, le degré de complexité de la présente affaire correspond au premier degré de complexité prévu à l’annexe A de la Ligne directrice (degré 1). La complexité du marché public était moyenne en ce sens qu’il portait sur la prestation de services d’une équipe de ressources à l’appui du lancement d’une directive de vérification interne. La complexité de la plainte était faible, en ce sens qu’elle traitait d’une seule question concernant l’applicabilité des critères d’évaluation. La complexité de la procédure était faible étant donné qu’il n’y avait ni requête ni intervenante. Par conséquent, en conformité avec la Ligne directrice, l’indication provisoire du montant de l’indemnisation donnée par le Tribunal est de 1 000 $.

DÉCISION DU TRIBUNAL

38. Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal détermine que la plainte est fondée.

39. Aux termes des paragraphes 30.15(2) et 30.15(3) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal recommande que TPSGC verse à Deloitte une indemnisation pour perte d’occasion d’un montant égal au quart du profit qu’elle aurait raisonnablement réalisé, si elle avait été le soumissionnaire retenu dans le cadre du marché public (invitation no 24062-050061/A) passé par TPSGC au nom du Secrétariat du Conseil du Trésor pour la prestation de services professionnels de vérification. En outre, le Tribunal recommande que Deloitte et TPSGC négocient le montant de l’indemnisation et, dans les 30 jours de la date de la présente décision, lui fassent rapport du résultat des négociations.

40. Si les parties ne peuvent s’entendre sur le montant de l’indemnisation, Deloitte devra déposer auprès du Tribunal, dans les 30 jours de la date de la présente décision, un exposé sur la question de l’indemnisation. TPSGC disposera ensuite de 7 jours ouvrables après la réception de l’exposé de Deloitte pour déposer une réponse. Deloitte disposera de 5 jours ouvrables après la réception de l’exposé en réponse de TPSGC pour déposer des observations supplémentaires. Les conseillers doivent simultanément déposer leurs observations auprès du Tribunal et en effectuer la signification à l’autre partie.

41. Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal accorde à Deloitte le remboursement des frais raisonnables qu’elle a engagés pour la préparation et le traitement de la plainte, ces frais devant être payés par TPSGC. L’indication provisoire du degré de complexité de la présente plainte donnée par le Tribunal est le degré 1, et l’indication provisoire du montant de l’indemnisation est de 1 000 $. Si l’une ou l’autre des parties n’est pas d’accord en ce qui a trait à l’indication provisoire du degré de complexité ou à l’indication provisoire du montant de l’indemnisation, elle peut présenter des observations auprès du Tribunal, en conformité de sa Ligne directrice. Le Tribunal se réserve la compétence de fixer le montant final de l’indemnisation.


1 . L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47 [Loi sur le TCCE].

2 . D.O.R.S./93-602 [Règlement].

3 . D.O.R.S./91-499 [Règles].

4 . RIF, pièce 2. Une ressource proposée dans le cadre du présent marché public signifie une personne travaillant dans le cadre du projet.

5 . RIF, pièce 13.

6 . Il s’agit de la grille figurant en partie au paragraphe 11.

7 . Le « sous-critère de l’affectation des ressources » auquel fait référence Deloitte est cette partie du critère coté R-4 qui stipule ce qui suit : « Évaluation de l’expérience des ressources proposées eu égard à chacun des secteurs de connaissances et chaque affectation de ressource proposée pour le projet (18 points) » [traduction].

8 . Re plainte déposée par Med-Emerg International Inc. (15 juin 2005), PR-2004-050 (TCCE) à la p. 12.

9 . Re plainte déposée par Brookfield LePage Johnson Controls Facility Management Services (6 septembre 2000), PR-2000-008 et PR-2000-021 (TCCE) [Brookfield].

10 . Brookfield à la p. 18.

11 . 18 juillet 1994, Gaz. C. 1995.I.1323, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <http://www.intrasec.mb.ca/index_fr/ait.htm> [ACI].

12 . Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis mexicains et le gouvernement des États-Unis d'Amérique, 17 décembre 1992, R.T.C. 1994, no 2 (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ALÉNA].

13 . 15 avril 1994, en ligne : Organisation mondiale du commerce <http://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/final_f.htm> [AMP].

14 . L’Annexe 502.1B stipule, en partie, ce qui suit : « 1. Tous les services sont visés, sauf les suivants : a) les services qui [...] ne peuvent, en vertu des lois ou règlements applicables, être fournis que par les professionnels autorisés suivants : médecins, dentistes, [...] comptables agréés, avocats et notaires [...] »

15 . Version confidentielle de la plainte, onglet 5.

16 . Les données exactes sur le nombre de points reçus et le nombre de personnes proposées par Deloitte sont confidentielles et se trouvent dans la version confidentielle de la plainte, onglet 3.