LENGKEEK VESSEL ENGINEERING INCORPORATED

Décisions


LENGKEEK VESSEL ENGINEERING INCORPORATED
c.
MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX
Dossier no PR-2006-022

Décision rendue
le jeudi 2 novembre 2006

Motifs rendus
le jeudi 9 novembre 2006


TABLE DES MATIÈRES

EU ÉGARD À une plainte déposée par Lengkeek Vessel Engineering Incorporated aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47;

ET À LA SUITE D’une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

ENTRE

 

LENGKEEK VESSEL ENGINEERING INCORPORATED

Partie plaignante

ET

 

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

Institution fédérale

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte est fondée en partie.

Aux termes des paragraphes 30.15(2) et 30.15(3) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande que le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux verse à Lengkeek Vessel Engineering Incorporated une indemnisation en reconnaissance du préjudice qu’elle a subi en raison de la divulgation de son prix soumissionné dans le cadre de l’invitation no W8472-065069/A. Le Tribunal canadien du commerce extérieur se réserve la compétence de déterminer le montant indiqué de l’indemnisation après l’adjudication d’un contrat dans le cadre de l’invitation no W8472-065069/C et la réception des exposés des parties.

Dans les 10 jours ouvrables suivant l’adjudication d’un contrat dans le cadre de l’invitation no W8472-065069/C, le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux remettra au Tribunal canadien du commerce extérieur et à Lengkeek Vessel Engineering Incorporated le nom des soumissionnaires conformes et le montant de leur soumission respective. Lengkeek Vessel Engineering Incorporated disposera de 10 jours ouvrables après la réception de ces renseignements pour déposer un exposé dans lequel elle décrira, en termes d’argent, le préjudice qu’elle a subi quant à sa capacité de faire concurrence loyale à d’autres entreprises dans le cadre de ladite invitation, en raison de la divulgation de son prix soumissionné à un concurrent dans le cadre de la première invitation. Le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux disposera de 7 jours ouvrables après la réception de l’exposé de Lengkeek Vessel Engineering Incorporated pour déposer sa réponse auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur. Lengkeek Vessel Engineering Incorporated disposera ensuite de 5 jours ouvrables après la réception de la réponse du ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux pour déposer des observations finales. Par la suite, le Tribunal canadien du commerce extérieur rendra sa recommandation finale à cet égard. Les parties doivent déposer leurs observations auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur et en effectuer la signification à l’autre partie simultanément.

Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur accorde à Lengkeek Vessel Engineering Incorporated le remboursement des frais raisonnables qu’elle a engagés pour la préparation et le traitement de la plainte, ces frais devant être payés par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux. L’indication provisoire du degré de complexité de la présente plainte donnée par le Tribunal canadien du commerce extérieur est le degré 2, et l’indication provisoire du montant de l’indemnisation est de 2 400 $. Si l’une ou l’autre des parties n’est pas d’accord en ce qui a trait à l’indication provisoire du degré de complexité ou l’indication provisoire du montant de l’indemnisation, elle peut déposer des observations auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur, en conformité avec la Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure portant sur un marché public. Le Tribunal canadien du commerce extérieur se réserve la compétence de fixer le montant final de l’indemnisation.

Meriel V. M. Bradford
Meriel V. M. Bradford
Membre présidant

Zdenek Kvarda
Zdenek Kvarda
Membre

Ellen Fry
Ellen Fry
Membre

Hélène Nadeau
Hélène Nadeau
Secrétaire

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.

Membres du Tribunal :

Meriel V. M. Bradford, membre présidant

 

Zdenek Kvarda, membre

 

Ellen Fry, membre

   

Directeur :

Randolph W. Heggart

   

Enquêteur principal :

Michael W. Morden

   

Conseiller juridique pour le Tribunal :

Dominique Laporte

   

Partie plaignante :

Lengkeek Vessel Engineering Incorporated

   

Conseiller pour la partie plaignante :

James D. Youden

   

Institution fédérale :

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

   

Conseillers pour l’institution fédérale :

Susan D. Clarke

 

Christianne M. Laizner

 

Ian McLeod

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel :

EXPOSÉ DES MOTIFS

PLAINTE

1. Le 4 août 2006, Lengkeek Vessel Engineering Incorporated (LVE) a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) en vertu du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur 1 . La plainte portait sur un marché (invitations nos W8472-065069/A et W8472-065069/C) passé par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) au nom du ministère de la Défense nationale (MDN) en vue de l’acquisition d’estacades flottantes de protection (EFP) pour des ports à Halifax (Nouvelle-Écosse) et Esquimalt (Colombie-Britannique).

2. LVE a allégué que TPSGC avait, de façon irrégulière, refusé de lui adjuger un contrat, bien qu’elle ait satisfait à toutes les exigences d’adjudication figurant dans la première demande de propositions (DP) (W8472-065069/A). LVE a également allégué que TPSGC avait divulgué à un concurrent son prix soumissionné dans le cadre de la première invitation, avec pour conséquence qu’elle avait été injustement traitée dans la seconde invitation (W8472-065069/C) portant sur les mêmes EFP.

3. Le 15 août 2006, le Tribunal a avisé les parties qu’il avait accepté la plainte, puisque celle-ci répondait aux exigences du paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et aux conditions énoncées au paragraphe 7(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics 2 . Le même jour, aux termes du paragraphe 30.13(3) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal a ordonné à TPSGC de reporter l’adjudication du contrat jusqu’à ce que le Tribunal ait terminé son enquête et ait déterminé le bien-fondé de la plainte. Le 11 septembre 2006, TPSGC a déposé le rapport de l’institution fédérale (RIF) et, le 21 septembre 2006, LVE a déposé ses observations sur le RIF.

4. Étant donné qu’il y avait suffisamment de renseignements au dossier pour déterminer le bien-fondé de la plainte, le Tribunal a décidé qu’il n’y avait pas lieu de tenir une audience et a statué sur la plainte sur la foi des renseignements au dossier.

PROCÉDURE DE PASSATION DU MARCHÉ PUBLIC

5. Les invitations qui font l’objet de la plainte visent l’installation d’un système pouvant faire fonction de ligne flottante de démarcation en même temps que de barrière physique de protection des biens riverains des ports de Halifax et d’Esquimalt (invitation no W8472-065069/A) ainsi que du port de Halifax seul (invitation no W8472-065069/C). Les besoins diffèrent selon ces deux ports, et les soumissionnaires pouvaient soumettre des propositions pour l’un ou l’autre des besoins en matière d’EFP énoncés dans la première invitation, ou les deux. La plainte de LVE vise les besoins à l’égard du port de Halifax dans les deux invitations.

6. Le 22 décembre 2005, un avis de projet de marché a été diffusé par le MERX3 . Le même jour, la première DP a été communiquée aux soumissionnaires, la date de clôture pour la remise des soumissions étant fixée au 24 janvier 2006. Cette première DP a fait l’objet de cinq modifications et la date de clôture a été reportée au 7 février 2006.

7. D’après TPSGC, trois propositions ont été reçues, dont deux ont été jugées non conformes eu égard à certaines exigences obligatoires, et n’ont pas fait l’objet d’un examen plus approfondi. De l’avis de TPSGC, la proposition de LVE était conforme, mais ne fournissait pas tous les renseignements requis au sujet des essais imposés par la première DP.

8. Le 6 mars 2006, TPSGC a fourni à LVE ses lignes directrices pour les essais portant sur les estacades flottantes de protection. Après échange de renseignements sur les essais à effectuer, LVE a procédé à un essai le 9 mai 2006 et a présenté un rapport à ce sujet à TPSGC le 17 mai 2006. TPSGC et le MDN ont rejeté les résultats de ce premier essai et, après de longues discussions concernant les résultats de ce premier essai, TPSGC a donné à LVE la possibilité d’effectuer un deuxième essai. Le 16 juin 2006, LVE a procédé au deuxième essai et a remis un rapport à TPSGC le 19 juin 2006. Le 28 juin 2006, TPSGC a avisé LVE qu’il lancerait un nouvel appel d’offres.

9. Le 13 juillet 2006, LVE a écrit à TPSGC et a maintenu que son premier essai avait démontré que le produit proposé satisfaisait aux exigences du MDN et que le MDN avait largement fait connaître le prix de sa soumission initiale par courrier électronique, entre autres à une entreprise dont la proposition avait été rejetée par TPSGC.

10. Le 24 juillet 2006, TPSGC a annulé la première DP et diffusé la deuxième DP avec un certain nombre de modifications, dont un changement à l’exigence obligatoire au sujet de l’essai de tout système EFP proposé.

11. Le 4 août 2006, LVE a déposé sa plainte auprès du Tribunal.

ANALYSE DU TRIBUNAL

12. Aux termes du paragraphe 30.14(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal doit, dans son enquête, limiter son étude à l’objet de la plainte. À la conclusion de l’enquête, il doit de plus déterminer la validité de la plainte en fonction des critères et procédures établis par règlement pour le contrat spécifique. L’article 11 du Règlement prévoit aussi que le Tribunal est tenu de déterminer si le marché a été passé conformément à l’accord commercial applicable, qui, en l’espèce, est l’Accord sur le commerce intérieur 4 .

13. Le Tribunal examinera d’abord l’allégation de LVE selon laquelle TPSGC a refusé, de façon irrégulière, de lui adjuger le contrat dans la première DP. Il examinera ensuite l’allégation selon laquelle la divulgation du prix soumissionné de LVE dans le cadre de la première invitation a empêché cette dernière de soumissionner en toute équité au cours de la seconde.

Refus de TPSGC d’adjuger le contrat à LVE

14. Ce motif de plainte de LVE a deux volets :

• les spécifications d’essai à grande échelle dans la première DP ne prévoyaient pas d’essai physique propre à démontrer que le système EFP proposé satisfaisait à l’exigence liée à la résistance (arrêt des bateaux), mais prévoyaient plutôt que des essais physiques à grande échelle et des calculs techniques en combinaison pourraient démontrer cette conformité;

• la proposition de LVE, avec les essais physiques à grande échelle et les rapports qui en découlaient, satisfaisait à toutes les exigences de la première DP.

Interprétation de l’exigence de démonstration de la capacité de résistance (arrêt des bateaux)

15. Les exigences de la première DP eu égard à la capacité de résistance (arrêt des bateaux) et aux essais étaient énoncées ainsi :

[article 4.2.1.27 de la description technique du besoin] : L’EFP du port de Halifax aura une capacité minimale d’arrêt des bateaux définie comme une énergie cinétique de 650*10ˆ3 joules.

[article 4.2.1.28 de la description technique du besoin] : Il est souhaitable que l’EFP du port de Halifax ait une capacité d’arrêt des bateaux définie en termes d’énergie cinétique de 1,80*10ˆ6 joules.

[article 4.3 de la description technique du besoin] : Survivabilité 1. L’entrepreneur produira de la documentation démontrant la capacité de l’EFP de résister à des menaces de référence. Cette documentation comprendra des calculs techniques étayés par les résultats d’essais physiques à grande échelle.

[article 7 de la description technique du besoin] : Tableau des produits livrables du projet. Les éléments suivants seront livrés dans le cadre du contrat :

* - Documentation démontrant la tenue d’un essai à grande échelle du système de protection contre des menaces de référence, y compris les calculs techniques à l’appui.

NOTE : Les éléments marqués d’un * devront être fournis par le soumissionnaire en vue de l’évaluation de sa soumission.

[Annexe C de la DP, Critères d’évaluation et méthode de sélection, article 7] : L’entrepreneur fournira ce qui suit : documentation démontrant la tenue d’un essai à grande échelle du système de protection contre des menaces de référence, y compris les calculs techniques à l’appui.

[Traduction]

16. Bien que la première DP dise que l’EFP doit « pouvoir résister aux menaces de référence » [traduction], elle ne définit pas l’expression « menaces de référence ». Les parties s’entendent cependant pour dire que la menace de référence signifiait une menace ayant une énergie cinétique minimale de 650 000 joules5 . Compte tenu des extraits de la DP cités ci-dessus, le Tribunal estime que cette interprétation est raisonnable. Par conséquent, la question dont est saisi le Tribunal est celle de savoir si l’exigence portant sur les essais veut dire :

• un essai à grande échelle avec une énergie cinétique d’au moins 650 000 joules et une documentation appuyant la conclusion selon laquelle le système peut résister à une menace ayant au moins cette énergie cinétique (perception de TPSGC qui, selon lui, correspond à la partie 7 de l’annexe A de la première DP);

• un essai à grande échelle non pas nécessairement avec une énergie cinétique de 650 000 joules, mais avec des calculs qui, par extrapolation, démontrent que l’EFP proposée résisterait à une menace de référence ayant une énergie cinétique de 650 000 joules (perception de LVE qui, selon elle, correspond à la partie 4.3 de l’annexe A de la première DP). Selon LVE, cet essai à grande échelle, en soi, n’avait pas à démontrer physiquement la capacité minimale d’arrêt de l’EFP, mais, par le truchement d’une extrapolation, on aurait pu prouver que l’EFP offrait la capacité minimale d’arrêt des bateaux requise.

17. Les règles qui s’appliquent au délai prévu pour déposer des plaintes auprès du Tribunal sont énoncées aux paragraphes 6(1) et 6(2) du Règlement et prévoient ce qui suit :

6.(1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), le fournisseur potentiel qui dépose une plainte auprès du Tribunal en vertu de l’article 30.11 de la Loi doit le faire dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a découvert ou aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l’origine de la plainte.

(2) Le fournisseur potentiel qui a présenté à l’institution fédérale concernée une opposition concernant le marché public visé par un contrat spécifique et à qui l’institution refuse réparation peut déposer une plainte auprès du Tribunal dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a pris connaissance, directement ou par déduction, du refus, s’il a présenté son opposition dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a découvert ou aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l’origine de l’opposition.

18. Les questions suivantes doivent être examinées :

• À quel moment LVE a-t-elle pris connaissance de l’interprétation faite par TPSGC de l’exigence portant sur les essais?

• À quel moment LVE a-t-elle soulevé une opposition ou déposé une plainte selon laquelle l’interprétation faite par TPSGC n’était pas, à son avis, conforme à la première DP?

19. Le Tribunal constate que, le 6 mars 2006, après la date de clôture de la première DP, TPSGC a fourni à LVE les lignes directrices pour les essais élaborées par le MDN. Dans le courriel qui accompagnait les lignes directrices pour les essais, TPSGC avisait LVE qu’elle devait procéder à des essais à grande échelle ou, « si elle avait déjà effectué des essais conformes à ces lignes directrices, fournir les résultats » [traduction]. Ces lignes directrices pour les essais précisaient le minimum exigé et indiquaient que « le bateau d’essai choisi devait avoir une vitesse correspondant à l’énergie cinétique requise de 650 X 10ˆ3 joules »6 [traduction]. En d’autres termes, TPSGC estimait que les essais physiques devaient permettre d’atteindre une énergie cinétique de 650 000 joules.

20. Le 8 mars 2006, LVE a accepté de procéder aux essais et a fourni une réponse détaillée au sujet des lignes directrices pour les essais concernant les risques, les coûts et l’échéancier. LVE a ensuite proposé une solution de rechange aux essais proposés par TPSGC. Elle a en effet proposé d’étudier la possibilité d’utiliser « un modèle à éléments finis détaillé et complet et une analyse d’énergie » [traduction] et a sollicité une rencontre afin de discuter « des solutions de rechange exposées ci-dessus »7 [traduction].

21. Le 16 mars 2006, TPSGC a réitéré son besoin d’essais à grande échelle. De l’avis du Tribunal, une interprétation raisonnable de la correspondance indique que, lorsque TPSGC parle d’essais à grande échelle, il veut dire des essais physiques avec une énergie cinétique de 650 000 joules, comme on l’envisage dans les lignes directrices pour les essais. Par exemple, TPSGC affirmait que, bien que LVE ait présenté des calculs techniques et des exemples d’installations en place dans sa soumission, « elle n’y offre ni indications sur la capacité d’arrêt des bateaux ni résultats d’essais à grande échelle »8 [traduction]. Le Tribunal fait en outre observer que TPSGC a refusé une analyse des éléments finis, « parce qu’il faudrait des essais à grande échelle pour la validation du modèle informatique et la confirmation des résultats »9 [traduction].

22. Selon les éléments de preuve, LVE a, pour diverses raisons, rejeté les lignes directrices pour les essais mais les a acceptées à la fin. Le plan d’essai de LVE, qui a été jugé « acceptable » en dernière analyse par TPSGC, prévoyait des essais physiques avec une énergie cinétique de 650 000 joules. Les essais ont eu lieu, mais les deux parties s’entendaient pour dire que, du point de vue des essais physiques, on n’avait pas réussi à atteindre l’énergie prévue de 650 000 joules10 .

23. Ce n’est que le 24 mai 2006, après avoir été informée par TPSGC, le 23 mai 2006, que les résultats des essais que LVE avait effectués « ne démontraient pas que la barrière peut résister aux “menaces de référence” » [traduction], qu’elle a soutenu que ses essais satisfaisaient aux exigences de la DP sans qu’il y ait eu d’essais physiques avec une énergie cinétique de 650 000 joules, et ce, en raison des calculs qui complétaient les essais réalisés à un niveau d’énergie inférieur. Le Tribunal estime que c’est là l’opposition qu’a présentée LVE, dans le délai prévu au paragraphe 6(2) du Règlement, à l’interprétation faite par le gouvernement des exigences portant sur les essais techniques.

24. Le 30 mai 2006, TPSGC a répondu à LVE en livrant une analyse plus technique des résultats des essais de LVE et en réaffirmant que « la DP disait clairement que les essais à grande échelle devaient se faire par rapport à la “menace de référence” alors définie comme incluant une capacité d’arrêt de 650 000 joules »11 [traduction]. Même si TPSGC devait s’en tenir à sa décision du 23 mai 2006, il a offert à LVE la possibilité d’effectuer un autre essai et a précisé que ce deuxième essai « doit respecter la menace de référence de 650 000 joules, en conformité avec la DP »12 [traduction].

25. TPSGC a soutenu que LVE avait déposé sa plainte auprès du Tribunal en dehors du délai de 10 jours ouvrables prévu par le Règlement et que, par conséquent, le Tribunal n’avait pas compétence pour examiner la question. TPSGC a présenté les observations suivantes. Le 6 mars 2006, LVE savait ou aurait dû savoir quelles exigences obligatoires de la DP déterminaient l’exécution d’essais à grande échelle, notamment une démonstration de la capacité d’arrêt avec une énergie cinétique de 650 000 joules13 . LVE n’avait soulevé ni questions ni oppositions à cette exigence à quelque moment que ce soit avant ou pendant le premier essai du 9 mai 2006. Ce n’est que 86 jours après le 6 mars 2006, soit le 1er juin 2006, après que LVE avait été avisée que le premier essai n’avait pas donné les résultats nécessaires, que des oppositions eu égard à cette exigence ont été soulevées.

26. Par ailleurs, LVE a soutenu qu’elle avait pris connaissance du motif de sa plainte le 28 juin 2006, lorsque TPSGC lui avait fait part de l’intention du MDN de lancer un nouvel appel d’offres. Elle a soutenu qu’elle avait écrit à TPSGC le 13 juillet 2006, dans le délai de 10 jours ouvrables prévu au paragraphe 6(2) du Règlement. Selon LVE, la mesure prise par la suite par TPSGC dans le dossier a été de lancer la seconde DP le 24 juillet 2006, ce qui pour elle a été la prise de connaissance par déduction du refus de réparation, après quoi elle a déposé sa plainte auprès du Tribunal le 4 août 2006, là encore dans le délai de 10 jours ouvrables prévu par le Règlement.

27. Le Tribunal constate que LVE a fini par accepter les lignes directrices pour les essais reçues le 6 mars 2006, où il était clairement question d’un appareil (bateau d’essai) d’essai heurtant la barrière avec une énergie cinétique minimale de 650 000 joules. Ce n’est qu’après que les résultats du premier essai avaient été examinés par TPSGC et le MDN et que LVE en a été informée que, de l’avis de TPSGC, les résultats ne satisfaisaient pas aux exigences, que LVE s’est opposée, le 24 mai 2006, au fait que ses calculs techniques ne seraient pas combinés aux résultats des essais physiques pour la démonstration de la capacité de résistance de la barrière à une menace de référence d’une énergie cinétique minimale de 650 000 joules. Étant donné que les discussions de LVE et de TPSGC au sujet des exigences des lignes directrices pour les essais ont pris fin le 2 mai 2006, cette opposition a été soulevée après le délai prévu de 10 jours ouvrables pour présenter une opposition. En outre, même si cette opposition avait été présentée dans le délai prévu, LVE a clairement reçu un refus de réparation le 30 mai 2006 et a déposé sa plainte auprès du Tribunal le 4 août 2006, soit 45 jours ouvrables plus tard.

28. Par conséquent, ce motif de plainte n’a pas été déposé dans le délai prévu et le Tribunal n’a pas compétence pour examiner la question.

Déclaration de non-conformité de la proposition de LVE parce qu’elle ne satisfaisait pas aux exigences portant sur les essais

29. Le Tribunal doit maintenant déterminer si LVE s’est conformée aux critères de la première DP pour ce qui est des exigences portant sur les essais. Le paragraphe 506(6) de l’ACI stipule ce qui suit :

[...] Les documents d’appel d’offres doivent indiquer clairement les conditions du marché public, les critères qui seront appliqués dans l’évaluation des soumissions et les méthodes de pondération et d’évaluation des critères.

30. Pour l’essentiel, la première DP énonce deux manières de formuler les exigences portant sur les essais dans les parties 4.3 et 7 de l’annexe A, lesquelles sont incompatibles. De l’avis du Tribunal, la partie 4.3 indique que les calculs techniques constituent la principale source d’information, étayés par les essais physiques, alors que la partie 7 indique que les essais physiques constituent la principale source d’information, étayés par les calculs techniques. TPSGC a choisi l’énoncé de la partie 7, ce qui, selon le Tribunal, n’est pas déraisonnable. De plus, comme il a été indiqué ci-dessus, il est trop tard pour que LVE ne dépose une plainte en vue de contester cette interprétation. Il s’agit donc pour le Tribunal de déterminer si LVE a effectué les essais physiques avec une énergie cinétique de 650 000 joules.

31. Les résultats des essais déclarés par LVE elle-même indiquent clairement que le bateau d’essai n’avait pas atteint la vitesse correspondant à une énergie cinétique totale de 650 000 joules lorsqu’il a heurté l’EFP, et LVE n’a pas nié cette conclusion14 .

32. Dans des décisions antérieures, le Tribunal a affirmé qu’il ne substituerait pas son jugement à celui des évaluateurs, sauf si ces derniers ne s’étaient pas appliqués à l’évaluation de la proposition d’un soumissionnaire, n’avaient pas tenu compte de renseignements d’importance cruciale contenus dans la proposition, avaient mal interprété la portée d’une exigence, avaient fondé leur évaluation sur des critères non divulgués ou n’avaient pas, d’une autre manière, procédé à une évaluation équitable au plan de la procédure15 . En l’espèce, les éléments de preuve n’indiquent pas qu’une de ces circonstances était présente.

33. Par conséquent, le Tribunal conclut que le motif de plainte, selon lequel TPSGC n’a pas convenablement appliqué les critères de la DP en ce qui concerne les exigences portant sur les essais lorsqu’il a évalué la proposition de LVE, n’est pas fondé.

Divulgation du prix soumissionné de LVE

34. Pour ce qui est du second motif de la plainte, LVE a allégué que son prix soumissionné avait été communiqué, de façon irrégulière, à un concurrent. En accord avec les éléments de preuve, les parties conviennent que, le 1er juin 2006, des agents du MDN ont divulgué par une chaîne de courriels, le nom du seul soumissionnaire conforme restant de la première invitation – à savoir LVE – et son prix soumissionné à un concurrent soumissionnaire pour le même produit16 . TPSGC a soutenu que cette divulgation était non intentionnelle et n’aurait jamais dû se produire.

35. L’article 501 de l’ACI stipule ce qui suit :

[...] le présent chapitre vise à établir un cadre qui assurera à tous les fournisseurs canadiens un accès égal aux marchés publics, de manière à réduire les coûts d’achat et à favoriser l’établissement d’une économie vigoureuse, dans un contexte de transparence et d’efficience.

36. L’article 504 stipule ce qui suit :

[...]

2. Sous réserve de l’article 404 (Objectifs légitimes), le paragraphe 1 a pour effet d’interdire au gouvernement fédéral d’exercer de la discrimination :

a) entre les produits ou services d’une province ou d’une région, y compris entre ceux inclus dans les marchés de construction, et les produits ou services d’une autre province ou région;

b) entre les fournisseurs de tels produits ou services d’une province ou d’une région et les fournisseurs d’une autre province ou région.

3. Sauf disposition contraire du présent chapitre, sont comprises parmi les mesures incompatibles avec les paragraphes 1 et 2 :

[...]

g) l’exclusion injustifiable d’un fournisseur du processus d’appel d’offres.

[...]

37. Dans le cadre de l’objet du chapitre 5 de l’ACI, énoncé à l’article 501, le gouvernement fédéral doit passer des marchés publics de manière à assurer « [...] à tous les fournisseurs canadiens un accès égal aux marchés publics [...] ». Le Tribunal doit évaluer si, en divulguant des renseignements commerciaux confidentiels pendant l’évaluation des soumissions du premier marché qui fait l’objet de la présente plainte, le gouvernement a empêché LVE de jouir d’un plein accès au second marché en violation de l’alinéa 504(3)g) de l’ACI.

38. En un sens absolu, la divulgation de renseignements commerciaux confidentiels ne pouvait empêcher LVE de soumissionner dans le cadre de la seconde invitation, mais il est clair que, de ce fait, au moins un concurrent important connaissait le prix de la première soumission de LVE. Ainsi, LVE aura vraisemblablement un sérieux désavantage au moment de fixer le prix de sa soumission eu égard à la seconde DP et subirait donc un préjudice fondamental par rapport à au moins un concurrent important dans le cadre de cette soumission. Ainsi, LVE n’aurait plus la possibilité de soumissionner comme il se doit. Vu l’objectif d’un accès égal aux marchés publics, énoncé à l’article 501 de l’ACI, le Tribunal estime que cette situation représente une exclusion injustifiable de la procédure de passation du marché public dans le cadre de la seconde DP.

39. Le Tribunal conclut donc que TPSGC a enfreint l’alinéa 504(3)g) de l’ACI et que ce motif de plainte est fondé.

REDRESSEMENT

40. Ayant jugé que la plainte était fondée en partie, le Tribunal recommande que soit redressé le tort causé à la LVE par la divulgation de son prix soumissionné. Dans ce contexte, il se guide sur le paragraphe 30.15(3) de la Loi sur le TCCE qui stipule ce qui suit :

(3) Dans sa décision, le Tribunal tient compte de tous les facteurs qui interviennent dans le marché de fournitures ou services visé par le contrat spécifique, notamment des suivants :

a) la gravité des irrégularités qu’il a constatées dans la procédure des marchés publics;

b) l’ampleur du préjudice causé au plaignant ou à tout autre intéressé;

c) l’ampleur du préjudice causé à l’intégrité ou à l’efficacité du mécanisme d’adjudication;

d) la bonne foi des parties;

e) le degré d’exécution du contrat.

41. LVE a soutenu qu’elle sera gravement désavantagée par la divulgation à son concurrent du prix de sa première soumission, sachant pertinemment que ce concurrent avait proposé le même produit que LVE. LVE a soutenu que ce concurrent « pourra désormais extrapoler la partie de la barrière proposée qui est visée par son prix et sera de ce fait avantagé » [traduction] lors de la seconde invitation.

42. LVE a demandé que le contrat visant l’EFP lui soit accordé ou qu’elle soit indemnisée de tous ses frais, y compris les frais liés à la préparation de sa soumission et à la tenue des essais et la perte de profits en raison de la non-adjudication du contrat et de la divulgation de son prix soumissionné à un concurrent.

43. TPSGC a dit regretter cette divulgation et a soutenu que ce geste allait à l’encontre de ses pratiques et de ses normes. TPSGC a fait valoir que les conséquences de la divulgation involontaire à un seul concurrent de LVE, sur le plan de sa position concurrentielle eu égard à la seconde invitation, demeuraient hautement hypothétiques. À son avis, la divulgation portait seulement sur le prix global de LVE soumissionné dans le cadre de la première invitation, à l’exclusion de tout autre facteur. Selon TPSGC, l’adjudication du contrat dans le cadre des deux DP n’était pas uniquement fonction du prix, mais se faisait selon une formule combinant le prix, l’évaluation cotée et le degré proposé de protection du port de Halifax. En outre, TPSGC a soutenu que, comme neuf mois s’étaient écoulés entre les dates de clôture des deux DP (période de février à octobre 2006), les prix pouvaient avoir changé tant pour LVE que pour ses concurrents.

44. Comme il a été indiqué, LVE a subi un préjudice, de l’avis du Tribunal, en ce qui a trait à sa capacité d’être pleinement concurrentielle eu égard au second marché, mais il est impossible à ce stade de juger précisément de l’ampleur de ce préjudice, puisque le second appel d’offres est en cours. Pour recommander les mesures de redressement indiquées, le Tribunal sollicitera les observations des parties une fois que le contrat pour la seconde invitation aura été adjugé.

FRAIS

45. Le Tribunal accorde à LVE le remboursement des frais raisonnables qu’elle a engagés pour la préparation et le traitement de la plainte.

46. La Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure portant sur un marché public (Ligne directrice) fonde l’évaluation du degré de complexité d’une plainte sur trois critères : la complexité du marché public, la complexité de la plainte et la complexité de la procédure. La complexité du marché public était moyenne, car le marché public portait sur un produit du commerce et incluait son installation. La complexité de la plainte était moyenne, car la plainte portait sur des questions complexes mettant en cause l’éventuelle ambiguïté des spécifications. Enfin, la complexité de la procédure était faible : il n’y a eu aucune partie intervenante, les parties n’ont pas été tenues de produire des renseignements complémentaires dépassant la portée normale de la procédure, il n’a pas été nécessaire de tenir une audience publique et le délai de 90 jours a été respecté. Par conséquent, l’indication provisoire donnée par le Tribunal relativement à la présente affaire est que le degré de complexité de la plainte correspond au degré moyen de complexité prévu à l’annexe A de la Ligne directrice (degré 2). En conformité avec la Ligne directrice, l’indication provisoire du montant de l’indemnisation donnée par le Tribunal est de 2 400 $. Le Tribunal se réserve la compétence de fixer le montant final de l’indemnisation.

DÉCISION DU TRIBUNAL

47. Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal détermine que la plainte est fondée en partie.

48. Aux termes des paragraphes 30.15(2) et 30.15(3) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal recommande que TPSGC verse à LVE une indemnisation en reconnaissance du préjudice qu’elle a subi en raison de la divulgation de son prix soumissionné dans le cadre de l’invitation no W8472-065069/A. Le Tribunal se réserve la compétence de déterminer le montant indiqué de l’indemnisation après l’adjudication d’un contrat dans le cadre de l’invitation no W8472-065069/C et la réception des exposés des parties.

49. Dans les 10 jours ouvrables suivant l’adjudication d’un contrat dans le cadre de l’invitation no W8472-065069/C, TPSGC remettra au Tribunal et à LVE le nom des soumissionnaires conformes et le montant de leur soumission respective. LVE disposera de 10 jours ouvrables après la réception de ces renseignements pour déposer un exposé dans lequel elle décrira, en termes d’argent, le préjudice qu’elle a subi quant à sa capacité de faire concurrence loyale à d’autres entreprises dans le cadre de ladite invitation, en raison de la divulgation de son prix soumissionné à un concurrent dans le cadre de la première invitation. TPSGC disposera de 7 jours ouvrables après la réception de l’exposé de LVE pour déposer sa réponse auprès du Tribunal. LVE disposera ensuite de 5 jours ouvrables après la réception de la réponse de TCSGC pour déposer des observations finales. Par la suite, le Tribunal rendra sa recommandation finale à cet égard. Les parties doivent déposer leurs observations auprès du Tribunal et en effectuer la signification à l’autre partie simultanément.

50. Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal accorde à LVE le remboursement des frais raisonnables qu’elle a engagés pour la préparation et le traitement de la plainte, ces frais devant être payés par TPSGC. L’indication provisoire du degré de complexité de la présente plainte donnée par le Tribunal est le degré 2, et l’indication provisoire du montant de l’indemnisation est de 2 400 $. Si l’une ou l’autre des parties n’est pas d’accord en ce qui a trait à l’indication provisoire du degré de complexité ou l’indication provisoire du montant de l’indemnisation, elle peut déposer des observations auprès du Tribunal, en conformité avec la Ligne directrice. Le Tribunal se réserve la compétence de fixer le montant final de l’indemnisation.


1 . L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47 [Loi sur le TCCE].

2 . D.O.R.S./93-602 [Règlement].

3 . Service électronique d’appel d’offres du Canada.

4 . 18 juillet 1994, Gaz. C. 1995.I.1323 en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <http://www.intrasec.mb.ca/index_fr/ait.htm> [ACI].

5 . RIF, pièce confidentielle 22, et plan d’essai proposé par LVE, para. 3.

6 . RIF, pièce 10.

7 . RIF, pièce confidentielle 13.

8 . RIF, pièce 14.

9 . RIF, pièce 14.

10 . RIF, pièces confidentielles 26 et 27.

11 . RIF, pièce confidentielle 30.

12 . RIF, pièce confidentielle 30.

13 . RIF, pièce 9, para. 3 des lignes directrices pour les essais : « Préalablement à l’adjudication du contrat, l’EFP doit faire l’objet d’essais à grande échelle permettant d’évaluer si le système proposé satisfait aux exigences de capacité d’arrêt des bateaux figurant dans la description technique du besoin » [traduction].

14 . RIF, pièce confidentielle 26.

15 . Re plainte déposée par Polaris Inflatable Boats (Canada) Ltd. (23 juin 2003), PR-2002-060 (TCCE); Re plainte déposée par Excel Human Resources Inc. (faisant affaire sous le nom d’excelITR) (25 août 2006), PR-2005-058 (TCCE); Re plainte déposée par The Impact Group (14 juin 2006), PR-2005-050 (TCCE).

16 . RIF, pièce confidentielle 42.