ECOSFERA INC.

Décisions


ECOSFERA INC.
c.
MINISTÈRE DE L’ENVIRONNEMENT
Dossier no PR-2007-004

Décision rendue
le mercredi 11 juillet 2007

Motifs rendus
le vendredi 27 juillet 2007


TABLE DES MATIÈRES

EU ÉGARD À une plainte déposée par Ecosfera Inc. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47;

ET À LA SUITE D’une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

ENTRE

 

ECOSFERA INC.

Partie plaignante

ET

 

LE MINISTÈRE DE L’ENVIRONNEMENT

Institution fédérale

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte est fondée.

Aux termes des paragraphes 30.15(2) et 30.15(3) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande, à titre de mesure corrective, que le ministère de l’Environnement évalue de nouveau la proposition d’Ecosfera Inc. en utilisant le critère « connaissance », sans considérer le facteur « expérience », dans les 30 jours suivant la publication de l’exposé des motifs de la présente décision. Si la soumission d’Ecosfera Inc. obtient la note de passage requise, et qu’elle s’avère être la proposition recevable la moins-disante, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande qu’Ecosfera Inc. soit indemnisée en reconnaissance des profits qu’elle aurait pu tirer du marché si ce dernier lui avait été adjugé.

Le cas échéant, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande que les parties élaborent une proposition conjointe d’indemnisation afin de la lui présenter dans les 60 jours suivant la publication de l’exposé des motifs de la présente décision. Si les parties sont incapables de s’entendre sur le montant de l’indemnisation, elles devront séparément faire rapport au Tribunal canadien du commerce extérieur dans le même délai de 60 jours, après quoi le Tribunal canadien du commerce extérieur rendra sa recommandation à cet égard.

Si, à la suite de la nouvelle évaluation, la proposition d’Ecosfera Inc. n’obtient pas la note de passage requise, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande également que, sur demande, le ministère de l’Environnement communique à Ecosfera Inc. des renseignements pertinents concernant les raisons du rejet et l’informe des caractéristiques et avantages relatifs de la soumission retenue, conformément à l’alinéa 1015(6)b) de l’Accord de libre-échange nord-américain.

Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur accorde à Ecosfera Inc. le remboursement des frais raisonnables qu’elle a engagés pour la préparation et le traitement de la plainte, ces frais devant être payés par le ministère de l’Environnement. L’indication provisoire du degré de complexité de la présente plainte donnée par le Tribunal canadien du commerce extérieur est le degré 1 et l’indication provisoire du montant de l’indemnisation est de 1 000 $. Si l’une ou l’autre des parties n’est pas d’accord en ce qui a trait à l’indication provisoire du degré de complexité ou à l’indication du montant de l’indemnisation, elle peut déposer des observations auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur, en conformité avec la Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure portant sur un marché public. Le Tribunal canadien du commerce extérieur se réserve la compétence de fixer le montant final de l’indemnisation

Serge Fréchette
Serge Fréchette
Membre présidant

Hélène Nadeau
Hélène Nadeau
Secrétaire

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.

Membre du Tribunal :

Serge Fréchette, membre présidant

   

Directeur :

Marie-France Dagenais

   

Enquêteur principal :

Paul Berlinguette

   

Conseiller juridique pour le Tribunal :

Georges Bujold

   

Partie plaignante :

Ecosfera Inc.

   

Conseiller juridique pour la partie plaignante :

Thomas Dastous

   

Institution fédérale :

Ministère de l’Environnement

   

Conseillers juridiques pour l’institution fédérale :

Stéphanie Dion

 

Vincent Veilleux

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel :

EXPOSÉ DES MOTIFS

PLAINTE

1. Le 10 avril 2007, Ecosfera Inc. (Ecosfera) a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur 1 à l’égard d’un marché public (invitation no K2A87-06-0015) passé par le ministère de l’Environnement (EC) portant sur la prestation de services de consultants en analyse du contexte des risques environnementaux et des lacunes de la réglementation applicable à la grande maison fédérale et aux terres autochtones. Ecosfera a également déposé une requête en prorogation de délai pour que le Tribunal reconsidère certaines allégations relativement au fait qu’EC et un des soumissionnaires étaient en conflit d’intérêts et que ce dernier a reçu des renseignements auxquels les autres soumissionnaires n’avaient pas accès.

2. Ecosfera a allégué ce qui suit : 1) les explications fournies par EC concernant sa proposition étaient peu détaillées et incomplètes; 2) EC ne lui avait pas communiqué des explications suffisantes en ne lui révélant pas les renseignements concernant les caractéristiques et avantages relatifs de la soumission retenue, à savoir celles de Stratos Inc. (Stratos); 3) le barème de notation avait pris en considération des éléments de cotation qui n’étaient pas décrits dans la demande de proposition (DP); 4) les explications fournies par les évaluateurs constituaient une rationalisation subséquente à l’annonce de l’attribution du contrat et n’avaient pas pour objet de transmettre des renseignements relativement aux points perdus par Ecosfera. À titre de mesure corrective, elle a demandé une indemnisation en reconnaissance de la perte d’occasion d’avoir participé au marché public et de la perte de profits parce qu’elle a été privée de l’offre à commandes en question, et le remboursement des frais qu’elle avait engagés pour la préparation de la soumission et pour la préparation et le traitement de la plainte. Ecosfera a aussi demandé que le Tribunal recommande à EC le report d’adjudication du contrat.

3. Le 20 avril 2007, le Tribunal a avisé les parties qu’il avait décidé d’enquêter sur les trois premiers motifs de plainte, puisque cette dernière répondait aux exigences du paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et aux conditions énoncées au paragraphe 7(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics 2 . De l’avis du Tribunal, le quatrième motif de plainte était intrinsèquement lié au troisième motif et ne constituait pas, en soi, un motif distinct.

4. Quant aux deux premiers motifs de plainte, le Tribunal a demandé aux parties, dans le cadre de leur plaidoirie, de se prononcer expressément sur la question de l’étendue de l’obligation d’EC de fournir certains renseignements, la nature des renseignements qui doivent être fournis par EC et des documents qui doivent être produits par EC dans le cadre de la séance d’information visée par les accords pertinents. Quant au troisième motif, le Tribunal a demandé que les allégations contenues dans les soumissions soient, autant que faire se peut, appuyées par des éléments de preuve les justifiant.

5. Ce même jour, aux termes de l’article 17(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal a décidé de rendre une ordonnance concernant le dépôt de certains documents, dans la mesure où ces documents n’avaient pas déjà été déposés. Le Tribunal a également demandé à Ecosfera de l’informer da la nature du lien de parenté entre le conseiller juridique et le président de la partie plaignante. Le Tribunal a rejeté la requête en prorogation de délai d’Ecosfera concernant certaines allégations puisqu’il n’a aucune compétence pour reconsidérer, dans le cadre du présent dossier, la décision prise par celui-ci (Meriel V. M. Bradford, membre présidant) à l’égard de la plainte examinée dans le dossier no PR-2006-0483 .

6. En ce qui a trait à la demande de report d’adjudication du contrat, le Tribunal a avisé Ecosfera que, selon les éléments de preuve au dossier, un contrat avait déjà été octroyé à Stratos lorsqu’Ecosfera a déposé sa plainte. Or, selon le paragraphe 30.13(3) de la Loi du TCCE, le Tribunal n’a compétence que pour différer l’adjudication d’un contrat et ne peut donc pas reporter l’exécution d’un contrat déjà adjugé.

7. Le 17 mai 2007, EC a déposé un rapport de l’institution fédérale (RIF) auprès du Tribunal en application de l’article 103 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur 4 . Dans une lettre datée du même jour et accompagnant le RIF, EC a indiqué que le RIF contenait en annexe tous les documents qu’il détenait en relation avec l’ordonnance de production de documents qui a été rendue par le Tribunal le 20 avril 2007. Le 30 mai 2007, Ecosfera a déposé ses observations sur le RIF et a demandé au Tribunal d’émettre une ordonnance à l’encontre d’EC requérant qu’il fournisse certains renseignements et/ou documents concernant sa proposition et la soumission retenue. Le 4 juin 2007, EC a demandé l’opportunité de soumettre une réplique supplémentaire concernant des faits nouveaux et des malentendus liés à la présente plainte. Dans une lettre reçue ce même jour, Ecosfera s’est opposée à la requête d’EC. À cette date, le Tribunal a autorisé EC et Ecosfera à déposer des renseignements supplémentaires à l’égard de cette affaire. Les 7 et 13 juin 2007, EC et Ecosfera ont déposé leurs observations respectives.

8. Étant donné qu’il y avait suffisamment de renseignements au dossier pour déterminer le bien-fondé de la plainte, le Tribunal a décidé qu’une audience n’était pas nécessaire et, aux termes de l’alinéa 25c) des Règles, a statué sur la plainte sur la foi des renseignements au dossier.

PROCÉDURE DE PASSATION DU MARCHÉ PUBLIC

9. La DP a été publiée par l’intermédiaire du MERX5 le 1er décembre 2006 (révisée le 27 décembre 2006). La date de clôture pour la remise des soumissions était le 12 janvier 2007.

10. La DP visait la fourniture de services de consultants en analyse du contexte des risques environnementaux et des lacunes de la réglementation applicable à la grande maison fédérale et aux terres autochtones. La valeur totale prévue des services à fournir était environ 165 000 $ (TPS exclue).

11. Trois propositions ont été reçues, lesquelles ont été évaluées par un comité de trois fonctionnaires d’EC. Selon EC, deux des propositions n’ont pas obtenu la note de passage exigée (75 p. 100) pour les critères « expérience » et « connaissances » et n’ont donc pas été examinées à l’étape de l’évaluation financière.

12. Le 26 janvier 2007, EC a informé Ecosfera du nom du soumissionnaire retenu et lui a remis un sommaire de l’évaluation de sa proposition. Le 6 février 2007, Ecosfera a fait une demande verbale concernant les caractéristiques et les avantages relatifs de la soumission retenue. Les 7 et 12 février 2007, Ecosfera a présenté une opposition à EC dans laquelle elle lui demandait une séance d’information et des documents relatifs aux soumissions reçues et au processus d’évaluation. Le 26 février 2007, Ecosfera a renouvelé son opposition et a réitéré sa demande pour les documents en question. Ce même jour, EC a informé Ecosfera qu’une séance d’information ne pourrait être tenue le 28 février tel que demandé par Ecosfera, mais plutôt dans la semaine du 5 mars 2007. Le 13 mars 2007, Ecosfera a présenté une quatrième opposition à EC, se plaignant que cette dernière ne lui avait pas fourni les documents et n’avait pas donné suite à son engagement de fixer une date pour une séance d’information et informant EC de sa disponibilité pour une rencontre le 23 mars 2007. Le 21 mars 2007, Ecosfera a envoyé une cinquième opposition à EC, dans laquelle elle soulevait essentiellement les mêmes points et informait EC de sa disponibilité pour une séance d’information le 29 mars 2007. Le 2 avril 2007, EC a informé Ecosfera de sa disponibilité pour une séance d’information les 4 ou 5 avril 2007 et a transmis à Ecosfera les feuilles de notation de chaque évaluateur pour la proposition d’Ecosfera ainsi que la cote en points du soumissionnaire retenu. Les 3 et 4 avril 2007, Ecosfera a renouvelé son opposition à EC et lui indiquant qu’elle était insatisfaite de la réponse d’EC en date du 2 avril 2007, lui demandant de revoir l’évaluation de sa proposition, et confirmant sa disponibilité pour une rencontre le 5 avril 2007. Le 5 avril 2007, Ecosfera a présenté une dernière opposition à EC, se plaignant que cette dernière ne lui avait pas fourni d’explications suffisantes dans sa lettre du 5 avril 2007 ni lors de la séance d’information tenue le même jour.

13. Le 10 avril 2007, Ecosfera a déposé sa plainte auprès du Tribunal.

ANALYSE DU TRIBUNAL

14. Aux termes du paragraphe 30.14(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal doit, dans son enquête, limiter son étude à l’objet de la plainte. En outre, à la conclusion de l’enquête, le Tribunal doit déterminer la validité de la plainte en fonction des critères et procédures établis par règlement pour le contrat spécifique. De plus, l’article 11 du Règlement prévoit que le Tribunal doit déterminer si le marché public a été passé conformément aux accords commerciaux pertinents qui, en l’espèce, sont l’Accord sur le commerce intérieur 6 et l’Accord de libre-échange nord-américain 7 .

15. Comme il a été mentionné plus haut, le Tribunal se penchera sur les trois allégations à l’égard desquelles l’enquête a été ouverte.

Question préliminaire

16. À l’égard du processus d’évaluation, EC a prétendu que les affidavits déposés à l’appui du RIF ont une valeur probante importante. Par ailleurs, Ecosfera a soutenu que ces affidavits n’ont pas été reçus conformément aux articles 219 et 221 de la Loi sur les tribunaux judiciaires du Québec, et qu’ils sont donc nuls et non avenus. D’après Ecosfera, les documents d’EC n’ont donc aucune force probante.

17. Le Tribunal est d’avis que les dispositions de la Loi sur les tribunaux judiciaires du Québec invoquées par Ecosfera ne s’appliquent pas en l’espèce parce qu’elles visent les affidavits déposés devant les tribunaux québécois et non devant un organisme quasi judiciaire de compétence fédérale comme le Tribunal. Il n’y a pas de disposition similaire applicable au Tribunal. À tout événement, l’article 34 de la Loi sur le TCCE établit très clairement que le Tribunal est habileté à considérer et à accorder une valeur probante à des renseignements ou des documents qui ne sont pas assermentés. Cette disposition se lit comme suit : « Dans toute enquête ouverte en vertu de la présente loi [...], le Tribunal peut obtenir, autrement que sous la sanction d’un serment ou d’une affirmation solennelle, des renseignements ou des documents qui, à son avis, font foi et y donner suite. »

18. À la lumière de cette disposition, le Tribunal n’est pas lié par des règles strictes en matière d’admissibilité des éléments de preuve et est autorisé à accorder une valeur probante à des documents ou à des renseignements, y compris des affirmations de faits, qui ne sont pas présentés sous la sanction d’un serment ou d’une affirmation solennelle. Ainsi, malgré les prétentions d’Ecosfera, le Tribunal accordera aux témoignages contenus dans les déclarations produites par EC la crédibilité et la valeur probante qu’ils méritent.

Explications fournies par EC concernant le rejet de la proposition d’Ecosfera

19. L’alinéa 1015(6)b) de l’ALÉNA est pertinent au premier motif de plainte d’Ecosfera, lequel prévoit ce qui suit :

Une entité devra,

[...]

b) sur demande, communiquer aux fournisseurs dont la soumission n’a pas été retenue des renseignements pertinents concernant les raisons du rejet, et les informer des caractéristiques et des avantages relatifs de la soumission retenue, ainsi que du nom de l’adjudicataire.

20. L’ACI ne contient pas de disposition analogue à celle qui vient d’être citée.

21. La partie pertinente de l’alinéa 1015(6)b) de l’ALÉNA aux fins de ce motif porte sur la communication de renseignements pertinents concernant les raisons du rejet.

22. EC a soutenu qu’il a informé Ecosfera le 26 janvier 2007 que le contrat ne pouvait lui être adjugé parce que sa proposition n’avait pas obtenu la note de passage requise lors de l’évaluation technique étant donné que, contrairement aux exigences de la DP, Ecosfera avait obtenu 73 p. 100 alors que la note de passage requise était de 75 p. 100. Ce même jour, EC a transmis à Ecosfera un sommaire de l’évaluation de sa proposition, à savoir la grille d’évaluation globale des évaluateurs. EC a aussi soutenu qu’Ecosfera a reçu, le 2 avril 2007, communication des grilles d’évaluations individuelles de ceux-ci, lesquelles contenaient des commentaires précis à l’égard de la soumission et de sa conformité aux critères d’évaluation.

23. EC a fait valoir que, lors de la séance d’information du 5 avril 2007, un des trois membres du comité d’évaluation de la soumission d’Ecosfera a passé en revue chacun des critères d’évaluation de la DP, le pointage individuel qu’il avait alloué à chacun de ces critères et les raisons de ce pointage individuel. EC a jouté qu’on a alors aussi expliqué la méthodologie utilisée par les membres du comité d’évaluation pour trouver un consensus à l’égard du pointage à accorder pour chaque critère d’évaluation et le moyen par lequel le comité avait décidé d’allouer un pointage de 73 p. 100.

24. EC a soutenu qu’il a en effet fourni tous les renseignements pertinents concernant la soumission d’Ecosfera, y compris les notes préliminaires des évaluateurs, les feuilles de notation individuelles mentionnées dans Med-Emerg International Inc. 8 , la feuille de notation établie par consensus, et a fourni des explications verbales lors d’une séance d’information. EC a soutenu que, en conformité avec la décision du Tribunal dans Southern California Safety Institute, Inc. 9 , dans laquelle le Tribunal a conclu que l’institution fédérale s’était déchargée du fardeau de l’alinéa 1015(6)b) de l’ALÉNA en ayant informé un soumissionnaire du contenu du sommaire de la notation de sa proposition, il a largement respecté et même dépassé ses obligations statutaires telles qu’elles ont été interprétées par le Tribunal dans ses décisions récentes.

25. EC a soutenu que l’exercice d’information prévu à l’alinéa 1015(6)b) de l’ALÉNA a pour but de permettre aux soumissionnaires non retenus de comprendre comment ils peuvent mieux répondre aux occasions futures en matière de marché public et, par la même occasion, d’aider l’entité acheteuse, puisque les propositions qu’elle recevra dans le cadre d’invitations futures seront de meilleure qualité10 . EC a donc prétendu qu’il s’est déchargé de son fardeau d’informer Ecosfera des raisons du rejet de sa proposition.

26. EC a aussi nié les allégations d’Ecosfera à l’effet que la portion financière de sa proposition ait été évaluée et qu’une des références d’Ecosfera ait fait l’objet d’une vérification.

27. Pour sa part, Ecosfera a affirmé qu’EC n’a fourni aucun renseignement pertinent sur les raisons qui ont pu mener au rejet da sa proposition. Par exemple, la feuille de notation de groupe ne comportait aucune explication pour justifier les divergences entre les notes attribuées par chaque évaluateur ou les notes attribuées par consensus. D’après Ecosfera, EC n’a pas élaboré un plan ni un guide pour l’évaluation des soumissions.

28. En ce qui a trait à l’allégation selon laquelle sa proposition financière n’avait pas été évaluée par EC étant donné que sa proposition technique n’avait pas atteint une note globale de 75 p. 100, Ecosfera a soutenu que la preuve invoquée par EC démontre le contraire11 . Selon Ecosfera, il est clair qu’une décision fut prise à l’effet que sa soumission ne devait pas atteindre le seuil minimal requis permettant de trouver le soumissionnaire qualifié. Ecosfera a aussi affirmé que le fait que l’une de ses références ait été vérifiée12 vient contredire l’affirmation que sa proposition technique n’avait pas atteint le seuil minimal requis.

29. Ecosfera a soutenu que certains membres du comité d’évaluation n’ont pas respecté les instructions pour l’évaluation des soumissions à l’effet que la feuille de notation de groupe doit être signée par les évaluateurs. À cet égard, Ecosfera a affirmé qu’un des évaluateurs a signé sa feuille de notation subséquemment à l’évaluation consensuelle mais a négligé de signer la feuille de notation de groupe lors de cette occasion. Aussi, certains commentaires manuscrits d’un des membres de l’équipe d’évaluation sont contradictoires et incohérents avec ceux de la pièce LS-2. Selon Ecosfera, tous les documents concernant cet aspect du dossier constituent une rationalisation subséquente faisant suite aux communications de la part d’Ecosfera.

30. Ecosfera a aussi soutenu que certains critères et sous-critères ne sont pas commentés et que, dans certains cas, aucun détail n’apparaît relativement à la perte de points dans le cadre de l’évaluation de sa proposition. De plus, certains commentaires faits par le président du comité de sélection apparaissent contradictoires et incohérents. D’après Ecosfera, le tout indique que les évaluateurs ne disposaient pas d’un point de référence commun et que leurs évaluations étaient donc très subjectives.

31. Ecosfera a fait valoir qu’aucune description des méthodes de pondération et d’évaluation des critères énoncés au barème de notation n’a été communiquée au Tribunal.

32. Le Tribunal est d’avis que les arguments d’EC à ce chapitre sont réductionnistes. Les arguments d’EC semblent s’inspirer d’une vision étroite du but et de l’objet de l’obligation. Contrairement à ce que suggère EC, l’obligation prévue à l’alinéa 1015(6)b) de l’ALÉNA vise beaucoup plus que simplement permettre aux soumissionnaires non retenus de comprendre comment ils peuvent mieux répondre aux occasions futures en matière de marché public. Le Tribunal observe qu’il serait faux de conclure que, par son énoncé dans TireeRankinJV, il a voulu donner une interprétation aussi réductrice de l’objet de l’obligation. Bien que le Tribunal ait affirmé dans le passé que l’alinéa 1015(6)b) de l’ALÉNA vise à permettre aux soumissionnaires non retenus de comprendre comment ils peuvent mieux répondre aux occasions futures en matière de marché public, il est peu probable que ce dernier ait voulu inscrire l’application de la disposition dans un cadre aussi étroit. Bien que l’objectif suggéré par EC participe aux objectifs pratiques de l’obligation, sa finalité première, selon le Tribunal, est celle de faire preuve de transparence quant aux raisons du rejet de la proposition, tout en respectant le caractère confidentiel du contenu de toutes les propositions des soumissionnaires. Cette obligation permet au soumissionnaire non retenu de déterminer, le cas échéant, la nature de ses droits eu égard aux obligations prévues à l’ALÉNA. Le Tribunal est d’avis que c’est plutôt dans cette optique quel le paragraphe 1015(6) doit être interprété et ultimement appliqué.

33. Bien qu’il ne soit pas possible d’emblée de prévoir la nature précise des renseignements qui doivent être communiquées dans chacun des cas, il semble assez clair aux termes de l’alinéa 1015(6)b) de l’ALÉNA, lorsque considéré à la lumière de l’objet décrit au paragraphe précédent, que la communication devrait porter sur tous les renseignements relatifs aux considérations de ceux qui ont participé à la prise de décision ayant mené au rejet de la proposition du soumissionnaire non retenu. Ceci comprend évidemment la communication des raisons du rejet de la proposition et la communication de ce qui justifie leur considération ainsi que la manière dont ces raisons ont été considérées. En fait, c’est l’ensemble des renseignements qui, il est raisonnable de croire, dévoilent les raisons du rejet de la proposition qui doit être communiqué par l’entité concernée. Par contre, la nature précise des renseignements qui, il serait raisonnable de croire, dévoilent les raisons du rejet dans un cas donné ne peut être déterminée qu’à la lumière des circonstances particulières de chaque cas et le concept de « pertinence » devient important aux fins de cette détermination.

34. Le Tribunal est d’avis que l’obligation de communiquer les renseignements pertinents quant aux raisons du rejet présuppose que l’institution fédérale se dote de moyens qui lui permettent, le cas échéant, de communiquer effectivement les renseignements pertinents quant aux raisons pour lesquelles le soumissionnaire concerné n’a pas été retenu et qu’il appartient à l’institution fédérale de déterminer la manière dont elle devrait s’organiser pour s’affranchir de cette obligation.

35. En l’espèce, le Tribunal est d’avis que les renseignements fournis par l’entremise des lettres des 26 janvier et 2 avril 2007 ainsi qu’au cours de la séance d’information du 5 avril 2007 ne sont pas suffisants pour se conformer à l’obligation énoncée à l’alinéa 1015(6)b) de l’ALÉNA. Il est clair que les éléments de preuve portant sur les renseignements communiqués indiquent que ceux-ci ne permettent pas de clairement déterminer les raisons qui ont fait qu’Ecosfera n’obtienne pas le maximum des points requis à l’égard de certains critères d’évaluation. Il ressort des éléments de preuve disponibles que cette communication n’a été que partielle. Bien qu’il y ait eu communication documentaire et orale de renseignements, cette communication n’a pu dévoiler les considérations de chaque individu ayant participé à la formulation du consensus à l’égard de chacun des critères applicables.

36. Malgré les renseignements communiqués, le Tribunal est d’avis que rien n’explique dans la preuve documentaire les raisons qui ont mené à la perte de points à l’égard de certains des critères d’évaluation. Le Tribunal note que, sauf en ce qui concerne les informations additionnelles fournies par un des membres de l’équipe d’évaluation lors de la séance d’information, aucune information complémentaire n’a été fournie quant aux commentaires manquants pour deux des membres de l’équipe d’évaluation. Les éléments de preuve indiquent de toute évidence qu’EC n’a pas documenté les raisons du retrait de points quant à certains critères d’évaluation et ne pouvait donc pas les communiquer par voie documentaire. De plus, le Tribunal est d’avis qu’EC ne semble pas avoir essayé de suppléer à ce manquement lors de la séance d’information au moyen d’explications orales, sauf en ce qui regarde les renseignements additionnels fournis par un des membres de l’équipe d’évaluation. De l’avis du Tribunal, il s’agit de renseignements qui étaient pertinents aux rejet de la proposition d’Ecosfera.

37. À la lumière de ce qui précède, le Tribunal conclut qu’il y a eu non respect de l’alinéa 1015(6)b) de l’ALÉNA concernant la communication des raisons du rejet de la proposition d’Ecosfera.

38. Bien qu’aucun délai précis ne soit prévu dans le texte de la disposition, le Tribunal est aussi d’avis que l’obligation de communiquer les renseignements dont il est question à l’alinéa 1015(6)b) de l’ALÉNA requiert aussi, de manière implicite, que cette communication soit faite à l’intérieur de délais raisonnables pour ne pas compromettre l’exercice de recours ou restreindre l’éventail des remèdes disponibles en cas de violation13 .

39. En l’espèce, Ecosfera a demandé, au moyen d’une demande verbale le 6 février 2007 et de huit demandes écrites, la communication des renseignements pertinents concernant les raisons du rejet de sa proposition. Ce n’est en fait que le 2 avril 2007 qu’ont été fournies les grilles d’évaluation individuelles. La séance e n’a eu lieu que le 5 avril 2007. Le Tribunal ne peut comprendre comment il se fait qu’EC n’ait pu communiquer plus rapidement les renseignements fournis les 2 et 5 avril 2007. De toute évidence, ces renseignements étaient déjà disponibles au moment de la communication des résultats et auraient pu être communiqués rapidement après la première demande de communication. EC aurait très certainement dû communiquer ces renseignements beaucoup plus tôt.

40. Bien que le Tribunal n’ait pas à décider de l’existence ou non d’une violation à l’égard de la question des délais de communication pour décider du sort du premier motif de plainte14 , il ne peut passer sous silence l’approche plutôt cavalière adoptée par EC quant à la vitesse avec laquelle il a répondu à la demande de communication faite par Ecosfera. D’ailleurs, à ce sujet, il importe de mentionner qu’Ecosfera n’a toujours pas reçu une partie des renseignements demandés.

41. Le Tribunal accepte ce motif de plainte à l’égard de la question de l’étendu des renseignements fournis quant aux raisons du rejet de la proposition d’Ecosfera.

Explications fournies par EC à l’égard des caractéristiques et avantages relatifs de la soumission retenue

42. Cette allégation concerne, tout comme le motif de plainte précédent, les obligations énoncées à l’alinéa 1015(6)b) de l’ALÉNA. Selon l’alinéa 1015(6)b), l’entité doit « [...] informer [les fournisseurs] des caractéristiques et des avantages relatifs de la soumission retenue, ainsi que du nom de l’adjudicataire ». Aussi, cette obligation doit tenir compte des limites qu’impose l’alinéa 1015(8), qui se lit comme suit :

Nonobstant les paragraphes 1 à 7, une entité pourra décider de ne pas divulguer certains renseignements relatifs à l’adjudication, si la communication de ces renseignements

a) ferait obstacle à l’application des lois ou serait autrement contraire à l’intérêt public,

b) porterait préjudice aux intérêts commerciaux légitimes d’une personne donnée, ou

c) pourrait nuire à une concurrence loyale entre fournisseurs.

43. Ces limites ne sont pas absolues. Les motifs du refus de communication sont circonscrits. Il est question de savoir si, dans les faits, ces limites s’appliquent.

44. EC a soutenu que l’obligation de communiquer aux fournisseurs dont la soumission n’a pas été retenue les caractéristiques et avantages relatifs à la soumission retenue doit se faire tout en respectant le caractère confidentiel des propositions des soumissionnaires et dans le cadre des exigences du paragraphe 1015(8) de l’ALÉNA. À cet égard, EC a soutenu qu’Ecosfera a été clairement informée du nom du soumissionnaire retenu, de la valeur du contrat et de la cote en points à partir de laquelle Ecosfera aurait pu calculer le pointage sur 100, ce qui rencontre les obligations énoncées à l’alinéa 1015(6)b) de l’ALÉNA. Selon EC, cette approche est conforme à la position adoptée par le Tribunal dans Med-Emerg 15 , même si, dans certaines circonstances, le Tribunal a conclu qu’il y avait lieu de divulguer plus.

45. EC a soutenu que, en l’espèce, considérant les lacunes majeures de la soumission d’Ecosfera et le manque de compréhension des objectifs recherchés, l’octroi de renseignements supplémentaires portant sur la soumission de Stratos lui serait de peu d’utilité. Il a prétendu que la divulgation de renseignements détaillés relatifs à l’évaluation de chaque critère pourrait avoir une incidence négative sur le caractère confidentiel de la soumission retenue.

46. Pour sa part, Ecosfera a soutenu que, dans les faits, aucune information n’a été communiquée au sujet des caractéristiques et avantages relatifs de la soumission retenue. Ecosfera allègue qu’EC ne peut pas se servir de la notion de « confidentialité » pour refuser de se conformer à ses obligations qui découlent de l’ALÉNA, des positions exprimées publiquement par le Canada, des lois canadiennes d’application générale, de la jurisprudence et des clauses contractuelles qui s’appliquent par renvoi de la Loi sur le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux 16 .

47. Comme pour l’examen du motif de plainte précédent, il est difficile au regard du libellé pertinent de l’alinéa 1015(6)b) de l’ALÉNA de déterminer ce que devrait être, dans tous les cas, la nature exacte des renseignements devant être fournis quant à la soumission retenue. Le libellé dont il est ici question se lit ainsi : « [...] informer [les fournisseurs] des caractéristiques et des avantages relatifs de la soumission retenue, ainsi que du nom de l’adjudicataire. »

48. Il est compris de tous que cette obligation d’informer doit être mise en contraste avec l’obligation énoncée au paragraphe 1015(8) de l’ALÉNA qui prévoit des limites quant à ce qui peut être dévoilé. Cependant, ces limites ne sont pas absolues et ne peuvent servir de justification pour refuser de fournir le minimum de renseignements devant être dévoilés au regard de l’obligation principale.

49. Les caractéristiques et les avantages relatifs de la soumission retenue constituent le sujet des renseignements à fournir. Il faut s’en remettre aux mots utilisés par les rédacteurs de la disposition afin de comprendre l’étendue potentielle de l’obligation. Le mot « caractéristique » s’entend généralement de ce qui constitue un élément distinctif ou particulier d’une chose17 , dans le cas qui nous intéresse, la soumission de Stratos. Le mot « avantage », quant à lui, signifie généralement ce par quoi une chose ou une personne est supérieure à une autre18 , dans le présent contexte, il s’agit des avantages de la soumission de Stratos lorsque comparée à celle d’Ecosfera. Il est clair que les particularités propres à chaque cas sont déterminantes pour ce qui est de la question des renseignements qui doivent être fournis. C’est à l’intérieur de ce cadre que le Tribunal doit déterminer si EC a, dans les faits de cette affaire, fourni les renseignements requis concernant les caractéristiques et les avantages relatifs de la soumission de Stratos.

50. Dans les faits, rien n’a été fourni si ce n’est l’identité de Stratos, la valeur de sa soumission et un certain pointage pour chaque critère d’évaluation19 . Dans son examen du deuxième motif de plainte, le Tribunal est d’avis que, en l’espèce, il était requis et aurait été possible pour EC de communiquer un minimum de renseignements relatifs aux caractéristiques et avantages qui ont permis à Stratos de se distinguer d’Ecosfera. Il aurait été possible pour EC, sans communiquer des renseignements commerciaux confidentiels, de décrire, de manière générale, les critères pour lesquels Stratos a obtenu des résultats supérieurs. D’ailleurs, rien au dossier n’indique qu’il était impossible de le faire sans violer le caractère confidentiel de documents ou de renseignements. Par exemple, sur la feuille de notation de groupe, on aurait pu fournir des commentaires ou des explications quant aux avantages de la soumission de Stratos concernant son expérience dans l’organisation de projets semblables. Il en va de même pour la qualité de la proposition. Dans les faits, EC s’est contenté de fournir un certain pointage pour chaque critère d’évaluation. Le Tribunal considère qu’il aurait été possible pour EC de faire plus.

51. À la lumière de ce qui précède, le Tribunal conclu qu’EC a aussi contrevenu à ses obligations de divulgation eu égard au deuxième motif de plainte.

Ordonnance recherchée par Ecosfera concernant la communication de renseignements et de documents

52. Eu égard aux motifs de plainte concernant l’alinéa 1015(6)b) de l’ALÉNA, Ecosfera demandait au Tribunal, au titre des conclusions recherchées, d’ordonner à EC la production des documents suivants énumérés au paragraphe 25 de la réponse d’Ecosfera à la demande de commentaires du Tribunal et au rapport d’EC.

53. Les renseignements relatifs à la soumission d’Ecosfera étaient les suivants :

• toutes les instructions écrites transmises aux évaluateurs;

• tout plan d’évaluation élaboré ou utilisé par EC;

• tout guide d’évaluation élaboré ou utilisé par EC;

• toute documentation de cotation, y compris les tables de cotation élaborées ou utilisées par EC;

• tout supplément de cotation, toute ligne directrice ou toute explication élaborés ou utilisés par EC;

• la cotation résultant de l’évaluation, y compris les feuilles de notation brute provenant de chaque évaluateur, et les notes de cotation de chaque évaluateur eu égard à l’évaluation de la soumission d’Ecosfera;

• tous les procès-verbaux, toutes les notes de service ou toutes les autres notes écrites qui ont été produits à la suite de réunions des évaluateurs techniques et ayant trait à l’évaluation de la soumission d’Ecosfera.

54. Les informations relatives à la soumission retenue étaient les suivantes :

• la cotation résultant de l’évaluation, y compris les feuilles de notation brute provenant de chaque évaluateur, et les notes de cotation de chaque évaluateur eu égard à l’évaluation de la soumission de Stratos;

• tous les procès-verbaux, toutes les notes de service ou toutes les autres notes écrites qui ont été produits à la suite de réunions des évaluateurs techniques et ayant trait à l’évaluation de la soumission de Stratos;

• une copie de la soumission de Stratos, sans violer le caractère confidentiel (le cas échéant) que ce document pourrait avoir, conformément aux dispositions de la Loi sur l’accès à l’information 20 .

55. Après considération de la question, le Tribunal a déterminé de ne pas rendre une telle ordonnance. D’abord, les articles 30.15 et 30.18 de la Loi sur le TCCE prévoient que la compétence du Tribunal à ce stade des procédures se limite à la formulation de recommandations. Le Tribunal est d’avis que ce pouvoir ne l’autorise pas à rendre une ordonnance du type recherché par Ecosfera. De plus, il n’est pas certain que l’obligation de l’alinéa 1015(6)b) de l’ALÉNA requiert que l’entité fournisse les renseignements décrits dans une forme particulière. La disposition se limite à décrire la nature des renseignements sans pour autant en préciser la forme. Par ailleurs, la question de savoir si, aux fins des procédures devant le Tribunal, ce dernier devrait rendre une ordonnance du type mentionné précédemment relève des faits particuliers qui sont pris en considération à l’initiative du Tribunal ou suite à une demande à cet effet au cours d’une enquête. Ce type d’ordonnance permet au Tribunal d’obtenir et d’examiner des pièces ou des documents dans le cadre de l’exercice de sa compétence. La demande d’Ecosfera au titre des conclusions recherchées ne relève pas de ce genre de scénario.

Éléments de cotation non décrits dans la DP mais pris en considération dans le barème de notation

56. Le paragraphe 506(6) de l’ACI et l’article 1013 de l’ALÉNA sont pertinents au troisième motif de plainte d’Ecosfera.

57. Le paragraphe 506(6) de l’ACI prévoit ce qui suit :

[...] Les documents d’appel d’offres doivent indiquer clairement les conditions du marché public, les critères qui seront appliqués dans l’évaluation des soumissions et les méthodes de pondération et d’évaluation des critères.

58. L’article 1013 de l’ALÉNA prévoit ce qui suit :

1. La documentation relative à l’appel d’offres qu’une entité remettra aux fournisseurs devra contenir tous les renseignements nécessaires pour leur permettre de présenter des soumissions valables, notamment les renseignements devant être publiés dans l’avis mentionné au paragraphe 1010(2), exception faite des renseignements visés à l’alinéa 1010(2)h). La documentation contiendra également :

[...]

h) les critères d’adjudication, y compris tous les éléments, autres que le prix, qui seront pris en considération lors de l’évaluation des soumissions [...];

[...]

59. Ces obligations sont très claires et elles ont fait l’objet de nombreux commentaires de la part du Tribunal quant à leur portée. L’institution fédérale ne peut tout simplement pas avoir recours à un critère d’évaluation autre que ceux prévus dans l’appel d’offres.

60. En l’espèce, il s’agit de déterminer si EC a appliqué un critère d’évaluation qui n’était pas raisonnablement prévisible au vu de la DP. À cet égard, le Tribunal note qu’il n’y a aucune divergence de vue entre les parties quant au fait que l’expérience du soumissionnaire ne devait pas faire partie de l’analyse au moment de la considération du facteur d’évaluation portant sur la « [C]connaissance des différentes façons d’aborder les risques en matière d’environnement et les lacunes de la réglementation connexes à la grande maison fédérale et aux terres autochtones [...] »21 . La question est donc de savoir s’il y a eu ou non prise en considération de l’expérience au moment de l’application du critère de la connaissance.

61. EC a soutenu que le troisième motif de plainte est non fondé et découle principalement d’un commentaire sur la grille d’évaluation individuelle d’un des membres de l’équipe d’évaluation.

62. EC a soutenu que le sous-critère d’évaluation « Connaissance des différentes façons d’aborder les risques en matière d’environnement » ne visait pas à évaluer l’expérience des soumissionnaires, mais bien leurs connaissances à l’égard de différentes façons d’aborder les risques en matière d’environnement et les lacunes de la réglementation à la grande maison fédérale. EC a soutenu que le commentaire « Pas d’expérience dans la lacune réglementaire » sur la grille d’évaluation individuelle d’un des membres de l’équipe d’évaluation résulte d’une erreur de traduction de sa part et qu’il a plutôt voulu dire « Pas de démonstration d’une compréhension des lacunes de la réglementation ». EC a également soutenu que cette interprétation est conforme à un autre commentaire fait par un des membres de l’équipe d’évaluation à l’égard du sixième point de l’évaluation individuelle lorsqu’il a écrit « Aucune indication qu’ils comprennent la lacune réglementaire entre les terrains provinciaux et fédéraux ».

63. Par ailleurs, Ecosfera a soutenu que, selon la balance des probabilités, le barème de notation fournit des renseignements supplémentaires qui n’étaient pas évidents au regard du contenu de la DP. Ecosfera allègue que si elle avait su que le critère « expérience » devait être développé sous la rubrique « Connaissance », EC aurait reçu de sa part une soumission qui était structurée différemment. D’après Ecosfera, le comité d’évaluation a appliqué un critère d’évaluation qui n’avait pas été divulgué aux soumissionnaires ou qui n’était pas raisonnablement prévisible au vu de la DP.

64. Le Tribunal doit trancher entre ces deux versions contradictoires de ce que révèle l’utilisation de l’expression « Pas d’expérience dans la lacune réglementaire » sur la grille d’évaluation individuelle d’un des membres de l’équipe d’évaluation. Le Tribunal possède peu d’éléments de preuve lui permettant de départir ces deux versions.

65. Par le passé, le Tribunal s’est prononcé à l’effet qu’il est raisonnable de conclure qu’un commentaire fait sur une grille d’évaluation est susceptible de révéler l’approche ou l’attitude de l’évaluateur quant à l’objet de son commentaire. En l’espèce, le commentaire d’un des membres de l’équipe d’évaluation semble indiquer que l’existence ou la non existence d’une expérience pertinente a été prise en compte pour déterminer le niveau de « [C]onnaissance des différentes façons d’aborder les risques en matière d’environnement ».

66. Comme Ecosfera, le Tribunal a du mal à réconcilier l’existence du commentaire en question et la justification qui en est donnée par son auteur. Il est pertinent de constater que le membre de l’équipe d’évaluation dont le commentaire fait l’objet de l’examen du Tribunal démontre, à plusieurs autres endroits dans ses notes, une maîtrise du français qui ne permet pas de douter qu’il puisse saisir la différence de signification entre les mots « expérience » et « connaissance ». La différence entre le contenu du commentaire reflété dans la grille individuelle et ce que ce membre dit avoir voulu inscrire est telle qu’il semble difficile d’imaginer qu’il ait pu si mal transposer ce qu’il désirait annoter. En somme, sa maîtrise du français semble trop bonne pour permettre au Tribunal d’accepter la justification proposée par EC quant à l’existence du commentaire.

67. À la lumière de ce qui précède, le Tribunal est plutôt d’avis qu’un des membres de l’équipe d’évaluation a pris en compte le facteur « expérience » au moment de l’application du facteur « connaissance » et que, ce faisant, il a utilisé un critère d’évaluation non spécifié dans l’appel d’offres. Ceci étant, le Tribunal considère qu’EC n’a pas respecté les obligations susmentionnées des accords commerciaux pertinents quant à l’utilisation des critères d’évaluation.

68. Considérant ce qui précède, le Tribunal conclut que le troisième motif de plainte est fondé.

MESURE CORRECTIVE

69. Pour recommander une mesure corrective, le Tribunal doit, conformément au paragraphe 30.15(3) de la Loi sur le TCCE, tenir compte de tous les facteurs qui interviennent dans le marché de services visé par le contrat spécifique, notamment des suivants :

[...]

a) la gravité des irrégularités qu’il a constatées dans la procédure des marchés publics;

b) l’ampleur du préjudice causé au plaignant ou à tout autre intéressé;

c) l’ampleur du préjudice causé à l’intégrité ou à l’efficacité du mécanisme d’adjudication;

d) la bonne foi des parties;

e) le degré d’exécution du contrat.

70. Pour décider de la mesure corrective à recommander en l’espèce, le Tribunal a examiné les facteurs pertinents au marché public, y compris les facteurs susmentionnés.

71. Il s’agit d’une affaire où il est question, entre autres, d’une erreur commise dans l’application d’un des critères d’évaluation énoncés dans la DP. Selon le Tribunal, il s’agit là d’une irrégularité d’une certaine gravité dans la procédure de passation du marché public et d’un type d’action qui cause un préjudice à l’intégrité du mécanisme d’adjudication dans son ensemble.

72. Il est impossible de savoir clairement quels auraient été les résultats du marché public si les critères d’évaluation avaient été appliqués sans tenir compte du facteur « expérience ». Chose certaine, les faits démontrent qu’Ecosfera n’a pas pu répondre aux attentes d’EC telles que cette dernière les entendait et n’aurait donc pu présenter une proposition qui aurait reçu le maximum de points. D’après le Tribunal, il est raisonnable de croire que, si elle avait su que le facteur « expérience » serait pris en considération lors de l’application des critères d’évaluation, Ecosfera aurait pu modifier sa soumission en conséquence.

73. Par contre, le Tribunal remarque que les éléments de preuve n’établissent pas qu’EC ait agi de mauvaise foi.

74. Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal recommande qu’EC évalue de nouveau la proposition d’Ecosfera en utilisant le critère « connaissance », sans considérer le facteur « expérience ». Si la soumission d’Ecosfera obtient la note de passage requise, et qu’elle s’avère être la proposition recevable la moins-disante, le Tribunal recommande qu’Ecosfera soit indemnisée en reconnaissance des profits qu’elle aurait pu tirer du marché si ce dernier lui avait été adjugé.

75. Le Tribunal recommande également qu’EC satisfasse à l’obligation de divulgation des renseignements concernant le niveau de détail des explications fournies à Ecosfera au sujet de sa proposition ainsi que des caractéristiques et avantages relatifs des propositions retenues.

Frais

76. Ecosfera a demandé le remboursement des frais engagés pour la préparation de sa soumission et le remboursement des frais engagés pour la préparation et le traitement de la plainte.

77. Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal accorde à Ecosfera le remboursement des frais raisonnables qu’elle a engagés pour la préparation et le traitement de la plainte.

78. La Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure de plainte portant sur un marché public (la Ligne directrice) fonde l’évaluation du degré de complexité d’une plainte sur trois critères : la complexité du marché public, la complexité de la plainte et la complexité de la procédure. L’indication provisoire du degré de complexité de la plainte donnée par le Tribunal est le degré 1. La complexité du marché lui-même était faible, étant donné qu’il concernait la prestation de services de consultants dont l’objet n’était pas en litige. La complexité de la plainte était faible en ce sens qu’elle traitait de questions dont les faits fondamentaux étaient relativement simples. La complexité de la procédure était moyenne étant donné la requête en production de documents. Par conséquent, comme le prévoit la Ligne directrice, l’indication provisoire donnée par le Tribunal eu égard au montant de l’indemnisation est de 1 000 $.

DÉCISION DU TRIBUNAL

79. Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal détermine que la plainte est fondée.

80. Aux termes des paragraphes 30.15(2) et 30.15(3) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal recommande, à titre de mesure corrective, qu’EC évalue de nouveau la proposition d’Ecosfera en utilisant le critère « connaissance », sans considérer le facteur « expérience », dans les 30 jours suivant la publication de l’exposé des motifs de la présente décision. Si la soumission d’Ecosfera obtient la note de passage requise, et qu’elle s’avère être la proposition recevable la moins-disante, le Tribunal recommande qu’Ecosfera soit indemnisée en reconnaissance des profits qu’elle aurait pu tirer du marché si ce dernier lui avait été adjugé.

81. Le cas échéant, le Tribunal recommande que les parties élaborent une proposition conjointe d’indemnisation afin de la lui présenter dans les 60 jours suivant la publication de l’exposé des motifs de la présente décision. Si les parties sont incapables de s’entendre sur le montant de l’indemnisation, elles devront séparément faire rapport au Tribunal dans le même délai de 60 jours, après quoi le Tribunal rendra sa recommandation à cet égard.

82. Si, à la suite de la nouvelle évaluation, la proposition d’Ecosfera n’obtient pas la note de passage requise, le Tribunal recommande également que, sur demande, EC communique à Ecosfera des renseignements pertinents concernant les raisons du rejet et l’informe des caractéristiques et avantages relatifs de la soumission retenue, conformément à l’alinéa 1015(6)b) de l’ALÉNA.

83. Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal accorde à Ecosfera le remboursement des frais raisonnables qu’elle a engagés pour la préparation et le traitement de la plainte, ces frais devant être payés par EC. L’indication provisoire du degré de complexité de la présente plainte donnée par le Tribunal est le degré 1 et l’indication provisoire du montant de l’indemnisation est de 1 000 $. Si l’une ou l’autre des parties n’est pas d’accord en ce qui a trait à l’indication provisoire du degré de complexité ou à l’indication du montant de l’indemnisation, elle peut déposer des observations auprès du Tribunal, en conformité avec la Ligne directrice. Le Tribunal se réserve la compétence de fixer le montant final de l’indemnisation.


1 . L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47 [Loi sur le TCCE].

2 . D.O.R.S./93-602 [Règlement].

3 . Re plainte déposée par Ecosfera Inc. (8 mars 2007) (TCCE).

4 . D.O.R.S./91-499 [Règles].

5 . Service électronique d’appel d’offres du Canada.

6 . 18 juillet 1994, Gaz. C. 1995.I.1323, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <http://www.ait-aci.ca/index_fr/ait.htm> [ACI].

7 . Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis mexicains et le gouvernement des États-Unis d'Amérique, 17 décembre 1992, R.T.C. 1994, no 2 (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ALÉNA].

8 . Re plainte déposée par Med-Emerg International Inc. (15 juin 2005), PR-2004-050 (TCCE), para. 41 [Med-Emerg].

9 . Re plainte déposée par Southern California Safety Institute, Inc. (22 décembre 2003), PR-2003-047 (TCCE) à la p. 8.

10 . Re plainte déposée par TireeRankinJV (27 janvier 2005), PR-2004-038 (TCCE) [TireeRankinJV].

11 . Affidavit de M. Lief Stephenson, commentaire « Cheapest by 80k » ($80,000 moins cher) qui apparaît dans le document LS-1.

12 . Affidavit de M. Paul-André Dastous, RIF, onglet 17, para. 35 à 39.

13 . Re plainte déposée par Discover Training Inc. (17 mai 1999), PR-98-042 (TCCE).

14 . Dans les paragraphes qui précèdent, le Tribunal a déjà conclu à l’existence d’une violation par EC de l’obligation principale prévue à l’alinéa 1015(6)b) de l’ALÉNA.

15 . Au para. 41 de cette décision, le Tribunal écrit ce qui suit : « […] il était raisonnable, en l’espèce, de fournir uniquement le prix par point de Calian. La divulgation de renseignements concernant les évaluations des autres soumissionnaires devrait se faire de manière à préserver leur avantage concurrentiel à l’égard d’invitations similaires ou connexes futures. »

16 . L.C. 1996, c. 16.

17 . Le Petit Robert 2006 s.v. « caractéristique » : trait, particularité.

18 . Ibid. s.v. « avantage » : atout, avance, gain.

19 . Plainte, onglet 2 aux pp. 3, 4.

20 . L.R.C. 1985, c. A-1.

21 . Observations sur le RIF, para. 81; affidavit de M. Leif Stephanson, RIF, onglet B, para. 12.