CHAUSSURES RÉGENCE INC.

Décisions


CHAUSSURES RÉGENCE INC.
c.
MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX
Dossier no PR-2006-044

Décision rendue
le jeudi 26 avril 2007

Motifs rendus
le mercredi 20 juin 2007


TABLE DES MATIÈRES

EU ÉGARD À une plainte déposée par Chaussures Régence inc. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47;

ET À LA SUITE D’une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

ENTRE

 

CHAUSSURES RÉGENCE INC.

Partie plaignante

ET

 

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

Institution fédérale

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte n’est pas fondée.

James A. Ogilvy
James A. Ogilvy
Membre présidant

Hélène Nadeau
Hélène Nadeau
Secrétaire

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.

Membre du Tribunal :

James A. Ogilvy, membre présidant

   

Directeur :

Marie-France Dagenais

   

Enquêteur principal :

Cathy Turner

   

Conseiller juridique pour le Tribunal :

Reagan Walker

   

Partie plaignante :

Chaussures Régence inc.

   

Conseillers juridiques pour la partie plaignante :

Pierre Giroux

 

Nicholas Jobidon

   

Institution fédérale :

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

   

Conseillers juridiques pour l’institution fédérale :

Susan D. Clarke

 

Christianne M. Laizner

 

Ian McLeod

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel :

EXPOSÉ DES MOTIFS

PLAINTE

1. Le 5 février 2007, Chaussures Régence inc. (Régence) a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur 1 à l’égard d’un marché public (invitation no W8486-072900/A) passé par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) au nom du ministère de la Défense nationale pour la fourniture de bottes/brodequins pour grands froids.

2. Régence a allégué que TPSGC a incorrectement adjugé le contrat à un autre soumissionnaire et a incorrectement appliqué la disposition concernant le contenu canadien. À titre de mesure corrective, elle a demandé au Tribunal de recommander que TPSGC résilie le contrat passé avec le soumissionnaire retenu et qu’il lance un nouvel appel d’offres sans la clause de contenu canadien. Elle a aussi demandé le remboursement des frais liés à la plainte et à la préparation de la soumission.

3. Le 12 février 2007, le Tribunal a avisé les parties qu’il avait décidé d’enquêter sur la plainte, puisque cette dernière répondait aux exigences du paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et aux conditions énoncées au paragraphe 7(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics 2 .

4. Le 14 février 2007, TPSGC a avisé le Tribunal qu’un contrat avait été adjugé à AirBoss Engineered Products Inc. (AirBoss). Le 8 mars 2007, TPSGC a déposé un rapport de l’institution fédérale (RIF) auprès du Tribunal en application de l’article 103 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur 3 . Le 20 mars 2007, Régence a déposé ses observations sur le RIF.

5. Les renseignements au dossier étant suffisants pour déterminer le bien-fondé de la plainte, le Tribunal a décidé qu’une audience n’était pas nécessaire et a statué sur la plainte sur la foi des renseignements au dossier.

PROCÉDURE DE PASSATION DU MARCHÉ PUBLIC

6. Le 26 octobre 2006, TPSGC a diffusé un avis de projet de marché (APP) et, le 2 novembre 2006, a diffusé une demande de propositions (DP). Le 2 décembre 2006, Régence a communiqué avec TPSGC afin de lui demander pourquoi une exigence portant sur le contenu canadien avait été ajoutée dans la DP puisqu’il n’y en avait pas dans la DP précédente qui avait pour objet la fourniture de bottes, dans le cadre d’un appel d’offres « ouvert ». Le 5 décembre 2006, TPSGC a répondu à Régence que chaque DP était traitée au cas par cas et que, dans le cadre de cette passation de marché public, il avait été décidé d’inclure cette exigence conditionnelle de contenu canadien. TPSGC a avisé Régence que si trois fournisseurs présentaient leur soumission accompagnée d’une attestation du contenu canadien signée, seules les soumissions accompagnées d’une telle attestation seraient évaluées. À défaut, toutes les soumissions reçues seraient évaluées.

7. La date de clôture des soumissions a été fixée au 14 décembre 2006. TPSGC a fait savoir que cinq propositions avaient été reçues en réponse à la DP.

8. L’APP prévoit ce qui suit :

[...]

Si +de 3 soumissions visent biens/services canadiens, aucune autre ne sera considérée.

[...]

9. La DP prévoit ce qui suit :

[...]

ATTESTATION DU CONTENU CANADIEN – LIMITÉE CONDITIONNELLEMENT – PRODUITS UNIQUES OU ATTESTATION GLOBALE

1. Pour cet achat, une préférence est accordée aux produits et (ou) services canadiens tel que défini dans la clause K4000D.

2. Si au moins trois fournisseurs ont présenté leur soumission accompagnée d’une attestation valide, la préférence sera accordée aux soumissions contenant la présente déclaration et attestation.

3. Le soumissionnaire déclare et atteste que, pour les produits et les services offerts au moins 80 p. 100 du prix de la soumission correspond à des produits et (ou) services canadiens tel que défini dans la clause K4000D.

4. Le soumissionnaire reconnaît que le Ministre s’appuie sur la présente déclaration et attestation pour évaluer les soumissions et adjuger tout contrat pouvant découler de la présente soumission. La présente déclaration et attestation relative au contenu canadien peut être vérifiée de la manière que le Ministre peut raisonnablement exiger.

5. Si la vérification du Ministre révèle un manquement à l’engagement, le Ministre peut considérer que le soumissionnaire est en défaut pour tout marché découlant de la présente soumission.

6. Le défaut de dûment signer la présente déclaration et attestation dans l’espace prévu ci-dessous et de la joindre à la soumission aura comme effet que les biens et services ne seront pas considérés comme canadiens.

10. La clause K4000D, « Définition du contenu canadien »4 , prévoit ce qui suit :

[...]

Produit canadien : Un produit entièrement fabriqué au Canada ou d’origine canadienne est considéré comme un produit canadien. Un produit dont des composantes sont importées peut aussi être considéré comme produit canadien aux fins de la politique, pourvu qu’il ait été suffisamment transformé au Canada pour être conforme à la définition des Règles d’origine établies par l’Accord de libre-échange nord-américain (voir l’annexe 5.5 du Guide des approvisionnements : http://www.tpsgc.gc.ca/approvisionnements/text/sm/chapter05-f.html#annex5.5).

[...]

11. Selon TPSGC, AirBoss, Levitt-Safety Limited et Allen-Vanguard Corporation ont présenté des propositions qui incluaient une attestation du contenu canadien signée. Régence et Marathon Management Company (Marathon) n’ont pas inclus d’attestation du contenu canadien signée dans leur proposition. Conformément à la disposition sur le contenu canadien énoncée dans la DP, TPSGC a déterminé que, puisque trois fournisseurs avaient présenté leur soumission avec une attestation du contenu canadien, la préférence devait leur être accordée. TPSGC a donc éliminé les soumissions de Régence et de Marathon. Le 25 janvier 2007, le contrat a été adjugé à AirBoss et TPSGC a avisé Régence du résultat de l’appel d’offres.

12. Le 29 janvier 2007, Régence a soulevé des objections sur le résultat du processus de demande de soumissions. Suite aux discussions avec TPSGC, Régence a obtenu le nom des soumissionnaires pour la DP.

13. Le 5 février 2007, Régence a déposé sa plainte auprès du Tribunal.

ANALYSE DU TRIBUNAL

14. Aux termes du paragraphe 30.14(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal doit, dans son enquête, limiter son étude à l’objet de la plainte. En outre, à la conclusion de l’enquête, le Tribunal doit déterminer la validité de la plainte en fonction des critères et procédures établis par règlement pour le contrat spécifique. De plus, l’article 11 du Règlement prévoit que le Tribunal doit déterminer si le marché public a été passé conformément aux accords commerciaux applicables. En l’espèce, seul l’Accord sur le commerce intérieur 5 s’applique.

Terminologie

15. Régence a soutenu qu’il y a moins de trois fabricants de chaussures au Canada qui peuvent fabriquer le produit demandé. En fait, il n’y en a qu’un seul, soit AirBoss, puisque les trois autres soumissionnaires ne fabriquent pas le produit demandé, mais sont des distributeurs qui ont offert le même produit qu’AirBoss.

16. Régence a soutenu que, dans la lettre à l’intention d’AirBoss datée du 8 décembre 2006, la spécialiste en approvisionnement de TPSGC admettait expressément ce qui suit :, « à ma connaissance, dans le passé, et suite à des discussions avec le MDN, je ne suis pas au courant qu’il existe au moins trois fabricants canadiens pour cette exigence »6 [traduction]. Compte tenu de cette déclaration, Régence croit que l’agent de négociation dans le cadre de cette DP était « d’avis qu’il n’existait pas au moins trois fournisseurs de biens et (ou) de services canadiens », et que, en conséquence, la DP devait être adressée à tous les soumissionnaires.

17. TPSGC a soutenu que, d’après Régence, en accordant la préférence aux trois soumissions accompagnées d’une attestation du contenu canadien, TPSGC n’a pas respecté les exigences de la DP parce que le mot « fournisseurs » dans la clause d’attestation doit être interprété comme signifiant uniquement les « fabricants » et que les trois soumissionnaires en question n’étaient pas tous des fabricants.

18. TPSGC a soutenu que le mot « fournisseurs » est un terme courant dans le contexte des marchés publics et qu’il est bien établi que sa portée est vaste et englobe toutes les parties capables de fournir les biens ou services requis, y compris les fabricants, distributeurs, concessionnaires, grossistes et détaillants. TPSGC a donc soutenu qu’il incombe à Régence d’établir que la DP donnait des directives claires et suffisantes pour imposer à ce mot, au sens de la DP, une signification restrictive particulière qui en limiterait la portée aux fabricants.

19. L’article 518 de l’ACI définit « fournisseur » comme suit :

« [F]ournisseur » Personne qui, après évaluation de ses capacités financières, techniques et commerciales, est jugée en mesure d’exécuter un marché public donné. Sont également visées par la présente définition les personnes qui soumettent une offre en vue d’obtenir un marché public de construction.

20. La Loi sur le TCCE prévoit que l’expression « fournisseur potentiel » signifie, sous réserve des règlements établis en vertu de l’alinéa 40f.1), tout soumissionnaire même potentiel d’un contrat spécifique.

21. Le Tribunal est d’avis que Régence a interprété le terme « fournisseur » comme signifiant « fabricant ». L’opinion qu’un fournisseur doit être un fabricant n’est pas corroborée par l’usage de ce mot dans l’ACI, qui, en l’espèce, est le seul accord commercial applicable, et n’est pas non plus conforme ni à l’usage courant ni à la jurisprudence du Tribunal. Un fournisseur ou fournisseur potentiel est une entité en mesure d’exécuter les modalités d’une DP. Le Tribunal est d’avis que cela pourrait inclure des distributeurs, des grossistes, des détaillants et d’autres vendeurs potentiels en plus des fabricants. La plainte échoue donc sur ce plan.

Disposition sur le contenu canadien

22. Régence a soutenu qu’il n’y a eu aucun changement au cours des dernières années dans l’industrie de la chaussure en ce qui concerne les fabricants canadiens du produit demandé. La clause de contenu canadien n’aurait donc pas dû être incluse et surtout n’aurait pas dû être appliquée pour l’adjudication du contrat.

23. TPSGC a soutenu que la condition portant sur des soumissions d’au moins trois « fournisseurs » de « produits canadiens » est une condition convenable et raisonnable, puisqu’elle reflète un équilibre, aux fins des marchés publics, entre le besoin de restreindre les marchandises requises à des « produits canadiens » et le besoin de concurrence, en demandant des soumissions de plusieurs soumissionnaires dans le but d’encourager la concurrence au niveau des prix.

24. TPSGC a soutenu que les modalités de la DP prévoyaient qu’il avait le droit de se fier à la validité de l’attestation des soumissionnaires. Il a de plus fait valoir que la DP exigeait des soumissionnaires qu’ils soumettent l’attestation du contenu canadien de leurs produits, que la DP n’exigeait pas des soumissionnaires qu’ils fournissent des preuves à l’appui de la validité de leur attestation et que la DP ne prescrivait pas un processus d’évaluation pour déterminer de façon indépendante si les marchandises offertes étaient effectivement admissibles au titre de « produits canadiens ». D’après TPSGC, un tel processus de vérification ne serait entrepris que si l’information disponible remettait en cause la véracité de l’attestation.

25. L’article 506(6) de l’ACI prévoit ce qui suit :

Dans l’évaluation des offres, une Partie peut tenir compte non seulement du prix indiqué, mais également de la qualité, de la quantité, des modalités de livraison, du service offert, de la capacité du fournisseur de satisfaire aux conditions du marché public et de tout autre critère se rapportant directement au marché public et compatible avec l’article 504. Les documents d’appel d’offres doivent indiquer clairement les conditions du marché public, les critères qui seront appliqués dans l’évaluation des soumissions et les méthodes de pondération et d’évaluation des critères.

26. La disposition portant sur le contenu canadien, qui a été retenue à titre d’un des fondements de l’évaluation, était accessible à tous les soumissionnaires, puisque les passages pertinents ont été soit reproduits dans la DP, soit incorporés par renvoi dans cette dernière.

27. TPSGC a reçu, au total, cinq soumissions. Dans son RIF, TPSGC a présenté suffisamment d’éléments de preuve que trois de ces soumissions comprenaient l’attestation du contenu canadien requise relativement aux produits offerts. Le Tribunal est d’avis que TPSGC, en procédant conformément aux dispositions de la DP, était justifié d’appliquer la disposition du contenu canadien et de rejeter les propositions qui n’étaient pas accompagnées d’une attestation du contenu canadien. Le Tribunal est également d’avis que TPSGC n’était pas obligé de vérifier la validité de l’attestation fournie par chaque soumissionnaire et pouvait l’accepter telle quelle. Par conséquent, le Tribunal est convaincu qu’aucun élément de preuve n’indique qu’après l’incorporation de la disposition sur le contenu canadien dans la procédure, l’évaluation a été tenue d’une manière contraire aux modalités de la DP.

28. Le Tribunal ne tranchera pas la question de savoir si la disposition sur le contenu canadien était une exigence valable qu’il convenait d’inclure dans les modalités de la DP. Tous les soumissionnaires auraient dû connaître l’existence de la disposition sur le contenu canadien avant la date de clôture de la DP, à savoir avant le 14 décembre 2006, au plus tard, et le délai de dépôt d’une plainte à ce motif a pris fin depuis longtemps.

29. Par conséquent, le Tribunal conclut que TPSGC n’a pas contrevenu à l’article 506(6) de l’ACI.

Question supplémentaire

30. Dans ses observations confidentielles à l’égard du RIF, le représentant de Régence a soulevé une nouvelle question concernant certaines caractéristiques des soumissions de certains soumissionnaires qualifiés7 . Cette question a été soulevée en temps opportun puisque son fondement n’a été découvert que lorsque le RIF a été émis. Cependant, puisque le Tribunal estime que l’appréciation de cette question ne tombe pas dans l’exercice de son mandat ni sous les dispositions de l’ACI, il ne peut rendre de décision à cet égard.

31. À la lumière de ce qui précède, le Tribunal détermine que la plainte de Régence n’est pas fondée.

32. En l’espèce, étant donné que TPSGC n’a pas demandé le remboursement des frais qu’il a engagés pour répondre à la plainte, le Tribunal n’accordera pas à TPSGC le remboursement de ses frais.

DÉCISION DU TRIBUNAL

33. Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal détermine que la plainte n’est pas fondée.


1 . L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47 [Loi sur le TCCE].

2 . D.O.R.S./93-602 [Règlement].

3 . D.O.R.S./91-499.

4 . RIF, pièce 4.

5 . 18 juillet 1994, Gaz. C. 1995.I.1323, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <http://www.ait-aci.ca/index_fr/ait.htm> [ACI].

6 . RIF, pièce 8.

7 . Observations confidentielles sur le RIF.