BUREAU D'ÉTUDES STRATÉGIQUES ET TECHNIQUES EN ÉCONOMIQUE

Décisions


BUREAU D’ÉTUDES STRATÉGIQUES ET TECHNIQUES EN ÉCONOMIQUE
c.
AGENCE CANADIENNE DE DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL
Dossiers nos PR-2007-010 et PR-2007-012

Décision et motifs rendus
le mercredi 5 septembre 2007


TABLE DES MATIÈRES

EU ÉGARD À deux plaintes déposées par le Bureau d’études stratégiques et techniques en économique aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47;

ET À LA SUITE D’une décision d’enquêter sur les plaintes aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

ENTRE

 

LE BUREAU D’ÉTUDES STRATÉGIQUES ET TECHNIQUES EN ÉCONOMIQUE

Partie plaignante

ET

 

L’AGENCE CANADIENNE DE DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL

Institution fédérale

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que les plaintes sont fondées.

Aux termes des paragraphes 30.15(2) et 30.15(3) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande, à titre de mesure corrective, que l’Agence canadienne de développement international réévalue toutes les propositions techniques présentées par les fournisseurs potentiels et auxquelles une note égale ou supérieure à 60 p. 100 a été attribuée lors de la première évaluation, afin d’éliminer, dans la mesure du possible, toutes les conséquences des violations de l’Accord sur le commerce intérieur qui ont été constatées par le Tribunal canadien du commerce extérieur.

Pour ce faire, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande que l’Agence canadienne de développement international constitue une équipe d’évaluation formée de nouveaux évaluateurs qui n’ont participé, à aucun égard, au marché public en question ou à un marché public connexe, afin de procéder à une réévaluation des soumissions. Tous les soumissionnaires dont la proposition technique aura été réévaluée devront être avisés du résultat de cette réévaluation.

Afin de n’avantager aucun des soumissionnaires, les évaluateurs devront, lors de la réévaluation, éliminer les exigences 10 et 11 de la demande de proposition sommaire, soit respectivement la compréhension des enjeux clés de gouvernance et de gestion auxquels le projet sera confronté et la compréhension des risques du projet et des mesures d’atténuation, et ajuster en conséquence le nombre maximum de points attribués à la proposition technique et à la partie financière.

En ce qui concerne l’exigence 4 de la demande de proposition sommaire, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande que les évaluateurs tiennent compte de ses éléments pertinents, dont une expérience démontrée dans la conduite de réformes, préférablement dans le secteur public et au niveau de la gestion municipale ou de la gouvernance locale. Enfin, la réévaluation devra faire abstraction du facteur « expériences récentes au cours des cinq à dix dernières années », qui n’est pas expressément indiqué dans la demande de proposition sommaire pour l’exigence 7, mais qui est présent dans la grille détaillée — lignes directrices pour l’évaluation.

À la suite de la réévaluation, s’il est établi que la proposition du Bureau d’études stratégiques et techniques en économique obtient le plus grand nombre de points, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande que :

• l’Agence canadienne de développement international résilie le contrat adjugé à M. Stéphane Courtemanche, que le contrat soit adjugé au Bureau d’études stratégiques et techniques en économique et que l’Agence canadienne de développement international compense le Bureau d’études stratégiques et techniques en économique pour la perte de profits encourue à l’égard de la portion du contrat qui a déjà été réalisée par M. Courtemanche;

• à titre subsidiaire, si l’Agence canadienne de développement international décide de ne pas résilier le contrat avec M. Courtemanche, qu’elle accorde au Bureau d’études stratégiques et techniques en économique une indemnisation en reconnaissance des profits qu’il aurait dû tirer pour la totalité du marché si ce dernier lui avait été adjugé;

• les parties élaborent une proposition conjointe d’indemnisation afin de la présenter au Tribunal canadien du commerce extérieur dans les 45 jours suivant la date de publication de la présente décision. Si les parties ne peuvent s’entendre sur le montant de l’indemnisation, le Bureau d’études stratégiques et techniques en économique déposera auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur, dans les 60 jours suivant la date de publication de la présente décision, un exposé sur la question de l’indemnisation. L’Agence canadienne de développement international disposera de 7 jours ouvrables après la réception de l’exposé du Bureau d’études stratégiques et techniques en économique pour déposer une réponse. Le Bureau d’études stratégiques et techniques en économique disposera ensuite de 5 jours ouvrables après la réception de l’exposé en réponse de l’Agence canadienne de développement international pour déposer toutes observations supplémentaires.

Par contre, s’il est établi que la proposition du Bureau d’études stratégiques et techniques en économique n’obtient pas le plus grand nombre de points suite à la réévaluation, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande que 7 500 $ soient versés au Bureau d’études stratégiques et techniques en économique pour compenser ses frais liés à la préparation de la soumission. Le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande également que, sur demande, l’Agence canadienne de développement international communique promptement au Bureau d’études stratégiques et techniques en économique les renseignements pertinents concernant les raisons du rejet et l’informe des caractéristiques et avantages relatifs de la soumission retenue.

Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur accorde au Bureau d’études stratégiques et techniques en économique le remboursement des frais raisonnables qu’il a engagés pour la préparation et le traitement des plaintes, ces frais devant être payés par l’Agence canadienne de développement international. L’indication provisoire du degré de complexité des présentes plaintes donnée par le Tribunal canadien du commerce extérieur est le degré 3, et l’indication provisoire du montant de l’indemnisation est de 4 100 $. Si l’une ou l’autre des parties n’est pas d’accord en ce qui a trait à l’indication provisoire du degré de complexité ou à l’indication provisoire du montant de l’indemnisation, elle peut déposer des observations auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur, en conformité avec la Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure de plainte portant sur un marché public. Le Tribunal canadien du commerce extérieur se réserve la compétence de fixer le montant final de l’indemnisation.

Meriel V. M. Bradford
Meriel V. M. Bradford
Membre présidant

Hélène Nadeau
Hélène Nadeau
Secrétaire

Membre du Tribunal :

Meriel V. M. Bradford, membre présidant

   

Directeur :

Marie-France Dagenais

   

Enquêteur principal :

Josée St-Amand

   

Conseiller juridique pour le Tribunal :

Dominique Laporte

   

Partie plaignante :

Bureau d’études stratégiques et techniques en économique

   

Conseiller pour la partie plaignante :

Jean-Marc Bergevin

   

Partie intervenante :

Stéphane A. V. J. Courtemanche

   

Institution fédérale :

Agence canadienne de développement international

   

Conseillers juridiques pour l’institution fédérale :

Kathleen McGrath

 

Bernard Letarte

 

Andréane Joanette-Laflamme

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel :

EXPOSÉ DES MOTIFS

PLAINTES

1. Le 24 avril 2007, le Bureau d’études stratégiques et techniques en économique (B.E.S.T.E.) a déposé une plainte (PR-2007-010) auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur 1 à l’égard d’un marché public (invitation noSEL-2007-A-032436-1) passé par l’Agence canadienne de développement international (ACDI) portant sur la prestation de services d’un consultant agissant à titre de conseiller et agent de suivi pour le projet de gouvernance locale Maroc (GLM).

2. B.E.S.T.E. a allégué ce qui suit : 1) l’ACDI n’a pas respecté l’article 2.3 de la demande de proposition sommaire (DDPS), ce qui signifie qu’il y a apparence de conflit d’intérêts; 2) il y a une absence apparente de compétence en gouvernance locale de la part de l’adjudicataire, M. Stéphane Courtemanche, et l’adjudicataire n’a pas les compétences nécessaires pour agir à titre de conseiller. À titre de mesure corrective, B.E.S.T.E. a réclamé un manque à gagner de 40 000 $ et des dommages punitifs de 20 000 $. Il a réclamé aussi l’annulation du contrat adjugé à M. Courtemanche jusqu’à ce que le Tribunal se prononce sur la validité de la plainte, ainsi que l’émission d’un nouvel appel d’offres avec des critères révisés. Enfin, il a demandé le remboursement des frais liés à la préparation de la soumission (7 500 $) et de la plainte (7 500 $).

3. Le 2 mai 2007, le Tribunal a avisé les parties qu’il avait décidé d’enquêter sur la plainte en question, puisque cette dernière répondait aux exigences du paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et aux conditions énoncées au paragraphe 7(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics 2 .

4. Le 4 mai 2007, B.E.S.T.E. a déposé une deuxième plainte (PR-2007-012) auprès du Tribunal concernant la même DDPS, et ce, sur la base d’informations qu’il ne possédait pas au moment du dépôt de la première plainte. Dans sa deuxième plainte, B.E.S.T.E. a allégué qu’il y avait eu violation, de la part de l’ACDI, des règles d’attribution de contrat touchant la grille d’évaluation détaillée des propositions, plus précisément, les sous-exigences et leur poids relatif, et l’absence d’explications à l’appui des notes attribuées.

5. Le 15 mai 2007, suite à la lettre du Tribunal du 11 mai 2007 dans laquelle il acceptait d’enquêter sur la deuxième plainte, et tel que proposé par le Tribunal, l’ACDI a demandé de proroger la date du dépôt du rapport de l’institution fédérale (RIF) pour le dossier no PR-2007-010, afin de ne déposer qu’un seul RIF pour les deux plaintes, puisque le Tribunal avait l’intention d’instruire ces deux plaintes concurremment. Le 16 mai 2007, le Tribunal a accordé la prorogation et, le 12 juin 2007, un seul RIF a été déposé pour ces deux plaintes. Le 8 mai 2007, B.E.S.T.E. a déposé une requête en production de documents par l’ACDI. Suite au dépôt des observations des parties, le Tribunal a accepté partiellement la requête de B.E.S.T.E. et, le 29 mai 2007, a émis une ordonnance pour la production de certains documents.

6. Le 8 juin 2007, suite à une demande de M. Courtemanche, le Tribunal a accordé à ce dernier le statut de partie intervenante. Le 9 juin 2007, M. Courtemanche a demandé une prorogation jusqu’au 29 juin 2007 pour le dépôt de ses observations sur tous les documents au dossier. Le 12 juin 2007, l’ACDI a déposé son RIF auprès du Tribunal, en application de l’article 103 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur 3 , ainsi que les documents demandés dont la production avait été ordonnée par le Tribunal. Le 13 juin 2007, le Tribunal a fait parvenir le RIF à B.E.S.T.E. et à M. Courtemanche et a accordé à ce dernier jusqu’au 28 juin 2007 pour déposer ses observations sur tous les documents au dossier.

7. Le 19 juin 2007, B.E.S.T.E. a demandé de l’information supplémentaire à l’ACDI, dont la version publique des annexes O (Rapport de l’évaluation des propositions) et P (Proposition technique de M. Courtemanche) du RIF. Le Tribunal a demandé à l’ACDI de déposer les versions publiques de ces documents le 22 juin 2007. À la date prévue, l’ACDI a fait parvenir la version publique de l’annexe O mais a refusé d’en faire autant pour l’annexe P, car elle prétendait que les renseignements au sujet de l’expérience de travail contenus dans l’annexe P étaient confidentiels. Le 25 juin 2007, se fondant sur l’alinéa 46(1)b) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal a réitéré sa demande à l’ACDI de fournir une version publique ou un résumé public de l’information contenue dans cette annexe. De ce fait, le Tribunal a reporté à une date ultérieure la date de dépôt des observations sur le RIF de B.E.S.T.E. et de M. Courtemanche. Le 27 juin 2007, l’ACDI a déposé la version publique de la proposition technique de M. Courtemanche.

8. Le 3 juillet 2007, le Tribunal a reçu les observations de M. Courtemanche et, le 9 juillet 2007, celles de B.E.S.T.E. Le 12 juillet 2007, l’ACDI a demandé de répondre aux observations de B.E.S.T.E., alléguant que celles-ci soulevaient de nouveaux arguments et contenaient des erreurs factuelles. Le Tribunal a autorisé l’ACDI et M. Courtemanche à répondre uniquement à un nouvel argument soulevé par B.E.S.T.E., soit celui « des expériences de travail datant de plus de 5 et de 10 ans ». Le 19 juillet 2007, l’ACDI a déposé ses observations sur cette question et B.E.S.T.E a déposé ses observations en réponse le 23 juillet 2007. Le 10 août 2007, B.E.S.T.E. a déposé un exemplaire public de la proposition technique de M. Courtemanche, que l’ACDI lui avait fourni le 26 juillet 2007 en vertu de la Loi sur l’accès à l’information 4 .

9. Étant donné qu’il y avait suffisamment de renseignements au dossier pour déterminer le bien-fondé des plaintes, le Tribunal a décidé qu’une audience n’était pas nécessaire et, aux termes de l’alinéa 25c) des Règles, a statué sur les plaintes sur la foi des renseignements au dossier.

PROCÉDURE DE PASSATION DU MARCHÉ PUBLIC

10. D’après les renseignements contenus dans le RIF, la DDPS a été publiée par l’intermédiaire du MERX5 le 10 octobre 2006 et la date de clôture pour la remise des soumissions était le 27 octobre 2006.

11. La DDPS visait à retenir les services d’un consultant agissant à titre de conseiller et agent de suivi pour le projet de GLM. La valeur estimée de ce contrat était de 465 000 $, excluant la TPS, et la durée prévue du contrat était de cinq ans6 .

12. L’ACDI a reçu sept propositions en réponse à la DDPS et un comité de trois évaluateurs, formé de deux employés permanents de l’ACDI et d’un consultant, les ont évaluées. Aux termes de l’évaluation des propositions, celle de M. Courtemanche a obtenu le plus grand nombre de points tandis que celle de B.E.S.T.E. s’est classée en troisième position7 . Dans une lettre datée du 23 novembre 2006, l’ACDI a informé B.E.S.T.E. que sa proposition n’avait pas été retenue et, le 29 novembre 2006, M. Courtemanche a signé avec l’ACDI le contrat de conseiller et agent de suivi pour le projet de GLM, contrat qu’il exécute depuis ce jour8 .

13. Le 5 décembre 2006, B.E.S.T.E. a appris, via un message téléphonique laissé par un employé de l’ACDI, que l’adjudicataire était M. Courtemanche. Le lendemain, par hasard, B.E.S.T.E. a appris, par l’intermédiaire d’un autre consultant agissant au même titre que B.E.S.T.E., que M. Courtemanche avait participé à l’évaluation des propositions et au processus de sélection de l’agence canadienne d’accompagnement (ACA) du projet de GLM, information confirmée dans une lettre de l’ACDI datée du 14 mars 2007, transmise en réponse à une demande d’accès à l’information9 .

14. Suite à plusieurs échanges de correspondance faits à différents paliers administratifs de l’ACDI et ayant débuté le 8 décembre 2006, B.E.S.T.E. a reçu, le 11 avril 2007, une réponse finale de M. Robert Greenhill, président de l’ACDI, dans laquelle il rejetait la plainte de B.E.S.T.E. dans le cadre du processus interne en place à l’ACDI.

15. Le 24 avril 2007, B.E.S.T.E. a déposé sa première plainte auprès du Tribunal, et le 4 mai 2007, sa deuxième plainte.

QUESTION PRÉLIMINAIRE — COMPÉTENCE DU TRIBUNAL

16. Dans son RIF, l’ACDI a avancé que le projet de GLM est un projet d’aide au développement international exclu de la compétence du Tribunal. L’ACDI se fonde principalement sur les deux arguments suivants : 1) l’Accord sur le commerce intérieur 10 , l’Accord de libre-échange nord-américain 11 et l’Accord sur les marchés publics 12 excluent de leur application l’aide gouvernementale; 2) l’ALÉNA et l’AMP spécifient que l’ACDI est une entité fédérale visée par ces accords seulement dans la mesure où elle conclut des contrats « pour son propre compte », ce qui n’est pas le cas pour le marché public en question qui concerne un contrat d’aide au développement international dans le cadre du projet de GLM.

17. Dans ses observations sur le RIF, B.E.S.T.E. a noté que l’ACDI avait déjà utilisé ces arguments sans succès dans le cadre du dossier no PR-2002-07413 .

18. L’article 518 de l’ACI définit « marché public » de la façon suivante :

Acquisition par tous moyens – notamment par voie d’achat, de location, de bail ou de vente conditionnelle – de produits, de services ou de travaux de construction. Ne sont toutefois pas visé[e]s par la présente définition :

a) les diverses formes d’aide gouvernementale, comme les subventions, prêts, apports de capitaux, garanties ou stimulants fiscaux;

b) la fourniture par l’État de produits et services à des personnes ou à d’autres organisations gouvernementales.

19. À l’égard de l’argument de l’ACDI à l’effet que l’ACI exclut de son application l’aide gouvernementale, le Tribunal réitère son raisonnement dans Genivar où il a affirmé ce qui suit :

Le Tribunal n’est pas d’accord avec la prétention de l’ACDI à l’effet que l’ACI ne vise que les marchés de l’ACDI qui sont financés par son budget de fonctionnement et non pas ceux qui constituent de l’aide publique au développement international. Cette prétention est erronée puisqu’elle assimile cette dernière forme d’aide à celles dont il est question à l’article 518 de l’ACI. Or, l’aide publique au développement international n’est pas de la même nature que les « diverses formes d’aide gouvernementale » qui sont envisagées à cet article. En effet, le Tribunal est d’avis que l’article 518, tel que le nom de cet accord l’indique, n’envisage que des formes d’aide gouvernementale relativement au commerce intérieur ou domestique, c’est-à-dire données par un gouvernement quelque part au Canada afin d’accorder une aide sous forme de subvention, de prêt, d’apport en capital, de garanties ou de stimulants fiscaux. De l’avis du Tribunal, sans mention explicite à cet effet, l’aide publique au développement international ne peut être assimilée aux formes d’aide gouvernementale envisagées à l’article 518. Que l’ACDI soit comprise à l’annexe 502.1A, sans mention expresse d’inclusion « pour son propre compte » seulement tel que c’est le cas dans l’AMP et l’ALÉNA, satisfait le Tribunal que les parties contractantes à l’ACI voulaient soumettre l’ACDI à ses disciplines.

[…]

[Nos italiques]

20. De plus, l’ACDI a prétendu que l’ACI ne s’appliquait pas à l’aide gouvernementale étant donné que l’expression « marché public », à l’article 518b), exclut la fourniture par l’État de produits et services à des personnes ou à d’autres organisations gouvernementales. Le Tribunal n’est pas d’accord avec les prétentions de l’ACDI sur ce point. Étant donné que l’article 518b) vise la fourniture par l’État de produits et services à des personnes ou à d’autres organisations gouvernementales, une des conditions préalables de cette exemption est qu’il y ait fourniture directe par l’État de produits et services, ce qui, bien entendu, n’est pas le cas dans ce dossier car les services ne sont pas fournis directement par l’ACDI mais bien par l’intermédiaire d’un consultant. L’article 518b) a pour but d’exclure de la définition de « marché public » les services qui sont fournis directement par un gouvernement à ses citoyens ou à d’autres organisations gouvernementales.

21. Comme il l’a déjà mentionné dans Genivar, « […] [q]ue l’ACDI soit comprise à l’annexe 502.1A, sans mention expresse d’inclusion “pour son propre compte” seulement tel que c’est le cas dans l’AMP et l’ALÉNA, satisfait le Tribunal que les parties contractantes à l’ACI voulaient soumettre l’ACDI à ses disciplines […] ». Cette interprétation s’harmonise avec l’objet du chapitre 5 de l’ACI, qui stipule à l’article 501 que « [...] le présent chapitre vise à établir un cadre qui assurera à tous les fournisseurs canadiens un accès égal aux marchés publics, de manière à réduire les coûts d’achat et à favoriser l’établissement d’une économie vigoureuse, dans un contexte de transparence et d’efficience. »

22. Ainsi, le Tribunal a compétence pour traiter du bien-fondé des plaintes en question en vertu des dispositions de l’ACI. En ce qui a trait à l’ALÉNA et à l’AMP, le Tribunal note que l’ACDI a soulevé des arguments convaincants pour étayer sa position à l’effet que le Tribunal ne possédait pas la compétence requise en vertu de ces deux accords. Toutefois, puisque le Tribunal a déterminé que l’ACI s’appliquait en l’espèce, il n’est pas nécessaire qu’il examine à fond cette question.

POSITION DES PARTIES ET ANALYSE DU TRIBUNAL

23. Aux termes du paragraphe 30.14(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal doit, dans son enquête, limiter son étude à l’objet de la plainte. En outre, à la conclusion de l’enquête, le Tribunal doit déterminer la validité de la plainte en fonction des critères et procédures établis par règlement pour le contrat spécifique. De plus, l’article 11 du Règlement prévoit que le Tribunal doit déterminer si le marché public a été passé conformément aux accords commerciaux pertinents. Tel qu’indiqué plus haut, l’ACI s’applique en l’espèce. Comme stipulé à l’article 501, le chapitre 5 de l’ACI sur les marchés publics « [...] vise à établir un cadre qui assurera à tous les fournisseurs canadiens un accès égal aux marchés publics, de manière à réduire les coûts d’achat et à favoriser l’établissement d’une économie vigoureuse, dans un contexte de transparence et d’efficience. »

24. Le paragraphe 506(6) de l’ACI prévoit ce qui suit :

Dans l’évaluation des offres, une Partie peut tenir compte non seulement du prix indiqué, mais également de la qualité, de la quantité, des modalités de livraison, du service offert, de la capacité du fournisseur de satisfaire aux conditions du marché public et de tout autre critère se rapportant directement au marché public et compatible avec l’article 504. Les documents d’appel d’offres doivent indiquer clairement les conditions du marché public, les critères qui seront appliqués dans l’évaluation des soumissions et les méthodes de pondération et d’évaluation des critères.

[Nos italiques]

25. Les plaintes de B.E.S.T.E. contiennent diverses allégations qui seront examinées par le Tribunal. Il s’agit notamment des suivantes : 1) le non-respect de l’article 2.3 de la DDPS; 2) le fait que B.E.S.T.E. ait été privé de renseignements pertinents à la préparation de sa soumission dont l’adjudicataire avait connaissance; 3) la partialité du processus d’adjudication du contrat (favoritisme); 4) l’apparence de conflit d’intérêts de la part de l’adjudicataire; 5) l’absence apparente de compétence en gouvernance locale de la part de l’adjudicataire; 6) la violation relativement à la grille d’évaluation détaillée des propositions, plus précisément, les sous-exigences et leur poids relatif, et l’absence d’explications à l’appui des notes attribuées. Cette dernière allégation englobe notamment le motif de plainte concernant la grille d’évaluation détaillée en rapport avec les « expériences de travail datant de plus de 5 et de 10 ans ».

Le non-respect de l’article 2.3 de la DDPS

26. Dans ses plaintes, B.E.S.T.E. a allégué que le choix de M. Courtemanche comme adjudicataire viole l’article 2.3 de la DDPS, car M. Courtemanche a participé à la sélection de l’ACA, une étape qui fait partie de la phase de réalisation du projet et non de la phase de la planification, tel qu’avait allégué l’ACDI14 .

27. Pour bien comprendre cette allégation, il est nécessaire de mettre en relief les étapes du projet de GLM. En effet, dans le cadre d’une des phases préliminaires de ce projet, un appel d’offres a été publié par l’intermédiaire du MERX, le 19 janvier 2006, dans le but de sélectionner une ACA pour réaliser le projet de GLM15 . « Le projet de GLM de l’ACDI vise à moderniser le fonctionnement de l’administration territoriale et des collectivités locales visées par le projet, renforcer les capacités des collectivités locales à promouvoir leur développement durable et participatif, améliorer la coordination entre l’administration centrale et les collectivités locales et tenter par la suite de généraliser les réalisations de ce projet au niveau national »16 . « L’[ACA] doit réaliser le projet de GLM et gérer l’ensemble des activités financées à même le budget du projet. Pour ce faire, l’ACA doit, entre autres, produire un plan de mise en œuvre, préparer un plan de travail annuel, participer aux comités regroupant les différents acteurs de ce projet, fournir un appui technique aux partenaires marocains et produire des rapports »17 . Le 3 février 2006, l’ACDI a engagé M. Courtemanche pour l’appuyer dans la sélection et la mise sous contrat de l’ACA pour le projet de GLM18 . L’ACDI a choisi le consortium CRC SOGEMA/COWATER International Inc. comme ACA et, le 3 novembre 2006, a signé un contrat de cinq ans d’une valeur de 13 197 000 $, lequel est présentement en cours d’exécution19 .

28. L’article 2.3 de la DDPS prévoit ce qui suit :

Lorsque cette [DDPS] est pour la réalisation de la première ou la seule phase du présent projet, le Consultant, y compris CHAQUE membre d’un consortium, d’une co-entreprise ou d’une autre forme d’association, son personnel et les sous-traitants ne doivent pas avoir participé, conjointement ou individuellement, à la planification (par ex. conceptualisation, études de faisabilité, spécifications, conception) du présent projet, ni avoir reçu l’aide dans la préparation de la proposition déposée de tiers qui ont participé à la planification du présent projet.

Lorsque cette [DDPS] est pour la surveillance, l’évaluation ou la vérification d’un projet, le Consultant, y compris CHAQUE membre d’un consortium, d’une co-entreprise ou d’une autre forme d’association, son personnel et les sous-traitants ne doivent pas avoir participé, conjointement ou individuellement, à la réalisation du projet, ni avoir reçu l’aide dans la préparation de la proposition déposée de tiers qui ont participé à la réalisation du projet qui fera l’objet de surveillance, d’évaluation ou de vérification.

[Nos italiques]

29. B.E.S.T.E. a soutenu que le choix de l’adjudicataire, M. Courtemanche, pour le marché en cause est en violation de l’article 2.3 de la DDPS parce que ce dernier a participé à la sélection de l’ACA, une étape qui, à son avis, fait partie de la phase de réalisation.

30. Selon l’ACDI, aux termes de l’article 2.3 de la DDPS, tout consultant chargé d’exécuter une partie ou la totalité du travail de planification d’un projet ne peut présenter de soumission à l’égard de la réalisation du projet en question. Toutefois, il peut participer à la surveillance, à l’évaluation ou à la vérification du projet. De plus, celui qui présente une soumission à l’égard d’un contrat de surveillance ou d’évaluation d’un projet ne peut avoir participé à la préparation de la proposition de celui qui réalise le projet. Dans son RIF, l’ACDI a affirmé que la sélection de l’ACA fait partie de la planification du projet. De plus, l’ACDI a prétendu que M. Courtemanche avait pris part au processus de sélection de l’ACA, alors que son embauche à titre de conseiller et agent de suivi pour le projet de GLM touche le volet de surveillance, d’évaluation et de vérification du projet.

31. B.E.S.T.E. a également soumis qu’il est pratique courante pour un consultant de l’ACDI qui participe à la sélection de l’ACA de rédiger les critères de sélection du conseiller et agent de suivi, fonction qui, implicitement ou explicitement, a probablement été assignée à M. Courtemanche par l’intermédiaire du contrat pour la sélection de l’ACA20 .

32. L’ACDI a répondu que M. Courtemanche n’avait pas pris part à la préparation de la DDPS pour le mandat de conseiller et agent de suivi. M. Courtemanche a soumis que l’accusation de B.E.S.T.E. concernant la rédaction des critères de sélection de l’agent de suivi est grossière, non fondée en faits et préjudiciable à son intégrité professionnelle, à sa réputation et à son honneur.

33. Les parties s’entendent sur le fait que la DDPS concernait la surveillance, l’évaluation et la vérification d’un projet et que seul le deuxième paragraphe de l’article 2.3 est pertinent. Alors que B.E.S.T.E. a prétendu que la sélection de l’ACA faisait partie de la phase de réalisation du projet, l’ACDI a soutenu vigoureusement que, au contraire, la sélection de l’ACA faisait partie de l’étape de planification du projet. Si le Tribunal conclut que la sélection de l’ACA faisait partie de l’étape de réalisation, il y a effectivement eu violation de l’article 2.3.

34. Le Tribunal a examiné en profondeur la portée de l’article 2.3 de la DDPS ainsi que les arguments présentés par les parties. Le Tribunal est d’avis qu’il est très difficile, voire impossible de compartimenter l’étape du choix de l’ACA dans l’une de ces deux catégories hermétiques. Le processus de sélection de l’ACA est une étape charnière entre la phase de la planification et celle de la réalisation. En d’autres mots, lorsqu’on effectue le choix de l’ACA, la planification du projet est habituellement déjà effectuée et sa réalisation n’a pas encore débuté. De l’avis du Tribunal, il n’y a donc pas eu violation de l’article 2.3 tel qu’il est formulé dans la DDPS.

35. En ce qui a trait à l’allégation que l’adjudicataire a participé à la rédaction des critères de sélection de la DDPS pour le conseiller et agent de suivi, le Tribunal tient à préciser qu’aucun élément de preuve n’a été présenté à cet égard et, par conséquent, il détermine que cette allégation n’est pas fondée.

B.E.S.T.E. a été privé de renseignements pertinents à la préparation de sa soumission dont l’adjudicataire avait connaissance

36. B.E.S.T.E. a allégué que la note de 95 p. 100 (124,1 points sur 130), reçue par M. Courtemanche pour les exigences méthodologiques de la DDPS21 , ne l’étonne pas, car durant son mandat lié à la sélection de l’ACA, il a eu l’occasion de se familiariser avec toutes les facettes du projet de GLM lors d’échanges avec des employés de l’ACDI, dont le chef de l’équipe d’évaluation. De plus, B.E.S.T.E. affirme que M. Courtemanche a non seulement eu accès au barème de correction, mais également aux réponses attendues qu’il a sans doute lui-même aidé à formuler. De ce fait, B.E.S.T.E. a soumis que M. Courtemanche a pu connaître tout ce qui est utile de savoir sur l’environnement du projet, les risques, les partenaires, soit tous les critères d’évaluation relatifs au projet pour le mandat de conseiller et agent de suivi du projet de GLM, information à laquelle aucun autre soumissionnaire n’avait accès.

37. L’ACDI a affirmé que le fait que M. Courtemanche ait eu accès à certaines informations pour la sélection de l’ACA ne l’a pas placé dans une situation où il a bénéficié d’un avantage indu par rapport à d’autres soumissionnaires, car ces informations ne pouvaient être pertinentes que pour les exigences 10 et 11 de la DDPS, lesquelles se rapportaient plus directement à la connaissance du projet de GLM22 . Aucune information acquise dans le cadre du processus de sélection de l’ACA ne pouvait influencer les autres exigences portant sur la formation et l’expérience de travail. L’ACDI a ajouté que, bien que M. Courtemanche ait pu avoir accès à de l’information liée à la sélection d’une ACA, d’autres sources d’information tout aussi valables étaient disponibles à tous les soumissionnaires.

38. L’ACDI a soutenu qu’elle a fourni une importante quantité d’informations dans la DDPS pour permettre aux soumissionnaires de préparer une proposition complète pour l’exigence 1023 . Quant à l’exigence 11, le cadre d’analyse logique publié dans la demande de proposition de l’ACA (DDP) était une information publique et utile pour y répondre, que se sont procurés trois des sept soumissionnaires pour le contrat de conseiller et agent de suivi pour le projet de GLM, en le commandant sur MERX. Il y avait donc de l’information de qualité disponible publiquement.

39. En dernier lieu, l’ACDI a soutenu que M. Courtemanche n’avait pas été indûment avantagé du fait de sa participation à la sélection de l’ACA et que si le Tribunal concluait le contraire, cela ne devait pas faire en sorte d’annuler le contrat actuellement en cours, car même si le maximum de 120 points avait été attribué à tous les soumissionnaires à l’égard des exigences 10 et 11 annulant ainsi l’avantage dont aurait bénéficié M. Courtemanche, celui-ci aurait tout de même obtenu le plus grand nombre de points24 .

40. De l’avis du Tribunal, il ressort clairement des éléments de preuve au dossier que l’adjudicataire a eu en sa possession des renseignements qui n’étaient pas à la disposition de B.E.S.T.E. et des autres soumissionnaires. Le Tribunal note que, dans le cadre du contrat avec l’ACDI pour l’appui à la sélection et à l’adjudication du contrat de l’ACA pour le projet de GLM, du 3 février 2006 au 31 mars 2007, M. Courtemanche a eu accès à de l’information dont B.E.S.T.E. et les autres soumissionnaires de la DDPS ont été privés. Il s’agit plus particulièrement d’information commune aux deux marchés publics, celui pour la sélection de l’ACA et celui qui est en cause.

41. En effet, certaines exigences dans la section 3.2.2, « Méthodologie », sont presque identiques dans la DDPS et la DDP25 . Par exemple, l’exigence 10 de la DDPS (compréhension des enjeux clés de gouvernance et de gestion auxquels le projet sera confronté) est très similaire à l’exigence 6 de la DDP, de même, l’exigence 11 de la DDPS (compréhension des risques du projet et des mesures d’atténuation) est très similaire à l’exigence 8 de la DDP. Le Tribunal n’est pas étonné de constater la similitude entre ces exigences clés des deux appels d’offres, car tous deux portent sur le même projet.

42. Force est de constater que pour les exigences 10 et 11 de la DDPS, l’adjudicataire est celui qui a récolté le plus de points parmi les sept soumissionnaires. Ce dernier a obtenu la presque totalité des points, soit presque 50 p. 100 de plus que le soumissionnaire en deuxième position, alors que B.E.S.T.E. a récolté très peu de points pour ces deux exigences26 . Bien que le Tribunal ne puisse conclure que l’adjudicataire n’aurait pas été celui qui aurait obtenu le maximum de points pour ces deux exigences n’eût été le fait qu’il avait accès aux renseignements dont étaient privés les autres soumissionnaires, d’après les éléments de preuve au dossier, il est raisonnable de conclure qu’il semble en avoir tiré un avantage certain. Le Tribunal conclut donc que le fait que B.E.S.T.E. ait été privé de renseignements pertinents à la préparation de sa soumission, ce dont l’adjudicataire avait connaissance de par son mandat lié à la sélection de l’ACA, constitue une violation de l’ACI.

La partialité du processus d’adjudication du contrat (favoritisme)

43. B.E.S.T.E. a soulevé des allégations de favoritisme de la part de l’ACDI. Il a notamment indiqué qu’un des évaluateurs connaissait très bien l’adjudicataire, étant donné qu’ils avaient été collègues au cours des 9 à 10 derniers mois, ce qui comprend entre autres un minimum de 20 jours de réunions pour la sélection de l’ACA. B.E.S.T.E. a notamment soutenu que cette personne avait dirigé le comité d’évaluation dont avaient fait également partie son collègue de la direction générale de l’Afrique et un consultant. B.E.S.T.E. a soulevé le fait que ces deux dernières personnes étaient particulièrement susceptibles d’être influencées par le responsable de l’évaluation qui connaissait davantage le projet qu’eux et qui connaissait très bien l’un des soumissionnaires. B.E.S.T.E. a soutenu que le simple fait d’être placé dans cette situation est problématique et mine la crédibilité du processus d’appel d’offres.

44. L’ACDI n’a pas répondu directement aux allégations de B.E.S.T.E. concernant les relations de travail entretenues par l’évaluateur en question et M. Courtemanche. Cependant, dans la partie du RIF où elle traite de la participation du vice-président de l’ACDI à la confirmation de la décision dans le cadre de son processus de révision interne, l’ACDI précise que le fait que M. Courtemanche connaissait des employés de l’ACDI rencontrés dans l’exécution de contrats antérieurs ne crée pas de crainte de partialité en sa faveur. Elle note au surplus que, dans le cas du vice-président de l’ACDI, celui-ci ne faisait pas partie de l’équipe d’évaluation ayant participé à la sélection du conseiller et agent de suivi ni de l’équipe d’évaluation ayant participé à la sélection de l’ACA.

45. Cependant, selon les éléments de preuve au dossier, le Tribunal est d’avis que M. Courtemanche avait des liens étroits et de longue date avec le service responsable du projet de GLM à l’ACDI. En effet, il appert que M. Courtemanche prenait déjà part au projet de GLM durant la période d’août 2004 à octobre 2006 en tant que conseiller principal au niveau de la planification, de la conception jusqu’à l’approbation, en plus de fournir un appui à l’équipe de projet pour la sélection de l’ACA. Le Tribunal note que le nom du chef de l’équipe d’évaluation figure à titre de client de M. Courtemanche durant cette période27 . M. Courtemanche prenait donc part à ce projet depuis plusieurs mois avant la date de parution sur MERX de la DDPS.

46. Le Tribunal est d’avis que cette situation rendait l’adjudicataire familier avec le projet en tant que tel. De plus, elle faisait de M. Courtemanche un collègue de travail direct du personnel de l’ACDI prenant part au projet, dont l’agent responsable, et ce, depuis février 2006, date du début de son contrat pour la sélection de l’ACA28 . Le Tribunal réitère qu’en fait, l’évaluateur no 3, chef de l’équipe d’évaluation pour le contrat de conseiller et agent de suivi, est la même personne que l’agent principal de projet, programme du Maghreb, direction générale de l’Europe, du Moyen-Orient et du Maghreb à l’ACDI29 , avec qui M. Courtemanche avait des contrats. Cet employé de l’ACDI est d’ailleurs identifié comme client par M. Courtemanche dans sa proposition technique par rapport à deux projets différents, dont le projet de GLM.

47. Le Tribunal doit donc déterminer, à la lumière des éléments de preuve au dossier, s’il existe une crainte raisonnable de partialité occasionnée par la relation de travail récente et de longue date entretenue par M. Courtemanche avec le personnel de l’ACDI, et plus précisément avec l’un des évaluateurs, dans le cadre du rôle de M. Courtemanche en tant que conseiller principal au niveau de la planification, de la conception jusqu’à l’approbation, et ensuite de la prestation de services en appui à l’équipe de projet chargée de la sélection de l’ACA.

48. Dans Prudential Relocation Canada Ltd. 30 , le Tribunal a traité de la crainte raisonnable de partialité. Dans son exposé des motifs, le Tribunal fait référence à l’appel Cougar Aviation Ltd. c. Canada 31 , dans lequel la Cour d’appel fédérale a conclu que, aux termes de l’ACI, « […] la compétence du Tribunal pour statuer sur une plainte n’était pas limitée aux plaintes de partialité réelle, mais incluait celles portant sur des allégations de crainte raisonnable de partialité […] ».

49. Le critère appliqué par le Tribunal pour déterminer si les circonstances de l’espèce donnaient lieu à une crainte raisonnable de partialité est le critère énoncé par le juge de Grandpré dans son opinion dissidente dans Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie 32 , qui a été confirmée par la Cour suprême du Canada dans Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone 33 , laquelle opinion dissidente stipulait ce qui suit :

[…] [À] quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [cette personne], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?34

50. En l’espèce, le Tribunal a méticuleusement étudié les faits et sans conclure qu’il y a de facto partialité de la part de l’ACDI, il est d’avis qu’en appliquant le test pertinent, il existe bien une crainte raisonnable de partialité. Plusieurs éléments soutiennent le raisonnement du Tribunal à cet égard. L’unique fait qu’un des évaluateurs ait travaillé avec M. Courtemanche dans le passé n’est pas suffisant, en soi, pour justifier la conclusion qu’il y a une crainte raisonnable de partialité. Ce sont plutôt les circonstances propres à ce dossier qui fondent cette conclusion.

51. Premièrement, le Tribunal note qu’il s’agissait du même projet global, soit le projet de GLM à l’égard duquel M. Courtemanche a fourni ses services à l’ACDI par rapport à la sélection de l’ACA. L’évaluateur du marché en cause et M. Courtemanche ont été appelés à travailler étroitement sur ce projet, et ce, sans doute depuis le 3 février 2006, date du début de son contrat. Cette relation de travail remonte à bien avant la date d’ouverture des soumissions pour le marché en cause. Il est donc inévitable qu’il ait connu M. Courtemanche sur le plan professionnel.

52. Deuxièmement, en examinant la dimension temporelle, on constate que, de par ses précédents contrats avec l’ACDI, M. Courtemanche a travaillé pour l’évaluateur dès août 2004. Cet employé de l’ACDI siégeait également, en tant que chef de l’équipe d’évaluation, sur le comité de sélection de l’ACA et le comité de sélection du conseiller et agent de suivi. Il appert donc que l’adjudicataire ait travaillé pour cet employé de l’ACDI dès 2004, avant d’être son collègue sur le comité de sélection de l’ACA, en 2006, et avant de finalement être évalué par ce dernier pour le mandat de conseiller et agent de suivi plus tard cette année-là.

53. Troisièmement, le Tribunal prend en considération le rôle clé joué par l’évaluateur en question. En effet, ce chef de l’équipe d’évaluation pour le contrat de conseiller et agent de suivi, est l’agent principal de projet, programme du Maghreb, direction générale de l’Europe, du Moyen-Orient et du Maghreb à l’ACDI. Il est probable que du fait qu’il était le chef du comité d’évaluation, son opinion et son jugement recevaient beaucoup de poids et il est raisonnable de croire qu’il puisse avoir influencé les deux autres membres de l’équipe d’évaluation. Par ailleurs, le Tribunal observe que l’évaluateur en question est celui qui a attribué le plus de points à M. Courtemanche35 .

54. En appliquant le critère énoncé dans Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie et surtout en procédant à une analyse globale des faits en cause, le Tribunal conclut qu’il existe une crainte raisonnable de partialité. En effet, le Tribunal détermine qu’à la lumière des faits, et selon toute vraisemblance, une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, en viendrait à conclure que l’évaluateur en question, et peut-être même le comité d’évaluation, consciemment ou non, ne rendrait pas une décision juste.

55. Le Tribunal est d’avis que l’ACDI aurait facilement pu éviter cette situation en ne recourant pas aux services de M. Courtemanche pour la sélection de l’ACA, sachant fort bien que ce dernier pourrait soumissionner sur le contrat de conseiller et agent de suivi. Non seulement l’approche de l’ACDI entache-t-elle le processus d’adjudication de contrats qui prévaut au sein de l’ACDI, mais elle remet également en question l’impartialité dont a fait preuve le comité d’évaluation dans l’évaluation de toutes les propositions des soumissionnaires pour la totalité des exigences.

L’apparence de conflit d’intérêts de la part de l’adjudicataire

56. B.E.S.T.E. soumet que la position de conseiller et agent de suivi de projet avec l’ACDI est de suivre l’évolution d’un projet et signaler les écarts entre les résultats escomptés et ceux observés pendant la réalisation du projet. Or, si cet agent a participé à la conception du projet et à la planification de certaines activités et certains choix stratégiques, il se place dans une position où il est appelé à critiquer son propre travail, d’où le conflit d’intérêts. De plus, B.E.S.T.E. croit que l’agent de suivi ne devrait pas participer à la sélection de l’ACA pour pouvoir critiquer librement le travail de cette dernière.

57. Dans son RIF, l’ACDI a affirmé qu’un consultant qui a participé à la planification du projet peut assurer que la mise en œuvre d’un projet soit complétée adéquatement et peut assurer une vérification efficace du travail de l’ACA sans conflit d’intérêts réel ou apparent. Puisque l’agent de suivi n’est pas partie à la réalisation du projet, il peut critiquer le travail de l’ACA en toute indépendance.

58. Sur la question de l’apparence de conflit d’intérêts de la part de M. Courtemanche, le Tribunal est d’avis que la question à savoir si M. Courtemanche agira de façon impartiale dans le cadre se son mandat de conseiller et agent de suivi n’est pas une question à laquelle le Tribunal puisse répondre. Elle relève davantage de la gestion interne de l’ACDI que du processus d’adjudication du marché en cause. Ayant déjà conclu que la participation de M. Courtemanche à la sélection de l’ACA constituait une violation de l’ACI du fait que cette participation avait privé B.E.S.T.E. et les autres soumissionnaires de renseignements pertinents dont l’adjudicataire avait connaissance, le Tribunal est d’avis qu’il n’est pas nécessaire d’élaborer davantage sur cette question.

L’absence apparente de compétence en gouvernance locale de la part de l’adjudicataire

59. Dans ses observations sur le RIF, B.E.S.T.E. soumet que les expériences présentées dans la proposition technique de M. Courtemanche montrent qu’il n’a pas de compétence en gouvernance locale et qu’il n’a jamais travaillé dans ce domaine de façon soutenue, au Canada ou à l’étranger36 . L’expertise en gouvernance locale est au cœur du projet de GLM, et l’ACDI a choisi d’engager une personne qui n’a pas ou, du moins, qui a peu d’expérience dans ce domaine.

60. L’ACDI a affirmé que, contrairement à ce que laisse entendre B.E.S.T.E. dans sa plainte, la compétence en gouvernance locale n’était pas un critère en soi dans l’évaluation des propositions, car il s’agissait plutôt d’un des éléments des exigences 4, 5 et 6 de la DDPS. L’ACDI a voulu souligner que le projet de GLM est un projet multidimensionnel ne requérant pas nécessairement une expérience pointue en gouvernance local pour remplir le mandat de conseiller et agent de suivi. De plus, l’ACDI a affirmé que la proposition technique de M. Courtemanche contredit l’allégation de B.E.S.T.E. sur l’absence de compétence de l’adjudicataire en gouvernance locale. En effet, l’adjudicataire a présenté plusieurs projets qui révélaient son expérience en gouvernance ou en gouvernance locale en réponse aux exigences 4, 5 et 6 de la DDPS.

61. M. Courtemanche affirme que B.E.S.T.E. induit le Tribunal en erreur lorsqu’il soumet que le concept de gouvernance locale se limite essentiellement à la gestion ou gouvernance municipales. En effet, la gouvernance locale dans un contexte marocain réfère à la gouvernance des collectivités locales de trois ordres, soit la région (palier administratif supérieur), la province/préfecture (palier intermédiaire) et la commune rurale ou urbaine (palier inférieur) et ne vise donc pas que les communes. De plus, il soumet que contrairement à ce qu’affirme B.E.S.T.E., l’expertise en gouvernance locale est principalement le lot de l’ACA car c’est à elle que revient la prestation de services directement aux acteurs marocains, et non au conseiller chargé de faire le suivi.

62. D’après les éléments de preuve au dossier, le Tribunal est d’avis que l’exigence 4 de la grille d’évaluation des propositions37 était une expérience de mise en œuvre en contraste avec une expérience dans la planification. Par exemple, l’exigence 4 était « [l’expérience] démontrée dans la conduite de réformes, préférablement dans le secteur public et au niveau de la gestion municipale ou de la gouvernance locale. »38 [Nos italiques]

63. Le Tribunal ne substitue habituellement pas son jugement à celui des évaluateurs, sauf si ces derniers ne se sont pas appliqués à l’évaluation de la proposition d’un soumissionnaire, n’ont pas tenu compte de renseignements d’importance cruciale contenus dans une soumission, ont mal interprété la portée d’une exigence, ont fondé leur évaluation sur des critères non divulgués ou n’ont pas, d’une autre manière, procédé à une évaluation équitable au plan de la procédure.39

64. Les éléments de preuve au dossier, notamment le nombre élevé de points attribués à l’adjudicataire pour l’exigence 4 de la DDPS, démontrent que les évaluateurs semblent avoir mal interprété la portée de cette exigence. Le Tribunal est donc d’avis que les circonstances en l’espèce justifient son intervention. Les évaluateurs ont en effet attribué un grand nombre de points40 à l’adjudicataire pour l’exigence 4, une note qui est nettement surévaluée à la lumière de l’exigence fixée par l’ACDI de posséder une « [e]xpérience démontrée dans la conduite de réformes » et non pas dans la planification de celles-ci. Les exemples de projet fournis par l’adjudicataire pour ce qui est de l’exigence 4 sont avant tout des expériences pertinentes à la planification de réformes, mais non à la conduite, à la réalisation ou à la mise en œuvre de celles-ci41 .

65. Le Tribunal conclut donc que les dispositions pertinentes de l’ACI ont été violées en ce qui a trait à cette allégation.

Violation relativement à la grille d’évaluation détaillée des propositions, plus spécifiquement les sous-exigences et leur poids relatif, et l’absence d’explications à l’appui des notes attribuées

66. B.E.S.T.E. prétend que la grille d’évaluation détaillée42 a permis de mettre à jour une information importante sur les critères de sélection qui n’avait pas été diffusée dans la DDPS. En effet, on y apprend que l’ACDI a pénalisé fortement à l’égard de l’expérience de travail datant de plus de 5 et 10 ans. B.E.S.T.E. a ajouté que les expériences les plus récentes ne veut pas dire plus pertinentes et que ce genre d’expérience est insensible au passage du temps.

67. Concernant la grille d’évaluation, l’ACDI a affirmé que celle fournie aux soumissionnaires dans la DDPS contenait toutes les exigences prises en compte et évaluées par l’ACDI pour la sélection du conseiller et agent de suivi. De plus, elle soutient que la grille d’évaluation détaillée et les lignes directrices ont été conçues pour assurer la cohérence et l’uniformité de l’évaluation des propositions par les trois évaluateurs. Aussi, l’ACDI a affirmé que les lignes directrices sont un outil de mesure pour les évaluateurs et n’ont pas été publiées car elles n’ajoutaient aucune exigence ou sous-exigence qui n’était pas dans la DDPS. Enfin, elle mentionne qu’elle voulait favoriser l’embauche d’un consultant à jour dans son domaine et qu’il était donc normal et raisonnable d’accorder plus de points aux expériences récentes qu’aux expériences vieilles de 10 ans et plus, pour contrecarrer le passage du temps.

68. Selon le Tribunal, il est clair que, pour ce qui est du caractère récent de l’expérience, la grille d’évaluation détaillée et les lignes directrices établissent un nouveau critère d’évaluation dont on ne pouvait présumer l’existence à la lecture de la DDPS. En effet, la « Grille détaillée – Lignes directrices pour l’évaluation »43 n’était pas disponible aux soumissionnaires dans la DDPS44 . Ce document établit un barème de correction pour chacune des exigences et à la septième, « Expérience de travail dans les pays en développement, préférablement au Maghreb », les points les plus élevés ont été attribués, entre autres, selon que l’expérience a eu lieu au cours des cinq ou des dix dernières années. Nulle part la DDPS n’exigeait une « expérience récente » et contrairement aux faits en cause dans DMR Consulting Group Inc. 45 , cela a clairement conduit à un exercice discrétionnaire de la part des évaluateurs, qui revêt ici un caractère déraisonnable ou discriminatoire. En effet, dans le cas précité, un soumissionnaire s’était plaint de l’utilisation par les évaluateurs d’un guide d’évaluation contenant des critères non diffusés. Le Tribunal rejeta la plainte, étant d’avis que le guide ne créait pas de nouveaux critères. Ce n’est définitivement pas le cas en l’espèce car le guide d’évaluation ajoute sans contredit un nouveau critère d’évaluation.

69. Le Tribunal ne juge pas à propos de se prononcer sur le bien-fondé d’allouer plus de points à de l’expérience récente. Le Tribunal se limite tout simplement au fait que ce critère n’a pas été divulgué aux soumissionnaires et que ces derniers ont été privés de la possibilité de s’opposer à celui-ci avant la fermeture de la DDPS. De plus, ce nouveau critère a eu pour effet de vicier les résultats de l’évaluation pour cette exigence.

70. En ce qui concerne l’importance à accorder au pointage attribué pour l’expérience en gouvernance locale au Maroc, les parties sont toutes d’accord sur le côté multidimensionnel du projet de GLM. Par contre, B.E.S.T.E. affirme que ce projet en est d’abord un de gouvernance locale et que les 40 points (soit 5 p. 100 du volet technique) alloués pour cette composante dans la grille d’évaluation détaillée et les lignes directrices ne sont pas suffisants. Quant à elle, l’ACDI a jugé que 40 points pour l’expertise en gouvernance locale étaient suffisants, car malgré le titre de « gouvernance locale au Maroc », le projet de GLM est multidimensionnel.

71. Sur l’importance à accorder au pointage couvrant l’expérience en gouvernance locale au Maroc, le Tribunal note que la grille d’évaluation détaillée et les lignes directrices ne créent pas de nouvelles exigences ou de nouveaux critères d’évaluation à l’égard de cet aspect de l’expérience recherchée. Celles-ci fournissent une grille de pondération qui reflète les exigences figurant dans la grille d’évaluation des propositions qui figure à l’annexe B de la DDPS. En effet, les exigences 4, 5 et 6 de la DDPS requièrent diverses expériences, et ce « préférablement dans le domaine de la gouvernance locale ». De par la formulation des exigences de la DDPS, l’ACDI était en droit d’allouer le nombre de points qu’elle jugeait opportun pour l’expérience en gouvernance locale dans la grille d’évaluation détaillée et dans les lignes directrices.

72. En d’autres mots, le Tribunal est d’avis qu’à la lecture de la grille d’évaluation des propositions dans la DDPS, un soumissionnaire pouvait s’attendre à ce que peu de points soient accordés à l’expérience en gouvernance locale. Si un soumissionnaire jugeait la pondération inappropriée, il était en droit de poser des questions à l’ACDI ou de s’opposer avant la clôture de la DDPS. Il est cependant trop tard maintenant pour soulever ce motif à ce stade des procédures et le Tribunal ne peut se prononcer sur le bien-fondé de ce dernier.

73. Finalement, le Tribunal désire préciser qu’il ne remet pas en cause la bonne foi de l’adjudicataire ou encore la compétence de ce dernier mais qu’il constate plutôt des lacunes importantes dans le processus d’appel d’offres, et plus précisément, le processus et l’équipe d’évaluation mis en place par l’ACDI. Le Tribunal est de plus forcé de constater le manque de transparence dont a fait preuve l’ACDI dans le cadre de ce marché public et dans le cadre des procédures devant le Tribunal. Le Tribunal ne peut passer sous silence les difficultés rencontrées par B.E.S.T.E. à obtenir des explications concernant les notes attribuées et les lacunes dans la session d’information donnée par l’ACDI. Il est inacceptable que B.E.S.T.E. ait eu à faire une demande d’accès à l’information pour obtenir, le 27 avril 2007, le barème d’évaluation. Cela a non seulement privé B.E.S.T.E., pendant plusieurs mois, de renseignements auxquels il avait droit, tout en occasionnant le dépôt d’une deuxième plainte devant le Tribunal, mais cela a aussi eu pour effet de rendre les procédures plus complexes. Le Tribunal constate d’ailleurs qu’il a dû, à deux reprises, ordonner à l’ACDI de produire des documents publics et que B.E.S.T.E. n’a pu obtenir ces documents qu’après le dépôt du RIF. Le Tribunal note de plus que l’ACDI n’a pas respecté les exigences de l’article 46 de la Loi sur le TCCE en matière de dépôt de renseignements confidentiels, notamment en ce qui concerne le dépôt d’une version publique ou d’un résumé public.

MESURE CORRECTIVE

74. Ayant conclu que certains motifs de plainte sont fondés, le Tribunal doit maintenant recommander un moyen convenable de réparer le préjudice causé à B.E.S.T.E.

75. Pour recommander une mesure corrective, le Tribunal s’appuie sur les paragraphes 30.15(3) et 30.15(4) de la Loi sur le TCCE, qui prévoient ce qui suit :

(3) Dans sa décision, le Tribunal tient compte de tous les facteurs qui interviennent dans le marché de fournitures ou services visés par le contrat spécifique, notamment des suivants :

a) la gravité des irrégularités qu’il a constatées dans la procédure des marchés publics;

b) l’ampleur du préjudice causé au plaignant ou à tout autre intéressé;

c) l’ampleur du préjudice causé à l’intégrité ou à l’efficacité du mécanisme d’adjudication;

d) la bonne foi des parties;

e) le degré d’exécution du contrat.

(4) Le Tribunal peut, sous réserve des règlements, accorder au plaignant le remboursement des frais entraînés par la préparation d’une réponse à l’appel d’offres.

76. Le Tribunal tient d’abord à noter qu’il a constaté de nombreuses irrégularités dans la procédure de passation du marché en cause, qui se sont traduites par plusieurs violations des dispositions de l’ACI. Ces violations ont causé un préjudice important à B.E.S.T.E. et ont par ailleurs terni le mécanisme d’adjudication en place au sein de l’ACDI. De plus, comme il l’a déjà mentionné, bien que le Tribunal ne remette pas en cause la bonne foi de l’ACDI, il ne peut passer sous silence le manque de transparence dont a fait preuve cette dernière.

77. Pour décider de la mesure corrective à recommander en l’espèce, le Tribunal a tenu compte notamment du degré d’exécution du contrat et de ses caractéristiques propres. Ainsi, le Tribunal juge opportun de laisser à l’ACDI le choix de résilier le contrat attribué à l’adjudicataire ou encore de compenser B.E.S.T.E. dans l’éventualité où ce dernier obtienne le plus grand nombre de points à la suite de la réévaluation des propositions.

78. À la lumière de ses conclusions concernant l’apparence de conflit d’intérêts, le Tribunal juge également nécessaire que l’ACDI mette en place une équipe d’évaluation formée de nouveaux évaluateurs qui n’ont participé, à aucun égard, au marché public en question ou à un marché public connexe. Finalement, en recommandant la mesure corrective appropriée, le Tribunal a cherché à éliminer, dans la mesure du possible, toutes les conséquences des multiples violations à l’ACI qui ont été constatées par le Tribunal.

Frais

79. B.E.S.T.E. a demandé le remboursement des frais liés aux plaintes. L’ACDI a demandé que les frais lui soient accordés aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le TCCE. De même, M. Courtemanche a déclaré avoir droit aux frais prévus par ce même article.

80. Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal accorde à B.E.S.T.E. le remboursement des frais raisonnables qu’elle a engagés pour la préparation et le traitement des plaintes.

81. La Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure de plainte portant sur un marché public (Ligne directrice) fonde l’évaluation du degré de complexité d’une plainte sur trois critères : la complexité du marché public, la complexité de la plainte et la complexité de la procédure. L’indication provisoire du degré de complexité des plaintes donnée par le Tribunal est le degré 3. La complexité du marché lui-même était élevée, étant donné qu’il concernait la prestation de services de conseiller et agent de suivi pour une période de cinq ans. La complexité des plaintes était elle aussi élevée, étant donné qu’il y avait plusieurs questions en litige et qu’elles étaient complexes. En plus, la complexité de la procédure était également élevée, étant donné qu’il y a eu une partie intervenante, que quelques requêtes ont été déposées, que le Tribunal a dû émettre des directives obligeant l’ACDI à produire des documents publics à deux reprises et finalement, que le les procédures ont exigé le recours au délai de 135 jours. Par conséquent, comme le prévoit la Ligne directrice, l’indication provisoire donnée par le Tribunal du montant de l’indemnisation est de 4 100 $.

DÉCISION DU TRIBUNAL

82. Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal détermine que les plaintes sont fondées.

83. Aux termes des paragraphes 30.15(2) et 30.15(3) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal recommande, à titre de mesure corrective, que l’ACDI réévalue toutes les propositions techniques présentées par les fournisseurs potentiels et auxquelles une note égale ou supérieure à 60 p. 100 a été attribuée lors de la première évaluation, afin d’éliminer, dans la mesure du possible, toutes les conséquences des violations de l’ACI qui ont été constatées par le Tribunal.

84. Pour ce faire, le Tribunal recommande que l’ACDI constitue une équipe d’évaluation formée de nouveaux évaluateurs qui n’ont participé, à aucun égard, au marché public en question ou à un marché public connexe, afin de procéder à une réévaluation des soumissions. Tous les soumissionnaires dont la proposition technique aura été réévaluée devront être avisés du résultat de cette réévaluation.

85. Afin de n’avantager aucun des soumissionnaires, les évaluateurs devront, lors de la réévaluation, éliminer les exigences 10 et 11 de la DDPS, soit, respectivement, la compréhension des enjeux clés de gouvernance et de gestion auxquels le projet sera confronté et la compréhension des risques du projet et des mesures d’atténuation, et ajuster en conséquence le nombre maximum de points alloués à la proposition technique et à la partie financière.

86. En ce qui concerne l’exigence 4 de la DDPS, le Tribunal recommande que les évaluateurs tiennent compte de ses éléments pertinents, dont une expérience démontrée dans la conduite de réformes, préférablement dans le secteur public et au niveau de la gestion municipale ou de la gouvernance locale. Enfin, la réévaluation devra faire abstraction du facteur « expériences récentes au cours des cinq à dix dernières années », qui n’est pas expressément indiqué dans la DDPS pour l’exigence 7, mais qui est présent dans la grille détaillée — lignes directrices pour l’évaluation.

87. À la suite de la réévaluation, s’il est établi que la proposition de B.E.S.T.E. obtient le plus grand nombre de points, le Tribunal recommande que :

• l’ACDI résilie le contrat adjugé à M. Courtemanche, que le contrat soit adjugé à B.E.S.T.E. et que l’ACDI compense B.E.S.T.E. pour la perte de profits encourue à l’égard de la portion du contrat qui a déjà été réalisée par M. Courtemanche;

• à titre subsidiaire, si l’ACDI décide de ne pas résilier le contrat avec M. Courtemanche, qu’elle accorde à B.E.S.T.E. une indemnisation en reconnaissance des profits qu’il aurait dû tirer pour la totalité du marché si ce dernier lui avait été adjugé;

• les parties élaborent une proposition conjointe d’indemnisation afin de la présenter au Tribunal dans les 45 jours suivant la date de publication de la présente décision. Si les parties ne peuvent s’entendre sur le montant de l’indemnisation, B.E.S.T.E. déposera auprès du Tribunal, dans les 60 jours suivant la date de publication de la présente décision, un exposé sur la question de l’indemnisation. L’ACDI disposera de 7 jours ouvrables après la réception de l’exposé de B.E.S.T.E. pour déposer une réponse. B.E.S.T.E. disposera ensuite de 5 jours ouvrables après la réception de l’exposé en réponse de l’ACDI pour déposer toutes observations supplémentaires.

88. Par contre, s’il est établi que la proposition de B.E.S.T.E. n’obtient pas le plus grand nombre de points suite à la réévaluation, le Tribunal recommande que 7 500 $ soient versées à B.E.S.T.E. pour compenser ses frais liés à la préparation de la soumission. Le Tribunal recommande également que, sur demande, l’ACDI communique promptement à B.E.S.T.E. les renseignements pertinents concernant les raisons du rejet et l’informe des caractéristiques et avantages relatifs de la soumission retenue.

89. Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal accorde à B.E.S.T.E. le remboursement des frais raisonnables qu’il a engagés pour la préparation et le traitement des plaintes, ces frais devant être payés par l’ACDI. L’indication provisoire du degré de complexité des présentes plaintes donnée par le Tribunal est le degré 3, et l’indication provisoire du montant de l’indemnisation est de 4 100 $. Si l’une ou l’autre des parties n’est pas d’accord en ce qui a trait à l’indication provisoire du degré de complexité ou à l’indication provisoire du montant de l’indemnisation, elle peut déposer des observations auprès du Tribunal, en conformité avec la Ligne directrice. Le Tribunal se réserve la compétence de fixer le montant final de l’indemnisation.


1 . L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47 [Loi sur le TCCE].

2 . D.O.R.S./93-602 [Règlement].

3 . D.O.R.S./91-499 [Règles].

4 . L.R.C. 1985, c. A-1.

5 . Service électronique d’appel d’offres du Canada.

6 . RIF, para. 15; DDPS, annexe A à la p. 50.

7 . RIF, para. 16, 17, 125.

8 . RIF, para. 18, 19.

9 . Plainte de B.E.S.T.E., section 5F, « Exposé détaillé des faits et des arguments », aux pp. 1, 2; onglet « Correspondances ».

10 . En ligne : Secrétariat du commerce intérieur <http://www.ait-aci.ca/index_fr/ait.htm> [ACI].

11 . Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis mexicains et le gouvernement des États-Unis d'Amérique, 17 décembre 1992, R.T.C. 1994, no 2 (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ALÉNA].

12 . 15 avril 1994, en ligne : Organisation mondiale du commerce <http://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/final_f.htm> [AMP].

13 . Re plainte déposée par le Consortium Genivar – M3E – Université d'Ottawa (11 août 2003) (TCCE) [Genivar].

14 . Plainte de B.E.S.T.E., section 5F, « Exposé détaillé des faits et des arguments », à la p. 4.

15 . RIF, para. 10.

16 . RIF, para. 11.

17 . RIF, para. 12.

18 . RIF, annexe D. Plainte de B.E.S.T.E., onglet « Correspondances », lettre du 14 mars 2007 de l’ACDI suite à une demande d’accès à l’information.

19 . RIF, para. 14.

20 . Plainte de B.E.S.T.E., section 5F, « Exposé détaillé des faits et des arguments », à la p. 6.

21 . Ibid., à la p. 5.

22 . RIF, onglet A à la p. 52 : Exigence 10 : Compréhension des enjeux clés de gouvernance et de gestion auxquels le projet sera confronté, 70 points; Exigence 11 : Compréhension des risques du projet et des mesures d’atténuation, 50 points.

23 . L’ACDI a donné en exemple l’annexe A de la DDPS, intitulée « Cadre de référence et description du projet ».

24 . Le paragraphe 83 du RIF présente un tableau montrant que M. Courtemanche aurait obtenu 637,7 points, terminant en première position et que B.E.S.T.E. aurait obtenu 629,6 points, terminant en deuxième position.

25 . La DDPS est à l’onglet A du RIF et la DDP est à l’onglet E.

26 . RIF, para. 83.

27 . Proposition technique de M. Courtemanche à la p. 16.

28 . RIF, onglet D, à la p. 3.

29 . Plainte de B.E.S.T.E., onglet « Correspondances », lettre du 14 mars 2007 de l’ACDI suite à une demande d’accès à l’information.

30 . Re plainte déposée par Prudential Relocation Canada Ltd. (30 juillet 2003), PR-2002-070 (TCCE).

31 . Cougar Aviation Ltd. c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux) (28 novembre 2000), A-421-99 (C.A.F.).

32 . 1 R.C.S. 369 (C.S.C.).

33 . [2003] 1 R.C.S. 884 (C.S.C.)

34 . [1978] 1 R.C.S. 369 à la p. 394.

35 . Voir l’onglet N (protégé) du RIF.

36 . Voir les observations de B.E.S.T.E. sur le RIF à la p. 5.

37 . Annexe B de la DDPS.

38 . Voir la DDPS, section 3.2, « Exigences cotées relatives aux aspects techniques – Formation et expérience de l’individu ».

39 . Re plainte déposée par Vita-Tech Laboratories Ltd. (18 janvier 2006), PR-2005-019 (TCCE); Re plainte déposée par Polaris Inflatable Boats (Canada) Ltd. (23 juin 2003), PR-2002-060 (TCCE).

40 . Onglet N (protégé) du RIF à la p. 1.

41 . Proposition technique de M. Courtemanche aux pp. 16-19.

42 . Onglet M du RIF.

43 . Ibid.

44 . Para. 127 du RIF.

45 . Re plainte déposée par DMR Consulting Group Inc. (18 septembre 1997), PR-97-009 (TCCE).