BLUEDROP PERFORMANCE LEARNING INC.

Décisions


BLUEDROP PERFORMANCE LEARNING INC.
c.
MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX
Dossier no PR-2008-017

Décision et motifs rendus
le jeudi 25 septembre 2008


TABLE DES MATIÈRES

EU ÉGARD À une plainte déposée par Bluedrop Performance Learning Inc. aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47;

ET À LA SUITE D’une décision d’enquêter sur la plainte aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur.

ENTRE

 

BLUEDROP PERFORMANCE LEARNING INC.

Partie plaignante

ET

 

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

Institution fédérale

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine que la plainte est fondée.

Aux termes des paragraphes 30.15(2) et 30.15(3) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande que le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux résilie le contrat adjugé à 2054629 Ontario Inc. s/n Acron Capability Engineering Inc. et l’octroie à Bluedrop Performance Learning Inc. Le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande en outre que Bluedrop Performance Learning Inc. soit indemnisée en reconnaissance des profits qu’elle aurait pu tirer du contrat à partir de la date d’adjudication à 2054629 Ontario Inc. s/n Acron Capability Engineering Inc. jusqu’à la date de l’adjudication ultérieure à Bluedrop Performance Learning Inc.

Si, pour des raisons d’ordre opérationnel, le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux juge infaisable de résilier le contrat déjà adjugé, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande que le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux indemnise Bluedrop Performance Learning Inc. en reconnaissance des profits qu’elle aurait pu tirer du contrat si ce dernier lui avait été adjugé. Le calcul du montant des profits sera fondé sur le prix indiqué dans la proposition de Bluedrop Performance Learning Inc. En l’espèce, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande aussi que le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux n’exerce pas d’option de prolongation du contrat et qu’il le laisse expirer le 31 mars 2009.

Si, à l’expiration du contrat, le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux juge avoir toujours besoin des services en question et lance un nouvel appel d’offres, le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande que le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux indemnise également Bluedrop Performance Learning Inc. à l’égard de l’expérience qu’elle aurait acquise et des gains d’efficience qu’elle aurait réalisés dans l’exécution du contrat en ajoutant un montant de 58 883,90 $ à la recommandation ci-dessus.

Le Tribunal canadien du commerce extérieur recommande que Bluedrop Performance Learning Inc. et le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux négocient le montant de l’indemnisation et lui fassent rapport du résultat dans les 30 jours suivant la date de la présente décision.

Si les parties ne peuvent s’entendre sur le montant de l’indemnisation, Bluedrop Performance Learning Inc. devra déposer auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur, dans les 40 jours suivant la date de la présente décision, un exposé sur la question de l’indemnisation. Le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux disposera ensuite de 7 jours ouvrables après la réception de l’exposé de Bluedrop Performance Learning Inc. pour y répondre. Bluedrop Performance Learning Inc. aura ensuite 5 jours ouvrables après la réception de l’exposé déposé en réponse par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux pour présenter tout autre commentaire supplémentaire.

Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur accorde à Bluedrop Performance Learning Inc. le remboursement des frais raisonnables qu’elle a engagés pour la préparation et le traitement de la plainte, ces frais devant être payés par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux. L’indication provisoire du degré de complexité de la présente plainte donnée par le Tribunal canadien du commerce extérieur est le degré 1, et l’indication provisoire du montant de l’indemnisation est de 1 000 $. Si l’une ou l’autre des parties n’est pas d’accord en ce qui a trait à l’indication provisoire du degré de complexité ou à l’indication provisoire du montant de l’indemnisation, elle peut déposer des observations auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur, en conformité avec la Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure portant sur un marché public. Le Tribunal canadien du commerce extérieur se réserve la compétence de fixer le montant définitif de l’indemnisation.

Pasquale Michaele Saroli
Pasquale Michaele Saroli
Membre présidant

Hélène Nadeau
Hélène Nadeau
Secrétaire

Membre du Tribunal :

Pasquale Michaele Saroli, membre présidant

   

Directeur :

Randolph W. Heggart

   

Gestionnaire de l’enquête :

Michael W. Morden

   

Enquêteur :

Josée B. Leblanc

   

Conseiller juridique pour le Tribunal :

Jidé Afolabi

   

Partie plaignante :

Bluedrop Performance Learning Inc.

   

Conseillers juridiques pour la partie plaignante :

Gerry H. Stobo

 

Jack Hughes

   

Institution fédérale :

Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

   

Conseillers juridiques pour l’institution fédérale :

David M. Attwater

 

Susan Clarke

 

Ian McLeod

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel :

EXPOSÉ DES MOTIFS

1. Le 3 juin 2008, Bluedrop Performance Learning Inc. (Bluedrop) a déposé une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur 1 . La plainte concernait l’invitation noW2037-080013/B, un marché passé par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) au nom du ministère de la Défense nationale (MDN) qui portait sur le Système de gestion de l’apprentissage — Services d’administration d’école.

2. Bluedrop allègue que, à l’encontre des conditions expresses de la demande de propositions (DP) en question (invitation no W2037-080013/B) (DP-2) et des accords commerciaux applicables, TPSGC n’a pas écarté un soumissionnaire qui se trouvait nettement en situation de conflit d’intérêts. Plus précisément, Bluedrop allègue que la société retenue, 2054629 Ontario Inc. s/n Acron Capability Engineering Inc. (Acron), avait acquis les services du commandant récemment retraité de la Branche G7 du quartier général du Centre d’instruction au combat (CIC) du MDN (l’ancien commandant), groupe responsable de la préparation de l’invitation no W2037-080013/A (DP-1), une DP antérieure, et de l’évaluation technique des soumissions reçues en réponse à la DP-1. Bluedrop allègue en outre que la DP-1 a expiré sans qu’il y ait de report d’échéance ni d’adjudication de contrat subséquente et que les exigences techniques ont été pour l’essentiel reportées dans la DP-2. Bluedrop soutient donc que l’ancien commandant, en raison de sa participation à la DP-1, avait accès à des informations internes concernant les exigences techniques de la DP-2 ainsi que les particularités des soumissions présentées par les fournisseurs éventuels (y compris Bluedrop) en réponse à la DP-1. Elle allègue, par conséquent, qu’Acron était en conflit d’intérêts et jouissait d’un avantage indu en ce qui concerne la DP-2. À cet égard, elle a demandé, à titre de mesure corrective, que le Tribunal recommande que le contrat adjugé à Acron soit résilié et qu’il soit plutôt adjugé à Bluedrop. Subsidiairement, Bluedrop a demandé à être indemnisée en reconnaissance des profits qu’elle aurait pu tirer du contrat si ce dernier lui avait été adjugé au départ. Bluedrop a aussi demandé à être indemnisée en reconnaissance du préjudice qu’elle a subi et qu’a subi le mécanisme d’adjudication. Elle a aussi demandé le remboursement des frais qu’elle a engagés pour la préparation et le traitement de la plainte.

3. Le 9 juin 2008, le Tribunal a avisé les parties qu’il avait décidé d’enquêter sur la plainte, puisque celle-ci répondait aux exigences du paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et aux conditions du paragraphe 7(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics 2 . Le 25 juillet 2008, TPSGC a déposé le rapport de l’institution fédérale (RIF). Le 5 août 2008, Bluedrop a déposé ses observations sur le RIF.

4. Les renseignements au dossier étant suffisants pour déterminer le bien-fondé de la plainte, le Tribunal a décidé qu’une audience n’était pas nécessaire et a statué sur la plainte sur la foi des renseignements au dossier.

PROCÉDURE DE PASSATION DU MARCHÉ PUBLIC

5. La DP-1 a été diffusée par l’entremise du MERX3 le 24 août 2007; la date limite de réception des soumissions était le 9 octobre 2007. Trois soumissionnaires, dont Bluedrop et Acron, ont présenté des propositions en réponse à la DP-1. TPSGC a fait valoir que « [...] les propositions étaient venues à expiration le 10 décembre 2007 avant que TPSGC n’ait pu adjuger un contrat [...] »4 [traduction]. D’après Bluedrop, « [...] TPSGC aurait pu demander aux soumissionnaires de prolonger la période de validité de leur soumission plutôt que d’annuler complètement la DP, ce qui n’a pas été fait [...] »5 [traduction]. Le 24 décembre 2007, TPSGC a avisé les soumissionnaires que la DP-1 serait annulée, le délai de recevabilité des soumissions ayant pris fin.

6. Le 31 janvier 2008, la DP-2 a été diffusée par l’entremise du MERX. La période de soumission a pris fin le 25 février 2008 et les trois mêmes soumissionnaires ont produit une proposition. La DP-2 prévoyait un contrat de un an comportant une option de prolongation pour deux autres périodes de un an.

7. Bluedrop a allégué que, « [...] sauf pour l’introduction d’une clause portant sur les conflits d’intérêts et les avantages indus, l’énoncé de travail de la W2037-080013/B était identique à celui de la W2037-080013/A, tout comme les exigences techniques sauf pour de légères modifications [...] »6 [traduction]. Pour sa part, TPSGC a convenu que « [...] la DP-2 […] était une remise en appel d’offres des besoins du MDN dans la DP-1 [...] »7 [traduction].

8. D’après TPSGC, toutes les soumissions produites en réponse à la DP-2 ont été jugées recevables et celle d’Acron a été considérée comme la moins-disante. Le 16 mai 2008, TPSGC a adjugé le contrat à Acron. Le 22 mai 2008, TPSGC a avisé Bluedrop qu’elle n’obtiendrait pas le contrat.

ANALYSE DU TRIBUNAL

9. Aux termes du paragraphe 30.14(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal doit, dans son enquête, limiter son étude à l’objet de la plainte. De plus, à la conclusion de l’enquête, le Tribunal doit déterminer le bien-fondé de la plainte en fonction des critères et procédures établis par règlement pour le contrat spécifique. L’article 11 du Règlement prévoit en outre que le Tribunal est tenu de déterminer si le marché public a été passé conformément aux accords commerciaux applicables qui, en l’espèce, sont l’Accord sur le commerce intérieur 8 , l’Accord de libre-échange nord-américain 9 et l’Accord sur les marchés publics 10 .

10. Les faits suivants ne sont pas contestés :

• l’ancien commandant était commandant de la Branche G7 du quartier général du CIC pendant qu’a été élaborée la DP-1;

• les subordonnés de l’ancien commandant ont joué un rôle direct dans l’élaboration de la DP-1;

• l’ancien commandant a surveillé le projet d’élaboration de la DP-1 et donné des conseils d’ordre technique pour la préparation de la DP-1, au besoin;

• tous les membres de l’équipe d’évaluation technique de la DP-1 travaillaient au sein de la Branche G7 du quartier général du CIC sous les ordres de l’ancien commandant;

• l’ancien commandant a participé à une réunion des soumissionnaires sur la DP-1 (où les éventuels soumissionnaires ont pu se renseigner sur le marché proposé) en tant qu’autorité technique pour le MDN et aurait été désigné à titre d’autorité technique pour tout contrat adjugé en réponse à la DP-1;

• quelque temps après la réception des propositions dans le cadre de la DP-1, l’ancien commandant a pris sa retraite des Forces canadiennes et Acron a retenu ses services en qualité de vice-président aux initiatives stratégiques;

• le 10 décembre 2007, peu après le départ de l’ancien commandant du MDN, la DP-1 est venue à expiration sans qu’un contrat ne soit adjugé;

• la DP-2 diffusée le 31 janvier 2008 représentait pour l’essentiel une remise en appel d’offres des besoins du MDN dans la DP-1.

11. TPSGC a reconnu dans le RIF un certain bien-fondé à la plainte de Bluedrop selon laquelle Acron aurait dû être exclue de la procédure de passation du marché et a déclaré ce qui suit : « [...] vu les faits et circonstances de l’affaire, la soumission d’Acron aurait dû être rejetée une fois cette information confirmée. Dans cette mesure, TPSGC reconnaît un certain bien-fondé à la plainte de Bluedrop [...] »11 [traduction].

12. TPSGC fait valoir que « [...] [l’ancien commandant] s’est tenu à distance de la préparation des documents et n’a pas été associé à la rédaction des documents de l’invitation [...] »12 [traduction]. Il soutient en outre que « [...] la documentation de TPSGC révèle que [l’ancien commandant] n’a pas pris une part active à l’invitation no 1 »13 [traduction]. Eu égard aux faits non contestés dans cette affaire, le Tribunal conclut que ces assertions n’ont rien de probant et conclut en outre qu’il doit être tenu pour acquis que l’ancien commandant avait accès à des informations internes qui se seraient avérées avantageuses pour un éventuel soumissionnaire.

13. En ce qui concerne l’autre assertion de TPSGC selon laquelle « [...] TPSGC a été avisé par Acron que [l’ancien commandant] n’était nullement associé à la préparation de la proposition d’Acron […] dans le nouvel appel d’offres [...] et n’a aucune raison de douter de cette affirmation »14 [traduction], le Tribunal conclut qu’Acron se donne ainsi une justification qui la sert (laquelle ne comporte aucune indication qu’il y ait eu des mesures entreprises par la firme afin de ne pas inclure cet individu dans le processus de préparation), mais qui n’emporte guère la conviction si on considère le moment et les circonstances de sa nomination et le rôle qu’on prévoyait qu’il joue à Acron, ainsi que le décrit un article de journal paru à l’époque à ce sujet15 .

14. Le Tribunal observe que, à l’annexe D sur les conflits d’intérêts et les avantages indus de la DP-2, on attire l’attention des soumissionnaires sur les dispositions suivantes :

[...]

1. Pour sauvegarder l’intégrité de la procédure de passation du marché, les soumissionnaires sont avisés que le Canada peut rejeter une soumission dans les circonstances suivantes :

a) si le soumissionnaire, un de ses sous-traitants, ou tout employé ou ancien employé de ces derniers était associé de quelque manière à la préparation de l’invitation à soumissionner;

b) si le soumissionnaire, un de ses sous-traitants ou tout employé ou ancien employé de ces derniers avait accès à des renseignements relatifs à l’invitation qui n’étaient pas disponibles aux autres soumissionnaires et qui, de l’avis du Canada, pourraient conférer un avantage indu au soumissionnaire.

2. L’expérience acquise par un soumissionnaire qui fournit ou a déjà fourni les biens et services décrits dans l’invitation à soumissionner (ou des biens et services similaires) ne sera pas en soi considérée par le Canada comme conférant un avantage indu ou créant un conflit d’intérêts. Le soumissionnaire demeure cependant assujetti aux critères énoncés ci-dessus.

3. Si le Canada a l’intention de rejeter une soumission en vertu de cet article, l’autorité contractante en informera le soumissionnaire et lui donnera l’occasion de présenter ses observations avant que la décision définitive ne soit prise. Les soumissionnaires qui se posent des questions au sujet d’une situation particulière devraient communiquer avec l’autorité contractante avant la clôture des soumissions. En produisant une soumission, le soumissionnaire affirme de ce fait qu’il ne se voit pas comme étant en conflit d’intérêts ni comme jouissant d’un avantage indu. Le soumissionnaire convient qu’il revient au Canada de juger, à son entière discrétion, s’il existe un conflit d’intérêts ou un avantage indu.

[...]

[Nos italiques, traduction]

15. Si l’emploi du mot « peut » paraît donner à TPSGC la latitude de rejeter ou non des soumissions par constatation d’un conflit d’intérêts ou d’un avantage indu, le Tribunal observe que la common law oblige l’entité acheteuse à considérer s’il existe un conflit ou un avantage indu et à agir en conséquence16 . À cet égard, le Tribunal n’interprète pas le mot « peut » dans le présent contexte de son utilisation comme conférant à TPSGC la latitude de rejeter ou non une soumission dans les circonstances que décrit le sous-alinéa 1a) ou 1b) de l’annexe D de la DP-2. Son utilisation sert plutôt à réaffirmer le droit qu’a TPSGC de tenir compte des principes fondamentaux d’équité en rejetant une soumission en pareil cas. Au départ donc, si dans sa soumission un soumissionnaire se représente subjectivement comme ne se trouvant pas en conflit d’intérêts ni ne jouissant d’un avantage indu, il revient toujours à TPSGC de sauvegarder l’intégrité du mécanisme d’adjudication en refusant la proposition de tout soumissionnaire qui, selon lui, est en situation de conflit d’intérêts ou jouit d’un avantage indu.

16. Dans sa proposition en réponse à la DP-2, Acron a dit ne pas se trouver en conflit d’intérêts ni jouir d’un avantage indu17 .Toutefois, si on considère qu’il existe un lien entre la participation de l’ancien commandant à l’élaboration de la DP-1 et l’emploi qu’il a trouvé à Acron peu après l’expiration de la DP-1, et que la DP-2 est pour l’essentiel une reprise de la DP-1, le Tribunal conclut que, eu égard aux circonstances de l’acceptation de la soumission d’Acron, il y avait bel et bien conflit d’intérêts et il y avait aussi avantage indu selon toute vraisemblance. En ne rejetant pas la soumission d’Acron, TPSGC dérogeait à une condition expresse de la DP-2 et, ce faisant, aux accords commerciaux applicables18 .

17. Le Tribunal conclut donc que la plainte est fondée et que Bluedrop aurait dû se voir adjuger le contrat en question.

Mesure corrective

18. Ayant conclu que la plainte est fondée, le Tribunal doit maintenant trouver un redressement approprié au préjudice subi du fait des lacunes de la procédure de passation du marché public.

19. Sur ce plan, le paragraphe 30.15(3) de la Loi sur le TCCE porte ce qui suit :

(3) Dans sa décision, le Tribunal tient compte de tous les facteurs qui interviennent dans le marché de fournitures ou services visé par le contrat spécifique, notamment des suivants :

a) la gravité des irrégularités qu’il a constatées dans la procédure des marchés publics;

b) l’ampleur du préjudice causé au plaignant ou à tout autre intéressé;

c) l’ampleur du préjudice causé à l’intégrité ou à l’efficacité du mécanisme d’adjudication;

d) la bonne foi des parties;

e) le degré d’exécution du contrat.

20. Compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire, le Tribunal est d’avis que :

• le défaut d’appliquer les dispositions sur les conflits d’intérêts et/ou les avantages indus énoncées à l’annexe D de la DP-2 pour écarter la soumission d’Acron en l’espèce constituait une dérogation aux modalités de la DP-2, aux règles d’équité de la common law et aux accords commerciaux pertinents;

• le défaut de TPSGC de rejeter la soumission d’Acron a fait que Bluedrop a été à tort privée d’un contrat auquel elle avait droit;

• la proximité dans le temps des événements de l’affaire (y compris la date de clôture de la DP-1, l’explication peu convaincante donnée par TPSGC des raisons pour lesquelles on a laissé la DP-1 venir à expiration sans adjuger de contrat19 , le moment du départ pour la retraite de l’ancien commandant, la nature du poste auquel il a été nommé par la suite à Acron et la reprise de la DP-1 dans la DP-2 peu après), si elle ne suffisait pas à faire conclure en fait à une franche orchestration de toute l’affaire, a suscité au moins la crainte bien fondée qu’un avantage indu n’ait été conféré à un soumissionnaire quelconque, ce qui ne pouvait que compromettre l’intégrité du mécanisme d’adjudication;

• en ce qui concerne le degré d’exécution du contrat, le contrat adjugé à tort à Acron (qui a débuté le 16 mai 2008 et doit expirer le 31 mars 2009) serait exécuté à 45 p. 100 environ au moment où le Tribunal rendrait sa décision, mais si le contrat avait été adjugé à bon droit à Bluedrop et qu’il était tenu compte des années d’option possibles, la date d’achèvement serait en réalité le 31 mars 2011, ce qui permet d’affirmer qu’il n’aurait été exécuté que dans une proportion de 15 p. 100 au moment où la décision serait rendue.

21. Les deux parties ont fait des observations quant à la solution qu’elles privilégient respectivement et l’une et l’autre de celles-ci diffèrent de la solution initiale du Tribunal. TPSGC a soutenu que la mesure corrective qui convenait serait de laisser le contrat adjugé à tort durer jusqu’au 31 mars 2009, tout besoin non encore comblé serait remis en appel d’offres à ce moment. Comme indemnisation à Bluedrop, TPSGC a fait valoir que le montant approprié devrait correspondre au bénéfice perdu par Bluedrop pendant l’exécution du contrat adjugé à tort pour une période de 10 mois et demi. Bluedrop s’est dite d’accord avec la suggestion en faisant valoir qu’il ne serait guère sensé de faire appel à un nouveau fournisseur pour l’achèvement des travaux sur quelques mois seulement. Cependant, Bluedrop ne partageait pas entièrement l’avis de TPSGC puisqu’elle soutenait que le Tribunal devait recommander une indemnisation correspondant au degré de préjudice subi par elle et le mécanisme d’adjudication, cette mesure en compensation aussi de la situation d’Acron en tant que titulaire du marché jouissant des avantages qui en découlent. Bluedrop a soutenu que, étant le fournisseur retenu, Acron obtenait par là un net avantage concurrentiel qui, dans les circonstances de l’affaire, n’était pas mérité puisqu’il avait été mal acquis.

22. Le Tribunal est d’avis que le meilleur moyen de redresser le tort causé au mécanisme d’adjudication serait de remettre toutes les parties là où elles auraient été si l’erreur n’avait pas été commise. Le Tribunal pense donc que le meilleur moyen serait d’annuler le contrat adjugé à tort et de l’octroyer au soumissionnaire qui s’est classé au deuxième rang, c’est-à-dire à Bluedrop. Le Tribunal recommande donc que, si TPSGC et le MDN devaient, en évaluant les répercussions sur la prestation des services, juger que le passage à un nouveau fournisseur ne risque pas de causer un tort indu aux activités du MDN, le contrat conclu avec Acron soit résilié et que Bluedrop se voie accorder le reste du contrat. En plus de l’octroi du contrat à Bluedrop, le Tribunal recommande que Bluedrop soit indemnisée en reconnaissance des profits qu’elle aurait pu tirer à partir de la date d’adjudication (16 mai 2008) jusqu’à la date de l’adjudication du contrat à Bluedrop. Dans un tel scénario, Bluedrop ne recevrait aucune indemnisation pour la perte d’avantages liée à l’expérience qu’elle aurait acquise.

23. Par ailleurs, eu égard à l’allégation de TPSGC selon laquelle les services sont « essentiels au MDN » [traduction], au cas où TPSGC et le MDN seraient d’avis que, pour l’essentiel, les services en question sont devenus si indissolublement liés à leur fournisseur qu’un changement de fournisseur causerait un tort indu aux activités du MDN, le Tribunal recommande qu’on laisse le contrat en cours venir à expiration le 31 mars 2009, que Bluedrop soit indemnisée en reconnaissance des profits qu’elle aurait pu tirer si elle s’était vu adjuger le contrat pour toute la période du 16 mai 2008 au 31 mars 2009 et que, s’il y a remise en appel d’offres, Bluedrop reçoive en compensation un montant correspondant à la perte d’avantages liée à l’expérience qu’elle aurait acquise en tant que soumissionnaire retenu.

24. Pour calculer le montant de la perte d’avantages liée à l’expérience, le Tribunal s’est reporté aux chiffres présentés aux fins de la présente plainte, c’est-à-dire aux prix de soumission que TPSGC a employés pour arriver à sa décision d’adjudication. En vertu de la lettre envoyée à Bluedrop le 22 mai 2008 par TPSGC pour l’aviser de l’adjudication du contrat à Acron, les prix respectivement offerts étaient de 1 611 958,30 $ pour Acron et de 1 906 377,80 $ pour Bluedrop, d’où une différence de 294 419,50 $. Selon le Tribunal, un facteur raisonnable de calcul de l’avantage de titulaire du contrat qui refléterait les gains d’efficience raisonnablement réalisables pour le soumissionnaire retenu, lequel rendrait toute soumission plus concurrentielle dans le cadre d’un appel d’offres ultérieur, serait de 20 p. 100 de cette différence, soit 58 883,90 $. Ainsi, si TPSGC et le MDN décidaient de ne pas annuler le contrat adjugé à Acron et qu’il y avait remise en appel d’offres après l’expiration du contrat, le Tribunal recommande que TPSGC non seulement indemnise Bluedrop à l’égard des profits qu’elle a perdus, mais lui verse aussi une somme de 58 883,90 $ pour que celle-ci soit à peu près à égalité avec Acron dans le cadre de toute invitation à soumissionner ultérieure.

Coûts

25. Le Tribunal accorde à Bluedrop le remboursement des frais raisonnables qu’elle a engagés pour la préparation et le traitement de la plainte. Le Tribunal a tenu compte de sa Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure portant sur un marché public (la Ligne directrice) et est d’avis que le degré de complexité de la présente plainte correspond au plus bas degré de complexité prévu à l’annexe A de la Ligne directrice (degré 1). La Ligne directrice fonde l’évaluation du degré de complexité d’une plainte sur trois critères : la complexité du marché public, la complexité de la plainte et la complexité de la procédure. Le marché public était d’une complexité moyenne, car il portait sur un projet de service défini. La complexité de la plainte était faible, car le motif de la plainte ne concernait qu’un seul critère simple. Enfin, la procédure était peu complexe, puisque TPSGC avait effectivement reconnu le bien-fondé de la plainte et que l’instance n’a comporté ni requêtes, ni parties intervenantes, ni audiences publiques. Bien que le délai ait été prorogé des 90 jours normaux à 135 jours, les parties n’ont pas déposé de renseignements hors de la portée normale de la procédure. Par conséquent, comme le prévoit la Ligne directrice, l’indication provisoire du montant de l’indemnisation donnée par le Tribunal est de 1 000 $.

DÉCISION DU TRIBUNAL

26. Aux termes du paragraphe 30.14(2) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal détermine que la plainte est fondée.

27. Aux termes des paragraphes 30.15(2) et 30.15(3) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal recommande que TPSGC résilie le contrat adjugé à Acron et l’octroie à Bluedrop. Le Tribunal recommande en outre que Bluedrop soit indemnisée en reconnaissance des profits qu’elle aurait pu tirer du contrat à partir de la date d’adjudication à Acron jusqu’à la date de l’adjudication ultérieure à Bluedrop.

28. Si, pour des raisons d’ordre opérationnel, TPSGC juge infaisable de résilier le contrat déjà adjugé, le Tribunal recommande que TPSGC indemnise Bluedrop en reconnaissance des profits qu’elle aurait pu tirer du contrat si ce dernier lui avait été adjugé. Le calcul du montant des profits sera fondé sur le prix indiqué dans la proposition de Bluedrop. En l’espèce, le Tribunal recommande aussi que TPSGC n’exerce pas d’option de prolongation du contrat et qu’il le laisse expirer le 31 mars 2009.

29. Si, à l’expiration du contrat, TPSGC juge avoir toujours besoin des services en question et lance un nouvel appel d’offres, le Tribunal recommande que TPSGC indemnise également Bluedrop à l’égard de l’expérience qu’elle aurait acquise et des gains d’efficience qu’elle aurait réalisés dans l’exécution du contrat en ajoutant un montant de 58 883,90 $ à la recommandation ci-dessus.

30. Le Tribunal recommande que Bluedrop et TPSGC négocient le montant de l’indemnisation et lui fassent rapport du résultat dans les 30 jours suivant la date de sa décision.

31. Si les parties ne peuvent s’entendre sur le montant de l’indemnisation, Bluedrop devra déposer auprès du Tribunal, dans les 40 jours suivant la date de sa décision, un exposé sur la question de l’indemnisation. TPSGC disposera ensuite de 7 jours ouvrables après la réception de l’exposé de Bluedrop pour y répondre. Bluedrop aura ensuite 5 jours ouvrables après la réception de l’exposé déposé en réponse par TPSGC pour présenter tout autre commentaire supplémentaire.

32. Aux termes de l’article 30.16 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal accorde à Bluedrop le remboursement des frais raisonnables qu’elle a engagés pour la préparation et le traitement de la plainte, ces frais devant être payés par TPSGC. L’indication provisoire du degré de complexité de la présente plainte donnée par le Tribunal est le degré 1, et l’indication provisoire du montant de l’indemnisation est de 1 000 $. Si l’une ou l’autre des parties n’est pas d’accord en ce qui a trait à l’indication provisoire du degré de complexité ou à l’indication provisoire du montant de l’indemnisation, elle peut déposer des observations auprès du Tribunal, en conformité avec la Ligne directrice. Le Tribunal se réserve la compétence de fixer le montant définitif de l’indemnisation.


1 . L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47 [Loi sur le TCCE].

2 . D.O.R.S./93-602 [Règlement].

3 . Service électronique d’appel d’offres du Canada.

4 . RIF à la p. 2. Dans ses modalités, la DP-1 exigeait que les soumissionnaires certifient leurs prix pour une période de 60 jours.

5 . Plainte, para. 10.

6 . Plainte, para. 14.

7 . RIF à la p. 2.

8 . 18 juillet 1994, Gaz. C. 1995.I.1323, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <http://www.ait-aci.ca/index_fr/ait.htm> [ACI].

9 . Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis mexicains et le gouvernement des États-Unis d'Amérique, 17 décembre 1992, R.T.C. 1994, no 2 (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ALÉNA].

10 . 15 avril 1994, en ligne : Organisation mondiale du commerce <http://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/final_f.htm> [AMP].

11 . RIF à la p. 4.

12 . RIF à la p. 2.

13 . Ibid.

14 . Ibid.

15 . À l’onglet 4 de sa plainte, Bluedrop a versé copie d’un article paru le 7 janvier 2008 dans le Telegraph-Journal du Nouveau-Brunswick où on déclarait ce qui suit en ce qui concerne l’ancien commandant : « [...] Son but est de traduire l’expérience acquise au service de technologie de formation du Conseil de l’instruction individuelle de l’Armée de terre de la BFC de Gagetown en nouvelles possibilités pour son nouvel employeur privé, Acron Capability Engineering [...] » [traduction]. Dans cet article, on disait aussi que l’ancien commandant, « [...] aujourd’hui vice-président aux initiatives stratégiques d’Acron, espère mettre en liaison cette entreprise privée et les équipes de recherche-développement de l’Armée de terre à la BFC de Gagetown [...] » [traduction].

16 . Northeast Marine Services Ltd. c. Administration de pilotage de l’Atlantique, [1995] 2 C.F. 132.

17 . Le Tribunal n’a reçu aucun renseignement d’Acron, qui n’était pas partie à l’instance.

18 . Plus précisément, le paragraphe 506(6) de l’ACI, l’alinéa 1015(4)d) de l’ALÉNA et l’alinéa XIII(4)c) de l’AMP.

19 . TPSGC a simplement attribué l’expiration à « [...] des raisons qui ressemblent à de l’inadvertance [...] » [traduction]. RIF à la p. 2.