BIOREX INC.


BIOREX INC.
Dossier no PR-2009-036

Décision prise
le mardi 11 août 2009

Décision et motifs rendus
le jeudi 27 août 2009


TABLE DES MATIÈRES

EU ÉGARD À une plainte déposée aux termes du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47

PAR

BIOREX INC.

CONTRE

LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX

DÉCISION DU TRIBUNAL

Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal canadien du commerce extérieur décide de ne pas enquêter sur la plainte.

André F. Scott
André F. Scott
Membre présidant

Hélène Nadeau
Hélène Nadeau
Secrétaire

EXPOSÉ DES MOTIFS

1. En vertu du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur 1 , tout fournisseur potentiel peut, sous réserve du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics 2 , déposer une plainte auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique et lui demander d’enquêter sur cette plainte. En vertu du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, après avoir jugé la plainte conforme au paragraphe 30.11(2) de la Loi sur le TCCE et sous réserve du Règlement, le Tribunal détermine s’il y a lieu d’enquêter.

2. La plainte porte sur une demande pour un arrangement en matière d’approvisionnement (DAMA) (invitation no EE517-091150/A) faite par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (TPSGC) en vue de la prestation de services d’expert-conseil en environnement. La DAMA visait à établir un arrangement en matière d’approvisionnement avec un nombre prédéterminé de sociétés pour fournir, au besoin, à l’équipe des services environnementaux de TPSGC, région du Québec, six types de services d’expert-conseil en environnement.

3. La DAMA permettait aux soumissionnaires de présenter jusqu’à six propositions techniques en fonction des types de services, appelés « spécialités », pour lesquelles ils désiraient être retenus en tant que fournisseurs d’un arrangement en matière d’approvisionnement. Selon les termes de la DAMA, chaque soumissionnaire devait aussi déposer une proposition financière unique incluant un taux horaire applicable à chacune des cinq catégories de postes ou ressources énumérées dans la DAMA3 . Les taux soumis s’appliquaient à chacune des spécialités pour lesquelles un soumissionnaire désirait offrir ses services et ne devaient pas dépasser des taux plafonds pour chacune des catégories. En outre, la DAMA précisait que ces taux plafonds seraient la moyenne de tous les taux horaires proposés dans les soumissions techniquement recevables, majorée de 20 p. 100.

4. Biorex inc. (Biorex) soutient que TPSGC a incorrectement déclaré irrecevables quatre des cinq propositions qu’elle a présentées en réponse à la DAMA. La plainte indique que les propositions de Biorex n’ont pas été retenues pour l’attribution d’un arrangement en matière d’approvisionnement parce que TPSGC a déterminé que la proposition financière de Biorex ne respectait pas un des critères obligatoires d’évaluation. Tous les taux horaires soumis devaient se situés « [...] en deçà de la “moyenne des taux horaires proposés+20 %” [...] » pour chacune des catégories de postes. Le 25 mai 2009, TPSGC avisait Biorex par écrit que sa proposition financière ne respectait pas les critères obligatoires puisque le taux horaire du poste d’adjoint administratif soumis par Biorex dépassait « [...] le taux horaire moyen majoré de 20% de ce poste.4  »

5. Premièrement, Biorex soutient que le critère selon lequel les taux soumis devaient se situés en deçà de la moyenne des taux horaires proposés majorée de 20 p. 100 n’est pas clairement désigné dans la DAMA comme étant obligatoire. Deuxièmement, Biorex soutient que l’application de ce critère n’était pas clairement expliquée dans la DAMA et que, de plus, puisqu’il pouvait potentiellement être appliqué de plusieurs façons menant à une multitude de résultats différents, ce critère devenait de toute façon inapplicable. Troisièmement, Biorex soutient que l’application de ce critère par TPSGC va à l’encontre de l’objectif de la DAMA qui, selon Biorex, est la sélection du soumissionnaire le moins-disant . Enfin, Biorex soutient que l’application de ce critère contrevient aux dispositions des accords commerciaux selon lesquelles les contrats doivent être adjugés au soumissionnaire qui est pleinement capable de réaliser le mandat et qui a déposé la soumission la plus basse. À titre de mesure corrective, Biorex demande d’être ajoutée à la liste des détenteurs de l’arrangement en matière d’approvisionnement pour chacune des spécialités pour lesquelles sa proposition technique était recevable.

6. Le paragraphe 6(1) du Règlement prévoit que « [...] le fournisseur potentiel qui dépose une plainte auprès du Tribunal [...] doit le faire dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a découvert ou aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l’origine de la plainte ». Le paragraphe 6(2) prévoit qu’un fournisseur potentiel qui a présenté à l’institution fédérale concernée une opposition et à qui l’institution refuse réparation peut déposer une plainte auprès du Tribunal « [...] dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a pris connaissance, directement ou par déduction, du refus, s’il a présenté son opposition dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a découvert ou aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l’origine de l’opposition ».

7. Autrement dit, une partie plaignante dispose de 10 jours ouvrables suivant la date où elle a pris connaissance des faits à l’origine de l’opposition, ou suivant la date où elle aurait dû vraisemblablement les découvrir, soit pour présenter une opposition auprès de l’institution fédérale, soit pour déposer une plainte auprès du Tribunal. Si une partie plaignante présente une opposition auprès de l’institution fédérale dans le délai prescrit, il s’ensuit qu’elle peut ensuite déposer une plainte auprès du Tribunal dans les 10 jours ouvrables où elle a pris connaissance, directement ou par déduction, du refus de l’institution fédérale de remédier.

8. Par ailleurs, l’alinéa 7(1)c) du Règlement exige que le Tribunal détermine si les renseignements fournis par la partie plaignante démontrent, dans une mesure raisonnable, que la procédure du marché public n’a pas été suivie conformément au chapitre 10 de l’Accord de libre-échange nord-américain 5 , au chapitre cinq de l’Accord sur le commerce intérieur 6 , à l’Accord sur les marchés publics 7 ou au chapitre Kbis de l’Accord de libre-échange Canada-Chili 8 , selon le cas. En l’espèce, Biorex soutient que TPSGC contrevient aux dispositions de l’ACI, de l’ALÉNA et de l’AMP.

9. Le Tribunal doit donc d’abord déterminer la date à laquelle Biorex a découvert ou aurait dû vraisemblablement découvrir les faits à l’origine de la plainte. Le Tribunal constate que les deux premiers motifs de plainte soulevés par Biorex sont qu’un critère obligatoire d’évaluation n’était pas clairement désigné comme tel et expliqué dans la DAMA. La plainte se fonde principalement sur des ambiguïtés alléguées de la DAMA.

10. À cet égard, la jurisprudence du Tribunal établit une distinction entre deux types d’ambiguïtés, soit l’ambiguïté manifeste et l’ambiguïté latente. Selon cette jurisprudence, lorsqu’une ambiguïté est manifeste au vu de la documentation relative à l’appel d’offres, un fournisseur potentiel ne doit pas attendre de prendre connaissance des résultats de l’évaluation avant de présenter une opposition à l’institution fédérale ou de déposer une plainte auprès du Tribunal.

11. Ainsi, dans Primex Project Management Ltd.9 , le Tribunal précisait la différence entre les deux types d’ambiguïtés quant aux conditions d’une demande de propositions (DP) et les différentes conséquences entraînées par leur constatation :

[...] Lorsqu’il existe une ambiguïté latente, le fournisseur potentiel ne la découvrira vraisemblablement pas avant de prendre connaissance des résultats de l’évaluation. Lorsqu’il existe une ambiguïté manifeste, elle est (ou devrait être) visible au vu de l’article de la DP ou de la modification en cause, et le fournisseur potentiel doit tenter d’obtenir des éclaircissements sur ce qui est exigé ou, sinon, déposer une opposition ou une plainte dans les délais prescrits.

[Note omise]

12. Le Tribunal rappelle également IBM Canada Ltd. c. Hewlett Packard (Canada) Ltd. 10 dans laquelle la Cour d’appel fédérale confirmait le bien-fondé de l’approche du Tribunal sur cette question :

[18] Dans les affaires de marchés publics, le temps représente une condition essentielle. [...]

[...]

[20] [...] Les fournisseurs potentiels ne doivent donc pas attendre l’attribution d’un contrat avant de déposer toute plainte qu’ils pourraient avoir concernant la procédure. On s’attend à ce qu’ils soient vigilants et qu’ils réagissent dès qu’ils découvrent ou auraient vraisemblablement dû découvrir un vice de procédure. [...]

[21] Le Tribunal a précisé clairement, dans le passé, que les plaintes fondées sur l’interprétation des termes d’une DP devaient avoir été présentées dans les dix jours suivant le moment où l’ambiguïté ou le manque de clarté qu’on allègue était devenu ou aurait dû normalement devenir apparent.

13. En l’espèce, la DAMA était publiée le 13 mars 2009 et deux modifications paraissaient les 9 (modification no 1) et 20 (modification no 2) avril 2009. La date limite pour la présentation des soumissions était le 22 avril 2009. Selon la plainte, au total neuf soumissionnaires ont été retenus dans la DAMA. Le 25 mai 2009, TPSGC avisait Biorex qu’aucune de ses propositions était retenue, puisque l’un des taux horaires inclus dans sa proposition financière dépassait le taux maximum recevable.

14. À la suite de quelques courriels, messages et conversations téléphoniques échangés entre le 25 mai et le 4 juin 2009, Biorex présentait une opposition écrite à TPSGC le 5 juin 2009. Entre le 5 juin et le 24 juillet 2009, Biorex et TPSGC échangeaient de la correspondance au sujet des raisons pour lesquelles Biorex n’avait pas été retenue en tant que fournisseur, y compris les motifs de sa plainte déposée auprès du Tribunal. En particulier, dans une lettre en date du 22 juillet 2009, mais reçue par Biorex le 24 juillet 2009, TPSGC informait Biorex qu’il ne pouvait acquiescer à sa demande d’être ajoutée à la liste des détenteurs de l’arrangement en matière d’approvisionnement. Le 4 août 2009, Biorex déposait sa plainte auprès du Tribunal.

15. Le Tribunal tient à souligner que la DAMA et la modification no 2 de la DAMA contenaient certaines explications concernant le critère de la « moyenne des taux horaires proposés+20 % » pour chacune des catégories de postes et la façon dont TPSGC évaluerait les taux horaires.

16. Les termes de la DAMA, tels que modifiés, prévoient ce qui suit :

1.2.2 Évaluation des propositions financières

[...]

Parmi toutes les propositions recevables techniquement, la proposition financière (annexe 3) sera considérée recevable si le proposant soumissionne sur toutes les catégories suivantes:

Biologiste/géographe senior

Biologiste/géographe junior

Technicien senior

Technicien junior

Cartographe

Adjoint administratif

et les taux soumis sont en deçà de la «moyenne des taux horaires proposés+20 %» pour chacune de ces catégories.

[Nos italiques]

17. La modification no 2 de la DAMA prévoit ce qui suit :

QUESTION 19) Pouvez-vous expliquer clairement ce qu’on entend par « la moyenne des taux horaires proposés +20% » de la page 11 de 37?

[RÉPONSE] 19) Afin d’illustrer le mécanisme, voici un exemple. 10 propositions financières sont évaluées. Nous considérons d’abord le poste « technicien sénior ». Le taux moyen associé au poste « technicien sénior » est calculé à partir des 10 propositions financières, puis majorée de 20%. La même opération sera effectuée pour chacun des 6 postes. Afin de déterminer si la proposition financière est recevable, chacun des taux soumissionnés pour chacun des postes devront tous être égal ou inférieur à la valeur calculé[e] (moyenne + 20%) pour chacun des postes.

18. Le Tribunal est d’avis au vu des termes mêmes de la DAMA et des modifications subséquentes que les ambiguïtés de la DAMA soulevées par Biorex constituent des ambiguïtés manifestes. En effet, à la suite de la publication de la modification no 2 et de la clôture des soumissions le 22 avril 2009, il devenait clair que ni la nature obligatoire ni l’application des critères de l’évaluation financière ne seraient clarifiée davantage par TPSGC. En l’occurrence, il incombait à Biorex de présenter une opposition auprès de TPSGC ou de déposer une plainte auprès du Tribunal dans les 10 jours ouvrables subséquents et non d’attendre les résultats de l’évaluation, l’ambiguïté étant manifeste. Le Tribunal est donc convaincu que Biorex aurait dû découvrir les faits à l’origine de ses deux premiers motifs de plainte dès qu’elle a reçu l’ensemble de la documentation afférente à l’invitation.

19. En effet, le Tribunal conclut que les ambiguïtés dans les termes de la DAMA, alléguées par Biorex, était devenues ou aurait dues devenir apparentes dès le moment où Biorex prenait connaissance de la réponse 19, soit à la parution de la modification no 2. Biorex a pris connaissance de cette modification au plus tard à la date de clôture de la DAMA, soit le 22 avril 2009. Ainsi, de l’avis du Tribunal, si Biorex constatait que les critères de l’évaluation financière n’étaient pas clairement désignés et expliqués, elle avait 10 jours ouvrables après cette date, c’est-à-dire jusqu’au 6 mai 2009, pour présenter une opposition auprès de TPGSC ou déposer une plainte auprès du Tribunal. Puisque que Biorex a attendu jusqu’au 5 juin 2009 pour présenter son opposition, celle-ci n’a pas été déposée dans le délai prescrit au paragraphe 6(2) du Règlement. Par conséquent, en ce qui concerne les deux premiers motifs de plainte déposés par Biorex auprès du Tribunal le 4 août 2009, ceux-ci n’ont pas été déposés dans le délai prévu au paragraphe 6 du Règlement et le Tribunal ne peut accepter d’enquêter sur ces motifs de plainte.

20. Quant aux allégations selon lesquelles l’application du critère de la « moyenne des taux horaires proposés+20 % » va à l’encontre de l’objectif de sélection du soumissionnaire le moins-disant de la DAMA et contrevient de ce fait aux dispositions de l’ALÉNA et de l’AMP selon lesquelles les contrats doivent être adjugés au soumissionnaire qui est pleinement capable de réaliser le mandat et qui a déposé la soumission la plus basse, le Tribunal est d’avis que la plainte ne démontre pas dans une mesure raisonnable que la procédure du marché public n’a pas été suivie conformément aux accords commerciaux pertinents. À cet égard, le Tribunal souligne que la DAMA ne précisait pas que son objectif était de rechercher parmi les sociétés pleinement capables d’exécuter les travaux spécifiques à chacune des spécialités celles qui avaient présenté les soumissions les plus basses. De plus, contrairement aux prétentions de Biorex, le paragraphe1015(4) de l’ALÉNA et le paragraphe XIII(4) de l’AMP n’indiquent pas qu’un marché doit nécessairement être adjugé au « soumissionnaire le moins-disant ». Ces dispositions prévoient une alternative, à savoir l’attribution du marché au soumissionnaire dont la proposition aura été jugée ou reconnue comme étant la plus avantageuse selon les critères d’évaluation spécifiés dans les avis ou la documentation relative à l’appel d’offres.

21. Pour ces motifs, le Tribunal décide de ne pas enquêter sur la plainte.

DÉCISION

22. Aux termes du paragraphe 30.13(1) de la Loi sur le TCCE, le Tribunal décide de ne pas enquêter sur la plainte.


1 . L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47 [Loi sur le TCCE].

2 . D.O.R.S./93-602 [Règlement].

3 . Ces catégories étaient les suivantes : biologiste/géographe senior, biologiste/géographe junior, technicien senior, technicien junior et adjoint administratif.

4 . Lettre de TPSGC datée du 25 mai 2009, plainte, pièce PJ-8.

5 . Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, 17 décembre 1992, R.T.C. 1994, no 2 (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ALÉNA].

6 . 18 juillet 1994, Gaz. C. 1995.I.1323, en ligne : Secrétariat du commerce intérieur <http://www.ait-aci.ca/index_fr/ait.htm> [ACI].

7 . 15 avril 1994, en ligne : Organisation mondiale du commerce <http://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/final_f.htm> [AMP].

8 . Accord de libre-échange entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la République du Chili, R.T.C. 1997, no 50 (entré en vigueur le 5 juillet 1997). Le chapitre Kbis, intitulé « Marchés publics », est entré en vigueur le 5 septembre 2008.

9 . (22 août 2002), PR-2002-001 (TCCE) à la p. 11.

10 . 2002 CAF 284 (Can LII) aux para. 18-21.